Émission Libre à vous ! diffusée mardi 21 novembre 2023 sur radio Cause Commune Sujet principal : Au café libre, actualités chaudes, ton relax, débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Isabella Vanni : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Rendez-vous Au café libre ce mardi pour débattre autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique de Xavier Berne, « Comment obtenir des documents d’urbanisme », et aussi la chronique de Gee sur le thème « Le libre doit-il être communautaire ». Nous allons parler de tout cela das l’émission du jour.

Soyez les bienvenu·e·s pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Notre émission est diffusée, depuis 2018, sur les ondes de radio Cause Commune. Cette diffusion permet de toucher un très large public.
Radio Cause Commune fonctionne grâce à l’engagement des bénévoles, sans personnes salariées, mais a, bien sûr, des frais de fonctionnement. La radio fait face actuellement à de gros soucis pour payer les factures de fin d’année et de début d’année 2024.
Nous vous encourageons, si vous le pouvez, à faire un don pour permettre à radio Cause Commune de continuer à exister et pour nous permettre aussi de continuer à proposer notre émission auprès d’un large public.
Si vous nous écoutez via la bande FM ou le DAB+, aidez Cause Commune à passer ce cap difficile et à faire vivre votre radio locale. Pour nous aider, rendez-vous sur le site causecommune.fm et cliquez sur le bandeau d’appel aux dons.

Nous sommes mardi 21 novembre 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, pour sa première, Élise, avec le soutien, si besoin, de Julie Chaumard. Bonjour Élise. Bonjour Julie.

Élise : Bonjour à tout le monde.

Julie Chaumard : Bonjour. Belle émission.

Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique de Xavier Berne « Découvrez le droit d’accès aux documents administratifs » - « Obtenir des documents d’urbanisme »

Isabella Vanni : Nous allons commencer par la chronique de Xavier Berne « Découvrez le droit d’accès aux documents administratifs ». Xavier Berne, ancien journaliste et actuel délégué général de la plateforme associative Ma Dada, madada.fr. Le thème du jour : « Obtenir des documents d’urbanisme ».
Bonjour Xavier.

Xavier Berne : Bonjour.

Isabella Vanni : Tu nous parles donc de comment obtenir les documents d’urbanisme. À toi la parole.

Xavier Berne : OK. Merci. Effectivement, je vais vous parler aujourd’hui d’autorisations d’urbanisme. Ne prenez pas peur, il y a vraiment des choses très concrètes derrière ces fameux documents, en fait des choses qui nous concernent toutes et tous : la construction des bâtiments, des maisons, des usines, des écoles, des hôpitaux, des immeubles, et aussi des implantations de routes ou d’éoliennes. Derrière les autorisations d’urbanisme, il y a aussi de plus petits travaux, je pense par exemple à votre voisin qui aurait peut-être installé récemment une piscine dans son jardin, même si je vous l’accorde, ce n’est pas trop la saison. Il faut savoir que les mairies délivrent chaque année de très nombreuses autorisations d’urbanisme, notamment des permis de construire et des déclarations préalables, comme on dit dans le jargon administratif.
Peut-être, qu’à première vue, tout cela peut paraître assez banal, anodin. Pourtant, on se rend compte que nos administrations détiennent des documents qui peuvent être vraiment essentiels pour une association qui, par exemple, voudrait se mobiliser contre un projet d’autoroute ou même pour un particulier qui estimerait que les travaux qui ont été faits par son voisin lui portent préjudice.

Isabella Vanni : La question qu’on se pose désormais, c’est comment obtenir ces documents ?

Xavier Berne : On a la chance, en France, d’avoir ce qu’on appelle le droit d’accès aux documents administratifs. Ce droit n’est pas nouveau, il découle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, c’est donc quelque chose d’assez ancien qui permet, aujourd’hui, à tout citoyen, d’obtenir une multitude de documents publics, qu’on dit documents administratifs. Or, malheureusement, ce droit est trop peu connu. C’est dommage parce qu’il est vraiment gratuit, à la portée du plus grand nombre dans le sens où il n’y a pas besoin de formalisme particulier, il n’y a pas besoin de se justifier ni de ne donner de justificatifs particuliers.
La partie la plus délicate, en fait, c’est d’identifier les documents à demander à l’administration.

Tout à l’heure, on parlait d’autorisations d’urbanisme. En fait, les autorisations de type permis ou déclaration préalable, en elles-mêmes, c’est un petit arrêté qui donne assez peu d’éléments. Par contre, il y a plein de documents à côté qui vont permettre d’obtenir plein d’informations très intéressantes. En particulier, pour un permis de construire, on fait un dossier de demande de permis de construire qui, lui, est communicable à tout un chacun, qui va permettre d’avoir vraiment plein d’informations, très intéressantes, sur les opérations qui viennent d’être validées par les pouvoirs publics.
Dans ce dossier-là, on trouve notamment le détail des travaux, les plans, les matériaux choisis parce qu’il y a souvent des notices descriptives ; il y a potentiellement des conclusions d’experts, des avis de services instructeurs.
Par exemple, on entend souvent parler des architectes des Bâtiments de France, les ABF. S’ils sont intervenus sur un dossier de permis de construire, leur avis, qui a été émis, est communicable. Ça veut dire que vous avez tout à fait le droit de le demander et de l’obtenir pour en prendre connaissance.

Tout n’est pas forcément ouvert, ne prenez pas peur si vous avez vous-même déposé une demande de permis de construire : votre numéro téléphone ou votre adresse mail, par exemple, ne vont pas être communiqués à n’importe qui. Pareil, on ne peut pas obtenir des documents qui sont parfois un petit peu sensibles, un peu secrets, je pense, par exemple, à des plans qui pourraient révéler l’emplacement d’une salle des coffres pour une banque.
Ceci dit, en pratique, la quasi-totalité des documents liés aux autorisations d’urbanisme sont accessibles à tous sans justification particulière.

Isabella Vanni : Tous ces documents peuvent donc être obtenus très facilement ?

Xavier Berne : En théorie oui. Il faut prendre vraiment quelques minutes pour envoyer sa demande par courrier ou par mail ou encore, plus rapide, et je vais faire un petit peu de publicité, en utilisant notre plateforme associative Ma Dada. Juste, quand vous faites une demande, il est vraiment important de prendre le temps de bien situer votre demande : dire que vous demandez telle pièce, par exemple le dossier du permis de construire ; dire, dans l’idéal, que c’est tel numéro du permis de construire, c’est souvent un numéro qui est affiché sur les panneaux qui annoncent des travaux, parfois ça peut être affiché aussi en mairie. Après, si vous n’avez pas cette information-là, ce n’est pas gravissime, vous pouvez dire que vous demandez le dossier de permis de construire lié à la construction de tel bâtiment, en telle année et, en principe, ça devrait suffire.
Par rapport à cette histoire de comment formuler sa demande, pour vous aider, on a publié, sur notre forum, un modèle de demande pour les documents d’urbanisme qui reprend et qui précise un petit peu là tout ce que je viens de vous expliquer.

Une fois que votre demande envoyée, donc par mail, par courrier, c’est très libre, l’administration dispose d’un délai d’un mois, un mois pour vous répondre et vous envoyer les documents qui ont été sollicités. Ça, c’est plutôt en théorie ; en pratique, il y a parfois des administrations qui ne répondent pas toujours ou qui ont besoin d’un petit peu de temps. Après, c’est à vous de voir si vous avez envie d’être conciliant ou pas. Toujours est-il que si, au bout d’un mois, vous n’avez pas de réponse ou si on vous refuse l’accès aux documents, vous avez la possibilité de saisir la CADA [Commission d’accès aux documents administratifs], qui est une autorité administrative indépendante, qui fait, en fait, office de médiateur entre les administrations et les citoyens dans ce type de litige. Là aussi, c’est gratuit et c’est assez facile d’exercer un recours devant cette autorité indépendante

Rassurez-vous, ne prenez pas peur, sur ces documents, la doctrine est vraiment très bien établie : de longue date on sait que tous les documents dont je viens de vous parler sont communicables à tous et il est rare qu’il y ait vraiment de grosses difficultés.

Isabella Vanni : Est-ce que ça concerne également les documents de type plan local d’urbanisme ?

Xavier Berne : Tout à fait. Je me suis concentré, pour l’instant, sur ce qui pouvait, à priori, aider vraiment des associations ou des particuliers sur des dossiers individuels. J’avais plutôt en tête des gens qui s’opposent à certains grands projets, qui cherchent un petit peu à comprendre pourquoi les pouvoirs publics ont pris telle ou telle décision sur des grosses opérations d’urbanisme. Mais les documents type PLU, plan local d’urbanisme, sont également communicables et, de la même manière, tous les documents qui vont entourer ces PLU sont également communicables. Il y a souvent des avis techniques qui sont rendus, par exemple des rapports de géomètres ou même des rapports d’enquêtes publiques parce qu’on demande un petit peu leur avis aux citoyens sur des modifications de PLU qui peuvent intervenir. Tout cela est communicable de la même manière que les délibérations de conseils municipaux, surtout les comptes-rendus de conseils municipaux. En lien avec ces modifications de PLU, tous ces documents-là sont également communicables.

Isabella Vanni : Merci Xavier de nous avoir rappelé nos droits et de nous avoir dit comment y accéder.
Vous pourrez retrouver toutes les ressources évoquées par Xavier, notamment le tutoriel et le lien vers Ma Dada sur la page consacrée à l’émission d’aujourd’hui.
Xavier, je te dis au mois prochain.

Xavier Berne : Oui. Merci. À bientôt. Au revoir.

Isabella Vanni : Merci. Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Nous allons écouter Space Barbie. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Space Barbie par Radio Déserte.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Space Barbie par Radio Déserte, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA 3.0.

[Jingle]

Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Au café libre, actualités chaudes, ton relax, débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal. Nous vous souhaitons la bienvenue Au café libre où on vient papoter sur l’actualité du logiciel libre dans un moment convivial, un temps de débat avec notre équipe de libristes de choc, issus d’une rigoureuse sélection pour discuter avec elle et eux et débattre des sujets d’actualités autour du Libre et des libertés informatiques : Magali Garnero, Gee, Pierre Beyssac, Emmanuel Charpentier.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat » ou sur le site libreavous.org.
C’est Magali qui anime ce sujet principal de Au café libre, donc à toi la parole.

[Sonnette]

Magali Garnero : J’espère que vous avez bien entendu la sonnette !

Isabella Vanni : On l’a entendue même au début de l’émission !

Magali Garnero : Mais pas du tout, je n’ai pas du tout osé faire un truc pareil ! Ce qui est amusant c’est qu’il n’y a que Fred et Isabella qui m’appellent Magali. On voit qu’on se fréquente beaucoup, parce que les autres me connaissent sous Bookynette. Va pour Bookynette aujourd’hui.
On a plusieurs sujets. Autour de moi il y a des gens très bien. Bon, d’accord, il y en a un que je n’ai rencontré vraiment qu’aujourd’hui, mais je suis sûre qu’il est très bien, sinon je lui couperai la parole.
Plusieurs petits sujets, je vous les dis rapidement : le Capitole du Libre, les 20 ans d’Inskape, le SREN, le Cyberrésilience Act, l’autre que je n’arrive pas prononcer l’IA Act, puisque je le prononce à la française, c’est pitoyable et l’eIDAS, la copie privée, Sam Altman et OpenAI et l’avis du 8 novembre 2023. Je ne vous promets pas qu’on aura le temps de parler de tout ça, mais on va peut-être essayer d’y arriver.
Pour commencer, est-ce que je vous laisse vous présenter les garçons ? Non ! Ils sont timides, c’est mignon ! Allez, si quand même un petit peu !

Emmanuel Charpentier : Moi je n’ai pas peur. Donc Echarp, je me présente, parce que ça me permet de présenter mes projets : l’Agenda du Libre dont je suis le développeur, que je maintiens avec un sudiste, Christian Delage, et puis la Revue de presse de l’April que je produis toutes les semaines, régulièrement. Ça me fait plaisir de prendre la parole et d’essayer d’attirer de nouveaux utilisateurs de l’Agenda du Libre notamment.

Magali Garnero : C’est le moment ! Vas-y, au suivant.

Gee : Je ne vais pas faire ma pub sinon ça va prendre une heure et demie. Gee, vous me connaissez parce que je fais des chroniques sur cette émission, d’ailleurs j’en fais une tout à l’heure, petit teaser.

Pierre Beyssac : Pierre Beyssac. Je suis un informaticien jeune. Ça fait quelques années que je traîne mes guêtres dans le milieu de l’informatique, de la micro, d’Internet et du Libre. Accessoirement, je fais aussi un peu de politique, je serai candidat aux élections européennes, en 2024, pour le Parti Pirate.

Magali Garnero : Tu fais bien de préciser. J’ai dit « candidat, merde ! C’est déjà les élections présidentielles. »
Je vous propose de commencer notre premier sujet.

[Sonnette]

Capitole du Libre

Magali Garnero : J’adore cette sonnette, c’est monstrueux.
Retour sur le Capitole du Libre, moi j’y étais, mais vous ?

Emmanuel Charpentier : C’est ça qui est particulier, là tu vas encore parler, admets !

Gee : Il n’y a que toi qui y es allée, en fait !

Magali Garnero : Que moi qui y étais. Je te laisserai la parole parce que je sais que tu n’y étais pas et que tu regrettes.
Le Capitole du Libre c’est un événement à Toulouse, sur deux jours, organisé par une association qui s’appelle Toulibre. Il y a à peu près dix événements en même temps, quel que soit le moment de la journée, donc vous êtes forcément frustré, mais vous repartez avec plein de bonnes choses. Il y a plein de gens sympas, il y a un village associatif, je ne vais pas m’éterniser parce que, le mieux, c’est encore que vous y alliez l’année prochaine. Est-ce que des gens veulent rajouter des trucs sur le Capitole du Libre ?

Gee : Je n’y étais pas parce que j’avais un autre festival qui s’appelle Art to Play, à Nantes. Ce n’est pas du tout la même ambiance. J’y étais pour faire la promo de mon jeu vidéo, c’est pour ça que je suis allé là plutôt qu’à Capitole. C’est plus ambiance centre commercial géant, avec des gens habillés en Batman et en Dark Vador partout.

Magali Garnero : C’est pas mal !

Gee : C’est sympa ! On a un ami commun, Yann Kervran, qui dit qu’il faut « dé-starwarsiser » la culture. Quand je fais ce genre d’événement, je ne suis pas loin d’être d’accord avec lui, parce que j’en ai ras-le-bol de Star Wars et de Batman, j’ai vu ça tout le week-end, j’ai l’impression que les gens ne sont intéressés que par ça, par Marvel et tout ça. Du coup, je me dis que c’est quand même précieux d’avoir des événements qui sont des trucs associatifs, qui ne sont pas là pour vendre des sabres laser en plastique. Capitole c’est chouette !
J’ai vu que les JDLL ont un souci de lieu pour l’année prochaine. J’espère vraiment que ça va se résoudre parce que je n’aimerais pas qu’on perde ce genre d’événement. J’ai effectivement pas mal regretté de ne pas y être allé parce que ce sont quand même des évènements beaucoup plus sympas que les Comic Con.

Emmanuel Charpentier : Pendant que tu parlais, on a vu passer un truc : un des jeux va être porté sur ?

Gee : Sur Nintendo Switch.

Emmanuel Charpentier : Sur Nintendo Switch ! C’est un peu une consécration, c’est mondial ! Quel est le nom du jeu ?

Gee : C’est Superflu Riteurnz, dont je faisais la promotion ce week-end.

Emmanuel Charpentier : C’est encore un truc de super-héros. Pour le coup, tu étais pile poil dans le domaine.

Gee : C’est vrai, mais c’est une parodie, ça balance sévère.

Magali Garnero : Si tu veux, l’année prochaine on va à ton événement déguisés en Superflu, on sera nombreux à être des Superflus, ça peut être rigolo !

Gee : Ça serait la consécration d’avoir des cosplays Superflu, tu m’étonnes !

Magali Garnero : OK. On passe au sujet suivant. Attention les oreilles.

[Sonnette]

Les 20 ans d’Inskape

Magali Garnero : Les 20 ans d’Inskape. Gee, c’est toi qui parles.

Gee : Après je vais me taire, il y a des sujets sérieux auxquels je ne connais rien.
Inskape, c’est un logiciel libre de dessin vectoriel. On parle souvent des équivalents privateurs, l’équivalent privateur, c’est Illustrator, mais je ne le connais pas, en vrai je ne l’ai jamais utilisé, je ne sais pas s’il est bien, mais je sais qu’Inskape est super chouette, notamment depuis qu’ils ont sorti leur version 1.0, 1.1, 1.2, je ne sais pas où ils en sont, ça doit être 1.3 en ce moment. Ils ont une interface qui est vraiment devenue superbe et très agréable à utiliser.
Malheureusement, il y a eu aussi une régression en termes de perf qui fait que j’ai du mal à l’utiliser parce que j’ai besoin d’avoir des perfs très efficaces quand je suis avec ma tablette graphique, donc, pour le moment, je reste un peu sur une ancienne version et j’attends avec impatience une prochaine version où ils vont migrer – attention c’est technique – de GTK 3 à GTK 4 qui, apparemment, a de meilleures performances. Tu ne veux pas dire l’acronyme GTK ?

Emmanuel Charpentier : GNOME Toolkit, et Gnome c’est un environnement graphique.

Gee : C’est aussi un acronyme.

Emmanuel Charpentier : S’ils en ont fait un c’est qu’ils ont fait un backronym, c’est-à-dire qu’ils ont fait à l’envers, ils sont partis du mot et ils ont obtenu quelque chose.
Reste que c’est un logiciel vectoriel donc les gens peuvent l’utiliser : si vous voulez faire des icônes, si vous voulez faire des petits logos, des trucs comme ça, c’est hyper-sympa. Pour faire des images un peu plus léchées avec plein de couleurs, des dégradés, des choses comme ça, tu utilises Inskape aussi ?

Gee : Oui. Le seul truc pour lequel Inskape n’est vraiment pas adapté, ça va être, on va dire, la photo ; pour tout ça, en Libre, on a Gimp ou Krita, par exemple, mais pour du vectoriel c’est très bien. Pour les gens qui ne savent pas ce qu’est le vectoriel, en gros, au lieu d’avoir une image qui est composée de pixels, c’est une image qui est composée d’objets mathématiques, comme des courbes, vous avez littéralement l’équation d’une courbe. L’avantage c’est que vous pouvez ensuite exporter votre image dans un format avec des pixels, mais à la résolution que vous voulez.
Du coup, je vais encore faire référence à Superflu Riteurnz, je suis désolé : j’ai imprimé une grande banderole pour mon événement et j’ai dû exporter les visuels de Superflu Riteurnz en 18 000 fois 12 000 pixels, je crois, et c’est net et c’est fabuleux. Donc vive le vectoriel et vive Inskape !

Magali Garnero : C’est amusant ! J’utilise Inskape pour vectoriser des images : je trouve des images sur Internet, je les mets dans Inskape, je les vectorise et après je peux travailler sur une image avec une super résolution. Je fais totalement l’inverse de ce que tu viens de dire, mais c’est possible.

Pierre Beyssac : Je ne savais pas que Inskape pouvait faire ça ! Sur vos sites web mettez de préférence du vectoriel à des images pixelisées, parce que ça permet effectivement de zoomer la page, les icônes et tout, sans souci.

Emmanuel Charpentier : J’ai le backronym, madix m’a complété ça, merci madix : c’est GNU Network Object Model Environment, c’est une blague, c’est un backronym. Ils ont pris Gnome et ils ont fait le contraire. Je ne vois pas comment ils sont partis de l’un pour obtenir l’autre !

Gee : Je sais que c’est un truc qui est très chaîné, parce que GTK fait référence à Gimp, qui fait référence à GNOME, qui fait référence GNU. Du coup, quand tu déroules l’acronyme, ça te fait une phrase qui fait trois paragraphes.

Emmanuel Charpentier : Oui, puisque dans GNU Network Object Model Environment, il y a GNU qui, lui-même, est un acronyme récursif.

Gee : Par contre, là on va perdre le grand public.

Pierre Beyssac : Avant l’émission, Emmanuel nous a expliqué qu’il démonte tous les acronymes, mais là, il est quand même en position difficile !

Emmanuel Charpentier : C’est chaud ! GNU, allez, maintenant vous êtes obligés de le dire !

Isabella Vanni : Grand public, êtes-vous toujours avec nous ?

Magali Garnero : En tout cas, Fred n’est pas avec nous, mais, manifestement, il nous suit. On te fait un gros bisou !

Gee : Je pense que pour Inkscape on a fait le tour.

Magali Garnero : On a fait le tour, alors on passe au sujet suivant.

[Sonnette]

Projet de loi SREN

Magali Garnero : SREN. C’est un sujet qu’on aborde depuis pas mal de temps dans l’émission de radio. On a reçu des gens très bien pour en parler, mais, Pierre, tu avais peut-être une petite anecdote rigolote à nous raconter. À toi.

Emmanuel Charpentier : Attends ! Acronyme avant. SREN ça veut dire ? Ce n’est pas de l’informatique.

Pierre Beyssac : C’est la loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. C’est une loi d’initiative gouvernementale. Elle a été abondamment démontée, dans tous les sens du terme d’ailleurs, dans une émission précédente. C’est une vraie saga : des choses étaient un peu du n’importe quoi – interdire les VPN. Et là elle se prend un taquet de l’Union européenne.
Il y avait un tout un volet sur le cloud, notamment l’obligation d’hébergement des services cloud en France pour certains services, liés à la santé par exemple. Il y a eu une polémique là-dessus. Des start-ups de santé françaises ont dit : « Hou là, là, il y a un amendement qui ne nous arrange pas du tout, parce que ça va nous obliger à héberger nos données en France », ce que le régulateur a souhaité demander pour des raisons de concurrence, en fait, pour éviter que tout le monde parte chez les Google, Microsoft, etc., les infrastructures étasuniennes notamment. Les start-ups de santé ont râlé parce que ça allait leur mettre des bâtons dans les roues, sachant que le législateur avait envisagé de leur donner l’obligation au premier janvier 2024 ; trois mois pour se retourner, pour changer toute son infrastructure, ce n’est pas non plus évident !

Parallèlement, en parlant de ça sur Twitter, quelqu’un m’a notifié une vidéo d’une de ces start-ups de santé, bien connue, qui s’occupe de rendez-vous médicaux et qui utilise du Libre derrière, une base de données qui s’appelle PostgreS, une des meilleures bases de données libres, qui stocke toutes les données sensibles de la start-up. Il se trouve que c’est hébergé chez un gros fournisseur étasunien, mais, en pratique, à 95 %, c’est une société qui pourrait très bien réimporter ses données sur moyens propres, ce qu’elle fera peut-être à terme, une fois qu’elle aura atteint la masse critique suffisante. Donc, c’est plutôt positif pour le Libre. Bien que les sociétés, au niveau business, se battent pour garder les mains libres, au sens littéral, à terme, d’ici dix ans, il n’est pas impossible d’imaginer que l’infrastructure soit effectivement hébergée en Union européenne. Il y a des choses quand même plutôt sympas qui se profilent à l’horizon, sachant que, actuellement, si les grosses sociétés comme Google, Apple, Facebook, même Microsoft maintenant avec son cloud, vendent du cloud à tire-larigot c’est aussi parce que c’est à 99 % du logiciel libre, elles ne pourraient pas faire ça avec des licences privatrices.

Emmanuel Charpentier : C’est comme Internet. Internet fonctionne grâce au logiciel libre et, en fait, beaucoup de l’infrastructure informatique mondiale fonctionne grâce et par-dessus du logiciel libre. Parfois ils en embarquent, ça cause des problèmes parce qu’on n’est pas toujours au courant. Ils nous revendent des services, parfois cher, alors que dessous du logiciel libre est embarqué. Ça crée des problèmes : des sociétés éditrices de ces logiciels, ça existe, se plaignent qu’on leur mange un peu la laine sur le dos, ça ne leur fait pas tout à fait plaisir !

Pierre Beyssac : En résumé, il y a quand même un nuage d’espoir, une lueur d’espoir de soleil au milieu du cloud étasunien et de la législation en cours, sachant que côté SREN on ne sait pas du tout à quelle sauce on va être mangé au final. On attend, maintenant, que l’Union européenne donne son avis sur la loi. C’est un peu comme la loi Avia précédemment, là plutôt en France, le Conseil constitutionnel avait tout démonté. En fait, on ne sait pas ce qu’il va rester de la loi SREN à la fin.

Magali Garnero : On attend l’avis de la Commission européenne qui nous a déjà tapé sur les doigts. Donc passera ? Ne passera pas ? On ne sait pas. Je précise juste que l’émission de la semaine dernière, c’est l’émission 191, vous pouvez la retrouver sur libreavous.org/191.

[Sonnette]

Cyber Resilience Act

Magali Garnero : Le Cyber Resilience Act, lequel de vous veut parler ?

Pierre Beyssac : Je commence, peut-être.
On peut faire un package entre le Cyber Resilience Act et l’IA Act, c’est vrai que c’est difficile à dire.

Magali Garnero : Merci Pierre !

Pierre Beyssac : Je t’en prie ! Ce sont deux projets actuels au niveau Union européenne. On voit, là aussi, le manque d’influence, disons, du Libre. Le Libre une certaine influence, mais n’ayant pas de poids économique mesuré par les moyens classiques, il a du mal à faire prendre en compte son impact sociétal, même socio-économique.
En fait, il y a des restrictions dans ces lois, de la même manière qu’on peut en avoir sur les produits de grande consommation. Donc, des lois sur la sécurité des produits logiciels qui vont être distribués, de la même manière que quand vous achetez un rasoir, normalement vous n’êtes pas censé vous faire électrocuter par le rasoir, il y a un certain nombre de réglementations là-dessus. Le législateur européen souhaite introduire le même genre de contraintes au niveau des logiciels, donc au niveau des fournisseurs de logiciels, plus des fournisseurs de produits finis, avec des obligations d’audit, de conformité, etc., des choses avec beaucoup de consultants et souvent du logiciel privé, commercial, mais qui n’arrangent pas franchement le Libre : beaucoup de Libre est évidemment développé par des contributeurs indépendants, à leur compte, bénévolement disons, et qui ne seront pas forcément en mesure de répondre aux contraintes associées.
Il y a donc ça pour le Cyberrésilience Act, la sécurité informatique et il risque d’y avoir ça pour l’IA Act où on a, actuellement, quelques fournisseurs privés, hégémoniques et quand même beaucoup du Libre, qui essayent de suivre un modèle libre qu’il faut absolument préserver pour éviter de se retrouver coincés avec des fournisseurs de l’intelligence artificielle comme on peut l’avoir actuellement avec les moteurs de recherche ou les GAFAM.

Emmanuel Charpentier : Je te trouve assez modéré sur l’impact sur les logiciels libres si on commence à imposer des règles de garantie du logiciel libre. C’est-à-dire que moi, quand je fournis du code, je le fournis sans aucune garantie, c’est dans les licences, c’est bien marqué, et ça permet que mon code puisse terminer un peu n’importe où, c’est son but dans une certaine mesure, tant qu’on suit la licence on peut le reprendre : ce petit bout de code peut voyager et vivre un peu partout. Pour le coup, si on m’impose une garantie, ça peut complètement casser ce modèle de partage, de distribution, c’est très lourd. On peut espérer qu’ils vont mettre – ils l’ont déjà fait dans d’autres lois – des exceptions pour le logiciel libre, sinon c’est quasiment mortel comme attitude !

Pierre Beyssac : Tout à fait. L’April et d’autres, tout un tas d’associations qui défendent le Libre ont alerté sur les problèmes potentiels, on ne sait pas encore comment ça va se terminer.

Gee : J’ai vu une lettre ouverte de la Eclipse Foundation, qui a aussi été signée notamment par The document Foundation, la fondation qui s’occupe de LibreOffice. Ils mettent en garde sur l’effet dissuasif. Comme tu le dis, toi tu fournis tes logiciels sans garantie et, en fait, si tu commences à devoir en fournir, il y a un effet qui est assez clair : ça risque de dissuader des gens de partager du code. Si on commence à avoir le choix entre partager du code mais risquer des problèmes s’il ne répond pas à tel ou tel truc et ne pas partager de code, en fait des gens n’en partageront plus.
Après, est-ce qu’il y aura des exceptions ? Ça a l’air d’être un peu le cas, d’après ce que j’ai vu, ça sera beaucoup plus contraignant pour les grosses boîtes et moins pour les assos, notamment il n’y aura pas d’amende. Ce qui est rigolo c’est que c’est aussi à cause d’un bête point de vue technique : en fait, quand un logiciel est développé par plein de monde, à qui met-on l’amende ?

Emmanuel Charpentier : Ils vont probablement vouloir mettre l’amende au vendeur final, c’est l’idée, mais ça reste compliqué parce que les logiciels libres et le commercial c’est une vieille histoire : qu’est-ce qui est commercial ? Qu’est-ce qui est vendu ? Qu’est-ce qui n’est pas vendu ? À quel moment intervient-on ? Si on profite juste, je ne sais pas, d’une publicité qui était sur le site web où il y avait le logiciel, est-on commercial ? C’est compliqué.

Magali Garnero : Dans mes souvenirs, en France c’est surtout le CNLL [Union des entreprises du logiciel libre et du numérique ouvert], avec Stéfane Fermigier, qui suit cette affaire de très près et il me semble qu’il y a une question d’intérêt : si l’entreprise a un intérêt, je ne sais pas si c’est financier, que financier ou notoriété, là effectivement, elle risque de se faire taper sur les doigts, mais nous, en tant que petits bénévoles, enfin vous, en tant que petits bénévoles codeurs, vous ne risquez rien. Pareil, on attend de voir, ce n’est pas encore fini.

Gee : Et puis c’est toujours inquiétant quand c’est flou. Quand tu as un flou comme ça, que tu ne sais pas où mettre le curseur, ça veut dire que ça va être un peu selon les envies politiques du moment. C’est dangereux !

Emmanuel Charpentier : Notons une petite chose, je réponds aussi au chat d’une certaine manière : les logiciels privateurs, donc Windows et les logiciels de Microsoft par exemple, ont des garanties, c’est marqué dans les licences, mais il faut lire en entier ces licences, c’est mieux que l’œuvre totale de Shakespeare, ça va vous endormir ! Dans toutes ces clauses il y a forcément des sous-clauses de sous-clauses qui vont vous dire « oui, bien sûr que c’est garanti », mais, si vous trouvez le numéro de téléphone, appelez-nous pour vous plaindre, on vous répondra peut-être ! Et même si vous le trouvez, de toute façon, derrière, il y aura un chemin un peu compliqué. Bref ! Les garanties que vous pourriez peut-être vous targuer de réclamer, bonne chance pour pouvoir les utiliser !

Gee : Tu es en train de dire que Microsoft ne serait pas honnête ? Je tombe de ma chaise !

Emmanuel Charpentier : Quasiment ! Ou alors au bout d’un chemin de croix.

Pierre Beyssac : De toute façon, même les garanties ne sont pas fantastiques, elles ne garantissent pas grand-chose en fait ; au mieux on garantit une certaine assistance.

Emmanuel Charpentier : Ils garantissent suffisamment pour que les grands chefs, les patrons, ceux qui ne connaissent pas l’informatique mais qui ont peur de se faire taper sur les doigts, les spécialistes des parapluies, aient l’impression que ça les arrange. Ils ont l’impression que grâce à ça, grâce à des fournisseurs payés, leur place sera protégée.

Gee : Les gens qui portent des cravates !

Pierre Beyssac : Je ne suis pas sûr qu’ils aient lu les contrats !

Gee : Sache qu’ils ont de l’assistance et quelqu’un sur qui taper.

Magali Garnero : Personne ne lit les contrats, à part les avocats !

Gee : Avant qu’on passe au point suivant, un dernier truc m’a fait rire : tu vois aussi où sont les priorités de ce genre de truc. J’ai lu qu’ils veulent notamment forcer, je sais pas comment dire ça, de la maintenance pendant cinq ans, obliger les entreprises, quand elles diffusent un logiciel, à assurer une maintenance de sécurité, en tout cas des patchs de sécurité pendant cinq ans. Et il est précisé : « Sauf s’il est prévu que le produit comportant des éléments numériques soit utilisé pendant moins de cinq ans. La période de maintien en condition opérationnelle ne doit pas être inférieure à cinq ans. » En gros, là c’est typiquement pour faire plaisir aux entreprises, genre Apple et compagnie, qui font de l’obsolescence programmée, qui font des téléphones qu’ils renouvellent tous les ans et tout le monde trouve ça normal ! Ça me tue, parce que, même d’un pur point de vue environnemental c’est déjà n’importe quoi et là, en plus, on leur dit « si vous voulez faire de l’obsolescence programmée, vous ne serez pas concernés par la loi, ça va ! »

Emmanuel Charpentier : Tu es méchant. Ils essayent de s’adapter au public. Ils se sont dit que ce n’est pas comme les architectes qui ont des garanties aussi, des garanties décennales, je ne sais plus la durée. Il faut garantir qu’une maison va tenir debout pendant une durée un peu plus longue que cinq ans. Ils ont dû se dire que pour les logiciels il y avait bien quelque chose, un rapport.

Gee : Tu mets une garantie décennale sur iOS, je pense que Apple dépose le bilan le lendemain !

Magali Garnero : Laisse-lui au moins cinq ans !

[Sonnette]

eIDAS 2 - electronic IDentification, Authentication and trust Services

Magali Garnero : Pendant le Capitole du Libre, j’ai donné une conférence sur les dossiers de l’April. À la fin de la conférence, un gentil monsieur est venu me voir et m’a demandé mon avis sur le eIDAS 2 et là, je l’ai regardé, je me suis demandé « qu’est-ce que je réponds à ce gentil monsieur parce que je ne sais même pas de quoi il parle. » J’ai essayé de bifurquer en disant « sûrement qu’Étienne Gonnu, chargé des dossiers institutionnels de l’April connaît ». Du coup, je l’ai mis à l’ordre du jour. Qu’est-ce que c’est ? Qui veut m’en parler ?

Pierre Beyssac : Je commence.

Gee : Tu vas commencer et finir !

Pierre Beyssac : eIDAS 2, c’est la mise à jour, je sais même plus ce que l’acronyme veut dire.

Magali Garnero : Vas-y Manu, parce que c’est en anglais.

Emmanuel Charpentier : electronic IDentification, Authentication and trust Services.

Gee : Waouh ! Authentification, il manque un « fi ».

Emmanuel Charpentier : Authentication en anglais, ça peut marcher.

Pierre Beyssac : eIDAS 2, c’est la mise à jour de eIDAS pas 1, d’ailleurs. La loi précédente date de 2014. C’est une normalisation des systèmes d’identification en ligne, les choses qu’on utilise pour se connecter à la Sécurité sociale, aux impôts, etc., type FranceConnect. Il y a donc une entité administrative qui dispose de nos informations d’identité et qui est en mesure de certifier, à une autre administration, qu’on est bien qui on prétend être sans, pour autant, balancer toutes les informations qu’elle possède sur nous : elle ne balance qu’un minimum, elle ne donne pas notre adresse mail s’il n’y en a pas besoin, elle ne donne pas notre téléphone, etc. C’est donc une protection et c’est potentiellement une facilitation de l’accès, de l’accessibilité aux services administratifs en ligne. On n’a pas besoin de redonner à chaque nouvelle administration, avec laquelle on est en rapport, tout un tas de paperasse pour s’inscrire.
Le problème, évidemment, c’est que ça implique des constitutions de fichiers d’État, donc potentiellement accessibles et qu’il soit possible de détourner peut-être par la police, peut-être par d’autres d’autres entités.

Emmanuel Charpentier : Jamais ! On peut avoir confiance dans nos institutions, Monsieur !

Pierre Beyssac : Jamais nos institutions ne contournent, ne contreviennent à la loi ! Il y a eu une histoire sur la police récemment, sur la vidéosurveillance, je crois.

Emmanuel Charpentier : Protection ? Ça dépend de sa position spatiale !

Pierre Beyssac : Attention à ce que tu dis ! Bref, pas de gros mots ! Donc eIDAS 2 vise à étendre ce genre de procédé pour améliorer un peu. Il y a des possibilités assez intéressantes pour améliorer tout ça, notamment par des applications type applications sur téléphone mobile, mais il y a quelques petits soucis dans eIDAS 2.
Le problème c’est que le texte doit être voté le 28 novembre au Parlement européen et les eurodéputés n’y ont eu accès que hier, en fait, absolument. Il y a eu des fuites du texte, mais c’était quasiment impossible de l’avoir, on savait qu’il y avait des points d’attention, mais le texte n’a été diffusé que hier soir. C’est un pavé qui fait 150 pages, je l’ai vu passer, mais je n’ai pas encore eu le temps de me plonger dedans.

Magali Garnero : Cent cinquante pages ! Sérieux !

Pierre Beyssac : Dans ces eaux-là, oui !

Magali Garnero : Qui va lire 150 pages ?

Pierre Beyssac : Les députés qui le votent, normalement.

Magali Garnero : Non ! On comprend mieux pourquoi ils votent comme ça.

Emmanuel Charpentier : Éventuellement les assistants des députés et encore !

Gee : Les assistants font après, à leur député, un topo sur un paragraphe.

Pierre Beyssac : Normalement, quand ils sont spécialistes, ils doivent quand même creuser le sujet. L’article 45 a été relevé par un certain nombre d’associations depuis le mois de mai – on avait quand même un petit peu des idées de ce qui était dedans et il y a plein de chausse-trappes dans ces petits machins : il suffit d’un bout de phrase pour contrevenir aux sécurités élémentaires. Notamment, dans ce projet, un article disait que l’État avait le droit d’imposer à nos navigateurs web des certificats, ce qu’on appelle les certificats racines, c’est-à-dire les choses qui permettent à un navigateur web de dire que le site auquel vous vous connectez est bien celui qu’il prétend être, ou pas. Normalement, on ne met pas n’importe quoi comme certificats racines parce que le procédé est tel qu’une fois qu’on a un certificat racine, l’autorité qui détient ce certificat peut garantir n’importe quoi à n’importe qui.

Emmanuel Charpentier : Et peut prendre le contrôle, si elle veut, de notre navigation.

Pierre Beyssac : Oui, puisqu’elle peut dire qu’on est sur Google alors qu’on n’y est pas, par exemple, c’est donc un petit peu embêtant, c’est même très embêtant au point de vue sécurité.
Le système est tel que les navigateurs sont en autorité pour décider à qui ils font confiance, ou pas, ils sont un peu les mandataires des utilisateurs pour assurer une navigation en toute confiance.
Ce que, potentiellement, demande une des dispositions de eIDAS, c’est que les États puissent forcer les navigateurs à mettre des certificats imposés par l’État, ce qui veut dire que l’État pourrait signer n’importe quoi si ça l’arrange pour écouter quelqu’un ou autre. Ce n’est probablement pas l’intention directe, mais c’est un risque potentiel.

Emmanuel Charpentier : C’est déjà arrivé. Il y a eu notamment des cas en Lybie, c’est assez loin.

Pierre Beyssac : C’est même arrivé en France. Une autorité, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information — ce n’était pas méchant, c’était pour un test interne — a, un jour, signé un certificat avec Google, qui était accepté par votre Firefox, votre navigateur, qui permettait en interne, là où ça a été déployé, de faire croire à un poste quelconque, non modifié, que l’utilisateur se connectait à Google, en sécurité, alors que ce n’était pas le cas. Firefox a promptement retiré ce certificat de ses certificats de confiance, il y a donc eu une action, mais eIDAS, potentiellement, pourrait empêcher ça, pourrait obliger Firefox à garder ce genre de certificat, même après des bavures de ce type. C’est un point d’attention sur eIDAS, on ne sait pas trop ce qui va être exactement voté au final, mais c’est quelque chose à surveiller.

Emmanuel Charpentier : C’est peut-être La Quadrature qui va s’emparer du dossier, parce que ça concernerait la sécurité, la vie privée, des fuites de données. Peut-être que le logiciel libre est moins touché directement, même si, il faut voir !

Pierre Beyssac : Ça concerne tous les logiciels, pas juste le Libre. C’est effectivement une question de sécurité logicielle sur Internet.

Magali Garnero : Isabella, tu m’as fait un signe tout à l’heure. Tu as envie de musique ?

Isabella Vanni : Oui. J’ai envie de musique. C’est un plaisir de vous écouter, mais, même pour les personnes qui vous écoutent, ça peut être agréable de faire une pause musicale.
Nous allons écouter un morceau qui s’appelle Grève angélique par KPTN. On se retrouve dans quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Grève angélique par KPTN.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Grève angélique par KPTN, disponible sous licence libre Creative Commons, CC By SA 4.0.

[Jingle]

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre notre discussion.
N’hésitez pas à participer notre conversation sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat », ou sur le site libreavous.org.
Nous sommes Au café libre en compagnie d’Emmanuel Charpentier, Magali Garnero, Gee et Pierre Beyssac. J’ai dit tous les noms, je suis très fière de moi ! C’est Magali qui anime cette discussion, je t’en prie Magali.

Magali Garnero : Avant de vous redonner la parole, les garçons, je voulais faire un gros bisou à KPTN dont on vient d’entendre cette chanson, Grève angélique. Je me souviens que c’est elle que j’avais choisie quand on a fait le « Parcours libriste » avec Isa. Je suis super contente de l’entendre à nouveau.

[Sonnette]

Taxe copie privée

Magali Garnero : Je l’emporte avec moi ce soir ! Le sujet suivant c’est la copie privée, dernier round avant la possible taxation des ordinateurs. Qui se lance ?

Gee : Je peux y aller, si tu veux.
La copie privée, pour les gens qui ne savent pas ce que c’est, ce n’est pas une taxe, c’est une redevance, parce que taxe ça fait un petit peu méchant quand même ! Sur tous les supports de stockage que vous pouvez avoir — un disque dur, des CD, des DVD réinscriptibles, je ne sais pas ce qu’il y a d’autre de nos jours, il y a surtout ça, des clés USB par exemple —, vous avez une petite taxe qui est là pour compenser un manque à gagner, soi-disant, du fait que vous puissiez copier les œuvres que vous achetez sur d’autres supports.
L’exemple qui me vient souvent : quand j’étais petit, en voiture mes parents mettaient des cassettes parce qu’on n’avait pas de lecteur CD dans la voiture ; c’était des cassettes qu’il avait copiées de CD qu’il avait achetés. Ça, typiquement, c’est une copie privée. Je dis « soi-disant manque à gagner ». Je pense que mes parents ne se seraient pas amusés à acheter et le CD et la cassette, ils auraient acheté directement la cassette. Bon ! Déjà « manque à gagner » !
Cette copie, du coup, concerne vraiment tout, n’importe quel disque dur. Quand j’étais en thèse informatique j’avais un disque dur, parce que j’avais pas mal de données à traiter, il y avait une taxe copie privée. Aucune œuvre n’a jamais été copiée dessus, mais voilà ! Taxe copie privée.
Je trouve que ce qui est fou, c’est que l’idée, maintenant, ça va même concerner les ordinateurs. Ils essayent de l’étendre à tout et n’importe quoi !

Emmanuel Charpentier : Donc, au départ, ça ne concernait pas tout. C’est important.

Gee : Oui. Ça s’est étendu de plus en plus.

Magali Garnero : Ce n’est pas ridicule ? Si ça concerne les ordinateurs, ça va aussi concerner les ordinateurs réemployés. Là aussi, il y aura une taxe ?

Pierre Beyssac : Absolument. On peut en parler des heures !

Gee : Cette taxe est vraiment ridicule. Je suis désolé, mais j’ai l’impression que la vraie copie privée ne se fait quasiment plus : copier des CD sur cassette, déjà, clairement, ça ne se fait plus. J’avoue que ça m’arrive quand j’achète un CD d’un artiste que j’aime bien de le convertir en format numérique pour l’avoir sur l’ordinateur.

Magali Garnero : Sur clé USB peut-être.

Gee : Oui ! Je pense que je suis une exception : combien de personnes savent-elles ripper un CD ? Ce n’est quand même pas la majorité des gens.

Pierre Beyssac : Ça a pas mal disparu, notamment avec le streaming.

Isabella Vanni : Que veut dire ripper, pour le grand public ?

Gee : Convertir un CD dans un format numérique type MP3, OGG ou autre.
Pour moi, la copie privée est devenue un truc quand même assez marginal. Ce qui est vraiment taxé par ça c’est la copie pas privée justement, ce que les ayants droit appellent le piratage, c’est-à-dire le fait de partager des œuvres avec des gens qui, pour le coup, ne les ont pas achetées. Sauf que ça, en fait, c’est illégal, donc on ne peut pas taxer un truc illégal.
Soit on taxe la copie privée, qui n’existe quasiment plus, et c’est débile, donc supprimons cette taxe, soit on taxe le piratage, mais c’est illégal donc c’est n’importe quoi. Si vous voulez garder cette taxe pour taxer le piratage, OK, mais foutez-nous la paix sur le piratage ! Qu’on arrête avec Hadopi [Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet] et tout ça !

Pierre Beyssac : J’aurais une vision encore plus cynique que toi sur la question : c’est justement parce que le streaming, donc la lecture directe, sans stockage, se développe, qu’on achète de moins en moins de clés USB pour ça, on n’achète plus de cassettes audio, évidemment, on n’achète plus de cassettes VHS, ni de DVD gravables, ni rien, donc l’assiette de la copie privée diminue, donc les ayants droit, qui n’ont rien à faire de la légitimité du truc, cherchent tous les moyens pour trouver de nouvelles façons de prélever.
En théorie, ils parlent de rémunération, ce n’est même pas une redevance, ça les énerve qu’on parle de redevance, donc parlons de redevance !

Gee : Parlons de taxe !

Pierre Beyssac : Ils n’arrêtent pas de pinailler là-dessus. Ils essayent de passer. Lors de la loi REEN, la loi réduction de l’empreinte environnementale du numérique qui voulait favoriser l’utilisation de smartphones – d’ordiphones, c’est le mot français consacré théoriquement –, donc de téléphones recyclés pour, évidemment, réduire les achats de matériel neuf et valoriser au maximum le matériel, ces téléphones-là n’étaient pas soumis à la redevance.

Magali Garnero : C’est normal non !

Emmanuel Charpentier : Pas la deuxième fois.

Pierre Beyssac : La deuxième fois non. Théoriquement, c’est sur la durée de vie du matériel, donc l’acheteur initial la paye et puis, une fois qu’il cède le téléphone à quelqu’un d’autre, s’il est racheté par quelqu’un d’autre, normalement c’est déjà payé, on ne va pas payer deux fois.

Gee : Comme la TVA.

Pierre Beyssac : Il y avait une règle qui disait que cette redevance était due sur le premier achat de l’appareil. Comme il y avait un flou là-dessus, les ayants droit, au moment de la loi de la loi réduction de l’empreinte environnementale du numérique, ont essayé de faire préciser par le législateur que si, ils y avaient droit. Ils sont allés voir les boîtes qui revendaient des téléphones recyclés pour leur dire « vous nous devez tant ». Les boîtes sont allées voir le législateur en disant « excusez-nous, ce n’est pas possible, il faut clarifier la loi ». Surtout dans le cadre d’une loi sur l’environnement, on ne va pas plomber le recyclé alors qu’on veut le valoriser. Elles sont allées voir le législateur et le législateur a dit : « Oui, vous avez raison, on est d’accord avec vous ». C’était à l’époque du gouvernement Castex, les ayants droit sont allés voir le ministère de la Culture et Jean Castex pour dire « c’est un scandale, nous sommes spoliés, etc., on veut tuer la création — le baratin classique — on veut supprimer la redevance », alors que c’était totalement faux. Et ils ont réussi à imposer aux élus, aux parlementaires qui faisaient cette loi, de clarifier dans l’autre sens, de dire « la loi confirme que c’est également dû sur du téléphone recyclé » et pas que pour les téléphones, ça marche aussi pour les clés USB et tout ça. Donc, si c’est étendu aux ordinateurs, ça sera certainement également sur les ordinateurs recyclés.
Les ayants droit voient que l’assiette de la taxe diminue, ils essaient de faire des études plus ou moins bidonnées avec des espèces de sondages un peu orientés pour obtenir le meilleur taux d’usage. Il y a tout un tas de machins.

Gee : J’ai même vu qu’ils refusent certaines études. Je pense qu’ils savent que la copie privée est en train de s’effondrer et que, du coup, ça ne va pas trop aller dans leur sens.

Pierre Beyssac : La Fédération française des télécoms avait proposé un moyen plus lucide d’évaluer les usages en la matière et ça a été refusé.

Il faut savoir que la commission qui vote ça est complètement open bar : ils peuvent voter absolument ce qu’ils veulent au niveau assiette, à peu près ce qu’ils veulent, parce que la loi est ainsi faite qu’ils ont une latitude complète, quasiment complète, de ce qu’ils peuvent décider d’imposer. En théorie c’est paritaire, c’est-à-dire qu’à moitié ce sont les fabricants de matériel, importateurs et associations de consommateurs, qui ont six voix dans la commission, et les six autres voix ce sont les ayants droit ; je crois que le président peut trancher en cas d’égalité. Mais, en fait, une association de consommateurs vote du côté des ayants droit, en fait, tout ce que les ayants droit veulent passe.

Gee : Les ayants droit sont des consommateurs comme les autres !

Pierre Beyssac : C’est en toute indépendance !

Emmanuel Charpentier : On pose la question sur le chat : les payeurs de l’assiette ce sont les consommateurs, les acheteurs de matériel. Vous achetez un appareil photo numérique qui contient un support de stockage, pour stocker les photos, eh bien vous payez en fonction de sa taille et il me semble que les montants ne sont pas anodins, notamment parce que les espaces de stockage ont beaucoup augmenté. Cette taxe était basée sur l’espace lui-même, donc, avec l’augmentation des volumes, ça n’a fait que grossir les montants dus. Tout cela peut avoir une conséquence : l’assiette augmente, l’assiette augmente, l’assiette se barre ! Eh oui, elle se barre en stockage dans les nuages et à l’étranger, là où on n’a pas, justement, cette perception de taxe. Ça peut aider les États-Unis ou des pays concurrents à la France ! C’est un peu idiot, c’est un peu la même chose que quand on faisait des téléchargements en peer-to-peer, en pair-à-pair. Le téléchargement de pair-à-pair est une technique très efficace pour télécharger des contenus à plusieurs, pour s’entraider, c’est donc vraiment très efficace et plutôt éthique, je dirais. Mais les législateurs et surtout les ayants droit se sont plaints et ils ont cassé ce modèle. Aujourd’hui on fait ce qu’on appelle le streaming, de la vue en flux, en fait on télécharge localement mais ça se voit à peine. Ils ont cassé un modèle qui était plutôt vertueux techniquement et humainement parce que, tout simplement, ils avaient un appât au gain qui était intense, bien trop intense, pour supporter ces mécanismes plutôt positifs.

Pierre Beyssac : Il est question, également, d’étendre cela au replay, quand tu fais « pause » sur ta télévision pour aller aux toilettes.

Gee : La diffusion décalée.

Pierre Beyssac : L’espèce de pause qui permet d’enregistrer deux minutes d’émission pour que tu puisses ne rien rater lorsque tu vas faire ta cuisine ou que tu vas aux toilettes. Ils veulent également faire payer des droits là-dessus.
Puisque, à priori, les entreprises ne vont pas faire de copie privée ou très peu, il faut savoir que seuls les consommateurs sont assujettis à cette taxe. Les professionnels qui achètent des clés USB ou autre dans le commerce grand public, vont la payer également, mais ils peuvent demander un remboursement. En pratique, c’est tellement compliqué que personne ne le fait. Donc il y a des sur-taxations qui sont versées et qui ne sont jamais remboursées.
Pour toutes ces informations, il y a un journaliste français qui s’intéresse à ça, c’est Marc Rees de l’Informé. À peu près 100 % des informations qu’on a données là, à part le côté législatif qui est public, ce sont des scoops de Marc qui suit ça de très près. Je vous invite à regarder linforme.com, c’est là-dessus qu’on est un peu au courant de l’actualité.

Récemment le député Philippe Latombe, je crois, a demandé au ministère de la Culture lors des questions à l’Assemblée nationale, si l’UGAP [Union des groupements d’achats publics], qui est une énorme centrale d’achats pour les administrations publiques, se faisait déduire, se faisait rembourser sur tous les matériels soumis à la taxe qu’elle achète pour ses clients, si elle obtenait un remboursement. Le ministère de la Culture a répondu oui et, en fait, il s’avère que non. Donc l’UGAP verse quelques dizaines de millions d’euros qui ne sont pas remboursés, et qui devraient l’être, par les ayants-droit.
Il y a tout un tout un système, soigneusement mis en place pour nous taxer de tous les côtés, là-dessus, même dans des cas où on ne devrait pas l’être !

Emmanuel Charpentier : Dire qu’on aurait pu aller sur la licence globale où là, OK, ils pouvaient taxer tout pareil, récupérer beaucoup d’argent, il y avait potentiellement quelque chose de considérable, il y avait plein de mécanismes. En gros, avec la licence globale, tous les citoyens payaient pour un accès illimité à la culture et sans contrôle précis, peut-être éventuellement des sondages et encore, mais les ayants droit n’étaient pas contents parce que, je pense, ils ne contrôlaient plus la diffusion de ce qu’ils peuvent contrôler aujourd’hui, donc ça les embêtait un petit peu.

Pierre Beyssac : Ça mettait en cause leur x nombre de sociétés, les SPRD, les sociétés de perception et de répartition des droits, donc la Sacem [Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique] en matière de musique, la SACD [Société des auteurs et compositeurs dramatiques] en matière d’œuvres audiovisuelles.
Je n’étais pas forcément ultra pour la licence globale pour ma part parce que j’avais peur que ça mène à la création d’une sorte de super Sacem, encore plus puissante et encore plus indéboulonnable. Je pense qu’il y avait un risque de ce côté-là.

Emmanuel Charpentier : Certes !

Gee : Licence globale socialisée, évidemment, on ne va pas refaire une Sacem c’est sûr.

Emmanuel Charpentier : D’ailleurs, Gee, es-tu dans une société d’auteurs ?

Gee : Pas du tout non !

Emmanuel Charpentier : Comment ça !

Gee : De toute façon, je fais tout de travers ! Mes œuvres sont sous licence libre, c’est n’importe quoi !

Magali Garnero : Après, je ne pense pas qu’on aurait pu faire pire que la Sacem. La dernière fois que j’ai regardé des chiffres : 30 % de ce qui est récolté va pour son fonctionnement et, bien sûr, les petits musiciens ne touchent pas une tune, alors que les gros !

Gee : En fait, la Sacem, c’est génial ! C’est l’inverse de l’impôt. L’impôt c’est un truc où tu prends beaucoup aux riches et tu fais en sorte que ce soit redistributif, pour que les pauvres aient accès à plus d’aide. La Sacem c’est le contraire : tu prends à tout le monde, tu en donnes beaucoup plus aux gros artistes et tu ne donnes quasiment rien à ceux qui ne font pas de grosses ventes.

Pierre Beyssac : À ce titre, parlons de licence libre. Il y a un truc absolument hallucinant dans cette histoire : une chaîne de magasins d’ameublement ou de moquette, je ne sais plus !

Magali Garnero : Saint Maclou, évidemment ! [Prononcé en chantant, NdT]

Pierre Beyssac : Je sais pas si c’était eux, j’ai oublié, mais quelque chose comme ça.
Elle avait décidé de diffuser dans ses magasins des contenus sous licence libre pour éviter, justement, d’avoir à reverser à la Sacem. La Sacem les a attaqués pour leur demander de reverser la taxe Sacem sur ce genre de choses, comme ils demandent aux coiffeurs, à tous les magasins.

Magali Garnero : Sous prétexte qu’ils ne contribuaient pas à la création artistique.

Pierre Beyssac : Le magasin a perdu, le magasin reverse maintenant à la Sacem sur des contenus libres ! Donc des redevances repartent aux contenus non libres. C’est hallucinant !

Magali Garnero : Ça ne sera jamais donné aux artistes concernés.

Pierre Beyssac : Ça ne sera jamais donné aux artistes concernés, qui ont accepté de ne pas percevoir de droits, mais ça va être donné au prorata des gros ayant droit, donc les héritiers de Johnny Hallyday, des gens comme ça.

Magali Garnero : Ceux qui n’en ont pas besoin !

Pierre Beyssac : C’est fabuleux !

[Sonnette]

Parution de Ada & Zangemann

Magali Garnero : Je vais pas suivre l’ordre, je vais sauter, je vais passer directement à la parution, le premier décembre, de Ada & Zangemann, un conte sur les logiciels, le skateboard et la glace à la framboise, parce que je trouve que je ne parle pas assez dans cette émission et je suis sûre qu’aucun de vous n’a lu cet album jeunesse ! Je regarde autour de moi, aucun de vous !

Gee : Il m’a été envoyé, j’ai regardé les trois premières pages, ça avait l’air sympa.

Magali Garnero : C’est très sympa, franchement, c’est très sympa. C’est un album qui a été créé par un Allemand, Matthias, le président de la FSFE, la Free Software Foundation Europe, avec une illustratrice extraordinaire. C’est un album qui raconte l’histoire d’une petite fille qui vit dans un quartier pauvre et qui, un jour, va avoir accès à l’informatique parce que monsieur Zangemann a mis des ordinateurs accessibles à tout le monde, des objets connectés, des skateboards aussi, des machines à distribution de glace, plein de choses. Sauf que plus ça va, plus monsieur Zangemann ne va pas être content de ce que les gens font de son matériel : il veut que tout le monde écoute la musique que lui aime, que tout le monde mange des glaces au parfum qu’il aime et, en fait, il va fermer les libertés des gens à qui il a offert tout ce matériel informatique gratuitement. Sauf que Ada n’est pas du tout d’accord et elle va commencer à bidouiller, à hacker le système pour pouvoir avoir la musique qu’on veut sur son skateboard, le parfum des glaces qu’on veut. En gros, ce sont des enfants qui libèrent les adultes. J’ai trouvé cet album super !
On a une chance incroyable en France : grâce à plusieurs personnes, des professeurs d’allemand mais aussi Alexis Kauffmann du ministère de l’Éducation, cet album a été traduit et on a une version française papier qui est diffusée par C & F Éditions, qui sortira le 1er décembre.

Gee : J’ai une question pour toi. J’imagine que Ada c’est une référence à Ada Lovelace, qui est connue comme étant la première programmeuse de l’histoire au 19e siècle. Est-ce que tu sais si Zangemann c’est une référence à quelqu’un d’autre, du coup ?

Magali Garnero : Oui, mais je ne pourrais plus te l’expliquer. Il me semble qu’on a eu la référence par quelqu’un qui écrivait en anglais, c’est peut-être pour cela que je ne m’en souviens pas, mais, effectivement, ça veut dire quelque chose. Les gens qui nous écoutez, on vous aime, on compte sur vous pour que vous nous donniez l’explication avant la fin de l’émission, au moins avant la fin de ce petit sujet-là.
Il me semble que le 30 novembre une petite soirée de lancement est organisée dans les locaux de C & F Éditions, je crois que c’est dans Paris 20e. Si vous voulez en savoir plus, allez sur leur site internet, https://cfeditions.com/ada/. Je regarde le chat pour savoir si on a eu la définition. Non toujours pas. C’est un petit album qui ne coûte pas super cher, une super bonne idée à offrir à Noël. En plus, les dessins sont vraiment trop mignons ! D’accord, je ne suis pas objective ! Franchement c’est trop mignon, je suis sûre que tout le monde sera d’accord avec moi. Si vous dites « je n’ai pas d’enfant », peut-être que des enfants, autour de vous, seront ravis de le feuilleter. Même au niveau des adultes !

Pierre Beyssac : Tu as eu le droit de le voir en avance ?

Magali Garnero : Il existe en format PDF. J’ai eu le droit de le voir en avance et la traduction avait déjà été faite. Avant que le livre sorte en format papier, j’ai eu cette chance, peut-être parce que je suis libraire, peut-être parce que je suis présidente de l’April, on ne sait pas. J’ai même promis à l’auteur de faire une petite chronique dessus, donc je suis hyper-contente d’en parler aujourd’hui parce que je tiens une promesse et ça vaut vraiment le coup.

Gee : Il est sous licence libre ?

Magali Garnero : Oui, il est sous licence libre.

Gee : Du coup, le PDF est librement partageable.

Magali Garnero : Je ne sais pas pour la version française, mais pour tout le reste oui. Pour la version française il me semble que si, j’ai cru voir passer quelque chose.

Gee : Très bien.

[Sonnette]

Avis du 8 novembre 2023 de la CSNP, la Commission supérieure du numérique et des postes

Magali Garnero : Avis du 8 novembre 2023 de la CSNP, la Commission supérieure du numérique et des postes. Est-ce que l’un de vous veut en parler, j’ai l’impression que ce n’est pas le sujet le plus…

Gee : Ça a l’air bien ! J’ai un truc à dire : c’est un avis qui est favorable aux communs numériques, en tout cas qui fait partie des choses qu’on défend l’April. J’ai noté un truc rigolo, il parle de « soutenir les partenariats public/communs ». C’est intéressant comme terme ! On a tellement l’habitude des partenariats public/privé qui sont quand même plutôt de la daube, en général, il faut être honnête, je trouve que partenariats public/communs c’est une jolie expression. Je n’ai pas énormément de choses à en dire, à part que ça a l’air d’être quelque chose qui va dans la bonne direction, c’est donc toujours bon à prendre.

Magali Garnero : Ce qui m’a embêté c’est le modèle souverain. Chaque fois que le mot « souverain » apparaît, j’ai peur ! Je me demande ce qu’ils vont faire, quelles entreprises vont se créer là-dessus pour récupérer toute la tune, la garder et, du coup, ça va échouer. Mais bon ! On va être positifs !

Pierre Beyssac : Je suis d’accord avec toi. C’est devenu un mot tellement fourre-tout qu’il y a tout et son contraire. J’essaye de distinguer le souverain d’État du souverain personnel, ils sont pas forcément conciliés quand il s’agit de surveillance, par exemple.

Magali Garnero : Pour moi, les communs c’est forcément ouvert à tous, c’est disponible à tous, donc, dès qu’ils veulent légiférer dessus, j’ai peur que ce ne soient plus des communs. Si ce sont des communs, est-ce que ce sont des communs qui appartiendront à l’État ? J’ai toujours un peu peur de ça.

Pierre Beyssac : Ça peut être des lois de protection des communs, ça peut être légiférer de manière positive, ça me semble possible, pas de souci.

Magali Garnero : On a hâte de voir ça, même si j’avoue que je n’ai pas lu le rapport, j’ai toujours peur quand je vois des rapports.
On me fait signe qu’il nous reste sept minutes, je vous propose de faire le dernier sujet.

[Sonnette]

Sam Altman et OpenAI

Magali Garnero : C’est un sujet à troll. C’est un sujet qui n’était pas totalement prévu en début de semaine, mais, pendant le Capitole du Libre j’étais assise à côté de Bortzmeyer, que vous devez tous connaître, peut-être. Il cherchait des infos qu’il ne trouvait pas, il s’énervait de ne pas trouver et je ne savais pas de quoi il parlait. Ce matin Echarp, à côté de moi, m’en parle et je me dis qu’on est obligés de rajouter, vraiment obligés ! Vas-y Echarp !

Emmanuel Charpentier : C’est un sujet qui m’amuse énormément parce que rien de tel que piétiner un petit peu les attendus, on va dire. Depuis un an, on parle beaucoup d’intelligence artificielle – et si quelqu’un arrive à définir « intelligence » qu’il m’appelle, je suis preneur, je ne suis pas sûr que l’intelligence artificielle existe, la naturelle encore moins – en tout cas, on en parle beaucoup. Dans une certaine mesure, ça a sauvé les capitalisations boursières des grosses boîtes. Il y a un an, les capitalisations boursières de Microsoft, Google Facebook étaient en train de descendre manière assez drastique. Ils ont réussi à se rebooster grâce à tout ce buzz phénoménal autour de ChatGPT. Derrière ChatGPT, il y avait une petite société américaine, OpenIA, dirigée par un certain Sam Altman. Cette société, OpenIA, avait commencé assez bien, d’où son nom d’ailleurs, open. Open, oui, c’était une référence au logiciel libre, à l’open source, une sorte de déclinaison sans les idées éthiques mais bon, qui en est quand même très proche. La promesse d’OpenIA c’était de faire une intelligence artificielle grand public, qui puisse vraiment aborder plein de choses et qui soit libre.

Pierre Beyssac : Open source en tout cas !

Emmanuel Charpentier : Oui ! Honnêtement, techniquement ça revient à peu près à la même chose, on est d’accord que l’éthique n’est pas là, ce n’est pas, en tout cas il n’y a pas l’idée de l’éthique, mais l’implémentation, le code, quand il est open ou quand il est libre, ça revient un peu au même.
Pour le coup, ils ont un peu renié leur promesse, ils sont revenus en arrière, d’autant plus maintenant : ils ont obtenu tellement de financements, notamment de Microsoft, des milliards, qu’il n’est plus du tout question de libérer le code source, au nom de la sécurité de la société humaine ; n’oublions pas, y compris pour OpenIA, que l’intelligence artificielle comporte certains dangers.

Magali Garnero : Tu veux dire que, avant, c’était soi-disant open, accessible à tous et que, bizarrement, une fois qu’il y a eu du fric en jeu, ça s’est un peu fermé’

Pierre Beyssac : C’est un beau résumé !

Gee : Ils ont trouvé ça tellement juteux que !

Emmanuel Charpentier : Ils ne l’ont jamais vraiment diffusé, ils ont promis de le diffuser en Libre, mais ce n’était qu’une promesse !

Magali Garnero : Une promesse n’engage que ceux qui y croient.

Pierre Beyssac : À la création de la société, l’idée c’était quand même de garder ça dans le domaine public, en Libre ou open source, dans l’intérêt commun, c’était créé pour cette raison-là. Il y a d’ailleurs des choses qu’ils ont diffusées de manière libre, un truc qui s’appelle Whisper, qui permet de transcrire une émission de radio, un podcast ou autre en audio, vers du texte des sous-titres ou autre, c’est vachement pratique, ça marche plutôt pas mal.

Emmanuel Charpentier : En plus de ça, OpenIA est un montage de plusieurs structures et la structure qui est tout en haut, c’est une structure en non profit, donc non commerciale. Aux États-Unis c’est assez particulier, ce n’est pas tout à fait une association, mais ça comporte des problèmes parce qu’ils ont monté d’autres structures en dessous qui, elles, sont commerciales, elles ont des employés, des centaines d’employés. Sam Altman, qui n’est pas un technicien à la base, c’est plutôt un investisseur, c’est un gars qui gère des fonds d’investissement et qui a pris la direction de l’entreprise.

Pierre Beyssac : Il a travaillé dans un incubateur de start-ups bien connu, celui de Paul Graham, Y combinator. Il sait monter des boites.

Emmanuel Charpentier : C’est ça ! Le gars était aux bons endroits au bon moment, ça aide, il n’y a rien de tel pour dénicher ce qui va démarrer, eh bien il semblerait qu’il s’est mis à dos le conseil d’administration d’OpenIA et là il s’est fait virer, il y a quelques jours.

Magali Garnero : Attends ! Il s’est fait virer de sa propre boîte ?

Emmanuel Charpentier : Ce n’est pas sa boîte dans le sens où il est fondateur, il est considéré comme fondateur, mais il n’était que CEO, Chief Executive Officer, le directeur exécutif. Le directeur exécutif n’est pas le seul maître à bord, on va dire, il y a un conseil administration. Au conseil d’administration ils ne sont pas très nombreux, je crois qu’ils sont quatre, ils ont décidé que le gars n’avait pas été tout à fait aussi honnête qu’ils le demandaient, donc ils l’ont viré, et ça a fait des remous, quelque chose de phénoménal, dans la sphère internet, dans la sphère économique, parce que OpenIA c’était un petit peu la pépite qu’on n’avait pas vu venir et qui avait grossi comme pas possible depuis un an.

Pierre Beyssac : Et ça s’est passé en trois jours ! Il a été viré vendredi, samedi ils ont dit qu’ils allaient peut-être le reprendre, samedi ou dimanche il a dit qu’il partait chez Microsoft et hier il disait qu’il ne savait plus trop, en fait ! Donc ce n’est pas terminé, on ne sait pas ce que ça va donner.

[Rires]

Emmanuel Charpentier : Des employés d’OpenIA suivent le gars, ils ont décidé, eux aussi, de démissionner, ils vont aller avec lui chez Microsoft. Dans une lettre, plein d’employés, des centaines d’employés, ont dit qu’ils étaient en train d’y réfléchir, mais que, si le conseil d’administration ne se désistait pas, eh bien ils allaient partir eux aussi. On ne sait pas trop où ça va, c’est peut-être, simplement, une manière pour Microsoft de racheter sans coût énorme l’équipe, parce qu’après tout ce sont les compétences humaines qui sont importantes avant le code. C’est peut-être une manière de récupérer ce qui était une fondation, quelque chose de non commercial, et d’en faire quelque chose qui vaut des milliards. Ce sont des affaires d’ultra-riches. Je pense que les complots et les théories en tout genre...

Pierre Beyssac : Ça vaut déjà des milliards, de toute façon, les potentiels sont indiscutables.

Magali Garnero : On va s’arrêter sur le drama du week-end. On va laisser la parole à Isabella puisqu’elle a plein de choses à nous raconter.

[Sonnette]

Isabella Vanni : Merci beaucoup à nos invités pour ce Au café libre.
Nous allons faire maintenant une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Je vous rappelle que Cause Commune fait face, actuellement, à des gros problèmes financiers. Pour nous aider, rendez-vous sur le site causecommune.fm et cliquez sur le bandeau d’appel aux dons. Vous pouvez faire ça tout en écoutant la pause musicale à venir.
Nous allons écouter Blue Cats par Alpha Brutal. On se retrouve dans quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Blue Cats par Alpha Brutal.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Blue Cats par Alpha Brutal, disponible sous licence libre Creative Commons, CC By SA 3.0.

[Jingle]

Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni de l’April, nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique de Gee - « Le Libre doit-il être communautaire »

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec la chronique de Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille, qui vous expose son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique. Le site de Gee : grisebouille.net. Le thème du jour : « Le livre doit-il rester communautaire.
Gee participait à la discussion Au café libre, il est donc déjà sur place.

Gee : Oui. Salut à toi public de Libre à vous !. Effectivement, ça fait une heure que je parle, salut quand même !

Quand on parle de Libre, et particulièrement de logiciel libre, on pense souvent à un logiciel développé en commun, le partage et l’ouverture du code permettant, théoriquement à n’importe qui ayant les compétences pour, de contribuer. On a même souvent tendance à confondre logiciel libre et logiciel communautaire, comme si ces deux caractéristiques – la licence libre et le développement contributif – étaient deux facettes indissociables d’une même pièce.
Pourtant, si on reprend la définition la plus commune du logiciel libre, celle de la Free Software Foundation, la notion de communauté n’est pas vraiment présente. Cette définition, je la rappelle, parle avant tout de quatre libertés :

  • la liberté 0, celle d’exécuter le programme, peu importe l’usage ;
  • la liberté 1, celle d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ; là, c’est bien la notion de source ouverte qui est le point sur lequel se concentre l’open source ;
  • la liberté 2, celle de redistribuer des copies du programme gratuitement ou pas, libre ne veut pas forcément dire gratuit ;
  • et enfin la liberté 3, celle d’améliorer le programme et de distribuer ces améliorations au public pour en faire profiter toute la communauté.

OK. On a une petite notion de communauté à la fin, mais c’est plutôt dans le sens de publics ou de groupes d’utilisateurs/utilisatrices.
En revanche, rien n’indique un développement communautaire.
Super, mais ça, quelque part, c’est la théorie. En pratique, force est de constater que le Libre est souvent communautaire. Si je vais voir le code source de quelques logiciels libres connus, je peux connaître le nombre de personnes ayant contribué, j’en ai noté quelques-uns : VLC, le lecteur multimédia libre, près de 600 personnes, LibreOffice, la suite bureautique libre, plus de 1200 personnes ; et enfin Linux, le célèbre noyau de systèmes d’exploitation libres, quand même presque 15 000 personnes ; à titre de comparaison, le plus grand zénith de France, celui de Strasbourg, ne pourrait pas accueillir l’ensemble des contributeurs et contributrices de Linux avec sa capacité de, seulement, 12 000 places.
Donc oui, pas mal de logiciels sont définitivement communautaires, notamment les plus populaires, et, en général, plus le logiciel libre est développé depuis longtemps, plus il aura vu passer du monde. Mais parfois, il faut regarder un peu au-delà des chiffres. Comme disait Churchill : « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées ». Non ce n’est pas vrai ! En vrai, il n’a jamais dit ça, mais ça fait toujours classe de citer Churchill !

Pour l’exemple, je vais prendre un logiciel libre relativement récent et que je connais bien parce que son développement est géré par Framasoft, une asso d’éducation populaire aux enjeux du numérique et des communs culturels, j’ai nommé PeerTube. PeerTube est un logiciel de diffusion de vidéos libres, décentralisé, qui affiche plus de 400 contributeurs et contributrices, sauf que, dans les faits, quasiment 50 % des contributions ont été faites par une seule personne, à savoir Chocobozzz, le créateur du projet. Bisous à toi, Choco, si tu nous écoutes ! Si on prend les dix personnes ayant le plus contribué à PeerTube, on monte à 60 % des contributions. Donc oui, c’est communautaire, mais il faut être honnête, si tu retires la poignée de personnes les plus impliquées, il ne va pas rester grand-chose de la communauté ! C’est ce qu’on appelle le bus factor. En gros, est-ce que notre beau logiciel peut continuer sans heurts si telle ou telle personne passe sous un bus ? Et PeerTube, encore, ça va en s’arrangeant, mais on sous-estime beaucoup le nombre de projets qui reposent quasiment entièrement sur les épaules d’une seule personne.

Je ne peux pas ne pas citer cette image très populaire extraite du blog XKCD. On y voit une grosse pile de briques, très complexe, représentant toute l’infrastructure numérique moderne et, tout en bas, une fine brique tient l’ensemble dans un équilibre très instable, petite brique où il est indiqué « Projet qu’une personne quelconque du Nebraska maintient inlassablement depuis 2003 ».

Bref ! Un logiciel libre, surtout quand il est petit, c’est souvent une aventure solitaire, et, même quand il est important, une communauté ce n’est pas un truc qui apparaît magiquement, comme ça, et qui se développe tranquillement dès qu’un machin est mis sous licence libre. Je vais vous dire, il y a pire, des fois la communauté c’est un peu la poubelle des entreprises qui veulent se débarrasser d’un logiciel libre sans le dire très franchement. On se souvient des fondateurs de Diaspora, le réseau social libre, qui après un financement participatif réussi en 2010, ont jeté l’éponge en 2012 en disant, en gros, « ouais, Diaspora maintenant, c’est communautaire. Ciao les gars, démerdez-vous ! ». Ou encore Oracle qui, après avoir racheté Sun Microsystems, annoncera son retrait du développement d’openoffice.org, sachant que c’était Sun Microsystems qui en gérait le développement avant, c’est un peu comme si Mick Jagger annonçait son retrait des Rolling Stones. Dans les deux cas, ça s’est finalement plutôt bien passé : une communauté de développement s’est bien formée autour de Diaspora et, sur les ruines d’openoffice.org, ont poussé LibreOffice et Apache OpenOffice.
N’empêche que la communauté, dans le logiciel libre, ce n’est pas un truc facile et ce n’est certainement pas automatique.

D’ailleurs je vais vous dire, des fois ce n’est peut-être même pas souhaité en fait.

Je vais prendre mon propre exemple. Je publie un logiciel libre qui s’appelle Sosage, un acronyme pour Superflous Open Source Adventure Game Engine, c’est le moteur de mon jeu vidéo SuperFlu Riteurnz. Eh bien, figurez-vous que je n’accepte pas les contributions sur ce logiciel ! Vous pouvez me remonter des bugs, mais j’ai désactivé l’option qui consiste à soumettre directement des modifications. Pourquoi ? Parce que, mine de rien, gérer des contributions, c’est un vrai boulot, c’est un truc qui demande du temps, de l’énergie, et je préfère réserver mon temps et mon énergie à d’autres trucs. Sosage reste un logiciel libre, si vous voulez le modifier, libre à vous de le faire – « libre à vous », vous avez la réf –, libre à vous de le modifier donc, mais sur votre propre copie, votre propre fork, pas chez moi.
J’étends aisément ça à l’art libre, c’est pour cela que ma chronique parlait de « libre » tout court et non juste de logiciel libre. Je publie mes créations BD, blog, livres, etc., sous licence libre. Par contre, désolé, mais en termes de création je suis plutôt un solitaire, j’aime bien bosser seul. Donc, pour ce qui est des contributions, à part pour me signaler des fautes d’orthographe et j’en fais, merci, mais non merci ! Il y a quelques exceptions comme le Guide du connard professionnel avec mon camarade Pouhiou ou les quelques articles pour demander des idées aux gens sur les médias sociaux, elles sont délimitées et finalement très rares.
C’est la même raison pour laquelle je n’ai pas ouvert les commentaires sur mon blog. Au-delà du fait qu’un commentaire positif vous fait sourire cinq minutes et qu’un négatif peut vous plomber une journée complète, gérer des commentaires, faire de la modération, c’est un gros taf et ce n’est pas le mien, je suis auteur, c’est tout.
Que ce soit auteur de logiciels libres, de BD ou de blog, le raisonnement est le même : je suis pour que les gens soient libres et que mes productions respectent les fameuses quatre libertés, mais je n’ai aucune envie d’assumer toute la charge que représente la gestion de contributions.
Je vais même aller plus loin. Personnellement, si on me dit que mes créations doivent accepter des contributions pour être qualifiées de libres, je vous le dis tout net, j’arrête le Libre !

Pour conclure, le Libre permet effectivement la formation de communautés humaines qui essaient d’avancer dans un but commun, et c’est vraiment génial, mais la communauté c’est un peu comme une relation de couple : si ce n’est pas une relation consentie, c’est de la merde !
Allez, salut !

[Applaudissements]

Gee : C’est la première fois que je suis applaudi pour une chronique ! On devrait faire des cafés libres plus souvent !

Isabella Vanni : C’était une excellente fin ! Merci Gee pour cette chronique. La prochaine le mois prochain.

Gee : Oui

Isabella Vanni : Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Jingle]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Isabella Vanni : Une soirée radio ouverte au studio de Cause Commune, à Paris, dans le 18e arrondissement, vendredi 1er décembre 2023 à partir de 19 heures 30.

L’April sera présente avec un stand et une ou deux de conférences, je ne me souviens plus, à Open Source Expérience, un salon professionnel autour du logiciel libre, à Paris, les 6 et 7 décembre 2023.

Je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous.

Je tiens à vous rappeler que Cause Commune fait face actuellement à de gros problèmes financiers, au point que la radio n’est pas à l’abri d’un défaut de paiement dans les semaines qui viennent, donc d’une coupure de l’antenne. Pour nous aider, rendez-vous sur le site causecommune.fm et cliquez sur le bandeau d’appel à dons. L’émission va se terminer, vous pourrez nous aider juste après.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Xavier Berne, Magali Garnero, Gee, Pierre Beyssac, Emmanuel Charpentier.

Aux manettes de la régie aujourd’hui, Élise, avec le soutien de Julie Chaumard. Bravo !

Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets de l’émission en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.

N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur : 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire également connaître la radio Cause Commune, la voix de possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 28 novembre 2023 à 15 heures 30. Notre sujet principal sera normalement « Au cœur de l’April », l’occasion de faire le point sur nos actions passées, en cours et à venir.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 28 novembre et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.