Émission Libre à vous ! diffusée mardi 21 mars 2023 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous ! l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Saviez-vous qu’entre 2017 et 2021, les GAFAM avaient multiplié par trois leurs dépenses dédiées aux activités de lobbying en France, pour atteindre plus de quatre millions d’euros ? Eh bien jusqu’à décembre dernier et la publication de l’excellent et éclairant rapport GAFAM Nation de l’Observatoire des multinationales, moi non plus ! J’aurai le plaisir de recevoir les journalistes qui l’ont rédigé pour discuter de la toile d’influence des géants du Web en France.
Également au programme, une nouvelle « humeur de Gee » qui se pose une question existentielle : GNU/Linux, c’est trop compliqué ? Et, en fin d’émission, une nouvelle « Pépite libre » de Jean-Christophe Becquet, « Voilà le printemps, libérons nos outils de plaidoyer ».

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 21 mars 2023. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission du jour, ma collègue Isabella. Salut Isa !

Isabella Vanni : Salut, bonne émission.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Les humeurs de Gee » intitulée « GNU/Linux, c’est trop compliqué ? »

Étienne Gonnu : Gee, auteur du blog BD Grise Bouille, vous expose son humeur du jour. Des frasques des GAFAM aux modes numériques en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.
Salut Gee. Si j’ai bien compris, tu te poses des questions assez existentielles aujourd’hui, notamment de savoir si GNU/Linux serait trop compliqué.

Gee : Effectivement. Salut Étienne et salut à toi, public de Libre à vous !
Aujourd’hui, j’ai décidé de m’attaquer à un cliché qui a la peau dure : GNU/Linux, c’est compliqué, et le logiciel libre en général, c’est réservé aux experts et aux gens qui maîtrisent l’informatique. Alors, dans un souci de précision, je ne vais pas dire Linux tout court, car Linux n’est pas le nom du système d’exploitation mais seulement du noyau du système. Mais, comme GNU/Linux, le vrai nom, c’est un peu trop long, je vais, pour cette chronique, l’appeler « Gnunux ». Je trouve que c’est plus court et c’est aussi plus mignon, ce qui ne gâche rien.

Gnunux, donc, serait trop compliqué pour le commun des mortels. En tout cas, plus compliqué que ses concurrents, les mastodontes Windows de Microsoft et macOS de Apple. Pareil, par extension, pour l’ensemble des logiciels libres, de Firefox à VLC en passant par Gimp ou LibreOffice.

Bon, reconnaissons tout d’abord qu’il y a une part de vérité dans tout cela qui est de moins en moins importante. Installer Gnunux sur un ordinateur, de nos jours, ça se fait quand même relativement les doigts dans le pif. Je sais, ça resterait complètement hors de portée pour monsieur et madame Tout-le-monde, mais, en même temps, je doute qu’installer un Windows leur soit plus accessible. Ce qui est simple avec Windows, c’est que c’est directement installé sur les PC vendus : la vente liée, ce qu’on appelle racketiciel par chez nous, c’est dégueulasse, mais il faut reconnaître que c’est pratique. Bon !, c’est aussi très pratique pour les profits de Microsoft, Apple ou même Google, mais passons.

En ce qui concerne la prétendue plus grande difficulté des logiciels libres, elle est souvent due à une qualité de design et d’interface utilisateur moindre. Oui, les logiciels libres sont souvent visuellement moins jolis que leurs équivalents propriétaires et leurs interfaces graphiques ne sont pas toujours évidentes à prendre en main. Même si, encore une fois, ça va plutôt de mieux en mieux et ça reste une grosse généralité : des logiciels libres comme Ardour pour la musique assistée par ordinateur ou Inkscape pour le dessin vectoriel ont des interfaces à la fois jolies et pratiques.

Mais c’est vrai, reconnaissons que ces faiblesses dans les interfaces et le design existent. Elles s’expliquent, entre autres, par le fait que pas mal de logiciels libres sont gérés par des bénévoles et qu’il est toujours plus simple de dégager du temps de bénévolat quand tu es ingénieur avec un gros salaire que quand tu es graphiste free-lance en galère. De fait, les logiciels libres sont souvent faits exclusivement par des gens qui développent et écrivent du code, qui assurent donc les parties de design et d’interface utilisateur sans avoir de qualification sur ces sujets. Eh bien oui, de fait, on fait ce qu’on peut !

Ceci étant dit, je trouve qu’on a tendance à surestimer la simplicité des logiciels propriétaires. Je dirais même que dans pas mal de cas, les logiciels libres sont beaucoup plus simples et beaucoup mieux foutus.

Un exemple : personnellement, je suis passé à Gnunux en 2007, en remplaçant mon Windows XP par un Ubuntu 7.04. Eh bien une des choses qui m’ont frappé à l’époque, c’était la façon dont était géré le menu pour lancer des logiciels, l’équivalent du menu « Démarrer » des Windows de l’époque.
Sur Windows XP, quand vous installiez un logiciel et que vous vouliez ensuite le lancer, il fallait cliquer sur « Démarrer », puis « Applications », puis trouver le dossier avec le nom de l’éditeur du logiciel – par exemple Adobe pour Photoshop – puis, enfin, le nom du logiciel.
Alors que sur Ubuntu, quand j’installais Gimp, l’équivalent libre de Adobe Photoshop, pour le trouver dans le menu, je devais cliquer sur « Logiciel », « Graphismes » et « Gimp », bien sûr. C’est dingue ! Attendez, quand j’installe un logiciel de bureautique, pareil : je le trouve dans « Logiciel », « Bureautique ». Ceci est une révolution !
C’est un exemple typique de comment une différence de philosophie fondamentale peut changer quelque chose qui a l’air trivial et qui, pourtant, rend un système plus ou moins complexe : sur Windows, l’important, c’est que l’éditeur du logiciel puisse afficher sa marque ; sur Gnunux, l’important, c’est que vous retrouviez facilement votre logiciel.
La réalité, c’est que les Windows et compagnie ont des parts immenses de complexité que les gens ont tout simplement intégrées et que les GAFAM font passer pour normales et acceptables.

Autre exemple : les grosses plateformes en ligne comme YouTube ou Facebook sont blindées de pub, c’est chiant, ça perturbe la lecture, mais tout le monde trouve ça normal, parce qu’il faut bien financer les plateformes, alors, même si ça complexifie l’expérience utilisateur, ça va. Alors que sur PeerTube ou Mastodon, d’accord il n’y a pas de pub, mais, oh, là,là, il y a plusieurs domaines différents, il n’y a pas qu’un seul site, c’est compliqué, pff !

Tiens, une petite anecdote : il y a quelques années, je m’étais mis en tête de faire du dessin en direct, en streaming. À l’époque, il n’y avait pas d’alternative libre, alors j’avais jeté un œil à Twitch. Quelle horreur ! L’interface côté vidéaste, c’est un arbre de Noël, il y a des boutons partout, ça clignote, tu as des trucs pour la monétisation, pour gérer la communauté, pour les abonnements, pour les… Mais je veux juste lancer une vidéo en direct ! C’est quoi ce boxon ? Il est où le bon bouton ? En vrai, ça m’a tellement gonflé que j’ai laissé tomber. Quelques mois plus tard est sortie une mise à jour de Perturbe, le logiciel d’hébergement de vidéos libre et décentralisé, grâce à laquelle la diffusion en direct était devenue possible. Chouette ! Alors là, je tente, et c’est le jour et la nuit : il y a UN bouton « Lancer une vidéo en direct ». Perturbe me file une adresse et une clef à copier dans le logiciel de streaming. Tu copies, tu lances, ça marche. Le bonheur !

Et après on va me dire que le logiciel libre est plus compliqué que le logiciel propriétaire ! Peut-être que les logiciels libres sont parfois moins jolis et un peu moins intuitifs, mais, au moins, ils ne te font pas chier ; ils ne se mettent pas constamment en travers de ton chemin : quand tu veux faire un truc simple, tu as une interface simple.
Le truc, c’est que la complexité imposée par les logiciels propriétaires pour des raisons de rentabilité ou de contrôle est devenue tellement naturelle qu’elle en devient invisible. Ça n’est que quand on en est sorti, en passant par exemple sur un système Gnunux, qu’on se rend contre des trucs insupportables qu’on acceptait sans broncher avant. Et qu’on se rend compte aussi de tous les domaines où le propriétaire fait moins bien ou est complètement à la bourre par rapport au logiciel libre.
Par exemple, ça m’avait fait doucement marrer quand Spotify avait annoncé, avec une fierté non dissimulée, qu’il était désormais possible d’afficher les paroles pendant qu’une chanson passait ! Waouh ! Encore une fois, quelle révolution ! Ça m’avait bien fait marrer, parce que sur les lecteurs audios libres sur Gnunux, ça devait faire à peu près 10 ans qu’on avait des plugins pour afficher les paroles, mais bon ! Ça n’était pas une fonctionnalité qui impliquait des accords bien juteux avec les majors ou qui permettait de faire de la pub pour vendre des abonnements donc, ce n’était pas une innovation ! Voilà. Une innovation, c’est quand il y a du pognon ! Sinon ce sont juste des lubies de gauchistes.

Eh bien moi, quand même, je trouve qu’on n’est pas mal sur nos outils libres, un peu moches parfois, un peu rugueux, mais dans lesquels on se sent bien. Un peu comme dans un café associatif : les tables, c’est de la récup ; les boissons sont servies dans des écocups un peu moches ; le local ressemble plus à un hangar qu’à un salon de thé, mais les gens sont cool, on discute, on rigole, et puis ce sont des produits locaux, ce n’est pas cher, voire à prix libre. Alors que dans le bar lounge branché d’afterwork de Microsoft et Apple, d’accord c’est joli et raffiné, mais alors vas-y comment on te prend de haut, tenue correcte exigée, oh le nul il n’a pas de chemise ; tu paies ton cocktail 15 balles pour te faire encaisser directement par un serveur sous-payé et hautain, qui ne te fait pas suffisamment confiance pour te garder une ardoise plus de 20 secondes.

Je ne peux donc que vous conseiller de passer outre d’éventuelles mauvaises premières impressions sur des logiciels libres ; ayez de l’indulgence – encore une fois, des fois on fait ce qu’on peut –, persévérez un peu, et vous verrez : Gnunux et les logiciels libres, en vrai, ça vous complique vachement moins la vie que les logiciels propriétaires.

Allez salut !

Étienne Gonnu : Merci, Gee, un beau plaidoyer pour le Libre. Et puis, à t’écouter, on dirait vraiment que les logiciels privateurs ne sont pas d’abord faits pour être au service des utilisateurs/utilisatrices, mais pour répondre à d’autres intérêts.

Gee : C’est dingue !

Étienne Gonnu : C’est dingue ! En tout cas merci beaucoup, Gee, et je te dis au mois prochain pour une nouvelle humeur.

Gee : Ouais, merci, au mois prochain. Super.

Étienne Gonnu : Super. Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous parlerons des pratiques de lobbying des GAFAM en France. Avant ça, nous allons écouter Trop facile par ZinKarO. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Trop facile par ZinKarO.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Trop facile par ZinKarO, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC BY SA.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Vous êtes toujours sur Cause Commune, la voix des possibles. Nous allons passer à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

Échange avec l’auteur et l’autrice de l’excellent rapport GAFAM Nation qui nous éclaire sur les pratiques de lobbying des GAFAM en France

Étienne Gonnu : GAFAM Nation. La toile d’influence des géants du web en France.
Mardi 13 décembre 2022, l’Observatoire des multinationales a publié un rapport très complet sur les pratiques de lobbying en France des GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft –, un document éclairant et particulièrement utile tant il y a peu de données disponibles sur ces pratiques au niveau français. L’April avait d’ailleurs publié un communiqué que vous pourrez retrouver sur la page des références de l’émission.
J’ai le grand plaisir de recevoir aujourd’hui, en studio, les deux journalistes qui ont rédigé ce rapport, Chiara Pignatelli et Olivier Petitjean, pour nous parler de cet important travail. J’ai d’autant plus de plaisir à les recevoir que nous avons dû reporter plusieurs fois la réalisation de cette émission, notamment du fait de l’important mouvement social en cours.
Comme d’habitude, n’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Chiara, Olivier, bonjour

Olivier Petitjean : Bonjour.

Chiara Pignatelli : Bonjour.

Étienne Gonnu : Merci d’être avec nous en studio. Je vous propose de commencer de manière très traditionnelle : est-ce que vous pourriez vous présenter s’il vous plaît ? Olivier.

Olivier Petitjean : Bonjour. Je m’appelle Olivier Petitjean. J’ai eu l’honneur, avec un collègue journaliste qui s’appelle Ivan du Roy, de créer l’Observatoire des multinationales il y a bientôt dix ans, on reviendra un peu sur le projet. Avec Chiara, nous avons travaillé, à l’automne dernier [2022], sur ce rapport qui visait à mettre en lumière, comprendre comment fonctionne l’influence des Big Tech et des GAFAM, il y a une petite nuance, une petite subtilité de terminologie sur laquelle on revient dans le rapport. On montre en quoi le terme GAFAM, en fait, est pertinent et pourquoi cibler ces grandes entreprises en particulier.

Étienne Gonnu : On va y revenir dans notre échange, je pense aussi que la question est intéressante. Chiara.

Chiara Pignatelli : Je m’appelle Chiara Pignatelli, je suis membre de l’Observatoire des multinationales et corédactrice du rapport sur les GAFAM.

Étienne Gonnu : Super. Il serait peut-être intéressant de savoir ce qui se cache — rien ne se cache ! —, mais ce qu’est l’Observatoire des multinationales. C’est un média ? C’est un consortium ?

Olivier Petitjean : À la base c’est un projet journalistique. J’ai dit que ça a été incubé et créé dans le cadre d’un média engagé qui s’appelle Basta !, basta.media que vous connaissez peut-être, qui existe encore aujourd’hui, qui s’est créé pour suivre l’actualité sociale et écologique. Très tôt, il y a presque dix ans comme je disais, comme sur ces sujets sociaux-écologiques on avait beaucoup à faire à des grandes entreprises, à leur influence, et qu’une des spécificités de Basta ! c’est aussi de travailler sur les questions internationales, les impacts des grands groupes français à l’étranger aussi, etc., on s’est dit qu’il y avait besoin de monter en compétences sur ces questions, les multinationales, comprendre comment elles fonctionnement et avoir une vraie expertise qui n’existait pas vraiment, notamment dans le milieu journalistique. À la base du projet c’était ça.
Ça a ensuite évolué, on a été amenés, petit à petit, à s‘autonomiser de Basta !, à créer une structure qui a aujourd’hui une double facette : il y a toujours une facette journaliste, on est un média d’investigation sur les grandes entreprises notamment françaises, mais pas seulement, aussi les grandes entreprises étrangères en France, en l’occurrence les GAFAM. D’autre part, on n’est pas vraiment une organisation militante, mais, disons, l’équivalent d’un think tank au sens où on essaie de travailler avec des acteurs engagés de la société pour réfléchir à des propositions, pour montrer qu’il y a des alternatives et, là encore, on est vraiment dans le cœur du sujet avec les GAFAM ; pour montrer que les trajectoires des politiques telles qu’elles sont composées, disons dans une alliance étroite entre le gouvernement et les grandes entreprises, ça peut être, dans certains cas, des alliancs l’État et Renault, l’État et Total, etc. On montre dans ce rapport, on va y revenir, que c’est un peu la même chose, malgré tout ce qu’on entend sur la souveraineté numérique, les startups, etc., en fait ce sont des politiques qui sont conçues dans le cadre de cette alliance, non dite mais très forte, entre le gouvernement français — et pas seulement français — et ce milieu des grandes entreprises.

Étienne Gonnu : Je vais en profiter pour saluer Basta !, je ne savais pas qu’il y avait ce rapport. Je trouve que c’est vraiment un excellent média. Je vous recommande notamment le site portail.basta.media, qui est, pour moi, un très bon outil de veille, qui recense différents médias sur différents sujets — économiques, environnementaux. Je partagerai le lien que je recommande.
Merci pour cette présentation très claire.
Chiara m’avait interviewé dans le cadre de ce rapport, d’ailleurs on va revenir sur la façon dont vous avez travaillé. Là où j’ai eu un grand plaisir, en tant que salarié de l’April, c’est quand vous m’avez proposé, pour mener cette interview, d’utiliser un BigBlueButton, qui est un logiciel libre de vidéoconférence, ce qui n’est pas forcément le cas la plupart du temps, c’est plutôt sur des outils privateurs ; j’ai été très heureux de voir ce choix. Du coup, ça m’amène la question : quel est votre rapport, déjà individuellement, à ces questions ? Est-ce que vous utilisez du logiciel libre ? Et dans le cadre plus spécifique de l’Observatoire des multinationales, est-ce qu’il y a tout de suite eu cette volonté de recourir à des logiciels libres ? Est-ce que c’était par opportunité ? Par conviction ?

Chiara Pignatelli : À titre personnel, au fur et à mesure que je m’intéressais aux GAFAM, je me suis intéressée plus globalement aux libertés informatiques, au monde du logiciel libre, etc., que je ne connaissais pas du tout. Je me suis aperçue qu’il y avait des enjeux super intéressants autour de la neutralité du Net, du partage de connaissances, etc. J’essaye donc d’utiliser de plus en plus de logiciels libres comme WeKan, par exemple.

Étienne Gonnu : Je ne sais pas ce qu’est Wekan comme logiciel.

Chiara Pignatelli : C’est un logiciel de gestion de projet, un peu comme Trello, mais c’est la version libre.

Étienne Gonnu : D’accord.

Olivier Petitjean : Plus globalement au niveau Observatoire, c’est clair que de par notre sujet de travail, les multinationales, on ne peut qu’être sensibilisés à cette question. Par cohérence, même si on est loin d’être parfaits sur ce point, on essaie d’utiliser des outils libres.
Plusieurs enjeux sont clairs : un enjeu auquel on est sensibles, qui est évidemment la question, éventuellement, de la surveillance, du contrôle des données, etc. Mais surtout, et c’est sur ça que je voudrais insister, j’en ai déjà un peu parlé : quand on travaille sur les multinationales, on se rend compte qu’un des ressorts de leur pouvoir et de leur influence, et on est en plein sur notre sujet, c’est de nous rendre dépendants et de rendre les politiques dépendants, de nous mettre dans des situations où on n’a plus le contrôle, disons de nous enfermer dans certaines trajectoires. Au-delà des questions de surveillance, qui sont un peu secondaires malgré tout, il y a cette question essentielle qui est de garder le contrôle sur ce qu’on fait, donc sur nos outils.
Il y a aussi cette sensibilité et, pareil, ça s’applique au secteur numérique, aux GAFAM, de toujours maintenir les alternatives vivantes, la diversité, y compris avec des formes non lucratives, c’est important, et c’est une des manières de résister à l’emprise des multinationales, toujours maintenir des alternatives. Aujourd’hui oui, il est possible de faire avec les multinationales, mais c’est aussi possible de faire autrement via le secteur public, via le secteur non lucratif, via les petites entreprises. C’est vrai en matière de tout, de service public de l’eau, oui, il y a des multinationales c’est bien, mais c’est sans doute mieux qu’il y ait des services publics ; c’est vrai en matière d’alimentation, oui il y a Carrefour, il y a Danone, mais on peut aussi avoir des circuits courts. Pour nous, c’est exactement la même chose pour le numérique : oui, OK, il y a des outils parfois super impressionnants et super utiles, etc., de Google et autres, mais c’est important, par principe, même si des fois ça implique des chemins un peu plus difficiles, comme ça a été dit dans la chronique précédente – on se rend souvent compte que les outils des GAFAM ont plein de fonctionnalités dont on n’a pas l’usage et qui ne servent qu’à monétiser un peu ça – d’essayer autant que possible d’utiliser des logiciels et des outils libres.

Chiara Pignatelli : Même si c’est parfois difficile de les éviter tant ils se montrent comme indispensables, comme on l’explique dans ce rapport.

Étienne Gonnu : Tout à fait. Je pense que ça sera une question sur laquelle il faudra qu’on revienne un peu, cette colonisation de nos imaginaires. C’est parfois difficile, déjà culturellement, de s’en extraire et après, effectivement, des usages ont été développés par ces grandes entreprises et c’est difficile de les contourner, de prendre des chemins de traverse, d’où l’importance de développer aussi des contre-pouvoirs technologiques.

J’aurais une dernière question avant qu’on se penche sur le rapport en lui-même et c’est une question qui me parait importante dans cette période où on semble avoir, comment dire, un rapport de plus en plus flexible, y compris de la part de certains de nos représentants politiques, à ce qui serait le réel, un petit peu : c’est l‘importance, me semble-t-il, du travail des journalistes. Du coup quel est, pour vous, le travail des journalistes ? Quelle est l’importance du journalisme dans une démocratie ? Vaste question, je sais que ce n’est pas forcément évident, mais je voulais avoir votre lecture puisqu’on n’a pas si souvent l’occasion d’échanger.

Olivier Petitjean : C’est effectivement une vaste question. Je pense qu’un des rôles, en tout cas essentiel, du journalisme et une des manières dont il est un peu consubstantiel à l’idée même de démocratie, au moins au sens moderne du terme, où il n’y a pas des grandes agoras comme à l’époque d’Athènes où on pouvait se parler, où tout le monde se connaissait, etc., c’est à la fois, d’un côté, de tenir les puissants, les pouvoirs en place pour responsables de leurs actes, donc une mission de veille citoyenne ; les forcer à rendre des comptes. Le journalisme s’est clairement constitué avec l’idée de forcer les politiques, donc ciblant le pouvoir politique dès le 19e siècle, à rendre des comptes, ce qu’ils faisaient, ce qu’ils disaient, quelles étaient les conséquences, etc., éventuellement les affaires de corruption. Notre argument c’est que, du coup, le journalisme est resté très focalisé sur le pouvoir politique, mais il y a besoin de faire un travail similaire sur ce qu’on appelle les pouvoirs économiques, qui ne sont pas des pouvoirs officiels mais qui sont quand même clairement des pouvoirs. C’est un peu notre idée, c’est pour ça qu’on reste des journalistes, même si nous sommes des journalistes engagés. En un sens tout journalisme, quand il est voué à pousser les puissants, les pouvoirs en place, à rendre des comptes, est toujours une forme de journalisme engagé, même si, sur le versant politique, il est beaucoup plus accepté : ça ne choque personne que des journalistes disent à un politique « vous avez dit ça, mais c’est ça que vous faites » ou remettent en question ce que dit un politique, alors que, dans la sphère médiatique telle qu’elle existe, ça reste un peu choquant d’interpeller de la même manière un PDG ou un responsable économique.
C’est le premier versant. On est donc engagés, mais on utilise les outils, les codes et les règles déontologiques du journalisme et c’est vraiment important, ça touche à votre question. Pour tout ce qu’on fait, on essaye autant que possible, en utilisant la méthodologie journalistique, que ce soit basé sur des faits. On dit : « Voilà ce que les faits disent » pour faire ensuite la différence entre ce que sont les faits, ce qui est supposition, ce qui est juste témoignage de sources de l’ordre du on dit, etc., ce qui est juste une indication. Ce sont des règles qui, effectivement dans le contexte actuel, sont plus que jamais importantes à maintenir. C’est vrai qu’on est de plus en plus confrontés, quand on sort des chiffres qui sont pourtant souvent basés sur des données publiées par les entreprises ou le gouvernement, à des agents politiques qui disent « non, ce n’est pas vrai », qui balayent ça d’un coup, et face à ça on est effectivement un peu désemparés.

Étienne Gonnu : On n’est pas toujours à armes égales non plus, d’où l’importance...

Chiara Pignatelli : Je pense que le travail du journaliste, c’est aussi la volonté d’informer et, dans le cas du pouvoir économique, d’informer les pouvoirs publics mais aussi la société civile et montrer au pouvoir économique que des gens s’intéressent à ses pratiques et veulent les rendre publiques.

Étienne Gonnu : Vous donnez une bonne illustration de ce qu’on appellerait un petit peu le quatrième pouvoir. Dans une démocratie, les pouvoirs sont censés un peu s’équilibrer et avoir ce pouvoir-là paraît effectivement indispensable.

Merci beaucoup, ça m’a paru très clair.
Je vous propose de plonger dans le vif du sujet. Vous avez rédigé un rapport qui s’intéresse aux pratiques de lobbying des GAFAM en France. Vous avez commencé à nous expliquer pourquoi, finalement, ce sujet, mais on peut peut-être revenir sur la genèse de cette démarche : savoir si c’était d’abord parce que vous vouliez vous intéresser aux GAFAM ou si c’était pour mieux comprendre les pratiques de lobbying en général. On peut d’ailleurs commencer par cette question : quel était votre premier prisme, la genèse de ce projet ?

Olivier Petitjean : C’est un projet qui est au croisement de plusieurs choses auxquelles on faisait de plus en plus attention depuis un certain temps.

La première chose qu’il faut dire c’est que nous nous sommes inspirés, dans ce travail, du travail qu’avaient faits d’autres ONG au niveau européen, notamment une ONG qui s’appelle Corporate Europe Observatory avec laquelle on travaille beaucoup, qui est vraiment la référence sur les questions de suivi du lobbying au niveau européen et une autre ONG qui s’appelle Lobbycontrol, qui est en Allemagne, qui fait un travail assez intéressant sur les Big Tech ; elles ont commencé à se saisir du sujet depuis quelques années.

Une des bases factuelles de notre travail, c’est de regarder ce qu’il y a dans les registres de transparence du lobbying où les acteurs comme les GAFAM sont obligés, par la loi, de publier certaines informations. Elles ont constaté qu’au niveau européen, en quelques années seulement, les GAFAM sont devenus les plus importants lobbyistes de la place de Bruxelles. En 2015, en gros, on était encore dans la phase « Google, Facebook sont tous des gentils, ils vont sauver le monde, ils ne sont pas méchants, etc. », et, tout à coup, les gens ont commencé à ouvrir les yeux un peu plus, il y a eu des scandales, le Brexit, Trump, Cambridge Analytica, beaucoup de choses, les contestations d’Amazon, enfin voilà ! Tout à coup on a vu leurs dépenses de lobbying monter en flèche. Alors qu’en 2015 les premiers lobbyistes à Bruxelles c’étaient les compagnies pétrolières, les géants de l’automobile, aujourd’hui les premiers sont, de loin, les GAFAM et Huawei. Évidemment les pétroliers et les automobiles sont encore très haut. Elles ont montré cela dans un rapport qui est sorti il y a deux ans, je pense.

Étienne Gonnu : 2021, d’ailleurs, j’ai déjà mis ce lien vers ce rapport, qui est rédigé en anglais, qui est très instructif sur les pratiques niveau européen.

Olivier Petitjean : Elles ont documenté ça et une des premières impulsions a été de regarder ce qui se passe en France et si on observait la même montée en force, disons, des GAFAM, du versant politique, du lobbying, etc., en France.

Je pense qu’une deuxième motivation c’est le scandale des Uber Files qui est survenu en juillet dernier. Pour rappel, un ex-lobbyiste d’Uber au niveau européen et français, a sorti toute une série de documents sur leur campagne pour pénétrer les marchés européens et comment ils ont ciblé, en particulier, les hauts dirigeants, dont Emmanuel Macron à l’époque où il était ministre de l’Économie, et une commissaire européenne qui s’appelle Neelie Kroes ; c’est vraiment sur la période 2015/2016 qu’il y avait eu une première vague de contestations, sur la façon dont ils ont pu financer des études, souvent d’économistes indépendants, pour dire qu’Uber va créer plein d’emplois. À l’époque ça a créé un scandale qui est un peu retombé, même si une commission d’enquête est en train de se mettre en place, à l’Assemblée nationale, sur ce sujet. Uber était le méchant. Uber est un cas particulier, ce n’est pas un GAFAM, on l’explique dans le rapport, mais il s’appuie sur l’infrastructure des GAFAM et il partage beaucoup de points communs idéologiques avec les GAFAM, y compris cette manière d’imposer leur présence sans se faire voir, de mettre le pied dans la porte et mettre tout le monde devant le fait accompli. C’était le méchant et tout le monde disait « regardez le méchant Uber avec ses stratégies un peu pourries : contacter les hauts dirigeants, payer des études, etc. ». Une des choses qu’on voulait montrer, c’est que, même si c’était un peu moins agressif, en fait les GAFAM faisaient exactement la même chose, ça faisait partie de la panoplie de la stratégie des multinationales, notamment les Big Tech.
Pardon, je suis un peu long et je monopolise la parole.

Dernier point. Quand on travaille sur les multinationales, de fait on travaille beaucoup sur le lobbying des multinationales parce que leur pouvoir, leur poids politique est inséparable de ce qui fait leur poids économique et c’est parce qu’elles ont une influence politique forte qu’elles réussissent à préserver leurs intérêts économiques.
On a donc beaucoup travaillé sur les questions de lobbying au sens large, notamment en matière climatique. Nous étions effectivement curieux de traiter ça dans le cas des GAFAM. Ce qu’on montre dans le rapport — on va y revenir en long et en large — c’est que les GAFAM, d’une certaine manière, peuvent utiliser toutes les mêmes armes d’influence que les autres multinationales, mais, en plus, ils en ont de très spécifiques et très puissantes qu’ils mettent à profit pour être encore plus influents.

Étienne Gonnu : On va y revenir. Olivier, vous aviez un peu évoqué cette question, dire qu’il y a quelque chose de très spécifique des GAFAM, que vous distinguiez des Big Tech ; c’est plutôt aux États-Unis qu’ils utilisent cette formule. Pourquoi cette focale GAFAM ? On rappelle l’acronyme c’est Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Qu’ont-ils de spécifique ? Pourquoi cette focale vers eux ? Pourquoi vers la France ? Vous l’avez expliqué : notamment parce qu’en Europe on avait déjà effectivement des rapports mais pas en France. Chiara peut-être.

Chiara Pignatelli : Parler de GAFAM, même si on va parler aussi de Uber, etc., c’est utiliser une expression qui est communément admise, qui parle à tout le monde ; quand on a vocation d’informer, c’est toujours bien. Et aussi parce que, comme on l’a un petit peu évoqué, ce sont des entreprises et des outils qui sont utilisés par presque tout le monde, voire tout le monde, qui ont le monopole dans leur secteur d’activité, même si, aujourd’hui, on sait que les cinq GAFAM ont largement élargi leur champ d’activités. À l’origine ce sont quand même des entreprises qui ont le monopole sur ça, qui ont donc construit tout un modèle économique, culturel, etc., sur lequel les autres entreprises – Uber, Deliveroo, etc. – vont se caler ; ce sont les GAFAM qui ont posé les règles.
Comme on l’a dit, c’est un sujet qui n’avait pas été traité au niveau de la France, et c’est bien de montrer que le lobbying n’est pas qu’à Bruxelles, une représentation qu’on peut avoir, mais que c’est bien aussi au sein des institutions françaises et du modèle culturel français, médiatique, etc.

Olivier Petitjean : Je pense que ce qui distingue les cinq GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft – par rapport à tous les autres acteurs de la Big Tech, c’est un, leur poids économique. Quand on regarde les chiffres, même par rapport à Twitter, c’est vraiment le jour et la nuit, ce sont des acteurs qui ont beaucoup de ressources, même si, en ce moment, ils sont en crise. Il faut relativiser la crise qu’ils traversent en ce moment, les suppressions d’emplois dont on entend parler, c’est aussi parce qu’ils ont créé beaucoup d’emplois au moment du Covid, ils ont embauché à tour de bras. Là, c’est une période effectivement plus compliquée, parce qu’ils profitaient de l’argent facile, maintenant il n’y a plus d’argent facile, donc ça baisse, etc., mais ils restent quand même, en termes de poids économique, des mastodontes.
La deuxième chose, je vais insister sur ce qu’a dit Chiara qui est crucial. Pour ces cinq entreprises, de différentes manières parce qu’à la base ce n’est pas le même outil, la brique de base n’est pas la même – un moteur de recherche, du commerce en ligne, etc. –, mais elles ont une même stratégie qui est basée à la fois sur le monopole : vraiment avoir des positions, des parts de marché énormes sur leur secteur d’activité – Google a 90 % des recherches, Amazon, en termes de commerce en ligne, c’est énorme – et, sur ça, elles utilisent notamment le contrôle des données pour bâtir. En fait, ce sont des entreprises multi-outils, de plus en plus elles sont construites comme un package qui joue les synergies, je ne sais pas comment dire, entre leurs outils : Amazon c’est le commerce en ligne, mais, maintenant, c’est aussi le cloud, c’est aussi le streaming, etc. ; on peut dire la même chose, de manière différente bien sûr, des cinq, avec la seule spécificité d’Apple qui est plus sur le côté matériel.

Chiara Pignatelli : Je pense que c’est intéressant de dire que les GAFAM ont vraiment implanté leur modèle. Aujourd’hui, en France, on va parler de licornes françaises, notamment ces dernières années, de pousser la souveraineté numérique, etc., mais ce sera toujours selon ces règles et selon ces modèles imposés au préalable par les GAFAM.

Olivier Petitjean : Tout à fait. Elles ont, comme l’a très bien dit Chiara, créé le terrain de jeu. En fait, elles nous obligent à jouer dessus et obligent les gouvernements à jouer dessus. C’est vraiment ce pouvoir de créer le terrain de jeu avec leurs règles et d’imposer ces règles qu’on cible.

Étienne Gonnu : Du coup, j’ai envie de lire une citation de votre rapport, que je trouve vraiment excellente ; sur cette question de souveraineté numérique, vous écrivez : « La souveraineté numérique c’est avant tout notre capacité à décider collectivement et démocratiquement des usages que nous souhaitons faire des outils numériques et dans quelles conditions, et de ne pas subir les usages dont nous ne voulons pas. C’est précisément cette capacité que la toile d’influence des GAFAM contribue à réduire. Son principal ressort est de nous faire croire — au moins de faire croire à nos dirigeants politiques — que leur expansion est inarrêtable, et que le monde qu’ils nous préparent est inéluctable ». Ce qui revient, finalement, à ce que vous nous avez bien éclairé.
Si vous voulez pousser sur la définition que je viens de citer, n’hésitez pas, mais j’aimerais vous demander quelles sont les principales conclusions, on va revenir après dans le détail, de votre rapport. Est-ce que ces conclusions étaient, pour vous, une surprise ou est-ce que ça correspondait à peu près à ce à quoi vous vous attendiez ? Chiara.

Chiara Pignatelli : Pour revenir sur ce que vous avez dit, on parle de capacité à définir collectivement alors qu’aujourd’hui, en fait, il n’y a pas de débat sur le modèle des GAFAM. C’est toujours comment on va les réguler, etc., mais leur existence même n’est pas remise en cause, surtout au niveau du gouvernement, où même les services publics — on reviendra là-dessus — utilisent les GAFAM sans s’intéresser à des outils libres.
Sinon, Olivier tu pourras compléter, je pense que ce qu’il est vraiment important de retenir c’est que les GAFAM utilisent des techniques de lobbying classiques sur lesquelles on reviendra – portes tournantes, cabinets de conseil, etc., – et qu’elles ont vraiment dépensé beaucoup ces dernières années : en 2021, c’est plus de quatre millions d’euros, juste ces cinq entreprises-là, dans le lobbying en France, contre un million 300 000, il me semble, en 2017, seulement quatre ans avant.
On dit, dans le rapport, que ce sont des entreprises qui imposent un modèle culturel qui infuse vraiment toute la société, qui veulent se montrer comme « on ne peut pas passer à côté ». Il y a tout un soft power dont on va reparler, qui est hyper-intéressant à décrypter.

Étienne Gonnu : Plusieurs notions ont été évoquées, on va y revenir dans le détail. Merci beaucoup

Olivier Petitjean : La conclusion, pour moi, c’est ce que vous avez dit : il faut vraiment prendre la mesure de ce que veut dire l’influence des GAFAM et à quel point elle pèse sur les politiques. Cette notion de souveraineté numérique, telle que la conçoit le gouvernement, c’est un peu une caricature par rapport à ce que serait vraiment la souveraineté. Pour lui, la souveraineté ce sont des étudiants d’HEC qui arrivent à monter quelques startups, qui se font un milliard de dollars et c’est ça la souveraineté ! La vraie souveraineté ce n’est pas ça.
On pointe beaucoup du doigt le fait que les administrations publiques ont des difficultés, travaillent beaucoup avec les GAFAM, mais on sait aussi qu’au sein du secteur public, même au-delà, des gens essaient de faire des choses, de développer des outils hors GAFAM, mais notre constat et notre conclusion, c’est que ça pèse relativement peu par rapport à une impulsion, une politique générale, qui nous semble quand même venir du sommet, pas seulement d’Emmanuel Macron mais de son monde, de ministres, etc., qui restent totalement acquis à une vision du monde et du numérique qui est, en fait, celle conçue par la Silicon Valley, par les GAFAM.

Chiara Pignatelli : Le tout-numérique est encouragé, les licornes françaises et ce genre de terme.

Étienne Gonnu : Je reviens sur cette idée d’imaginaire et on voit beaucoup les inerties. Tout un pan de notre action, à l’April, c’est, on va dire, d’amplifier le rapport de forces politiques en faveur du logiciel libre et des libertés informatiques et on voit qu’il y a une montagne à pousser, incarnée par ces GAFAM.
Je vous propose, avant de rentrer dans les détails de vos conclusions sur ces portes tournantes, sur ce pantouflage, sur ce soft power, de faire une pause musicale. Nous allons écouter Peau Rouge par Les Gueules Noires. On se retrouve dans environ trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Peau Rouge par Les Gueules Noires..

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Peau Rouge par Les Gueules Noires, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC BY. Vous pouvez retrouver une interview de Corentin, membre du groupe, dans le podcast Libre à vous ! numéro 148.

[Jingle]

Étienne Gonnu : J’ai le plaisir de discuter avec Chiara Pignatelli et Olivier Petitjean, journalistes, membres de l’Observatoire des multinationales et auteur et autrice du rapport GAFAM Nation. La toile d’influence des géants du web.
J’ai oublié de préciser une chose avant la pause, que je veux signaler, c’est la qualité rédactionnelle et l’accessibilité de ce rapport de 29 pages, que je vous invite à lire. Il se lit vraiment très facilement et il est passionnant à lire.
Par ailleurs, pendant la pause, Olivier me précisait que vous diffusez vos publications sous licence libre.

Olivier Petitjean : C’est important de le préciser, surtout dans ce contexte.

Étienne Gonnu : Dans notre émission, tout à fait.

Olivier Petitjean : Pour ajouter, nous sommes journalistes, c’est pour ça qu’on fait un effort particulier pour expliquer les choses. Des fois on fait des enquêtes dans lesquelles on est dans une optique de révélation, de lever des scandales, etc. Là, on voulait vraiment faire quelque chose de pédagogique pour expliquer aux gens comment ça fonctionne, à partir des sources qu’on a, qu’on peut trouver, on va y revenir en long en large, qui ne donnent qu’un aperçu, mais qui permettent quand même de reconstituer pas mal de choses. C’est évidemment un work in progress, au sens où il faudrait compléter, il faudrait approfondir certains aspects, etc. C’est aussi une des raisons, au-delà du principe qu’on a dit, pour lequel c’est publié en Creative Commons : c’est une invitation à poursuivre le travail. D’ailleurs, nous avons déjà été sollicités pour le faire et on va le faire.

Étienne Gonnu : Vous soulevez une question importante. Quelles ont été vos méthodes pour aboutir à ce résultat ? Quelles ont été les sources ? J’ai évoqué le fait que vous aviez interviewé des personnes. Comment avez-vous trouvé vos sources ? Qui avez-vous contacté ? Comment avez-vous choisi, etc. ? Chiara.

Chiara Pignatelli : En fait, une particularité de ce rapport c’est que la grande majorité de ces informations est librement accessible en ligne. Quand on s’intéresse au lobbying, on va tout d’abord regarder le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique [HATVP] où les entreprises et les lobbies sont supposées déclarer les dépenses accordées au lobbying et leurs activités. On en reparlera peut-être, mais ce sont des informations très lacunaires ; finalement les activités ne sont pas précises, on ne sait pas qui les entreprises ont vu, quel membre du gouvernement par exemple, à peine sur quoi, on ne sait pas quand et, pour les dépenses, ce sont des fourchettes à 100 000 euros près.
Au départ, on a commencé à regarder là, tout simplement, donc à découdre un petit peu la toile et à voir qu’autour des GAFAM il y a aussi toutes les associations professionnelles dans lesquelles elles se regroupent, mais aussi les cabinets de conseil et de stratégie auxquels les GAFAM font appel. J’aime bien le terme qu’on utilise dans le rapport, on en reparlera aussi, de « mercenaires ».
Un outil nous a été bien utile : LinkedIn, tout simplement, pour vérifier les parcours des représentants qui sont déclarés à la HATVP, les représentants affaires publiques, en fait les lobbyistes des GAFAM. On a regardé un petit peu s’ils avaient travaillé dans le public avant et on remarque que c’est vraiment une pratique super développée.
Un outil a été tout simplement Twitter où on a accès à tous les événements, tables rondes, etc., auxquels ces représentants participent, donc via lesquels ils font du lobbying et diffusent leur influence.
La plupart des informations sont accessibles en ligne via ces canaux-là.
Après, on a contacté quelques associations dont l’April, La Quadrature du Net, Les Amis de la Terre aussi, qui avaient fait un dossier sur Amazon, ainsi qu’une association qui s’appelle Halte à l’Obsolescence Programmée qui avait beaucoup travaillé sur les lois AGEC.

Étienne Gonnu : Anti-gaspillage et économie circulaire.
Olivier, vous souhaitez compléter ?

Olivier Petitjean : Chiara l’a bien expliqué : quand on travaille sur le lobbying, il y a un outil de base qui est le registre de transparence du lobbying, qui existe en France depuis 2017, qui a plein de lacunes. D’une certaine manière, ce rapport était aussi une manière de montrer ce qu’on peut faire avec ce registre, mais ça ne donne qu’un aperçu. Une chose qu’on peut faire, c’est montrer – on l’a déjà dit, mais il faut le répéter – que ce qu’on a vu au niveau européen, on le constate au niveau français. En 2017 c’était, au total, un million d’euros pour les GAFAM et c’est monté à quatre millions en 2021. On voit cette augmentation. On n’a pas encore les chiffres pour 2022, parce que le délai pour publier ces chiffres c’est bientôt, c’est le 31 mars, peut-être qu’on pourra compléter sur votre page, voir si l’augmentation continue.
C’est intéressant aussi de montrer les liens, ce qu’a effectivement mentionné Chiara. Quand une entreprise fait son lobbying, quand Google fait son lobbying, elle a des alliés et c’est ça qui la rend puissante. Le premier type d’alliés ce sont les mercenaires, toutes les firmes de lobbying. On montre que Google travaille avec une dizaine de firmes de lobbying rien qu’à Paris qu’ils ont les moyens de se payer, qui les aide à cibler quels sont les bons décideurs, etc.
Il y a ce qu’on appelle les associations professionnelles qui sont les groupements d’entreprises : le MEDEF [Mouvement des entreprises de France], l’AFEP [Association française des entreprises privées] qui sont les associations patronales générales, mais pour chaque secteur, et même parfois sous-secteur, il y a des structures de lobbying : par exemple, pour la banque, il y a la Fédération bancaire française qui est le lobby de la banque, eh bien, pour le numérique, il y en a quelques-unes. Une des caractéristiques de ces associations, qui sont aussi très influentes, c’est qu’elles ont pour membres à la fois des Français et les GAFAM. D’une certaine manière, le fait qu’il n’y ait pas d’association spécifique vraiment française, c’est un des ressorts de l’influence des GAFAM qui leur permet de faire en sorte qu’à ce niveau, ces associations ne défendent pas des intérêts qui aillent trop à l’encontre de leurs propres intérêts. C’est donc ça la base de ce rapport.

Ensuite, quand on travaille sur le lobbying, on essaye effectivement de contacter les gens qui ont à faire à eux ; souvent ce sont les associations, les syndicats dans certains cas, etc., qui sont leurs adversaires, pour ainsi dire, en termes de plaidoyer, de lobbying.

Le constat qu’on fait, l’autre chose que montre le registre, c’est que les moyens sont totalement disproportionnés. Chiara a sûrement le chiffre en tête, mais je pense que le budget global de l’April doit être trois fois moins ou cinq fois moins, que les dépenses de lobbying de Google en France sur une année.

Chiara Pignatelli : Les dépenses déclarées ce sont vraiment les dépenses déclarées par Google. Il faut additionner les dépenses déclarées par les partenaires et tout le travail qui se fait, qui n’est pas déclaré, qui n’est pas directement des rendez-vous avec des décideurs ou des notes de plaidoyer, tout le soft power et la bataille culturelle qui se fait derrière.

Étienne Gonnu : D’accord. Vous avez évoqué beaucoup d’éléments de méthodologie de lobbying. On peut peut-être commencer par expliciter ce qu’est ce soft power. Qu’est-ce que du soft power ?

Chiara Pignatelli : Avec cette expression, on a eu envie de montrer, justement, que le lobbying et l’influence ne se font pas que par des rendez-vous très officiels dans les ministères ou en étant auditionné à l’Assemblée nationale, par exemple, mais que les GAFAM, au même titre que d’autres entreprises, sont aussi présentes dans la sphère culturelle française par différents canaux. On cite, par exemple, les think tanks qui sont des groupements supposés être indépendants, des lieux de réflexion, etc., mais, en fait, les GAFAM, en étant membres, en participant à leurs activités, en les finançant aussi, évidemment, participent à la diffusion de leurs idées et de leur modèle. En fait ces think tanks vont rendre des notes, vont organiser des tables rondes, etc.
Les GAFAM ont aussi passé des accords avec certains médias français et des grands médias, Le Monde, Le Figaro, Libération, considérés comme sérieux, etc.

Étienne Gonnu : Des accords qui consistent en quoi, par exemple ?

Chiara Pignatelli : C’est un petit peu compliqué à expliquer. Depuis une directive de 2019 sur les droits voisins [Directive 2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique], les médias sont censés être rémunérés dès que les GAFAM, par exemple Google, citent un article du Monde, etc. Finalement, sous couvert de cette rémunération, des accords commerciaux ont été passés et on sait qu’il y a tout un débat sur le financement des médias. Il y a eu aussi des accords avec des associations qui regroupent des médias, par exemple l’APIG [Alliance de la presse d’information générale].

Je voulais aussi mentionner le monde de la recherche, de l’éducation, de l’enseignement supérieur où les GAFAM financent des chaires, sont mécènes de grandes écoles, d’universités, certains de leurs représentants donnent aussi des cours à l’université. Tout ça mis bout à bout c’est, en fait, ce qui participe à la diffusion de leur modèle et de leurs idées.

Olivier Petitjean : C’est un sujet compliqué, mais ça permet aussi de s’acheter une légitimité et, comment dire, une certaine bienveillance de la part du monde des médias, etc. Il n’y a pas que les GAFAM qui le font, Total ou LVMH c’est pareil d’une certaine manière. Ça permet de dissuader les gens d’être trop agressifs ou trop critiques, etc.

Étienne Gonnu : C’est d’ailleurs ce que montre le rapport et que j’ai trouvé intéressant. Les GAFAM ont eu quand même assez longtemps une aura d’entreprises assez modernes, qui nous permettent d’être libres, on va dire, sur la toile, de s’émanciper grâce à leurs outils, etc. Progressivement, au fur et à mesure que la population s’acculture aux enjeux, on comprend que non, ces entreprises ne sont pas du tout bienveillantes, qu’elles poursuivent leurs projets économiques et qu’il y a beaucoup d’enjeux sous-jacents, notamment en termes de respect de la vie privée, qui arrivent. Je trouve que le rapport met bien ça en avant. Elles commencent aussi, peut-être, à avoir besoin de redorer cette image.

Olivier Petitjean : C’est peut-être un besoin qu’elles ont. À la base, il y a quelques années, il y a encore dix ans, elles avaient évidemment des publicitaires, elles travaillaient leur image, mais ce n’était pas défensif, c’était offensif. Maintenant elles sont plutôt dans une posture défensive.

Étienne Gonnu : Justement défensif. Chiara, vous mentionnez le terme de « mercenaire ». Marie-Odile, sur le webchat, nous fait remarquer, et c’est vrai, que c’est un vocabulaire un petit peu guerrier, offensif. Vous avez déjà commencé à l’évoquer, mais il serait peut-être intéressant de comprendre ce que vous rangez derrière cette idée de mercenaire et quel est leur rôle dans tout ça ? Comment ça fonctionne ?

Chiara Pignatelli : Quand on dit que les cabinets de lobbying auxquels les GAFAM font appel sont des mercenaires, c’est parce qu’ils font appel à ces cabinets pour mener leur bataille, pour mener leur guerre et, pour réutiliser le champ lexical de la guerre, être sur tous les fronts : tout le front culturel dont on a parlé, dont on pourra encore parler, le front législatif, mais aussi au niveau local où il y a des actions, par exemple quand Amazon veut s’implanter, donc être sur tous les fronts et vraiment les mandater pour faire ce travail-là. Ce sont des entreprises américaines qui sont assez jeunes, en faisant appel à ces cabinets, elles profitent de toute l’expérience, du carnet d’adresses, de l’expertise de ces cabinets qui sont bien implantés dans Paris et à Bruxelles.

Olivier Petitjean : On appelle ça des mercenaires parce que, en gros, ils travaillent pour ceux qui ont le plus d’argent ; dans le domaine du lobbying, ce sont les entreprises qui ont le plus d’argent. C’est donc une série de cabinets de lobbying, de relations publiques, etc., qui offrent, effectivement, ces services aux entreprises. Il y en a qui sont globales, il y a des firmes globales avec lesquelles travaillent Google et compagnie ; il y en a qui sont spécifiquement françaises qui aident, comme vient de le dire Chiara, à apporter cette expérience, cette aura de respectabilité. Ce sont les mêmes : Google utilise le même cabinet de lobbying que LVMH, Danone ou je ne sais quoi. Ça permet aussi d’entrer dans le jeu, d’acculturer les GAFAM à la sphère française.

Étienne Gonnu : Entendu. Vous parlez d’argent. Ce que montre aussi le rapport, c’est ce que vous appelez la montée en puissance, que vous avez évoquée, Chiara, que j’ai évoquée en introduction, cette multiplication par trois, entre 2017 et 2021, des sommes investies par les GAFAM. Je trouve que le rapport le met assez bien en évidence. De quoi témoigne, pour vous, cette montée en puissance ? Chiara ou Olivier.

Olivier Petitjean : Je pense que ce qui est frappant, on ne l’a pas encore mentionné, c’est que les GAFAM sont sur tous les sujets. Ça illustre ce que je disais tout à l’heure sur l’étendue de leur modèle : ils ne se contentent pas de faire du lobbying sur le secteur numérique. Ils sont tellement présents partout qu’ils vont faire du lobbying sur des problèmes d’alimentation, en ce qui concerne Amazon, je crois, ou Google ; Amazon en matière de transport parce qu’ils ont des enjeux de livraison ; de fiscalité, évidemment, parce que c’est un grand enjeu d’aides publiques à l’innovation. Ils sont sur tous les sujets. Cette montée en puissance reflète, pour moi, à la fois le fait qu’ils sont de plus en plus contestés : il y a des projets de taxe GAFAM, etc., ils ont travaillé là-dessus, évidemment, mais aussi le fait qu’ils sont devenus tellement puissants, étendus, etc., que maintenant n’importe quelle loi, une loi climat, une loi alimentation, comporte des dispositions qui vont impacter le modèle des GAFAM, donc ils font du lobbying dessus.

Chiara Pignatelli : Je suis tout à fait d’accord. C’est vraiment une chose dont je me suis rendu compte en travaillant sur ce sujet. D’ailleurs, on mentionne dans le rapport quelques dossiers « noirs », entre guillemets, des GAFAM et on voit que c’est vraiment sur des thèmes très diversifiés allant de l’environnement à la régulation des contenus terroristes sur les réseaux en passant par la fiscalité, comme Olivier l’a dit.

Étienne Gonnu : Ils ont effectivement des impacts sur un champ politique très large.
On a parlé aussi d’une autre méthode classique de lobbying, on va voir comment les GAFAM s’en saisissent : on parle de portes-tambour, de pantouflage, de rétro-pantouflage, c’est ce que Chiara évoquait, le fait qu’on puisse travailler dans le public, puis dans le privé et revenir dans le public et ainsi de suite. Qu’avez-vous analysé et fait ressortir sur cette question concernant les GAFAM ?

Chiara Pignatelli : On n’a peut-être pas précisé tout à l’heure, quand on a mentionné les portes tournantes, que c’est un mécanisme bien établi qui consiste, pour des entreprises, à recruter des personnes ayant eu des postes dans des administrations ou des mandats d’élu, qui connaissent donc bien le fonctionnement des institutions pour lesquelles elles ont travaillé et qui ont aussi un carnet d’adresses rempli et solide, qui permet, d’ailleurs, de faciliter les discussions littéralement interpersonnelles entre ces entreprises et le pouvoir, la sphère publique.
On remarque, dans le cas des GAFAM, que c’est vraiment une technique qui ne loupe pas. Dès que j’ai regardé, pour chaque GAFAM et pour d’autres entreprises du numérique, il y a toujours plusieurs représentants qui ont travaillé dans le public et, pour certains, qui ont occupé des postes dans la durée.

Étienne Gonnu : Dans le rapport vous parlez d’« accès privilégié : des relations étroites et souvent opaques au cœur du pouvoir ».

Olivier Petitjean : Dans le rapport, toujours dans cette optique didactique, pédagogique, on a distingué, en fait, quatre niveaux de l’influence des GAFAM.
On a déjà parlé de deux, ce qu’on appelle le soft power, comment ils travaillent l’opinion publique, les médias ; ils cadrent un peu le débat public et le champ des possibles pour les décideurs disons, pour simplifier ;
il y a le lobbying stricto sensu : quel budget ils mettent, quelles aides ils ont, on en a parlé aussi.
Il y en a encore deux autres : le lobbying passif dont on reparlera sûrement bientôt, et celui qu’on appelle, au début, l’accès privilégié. Sous ce terme, on regroupe, en gros, toutes les manières dont les grandes entreprises et les GAFAM en particulier, ont un accès privilégié aux décideurs, ce qui permet de peser sur leurs décisions dans des lieux qui ne sont pas publics, où il n’y a pas de débat contradictoire. Ça va au-delà du lobbying. Le lobbying d’une certaine manière, on l’a évoqué, même s’il y a une certaine disproportion de moyens entre ceux qui font du lobbying et ceux qui font du plaidoyer, disons les associations comme vous, au moins il y a un peu de contradictoire, ça se passe en partie au Parlement, etc. C’est loin d’être parfait, c’est très inégalitaire, mais bon ! On est encore un petit peu dans le champ de la démocratie. Quand on parle d’accès privilégié, on est dans la phase un peu plus obscure du lobbying, des passe-droits. C’est ce qu’ont illustré les Uber Files dont j’ai parlé tout à l’heure, en disant qu’Uber avait la possibilité d’accès direct à Macron et à ses conseillers pour les aider, y compris contre sa propre administration, contre l’administration de Bercy qui faisait des enquêtes fiscales, etc.
Cet accès privilégié a deux aspects. Le premier c’est celui qu’on vient de dire, tout ce qui est portes tournantes, pantouflage, le fait de recruter des anciens hauts fonctionnaires, des gens qui ont travaillé dans des autorités de régulation. Là Google, évidemment, et d’autres, les autres le font aussi mais Google est particulièrement fort là-dessus, ils ont évidemment les moyens de faire miroiter des postes super intéressants, super bien rémunérés, beaucoup mieux rémunérés que ceux que propose la haute fonction publique, même s’ils sont déjà bien payés, des opportunités de développement à l’étranger, de prestige, parce que, même encore maintenant, travailler pour Google c’est super prestigieux. C’est une phase qui leur permet effectivement d’accéder à l’information, d’identifier les bons décideurs, d’avoir un accès privilégié, un accès direct. Ils savent qui il faut contacter, et puis ils le tutoient, ils connaissent son numéro de portable, des choses aussi simples que ça.
Un autre aspect sur lequel on insiste pas mal, c’est cette question des contacts et des rendez-vous entre décideurs et lobbyistes. Les Uber Files ont aussi mis en lumière cette capacité de contacter directement Macron et ses conseillers, par exemple, sans aucune transparence là-dessus.

Avec les ONG qui travaillent sur la transparence du lobbying, où il y a vraiment beaucoup de progrès à faire, un des points c’est d’obliger les dirigeants politiques, les ministres mais aussi leurs conseillers tous autant que possible, à publier leurs rendez-vous et leurs contacts avec les lobbyistes et aussi à rendre publiques les informations sur ces rendez-vous, ce dont il s’est discuté, ce qu’ils défendaient comme position.

Ce que je dis a l’air d’un vœu pieux mais en Europe, au niveau européen, ça existe un peu, partiellement. Par exemple, on sait que Google et Facebook ont eu des dizaines et des dizaines de rendez-vous avec la Commission européenne, ces dernières années, beaucoup plus que tout le monde, et on a théoriquement la possibilité de demander des infos sur ce dont il s’est discuté.
En France ça n’existe pas ; ça existe un peu, mais c’est volontaire. Un des progrès qu’on pourrait faire, en termes de progrès de transparence du lobbying au moins : qu’il y ait de la transparence qui permette de suivre en temps réel ce qui se passe, avoir cette transparence.
Chiara a fait le travail de regarder un peu les agendas des ministres, notamment celui de Jean-Noël Barrot, le secrétaire d’État à la transformation numérique. Initialement, on pensait qu’il ne publiait pas son agenda, parce qu’ils n’ont pas été capables, malgré tous leurs outils, de le rendre facilement accessible. En fait il le publie. On a analysé ses rendez-vous, qui il a vu au cours des derniers mois : on voit effectivement que c’est totalement disproportionné en faveur du secteur privé, qu’il voit très peu les associations. Je ne sais pas si vous l’avez rencontré.

Étienne Gonnu : Non !

Olivier Petitjean : C’est très dur, pour une association, de rencontrer un ministre ou de voir ses conseillers. C’est une autre forme d’accès privilégié et là il y a besoin de transparence.

Chiara Pignatelli : On voit aussi qu’il faut regarder à la fois sur le registre de la HATVP qui est soumise au bon vouloir des entreprises : est-ce qu’elles vont vraiment déclarer les rendez-vous ? Et, encore une fois, c’est sur des fourchettes, par exemple du 1er janvier au 31 décembre et avec un titre carencé. Par exemple, Amazon va rencontrer un membre du Parlement sur la loi climat et résilience, mais on ne sait pas quel membre ni sur quel article, ce qui a été dit et dans quel cadre : est-ce que c’est un rendez-vous dans un bureau, est-ce que c’est un dîner, etc. ?
Ensuite, on voit qu’il faut aller chercher du côté des dirigeants eux-mêmes. Ce n’est pas du tout centralisé. Ça dépend si les dirigeants publient bien leurs agendas, s’ils les mettent à jour chaque semaine ou pas. On voit que c’est très opaque.

Étienne Gonnu : Une de mes tâches, dans mon fichier de suivi de tâches, je dois remplir pour l’April cette déclaration, ce déclaratif pour la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. C’est effectivement très flou et, quand on cherche à remplir, on sent qu’il y a une certaine volonté de maintenir un flou sur la question.
Je vois que le temps file, vous avez évoqué la question du lobbying passif. Quelle est la différence avec le soft power ? En quoi consiste ce lobbying passif ? On a déjà évoqué un peu la question, mais on peut rentrer dans un peu plus de détails.

Chiara Pignatelli : On parlait de lobbying passif, on l’a mentionné dès le début, parce que ce sont des entreprises et des modèles qui se veulent incontournables. Au sein même de l’État, les GAFAM ne sont pas débattus parce que, déjà, les administrations publiques vont les utiliser et compter sur elles. Quand on parlait du Health Data Hub, un des arguments qui était avancé c’était, par exemple, que seul Microsoft était capable de gérer autant de données. C’est comme si, finalement, il n’y avait, par défaut, aucune alternative et que l’État le reconnaissait.
En plus, quelque chose qu’on a mentionné, que vous devez vraiment voir à l’April au quotidien, c’est aussi qu’il y a quand même un manque de connaissances et d’expertise technique du secteur par les dirigeants qui fait qu’on va recourir à l’expertise de ceux qui ont les moyens, donc les GAFAM qui ont le temps, encore une fois, de produire des notes, de mettre à disposition leur expertise technique, donc compter sur cette expertise-là pour légiférer sur eux.

Étienne Gonnu : Je vais juste préciser que le Health Data Hub est, en gros, une plateforme d’accès qui organise l’accès aux recherches pour permettre de faire des recherches dessus. On avait organisé une émission sur le sujet, vous pouvez taper « Health Data Hub » sur le site de Libre à vous ! et vous pourrez retrouver nos échanges sur le sujet.

Olivier Petitjean : Ça permet de boucler sur une des questions qu’on a évoquées au début : en quoi le lobbying des GAFAM est-il différent de celui des autres multinationales ?

Étienne Gonnu : Parfait, c’était ma prochaine question.

Olivier Petitjean : Tout ce qu’on a décrit jusqu’à présent, donc le lobbying, le fait de faire appel à des cabinets de lobbying, etc., de dépenser beaucoup, le fait de recruter d’anciens hauts fonctionnaires, le fait d’avoir une ligne directe avec l’Élysée ou les ministres, le fait de financer les médias, de financer les think tanks, la recherche, toutes les multinationales le font, ça fait partie de la panoplie, je dirais globale, des multinationales quand elles veulent faire de l’influence.
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique voit le lobbying par le petit trou de la lorgnette. Ce n’est pas pour l’accuser, ce n’est pas de sa faute, c’est à cause des lois en vigueur, c’est la faite des législateurs qui voient le lobbying par le petit trou de la lorgnette, juste la première partie. Elle ne s’occupe pas trop de transparence pour l’instant, de transparence des rendez-vous avec les décideurs comme on l’a dit. Elle commence à encadrer un peu les portes tournantes mais pas trop, les règles sont assez floues, faciles à contourner.
Il n’y a aucune transparence sur les financements de médias, etc., ça pourrait, c’est une des choses sur lesquelles on pourrait avancer, mais tout ça les GAFAM le font comme tous les autres avec quelques différences : un, ils ont beaucoup plus d’argent que tout le monde et deux, sur ce qu’a mentionné Chiara sur les médias, ils ont une relation très particulière avec les médias, et ils sont des médias d’une certaine manière, ils ont donc ce levier d’influence ; à la limite ils n’ont même pas besoin d’acheter des médias, ils peuvent faire passer leurs messages directement, ce qui est assez spécifique pour des multinationales.

Ensuite, dernière composante, ce qu’on appelle lobbying passif, quelque chose qu’on observe aussi dans d’autres secteurs mais qui est vraiment poussé jusqu’au bout par les GAFAM. C’est, en gros, le contrôle de l’expertise et le fait que les pouvoirs publics aient intériorisé leur dépendance envers cette expertise.
Souvent, un des nerfs de la guerre en matière de lobbying pour les entreprises c’est de contrôler l’info ; elles disent « vous ne comprenez pas, on va vous expliquer, vous ne pouvez pas nous réguler, ce n’est pas possible ». Comme tous les enjeux du numérique, un, sont nouveaux pour beaucoup de gens dans les ministères, etc., ils ne connaissent pas bien ; deux, les modèles qu’on a décrits un peu des GAFAM, qui jouent sur différents tableaux, qui sont des monopoles, je pense que même du point de vue économique ils ne comprennent pas le vrai modèle des GAFAM. Ils ont tendance à voir encore dans Amazon quelque chose qui vend des livres et c’est tout, à voir dans Google un moteur de recherche et c’est tout.
Pour toutes ces raisons, avec des exceptions, il y a un vrai manque de questionnement et une acceptation des GAFAM, ce qui fait que beaucoup d’administrations, beaucoup de services publics leur font appel sans se poser de questions. Le pire exemple c’est quand même l’Éducation nationale, qui, jusqu’à il n’y a pas longtemps, avait des accords avec Microsoft ; on le voit aussi dans d’autres secteurs. Sans se poser trop de questions ils utilisent les outils, d’autant plus que les GAFAM leur disent « on vous les met à disposition gratuitement ».

Chiara Pignatelli : Ils les imposent.

Olivier Petitjean : Ils les imposent aux usagers, etc., et ça a plein de bénéfices pour les GAFAM. Un, comme je disais, ils contrôlent le marché ; deux, c’est quand même aussi une forme de soft power, ils disent « on vous apporte tous ces outils, vous n’allez pas trop nous réguler, vous n’allez pas faire des cours sur la vraie souveraineté numérique ou des cours de logiciel libre dans les écoles, quand même ! » ; et trois, ils se positionnent comme la solution, et c’est vraiment un ressort du lobbying qu’on voit un peu dans d’autres secteurs. Ce ne sont pas des entités privées que le gouvernement doit réguler, c’est vraiment important de le souligner, ils se positionnent comme des partenaires du gouvernement. Ce qui est effrayant avec ces GAFAM c’est que, quand ils parlent, ils se positionnent au même niveau que les États, en disant on va vous aider à régler vos problèmes, à régler vos problèmes de santé, à trouver des bons traitements, on va vous aider à éduquer vos enfants, faites-nous confiance, etc.
Cette vision un peu flippante, totalitaire, la vision de la Silicon Valley est quand même assez sous-jacente. Ils ne le disent jamais aussi explicitement, mais elle est sous-jacente. On parle des dangers concrets, mais il y a des dangers à terme à réfléchir sur l’éducation, sur les secteurs encore pas privatisés ou assez peu privatisés, libéralisés, comme l’éducation ou la santé. Là on va effectivement vers des modèles où on aurait de plus en plus recours au numérique et, sous couvert de numérisation, on donne encore plus de place aux GAFAM.

Étienne Gonnu : On voit parfois une tendance à ce que des services du type de ceux des GAFAM se substituent à des services publics, l’État prenant volontiers cette direction.

Olivier Petitjean : Le lobbying passif c’est aussi une forme de privatisation, il y a une problématique privatisation qui est, du même coup, un levier d’influence pour les GAFAM.

Étienne Gonnu : Je vais juste citer l’action d’Anticor qui a déposé une plainte pour favoritisme justement vis-à-vis de Microsoft au sein de l’Éducation nationale. Des contre-pouvoirs existent aussi, fort heureusement.

Chiara Pignatelli : Quand on dit que les GAFAM se posent en tant que partenaires, ça va sur des sujets aussi variés que la santé à la lutte contre le terrorisme. Il y a, par exemple, une mission Facebook où, littéralement, le gouvernement a fait appel à Facebook pour l’aider dans la lutte contre les contenus haineux en ligne. Il y a aussi des collaborations sur des missions de fact-checking, pour réguler les fake news. En fait, on va dire aux GAFAM « on a besoin de vous pour lutter contre ça », et pas forcément « vous êtes le problème ».

Étienne Gonnu : C’est quelque chose dont on s’est beaucoup rendu compte quand on a travaillé sur la directive droit d’auteur et sur plein de textes comme ça. Ils sont posés en référence et on doit construire la législation autour de cette référence-là, plutôt que de se poser sur des politiques publiques un peu plus ambitieuses.

Chiara Pignatelli : On en revient à ce qu’on disait tout au début, c’est-à-dire qu’ils ont posé toutes les règles dans une variété immense de secteurs et tout le monde va s’adapter autour de ça et composer avec.

Étienne Gonnu : Je pense que ça nous offre une très belle conclusion sur ce sujet. Chiara, je crois que vous vouliez évoquer un autre dossier, en fait le sujet est très lié, sur lequel vous travaillez : la vidéosurveillance automatisée dans le cadre de la loi pour les JO. Est-ce que vous voulez nous en dire deux mots ?

Chiara Pignatelli : Mentionner que la loi JO 2024 est débattue en ce moment, cette semaine, à l’Assemblée nationale, qui est déjà passée au Sénat, qui a été votée en commission, avec notamment l’article 7 qui viserait à développer la vidéosurveillance algorithmique, la VSA, soi-disant juste dans le cadre des JO. Mais c’est sûrement un dispositif qui va être pérennisé et qui a de gros enjeux en termes de liberté, de données personnelles, de racisme aussi, etc., puisque ce sont des algorithmes qui vont évaluer certains comportements. C’est donc intéressant de relier à ça, parce que, derrière tout ça, il y a aussi une industrie très forte et un lobbying très fort. Vu tous les investissements que les industriels font dans ce secteur, que ce soit des entreprises comme Thalès, etc., ou des startups plus petites, c’est sûr que ce n’est pas quelque chose qui va se limiter aux JO 2024 : ça va sûrement, malheureusement, se pérenniser dans le temps. Il faut s’y intéresser.

Étienne Gonnu : Je vous invite à regarder la campagne Technopolice de La Quadrature du Net qui s’investit sur ces enjeux-là, qui mène un travail très important. Merci beaucoup pour ces clarifications.
Il nous reste très peu de temps. J’ai quand même envie de vous donner au moins une minute chacun, chacune : quelle idée forte souhaitez-vous qu’un lecteur ou une lectrice de votre rapport retienne ou quelqu’un qui aurait écouté notre émission, une ou deux idées fortes en une minute ? Je sais que ce n’est pas facile.

Olivier Petitjean : Deux idées fortes : ne pas sous-estimer la capacité d’influence des GAFAM et les différentes manières, tous les leviers un peu tentaculaires qu’ils utilisent. Malgré tous les discours qu’on entend sans cesse, si on écoutait juste nos ministres et notre président, on aurait l’impression qu’ils sont en train de se battre contre les GAFAM pour la souveraineté. En fait non ! Grâce à ces leviers d’influence, les GAFAM réussissent à être des partenaires de la souveraineté, ça se voit avec le Health Data Hub dont on a parlé et avec d’autres choses, ils deviennent des partenaires de la souveraineté.
L’autre élément qui va un peu au-delà de ce qu’on dit dans le rapport : les GAFAM symbolisent une certaine vision de l’innovation qui est totalement commerciale, etc., ça a été dit dans la chronique précédente. Ce qui est innovant dans leur vision c’est de trouver le moyen de faire de l’argent sur le dos des consommateurs, des usagers ; c’est une vision très dangereuse parce qu’elle est en train de contaminer beaucoup d’autres secteurs. On n’en a pas parlé dans le rapport, mais il y aurait tout un rapport à écrire sur l’influence des GAFAM en matière de climat, par exemple. Je pense qu’ils ont joué un grand rôle à pousser cette vision que tout allait être résolu par la technologie, qu’il n’y a pas de soucis à se faire.
Au-delà des GAFAM proprement dit, cette vision qu’ils ont réussi, pour l’instant, à disséminer au niveau du gouvernement et dans beaucoup de secteurs de la société.

Étienne Gonnu : Chiara.

Chiara Pignatelli : Je dirais de rester vigilants face à la séduction des GAFAM qui ne nous veulent pas que du bien. S’intéresser à leur modèle, à leur fonctionnement, à nos données, et s’éduquer au maximum sur ses libertés informatiques.

Étienne Gonnu : Super. Je pense que je pourrais difficilement dire mieux.
À nouveau un grand merci Olivier Petitjean, Chiara Pignatelli pour être venus échanger avec nous et pour votre excellent rapport. J’insiste vraiment, allez le lire, il fait 29 pages, il est très bien écrit, il y a de belles illustrations, de belles infographies pour le rendre accessible. Je pense qu’il faut vraiment le diffuser et le faire lire.

Olivier Petitjean : Merci à vous.

Chiara Pignatelli : Merci.

Étienne Gonnu : Nous allons faire, à présent, une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, Jean-Christophe nous proposera une nouvelle « Pépite libre ». Avant cela nous allons écouter El Jefe par San Blas Posse. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : El Jefe par San Blas Posse.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter El Jefe par San Blas Posse disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC BY SA.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April, nous allons passer à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique « Pépites Libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, sur le thème : « Voilà le printemps, libérons nos outils de plaidoyer ! »

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec la chronique « Pépites libres ».
Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April et ancien président de l’April, nous présente une ressource sous licence libre – texte, image, vidéo ou base de données – sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile. Les auteurs et autrices de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur la liberté accordée à leur public.
Salut Jean-Christophe, je crois que tu es inspiré par cette date du 21 mars.

Jean-Christophe Becquet : Oui. Bonjour à tous. Bonjour à toutes.
Voilà le printemps ! C’est la saison du Libre en Fête, une initiative animée par l’April avec plusieurs dizaines événements de découverte du logiciel libre et de la culture libre à destination du grand public, partout en France. C’est aussi la Semaine pour les alternatives aux pesticides, coordonnée par l’association Générations Futures.
La Semaine pour les alternatives aux pesticides se donne pour objectifs d’informer les citoyens sur les risques des pesticides de synthèse pour notre santé et pour notre planète ; de promouvoir des solutions alternatives pour vivre, consommer et produire plus durablement, fédérer un réseau d’acteurs et mobiliser un public toujours plus large. Elle propose, pour cela, une programmation très variée de conférences, ciné-débats, portes ouvertes de fermes, de moulins, de jardins, dégustations, ateliers, démonstrations, spectacles, marchés… Notons au passage que leur programmation est donnée à voir sur un fond cartographique issu des données OpenStreetMap et développé avec la bibliothèque libre Leaflet.

Le site, semaine-sans-pesticides.fr, fournit des outils, notamment un guide de l’organisateur très bien fait et une vidéo accompagnée de la mention « à diffuser sans modération ». Je me suis alors demandé sous quelle licence étaient proposées ces ressources. Les mentions légales abordent cette question : « Les productions vidéos et sonores et, d’une manière générale, tous les documents contenus dans ce site sont la propriété de Générations Futures. Toutefois, Générations Futures encourage la reproduction et la distribution de tous les documents originaux présents sur www.semaine-sans-pesticides.fr ». Mais, immédiatement après, « Générations Futures se réserve le droit de modifier ces conditions à tout moment ». Donc, la permission est donnée, mais elle n’est pas très précise et surtout, elle peut être retirée, voilà qui n’est pas très rassurant !

Nous avons là le parfait exemple d’une initiative qui gagnerait vraiment à adopter une licence libre. En effet, il apparaît assez clairement que la volonté de Générations Futures est de diffuser le plus largement possible son message. Elle fait l’effort de mettre à disposition des outils pour organiser simplement un événement, mais les conditions d’utilisation restent floues et peu sécurisantes. Il faut bien se souvenir que le droit d’auteur s’applique par défaut et ainsi, sans avis contraire, toute reproduction, représentation ou adaptation est interdite en dehors de quelques exceptions très encadrées.

C’est précisément le rôle de la licence d’exprimer de manière claire les conditions du partage. Les licences Creative Commons sont conçues pour permettre à chacun d’accorder un certain nombre de libertés sans avoir à recourir à chaque fois aux services d’un juriste pour rédiger des conditions. En plus du contrat adapté aux différentes juridictions internationales, les licences Creative Commons fournissent une version résumée de la licence lisible par un humain, des pictogrammes de plus en plus connus par les internautes et des métadonnées lisibles par les logiciels et les moteurs de recherche.

Il me reste à rappeler que toutes les licences Creative Commons ne sont pas libres. Celles qui restreignent les versions dérivées ou les usages commerciaux ne répondent pas à la définition des œuvres culturelles libres. Ainsi, seules les licences Creative Commons BY ou BY-SA se distinguent par le tampon « Approved for Free Cultural Works ». On pourra relire à ce sujet l’excellent article d’Alexis Kauffmann sur le Framablog : Dis papa, c’est quoi une « œuvre culturelle libre » ?

Je vous partage encore deux pépites de saison sous licence libre Creative Commons BY.
Pour rêver un peu, revoir Spring, le dessin animé de la Fondation Blender dans lequel une jeune bergère affronte les esprits anciens pour permettre la venue du printemps.
Et pour apprendre, s’inscrire au MOOC [Massive Open Online Course] Pollinisateurs proposé par l’association Tela Botanica.

Je pense, pour conclure, que les licences libres sont une véritable opportunité dès lors qu’on veut encourager le partage d’une ressource pour diffuser son message. J’ai opté, pour ma part, pour la licence Creative Commons BY-SA.

J’espère que cette chronique sèmera quelques graines et que nous verrons éclore prochainement de nouvelles pépites sous licence libre.

Étienne Gonnu : Quelle belle métaphore filée, Jean-Christophe.
Pas de nouvelle pépite libre en avril, me semble-t-il, mais un sujet long. C’est bien ça ?

Jean-Christophe Becquet : C’est ça, oui. J’ai proposé d’organiser un sujet long sur Jupiter qui est un logiciel libre de calcul scientifique. Les échanges que j’ai eus avec mes intervenants promettent une émission passionnante. Je précise que je ne connais absolument rien aux techniques de calcul scientifique. Il s’agit vraiment d’aborder l’objet Jupiter en tant que logiciel libre : comment il est développé, comment s’organisent les communautés, la mutualisation des efforts de développement, les relations entre les acteurs et comment ce logiciel se déploie aussi bien dans l’industrie que dans le monde académique ou encore dans l’enseignement ? Ce sera donc le premier mardi d’avril, le 4 avril précisément, et je viendrai en présentiel au studio de la radio, avec les deux intervenants, pour animer ce sujet. Je reviens probablement au mois de mai avec une nouvelle pépite.

Étienne Gonnu : Super. Merci beaucoup, Jean-Christophe. Je te souhaite une très bonne fin de journée.

Jean-Christophe Becquet : Merci, bonne fin d’émission et à très bientôt.

Étienne Gonnu : Merci Jean-Christophe.
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Quelques annonces pour finir cette émission. J’ai peu de temps, donc je vais vraiment aller à l’essentiel, mais vous retrouverez le détail de toutes ces annonces sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.com, et sur la page dédiée à l’émission libreavous.org/171.

Jean-Christophe évoquait le Libre en Fête, une initiative coordonnée par l’April depuis plus de 20 ans et qui regroupe, autour d’une dynamique conviviale et festive, un ensemble d’événements autour du libre que vous retrouverez facilement sur le site libre-en-fete.net/2023/ ou sur la page de l’émission.
Le vendredi 24 mars, à partir de 19 heures, un apéro à l’April dans le 14e arrondissement de Paris.
Le 25 mars, l’assemblée générale de l’April, un moment important de notre vie associative. Si vous êtes concernés, le vote en ligne sera clos jeudi 23 mars à 20 heures.
Le dimanche 26 aura lieu un April Camp dans le 11e arrondissement de Paris. Tout le monde, membre ou pas de l’association, peut participer. C’est l’occasion d’échanger sur différents projets, de nature technique ou pas ; il est possible de participer à distance.
Les 1er et 2 avril auront lieu les Journées du Logiciel Libre à Lyon. L’April y sera présente avec notamment un stand et deux conférences dont une que j’animerai avec ma collègue Isabella.
La conférence Mercurial Paris 2023 aura lieu du 5 au 7 décembre 2023. Nous avions fait une émission sur les logiciels de gestion de versions décentralisés, dont Mercurial, une émission que vous retrouvez sur libreavous/160.

Comme d’habitude, vous retrouvez tous les événements libristes et les organisations libristes autour de vous sur agendadulibre.org.

Pour finir, j’aimerais apporter tout mon soutien, rejoint en ça par mes collègues, aux grévistes et à l’ensemble des manifestants et manifestantes qui défendent nos conquis sociaux et, au-delà de ça, une certaine idée vivante et vibrante de la démocratie. Mouvement social auquel nous avons pu participer et continuons à le faire à titre individuel, à différents niveaux d’engagement.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé : Gee, Chiara Pignatelli, Olivier Petitjean, Jean-Christophe Becquet.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Isabella Vanni.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : aujourd’hui je pense que ce sera Julien Osman qui s’en occupera.
Merci à Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio.
Merci enfin à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu le mardi 28 mars 2023 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur le difficile exercice de la modération.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 28 mars et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.