Transition numérique et urgences climatiques et sociales Table ronde - B-Boost 2021

Nos intervenants échangeront autour du Numérique responsable qui est situé à la confluence de la transition numérique et des urgences climatiques et sociales.

Thierry Noisette : Bonjour. Merci à tous et toutes d’être présents par ce beau temps, je trouve que les libristes sont des gens méritants. On a envie de se promener par ce superbe soleil, dans cette belle ville, mais non, on est là pour travailler, heureusement il y a la soirée. Pardon pour ce petit retard pour de légères raisons techniques.
Véronique Torner, on va commencer par vous, ne serait-ce que pour être sûrs que la liaison marche encore. Vous n’êtes pas présente avec nous, mais vous avez des circonstances atténuantes et pas seulement parce que vous êtes parisienne. On a appris, il y a deux jours si je ne dis pas de bêtises, que votre entreprise Alter Way [1] rejoint l’entreprise Smile [2], c’est une grosse opération dans le monde de l’open source, ce n’est pas tout à fait dans le sujet du numérique responsable, mais c’est une opération importante, je comprends que vous n’ayez pas le temps de faire l’aller-retour.

Véronique Torner : Bonjour. Je suis vraiment désolée, ça m’aurait fait très plaisir d’être avec vous puisque j’adore La Rochelle, en plus vous me dites qu’il y a un beau temps. J’aurais vraiment aimé être avec vous, après si longtemps qu’on n’a pas partagé du temps ensemble ça m’aurait vraiment fait plaisir de revoir certaines personnes. C’est vrai que l’actualité ne permettait pas de faire un déplacement, veuillez m’en excuser, c’est avec beaucoup de regrets. On a une grosse actualité puisqu’en effet nous nous rapprochons du groupe Smile, nous sommes très contents de contribuer, comme ça, à la consolidation de notre secteur. Je pense qu’il y a besoin de champions industriels à l’échelle européenne. Nous sommes vraiment ravis de ce projet.

Thierry Noisette : Vous êtes toute excusée avec cette actualité. Je vous signale, juste pour aggraver votre regret, que les huîtres sont vraiment excellentes, pour ceux qui en ont goûté !

Véronique Torner : C’est moche de me dire ça !

Thierry Noisette : Vous avez un peu une double casquette puisque vous êtes à la fois coprésidente d’Alter Way, mais vous êtes aussi au Syntec Numérique [3]. Pour commencer, je vais vous demander comment le numérique responsable est-il abordé dans votre entreprise, comment est-ce que ça change depuis quelques années sur ce plan-là et comment est-ce que c’est vécu au Syntec Numérique ? Qui l’organise et quelles sont les répercussions ?

Véronique Torner : Au niveau d’Alter Way. Alter Way est une entreprise engagée depuis de très longue date sur le numérique responsable, on s’est créé en 2006, Alter Way a donc 15 ans cette année. Je considère que l’open source est une brique importante du sujet numérique responsable, on va certainement en reparler.
On s’est créé sur ce projet, cet engagement numérique responsable qu’on a élargi au fur et à mesure avec des offres pour de l’inclusion, de l’accessibilité numérique, ça fait maintenant plus de dix ans que nous travaillons sur les sujets d’accessibilité numérique. Nous avons également enrichi cette offre avec des offres d’écoconception, là on est plutôt sur des sujets d’empreinte environnementale. On a maintenant pris un virage, il y a quatre/cinq ans, sur le cloud de manière assez importante. Là, pareil, on a travaillé dans cette trajectoire de move to cloud sur des sujets sur l’empreinte environnementale, aujourd’hui on travaille notamment sur des sujets autour du FinOps [4] pour accompagner nos clients dans leur trajectoire du move to cloud tout en minimisant leur empreinte environnementale.
Le numérique responsable ce sont aussi des sujets de confiance. On s’est énormément développé sur des offres autour de la sécurité, on a passé des certifications ISO 27001, la certification HDS [Hébergeurs de données de santé] sur les activités de service managé.
Au niveau d’Alter Way on a essayé, au cœur de nos offres, de faire vivre le numérique responsable et pas uniquement dans une démarche de RSE [Responsabilité sociétale des entreprises]. Bien évidemment, au sein d’Alter Way, nous avons une politique de RSE forte sur les différents piliers, social, sociétal et environnemental. Je pense que ce qui caractérise le numérique responsable c’est vraiment quelque chose qu’on peut positionner au cœur de nos stratégies d’entreprise, au cœur du business, pour accompagner nos clients dans cette trajectoire. Ça c’est au niveau d’Alter Way.
C’est quelque chose qui me tient à cœur depuis des années et, au sein de Numeum [3] aussi j’ai évidemment voulu partager cette ambition, ces convictions et depuis maintenant plusieurs années puisqu’on a créé le programme numérique responsable depuis 2019, qui s’appuie sur ces trois piliers dont on vient de parler le social, le sociétal et l’environnemental.
Sur le pilier social on est beaucoup autour des thématiques d’inclusion, les sujets autour de la diversité. On a parlé de l’accessibilité numérique, il y a évidemment le sujet du handicap, l’inclusion dans les territoires, la formation, la reconversion. C’est le premier pilier, on a énormément de programmes à Numeum [3] sur ces thématiques.
Le deuxième pilier est la partie sociétale. On va retrouver des sujets autour de la transparence, la confiance, l’éthique, la sécurité, la souveraineté.
Le troisième c’est le pilier environnemental où là on a un très gros projet, peut-être qu’on aura l’occasion de le détailler un petit peu, qui est Planet Tech’Care.

Thierry Noisette : Vous mentionnez l’accompagnement des clients notamment en matière environnementale, est-ce que c’est quelque chose de longue date, de la part des clients j’entends, ou est-ce que vous avez l‘impression qu’il y a une prise de conscience plus récente ?

Véronique Torner : C’est très récent sur la partie environnementale. C’est monté vraiment en puissance fin 2019, avant la crise sanitaire et, depuis la crise sanitaire, c’est vraiment un sujet qui est majeur. Je pense qu’il y a de plus en plus une prise de conscience des entreprises sur le sujet de la RSE, poussée aussi par la réglementation, il faut l’avouer, les grandes entreprises ont des obligations réglementaires notamment dans les lois climat, donc ça les a obligées à se mobiliser sur des sujets, mais la DSI [Direction des Systèmes d’Information] n’était pas toujours partie prenante de ces sujets. Depuis quelques années, et on le voit au travers du discours du Cigref [5] – hier soir c’était l’AG du Cigref – depuis maintenant plusieurs cessions de l’AG du Cigref apparaissent ces sujets du numérique responsable sur les thèmes autour de l’inclusion, la diversité, hier était très présent le sujet autour de la sécurité, la protection des données et, bien évidemment, l’empreinte environnementale. C’est quelque chose qu’on voit apparaître depuis deux/trois ans, qu’on essaye de faire vivre au travers d’offres. De plus en plus de clients demandent, matérialisent leur appel d’offres en imposant en fait des critères, des KPI [Key erformance Indicator] sur ces sujets de numérique responsable.
Par exemple, tout dernièrement, nous avons une très grosse activité de services managés chez Alter Way. En association avec une startup qui s’appelle Grennly [6], on peut aujourd’hui donner l’empreinte carbone des services managés de nos clients. C’est une mesure qui est encore approximative aujourd’hui parce qu’on ne sait pas encore bien mesurer précisément tous ces éléments-là, mais ça donne un ordre de grandeur, ce sont toujours des chiffres qui sont intéressants à voir dans la dynamique au travers d’actions qu’on peut mener auprès de nos clients, comment on arrive à réduire ce chiffre-là.

Thierry Noisette : Merci. Je sais que c’est l’après-déjeuner mais si, en cours d’intervention, il y a des moments où vous avez des questions, n’hésitez pas à la lever la main, je transmettrai un micro dans la salle, parlez surtout dans le micro pour que ce soit bien capté et que ce soit entendu aussi à Paris.
Vincent Courboulay vous êtes vous aussi avec une double casquette puisque vous êtes enseignant-chercheur à l’université de La Rochelle et vous êtes aussi directeur scientifique de l’Institut du Numérique Responsable.
Je vais peut-être vous demander comment fonctionne l’Institut, qui est partie prenante, à quoi ça sert, qui sont vos destinataires ? Et peut-être parler de la charte du numérique responsable.

Vincent Courboulay : Merci beaucoup de l’invitation.
Triple casquette : enseignant, chercheur et directeur scientifique.
L’Institut du Numérique Responsable [7] est une association loi 1901 qui est localisée à l’université justement pour éviter des problématiques de savoir où on positionne une association parce que, des fois, il y a des concurrents, etc., l’université a au moins cet avantage d’être neutre. Elle est aussi sur un territoire qui, depuis plusieurs années, est baigné par le concept de numérique responsable. La Rochelle est peut-être un des territoires qui a le plus d’antériorité sur cette notion de numérique responsable avec des gens qui sont dans la salle et des élus qui s’engagent.
L’association a pour objectif de fédérer, elle a pour objectif de faire savoir, de faire connaître, elle a pour objectif de monter tout le monde en compétences sans aucun parti pris. Nous sommes très agnostiques en termes de montée en compétences, même en termes de personnes autour de la table puisqu’on a des grands groupes, on a des banques, on a des industries tertiaires, on a des PME, on a des TPE, on a des ONG, aujourd’hui on regroupe une centaine de membres.
L’objectif ce n’est pas simplement de délivrer des livres blancs. J’ai l’impression qu’aujourd’hui on n’a plus envie de libres blancs, on a compris le problème. Grâce à des gens comme Véronique depuis des années on monte en compétences et on comprend le problème. Aujourd’hui on a besoin aussi d’outils, de mesures et d’actions. L’objectif de l’Institut c’est aussi de délivrer ce genre d’outils pour que tout le monde puisse s’approprier les enjeux, s’approprier les problèmes et trouver ses solutions, ses propres solutions. On ne dit pas qu’on a la vérité absolue, loin de là, en tous les cas on fournit des outils pour essayer que tout le monde puisse toucher du doigt des solutions et les mettre en place dans ses organisations, qu’elles soient publiques ou privées.
La charte [8] en est un exemple. Une charte, évidemment, n’engage que ceux qui y croient, on est bien d’accord, puisque c’est signer un bout de papier avec des engagements que personne ne vérifie pour l’instant. Justement, c’est parce qu’elle fait partie d’un écosystème qui est beaucoup plus large, qui va jusqu’à des notions de label auditable et audité. On pave finalement le présent du numérique responsable par toute une palette d’outils en se disant que l’engagement d’une charte en fait partie, l’engagement d’un label en fait partie, la mesure de l’empreinte environnementale de son SI que l’agglo de La Rochelle a faite cette année pour avoir une idée de combien pèse le numérique dans son budget carbone en fait partie. On essaye de multiplier les outils pour que tout le monde trouve celui qui correspond à son besoin, se l’approprie et se lance dans une démarche dont on est persuadé, de toute façon, qu’elle est vertueuse. C’est comme pour l’agriculture, on espère, à terme, qu’il n’y ait plus qu’une seule agriculture qui soit bio, on espère, à terme, qu’il n’y ait plus qu’un seul numérique qui soit responsable. Pour l’instant il faut encore préciser ça parce qu’il y a des usages qui pervertissent un petit peu cette magnifique invention qu’est le numérique.

Thierry Noisette : Que ce soit parmi vos membres ou parmi les entreprises que vous voyez, que pourriez-vous citer comme exemple d’entreprises ou de groupes qui sont particulièrement peut-être pas en avance on va dire, mais qui sont vraiment présents sur cette question du numérique responsable et qui peuvent être des modèles pour d’autres ?

Vincent Courboulay : Est-ce que j’ai le droit de citer l’agglo de La Rochelle ?

Thierry Noisette : On peut se le garder pour la troisième intervention.

Vincent Courboulay : OK.
Il y a deux groupes qui me viennent spontanément en tête, c’est la Société générale et Pôle emploi, donc oui, je balance des groupes. Ce sont des gens qui ont clairement décidé de structurer leur démarche et en fait c’est ça qui est bien. Aujourd’hui, pas mal d’actions sont entreprises à droite à gauche par plein de groupes. L’avantage de ces groupes c‘est qu’ils ont décidé de structurer leur démarche sur du People, planet, prosperity, depuis la DSI, le datacenter jusqu’à l’accessibilité, jusqu’à l’égalité homme/femme. Aujourd’hui ces deux groupes-là ont décidé de mettre au cœur de leur transformation numérique le numérique responsable, en fait ils ont décidé d’opter pour une transformation numérique responsable de leur business et de leur organisation. Ce qui est intéressant c’est de voir que n’aborder le sujet que par l’empreinte environnementale, de n’aborder le sujet que par l’empreinte sociale ou de n’aborder le sujet que par la transformation numérique qui va vous faire passer sur un business du 22e siècle, en fait ça ne fait pas sens. C’est par l’approche systémique du numérique dans son organisation qu’on se rend compte qu’il n’y a pas tout à jouer sur une même carte, que c’est vraiment la multiplicité des actions, petites ou grandes, qu’il faut avec cette vision très RSE dont Véronique parlait tout à l’heure, People, planet, prosperity ou « social sociétal ou environnemental » qui font qu’on est à peu près certains de ne pas avoir des transferts d’impacts. Si on n’œuvre que sur des transformations environnementales, potentiellement on a transfert d’impacts vers du social ou du business, alors qu’avoir une vision la plus large possible du People, planet, prosperity fait qu’à chaque fois qu’on a une action sur le côté environnemental, si elle impacte sur le côté business, on se demande s’il y a vraiment besoin de la faire ou pas ? Ce qui est intéressant c’est d’avoir une vision multi-indicateurs, multi-critères pour éviter, quelques années plus tard, de se dire « on avait oublié cet indicateur-là et aujourd’hui on est très mauvais sur cet indicateur ».
L’idée c’est un peu ça, c’est avoir une vision très large.
Aujourd’hui c’est difficile d’embarquer tous les collaborateurs de l’ensemble de l’organisation pour dire que le numérique est systémique, il faut que tout le monde s’y mette. Aujourd’hui on est plutôt sur le côté comm’, le côté DSI, le côté accessibilité/inclusion, le côté mixité. Il y a des gens qui font plein de choses, rares sont les organisations qui le font de façon systémique, mais je n’ai pas le droit de parler de l’agglomération de La Rochelle.

Thierry Noisette : Comme je sens que vous avez désespérément envie de spoiler, je vais passer la parole à la troisième intervenante qui, elle aussi a plusieurs casquettes. Marie Nédellec vous êtes à la fois entrepreneuse à titre personnel, vous êtes adjointe au maire de La Rochelle avec, entre autres, la transformation numérique, c’est ça l’intitulé, et vous êtes conseillère de l’agglomération aussi en charge du numérique. Ça fait différentes échelles. Si on prend juste la question collectivités – la ville, l’agglomération – comment le numérique responsable est-il vécu chez vous et comment s’est-il bâti ?

Marie Nédellec : Déjà ce n’est pas un sujet dont nous nous sommes saisis récemment, c’est un sujet qui est porté depuis déjà de nombreuses années.
Déjà peut-être situer La Rochelle dans son contexte et surtout ce qu’elle a comme ADN et, dans son ADN, La Rochelle a l’écologie urbaine vraiment ancrée. Les premiers vélos en libre-service c’était à La Rochelle et c’était en 1976, tout comme le premier secteur piéton dans une ville ou la première journée sans voiture. J’aime rappeler ces éléments-là parce que ça resitue aussi la démarche qu’a eue le précédent le maire, également notre maire actuel, avec une volonté forte de placer l’écologie comme un élément transversal et non pas comme un élément à traiter.
Pour le numérique c’est la même chose, ce n’est justement pas se dire qu’on va traiter la sobriété numérique d’un côté, l’inclusion numérique de l’autre, les entreprises qui sont, elles, vecteurs d’une économie et participent aussi à l’innovation. Non ! On a une stratégie numérique responsable, tout ça rentre dedans. Comment avance-t-on ensemble vers ces objectifs. On le raccroche évidemment à un projet de territoire puisque, comme je l’ai rappelé aussi ce matin lors de l’introduction à l’inauguration de ce salon, La Rochelle est une ville, un territoire engagé avec une ambition, cette ambition c’est d’atteindre la neutralité carbone en 2040.
Le numérique est un élément central de cette démarche, central et transversal puisqu’on va travailler à la création d’outils, notamment d’une plateforme de données territoriales qui va nous permettre d’atteindre ces objectifs sur les différents vecteurs que sont la rénovation énergétique, les mobilités, le carbone bleu, plusieurs éléments, et le numérique est un élément qui nous permettra d’y participer.

Thierry Noisette : Pouvez-vous en dire un peu plus sur cette base de données, comment ça va fonctionner, qui va l’alimenter ? Est-ce qu’elle sera consultable par ceux qui la fourniront ou sera-t-elle consultable par tout le monde, par des chercheurs ?

Marie Nédellec : Déjà peut-être préciser que le programme La Rochelle Territoire Zéro Carbone est une démarche collective, je pense que c’est important, ça l’a aussi été rappelé tout à l’heure. Dans une entreprise, à la fois les collaborateurs, les partenaires, les fournisseurs, les clients sur mobilisés sur ces enjeux, eh bien pour nous c’est pareil. Il nous faut nous mobiliser au sein même de la collectivité, donc ville, agglomération, il faut mobiliser nos partenaires, donc les entreprises, comment on va vouloir les intégrer dans cette démarche, l’université qui est aussi partie prenante. Et puis c’est aussi aller chercher les citoyens dans cette démarche puisque ce n’est pas que notre volonté et ce n’est pas une volonté en se disant « on se rassure et il faut y aller donc on y va ». Non. C’est comment, collectivement, on y arrive, comment on embarque avec nous toute personne car toute personne peut participer à cette démarche.
La plateforme de données est créée. Le marché vient tout juste d’être attribué et on aura l’occasion d’en reparler aussi un petit peu demain. L’objectif c’est justement d’agréger toutes ces données dans une plateforme, pas uniquement les nôtres, pouvoir intégrer des données qui ne sont pas extérieures puisqu’elles sont propres à notre territoire, en tout cas par des partenaires qui vont participer en donnant leurs données. Derrière croiser ces données et ça participera à des prises de décision. Nous politiques, aussi, quand on choisit de prendre de telle ou telle décision, on la prend parce qu’on a un élément factuel et que la data nous a permis d’avoir cet élément factuel.

Thierry Noisette : J’ai une question pour tous les trois à différents titres : comment les logiciels libres et l’open source peuvent-ils participer à cette démarche du numérique responsable ? Je pense, entre autres mais pas exclusivement, à la question de l’obsolescence programmée et du renouvellement parfois forcé des matériels. Ce matin je discutais avec plusieurs personnes, on me donnait l’exemple du passage à Windows 11. Certaines administrations qui ne vivent que par Windows vont renouveler une partie importante de leur parc alors même que les ordinateurs fonctionnent très bien. Véronique.

Véronique Torner : Oui. Avec plaisir.
Je vous l’ai dit en introduction, je pense que l’open source est une brique essentielle du numérique responsable, c’est une conviction de longue date. Oui, il y a le sujet de l’obsolescence software et l’open source a bien évidemment des vertus sur cette partie. On a également parlé un peu de l’empreinte sociétale sur les sujets d’éthique, le fait que l’open source a aussi dans son ADN de la transparence, le fait que ça s’inscrive aussi dans de l’intelligence collective, collaborative, sur de l’innovation ouverte qui sont des facteurs favorables au numérique responsable.
Après, quand je dis ça je ne dis pas systématiquement que open source = numérique responsable. Il faut qu’on le fasse dans les bonnes pratiques. Toutes les solutions open source ne cochent pas toutes les cases du numérique responsable, mais dans son ADN, dans son potentiel, si on applique les bonnes pratiques, c’est une brique assez essentielle du dispositif.

Marie Nédellec : On peut effectivement peut-être rappeler, Véronique l’a bien précisé, cette démarche. En tout cas nous, en tant que collectivité, quand on fait la démarche de créer une plateforme territoriale de données, c’est certes pour nous permettre de mieux prendre les décisions, d’être plus dans la réalité de notre territoire, mais derrière toute la démarche de La Rochelle Territoire Zéro Carbone c’est aussi le partage. Ce que l’on fait à l’échelle de notre territoire, c’est aussi exploitable à l’échelle d’autres territoires. Si on est vecteur d’innovation sur notre territoire, toute la force de l’open source sur ce type d’outil c’est de pouvoir, derrière, le dupliquer parce qu’on est aussi dans une urgence. Nous voulons atteindre la neutralité en 2040, dix ans avant la date fixée par les accords de Paris. Ce n’est pas dans dix ans qu’il faudra se soucier du sujet. Si nous avons pris un petit peu d’avance en créant des outils et si ça peut aussi être partagé, ça n’est que mieux.

Vincent Courboulay : Pour compléter éventuellement ce qui a été très bien dit il y a aussi la notion de confiance qui est importante. Aujourd’hui le numérique est un outil qui est fondamental, tout le monde en est convaincu, à partir du moment où on a confiance dans cet outil-là. Si vous prenez votre voiture tous les jours, que vous roulez à 130 à l’heure sur l’autoroute avec vos enfants derrière, c‘est que vous avez confiance en votre voiture. OK, la voiture pollue, mais l’idée c’est quand même d’aller d’un point A à un point B, d’avancer, d’aller travailler. Aujourd’hui si vous n’avez pas confiance dans cet outil-là qu’est le numérique pour votre vie de citoyen, pour votre vie professionnelle, c’est embêtant et bien évidemment le logiciel libre est un outil de confiance qui est vraiment important. C’est un outil qui est transparent, c’est un outil qui est adaptable, c’est un outil qui permet, pour des micros communautés, de déployer des compléments qui permettent d’adapter l’outil à son besoin, à sa pratique. Il y a plein d’avantages. Je pense qu’on est tous d’accord, on ne pourra pas vous dire qu’open source est égal à moins d’impact environnemental, qu’il y a moins d’effets de gaz à effet de serre. Par contre, si on envisage la problématique du numérique là encore d’un côté vraiment global, People, planet prosperity, oui il y a des avantages évidents. Est-ce que ça doit être l’unique mode économique du numérique, je ne sais pas, en tous les cas il a sa place et c’est une place fondamentale.

Thierry Noisette : J’aurais quelques autres questions mais je ne voudrais pas accaparer la parole. Est-ce que des personnes dans la salle ont des commentaires, des questions, ou des réactions ? Je vous passe le micro.

Public : Bonjour. [Prénom Nom] pour ADbanking. Je n’ai pas de question mais juste peut-être un élément d’éclairage supplémentaire par rapport à cette histoire du rôle de l’open source dans le numérique responsable. Effectivement l’open source n’est pas forcément égale à « numérique responsable », par contre elle peut être un allié. Je peux vous donner concrètement trois exemples de comment l’open source peut être un allié.
Le premier. Par exemple avec GNU/Linux, avec l’open source on peut aujourd’hui redonner vie à des ordinateurs qui auraient pu être un peu obsolètes avec les programmes propriétaires. On peut effectivement leur redonner vie, une deuxième vie avec l’open source.
Deuxième point important. Lorsqu’on est sur de l’open source tout le monde peut contribuer, il y a une communauté, donc c’est aussi un gain d’argent pour les entreprises, elles peuvent dégager des leviers financiers pour investir dans le numérique responsable, etc. Ça peut créer des marges de manœuvre financières pour investir sur autre chose que sur le matériel, etc.
Troisième point. Ce que vous venez de dire, c’est en lien avec la confiance. Lorsqu’on est sur de l’open source on a une communauté autour qui est active, qui est vigilante, qui porte des valeurs qui ne sont pas forcément des valeurs matérielles. On a aussi besoin d’éthique pour avancer sur le numérique responsable.

Thierry Noisette : Juste sur la question des mises à jour par rapport à GNU/Linux, j’ai pensé en vous entendant qu’il y a plusieurs associations je crois, notamment Emmaüs Connect [9], qui, quand elles font de la récupération de matériel informatique, installent GNU/Linux, installent ce type de logiciel libre ce qui permet d’avoir des matériels qui techniquement fonctionnent encore très bien et de les fournir à des populations qui n’ont pas besoin d’avoir la dernière version du dernier logiciel qui vient de sortir.

Véronique Torner : D’ailleurs j’invite tout le monde à s’intéresser à Emmaüs Connect qui est une très belle initiative inclusive sur le sujet du numérique, Numeum [3] est partenaire d’Emmaüs Connect et Alter Way a utilisé des services d’Emmaüs Connect il y a très peu de temps. Nous sommes ravis d’avoir pu contribuer, d’avoir pu donner du matériel, pour qu’il ait une deuxième vie, à des populations qui pourraient se retrouver en situation d’exclusion face au numérique. Merci Thierry d’avoir cité cet exemple, c’est un très bel exemple.

Vincent Courboulay : Et ne pas se contenter de s’arrêter à « je donne du matériel », mais aller jusqu’à la formation, mettre des médiateurs numériques au plus près des personnes qui en ont besoin parce que donner GNU/Linux à des gens qui ont utilisé toute leur vie Windows ou d’autres, même qui n’ont pas utilisé, ça ne sert pas à grand-chose. À un moment donné le matériel, le serviciel, doivent s’accompagner de l’humain pour accompagner ces personnes-là et d’autres, on ne va pas mettre tout ça toujours sur le dos de la fracture sociale. À un moment donné le numérique doit s’accompagner. Aujourd’hui le numérique doit être remis à sa juste place c’est-à-dire à côté des gens et pas les gens à côté du numérique. La place centrale ce sont les gens – je déteste dire les gens –, c’est l’humain. Le numérique est un outil. Si vous me donnez une machine à coudre ! À un moment donné il faut aussi former les gens, il faut les accompagner, c’est important et ça peut aussi développer des nouveaux métiers, on le voit bien avec la notion de médiateur, développer de la montée en compétences des territoires. Juste pour dire que le matériel c’est très bien mais il faut que ce soit accompagné.

Marie Nédellec : Si je peux rebondir sur ce sujet-là. Dans le pilier de notre stratégie numérique responsable il y a effectivement l’inclusion numérique. Pour y arriver on met en place des médiateurs numériques sur le territoire, on en a plusieurs, et on a fait aussi le choix d’avoir des conseillers numériques itinérants. Il y a des personnes en difficulté qui sont faciles à identifier, on les retrouve surtout sur le périmètre urbain sur la ville de La Rochelle. On arrive à identifier les publics qui sont dans une situation d’exclusion numérique parce qu’ils font souvent aussi appel à des associations CCAS [Centre Communal d’Action Sociale] qui vont pouvoir identifier les difficultés, là on va pouvoir accompagner. Et puis il y a les personnes qui sont moins faciles à identifier, elles sont souvent dans des villages, dans des villes un petit plus loin sur notre communauté d’agglomération et là il y a un gros travail d’où le fait de faire le choix d’avoir aussi des conseillers numériques itinérants sur l’ensemble de notre territoire.

Vincent Courboulay : Je continue mais je sais que je prêche des convertis, souvent le service numérique le plus accessible c’est l’humain. Donc viser 100 % de ces outils numériques dématérialisés et accessibles en ligne c’est, à mon avis, une mauvaise idée, nous sommes tous d’accord. Il faut aussi avoir des possibilités d’avoir des points relais, d’avoir des gens en face de soi pour poser des questions et avoir des réponses. C’est aussi ça l’intérêt, avoir du matériel mais aussi, quand on fait un service numérique, d’avoir des alternatives qui sont juste humaines.

Thierry Noisette : Il y a deux ou trois jours le Secours populaire a fait un communiqué [10] demandant qu’on ne fasse pas exclusivement du numérique en matière d’administration, rappelant qu’il y a des publics qui ne sont pas du tout sur le numérique et qu’il ne faut pas les oublier.
Je pensais faire une seconde de publicité pour une de mes paroisses, je ne me suis présenté. Je m’appelle Thierry Noisette, je suis journaliste au Nouvel Obs et blogueur sur les logiciels libres chez ZDNet.fr. À l’Obs on a une partie vidéo. Il y a quelque temps les équipes vidéo du journal avaient filmé en Île-de-France, en Seine-et-Marne, un département qui est très rural, exactement comme ce que vous avez fait c’est-à-dire des camionnettes, je crois que c’est France Services, qui vont dans les villages pour aider les gens par exemple à faire leur déclaration des revenus en ligne, à remplir une demande parce que beaucoup de services n’existent quasiment plus en matériel ou alors il faut faire 50 km dans le département. Elles se déplaçaient et on voyait vraiment les publics, souvent des gens âgés ou des gens au chômage qui n’avaient pas une grosse formation, qui connaissaient assez mal l’ordinateur. On voit que ces conseillers intermédiaires ont un rôle vraiment essentiel.

Vincent Courboulay : Je pense qu’il faut s’attendre à avoir de plus en plus de public qui peut le faire mais qui n’a pas envie de le faire.

Thierry Noisette : Ceux qui ne connaissent pas Paris, je ne sais pas s’il y en a, mais la RATP a, depuis plusieurs années, une politique de n’avoir quasiment plus de guichets, pour acheter des tickets ou n’importe quoi c’est uniquement en machine. Déjà quand on sait s’en servir c’est insupportable, mais il y a toujours peut-être 10 % des gens qui ont du mal avec les machines et c’est épouvantable. C’était une parenthèse.

Public : Merci Thierry.
Pascal Baratoux, Innovalead [11]. J’en ai déjà parlé lors d’une précédente conférence ce matin, je rebondis sur ce que vous disiez et ce que disait monsieur sur l’emploi de GNU/Linux sur les PC. On sait très bien que GNU/Linux consomme moins de ressources que ne peut le faire Windows, donc c’est un moyen de retarder l’échéance du changement des PC. Toutes les actions de recyclage qui se font auprès d’Emmaüs Connect c’est très bien ce qui va demander une formation, et vous le disiez très bien Vincent, parce qu’on utilise Windows et ensuite on est obligé de reformer les gens à utiliser GNU/Linux. Pourquoi ne pas faire ça en amont, utiliser directement GNU/Linux dès le départ en entreprise puisque ça a quand même fortement évolué, ce qui va permettre aussi d’ouvrir plus facilement des portes vers le logiciel libre, l’open source et dans les collectivités, comme l’ont déjà fait certaines villes en France et aussi grosses organisations, collectivités telle que la Gendarmerie.

Vincent Courboulay : Avant l’entreprise il y a l’école.

Public : L’école. Est-ce qu’il n’y a pas un intérêt de commencer, je dirais dès le départ, de cultiver et d’acculturer les gens sur GNU/Linux ?

Vincent Courboulay : Ce sont des discussions sans fin.
L’Université est censée former au monde professionnel dans lequel Windows est utilisé. À l’université on utilise pas mal GNU/Linux, en tout cas en informatique, donc il n’y a pas trop cette problématique. La problématique est plutôt dans les autres formations qui utilisent Windows parce que les formateurs eux-mêmes ne sont pas formés à, et c’est un cycle qui ne finit jamais. Quand on a des campagnes de Microsoft qui disent « ne vous inquiétez pas, on va vous donner gratuitement les OS, on va vous donner gratuitement les outils », c’est juste investir maintenant pour récolter plus tard.

Thierry Noisette : En plus péjoratif, c’est ce que les libristes ont toujours dénoncé en disant que la première dose est toujours gratuite.

Public : Bonjour à tous. Antoine Nivard, je viens de Nantes. Je suis président et fondateur d’un point d’échange internet dans l’Ouest, à Nantes, qui regroupe une quinzaine d’adhérents. Je suis également membre du bureau d’un fournisseur d’accès à Internet associatif à Nantes, FAImaison [12]. Avec plusieurs associations nantaises nous avons créé le collectif La Maison du Libre [13] qui rassemble deux associations de recyclage d’ordinateurs et qui font de l’accompagnement. Dans ce collectif on a une dizaine d’associations pour accompagner parce que FAImaison a ce souci-là, comme d’autres associations, de l’accompagnement des primaires et des personnes en exclusion numérique.
Là où je veux en venir c’est que l’objectif de l’approche c’est de faire du bout en bout, c’est-à-dire que le réseau aussi soit libre, les connectivités en fibre dans les bâtiments avec des opérateurs alternatifs, que les équipements réseau, les équipements informatiques de bout en bout soient libres. La force et la nécessité pour que ce changement se fasse c’est surtout qu’un accompagnement soit fait. C’est impossible aujourd’hui de dire qu’on donne des équipements et que ça va se faire tout seul. On parlait tout à l’heure des coûts, beaucoup de startups utilisent le Libre pour accélérer leur développement, parce que tous les outils sont disponibles, il n’y a pas besoin de recréer. L’avantage, si on veut faire des villes et des quartiers numériques bas carbone, c’est la meilleure approche, c’est-à-dire qu’on va capitaliser sur l’humain plus que capitaliser sur d’autres outils qui sont hors de notre territoire.

Vincent Courboulay : Pour rebondir par rapport à ce que vous dites, je déteste cette expression « pour rebondir », pour compléter ce que vous dites l’Arcep [Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse] fait un beau travail d’évaluation de l’impact environnemental – pas des opérateurs alternatifs, on est vraiment sur des opérateurs ultra-classiques –, l’Arcep essaye de verdir, en tout cas de rendre moins impactant plutôt environnemental, on n’est pas encore sur de la souveraineté. De toute façon cette question se posera, demain 75 % des fibres optiques seront aux mains des GAFAM, donc à un moment donné il faudra se poser des questions. C’est juste hallucinant, aujourd’hui c’est 50 %, demain c’est 75 % de toutes les fibres – les gros tuyaux, pas les petites fibres qui vont passer dans les villes –, mais la question se posera de toute façon. La notion de réseau souverain, de réseau responsable va se poser. Je suis d’accord avec vous, pour l’instant c’est peut-être trop tôt, la maturité de l’écosystème est encore… D’ici peu je pense que cette question va venir sur la table.

Public : Bonjour. [Prénom Nom], je suis chargée de projet web et je suis formée au numérique responsable et accessibilité numérique. Depuis tout à l’heure on parle d’humain et d’accompagnement. Ma question est comment forme-t-on ces personnes qui vont accompagner les autres et quelles sont, on va dire, les solutions ? On disait que le numérique responsable est un ensemble de thématiques et très souvent on est soit accessibilité, soit écoconception ; quand on veut être en veille sur tous ces sujets ça demande énormément de travail. Deuxièmement j’ai été confrontée à ce problème. Quand j’ai voulu me former j’ai dû me financer les formations et elles ne sont pas certifiantes, donc pas forcément reconnues non plus dans le milieu. Aujourd’hui quelle est la solution sur le territoire, parce que je l’ai pas connue il y a deux en arrière, existe-telle maintenant ? Quelle est la solution ? La crise a effectivement fait évoluer certains sujets, on est en manque de profils, c’est compliqué aussi parce que cette partie humaine, oui il y a des choses qu’on peut apprendre qui sont techniques, comme on dit depuis tout à l’heure, mais je pense qu’il y a des profils où il faut effectivement une partie un peu sociale et ça ne s’apprend pas forcément. Donc comment les reconnaît-on et comment peut-on accélérer ?, parce que je pense que nous sommes de plus en plus convaincus, mais si on n’a personne ! C’est bien d’avoir de l’argent, c’est bien d’avoir les moyens, mais les moyens c’est aussi, comme on dit depuis tout à l’heure, l’humain.

Véronique Torner : Peut-être sur la partie technique, sur la partie écoconception et accessibilité, il y a quand même, heureusement je dirais, des pratiques qui sont communes à ces deux axes. Aujourd’hui un grand progrès a été fait sur l’accessibilité numérique, il y a des formations certifiantes, il y a un référentiel français, il y a un référentiel européen, il y a un référentiel international. Aujourd’hui les choses sont un peu réglées. Sur la partie écoconception on n’est pas à ce même niveau mais c’est en cours d’élaboration. Il y a pas mal de formations aujourd’hui sur l’écoconception. Un certain nombre d’acteurs travaillent aujourd’hui sur les sujets de numérique et environnement, proposent des bonnes pratiques. Je pense, Vincent tu pourras le dire, qu’à l’INR vous avez des bonnes pratiques sur le sujet de l’écoconception. On ira certainement vers des formations certifiantes sur l’écoconception. Des réflexions sont en cours d’élaboration autour de référentiels pour cadrer les appels d’offres, les choses sont en cours, c’est le point technique.
Vous soulevez un point qui est majeur. Globalement le marché du numérique est aujourd’hui un marché en pénurie sur les talents, on manque de compétences et c’est encore plus flagrant sur les compétences du numérique responsable, sur ces sujets, là il y a un vrai travail à faire. On travaille aujourd’hui sur ces sujets-là au niveau des écoles, des associations. Par exemple à Planet Tech’Care [14], qui est concentrée aujourd’hui sur le volet numérique et environnement, on a embarqué dans nos signataires un certain nombre d’écoles. Aujourd’hui il y a 450 signataires de Planet Tech’Care, une cinquantaine sont des écoles, d’ailleurs pas que des écoles d’ingénierie, vous avez des écoles spécialisées en numérique, des écoles d’ingénierie plus larges plus des écoles de management. L’idée est de former les talents de demain à ces sujets sur le numérique responsable et d’avoir des ressources compétentes. C’est vrai qu’aujourd’hui un des grands freins, de toute manière, à la transformation numérique et à la transformation numérique responsable ce sont les compétences.
C’est un sujet et là on arrive dans une période politique intense puisqu’il y a la présentielle mais il y a aussi la PFUE, la présidence française à l’Union européenne, parce que ce n’est pas un sujet franco-français, c’est un sujet européen, certainement même international, donc le sujet des compétences dans le numérique est un sujet à mettre sur la table. Aujourd’hui, lorsqu’on délivre une formation sur le numérique, je pense qu’il faut tout de suite adresser le sujet numérique responsable.

Marie Nédellec : Pour rebondir, malheureusement on ne peut pas tout faire à l’échelle d’un territoire comme La Rochelle parce que certaines compétences ne sont pas les nôtres, notamment la compétence de la formation est une compétence régionale. Donc, malheureusement, on n’a pas les moyens d’investir ce sujet-là à l’échelle de notre territoire. Néanmoins on a la chance d’avoir des acteurs sur notre territoire et une université qui joue le jeu, qui s’implique sur ce sujet, donc forcément ça porte aussi sur notre territoire. Par contre il y a des engagements qui nous pouvons prendre nous aussi, c’est que nos propres collaborateurs au sein d’une collectivité, tous les aidants que l’on peut mobiliser, pour lesquels on va pouvoir se fédérer, je pense notamment, lorsqu’on a organisé Numérique en Commun [s], que c’était un des objectifs, se dire comment on fédère une communauté d’aidants, de personnes qui vont pouvoir accompagner sur le terrain et comment nous pouvons, nous aussi, accompagner à la formation de ces aidants.
Peut-être juste parce que ça fait aussi le lien avec l’inclusion numérique, on accueille aujourd’hui WebForce3 [15] dans la gare de La Rochelle. C’est une organisation qui n’est pas forcément un centre de formation, en tout cas un accompagnement qui va permettre à des jeunes éloignés de l’emploi d’avoir des cessions sur le numérique, de les sensibiliser au numérique, surtout qu’ils puissent identifier le numérique comme une opportunité d’emploi pour les amener derrière à intégrer cette filière, se former et ainsi intégrer le monde de l’emploi et aussi la richesse du monde économique qui va avec.

Véronique Torner : WebForce3 est une école de la Grande École du Numérique [16], elle est signataire de Planet Tech’Care, ce sont des gens qui sont très engagés sur les sujets de reconversion pour des jeunes et également pour des personnes qui se retrouvent aujourd’hui disruptées dans leur métier, qui veulent saisir des opportunités dans le numérique. C’est une belle école de ce qu’on appelle de la Grande École du Numérique.

Vincent Courboulay : On parlait de formation. il est aussi difficile de déployer une formation si les gens ne sont pas eux-mêmes formés et convaincus de l’intérêt à déployer une formation. Arnaud Pinier est là. Il a été un peu à l’initiative du fait que dans la région Nouvelle-Aquitaine on a réussi à former 18 personnes, c’est ça Arnaud ?, 15 personnes autour de la notion d’ambassadeur numérique responsable dans toute une série d’organisations publiques régionales en se disant que c’est en commençant à former, en essayant de monter en compétences en interne dans les organisations pour avoir des leviers sur des territoires, pour dire que c’est vachement important, il faut essayer de structurer et de s’organiser. La région prend effectivement sa part, ce n’est clairement pas assez rapide, on ne passe pas assez à l’échelle, on ne scale pas assez, on essaye. Ça c’était plutôt pour le côté politique régionale, etc.
Deuxième sujet puisque Véronique m’a lancé une perche sur la conception responsable de services numériques, je vous dis juste que ce matin, à 11 heures, on a lancé un référentiel — on n’a pas le droit, on n’a plus le droit de dire « référentiel » —, un guide de références sur la conception responsable de services numériques qui s’appelle, prenez-le en note, GR491, donc guide de références, 491 bonnes pratiques, gr491.isit-europe.org [17]. C’est super, c’est un boulot de deux ans et demi de l’INR, en appui de plein d’acteurs y compris de l’agglo, de l’université. Nous sommes super fiers du projet, on peut faire des filtrages par métier, on peut faire des filtres par objectif de développement durable, on peut faire plein de filtres pour décider ce qu’est la conception responsable, pas seulement côté environnemental mais aussi côté sociétal. Ceci était une petite publicité pour notre boulot. Placement de produit, c’est ça. Merci beaucoup !

Thierry Noisette : Les salons, les conférences sont aussi faits pour passer des messages, des petites annonces

Vincent Courboulay : Et c’est gratuit ! Et c’est libre ! Et vous pouvez en faire ce que vous voulez !

Thierry Noisette : Je profite de ce qu’on a une salle, pas complètement, mais un peu plus paritaire que d’habitude et surtout des intervenantes majoritaires, je remercie les organisateurs parce qu’il y a souvent des tables rondes très masculines dans tout ce qui touche à l’informatique. Dans le numérique responsable on aime parler d’accessibilité, de formation, etc., je présume, j’imagine qu’il y a aussi la question de la place des femmes qui est souvent en arrière dans l’informatique. Qu’est-ce qui existe actuellement en la matière ? Qu’est-ce qui peut être fait ou qui est sur le point d’être fait pour améliorer la situation ?

Véronique Torner : Je peux peut-être prendre la main. On a un très gros programme historique, ça fait plus de dix ans que nous travaillons sur ce sujet-là à Numeum [3] , ex Syntec Numérique. On a un très gros programme qui s’appelle Femmes@Numérique [18], qui est devenu aujourd’hui une fondation qui réunit plein d’associations qui travaillent sur le sujet. Il y a énormément d’initiatives qui touchent à la fois les jeunes filles qui sont au collège, on leur adresse des messages pour rendre le secteur du numérique attractif. On adresse aussi des femmes qui sont en emploi ou pas dans l’emploi, pour qu’elles puissent, je dirais, avoir des formations pour accéder au secteur du numérique.
Donc plus de dix ans qu’on travaille sur ces sujets-là et je pense que d’autres travaillent depuis plus longtemps que ça. La réalité reste que les chiffres sont toujours très mauvais puisqu’il y a très peu de femmes qui travaillent aujourd’hui dans le secteur du numérique, je crois qu’on est autour des 20 %, et quand on touche des technologies comme le cloud on tombe en dessous des 10 %, en intelligence artificielle on est en dessous de 10 %, ce sont aujourd’hui les grands secteurs moteurs de notre industrie du numérique. À la fois beaucoup d’initiatives, beaucoup de gens qui se mobilisent et encore très peu de résultats. Je pense que c’est vrai globalement dans les filières scientifiques, ce n’est pas uniquement vrai pour le numérique, globalement les filières scientifiques attirent de moins en moins les femmes. C’est un vrai sujet dont on souffre énormément. Hier, à l’AG du Cigref, ça a été un point d’orgue de dire qu’il y avait un énorme problème de pénurie de compétences, notamment trop peu de femmes dans notre secteur. Personne n’a réellement la solution, elle est certainement très fortement culturelle, ancrée culturellement. Je pense que notre industrie a un travail à faire pour se rendre plus attractive. On a certainement envoyé des codes qui n’attiraient pas les femmes, qui ne correspondaient pas à leurs attentes. J’espère que cette approche du numérique responsable va attirer plus de femmes qui sont souvent à la recherche de sens sur des sujets sociaux, sociétaux, même si on ne doit jamais caricaturer. J’espère que le fait que notre industrie prenne ce virage très fortement sur le numérique responsable – c’est aujourd’hui un des programmes stratégiques de Numeum – va engager plus facilement à ce qu’il y ait des femmes dans notre secteur. Par exemple le fait qu’une table soit plus féminisée participe à envoyer des messages du fait que c’est un secteur qui est pluriel et diverse. Aujourd’hui la route est encore très longue.

Vincent Courboulay : À notre toute petite échelle à l’INR, on a décidé que tous les nouveaux projets, depuis six mois maintenant, seraient forcément pilotés par un binôme homme/femme. Pour l’instant il y a des projets qui ne démarrent pas, ils sont attendus par la terre entière, mais ils ne démarrent pas parce qu’on n’a pas cette parité. À notre petit niveau c’est la seule chose qu’on a trouvée, en plus d’aider, d’accompagner, de faire connaître l’ensemble de toutes ces démarches.

Marie Nédellec : C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Je crois qu’il y a un vrai rôle de transmission. J’ai été présidente d’une association de femmes cheffes d’entreprise et j’expliquais toujours qu’il y a des freins, les freins sont culturels, ils sont aussi ceux que la femme elle-même se met comme difficulté, la crainte qu’elle peut avoir parce qu’elle se dit que c’est un univers qui lui correspond moins, en tout cas c’est moins une évidence pour elle. On a de gros efforts, de gros enjeux sur la transmission et ça doit passer par l’implication de chacun. Je pense que chaque femme qui travaille dans le numérique doit intervenir dans des écoles dès le plus jeune âge pour expliquer notre métier. Ne pas l’expliquer parce qu’on est une femme, on l’explique simplement parce que c’est notre métier, qu’on l’aime, qu’on y donne du sens. Plus on va pouvoir s’exprimer, plus on va montrer la richesse de nos métiers, plus on va donner l’envie autant à un jeune homme qu’à une jeune femme d’aller vers cette filière. Ça me parait être un point important pour faire évoluer ce sujet.

Thierry Noisette : C’est sur ce message d’espoir, disons-le, qu’on va clôturer, parce qu’on nous fait signe, la table ronde suivante a peut-être aussi besoin de la pièce.
Merci beaucoup aux trois intervenant/intervenantes. Merci Véronique depuis Paris et bon travail pour cette grande opération qui vient d’être annoncée. Merci à l’audience, ça sonne très anglo-saxon, merci au public.

[Applaudissements]