L’open source, « contributeur » essentiel au GreenIT

Cyrille Chausson : Bienvenue dans cette nouvelle table ronde. Aujourd’hui nous allons parler de l’open source, « contributeur » essentiel au GreenIT. À travers cette table ronde, on va essayer d’attirer un petit peu de la COP 26 vers nous.
Aujourd’hui, pour parler justement de cette association open source et GreenIT, j’aimerais aussi vous donner quelques chiffres, quelques statistiques.
D’abord un contexte un peu alarmiste parce que quand on parle de GreenIT c’est important de montrer qu’il y a aujourd’hui une forme d’urgence. Alors c’est quoi ? Quels sont ces chiffres ?
D’abord une étude du GIEC montre qu’en matière de réchauffement de la planète on est un petit peu en avance et c’est un gros problème, on a, en fait, dix ans d’avance pour atteindre ce réchauffement climatique de 1,5 degré et c’est une vraie urgence aujourd’hui. Nous allons voir justement comment, avec l’open source, on peut résoudre ce problème.
Autre chiffre tout autant alarmiste, c’est un chiffre publié par le baromètre, le Benchmark Green IT [1] 2021, greenit.fr. Il dit qu’aujourd’hui nous avons complètement explosé notre capacité à consommer des gaz à effet de serre en matière de numérique sur le bureau. On serait aujourd’hui à 27 % de cette part de gaz à effet de serre ce qui, aujourd’hui, est très important et cela montre que les entreprises ont vraiment du mal à baisser ce niveau.
Mais ce n’est pas que du négatif, il y a aussi du positif. Le positif c‘est notamment en matière de régulation. Le Sénat a adopté une loi [2], je crois que c’est début novembre, qui justement travaille à réduire l’empreinte environnementale du numérique. À travers les mesures il y a notamment une chose très importante qui est « limiter le renouvellement des terminaux ». C’est justement quelque chose qu’on va aborder aujourd’hui à travers cette table ronde.
Pour répondre à ces questions, j’accueille Agnès Crepet qui est directrice Software Longevity chez Fairphone [3].

Agnès Crepet : Bonjour à toutes et à tous.

Cyrille Chausson : J’accueille aussi Véronique Torner qui est cofondatrice d’Alterway [4] et représentante de Planet Tech’Care [5].

Véronique Torner : Oui.

Cyrille Chausson : Tristan Nitot qui est le fondateur du podcast L’Octet Vert [6] que vous connaissez tous, évidemment.

Tristan Nitot : Bonjour.

Cyrille Chausson : Et bien sûr Richard Hanna qui est chargé de mission interministérielle Green Tech [7] à la DINUM [Direction interministérielle du numérique].

Richard Hanna : Bonjour.

Cyrille Chausson : Vous pouvez les applaudir.

Agnès Crepet : Il y a un fan !

Tristan Nitot : Ce sont quand même nos impôts ! C’est la DINUM.

[Applaudissements]

Véronique Torner : Où sont les fans d’Alterway, s’il vous plaît ?

Agnès Crepet : En fait il applaudissait tout le monde, c’est ça, tous les intervenants et intervenantes. Même pas, il dit non.

Tristan Nitot : Qui écoute l’Octet Vert dans la salle ?

Public : Moi.

Tristan Nitot : Les autres vous savez, octet comme mégaoctet et vert comme la couleur et ça fait un mauvais jeu de mots « Oh ! Que t’es vert », comme ça vous vous en souviendrez. Je me fais siffler !

Cyrille Chausson : Merci Tristan.

Tristan Nitot : C’est à but non lucratif, il faut le savoir, je me permets.

Cyrille Chausson : Puisque tu as la parole, est-ce que tu peux nous dire, justement, tout ce qu’il y a comme leviers à activer aujourd’hui, car il faut bien comprendre où se situent les points d’urgence quand on parle de réduction de l’empreinte du numérique ?

Tristan Nitot : En fait, je vous encourage à aller lire une étude qui s’appelle iNUM2020 [8], qui a été faite par greenit.fr, dont je tire ce tableau que vous ne pouvez pas lire mais dont je vais vous parler. En fait le tableau lui-même est très intéressant.
Chez greenit.fr ils ont étudié où on produisait des gaz à effet de serre, où on consommait de l’énergie, de l’eau et des ressources abiotiques, en gros des minerais, dans le numérique. Ils ont divisé ça en trois tranches classiques : est-ce que c’est au niveau des terminaux ? Est-ce que c’est au niveau du réseau ? Ou est-ce que c’est au niveau des datacenters ? Pour chacun de ces trois postes, ils ont déterminé si c’est la partie la fabrication, parce qu’on a tendance à l’oublier, on ne la voit pas, ce n’est fabriqué en France, les minerais ne sont pas produits en France. On voit juste arriver des petites boîtes par avion ou par cargo, on sort un machin tout brillant qu’on utilise et on a oublié qu’en amont il y a toute la phase de fabrication. Et puis nous, en fait, nous ne voyons, éventuellement si on regarde, que la consommation électrique de ces choses-là. Ça, en fait, ça pose un vrai problème : ça nous rend aveugles face à tout le problème lui-même.
Quand on regarde de près cette étude iNUM 2020, on se rend compte que le gros des gaz à effet de serre – les gaz à effet de serre ne sont pas le seul problème, mais si on parle de réchauffement climatique, ce qui est mon sujet, c’est là-dessus que je me focalise, mais il n’y a pas que ça, il y a aussi la consommation d’eau, la consommation de ressources abiotiques. Si on parle gaz à effet de serre, en fait on se rend compte que c’est la fabrication des terminaux qui fait la plus grosse production de gaz à effet de serre ; c’est énorme ! Sur l’ensemble des gaz à effet de serre, sur les 100 % de gaz à effet de serre produits, donc ce qui fait le réchauffement climatique de la planète, 76 % c’est la fabrication des terminaux. Le reste, du coup, en devient négligeable. On regarde, par exemple, les datacenters, eh bien la fabrication d’un datacenter c’est 2 %, donc on peut dire « il y a trop de datacenters », c’est vrai qu’un datacenter ça consomme beaucoup, mais à côté de la fabrication des terminaux c’est peanuts.
Le deuxième plus gros poste c’est l’utilisation des terminaux et c’est seulement 8 %. Pour vous dire qu’on est très loin de la fabrication des terminaux.
Donc toute la problématique c’est ça : il faut faire durer les terminaux.
On parlait d’open source, c’est-à-dire plutôt de logiciel – pas que mais surtout du logiciel – et pourquoi je vous réponds les terminaux utilisateurs ? Parce que déjà il faut voir où est le problème, on sait qu’il est là, et ensuite voir comment l’open source peut aider à résoudre ce problème.
On va mettre les pieds dans le plat — désolé pour les camarades qui travaillent chez Microsoft — Windows 11, par exemple, est une gabegie écologique hallucinante. Pourquoi ? Parce que Windows 11 exige du matériel dernier cri pour tourner. Si vous êtes un Microsoft Shop, vous êtes habillé Microsoft de pied en cap, vous avez un problème c’est que vous allez devoir tôt ou tard passer à Windows 11, donc remplacer tout votre matériel. Alors qu’on on sait faire tourner sur ces matériels, qui s’usent finalement très peu, de l’open source, par exemple GNU/Linux, des logiciels légers qui permettent de faire durer le matériel, donc cela réduit les émissions de gaz à effet de serre qui étaient le problème de départ.
J’ai été un peu long, mais il fallait.

Cyrille Chausson : Non. C’est bon. En même temps Windows 11 est un vrai sujet aujourd’hui d’actualité donc c’est important de le mentionner.
Véronique Torner, quant à vous les points d’urgence qu’il y a justement à résoudre sur ce problème de contexte écologique et de numérique ?

Véronique Torner : Je vais compléter ce que dit Tristan. Évidemment, je partage complètement ce que vient de dire Tristan. En fait il y a aussi une urgence qui est importante à intégrer c’est qu’on ne peut pas réussir aujourd’hui la transition écologique du secteur industriel au sens large sans numérique. Donc on a, quelque part, une équation qui est à résoudre : à la fois le numérique a une empreinte environnementale qui progresse de manière assez importante et, par ailleurs, on a besoin de beaucoup de numérique pour réussir la transition écologique. Donc on a cette équation à résoudre.
Vous allez me demander pourquoi a-t-on besoin de numérique pour aider à la transition écologique ? Parce que, aujourd’hui, on a besoin de collecter de la donnée. Le salon Open Source Experience est accolé au SIDO, on a besoin de beaucoup d’IOT [Internet of Things] donc on a besoin de capter de la donnée, on a besoin de la stocker, on a besoin de la traiter et de la restituer, donc vous voyez qu’on a besoin d’outils numériques. Et si on faisait le bilan de l’empreinte environnementale du numérique à la fois du côté positif et du côté négatif, clairement aujourd’hui, dans beaucoup de secteurs industriels qui sont fortement émertteurs de gaz à effet de serre et pas sur le sujet du numérique, le numérique est clairement positif dans son bilan. Je peux prendre l’industrie de l’énergie, le retail, le transport, la construction, l’agriculture, en fait le numérique va aider tous ces secteurs-là à baisser leur empreinte environnementale.
Donc il y a cette urgence-là qui est majeure, il faut résoudre cette équation et le moyen de résoudre cette équation c’est de développer un numérique responsable et l’open source, on y vient, est une des briques du numérique responsable. En propre, il a des vertus qui sont, je dirais, positives, notamment par rapport au fait qu’on n’a pas besoin de renouveler régulièrement je dirais le software. Le fait que depuis très longtemps l’industrie de l’open source est très sensible à l’efficience, notamment sur des sujets énergétiques.
Il y a dix ans ça ne s’appelait pas Open Source Experience, ça s’appelait Solutions Linux et à Solutions Linux il y avait déjà des premières conférences sur le sujet « numérique et environnement ».

Cyrille Chausson : On comprend qu’il y a là deux sujets. Il y a à la fois un sujet technologique et un deuxième sujet qui est de la sensibilisation.
D’abord d’un point de vue technologique, Agnès Crepet, c’est complètement votre rôle. Là-dedans quel rôle a à jouer justement l’open source ?

Agnès Crepet : Je travaille chez Fairphone, une entreprise qui est connue pour faire un téléphone modulaire, durable, qui essaie de mettre sur le marché des appareils qui vont durer non pas deux ans, comme c’est le cas en moyenne aujourd’hui pour n’importe quel téléphone, mais plutôt cinq, six et potentiellement sept ans. Pour ce faire, d’un point de vue logiciel, on a évidemment besoin d’open source. Pourquoi ? Parce que si je parle des principales solutions logicielles dans le monde de la téléphonie – je ne parle pas d’Apple, parce que, du coup, je ne suis pas Apple – aujourd’hui on utilise Android [9]. On pourra parler, si ça vous intéresse, des solutions alternatives à Android qui nous intéressent aussi mais sur lesquelles on n’a pas fait le choix d’aller en termes d’entreprise, même si on soutient ces communautés-là. Donc aujourd’hui on fait un téléphone Android et, quand vous faites un téléphone Android, vous êtes pris entre Google – après m’être excusée auprès de Microsoft, je m’excuse auprès de Google, s’il y a des gens de Google ici – qui du coup, en termes de longévité, même si ça progresse un peu, ne va pas faire durer ses solutions Android, sa version 8 d’Android, pendant dix ans. Donc si vous êtes un fabricant de téléphones, il va falloir trouver des solutions pour porter des versions récentes d’Android sur les téléphones que vous produisez.
Le problème du téléphone c’est que, du point de vue matériel, vous avez des composants, notamment les puces, qui ne vont pas supporter des versions récentes d’Android. Donc vous avez, si vous me permettez l’expression, le cul entre deux chaises. Vous êtes entre votre puce qui a un support sur une période donnée, par exemple qui va supporter Android 4, 5, 6, 7 et va s’arrêter là et encore, quatre versions d’Android c’est beaucoup. Et puis vous avez Google qui vous dit « j’arrête de supporter cette version d’Android qui a sept ans, qui a cinq ans. » Il faut donc trouver des solutions pour pouvoir arriver à porter des versions récentes d’Android sur un chipset qui n’est plus supporté et là, l’open source est crucial.
Vous avez des communautés comme celle de LineageOS [10] dans le monde d’Android qui sort, qui chip des versions d’Android récentes sur des puces qui sont anciennes. Chez Fairphone, on essaye justement de promouvoir ces solutions-là sur nos téléphones.
On a aussi des partenariats avec des entreprises comme eFoundation [11] qui s’appuie sur LineageOS. On soutient des communautés Linux based comme postmarketOS [12] ou Sailfish [13]. Bref ! On essaye de supporter ces communautés-là parce que aujourd’hui, dans le monde de la mobilité, on n’a pas le choix sur la longévité logicielle.
La Commission européenne a sorti une étude il y a un an, qui donne ce chiffre assez ahurissant : dans 20 % des cas de non-usage du téléphone, quand vous arrêtez d’utiliser votre téléphone, dans 20 % des cas c’est parce que le logiciel n’est plus supporté. 20 % vous pouvez vous dire que ce n’est pas beaucoup, mais si, c’est énorme ! Votre téléphone fonctionne, il est parfait, il n’y a pas d’écran cassé, la batterie est parfaite et vous arrêtez de l’utiliser parce que le logiciel a un problème, soit parce que TikTok ne fonctionne plus, soit parce que vous avez des mises à jour de sécurité à faire qui ne sont plus disponibles.
Je fais juste un petit aparté là-dessus. Je viens là de dire deux choses : la partie app, applications, et la partie OS.
La partie applications est un problème à part entière. En fait, vous avez des applications qui, elles-mêmes, ne vont plus être compatibles avec une version d’Android, donc là je rajoute un niveau dans l’échelle de la complexité de maintenance et vous avez aussi la partie OS. Quand je dis que l’OS n’est plus maintenu c’est-à-dire que les security updates ne sont plus disponibles. Si j’en parle à mon père – je cite tout le temps mon pauvre père dans les conférences –, il peut me dire que ce n’est pas très grave ! Mais si c’est grave ! Les mises à jour de sécurité c’est crucial, on ne lâche pas ça ! J’imagine que je parle à des gens qui connaissent le sujet : si votre appareil ne reçoit pas de mises à jour de sécurité ça veut dire qu’il est troué et que vos data sont mises à mal. Là on touche au problème de la vie privée, etc. On sait très bien que le téléphone est aujourd’hui le moyen privilégié des aspirateurs de données pour récupérer votre vie privée.
J’ai essayé de faire court.

Cyrille Chausson : On comprend aussi que confier tout le support et la maintenance, en fait la longévité de l’OS, à des communautés et à l’intelligence collective qu’il y a derrière les communautés est essentiel à ce moment-là parce que ce sont elles qui vont finalement drainer tout cela et permettre que la durée de vie du téléphone soit allongée, ou du terminal, quel que soit le terminal d’ailleurs.

Agnès Crepet : Oui. Tout à fait. On s’est même appuyés sur cette communauté open source non pas que pour porter des solutions open source mais aussi pour nous aider à avoir le Stock Android sur le téléphone. Ce qu’on appelle le Stock Android c’est l’Android certifié. Quand vous êtes un producteur de téléphone, vous chipez Android et vous devez avoir une certification Android qui est donnée par Google ; ce sont 477 000 tests, ça s’appelle le CTS [The Compatibility Test Suite], la suite Google. Sur le Fairphone 2 qui est un téléphone qui va avoir six ans, on a porté Android 9, on a fini Android 10 qui va sortir dans pas longtemps, sur les 477 000 tests il y en avait quatre qui faillaient à la fin. À cause de ça on aurait pu échouer la certification et on aurait pu ne pas porter cette dernière version d’Android. Pour résoudre ces quatre bugs, on s’est aussi servis de la communauté, donc même sur des solutions non open source. Je considère Android comme pas complètement open source sachant que le core l’est quand même, IOSB.

Cyrille Chausson : Richard HAnna, vous êtes à la DINUM. Quel est votre sentiment sur cette question ? Comment l’open source permet-elle d’accroître cette longévité des terminaux ?

Richard Hanna : Je vais peut-être juste faire un petit historique puisque je me suis pris quelques baffes en 2018 avec la démission de Nicolas Hulot, le rapport du GIEC et aussi un rapport sur le numérique, le rapport [14] du Shift Project. Je suis un techos, un développeur, j’ai tout de suite proposé de développer un outil open source. Ça a abouti à Carbonalyser [15], une extension de navigateur qui permet d’avoir des éléments sur la navigation internet, finalement c’est très peu, en fait. Dès qu’on ne tient pas compte des impacts environnementaux de la fabrication des équipements dont parlait Tristan et dont parlait aussi Agnès, en fait c’est très peu, donc il faut inclure l’impact de la fabrication des équipements.

Ma première action a été de développer des outils, un outil open source.

J’ai aussi lancé un podcast du coup, avant Tristan. Tristan ne l’a pas dit, mas il s’est beaucoup inspiré de Techologie. Techologie [16] c’est le podcast qui tente de lier technologie et écologie. Ça m’a permis de rencontrer pas mal de monde et d’aboutir à la DINUM. À la DINUM, en fait, on fait beaucoup de choses, on a notamment tout l’aspect open source qui est porté par Bastien Guerry qui était là hier. Tous les outils qui sont développés par la DINUM et par l’État sont bien sûr destinés, la plupart du temps, à être open sourcés. Depuis un an, un an et demi, je travaille sur le sujet numérique et environnement, numérique écoresponsable, Green Tech, il y a plusieurs noms. On est en train de porter à l’échelle de l’État, à l’échelle des administrations, d’abord les ministères, mais on échange aussi beaucoup avec les collectivités territoriales vraiment sur tous les sujets, donc l’achat. On a sorti un guide [17] d’achats numériques responsables à destination des acheteurs.

Cyrille Chausson : On va y revenir un petit après.
Carbonalyser y sera justement.

Richard Hanna : On a sorti une boîte à outils. On a identifié une dizaine d’outils principalement sur les aspects mesure, mesure d’une page web, mesure de la consommation du cloud, mesure aussi à l’intérieur du code, donc principalement des packages Python pour de l’intelligence artificielle qui demandent beaucoup de ressources. Ça a été publié hier, justement à l’occasion de cet événement Open Source Experience.

Cyrille Chausson : On va pouvoir y revenir également.
Tristan, du coup le rôle de l’open source, encore une fois, pour accroître cette durabilité ?

Tristan Nitot : Je crois que j’ai tout dit. Je veux bien y retourner.

Cyrille Chausson : Tout a déjà été dit ?

Tristan Nitot : Non, tout n’a pas été dit. Je préfère dire logiciel libre, c’est mon côté stallmannien si vous voulez, fondamentalement c’est la liberté que ça donne aux utilisateurs qu’ils soient entreprises ou individus. En fait plutôt entreprises parce que, en entreprise, on a plus de moyens, on peut demander à des collaborateurs spécialisés de travailler sur ces sujets-là alors que quand vous êtes un individu, à moins d’en avoir la capacité technique, d’être un peu geek, développeur, c’est difficile, on a plutôt tendance à prendre des produits sur étagère.
La liberté c’est la liberté de choisir les outils qui vous correspondent le mieux. Typiquement, quand vous avez un terminal qui fonctionne – parce que globalement il faut être très clair, le silicium ça ne s’use quasiment pas, il n’y a pas de frottements, ça ne bouge pas, donc ça peut durer des années. Je crois que récemment ils ont envoyé dans l’espace un processeur qui avait genre 35 ans parce que c’était un PowerPC, pour ceux à qui ça rappelle quelque chose, qui était utilisé dans les premiers Mac, parce qu’il est super solide, il a 35 ans et il fonctionne encore. Si ça ne s’use pas, la problématique ce n’est pas tant de mettre un Windows 11 dessus, c’est plutôt de trouver un logiciel qui sait fonctionner sur du matériel de cette époque-là.
En tant qu’industrie on a un problème, on a un genre d’addiction, on est un peu des accros au crac mais chez nous ça ne s’appelle pas le crac, ça s’appelle la loi de Moore. La loi de Moore fait tourner l’industrie du numérique depuis 50 ans. Je vous la rappelle. C’est une loi qui a été observée – une loi empirique, ce n’est pas une loi physique – par Gordon Moore cofondateur d’Intel qui dit que la puissance d’une puce, d’un processeur ou d’une mémoire, double, en gros, tous les 18 à 24 mois et ça depuis les années 60. C’est-à-dire qu’un développeur qui fait aujourd’hui son logiciel, ça « marchouille », ça se traîne un peu, mais bon, ça reste utilisable. Il sait que le temps que ça soit validé, distribué, etc., et sur l’ordinateur ou le smartphone de monsieur et madame Tout-le-monde, dans deux ans en gros, eh bien dans deux ans monsieur et madame Tout-le-monde auront une machine deux fois plus puissante, donc ce machin qui se « traînouille » aujourd’hui va marcher à peu près correctement sur les machines de tout le monde. Ça fait donc 40 ans qu’on ne s’est jamais décarcassé à optimiser du code. Juste pour vous donner une idée, la taille d’une page web été multipliée par 115 en 15 ans. Est-ce qu’elles sont mieux ? Oui, les pages web d’aujourd’hui sont mieux que celles d’avant, généralement. Mais est-ce qu’elles sont 115 fois mieux ? Ce n’est pas sûr ! Word, Office et Windows nécessitent 60 fois plus de mémoire ou de processeur, je ne sais plus, et 150 fois plus de l’autre paramètre, des ordinateurs aujourd’hui plus de 100 fois plus puissants versus Windows 98. Est-ce que nos documents Word et Excel sont 100 fois mieux ? Vos documents Word, je suis sûr que non ! Ils sont mieux, on peut mettre des émojis. D’accord ! On peut mettre plusieurs langues, le correcteur grammatical est mieux. D’accord ! Mais est-ce que c’est vraiment 100 fois mieux ? Non ! C’est sûr que non. En fait on a fait une industrie de feignasses parce qu’on a été bercés par cette loi de Moore qui a été vachement pratique. Aujourd’hui on pourrait faire du numérique de façon beaucoup plus sobre si on prenait le temps d’optimiser les choses pour tourner sur des processeurs qui seront 20, 50 ou 100 fois moins puissants que ce qu’on a aujourd’hui.

Cyrille Chausson : Excuse-moi, Tristan. Je crois qu’Agnès voulait réagir par rapport à ça.

Agnès Crepet : Par rapport à ce que tu dis Tristan. Tu viens de dire, en début de ton talk, que 76 % des émissions de gaz à effet de serre sont dus à la production d’appareils. Si on veut faire durer ces appareils, parce que c’est quand même la clef aujourd’hui – on pourrait y revenir, mais, dans le monde de la téléphonie, il n’y a pas vraiment de R&D sur comment être meilleur sur la production de ces téléphones – donc si on veut les faire durer, ce serait la clef, du coup on aurait moins à les remplacer, mais le problème c’est que votre téléphone qui a cinq ans, quand vous lui installez une version récente d’Android, qu’est-ce qui va se passer ? Eh bien les concepteurs d’Android — désolée Google encore une fois — ne vont pas optimiser la conception de l’OS pour des vieux, pour des vielles puces, donc ça va ramer. C’est toute la problématique de cette approche, justement loi de Moore, etc., « de toutes façons on présuppose que le processeur va être meilleur dans deux ans ». Eh bien non, surtout sur les appareils. Si on veut qu’ils durent, il faut justement arriver à créer des solutions softwares qui soient durables et qui soient sobres.

Tristan Nitot : Au final, c’est quand même une problématique de gouvernance, de qui décide ce qu’on veut faire tourner et quelles sont les fonctionnalités qu’on rajoute. Si vous êtes dans une approche qui est propriétaire, où vous avez un Microsoft ou un Google qui décrète ! En substance, les gens sont restés dans le monde d’avant et considèrent que la loi de Moore va continuer à s’appliquer, et il faut continuer à en profiter et il faut continuer à être dans un monde de feignasses ou bien on a des gens qui décident qu’il faut faire durer le matériel et ce n’est pas de la pingrerie, c’est simplement qu’on veut réserver un avenir pour l’humanité. Avec le logiciel libre on a cette possibilité de décider qu’on peut optimiser, qu’on veut optimiser, parce qu’on a la liberté, on a l’accès au code source, on optimise, donc on peut garder son matériel plus longtemps et on n’en a rien à cirer si Windows 11 exige [sa voisine lui touche le bras, NdT]… je termine ma phrase.

Cyrille Chausson : Richard un commentaire et ensuite Véronique.

Richard Hanna : Je voudrais rapidement juste citer quelque chose qui m’a beaucoup marqué ces derniers temps, c’est la lecture d’Ivan Illich, un penseur de l’écologie politique et techno-critique qui disait que l’outil simple, pauvre, transparent est un humble serviteur ; un outil qui est élaboré, complexe, secret est un maître arrogant. Ça parle finalement de tout ce qui est low tech, tout ce qui est technologie appropriée, tout ce qui est open source, peut-être qu’on parlera aussi de l’open hardware. Effectivement l’open source c’est aussi ça, en tout cas appliqué au logiciel libre c’est du code, du logiciel qui peut être critiquable, qui est transparent, qu’on peut aussi maintenir, réparable. Il y a effectivement des questions de gouvernance qui se posent aussi sur le monde de l’open source. En tout cas aujourd’hui on peut forker quoi qu’il arrive, on peut créer une copie et continuer le développement, un peu comme ce que tu fais Agnès, pour justement, encore une fois, réduire la contribution à l’obsolescence des équipements.

Cyrille Chausson : Merci. Véronique.

Véronique Torner : Trois éléments. On vient de partager quelque chose d’important, c’est de dire que dans la trajectoire de réduction de son empreinte environnementale sur le numérique, allonger la durée de vie de son matériel est un élément primordial, c’est une bonne pratique. On ne peut pas toujours allonger ad vitam aeterman. Il y a aussi le remploi, je voudrais qu’on cite aussi cet élément-là et puis le recyclage qui est le dernier axe. C’est le premier point.
Deuxième point. On a parlé également quelque part, en sous-jacent, d’obsolescence logicielle, qui est plutôt aujourd’hui une obsolescence qui est programmée, qui est commerciale. En effet, il faut lutter contre l’obsolescence logicielle. Il y a aujourd’hui, au niveau européen, une réglementation qui est en train, je dirais, d’évoquer ces sujets-là. Je crois qu’en France, au Parlement, il y a eu un certain nombre de discussions sur l’obsolescence logicielle. Aujourd’hui elle est beaucoup sur des éléments de matériels électroniques qui ne touchent forcément pas encore le téléphone.

Cyrille Chausson : L’allongement des terminaux est vraiment inscrit dans la loi.

Véronique Torner : Tout à fait. Et puis le troisième point et je vais quand même un peu pondérer. C’est vrai, je l’ai dit en introduction, que l’open source est une brique essentielle du numérique responsable sur le sujet environnemental, on pourrait parler de sujets comme l’éthique, la transparence, la souveraineté, mais évidemment il faut que l’open source réponde à des bonnes pratiques. Je veux quand même rappeler cet élément-là, c’est que tout l’open source ne répond pas à tous les bons critères, donc il faut bien développer en open source. C’est-à-dire que l’ADN de l’open source présente des caractéristiques importantes qui peuvent répondre à ces problématiques de numérique responsable, mais il faut quand même bien développer. Si on développe salement, l’open source ne résout rien.

Cyrille Chausson : C’est une vraie phrase !
Richard, vous avez évoqué tout à l’heure la boîte à outils, est-ce que vous pouvez nous en parler un petit plus s’il vous plaît ?

Richard Hanna : Je commence à évoquer rapidement. Il y avait le guide d’achats dédié aux acheteurs. On a un guide de bonnes pratiques qui arrive à la fin de l’année. On a aussi sorti un référentiel [18] d’écoconception de services numériques. Je ne sais pas si on a le temps de citer quelques exemples de critères de ce référentiel, tu me diras.

Cyrille Chausson : On va prendre un petit peu le temps.

Richard Hanna : Je peux en citer quelques-uns avant d’arriver à la boîte à outils qui est notamment complémentaire à ce référentiel. Je vais vous en citer quelques-uns que j’ai notés, qui sont un peu en rapport avec l’open source.
Le référentiel est un ensemble de questions, 79 questions sur la réduction du numérique finalement, la réduction de consommation de numérique, la réduction de l’obsolescence des équipements. Vous trouvez tout ça sur ecoresponsable.numerique.gouv.fr. Il y a actuellement une consultation publique sur le référentiel, désolé je fais un peu ma pub, mais c’est de la pub pour l’intérêt général et c’est payé par vos impôts.
Trois critères sont aussi liés à l’open source :

  • le service numérique est-il utilisable sur des terminaux datant de cinq ans minimum ?, très important pour réduire l’obsolescence des équipements ;
  • le service numérique a-t-il été conçu avec des technologies standards plutôt que des technologies propriétaires ou spécifiques à une plateforme ou à un système d’exploitation ?, tu pourras peut-être nous en parler Agnès ;
  • le service numérique garantit-il la mise à disposition de mises à jour correctives pendant toute la durée de vie prévue des équipements et des logiciels liés au service ? Pourquoi cette question ? Parce que parfois on a des services numériques liés à des équipements, à de l’IOT, qui sont supportés pendant deux ans, alors que l’équipement va durer davantage. En tout cas, on grave dans ce référentiel-là ce critère.

Le référentiel reste une démarche volontaire. Il n’y a pas aujourd’hui d’obligation légale. On aurait pu l’avoir dans la proposition de loi qui est passée. La loi qui est passée le 2 novembre est déjà très bien, c’est une grande avancée, tu en parlais tout à l’heure. On est vraiment en avance au niveau de la France par rapport à l’Europe sur ce sujet. L’Europe nous regarde de près sur nos sujets, à la fois sur l’indice de réparabilité, on n’en a pas encore parlé, l’indice de réparabilité sur les équipements, sur les smartphones, sur les ordinateurs, mais aussi sur les tondeuses à gazon, si vous en avez.

Cyrille Chausson : On a croisé de l’open source dans les tondeuses à gazon.

Richard Hanna : Oui ! Ce n’est pas un sujet qui m’intéresse. Je te fais confiance !
La boîte à outils [19] qu’on a sortie est effectivement une boîte à outils dans laquelle on a listé les outils qu’on connaissait. Ce sont des logiciels libres, parce que ça peut être open source et pas libre. C’est un ensemble d’outils qui permettent à la fois de mesurer une page web, du code, etc. On a voulu donner différents indicateurs pour différents profils, parce que c’est tout public : est-ce que c’est plutôt profit développeur ? Est-ce que c’est de la sensibilisation ? Est-ce que c’est de l’intelligence artificielle ? Toutes sortes d’outils qui peuvent aider les équipes. C’est complémentaire au référentiel général d’écoconception pour mesurer telle ou telle pratique avec parfois des indicateurs environnementaux, parfois non. Ça peut être des indicateurs de performance. Faute de mieux on s’est basés juste là-dessus.

Cyrille Chausson : Véronique, je crois que vous voulez ajouter quelque chose.

Véronique Torner : Je voudrais compléter. Ce que dit Richard est important. On a beaucoup parlé de l’open source embarqué dans des solutions logicielles. Là, en fait, tu parles d’une boîte à outils qui permet notamment de mesurer, à un moment donné, son empreinte. Je trouve que c’est aussi un point important, c’est la valeur de l’open source, parce que déployer des outils en open source qui permettent de faire de la mesure permet aussi d’accélérer actuellement la trajectoire des entreprises. C’est compliqué aujourd’hui, pour une entreprise, de faire une mesure de l’empreinte environnementale sur le volet numérique. C‘est donc important d’avoir des outils en open source, ça permet d’ouvrir plus grandement l’accès, en fait, à la mesure.
Il y a un autre sujet qui fâche un petit peu, ce sont les données. Quand vous voulez faire une mesure d’empreinte environnementale, vous avez besoin d’avoir des données qui permettent de faire des conversions, à un moment donné, sur ce que vous êtes capable de mesurer, puis de pouvoir le convertir en équivalent CO2 si on veut parler des gaz à effet de serre. Il y a aussi un sujet concernant les données, sur lequel il faut travailler aujourd’hui pour que ces données soient en open data, ce qui permet au plus grand nombre d’accéder. Ce n’est pas forcément le cas. Aujourd’hui beaucoup d’outils ne sont pas en open source et payants et beaucoup de données, aujourd’hui, ne sont pas en open dataet payantes. Donc nous œuvrons. Chez Numeum nous avons notamment a développé un programme qui s’appelle Planet Tech’Care, dont la mission interministérielle de la DINUM est partenaire. Aujourd’hui il y a 23 partenaires du monde associatif. Vous allez retrouver des gens comme l’ADEME, vous allez donc retrouver la mission interministérielle de la DINUM, vous allez retrouver des gens comme The Shift Projetc, l’INR [Institut du Numérique Responsable], greenit.fr, des noms qui ont été cités. Tous ces gens-là sont fédérés autour de Planet Tech’Care et mettent gratuitement à disposition leurs contenus. Si vous êtes des entreprises, là dans la salle, vous pouvez venir et entrer dans la communauté Planet Tech’Care, c’est gratuit. Vous avez quand même à signer une charte qui dit que vous avez envie de réduire votre empreinte environnementale et, une fois que vous êtes dans cette communauté, vous avez accès tous les mois à des ateliers, gratuitement, qui vous permettent de monter en compétences sur le sujet du numérique et environnement.

Cyrille Chausson : Je me permets, on est vraiment dans l’acculturation cette fois-ci. On est rentré dans la deuxième vague après la technologie qu’on a largement balayée, on entre dans la deuxième phase, sensibilisation et acculturation et c’est le rôle de Planet Tech’Care.

Véronique Torner : Je voulais dire que c’est vraiment important : l’objet open source est aussi intéressant sur ce sujet d’acculturation. Le fait de mettre à disposition des outils en open source facilite aussi l’acculturation. Donc oui, le sujet de l’acculturation est un sujet important. Quand vous discutez aujourd’hui avec des entreprises, le sujet de la mesure de l’empreinte environnementale du numérique est un sujet qui n’est pas connu, pas bien compris. C’est vrai que ce que fait par exemple Tristan sur Octet Vert est important parce que ça permet de sensibiliser, de mieux comprendre la problématique. Et puis des initiatives comme Planet Tech’Care permettent de partager des retours d’expérience. Vous avez à la fois des sachants, toutes ces associations qui sont membres, mais vous avez aussi toute une communauté. Aujourd’hui on n’est pas très loin de 500 signataires qui peuvent aussi partager, chacun, leur retour d’expérience.
Le sujet de l’acculturation est important parce que si on veut passer à l’échelle il faut qu’on soit en capacité de bien comprendre la problématique, être en capacité de la mesurer et ensuite de la réduire.

Cyrille Chausson : Agnès, je crois que vous avez aussi des travaux en matière de sensibilisation actuellement en cours.

Agnès Crepet : Je voulais dire que Fairphone, à la base, n’est absolument pas une boîte. L’histoire c’est un collectif de gens néerlandais qui essayent vraiment, à la base, de changer l’industrie électronique, avec le fait de dénoncer l’utilisation des minerais dits de conflit dans les appareils. Cette éthique-là a toujours suivi, ce qu’on essaye de faire même aujourd’hui, en open source aussi. Je n’en ai pas parlé, mais dans l’histoire première de Fairphone il y a aussi cette ambition d’arriver à utiliser des minerais fair trade, sans financement des conflits armés et sans travail d’enfants. Pour essayer de favoriser le fait que d’autres producteurs de téléphones ou d’autres producteurs d’industrie électronique utilisent les mines fair trade, sans travail d’enfants ou sans financement des conflits armés, on publie la liste des partenaires avec lesquels on bosse. Parfois, pour ouvrir une mine de cobalt fair trade, ça nous prend quatre ans. On espère que d’autres industries vont utiliser ces partenaires-là. Tout est open sourcé. Vous allez sur le site de Fairphone, vous tapez List Suppliers for the Fairphone 2, vous trouvez la liste. C’est vachement important de lever le voile sur la supply chain de l’industrie électronique pour essayer de la changer et de la rendre plus responsable.
On est sur une table ronde qui s’appelle GreenIT. Je fais un petit passage là-dessus, il y a des problématiques environnementales, mais il y a un sacré paquet de problématiques sociétales. Allez visiter une mine en Afrique ou Asie, c’est plein de gamins, il y a des mafias partout, etc. et évidemment que c’est aussi un problème essentiel pour le respect des normes environnementales. Généralement, quand vous êtes sur une mine de cobalt tenue par des mafias et que vous arrivez avec votre drapeau green c’est compliqué d’arriver à les faire travailler différemment. Les problématiques sociétales et sociales, derrière le numérique, sont aussi essentielles à soulever. Je sais que ce n’est pas le thème de la table ronde, mais en général je suis bonne pour toujours rappeler ce sujet même si on ne veut pas en parler.

Cyrille Chausson : Ce n’est pas complètement le thème de la table ronde, mais c’est un thème open source. Quand on parle de cette lisibilité de la chaîne de valeurs, lisibilité de la supply chain, on parle de transparence, on est dans la transparence et la transparence est un des principes mêmes de l’open source, pas uniquement sur la lisibilité du code, mais la lisibilité des processus de développement, la lisibilité du processus de création derrière, donc c’est aussi important.

Agnès Crepet : Oui. Et puis on pense vraiment que c’est justement en expliquant les exactions environnementales, sociales, les problématiques qui existent derrière l’industrie électronique, qu’on va arriver à créer un numérique différent. C’est en expliquant aux gens, aux utilisatrices, aux utilisateurs, comment ça se passe derrière la supply chain qu’on va pouvoir essayer de convaincre un petit peu les personnes de ne pas changer leur téléphone tous les ans. À bon entendeur !

Cyrille Chausson : On a entendu !
Richard, justement l’intelligence collective à la DINUM, est-ce que c’est aujourd’hui quelque chose sur lequel vous travaillez ? On vient justement d’évoquer cette partie-là.

Richard Hanna : Déjà c’est une mission interministérielle, je ne l’ai pas dit, désolé, c’est à la fois copiloté par la DINUM et par le ministère de la Transition écologique. Notre périmètre ce n’est pas DINUM, c’est l’État. Aujourd’hui on a un référent dans chaque ministère et on travaille sur un plan d’action. On a des ateliers chaque semaine avec tous nos référents ministères. On prépare un plan d’action sur 2022, parfois même sur trois ans, 2022/2024, sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Le premier sujet qui nous vient c’est réduire les messages, supprimer les messages, OK, les mails, etc.
Après discussion, après réflexion avec tous nos référents, on va bien sûr sur l’allongement de durée de vie des équipements, sur réduire le gaspillage, il y a énormément de gaspillage même au sein de l’État. On dit qu’on n’a pas forcément les moyens, eh bien si, il y a les moyens, on a des équipements, etc., mais on en a trop. Parfois on a des téléphones pros dont on ne se sert pas. Donc ne pas systématiser forcément la mise à disposition de téléphones pros, notamment mutualiser les ressources. Il y a toute la doctrine cloud de l’État sur laquelle la DINUM a aussi planché. Il y a vraiment un souci de mutualiser les ressources, réduire les ressources finalement. Peut-être citer aussi est un des mantras qu’on utilise, ce sont les cinq « r » du zéro déchet : refuser, réduire, réemployer, recycler et finalement rendre à la terre. Pour notre sujet, rendre à la terre c’est open sourcer, c’est documenter la démarche, donc rendre aux communs d’autant plus que c’est payé, encore une fois, par vos impôts.

Cyrille Chausson : On est très sensible merci.

Agnès Crepet : Je rajouterais juste un truc si c’est possible. Cyrille, tu m’as dit que je pouvais donc je prends la liberté de le faire.
Sur ces problèmes de sensibilisation et sur ce pourquoi c’est important d’essayer de promouvoir par l’open source des solutions pour sensibiliser les utilisatrices et les utilisateurs, je prends l’exemple du Minitel. Le Minitel c’était une solution française, gérée principalement par le gouvernement, avec un réseau de techniciens dans chaque ville et un réseau d’utilisateurs et utilisatrices qui étaient aussi capables de comprendre comment ça marchait. La maintenance du Minitel était déléguée au gouvernement de l’époque, mais il y avait une volonté, à l’époque, de pouvoir rendre les tutoriaux de réparation disponibles, ce qui, aujourd’hui, n’existe quasi plus. Je ne dis pas que le Minitel était une solution technologique incroyable, mais la gouvernance de ce produit-là était assez intéressante. Aujourd’hui, une des clefs de l’indice de durabilité, par exemple au niveau du ministère de la Transition écologique, c’est justement d’arriver à convaincre les fabricants d’appareils électroniques à rendre disponibles les tutoriaux de réparation, allonger la disponibilité des pièces détachées, non pas pour que chacun et chacune mais n’importe quelle personne puisse déléguer à un réparateur local la réparation de son appareil.

Cyrille Chausson : Tu ne serais pas en train d’aborder l’open hardware, finalement ? Est-ce que ça ne serait pas ça l’une des clefs.

Agnès Crepet : Pour moi l’open hardware c’est un petit peu différent dans le sens où là je parlais plutôt de réparation, promouvoir la réparation des appareils. Comment ça se passe ? À travers la diffusion des tutoriaux et la disponibilité des détachées.
L’open hardware c’est un petit peu différent. Dans le monde de la téléphonie, c’est triste à dire, mais ça n’existe quasi pas.
Une boîte américaine, que j’aime beaucoup, qui s’appelle Purism, fait un téléphone qui s’appelle Librem [20] dont je suis très fan. Fairphone travaille un peu avec eux, mais eux sont les vrais avant-gardistes, on a besoin de gens comme ça. Qu’est-ce qu’ils ont fait pour pouvoir faire un peu d’open hardware dans leur téléphone ? Ils ont embarqué un chipset du monde des avions, de l’aéronautique, donc leur téléphone est assez épais. Aujourd’hui il n’y a pas de puce électronique open, ça n’existe pas. Ces gens-là essayent d’open sourcer le design de leur mother board, de leur carte mère, etc., c’est très bien, mais sinon ça n’existe pas. On est dans un monde de brevets. On est dans un monde où on vend des puces nouvelles tous les six mois quand on est fabricant de puces, donc c’est très compliqué. Tout n’est pas négatif. Il y a des gens comme Purism qui font, de mon point de vue, des choses exceptionnelles. J‘espère que des gens, aux US, achèteront leur téléphone. On a aussi quelques promesses avec des architectures de puces différentes, on est principalement sur de l’ARM, il y a RISC-V [21] qui arrive aujourd’hui. Il y a des choses qui se passent en open source, mais on est loin de ça aujourd’hui. Vous regardez les téléphones ou même d’autres types d’appareils en circulation, il y a très peu d’open hardware aujourd’hui. Pour moi c’est une des clefs. On n’est pas du tout là-dessus avec Fairphone parce qu’on est une toute petite boîte, on est 100 employés ; dans mon équipe on est 15 ingénieurs, donc autant vous dire qu’il faut choisir un peu nos batailles. Par contre oui, c’est une clef pour les problèmes de durabilité. Mais on n’est pas Apple, on ne peut pas encore fabriquer nos puces !

Cyrille Chausson : On a parlé de mesure tout à l’heure, c’est quelque chose d’essentiel. On ne peut pas contrôler si on ne mesure pas, grosso modo, c’est un peu ça l’idée.
Tristan Nitot, est-ce que vous avez des recommandations justement pour cette mesure et ces évaluations ? Quelle métrique de notre côté, nous, pouvons-nous utiliser pour en prendre conscience et éventuellement aller vers l’open source ?

Tristan Nitot : Un mantra du management est qu’on ne peut changer que ce que l’on mesure et je pense que c’est très vrai. Le monde est encore assez balbutiant dans le domaine. Il y a, par exemple, une équipe du CNRS qui s’appelle EcoInfo [22], qui travaille sur ce genre de choses. En open source il y a le projet Scaphandre [23] qui travaille là-dessus avec une problématique qui est celle de l’ouverture des données. C’est-à-dire qu’on arrive à mesurer un certain nombre de choses, mais on doit extrapoler ce qu’on arrive à mesurer sur les choses qu’on ne sait pas mesurer, qu’est-ce que c’est en théorie ? Pour ça il faut que les données soient en open data, donc ce n’est pas simple. En tout cas c’est ce sur quoi travaille Scaphandre.
Pour les développeurs web, ce qui est un peu mon monde, on peut parler de Green IT Analysis [24], Richard tu te souviens ?

Richard Hanna : Tout à fait. D’ailleurs Green IT Analysis et Scaphandre sont dans la boîte à outils.

Tristan Nitot : Voilà, on y revient. Green IT Analysis est une extension qui tourne sur Chrome et, si vous n’aimez pas les spywares, elle tourne aussi sur Firefox. Vous l’installez et ça vous permet de mesurer un certain nombre de critères dans la page web que vous visitez. En tant que développeur web, vous savez si une page est très gourmande en ressources. On va mesurer, par exemple, la taille du DOM, la taille du Document Object Model en mémoire, comment est représentée votre page en mémoire, est-ce que c’est quelque chose qui demande beaucoup de ressources ou pas ? Est-ce que ça fait beaucoup d’allers-retours de ressources sur le réseau ?, ce genre de choses, et ça vous permet de vous positionner par rapport à un ensemble de pages web qui ont été analysées par le passé. Ça vous donne un indicateur, un curseur qui est positionné sur une échelle : est-ce que vous êtes vert, c’est-à-dire une page qui est très peu gourmande ou, au contraire, vous êtes vraiment bien dans le rouge cramoisi et là vous êtes vraiment dans une page qui est monstrueuse ? Ça vous permet de vous positionner par rapport à l’ensemble des pages web et de savoir si vous êtes dans les clous ou si vous êtes complètement en dehors des clous. Vous vous comparez et vous pouvez décider, par exemple, qu’il n’est peut-être pas nécessaire de mettre cette vidéo qui est en fond de votre page d’accueil, qui fait 3 méga octets ou 12 ou 14 ; si on l’enlevait on gagnerait beaucoup de place et on aurait une page web plus raisonnable en taille.

Cyrille Chausson : Véronique, je crois que vous avez un commentaire.

Véronique Torner : Je rejoins évidemment Tristan sur la mesure. C’est indispensable de mesurer si on veut, à un moment donné, réduire.
Après il y a le sujet de la compétence, ce que pointe un petit peu en sous-jacent Tristan. C’est-à-dire qu’à moment donné on mesure, on se rend compte qu’on est dans le rouge, qu’on n’est pas le vert, après il faut avoir des compétences qui permettent d’optimiser soit son architecture physique soit son architecture logicielle, et là il faut développer des compétences en écoconception. Aujourd’hui c’est aussi un sujet important. On n’a pas suffisamment de compétences aujourd’hui sur le marché qui maîtrisent le sujet de l’écoconception. Il commence à y avoir des premiers référentiels, il y a aussi de la législation qui tourne autour du sujet de l’écoconception : c’est quoi ? Est-ce qu’il a des labels, des normes ? Par exemple, nous avons à peu près 500 signataires dans Planet Tech’Care, il y a une grosse cinquantaine d’acteurs de la formation qui s’engagent, en rejoignant la communauté, à développer des cursus pédagogiques pour monter en compétences sur le sujet numérique et environnement. Vous avez des écoles de management, vous avez des écoles d’ingénierie très généralistes, vous avez des écoles qui sont spécialisées en numérique, toutes s’engagent, avec leur ADN, à développer de la compétence sur le sujet numérique et environnement. C’est majeur qu’on parle aujourd’hui du sujet de la compétence, parce que demain on va manquer de compétences. On manque déjà de compétences sur le numérique, mais on va manquer très rapidement de compétences sur le sujet du numérique et environnement. Le sujet de l’écoconception est crucial.

Cyrille Chausson : Richard.

Richard Hanna : C’est quelque chose dont on n’a pas beaucoup parlé. C’est vrai qu’on a beaucoup parlé de technique, des ingénieurs, mais sur le référentiel d’écoconception, comme sur l’open source et le logiciel libre, ce n’est pas juste l’affaire des développeurs en fait. C’est une grosse erreur de se dire qu’on va faire du code propre, qu’on va faire de l’hébergement propre, ça ne suffit pas. Il faut impliquer tous les métiers, ça peut être de la maîtrise d’ouvrage, ça peut être le chef de projet, ça peut être l’expert accessibilité ; ça peut être les designers, les graphistes, les testeurs, le devops et, bien sûr, les développeurs, les développeuses, mais ce n’est pas le sujet seul des ingénieurs et des développeurs. Il faut vraiment impliquer tous les métiers.

Tristan Nitot : Là-dessus je serai bref. Je vous encourage à suivre deux choses, La Fresque du Climat [25] et La Fresque du Numérique [26]. C’est fait par deux associations, c’est de l’open source, en fait ce sont des contenus sous licence Creative Commons. Ça se présente sous forme d’ateliers d’une demi-journée et, en une demi-journée, vous faites un jeu, un serious game. Vous apprenez, avec des collègues, à comprendre la problématique du changement climatique pour La Fresque du Climat et les implications du numérique et du climat dans La Fresque du Numérique. Comme c’est fait par des associations ce n’est vraiment pas cher. C’est intéressant et c’est intense. Et, quand vous ressortez de ces demi-journées, vous avez vraiment appris énormément de choses et, du coup, tout ce dont on a parlé devient autrement plus concret et, en plus, ça va vous instiller ce sens de l’urgence qui, à mon avis, est important aujourd’hui pour se mettre en route, en action.

Cyrille Chausson : Eh bien voilà, je crois qu’on a fait le tour de la question. Merci à vous quatre d’avoir pu vous exprimer sur ce sujet, nous expliquer un peu comment l’open source avait un rôle à jouer dans cette approche GreenIT, dans l’éco-responsabilité au sens général du terme. On a aussi compris qu’il ne fallait pas avoir une approche uniquement de développement mais une approche métier et une approche beaucoup plus ouverte. Ça tombe très bien parce qu’on est plutôt ouverts, ici à l’ Open Source Experience.
On a quelques minutes pour des questions dans la salle. Il y a une captation vidéo, je vais vous donner mon micro.

Public : Bonjour. Une petite question. On a parlé des Microsoft, Apple, Google, ces boîtes font aujourd’hui énormément de pub aussi sur leur côté green. Est-ce qu’il n’y a que de l’effet de comm’ ou est-ce qu’il y a des choses qui se sont passées ces dernières années, réelles, qui pourraient avoir un impact là-dessus ?

Véronique Torner : Je pense qu’il n’y a pas que des effets de comm’. Non. Je pense que toutes ces entreprises aujourd’hui, que tout le secteur du numérique, qu’il soit propriétaire ou open source, est globalement un secteur qui a pris conscience qu’il y avait un impact majeur sur le numérique et l’environnement, qu’il y a une empreinte environnementale du numérique. Je pense que tous ces acteurs travaillent aujourd’hui, avec leurs moyens, pour réduire cette empreinte. Il y a notamment énormément de communication de ces acteurs sur la partie cloud, sur lequel ils font énormément de choses.
Je pense à un point important sur ce sujet numérique et environnement : il y a finalement un curseur à placer entre sobriété et innovation. On ne peut pas résoudre cette équation sans sobriété, mais on ne pourra pas la résoudre non plus sans innovation. Si on regarde le sujet des datacenters, il y a énormément d’innovation qui est faite aujourd’hui pour réduire l’empreinte sur l’eau puisque, on n’en a pas parlé, on a parlé des gaz à effet de serre, mais il y a beaucoup de consommation d’eau au niveau des datacenters, donc il y a beaucoup d’innovation qui est faite aujourd’hui. Dans les acteurs que vous avez cités il y a beaucoup d’innovation qui est faite et qui fait évoluer le marché.
Le message n’est pas de dire que l’open source est le seul secteur qui, je dirais, travaille sur ces sujets-là, mais c’est certain que l’open source est une brique essentielle dans le dispositif. D’autres secteurs, dont le secteur propriétaire, travaillent aussi sur des sujets d’innovation et de sobriété numérique.

Agnès crepet : Je vais juste mettre un petit bémol à ça. Ils font des choses, mais si je prends l’exemple de la communication d’Apple, leur dernière conférence sur la partie mobilité est très axée privacy, est très axée recyclage. Il me semble qu’à l’heure actuelle, et je pense que tu l’as dit Véronique, le recyclage n’est quand même pas la première solution à envisager. Aujourd’hui ces acteurs-là ne vont pas clairement essayer de proclamer une durabilité logicielle, clairement ! On est régulièrement invités, Apple est souvent présente dans les réunions avec le ministère de la Transition écologique, d’ailleurs c’est toujours une problématique. Le recyclage fait partie de la question, mais, comme tu l’as dit, c’est la dernière solution. Avant il y a le réemploi, avant il y a la problématique de durabilité, de longévité des produits. Je ne dis pas qu’ils ne font rien, je dis qu’en termes de stratégie la priorité devrait être mise ailleurs.

Tristan Nitot : Apple n’a pas que des mauvais côtés, ils sont loin d’en avoir que des bons, nous sommes d’accord. L’avantage c’est qu’aujourd’hui vous pouvez utiliser un iPhone 6S qui doit maintenant avoir six ans et ça marche encore. Il est mis à jour, je ne sais pas combien de temps ça va durer, là-dessus ils sont bien meilleurs que Google. À côté de ça, par contre, ils travaillent activement contre la réparabilité, ce qui est juste scandaleux. Maintenant que j’ai mis une claque à Apple, on va en mettre une à Microsoft : Windows 11 est un cauchemar. Visiblement ils font des choses sur les datacenters, mais sur Windows 11 ils sont complètement à contre-courant et c’est inacceptable.

Public : Très courte question. Je suis tombé accro du coût carbone de l’IT. Je suis tombé sur un site qui s’appelle Website Carbon, je ne sais pas si vous connaissez. Je voulais savoir si c’était équivalent à votre Green IT Analysis.

Richard Hanna : Il me semble que Website Carbon est anglais. Il se base essentiellement sur la consommation d’électricité, donc je vous déconseille ce site. Il vaut mieux utiliser la boîte à outils. La plupart des outils qu’on a identifiés sont développés en France sauf Lighthouse qui est développé par nos amis de Google.
Sur pour la question précédente, je voulais dire aussi une chose très rapide : méfiez-vous des communications de neutralité carbone. Il y a un avis de l’ADEME sur la neutralité carbone : aucune entreprise, même aucun pays ne peut être neutre en carbone. On ne peut être neutre en carbone qu’à l’échelle du monde, donc ça pose un peu les bases. Ce n’est pas moi qui le dis c’est l’ADEME.

Cyrille Chausson : Merci. On a une question juste là.

Public : Bonjour. Merci pour ce débat, j’ai appris beaucoup de choses. J’ai deux questions qui ne sont pas forcément liées, je vais les poser.
On n’a pas beaucoup parlé du cloud. Est-ce que le cloud serait le logiciel durable par définition, c’est-à-dire un logiciel qui vit, qui n’a pas besoin d’être maintenu par l’utilisateur final et qui peut tourner sur des terminaux moins puissants parce qu’il tourne dans le cloud. C’est la première question.
La deuxième question : qu’en est-il de l’innovation ? En fait, si on veut supporter des versions anciennes donc mettre de l’énergie dans le legacy, est-ce que ça enlève du temps pour l’innovation ? Est-ce que ce n’est pas pour ça que tous les gros font la course en avant ?

Cyrille Chausson : Qui veut prendre la première ?

Richard Hanna : Je veux bien répondre sur le cloud. En fait, comme dans le numérique, il y a deux côtés, le cloud c’est à la fois bien et c’est à la fois mal. Le cloud c’est mutualisation des ressources. Qui dit mutualisation des ressources, c’est économie informatique de matériel, économie d’énergie. Le côté négatif c’est l’effet rebond. L’effet rebond est manifeste : tellement c’est efficient, tellement c’est efficace qu’on a tendance à l’utiliser davantage, donc ça donne des usages comme on a aujourd’hui avec le streaming vidéo, bientôt le streaming des jeux vidéos, enfin bientôt, c’est d’actualité, bientôt le métavers. L’effet rebond est manifeste.
Sur le deuxième sujet je dirais qu’il faut choisir : on a atteint les limites planétaires donc l’innovation pour l’innovation ! Plutôt que parler d’innovation, parlons de progrès. Est-ce que le métavers c’est de l’innovation ?, est-ce que c’est du progrès ? De l’innovation pour Facebook, oui, le progrès pour l’humanité, je ne sais pas. Et puis il y a toute l’innovation frugale, tout ce qu’on appelle low-tech. Ce que fait Agnès pour moi c’est de l’innovation. Finalement est-ce qu’il ne faut pas changer de paradigme ? Je laisse la parole à Agnès.

Agnès Crepet : Juste en transition si je peux me permettre, Cyrille, juste pour finir la question qui vient de parler de Fairphone. Je ne veux pas trop parler de Fairphone mais, en général, si je parle par exemple de modularité matérielle, Fairphone le fait, il n’est pas le seul, il y en a d’autres qui commencent à le faire et c’est très bien. Si on veut promouvoir la réparabilité, il faut que by design les appareils soient démontables, c’est bien pour la réparation, c’est bien aussi pour la recyclabilité. Là il y a de l’innovation à faire parce que c’est super dur de faire un appareil modulaire. On serait plus nombreux dans le secteur ça serait bien. Google a essayé, ça a merdé. Pour le coup c’était plutôt une bonne approche à cette époque de l’avoir tenté. Il y a beaucoup d’innovation technique à faire dans le secteur de la durabilité, évidemment, mais ce n’est pas forcément l’intérêt de la plupart des fabricants de s’orienter là-dessus.

Cyrille Chausson : Pas sur les modèles, ça c‘est clair ! Véronique,

Véronique Torner : Je voulais compléter sur le cloud. Évidemment je suis d’accord avec ce qu’a dit Richard sur le fait que le numérique a toujours un peu ce côté pharmacologique, potion-poison. Donc le cloud oui, c’est une mutualisation des ressources. Évidemment, si vous n’avez pas un bon usage du cloud, si vous ne pensez pas bien votre architecture, vous n’allez pas optimiser. Aujourd’hui vous avez un terme qui est « FinOps » qui permet, je dirais, d’optimiser ses coûts dans le cloud. Derrière l’optimisation des coûts, vous avez aussi l’optimisation des architectures. Oui, le cloud peut être une solution positive pour réduire son empreinte environnementale dans la trajectoire d’une mutualisation, mais il faut aussi avoir une écoconception de son usage du cloud.
Pour l’innovation, je le disais tout à l’heure, en fait on est sur un curseur entre sobriété et innovation et, évidemment, c’est une innovation pas pour l’innovation. Je ne sais plus qui disait tout à l’heure qu’on était sur une industrie qui avait été opulente, qui est grasse. On a fait des choses sans tenir compte de l’impact, du coût, du fait que nos ressources n’étaient pas infinies. Aujourd’hui il faut qu’on fonctionne autrement, mais il faut innover, il faut continuer à innover pour justement faire converger trajectoire numérique et trajectoire environnementale. On a besoin d’innovation. Je pense, par exemple, qu’il y a des apports importants aujourd’hui sur l’intelligence artificielle, il y a aussi des espoirs importants sur l’informatique quantique. Là pareil, il faudra faire attention. À chaque fois qu’on voudra utiliser ces nouvelles technologies il faudra qu’on ait une vision qui soit aussi écologique, qu’on ait une grille de lecture. Quand on pense innovation demain, il faut la penser avec une grille de lecture en se disant on regarde les impacts, et là je vais rejoindre ce que disait Agnès, pas uniquement environnementaux, il ne faut pas siloter : environnemental, social, sociétal.

Cyrille Chausson : Très bien. On n’a plus le temps. Désolé. Merci. Vous pouvez applaudir nos quatre intervenants. Merci bien. Je vous souhaite une bonne fin de salon.

[Applaudissements]