Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
« Graine de libriste », la parole aux jeunes qui œuvrent pour le logiciel libre et les libertés informatiques. Aujourd’hui nous aurons le plaisir d’entendre une étudiante et un ancien étudiant fraîchement diplômé de l’ISTIC, la faculté d’informatique de Rennes, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme « Les fracturés du numérique » et une nouvelle chronique de Xavier Berne pour découvrir le droit d’accès aux documents administratifs, aujourd’hui « Comment rendre transparents les marchés publics ».
Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Soyez les bienvenu·e·s pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu de l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 17 octobre 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission Thierry Holleville. Salut Thierry.
Thierry Holleville : Bonjour à tous.
Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique de Xavier Berne, « Découvrez le droit d’accès aux documents administratifs » - « Comment rendre transparents les marchés publics »
Étienne Gonnu : Dans une nouvelle chronique que nous proposons dans cette saison 7 de Libre à vous !, Xavier Berne nous propose de découvrir le droit d’accès aux documents administratifs.
Dans ce deuxième épisode : comment obtenir la transparence sur les marchés publics grâce au droit d’accès aux documents administratifs.
Normalement nous avons avec nous Xavier Berne à distance. Est-ce que tu es avec nous Xavier ?
Xavier Berne : Oui, je suis bien là. Bonjour.
Étienne Gonnu : Bonjour. Nous t’écoutons.
Xavier Berne : Aujourd’hui, je vais vous parler des marchés publics et vous expliquer comment vous pouvez obtenir de précieuses informations sur les nombreux marchés publics que passent chaque jour les administrations, que ce soit vos mairies, des ministères, des hôpitaux, etc.
Étienne Gonnu : C’est effectivement assez vaste les marchés publics, qu’est-ce que ça recoupe plus concrètement ?
Xavier Berne : Il y a des marchés publics vraiment dans tous les domaines, typiquement pour l’achat de matériel : des lampadaires qui illuminent nos rues aux voitures de fonction du président, en passant par les bureaux des écoliers ou le matériel médical qu’il y a dans les hôpitaux. Il y a le matériel, mais il y a aussi pour tout ce qui est prestation de services pour du ménage, de la restauration, des campagnes de communication. On a aussi pas mal entendu parler des fameux rapports des cabinets de conseil, tel que McKinsey, qui avaient été commandés par le gouvernement et qui avaient été épinglés, notamment par une commission d’enquêté sénatoriale. Et bien entendu, et je pense que ça intéressera beaucoup de nos auditeurs, de nombreux marchés publics ont trait aux achats de logiciels, j’espère qu’on aura le temps d’y revenir un petit peu plus tard.
Étienne Gonnu : Effectivement, c’est un sujet qui nous intéresse beaucoup à l’April. Que peut-on savoir grâce à ce droit d’accès aux documents administratifs ?
Xavier Berne : Le droit d’accès aux documents administratifs permet à tout citoyen d’obtenir une multitude de documents publics, dits administratifs. C’est un droit qui est malheureusement trop peu connu alors qu’il est totalement gratuit à exercer et qu’il est à la portée du plus grand nombre. Il n’y a pas besoin de se justifier ni de faire quelque chose de très long ou de très formel.
D’ailleurs, j’en profite pour vous indiquer qu’on propose sur madada.fr, notamment sur notre forum, des modèles de demandes préremplis pour vous aider à faire des demandes.
Étienne Gonnu : J’ai oublié de préciser, en introduction, que tu es le délégué général de cette plateforme associative Ma Dada. Pardonne-moi cet oubli.
Xavier Berne : Exactement, ce n’est pas grave. On a effectivement cette plateforme qui permet de vous aider à faire vos demandes d’accès. On a une base avec 50 000 administrations référencées, vous avez juste à cliquer sur l’administration qui vous intéresse, on vous propose un formulaire de demande prérempli et, en quelques clics, votre demande est envoyée à l’administration.
Typiquement, dans le domaine des marchés publics, on a un vrai vivier de documents administratifs. C’est vrai que souvent on nous dit : « C’est bien sympa ce doit d’accès aux documents administratifs, mais concrètement ça va me servir à quoi ? ». Sur les marchés publics, il y a une source d’information qui est vraiment très importante, pourquoi ? Parce que les règles de passation des marchés publics sont très codifiées.
Par exemple, lorsqu’un acteur public veut acheter quelque chose, la première étape est qu’il doit passer une annonce, ce qu’on appelle un appel d’offres. Déjà à ce stade de la procédure, vous avez vraiment des documents très intéressants qui sont produits par l’administration. Par exemple, il y a le cahier des clauses techniques particulières, le CCTP dans le jargon, où l’administration explique tout ce qu’il y a derrière le marché, ce qu’elle recherche comme produit ou comme service. On peut imaginer, par exemple, la gendarmerie ou la police qui souhaiteraient recourir à des drones intelligents, reposants sur des dispositifs d’intelligence artificielle. Dans ce fameux document, le CCTP, les forces de l’ordre pourraient expliquer ce qu’elles attendent comme solution technologique, préciser les matériaux souhaités ou les logiciels, les dimensions du drone, le poids du drone, le nombre de drones, les montants aussi qu’elles sont prêtes à y mettre, etc. Ce fameux CCTP fait partie des documents administratifs qui sont librement accessibles à tous, sur simple demande.
C’était pour la première étape des marches publics.
La deuxième étape, en principe, c’est le choix du prestataire.
À ce stade, on va pouvoir solliciter des documents qui vont permettre de comprendre pourquoi les pouvoirs publics ont choisi telle entreprise plutôt qu’une autre.
Dans la liste des documents que vous pouvez demander, se trouve bien entendu la liste des candidats admis à présenter une offre, mais vous pouvez aussi et surtout demander la méthode de notation utilisée, qui est très importante, ou même les offres globales de prix qui ont été faites par les candidats. Ça va vous permettre de savoir quels étaient les prix proposés par les différents candidats, qu’ils aient été retenus ou non.
Enfin, la troisième étape, c’est celle de l’exécution du marché en lui-même et là vous pouvez obtenir la communication des bons de commande, des factures, des éventuels avenants ou des procès-verbaux de réception.
J’espère que vous aurez compris qu’il y a une vraie mine d’informations pour qui s’intéresse à un marché public en particulier. C’est vrai qu’en pratique c’est surtout utilisé par des entreprises qui cherchent à comprendre pourquoi leurs offres n’ont pas été retenues, mais pour toutes les personnes qui sont animées par une cause en particulier, typiquement dans un cadre associatif, il y a un outil vraiment très précieux qui s’offre à vous.
Étienne Gonnu : Tous ces documents peuvent donc être obtenus très facilement ?
Xavier Berne : En théorie, oui. Il faut prendre quelques minutes pour envoyer sa demande, par courrier ou par mail ou, encore plus rapide, en utilisant notre plateforme associative, j’en ai parlé un petit peu tout à l’heure.
Quand vous faites votre demande, il est important de bien lister tous les documents que vous souhaitez obtenir : dire, par exemple, je veux le CCTP, je veux la liste des candidats, je veux les offres de prix, etc.
Une fois la demande envoyée, l’administration dispose en principe d’un délai d’un mois pour vous répondre. Je dis en principe, c’est la théorie ; en pratique, les délais sont parfois un petit peu plus longs, surtout si vous demandez beaucoup de documents.
Il y a une grosse problématique qui est que des administrations ne répondent pas. Il ne faut pas hésiter à les relancer, voire à saisir la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs qui est une autorité indépendante, qui fait office de médiateur entre les administrations et les citoyens quand il y a des difficultés d’accès à des documents publics.
Autre problématique. Il se peut qu’en cas de réponse favorable, certaines informations soient occultées, notamment au nom de la protection de la vie privée ou même du secret des affaires. La loi le prévoit, c’est normal, malgré tout il ne faut pas se laisser abattre et bien faire valoir ses droits, c’est important, parce que la doctrine de la CADA précise globalement que la plupart des documents que je vous ai cités aujourd’hui sont vraiment intégralement communicables. Donc n’hésitez pas à vous renseigner. On mettra un peu plus de documentation sur la page de l’émission pour que vous puissiez un petit peu vous documenter en cas de besoin.
Une autre chose importante que j’ai oublié de préciser : il faut bien attendre que le marché public ait été conclu pour obtenir les documents qui s’y rapportent. J’ai vu pas mal d’effervescence, il n’y a pas très longtemps, autour d’un marché lancé par le ministère de l’Éducation nationale qui souhaite acquérir des licences Oracle pour plus de 60 millions d’euros. Il va falloir attendre l’issue de cette procédure pour solliciter les documents afférents à ce marché. Je pense que vous êtes désormais mieux armés pour les obtenir !
Dernier petit conseil : si vous vous intéressez à un sujet en particulier, que vous ne savez pas trop ce qui est conclu comme marchés publics, c’est très simple, je vous invite à parcourir les annonces d’attribution de marchés publics, notamment sur le site www.marchés-publics.gouv.fr, qui sera une vraie mine d’informations : vous aurez l’intitulé du marché, le nom du commanditaire. Bref ! De quoi débuter une belle demande d’accès à des documents administratifs !
Étienne Gonnu : Très bon conseil. On peut même mettre des alertes et on reçoit un mail quand un mot clef a été utilisé dans une offre. Ça nous permet de savoir ce qui se passe, pas tout à fait en temps réel mais de manière assez rapide, notamment de voir passer les appels d’offre, comme tu le disais, à l’Éducation nationale pour des licences Oracle. Je pense qu’on peut légitimement se poser la question du respect plein et entier du droit de la commande publique, mais c’est une autre histoire.
En tout cas merci Xavier. Vous pourrez effectivement retrouver toutes les ressources évoquées sur la page de l’émission.
Je te souhaite une bonne fin de journée, Xavier, et je te dis au mois prochain pour une nouvelle chronique.
Xavier Berne : Merci. À bientôt. Au revoir.
Étienne Gonnu : Au revoir.
Nous allons à présent faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause, nous aborderons notre sujet « Graine de libriste ». Avant cela nous allons écouter La valse des vieux sabots par Les bretons de l’est. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : La valse des vieux sabots par Les bretons de l’est.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter La valse des vieux sabots par Les bretons de l’est, disponible sous licence Art Libre. Occasion pour moi de rappeler que toutes nos pauses musicales sont sous des licences libres qui permettent de les partager librement avec vos proches, de les télécharger parfaitement légalement, de les remixer, y compris pour des usages commerciaux. Ce sont des licences type Creative Commons Attribution, CC By, Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC BY SA, ou encore, comme c’est le cas de cette pause qu’on vient de vous proposer, licence Art Libre.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Vous écoutez toujours Libre à vous ! sur radio Cause Commune. Passons maintenant à notre sujet suivant.
[Virgule musicale]
« Graine de libriste », sujet préparé et animé par Rémi Robilliard qui échange avec Charlotte Thomas, étudiante en licence 3 à l’ISTIC de Rennes
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal, une émission « Graine de libriste » où on laisse la parole à des jeunes personnes qui s’engagent pour le logiciel libre et les libertés informatiques. À cette occasion, je vais avoir le plaisir de laisser la parole à Rémi Robilliard, avec moi en studio, développeur fraîchement diplômé de l’ISTIC, la faculté d’informatique de Rennes, également contributeur à des projets libres, notamment OpenStreetMap. Rémi Robilliard échangera avec Charlotte Thomas, étudiante en licence 3 à l’ISTIC.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecomme.fm, bouton « chat ».
Bonjour Rémi.
Rémi Robilliard : Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Tu as accepté d’animer cet échange dans cette thématique « Graine de libriste ». On te remercie de nous avoir rejoints en studio pour cela et je te laisse la parole.
Rémi Robilliard : Merci beaucoup.
J’aimerais en premier remercier l’April de m’avoir donné l’occasion de venir faire cette émission pour parler du Libre au sein de l’université qui n’est pas forcément quelque chose auquel on peut penser tout de suite quand on pense au Libre, vu qu’on va parfois plutôt penser à des vieux barbus, dans leur cave, à utiliser leur ordinateur comme ça. Mais, avant d’être un vieux barbu, il faut planter la graine du Libre et, avant d’avoir les cheveux grisonnants et une barbe d’environ 27 mètres, cela se fait souvent à l’université. Excusez-moi, je me perds dans mes notes.
Étienne Gonnu : C’est déjà une très belle intro déjà, tu nous as vraiment mis l’eau à la bouche pour cet échange.
Rémi Robilliard : Le Libre est en effet né à l’université, notamment avec le projet GNU. Cette philosophie du partage est d’ailleurs quelque chose qu’on ne va pas forcément retrouver dans l’entreprise où c’est même plutôt la concurrence qui va primer, on va essayer de cacher son code là où, à l’université, on partage son savoir et ses compétences. D’ailleurs, si on regarde les plus gros acteurs du monde libre, comme je l’ai dit GNU, ils viennent souvent des bancs de l’école. GNU a été créé, initié par Stallman, dans les années 80, qui est enseignant au MIT. On peut aussi penser à Linux qui a été développé par un jeune étudiant finlandais [Linus Torvalds], qui avait fait un projet sans prétention et qui est devenu le monstre que l’on connaît aujourd’hui. Et, si on veut être un peu chauvin, on peut citer Framasoft, qui a été créée par des professeurs de mathématiques et de français, ou encore l’association qui anime cette émission, l’April, qui a été créée en 96, à Paris 8, par des étudiants en informatique. On peut aussi parler des chatons [CHATONS - Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires], des pléthores de chatons faits par des étudiants. Rapidement, que sont les chatons ? Ce sont des fournisseurs de services comme du cloud, de l’édition de documents en ligne. Je peux citer La Contre-Voie qui a été créée par des étudiants de 42, Kaz par des enseignants de l’IUT de Vannes ou encore Exarius qui a été créé par plusieurs étudiants de différentes écoles.
Bref, le milieu étudiant est intimement lié au Libre et, dans ses études en informatique, qui n’a jamais effleuré cette notion ? D’ailleurs cette notion peut devenir une passion dévorante, comme pour cet étudiant polonais [Wojciech Kosior] qui a réussi à avoir son diplôme en 2021 sans toucher à un seul logiciel propriétaire, comme Teams, en pleine pandémie. Il a bien réussi son coup.
D’autres fois, on veut juste partager ce qu’on a appris sous licence libre pour que tout le monde puisse avoir ces connaissances, un peu comme a fait Charlotte qui est avec moi pour cette émission.
Bonjour Charlotte.
Charlotte Thomas : Bonjour Rémi.
Rémi Robilliard : Étienne t’a présentée rapidement en début d’émission. Est-ce que tu veux rajouter quelque chose ou pas ?
Charlotte Thomas : Je suis étudiante à l’ISTIC, c’est à peu près tout ce que je fais, présidente d’association maintenant mais c’est tout.
Rémi Robilliard : Très bien. Je vais commencer par te poser quelques petites questions de base : comment as-tu connu le logiciel libre, en quelque sorte comment cette graine a-t-elle été plantée au début ?
Charlotte Thomas : Elle a été plantée beaucoup plus tôt qu’à l’université. C’est mon père qui a planté la graine du Libre depuis que je suis toute petite. En effet, j’avais un ordinateur avant même de pouvoir marcher. Il était programmé pour que quand j’appuie sur une touche du clavier ça fasse un son, j’avais littéralement un clavier. À cette époque-là, tous mes ordinateurs tournaient sur Ubuntu ou sur d’autres distributions Linux.
C’est donc mon père qui m’a donné goût au logiciel libre, au fil du temps, en m’apprenant comment développer au début, même si j’ai commencé à apprendre d’autres langages que lui, en m’apprenant ce qu’est l’administration systèmes, ce qu’il faisait aux impôts avant, il était administrateur systèmes. C’est lui qui m’a appris comment on utilise un Linux, comment on administre un Linux, comment on administre les différentes applications genre MySQL, genre PHP ou Apache, tous ces logiciels. Donc oui, c’est mon père qui a planté la graine du Libre en moi et, depuis, je trouve qu’elle a bien grandi !
Rémi Robilliard : D’accord. Très bien. Du coup, tu as continué aussi, toi-même, à alimenter cette graine même jusqu’à continuer, lors de tes études, à faire du logiciel libre. Pourquoi aimes-tu ça ? Pourquoi veux-tu continuer à l’utiliser, à le promouvoir ?
Charlotte Thomas : Le logiciel libre est important pour moi, c’est rentré dans le cœur de mes valeurs. Je suis très le logiciel libre parce que je crois en la liberté d’information : tout le monde a un droit fondamental à l’information, c’est important pour moi. Je partage tous mes logiciels, tout ce que je fais, en licence GPLv3, donc tout le code que je fais est en licence libre, la GNU GPL, la GNU General Public License.
Rémi Robilliard : Nous allons reparler juste après de cette licence.
Charlotte Thomas : Je ne fais pas beaucoup d’art, donc je n’utilise pas beaucoup de Creative Commons, mais je fais beaucoup de code et tous mes codes sont en GPL parce que j’aime les informations et, pour moi, elles doivent être publiques, c’est pour cela que tout est open source, tout est libre.
Rémi Robilliard : Très bien. On va revenir rapidement cette notion de GPL. Une licence c’est un contrat qui va définir comment utiliser le logiciel. La GPL va demander à tous les utilisateurs du logiciel de redistribuer ce programme avec cette licence-là. Certaines licences ne demandent pas ça, par exemple la licence BSD, entre autres, dit juste qu’on peut utiliser le logiciel et, si jamais on souhaite fermer le code derrière, c’est possible. Je préfère préciser un petit peu, pour ceux qui ne sont pas forcément au courant ou initiés dans ce milieu-là.
As-tu un projet en particulier à présenter, un projet qui te tient vraiment à cœur, que tu as mis sous licence libre et que tu as envie de partager ?
Charlotte Thomas : Bien sûr. Mon projet qui me tient le plus à cœur c’est Baguette# [Prononcé « Sharp », NdT]. Qu’est-ce que Baguette# ? C’est un langage de programmation ésotérique, ça fait très peur. En fait, c’est un langage de programmation qui est fait exprès pour être horrible. Il est développé et c’est un langage qui n’utilise que des pâtisseries françaises et un peu de pâtisseries alsaciennes/germaniques. En fait, tout se code avec des pâtisseries : « Print » c’est « Croissant » pour afficher quelque chose.
C’est le projet qui me tient le plus à cœur, il est en GPLv3 disponible sur GitHub et bientôt sur git forge quand j’aurai un serveur pour l’héberger. C’est un projet qui m’a ouvert beaucoup de portes. Il m’a ouvert les portes d’un stage, l’année dernière, à l’Inria de Rennes. Il m’a ouvert les portes de Pas Sage en Seine où j’ai fait une présentation de 30 minutes dessus. Il m’a ouvert les portes de la Journée du Libre Éducatif, grâce à Alexis Kauffmann, où j’ai fait une petite présentation flash dessus.
Rémi Robilliard : L’Inria est un laboratoire d’informatique basé en Bretagne.
Charlotte Thomas : L’Inria [Institut national de recherche en informatique et en automatique]c’est national.
Rémi Robilliard : Je confonds toujours, c’est IRISA qui est en Bretagne.
Charlotte Thomas : IRISA [Institut de Recherche en Informatique et Systèmes Aléatoires] c’est en Bretagne effectivement.
Rémi Robilliard : Les noms sont assez voisins, donc je confonds toujours ; Pas Sage en Seine, ce sont trois jours de conférences, et ça a lieu à Choisy-le-Roi, tous les ans, en juillet ; Alexis Kauffmann est l’un des cofondateurs de Framasoft et il travaille maintenant au ministère de l’Éducation, il essaye de pousser un petit peu cette philosophie du Libre. Vous pouvez d’ailleurs retrouver une super conférence de sa part à Pas Sage en Seine où il explique un peu les actions qu’ils entreprennent au sein du ministère pour mettre en avant le Libre.
Étienne Gonnu : Je vais me permettre. Il est même intervenu dans une émission de septembre dernier [émission 150] dans Libre à vous !, une autre occasion de l’entendre. C’est effectivement quelqu’un de très intéressant à écouter.
Rémi Robilliard : Merci Étienne pour cette petite précision toujours bonne à prendre.
Parmi toutes ces portes qui t’ont été ouvertes, est-ce qu’il y en a une qui t’a permis d’avoir des échanges en plus, par exemple ton stage au sein du laboratoire de recherche ? Est-ce que tu as pu voir des personnes qui connaissent un petit peu, on va dire, ce milieu du développement un peu plus poussé ? Est-ce que tu as pu avoir des échanges intéressants ?
Charlotte Thomas : Effectivement. Quand je suis rentrée au laboratoire, donc à l’équipe PACAP [Performance des Applications par la Compilation et l’Architecture des Processeurs] à Rennes, s’ils m’écoutent un jour, ils sont dans mon cœur, voilà ! J’ai connu plein de gens qui m’ont appris beaucoup de logiciels libres, par exemple Gnuplot pour faire des graphiques au lieu d’utiliser Matplotlib sur Python ou d’utiliser, surtout pas, un truc sur un tableur, non c’est Gnuplot qu’on utilise. C’est un logiciel qui se fait par ligne de commande pour afficher des graphiques et c’est, bien sûr, sous licence GPL, puisque c’est un logiciel de GNU.
J’ai donc découvert ça, j’ai découvert plein d’outils qu’on a fait à Inria, qui sont ouverts pour tout le monde. Par exemple j’ai appris, au Centre Inria de l’Université de Rennes, que André Seznec a inventé la prédiction de branchement sur les processeurs ! J’ai donc appris beaucoup de choses quand j’étais à l’Inria, beaucoup de choses en Libre. J’ai fait du code qui n’est pas encore libre puisque c’est du code qui attend d’être publié. En tout cas, j’ai appris beaucoup de logiciels libres pour pouvoir coder. Par exemple, mon rapport est fait en LaTeX, un logiciel pour faire des documents, construit sur une technologie qui a 40 ans, qui est sous licence libre. J’ai utilisé Gnuplot qui est sous licence libre. J’ai utilisé aussi LibreOffice qui est sous licence libre. Donc j’utilisais beaucoup de logiciels libres.
Rémi Robilliard : Très bien. On va sortir un petit peu de ce cadre de recherche. Est-ce qu’il y a encore d’autres logiciels libres que tu utilises au sein de tes études, par exemple des éditeurs de code libre ou autre chose ?
Charlotte Thomas : On ne le dira jamais assez mais Gimp m’a sauvé la vie. Merci à Gimp ou « jimp », je ne sais pas comment il faut dire.
Rémi Robilliard : Je crois que c’est un petit débat dans la communauté.
Étienne Gonnu : Personne ne sait !
Charlotte Thomas : Ça m’a sauvé la vie plusieurs fois, ça édite tous les PDF, au cas où. Ça ma beaucoup aidée.
Je commence à me mettre à utiliser Emacs, c’est un peu long, je sors petit à petit de VSCodium pour utiliser Emacs.
Rémi Robilliard : Pour nos auditeurs qui ne sont pas développeurs, Emacs et VSCodium sont des outils pour pouvoir écrire du code.
Charlotte Thomas : Emacs est celui de GNU, donc sous licence GPL et libre ; VSCodium est fait par Microsoft.
Rémi Robilliard : Aussi sous licence libre, il faut le préciser. Les grands GAFAM ont parfois une petite bonté et font du logiciel libre.
Charlotte Thomas : C’est,en fait, la version déprivatisée de VSCode.
J’utilise LibreOffice tous les jours.
Pour prendre des notes Typst, de plus en plus, au lieu de LaTeX. C’est un logiciel un peu comme du Markdown pour prendre des notes, c’est rapide pour faire plein de choses, c’est très puissant, c’est un peu comme du Python au niveau programmation, c’est fait en Rust, un langage programmation libre aussi et Typst est un logiciel libre.
Rémi Robilliard : Donc beaucoup de logiciels libres qui font vraiment un écosystème qui permet d’étudier librement, un peu comme l’étudiant polonais que j’ai cité un peu plus tôt.
Je vais aussi raconter un petit peu, rapidement, ce que j’ai pu utiliser lors de mes études pour le Libre. J’ai tout de suite utilisé, comme a dit Charlotte, VSCodium et VSCode qui sont des éditeurs de code libre. J’ai aussi utilisé Linux, Firefox, tous ces outils-là, qui sont des outils que vous utilisez sans savoir qu’ils sont libres comme Firefox, LibreOffice, Gimp et tant d’autres, et c’est caché à vos yeux.
Charlotte Thomas : GeoGebra.
Rémi Robilliard : GeoGebra aussi pour les collégiens qui nous écoutent peut-être, un logiciel pour faire de la géométrie, entre autres, et des maths, qui est aussi sous licence libre et qui français, si je ne dis pas de bêtises.
Étienne Gonnu : Je précise. Vous citez énormément de logiciels libres, de ressources libres, je les note au fur et à mesure et on mettra à jour rapidement les références sur la page de l’émission pour les personnes qui souhaitent effectivement aller y jeter un œil.
Charlotte Thomas : Comme ça tout le monde peut utiliser ces logiciels libres.
Rémi Robilliard : C’est toujours intéressant de rajouter un nouveau logiciel qui peut, parfois, être un peu plus performant que le précédent dans son flux de travail.
Charlotte Thomas : Et il ne faut pas oublier le côté sécurité des logiciels libres.
Rémi Robilliard : Oui. Les logiciels propriétaires, qui ont fermé leur code, vont mettre en avant la sécurité par l’obscurité. Ça veut dire que si personne ne peut voir le code ça ne peut pas être cassé. On a eu plusieurs démonstrations que si, en effet, il y a des petites failles à droite à gauche, là où avec le logiciel libre, comme tout le monde peut lire le code, tout le monde peut trouver des failles, donc tout le monde peut les remonter beaucoup plus rapidement.
Charlotte Thomas : C’est comme cela que plusieurs failles ont été sécurisées dans Linux, très rapidement.
Rémi Robilliard : Je vais reprendre un peu mon fil des questions parce qu’on a un peu dévié.
Pour revenir sur ton projet que tu as mis sous licence GPL. Pourquoi utiliser cette licence précisément ? Est-ce que c’est parce que, comme je l’ai expliqué un peu plus tôt, si jamais quelqu’un veut modifier le code, il est obligé de garder cette licence pour garder le savoir ou c’est pour une autre raison particulière ?
Charlotte Thomas : Effectivement, c’est bien pour le fait que ça reste dans le Libre. Je ne voulais pas que ce soit comme pour les logiciels qui sont sous licence MIT, une autre licence qui, elle, permet de fermer le code plus tard. La GPL est une licence qui permet que ça reste dans le domaine ouvert. Même s’il y a des modifications sur mon logiciel – ce que j’attends, si quelqu’un veut modifier mon logiciel pour faire d’autres choses à la place des pâtisseries qu’il le fasse ! J’attends juste que ça arrive ! Si quelqu’un veut modifier mon logiciel ça doit rester dans le domaine public. C’est donc ce côté copyleft, à l’opposé de copyright, qui m’intéressait beaucoup dans la GPL, c’est pour cela que j’ai finalement passé tous mes projets en GPL.
Rémi Robilliard : D’accord. Je vais aussi reprendre. Le copyleft c’est juste pour dire qu’on est obligé de redistribuer sous la même licence. Le MIT n’a pas de copyleft, c’est pour cela qu’on peut changer la licence en cours de route.
On a vu un petit peu le Libre dans le milieu des études avec les logiciels qu’on utilise pour travailler, les logiciels qu’on utilise aussi pour communiquer, Matrix par exemple.
Charlotte Thomas : Mattermost.
Rémi Robilliard : Mattermost qui est utilisé au sein de l’IRISA et de Inria, si je ne dis pas de bêtises.
Charlotte Thomas : C’est le cas.
Rémi Robilliard : On peut maintenant sortir de ce cadre scolaire et voir un petit peu le Libre dans le monde du travail parce que, en tant qu’étudiant on finit toujours par sortir de l’école pour aller travailler. Comment vois-tu le Libre dans ton métier, après les études ?
Charlotte Thomas : C’est une très bonne question parce qu’après mes études, même pendant, parce que le concours est dans un mois, je compte passer le concours d’inspectrice des finances publiques, ils appellent ça « en qualité de programmeur système d’exploitation », PSE, c’est pour dire que c’est admin-system, donc je vais administrer des systèmes en Linux. Ce sera donc très important dans mon travail parce que tous les logiciels qu’on utilise à la DGFiP [Direction générale des Finances publiques], et à l’État en plus général, sont des logiciels libres. C’est même très important et ce n’est pas une question : on utilise des logiciels libres obligatoirement, il faut une dérogation spéciale pour utiliser genre Microsoft Office, sinon tout le monde utilise LibreOffice et tous les serveurs sont sous Linux. On peut citer, par exemple, le cloud interministériel qu’a fait la DGFiP, qui permet de garder les données en France : toutes les données, au moins, de la DGFiP sont stockées en France par la DGFiP, c’est elle qui a la souveraineté des données et en licence libre parce que ce cloud utilise des logiciels libres pour se construire.
En tout cas à la DGFiP, là où j’ai travaillé, là où je vais travailler plus tard, le logiciel libre occupe une place très importante puisque tout est obligatoirement en logiciel libre, sauf dérogation spéciale.
Rémi Robilliard : On peut peut-être regretter le fait que ce soient les impôts qui utilisent beaucoup le logiciel libre et pas le ministère de l’Éducation avec, notamment, les licences Oracle ou encore Office.
Charlotte Thomas : Oui. Malheureusement c’est plus difficile de faire bouger l’Éducation que les impôts là-dessus, bizarrement, mais j’espère bien que l’Éducation va passer du côté libre de la force un jour.
Étienne Gonnu : Tu parlais d’Alexis Kauffmann qui est au ministère de l’Éducation nationale, plus spécifiquement à la Direction du numérique. C’est la difficulté : ces ministères sont tellement grands, il y a de super initiatives libristes qui se développent au sein du ministère l’Éducation nationale mais de manière systémique et c’est là où réside le problème. D’ailleurs, même le ministère des Finances n’est pas exempt, malheureusement, de défauts. On voit des initiatives, il y a heureusement des libristes au sein de ces administrations qui font vivre le Libre, qui, projet après projet, permettent son développement. Mais c’est sûr qu’il y a du chemin à faire côté Éducation nationale.
Rémi Robilliard : En effet, « la route est longue mais la voie est libre ».
Charlotte Thomas : J’ai deux choses à dire sur cela.
Un. En fait, aux impôts on a en tout 100 000 agents. Éducation nationale plus Supérieur c’est un million, ce n’est donc pas la même masse à bouger. Oui, on essaye de bouger à l’Éducation, on essaye de bouger vers le Libre. C’est pour cela que la Journée du Libre Éducatif a été instaurée par Alexis Kauffman, c’est pour présenter tous ces projets faits des profs ou des étudiants, j’ai présenté mon projet en tant qu’étudiant, mais il n’y en avait pas beaucoup. Ce sont des projets faits par des profs libristes et, du coup, c’est un moment pour montrer ces projets en Libre, par exemple montrer qu’on a participé à OpenStreetMap, montrer ce qu’on a créé. Je me souviens d’une application qui permettait de s’entraîner sur des oraux en français par exemple, pour les premières qui passent leur examen, le bac.
Rémi Robilliard : Si tu retrouves le nom, ça peut peut-être intéresser certains auditeurs.[Mon-oral.net]
Charlotte Thomas : Oui, si je retrouve le nom. J’essaye de retrouver le nom et je te l’enverrai par mail au pire.
Étienne Gonnu : On fait comme ça. On le rajoutera à la liste des nombreuses ressources que vous avez déjà partagées.
Charlotte Thomas : Ce logiciel était très intéressant, il m’a marquée pendant ces journées.
Rémi Robilliard : Comme quoi, encore une fois, le Libre c’est vraiment le partage de connaissances afin d’apprendre et de mieux comprendre, que ce soit le monde ou les études, que ce soit dans cette journée où on peut présenter les différents projets. Encore une fois, c’est vraiment donc le corps enseignant ou le corps étudiant qui va travailler là-dessus.
Charlotte Thomas : On ne s’en rend pas compte mais, surtout la fac, il y a énormément d’initiatives étudiantes, spontanées, sur créer un nouveau logiciel. C’est très commun. Dans ma promo il y a aussi deux autres projets, des petits projets, je ne les connais pas, je ne sais pas ce qu’ils font. Par exemple, une de mes amies a développé, pour s’entraîner, un solveur d’équations logiques et il est entièrement libre, disponible sur son git et selfhost aussi.
Donc le Libre ce ne sont pas que certaines personnes dans les facs, ça touche vraiment tout le monde. Les étudiants font leur projet, le mettent à disposition de tout le monde, par exemple pour s’entraîner à utiliser du Haskell – Haskell est un langage de programmation fonctionnel. Pour s’entraîner à utiliser un langage ils font un projet et, après, ils le mettent en Libre. Il y a, comme ça, énormément de projets libres disponibles, faits par les étudiants et par le corps enseignant aussi, il ne faut pas oublier.
Rémi Robilliard : Comme j’ai pu citer un peu plus tôt, comme Linus Torvalds qui a fait, pour s’entraîner, le système d’exploitation Linux, qui l’a mis en ligne comme ça, sans trop savoir, en disant juste « c’est un petit projet, un petit hobby » qui, au final, est devenu un des OS les plus utilisés sur les serveurs. Quand vous vous connectez à votre site internet peut-être que vous êtes sur un noyau Linux.
Charlotte Thomas : C’est un des noyaux les plus utilisés.
Rémi Robilliard : On va éviter de faire des trucs trop pointus dans cette émission.
Étienne Gonnu : Peut-être préciser ce qu’est un noyau. Souvent nous disons GNU/Linux pour rappeler, effectivement qu’il y a ce noyau et tout le système, aussi, qui se construit autour. C’est peut-être intéressant aussi de savoir ce qu’est un noyau informatique, puisqu’on parle de graine de libriste, c’est aussi une forme de graine à l’intérieur du système. C’est quoi le noyau ?
Charlotte Thomas : Le système c’est toi qui connais.
Rémi Robilliard : Je vais simplifier, les puristes, ne me tapez pas s’il vous plaît !
Le noyau c’est le tout premier programme qui va se lancer au démarrage de l’ordinateur et qui va permettre de faire communiquer votre matériel, votre souris avec votre écran. Quand vous allez bouger la souris, donc le curseur, il va passer par le noyau qui va interpréter les signaux et qui va les renvoyer pour l’écran. Ça c’est Linux et la surcouche GNU c’est un ensemble d’outils développés par, encore une fois, le projet GNU, toujours eux, qui, en fait, plein d’outils qui permettent d’utiliser le noyau Linux plus facilement.
Charlotte Thomas : Il existe des OS qui sont Linux mais sans la surcouche GNU. Par exemple Android tourne sur Linux comme noyau, une vieille version de Linux je crois.
Rémi Robilliard : J’ai un petit doute là-dessus. Je sais par contre que Alpine Linux, par exemple, utilise un autre système que GNU, mais majoritairement c’est la surcouche GNU qui est encore utilisée actuellement.
Charlotte Thomas : Elle est utilisée quasiment sur tous les OS qu’on appelle Linux ; quand on fait un gros amalgame « Linux », la majorité sont des noyaux Linux avec une surcouche GNU.
Rémi Robilliard : Les noyaux c’est aussi quelque chose qu’on va étudier à l’université, je pense notamment à un projet que j’ai pu avoir lors de mon master où on a dû manipuler un noyau, là aussi libre, Nachos, qui est sous BSD ou Apache, je ne sais plus, encore des licences ; ce sont des précisions pour ceux qui aiment bien ça, il y en a beaucoup, il y a énormément de licences. On a donc pu modifier ce noyau, Nachos, grâce à ces licences libres, on a pu étudier son comportement, donc le porter sur une nouvelle base de code beaucoup plus récente, là aussi sous licence libre. Encore une fois, le Libre permet d’apprendre et de partager des connaissances comme ça.
Charlotte Thomas : Tu peux dire le nom, c’est assez drôle !
Rémi Robilliard : On a essayé de rester dans le thème de la cuisine mexicaine avec notamment Burritos.
Étienne Gonnu : Je vais me permettre une question avant de faire une pause musicale, si ça te va, Rémi. Tu as dit que tu étais aussi étudiant à l’ISTIC, c’est le cas de Charlotte encore en ce moment. Charlotte, tu disais que tu avais des camarades de promo qui avaient des projets libres, toi tu disais que tu avais étudié sur un OS libre. Est-ce qu’une place importante est donnée au Libre dans cette faculté ? Ça peut être intéressant. Est-ce que vous pensez que c’est une exception par rapport à d’autres facultés informatiques ? Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion d’échanger avec des étudiants et étudiantes d’autres facultés en France. À quel point est-ce une exception ou, plutôt, une norme ? Quel est votre ressenti là-dessus ?
Rémi Robilliard : Tu veux commencer Charlotte ?
Charlotte Thomas : Avant d’être en licence j’ai fait une prépa à Bordeaux, donc j’étais effectivement inscrite à l’université de Bordeaux. De ce que j’ai vu sur le guide de la faculté d’informatique de Bordeaux, UFR Informatique, il y avait beaucoup moins de projets étudiants. Par contre, je n’ai pas beaucoup parlé à des étudiants et, en prépa, même avec l’option informatique, on ne faisait que deux heures de vraie info, du coup j’étais la seule avec des projets assez gros.
Rémi Robilliard : Je vais parler un peu plus de la faculté parce que j’ai fait ma licence et mon master là-bas ; j’ai aussi fait un IUT avant, je pourrai peut-être revenir sur l’aspect libre de cet IUT un peu plus tard. À l’ISTIC ce n’est pas vraiment poussé, mais si on veut utiliser du Libre, on peut utiliser du Libre, mais il y a toujours des solutions un peu propriétaires comme Teams, même si j’aurais préféré Mattermost, qui est utilisé laboratoire auquel est rattaché l’ISTIC, ce qui est un peu paradoxal parfois. On utilise aussi Moodle, une plateforme libre aussi, pour gérer les devoirs, un peu comme Pronote. Souvent nos enseignants ne vont pas forcément promouvoir ce logiciel libre.
Par contre, à mon unité de Vannes, on avait un enseignant qui a cofondé Kaz, le chaton que j’ai cité un peu plus tôt — monsieur Merciol, si vous nous écoutez, je vous salue. Il nous expliquait ce qu’est le Libre, il essayait de nous donner cette petite graine qui n’a pas forcément germé chez tout le monde, en tout cas chez moi elle a bien grandi. Je pense qu’on fait partie quand même des universités qui sont assez ouvertes là-dessus. Si on veut utiliser du Libre, ça ne leur pose pas de souci. Je connais notamment certaines écoles d’ingénieurs où c’est beaucoup plus fermé.
Charlotte Thomas : Pour avoir été en prépa, je connais beaucoup de gens en école d’ingénieur actuellement et le Libre ce n’est vraiment pas un truc qu’ils connaissent. Ils sont tous sur Windows, ils sont tous à utiliser Microsoft Office. Voilà !
Rémi Robilliard : Bien sûr, ça varie selon les écoles d’ingénieurs, on ne vise pas tout le monde, il y a les bonnes et les mauvaises écoles d’ingénieurs.
Étienne Gonnu : On laissera chacun méditer sur la différence entre les deux.
Je vous propose de faire une pause musicale avant de continuer cet échange. Je vous propose d’écouter Nigth par Cloudkicker. On se retrouve dans environ deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Nigth par Cloudkicker.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Nigth par Cloudkicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Nous avons le plaisir, aujourd’hui, de vous proposer une émission « Graine de libriste » où on laisse la parole à des jeunes personnes qui s’engagent pour le logiciel libre et les libertés informatiques. Je vais donc, de ce pas, rendre la parole à Rémi Robilliard, développeur fraîchement diplômé de l’ISTIC, faculté d’informatique de Rennes, qui échange avec Charlotte Thomas, étudiante en licence 3 à l’ISTIC.
N’hésitez pas à participer à la conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Rémi Robilliard : Merci Étienne.
Nous sommes de retour, nous allons continuer ce petit échange avec Charlotte.
Charlotte, en début d’émission, tu nous as dit que tu as beaucoup de projets que tu mets sous licence GPL. Est-ce que tu veux parler un petit peu de ces projets ou d’autres projets libres auxquels tu participes comme OpenStreetMap, une alternative libre à Google Maps où tout le monde peut venir contribuer : si la route qui est devant chez vous n’est pas dans Google Maps vous pouvez la rajouter dans OpenStreetMap si elle n’y est pas déjà.
Charlotte, est-ce que tu as d’autres d’autres projets libres ? Est-ce que tu contribues à d’autres projets sur ton temps libre ?
Charlotte Thomas : Je vais vous parler de quelques projets, dont un qui me tient particulièrement à cœur.
En ce moment, je me suis mise à Typst [Prononcé Typist, NdT]. Si vous n’avez pas suivi la première partie, c’est un peu un logiciel qui est voué à remplacer LaTeX, c’est un peu compliqué, c’est, en gros, un logiciel pour faire des PDF, pour écrire des PDF. En fait, j’ai fait beaucoup de templates, des documents pré-remplis pour qu’il soit plus simple de faire des documents en informatique. Par exemple, j’ai fait un template qui permet d’écrire des statuts d’association, parce que, pour des associations c’est un peu spécial, il ne faut pas écrire « Grand 1 », il faut écrire « Titre 1 » et il ne faut pas écrire « Petit 1, Petit 2, Petit 3 », il faut écrire « Article 1, Article 2, Article 3 ». J’ai donc fait un template pour que ça puisse être fait. J’ai un peu contribué à la communauté Typst en faisant ce projet associatif, c’est très français, c’est du template pour les associations françaises.
Rémi Robilliard : Il faut bien que tout le monde puisse utiliser le logiciel libre que ce soit spécifiquement les Français, que ce soit spécifiquement les Allemands. Ce qui est bien avec le logiciel libre c’est que tout le monde peut venir mettre un peu sa patte pour avoir un logiciel qui permet de remplir beaucoup de cas d’utilisation, où chacun vient compléter le projet, le modifier, le mettre à jour.
Charlotte Thomas : J’ai fait la version pour les Français et peut-être que ça incitera des personnes à faire un template pour les associations en Alsace-Moselle puisque c’est un peu différent, ce n’est pas la même loi, en 1901, l’Alsace-Moselle n’était pas en France, c’est la loi de 1908, si je me souviens bien, ou par exemple pour une association en Angleterre ou, j’allais dire en Bretagne, ou en Allemagne par exemple.
Rémi Robilliard : C’est donc le principal projet auquel tu as pu contribuer récemment ? As-tu fait d’autres choses, d’autres projets encore ?
Charlotte Thomas : C’est le principal projet que j’ai fait récemment. En ce moment, je suis plus centrée sur mes études et sur mon association étudiante. Mais, le plus gros projet auquel j’ai participé dans ma vie, c’est Omega.
Rémi Robilliard : Tu vas pouvoir nous raconter un petit peu l’histoire d’Omega, en expliquant quand même d’où ça vient.
Charlotte Thomas : Omega fait partie de la calculatrice qui s’appelait NumWorks, une calculatrice française, construite en Chine mais française, designée en France. Ils avaient dit qu’ils allaient la faire en logiciel libre. Il se trouve que leur code était en CC By NC ND, je ne vais pas tout vous détailler, mais, en gros, ça veut dire qu’on ne peut pas récupérer le code.
Au bout d’un moment ils ont changé en SA, Share Alike, qui veut dire qu’on doit partager avec la même licence, donc c’était un peu plus ouvert.
Donc, avec des amis, on a pu faire une modification du firmware de la calculatrice. Comme il s’appelait Epsilon, on a décidé de l’appeler Omega. Dans Omega, des gens faisaient des choses magnifiques, des gens qui jouaient avec du code très bas niveau, donc très proche du processeur pour faire des CAS, des logiciels qui savent faire des maths ; ce sont des logiciels pour faire des maths difficiles, pour des limites et tout. En fait, j’ai juste ajouté les unités et les constantes, j’étais la constante. J’ai ajouté 230 constantes, ce qui faisait que c’était la calculatrice avec le plus de constantes de l’histoire des calculatrices graphiques lycéennes.
C’est une entreprise que j’ai bien aimée, j’ai eu beaucoup de fun avec tous les développeurs d’Omega, je leur parle toujours, toujours très active sur leur serveur. Malheureusement, depuis la version 16 d’Epsilon, NumWorks a fait un retour et a mis complètement la licence en copyright, donc on ne peut plus la modifier et partager des données, on ne peut plus modifier et partager de nouvelles versions parce que, maintenant, tout est en logiciel propriétaire. Ils ont fait ce déplacement à cause du mode examen, parce que c’était théoriquement possible de modifier le code pour faire un by-pass, pour aller autour, pour contourner le mode examen. Comme c’était théoriquement possible, ils ont fermé le code pour que les autorités, pas françaises, portugaises, soient gentilles.
C’était mon projet qui me tenait le plus à cœur. Malheureusement, maintenant c’est fermé, on ne peut plus participer et c’est vraiment dommage. Et du jour au lendemain, sans nous prévenir, même Texas Instruments prévenait les gens.
Rémi Robilliard : Ça montre bien que le logiciel libre permet de faire de magnifiques choses, comme la calculatrice avec le plus de constantes, comme tu viens de dire, mais à côté les entreprises peuvent toujours fermer le code, donc on va avoir une calculatrice qui va être « moins performante », entre guillemets, et on n’aura pas de nouvelles contributions de ce style vu que le code est fermé.
Charlotte Thomas : En fait, c’est plus une question de fonctionnalités ; on apportait le système. Comme je l’ai dit, c’est un logiciel pour faire des maths et les calculatrices qui savent faire ça coûtent 150 euros et c’est parfaitement légal, en France, avec le mode examen, d’avoir un CAS. Ça veut dire que les gens qui peuvent payer une calculatrice 150 euros ont droit à quelque chose de plus fort que les gars qui payent les calculatrices 80 euros. Omega permettait d’égaliser les chances entre les personnes, pour que les gens qui achètent une calculatrice 80 euros, ce qui est quand même déjà un gros prix – on ne va pas va mentir, pour trois ans d’études c’est assez gros comme prix –, pour leur permettre d’avoir un CAS pour pouvoir être plus à égalité avec les gens qui peuvent acheter une HP Prime ou une TI-Nspire CX CAS ou etc. C’était pour vraiment mettre à égalité les gens. Maintenant ce n’est plus possible !
Rémi Robilliard : Est-ce que tu as eu des retours de lycéens qui ont pu utiliser cette fonctionnalité pour être sur le même pied d’égalité avec une personne qui avait un plus gros portefeuille ?
Charlotte Thomas : Plusieurs lycéens, dans notre serveur, ont fait des retours.
On utilisait le logiciel Giac, fait par le professeur Bernard Parissse à l’Institut Fourier à Grenoble. Giac est un logiciel libre français, sous AGPL [Affero General Public License], le moteur de calcul formel derrière est libre, il est fait par un Français. On a eu des retours de gens qui étaient très intéressés. En fait, plus que calculer la réponse, ça permet de vérifier son résultat ou de s’amuser avec les maths. On pouvait s’amuser avec : par exemple qu’est-ce qu’une dérivée partielle ou comment on résout des équations différentielles. Ça permettait de s’amuser avec les maths, donc d’ouvrir les maths à plus de gens, parce que, à mon sens, il faut rendre les maths plus ludiques qu’elles ne le sont actuellement.
Donc, au lieu de devoir payer 150 euros le logiciel, puisque le matériel ne vaut plus rien, c’est le même depuis 30 ans, on pouvait avoir cette même fonctionnalité sur des calculatrices bien moins chères, ce qui rendait la NumWorks très compétitive. Beaucoup de gens ont été très déçus par ce changement, surtout, comme moi, des gens à qui on a vendu, dès le départ, que c’était une calculatrice ouverte. J’ai acheté les deux modèles de la NumWorks, parce que c’était une calculatrice ouverte et que je voulais supporter le modèle français. La fermeture du logiciel a donc été prise un peu comme une trahison de ce qu’ils ont dit au début. On va dire qu’ils ont changé de ligne éditoriale.
Rémi Robilliard : Encore une fois l’aspect compétitif qu’on retrouve dans les entreprises et l’aspect libre de partage de connaissances se cristallisent bien dans ce genre de combat. On a une calculatrice, comme tu l’as dit, qui était je ne dirais pas pas chère, mais moins chère que la concurrence, avec plus de fonctionnalités, qui permettait à tout un chacun de découvrir un petit peu, de s’amuser avec les mathématiques, et d’un coup, crac, on n’a plus rien, ce n’est plus possible, pour pouvoir conquérir d’autres marchés.
Charlotte Thomas : C’est ça, c’est pour pouvoir conquérir le marché portugais. À la fin, le monde de la compétition a gagné cette bataille, par rapport au Libre.
Rémi Robilliard : Espérons qu’on aura d’autres projets libres dans ce sens, qui vont gagner cette fois les batailles.
Étienne Gonnu : Ça me paraît très intéressant, comme illustration, de rappeler que le logiciel libre est une lutte, on lutte pour les libertés informatiques. Il y a parfois des intérêts contraires aux nôtres, d’où l’importance de lutter. Ça nous fait chaud au cœur quand des étudiants, des étudiantes, des personnes plus jeunes relèvent cette lutte, on va dire, continuent à apporter leur graine, leur brique à l’édifice. Comme tu l’as déjà dit « la voie est longue, mais la route est libre », donc on reste optimiste et combatif.
Charlotte Thomas : Il y a un autre projet de calculatrice libre fait par d’anciens étudiants. Le projet s’appelle Symbolibre et c’est un projet de l’ENS, de l’École normale supérieure de Lyon, par des étudiants en master informatique fondamentale. Ils développent un logiciel complet, avec un CAS complet, du départ, logiciel d’exploitation avec le firmware open source, avec le hardware, donc le physique, open source, tout est open source, tout peut être imprimé en 3D, tout peut être acheté, tout peut être construit. On peut construire sa propre calculatrice. Ça s’appelle Symbolibre avec un « y ».
Rémi Robilliard : Ça permet aussi de baisser les coûts de fabrication et d’amener la connaissance dans des mains pour qui ça n’aurait pas forcément été possible à cause de problèmes d’argent. C’est aussi pour cela, en tant qu’étudiant, que j’aime beaucoup le Libre : ça amène la connaissance à n’importe qui, vu que le Libre ne demande pas vraiment d’argent. Bien sûr, le Libre n’est pas forcément gratuit. On peut citer des exemples, notamment un jeu vidéo dont j’ai oublié le nom, où le code est libre, mais il faut pouvoir payer pour accéder au serveur, sinon tu montes le tien à côté, il n’y a pas de souci pour ça, le code accessible.
Charlotte Thomas : On paye l’utilisation du serveur, ce qui est compréhensible vu qu’un serveur ça coûte cher.
Rémi Robilliard : Exactement. En fait, le Libre permet de donner à tout le monde les mêmes armes et parfois le Libre, comme tu as pu le montrer avec ta calculette, je reprends cet exemple qui est très parlant, permet d’avoir un gros point contre la concurrence, d’être mieux que ce que pourraient proposer des solutions propriétaires comme Texas Instruments entre autres.
Charlotte Thomas : C’était mon projet, celui que j’ai le plus aimé. Je suis toujours contente d’y avoir participé, ça a été un très bon usage de mon temps, même si je n’ai fait que rajouter des constantes à la fin, j’ai failli ajouter « Constance » dans mon prénom !
Rémi Robilliard : Je voulais aborder un autre passage aussi, les contributions. Comme tu l’as expliqué, on peut contribuer à des projets, à des gros projets, quand on est étudiant.
Je vais raconter un petit peu mon histoire, parce que c’est quelque chose qui m’a beaucoup bloqué au début : je voulais contribuer au Libre, mais je n’avais pas forcément les compétences que ce soit donc en développement ou en mathématiques comme toi. J’étais un petit peu bloqué, pieds et poings liés, je ne savais pas trop comment faire pour contribuer au Libre. C’est au fur et à mesure, dans les études, qu’on va commencer à comprendre comment marchent certaines choses, quand on utilise certains outils libres on se dit « il manque ça », on va donc commencer à se renseigner, voir comment c’est fait, et ainsi rajouter sa petite brique, donc avoir des logiciels plus étoffés. Je pense notamment à des frameworks visuels, un framework visuel c’est ce qui va permettre de créer une interface de site web.
J’aime bien coder des petits sites web personnels, pour m’amuser, et mon framework ne pouvait pas afficher de calendrier. Qu’à cela ne tienne, j’ai regardé le code et j’ai rajouté un calendrier. C’est comme ça qu’on se dit que le Libre ce n’est pas si compliqué, il faut juste avoir une seule petite fonctionnalité à rajouter et c’est possible.
Même en tant qu’utilisateur qui ne sait pas coder, il suffit de remonter ça aux développeurs qui, sur leur temps libre, vont rajouter cette fonctionnalité.
Même si vous ne savez pas coder il ne faut pas avoir peur. Si vous apprenez, vous allez finir par la rajouter, par voir comment ça marche.
Si vous ne savez pas coder tout court parce que ce n’est pas votre métier, utilisez-les, cassez-les, renvoyez les bugs, renvoyez les problèmes, indiquez les fonctions qui manquent aux développeurs pour qu’ils puissent compléter tout ça.
Je me souviens de très bons sites qui expliquent justement « je ne sais pas coder, comment contribuer à la culture libre ? », la culture libre en prenant en compte aussi, comme on a dit, les dessins, les musiques, OpenStreetMap aussi. En fait, il y a plein de façons de contribuer quand on aime cette culture. Par exemple pour OSM, vous pouvez utiliser StreetComplete sur Android, une application qui permet de rajouter des points sur OpenStreetMap. Par exemple vous avez une route, vous pouvez dire « la route a trois voies », ce qui va permettre au GPS d’être un peu plus précis et de pouvoir mieux guider les utilisateurs.
Charlotte Thomas : Je rebondis sur cela. C’est vrai que c’est très important de savoir qu’on peut participer à un logiciel libre, comme tu l’as dit, rien qu’en l’utilisant.
Il faut pas oublier que pour la très grande majorité des logiciels libres, les développeurs sont bénévoles ou ils ont quelques dons de la part des utilisateurs, mais, sauf quelques exceptions rares, on peut citer par exemple Linux, ils ne sont pas payés à plein temps pour faire ça, donc ça prend un peu de temps. Il faut accepter que ça prenne un peu de temps pour qu’un bug soit corrigé, mais on sait que dans le logiciel libre le bug sera corrigé soit par le développeur lui-même soit par quelqu’un qui aura décidé de le faire, qui dira « je pense savoir comment corriger ce bug, du coup je vais proposer aux développeurs ma version du code avec le code corrigé. »
Rémi Robilliard : En effet, c’est une autre façon de contribuer. C’est pour ouvrir les horizons à tous ceux qui ne savent pas coder, qui peuvent nous écouter. Il n’y a pas que le code dans le logiciel libre, on parle souvent de logiciel libre, mais il ne faut pas oublier la culture libre qui regroupe beaucoup plus de choses comme Wikipédia aussi. Je n’ai pas cité Wikipédia, c’est une ressource libre, vous pouvez contribuer, c’est sous une licence particulière, je ne sais plus laquelle. [Creative Commons Paternité et Partage à l’identique CC-BY-SA et GFDL, GNU Free Documentation License, NDT].
Étienne Gonnu : Je vais rajouter qu’on peut contribuer également à la documentation, notamment au guide utilisateur, après tout, les utilisateurs et les utilisatrices sont les plus experts de leur utilisation et c’est aussi des manières de contribuer, il y a de beaux exemples de contributions comme ça.
Charlotte Thomas : Il n’y a pas que le code. Rien qu’en utilisant un logiciel libre, vous pouvez remonter des bugs aux développeurs, vous pouvez remonter des idées pour quelque chose de plus, vous pouvez remonter ttout un tas de choses. Le logiciel libre ouvre à plein de choses. En l’utilisant vous pouvez vous dire « j’aimerais bien faire ça » ; si vous le dites au développeur le développeur dira « c’est intéressant » et il le fera, peut-être.
Rémi Robilliard : Sinon vous pouvez demander à votre ami développeur de faire une fonctionnalité pour vous et de la proposer. Vous pouvez déléguer les tâches.
Je trouvais important de parler de ça, parce que, en tant qu’étudiant, ancien étudiant maintenant, qui aimait beaucoup cet aspect-là, c’est quelque chose qui m’a beaucoup frustré au début : je n’arrivais pas à contribuer alors qu’en fait on a énormément de possibilités pour cela.
Charlotte Thomas : Il ne faut pas oublier aussi que le Libre ce ne sont pas que des d’applications. Beaucoup de personnes font de l’art, par exemple des images gratuites pour être utilisées dans des logiciels sous licence libre, en général c‘est une dérivée de la Creative Commons.
Rémi Robilliard : Les fameux CC By, dont on parle pour des musiques. Comme Étienne l’explique très bien à chaque pause, ça permet de redistribuer sous certaines conditions : il faut citer l’artiste, mettre un lien vers la musique, préciser s’il y a eu des modifications ou pas.
Charlotte Thomas : Préciser si on peut faire de l’argent avec ou pas.
Rémi Robilliard : Aussi. Souvent, c’est un peu à part dans le Libre. Je vais éviter d’aller sur cette notion parce que c’est une notion qui peut être un peu complexe à prendre en main.
Étienne Gonnu : Le logiciel libre permet toute réutilisation, y compris commerciale, je pense qu’on peut le résumer de cette manière.
Rémi Robilliard : Dans les licences CC, il y a une licence qui va interdire la commercialisation, c’était plutôt pour ça ; certains considèrent que c’est du Libre, d’autres non.
Étienne Gonnu : On va dire que l’école classique considère que les CC By et les CC By SA, donc ce SA qui parle de copyleft, de partage à l’identique que vous avez un peu développé tout à l’heure, comme celles qui respectent les quatre libertés du logiciel libre, si on veut être rigoureux, pointilleux.
Charlotte Thomas : Le Libre c’est aussi l’art, c’est aussi la musique, c’est aussi tout un tas de choses. Il y a des BD qui sont qui sont dans le domaine public.
Rémi Robilliard : Je pense notamment à David Revoy, qui fait, entre autres, les dessins pour Framasoft, qui a notamment une bande dessinée qui s’appelle Pepper&Carrot qui est sous licence libre.
Charlotte Thomas : Celle qui a été distribuée aux Journées du Libre Éducatif, je pense.
Rémi Robilliard : Il y a de fortes chances.
Charlotte Thomas : Qui a été traduite depuis l‘allemand.
Rémi Robilliard : Là tu m’as perdu !
Charlotte Thomas : Bref ! Il y a plein de projets. Je sais qu’il y a un projet, on en a parlé au Libre Éducatif, où des étudiants ont traduit en français un livre qui était en allemand, un livre qui était sous licence libre, qu’ils ont publié en français sous licence libre. [Il s’agit du projet de traduction collaborative par des élèves du livre Ada & Zangemann d’origine allemande, NdT].
Rémi Robilliard : Encore une fois le Libre partage la culture, là on passe de l’allemand au français. Je pense notamment à un livre, récemment, qui raconte l’histoire d’une petite fille avec son grand-père qui découvrent le logiciel libre, qui est aussi sous licence libre, qui a été traduit dans pléthore de langues. Encore une fois, c’est comme David et ses bandes dessinées qui sont traduites dans énormément de langues grâce à cette licence, puisque n’importe qui peut venir, modifier les cases pour rajouter une autre langue et ce n’est pas illégal. Grâce à cette licence c’est complètement légal et ça permet d’ouvrir l’horizon des bandes dessinées et de faire participer la communauté.
Charlotte Thomas : Par exemple, j’écris un roman, pas très bon parce que je ne suis pas très bonne romancière, qui est en CC By NC SA, donc usage non-commercial et Share Alike, partage à l’identique.
Rémi Robilliard : Pour ma part, j’écris parfois certains petits articles de blog où je parle un peu technique et ils sont tous sous CC By SA.
Même les étudiants peuvent faire du Libre, même les étudiants produisent des choses, ce n’est pas réservé aux grands artistes, n’importe qui peut produire un petit quelque chose et le partager au monde facilement sous ces licences, donc permettre à n’importe qui de le reprendre, de le modifier, de le remixer, de voir un petit peu ce que ça donne, donc, en quelque sorte, de faire vivre l’œuvre aussi. Je pense que le plus important, avec le Libre de manière générale, c’est de faire vivre les œuvres. Il ne faut pas avoir peur que l’œuvre nous dépasse, qu’on perde le contrôle, parce que le Libre c’est ça, c’est le partage à tout le monde.
Charlotte Thomas : On en revient à ce que je disais au début, ce que j’aime c’est la liberté d’information comme étant une liberté « naturelle », entre guillemets, une liberté fondatrice des humains, la liberté d’information.
Rémi Robilliard : Exactement. Je vais conclure rapidement juste avant de rendre l’antenne à Étienne. Comme vous avez pu voir, le Libre c’est quelque chose que n’importe qui peut faire, que vous soyez un étudiant, un collégien, une personne âgée, tout le monde peut le faire. Ça permet aussi d’ouvrir beaucoup d’opportunités et de faire de belles rencontres, comme a pu expliquer Charlotte au sein du laboratoire. Peut-être que d’ici d’ici 30 ans on fêtera l’anniversaire de votre projet qui était juste un petit hobby, qui ne sera pas aussi grand et professionnel que Linux, on verra bien.
Étienne Gonnu : Il vous reste deux/trois minutes. Peut-être que Charlotte veut nous redire, en deux minutes, ce qui est, pour elle, l’essentiel qu’elle souhaiterait que les gens qui nous écoutent retiennent de ses propos. Il nous reste à peu près deux minutes.
Charlotte Thomas : Je vais dire que l’essentiel c’est la liberté d’information comme étant une liberté fondamentale de l’homme, de la femme, des enfants, tout le monde.
Pour moi c’est la liberté d’information, pour moi c’est la culture du Libre qui est très importante, partager. Je ne l’ai pas dit, mais quand j’ai créé donc Baguett#, dont on a parlé tout à l’heure, j’ai eu des retours de développeurs de plein de laboratoires dans le monde, de Tokyo, qui m’en ont parlé.
Étienne Gonnu : C’est super. Il reste deux minutes, j’ai une dernière question parce qu’elle est vraiment dans l’air du temps et pour avoir votre perspective d’ancien étudiant fraîchement diplômé et d’une personne qui étudie encore : dans votre rapport à l’informatique et à l’informatique libre, est-ce que vous avez le souci d’une informatique durable, d’une informatique qui s’inscrit dans le contexte de dérèglement climatique actuel ? Est-ce que ça occupe aussi une part de vos réflexions dans votre rapport au logiciel libre ? C’est une question hyper-vaste et je vous laisse très peu de temps pour répondre.
Rémi Robilliard : On va se dépêcher. Tout d’abord moi je n’utilise quasiment que du reconditionné, des PC de seconde main, mes PC principaux ont maintenant 12 ans, ils datent de 2011/2012, ils marchent toujours très bien. Je suis une personne qui aime beaucoup ouvrir les onglets dans Firefox, j’en ouvre facilement une bonne centaine et aucun souci, je peux aussi regarder des vidéos, il n’y a aucun problème. Je pense aussi que logiciel libre permet de conserver et d’éviter de jeter. Encore une fois mon PC à dix ans, il fonctionne très bien, il n’y a pas de souci. Je pense aussi aux applications. J’avais un téléphone avec très peu de place dessus et il n’y avait que des logiciels libres tout petits, qui faisaient 40 mégaoctets, là où les grosses applications en faisaient 500 et je n’avais pas la place pour les installer. Ça m’a permis de conserver mon téléphone pendant cinq ans au lieu de le jeter après deux ans parce qu’il aurait été inutilisable à cause du manque de place.
Étienne Gonnu : Super.
Charlotte Thomas : Pour moi c’est dans l’air du temps, j’en discute aussi beaucoup avec mon asso. On a des réunions pour la réduction des déchets. Personnellement j’essaye de réduire mon empreinte carbone en allant en train, je ne prends pas trop l’avion, de toute façon je n’ai pas l’argent ; je prends le train quand je peux, je fais attention à mon électricité. Dans le logiciel, je fais tourner des sites web, par exemple, qui sont très basse consommation, ce ne sont pas des sites web très lourds, ce sont des sites web qui sont de simples pages, ça prend moins de puissance de calcul, donc moins de consommation de serveur après. J’essaye de faire attention.
Étienne Gonnu : OK. Ce sont de bons exemples de gestes qu’on peut faire, d’actions qu’on peut mener aussi dans des cadres collectifs comme les associations. Je pense que ce sont les actions dans les cadres collectifs qui sont sans doute les plus importantes.
En tout cas merci d’avoir répondu de manière aussi concise à une question hyper-large qui aurait pu faire toute une émission.
C’était un vrai plaisir de vous écouter tous les deux. Je vous souhaite bon vent dans vos aventures libristes à venir.
Nous allons à présent faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous allons écouter Nomad par MELA. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Nomad par MELA.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : De retour sur Libre à vous !, sur radio Cause Commune. Nous venons d’écouter Nomad par MELA, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Je suis toujours Étienne Gonnu pour l’April et nous allons passer au dernier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Les humeurs de Gee » - « Les fracturés du numérique », chronique enregistrée le 15 novembre 2022
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec la chronique « Les humeurs de Gee ». Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille, nous expose son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.
D’ailleurs, pendant la pause musicale j’échangeais avec Rémi. Je lui ai demandé s’il connaît Gee, il m’a dit oui. Par Mastodon, qui est un réseau social, il a fait remonter un petit problème sur le blog-BD Grise Bouille à Gee qui a pu, je pense, corriger le problème. Voilà une autre manière, assez simple, de contribuer.
Gee nous parlera la semaine prochaine de ses déboires avec FranceConnect, dont il a parlé justement aussi sur son blog. En attendant, pour nous remettre dans l’ambiance, je vous propose de réécouter la chronique qu’il nous avait proposée il y a presque un an, en novembre 2022, qui reste toujours terriblement d’actualité : « Les fracturés du numérique ».
On l’écoute et on se retrouve juste après, toujours en direct sur Cause Commune, la voix des possibles.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : Nous allons commencer par une nouvelle humeur de Gee que nous sommes ravis de retrouver avec nous en studio. Salut Gee.
Gee : Salut Étienne. Salut à toi, public de Libre à vous !
Aujourd’hui, je vais commencer par te raconter une anecdote palpitante : il y a quelques jours, c’était la fin du mois d’octobre, donc la date limite pour faire ma déclaration URSSAF trimestrielle d’autoentrepreneur. Je sais, palpitant et URSSAF dans la même phrase, tu sens venir l’embrouille !
C’est vrai que j’ai un poil exagéré, parce qu’en fait il n’y avait rien de palpitant dans cette expérience : j’ai renseigné les quelque 1003 euros que j’avais gagné ce trimestre, j’ai validé le calcul des cotisations et j’ai payé. Oui, 1003 euros sur trois mois, je sais ! Quel requin de la finance ! Prenez garde Bernard Arnault et autre Xavier Niel, j’arrive ! Je plaisante, bien sûr, j’essaie de ne pas laisser tant de succès me monter à la tête.
Pour en revenir au sujet, il n’y avait, je le répète, rien de franchement reversant dans cette déclaration URSSAF. Ça m’a pris 10 minutes à tout casser, puis j’ai quitté le site et j’ai repris le cours de ma vie. Parce que je fais partie de cette catégorie de gens pour qui la numérisation des services publics et des démarches administratives est une bénédiction.
Quand je pense à la génération de mes parents ! Ils devaient se fader leurs feuilles d’impôts à la main, puis les mettre dans une enveloppe, lécher le timbre pour joindre un échantillon de leur grippe saisonnière – ils n’avaient pas encore le Covid à l’époque, les has-been –, envoyer le tout en prenant en compte les délais de la poste pour être sûrs de ne pas dépasser la date limite et croiser les doigts pour que le courrier ne se perde pas en route… Vraiment !, vive la numérisation des démarches administratives. Enfin pour moi. Et pour les gens comme moi. Les gens à l’aise avec l’informatique pour qui utiliser l’ordinateur est une tâche aussi courante que marcher dans la rue, voire plus, pour certaines personnes.
Sauf que contrairement aux adeptes de la Start-up Nation, moi j’ai bien conscience qu’une bonne partie de la population n’a pas cette facilité avec l’informatique, ou n’a pas le temps pour ça, ou s’en fout, parce qu’on a bien le droit de s’en foutre, après tout.
Le souci, c’est que cette numérisation des services publics s’accompagne, en général, d’une réduction drastique de leurs équivalents physiques, voire de leur suppression. Autant je suis bien content de pouvoir faire mes démarches administratives en ligne, autant je déteste l’idée qu’on ne laisse aucune alternative. Pourquoi ? Eh bien parce qu’on laisse alors pas mal de personnes sur le carreau. On appelle ça « la fracture numérique ». Une enquête sur l’illectronisme en France concluait, en 2018, que 23 % de la population française déclarait ne pas être à l’aise avec le numérique. Et selon le Baromètre du numérique, 2018 toujours, 36 % des sondés déclaraient être inquiets à l’idée d’accomplir des démarches administratives en ligne. 36 % !
Qu’on soit bien clair. Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas juste « les vieux ». Ça fait un sacré paquet de monde en fait, 36 %. Bon, et puis pardon, même si c’était juste « les vieux », est-ce que ce serait une raison pour s’en foutre ? Oui, je sais, ils ont voté à 35 % dès le premier tour pour le type qui va flinguer nos retraites alors qu’eux en profitent depuis leurs 60 ans, mais pensons aux autres : les vieux, y’en a des biens !
Et puis je dois dire que même moi qui suis relativement jeune, ingénieur et docteur en informatique de formation, je suis parfois atterré par les extrémités auxquelles cette numérisation à marche forcée nous pousse. Ainsi, récemment, j’étais à la gare de Nice pour prendre un train pour Cannes. Comme les automates étaient pris d’assaut par de longues files de voyageurs, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai fait au plus « simple », entre guillemets, j’ai téléchargé l’appli SNCF Connect sur mon smartphone, j’ai passé des plombes à entrer mes infos personnelles, ma carte bancaire, à chercher le train avec le bon horaire puis, enfin, à réussir à réserver un billet. Le tout debout, comme un con, dans une gare bondée où aucun guichet n’était ouvert, là où il y a quelques années encore, j’aurais pu tout simplement tendre un bifton au guichet et sauter dans le premier TER venu.
Est-ce que là, on n’aurait quand même pas un peu vrillé sur la numérisation ? Encore une fois, télécharger une app et entrer des infos dedans, ça m’a un peu gonflé vu le côté ubuesque de la situation, enfin ça va, je gère. Mais, vous imaginez les gens qui galèrent ?
Eh bien, pour les gens qui galèrent, la dernière extrémité s’appelle « l’abandonnisme ». En gros, face à un numérique que tu n’arrives pas à utiliser, tu lâches l’affaire. Dans mon exemple, tu ne prends pas le train, mais tu peux aussi laisser tomber des démarches à la CAF ou t’abstenir de faire une réclamation quand EDF se plante sur ta facture d’électricité. Et ça, ça concerne 19 % de la population française ! 19 % qui a déjà renoncé à quelque chose parce que ça impliquait l’utilisation d’Internet ! Une personne sur cinq ! Une personne sur cinq, c’est énorme ! Vous imaginez les Spice Girls sans Geri Halliwell ? Ou les Beatles sans Pete Best ? Non, ça n’est pas un bon exemple !
Bon, je me répète, mais ça concerne toute la population, y compris la jeune génération. Vous savez, celle qu’on dénomme par cette expression débile de digital native ; Digital native and my ass is chicken ! Sous prétexte que les mômes sont nés avec un iPhone dans les mains, sous prétexte qu’ils passent des heures sur YouTube quand nous on passait des heures devant Les Minikeums, ça leur donnerait automatiquement des compétences en administration numérique ? Comme ça, par magie ! Pouf, tu fais trois vidéos TikTok et, spontanément, tu sais demander des APL [Aide personnalisée au logement] en ligne ou t’inscrire sur les listes électorales ?
Eh bien non, ça marche pas comme ça ! Le numérique ça s’apprend, et apprendre des choses, ça demande du temps et de l’argent. Le problème c’est que le temps et l’argent c’est précisément ce que les administrations publiques cherchent à économiser en remplaçant à tour de bras des services physiques par du dématérialisé. Résultat, on remplace ton guichetier par une boîte vocale qui ne pige jamais rien à ce que tu lui dis, ou par un site web abscons pour qui n’a pas bac + 2 en informatique, et démerdenzizich !
Le coût, comme d’hab, est assumé par le péquin moyen qui aura le choix entre rejoindre les abandonnistes dont je parlais ou subir l’humiliation d’aller se faire aider ou assister dans les Maisons de services au public ouvertes par France services. Oui, parce que l’État a quand même fini par mettre en place des endroits où tu peux te faire aider pour tes démarches. Sauf que, là, tu n’es plus dans le rôle du citoyen qui se rend dans une administration pour y faire ses démarches, tu deviens l’inadapté, l’enfant qui a besoin de papa/maman pour lui montrer comment on utilise un ordinateur, parce qu’il est trop nul pour le faire tout seul ! Bouh !
France services c’est mieux que rien, mais enfin, c’est une béquille qu’on file aux services publics après leur avoir pété les deux genoux.
Moi, en tant que geek, en tant qu’utilisateur enthousiaste du numérique, tout ça me déprime. Avec ce genre de méthode, on braque encore plus toute une population qui n’était déjà pas très favorable au numérique. Et comment lui en vouloir quand cette numérisation devient un outil de plus d’aliénation, là où, avec l’April par exemple, nous militons pour que le numérique soit, au contraire, un vecteur d’émancipation, en permettant aux gens une plus grande maîtrise de leur vie !
Si l’on veut que le numérique soit émancipateur, commençons par rouvrir les services publics et les administrations physiques pour arrêter immédiatement de laisser tant de personnes sur le carreau, puis, prenons le temps de démocratiser réellement l’usage du numérique, avec des investissements conséquents dans l’éducation populaire.
Aliénation, émancipation, démocratiser, éducation populaire, c’est bon !, je crois que j’ai coché toutes les cases sur mon bingo de gauchiste du Web, alors je vais m’arrêter là. J’envoie toute ma compassion et ma solidarité aux fracturé⋅e⋅s du numérique, je souhaite bon courage à celles et ceux qui galèrent avec la numérisation forcée et je vous dis salut !
Étienne Gonnu : Merci Gee. Merci de nous rappeler que l’éthique du logiciel libre est effectivement avant tout une question d’émancipation, que tout usage de l’informatique qui oublie une classe de population, toute informatique qui aliène, doit être combattue. Merci aussi d’avoir rappelé à mon souvenir Les Minikeums, petite madeleine de Proust.
Gee : Je t’en prie.
Étienne Gonnu : J’en profite aussi pour rappeler que si tu interviens bénévolement sur Libre à vous !, tu es un auteur, autoentrepreneur comme tu viens de nous l’expliquer, qui a fait le choix de publier l’ensemble de ses œuvres sous licence libre. Tu fais ça à plein temps, tu n’as pas d’autre activité dite professionnelle. Ta rémunération provient quasi essentiellement du don de tes lecteurs et de tes lectrices ou, dit autrement, du paiement d’un prix libre par celles-ci et ceux-ci en contrepartie de la libre disposition de tes œuvres.
Je vous invite donc chaudement à soutenir Gee si vous appréciez son travail, notamment sa chronique mensuelle. Vous trouverez le lien pour le faire sur la page web de l’émission.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : De retour sur Cause Commune. Nous venons d’écouter une rediffusion d’une « Humeur de Gee » sur les fracturés du numérique. Il reviendra en direct la semaine prochaine pour nous faire part de ses déboires avec FranceConnect. Gee serait-il un fracturé du numérique ? Et je vais me citer moi-même : n’hésitez pas à aller soutenir Gee. La chronique a été enregistrée il y a un an et il a toujours besoin du soutien des personnes qui apprécient son travail. N’hésitez surtout pas à aller le soutenir.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
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Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Étienne Gonnu : Dans les annonces une triste nouvelle de nos amis de Ziklibrenbib. On apprend sur leur site, que je cite : « Après 11 belles années d’existence, le projet Ziklibrenbib devrait tirer sa révérence prochainement. » Ziklibrenbib était, est toujours d’ailleurs, une précieuse ressource pour Libre à vous ! pour trouver des musiques sous licence libre et, bien sûr, une importante contribution pour la culture libre en général, une très belle pépite libre pour citer Jean-Christophe Becquet. Merci et bon vent à toutes ces personnes qui ont fait vivre ce très beau projet.
Si vous ne connaissez pas Ziklibrenbib, nous vous invitons chaudement découvrir ce site et à écouter l’interview que nous avions réalisée avec l’un des cofondateurs du projet, Antoine Viry, dans le Libre à vous ! numéro 33 du 9 juillet 2019.
Actu plus réjouissante. Samedi 21 et dimanche 22 octobre 2023 auront lieu les Journées Open Food Facts qui se tiendront à l’Académie du Climat à Paris. L’événement se déroulera en anglais, toutefois, et c’est assez rare pour être souligné, l’organisation précise qu’il est possible de les contacter si on n’est pas à l’aise avec l’anglais afin d’essayer de trouver des solutions pour pouvoir quand même suivre l’événement. Un formulaire est disponible pour s’inscrire. L’événement est gratuit mais les places sont limitées. Si vous êtes intéressé par ces Journées Open Food Facts, je vous invite vraiment à rapidement vous y inscrire et il est également précisé que des aides sont disponibles pour un coup de pouce pour couvrir d’éventuels frais de déplacement.
Et, comme d’habitude, je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous, ainsi qu’un annuaire des GULL, des Groupements d’utilisateurs et utilisatrices des logiciels libres qui font vivre la culture libre partout sur le territoire.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Xavier Berne, Rémi Robilliard, Charlotte Thomas, Gee.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Thierry Holleville, que je remercie d’autant plus chaleureusement que c’était probablement sa dernière contribution à la régie de Libre à vous !, mais il contribue à d’autres projets à l’April, notamment aux photos de l’April. Nous avons un site sur lequel nous mettons les photos que nous réalisons de nos participations aux différents évènements et aussi celles que nous réalisons pendant l’émission. En plus, une dernière régie sans le moindre accroc, c’était nickel, j’étais vraiment comme un coq en pâte dans le studio.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, ainsi qu’Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complet en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, ou Frédéric Couchet, le délégué général.
Vous trouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm, et c’est vrai qu’il y a eu beaucoup de références pendant le sujet long d’aujourd’hui.
N’hésitez à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons avec plaisir, directement, ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez aussi nous laisser un message sur le répondeur de la radio au 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et également à faire connaître la radio Cause Commune, la voix de possibles.
La prochaine émission aura lieu mardi 24 octobre 2023 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les œuvres littéraires libres et libérées.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 24 octobre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.