Une tech plus inclusive est possible - Chloé Hermary - Trench Tech

Mick Levy : Aujourd’hui, on retourne à l’école finalement.

Thibaut le Masne : Non, je n’ai pas révisé !

Cyrille Chaudoit : C’est top. Vous allez voir, Chloé est une fille extraordinaire. Elle est toute jeune, mais elle est brillante, évidemment, et puis avec Ada Tech School [1] , elle vient de mettre un grand pavé dans la mare de cette formation.

Thibaut le Masne : C’est hyper impressionnant. Elle est jeune ! Avoir une telle vision sur les choses je pense que c’est hyper intéressant.

Mick Levy : Encore quelqu’un qui vient avec un sacré bagage en termes de vision, de convictions et qui arrive à les appliquer pour, finalement, véritablement changer le monde.

Cyrille Chaudoit : Et qui vient avec ce bagage dans notre studio ; c’est quand même super.

Mick Levy : C’est vrai qu’elle est avec nous dans le studio.

Thibaut le Masne : C’est cool.

Voix off, citations du Cercle des poètes disparus : À bas ces académiciens frileux qui mesurent la poésie comme de la rayonne. Non, nous n’en voulons pas ici, chassons tous les Pritchard. À présent, dans cette classe, vous apprendrez à penser par vous-même. Vous apprendrez à savourer les mots et le langage ! Et puis, de tout ce qu’on peut vous raconter, les mots et les idées peuvent changer le monde.

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Cyrille Chaudoit : Bienvenue dans Trench Tech, le podcast qui aiguise votre esprit critique sur les impacts de la tech dans notre société. Cyrille Chaudoit pour vous servir, toujours avec les incontournables Mick Lévy et Thibaut le Masne bien sûr. Bonjour Messieurs.

Mick Levy : Salut.

Thibaut le Masne : Salut.

Cyrille Chaudoit : Chloé Hermary, notre invitée, me fait penser au monsieur Keating de cet extrait du Cercle des poètes disparus, « Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! ».
Comment briser les carcans, comment s’affranchir de la pensée unique et de tout conformisme imposé par quelques-uns à tous les autres. S’en libérer soi-même est déjà tout un chemin, mais aider les autres à s’en défaire, c’est toute une quête.
Ça nous parle, évidemment, car nous avons aussi cela en commun avec Chloé et Keating chez Trench Tech. Cette volonté de transmettre le goût de penser et de faire par vous-même, car tout bon capitaine sait que ce qui compte ce n’est pas l’arrivée, c’est la quête ! Hein ! Hein ! [Chanté ensemble, NdT]
La tech aussi c’est tout un poème. Songez seulement aux nuits d’été que certains nous préparent entre les lignes de leur code. IA, métavers et autres artefacts, dont nous ignorons encore l’existence, redessinent les contours de notre perception du monde. Alors poétisons ensemble avec Chloé Hermary en nous demandant d’abord si l’apprentissage du code est un facteur d’épanouissement personnel, puis si, à plus grande échelle, il peut devenir un levier politique avant de nous demander s’il peut même, à terme, tous nous réunir pour une tech plus éthique.
Dans cet épisode également, pour chercher l’inspiration, nous nous rafraîchirons avec le Patch Tech de Fabienne Billat et nous découvrirons un moment d’égarement de Laurent Guérin qui convoite, paraît-il un nouveau poste de plus en plus à la mode. Enfin, nous débrieferons juste entre vous et nous des idées clefs de cet épisode.
Puisque nous avons la chance d’avoir Chloé directement dans notre studio aujourd’hui, sans plus tarder bonjour Chloé.

Chloé Hermary : Bonjour tous les trois.

Mick Levy : Salut Chloé.

Thibaut le Masne : Salut Chloé.

Cyrille Chaudoit : Chloé, nous sommes vraiment ravis de t’accueillir. Tu fondes Ada Tech School en 2019, un modèle d’école informatique alternative, dont la mission est de favoriser plus de diversité et d’inclusion dans le secteur de la tech. Tu es une jeune entrepreneure puisque tu crées cette école un an après ton diplôme d’HEC en poche, félicitations !, en 2018, parce tu t’es passionnée très tôt pour les nouveaux modes d’apprentissage. Tu as notamment, je crois, commencé par développer une formation en développement logiciel en deux ans, inspirée de la pédagogie Montessori dont tu es assez fan. On y reviendra peut-être.
Ada Tech School, pour celles et ceux qui ne connaissent pas, c’est 70 % de femmes parmi ses élèves, félicitations. Depuis son lancement, d’ailleurs en pleine pandémie, rappelons-le, vous avez levé en 2021 plus de trois millions d’euros pour vous étendre dans toute la France afin de poursuivre cette mission qui est, je cite, « de former une nouvelle génération de talents diversifiés, à construire une société plus durable et inclusive grâce au code » et ça, on aime, on valide chez Trench Tech, capitaine. Tout est bon ?

Chloé Hermary : Tout est bon.

Cyrille Chaudoit : Super. Alors, tu es prête pour notre grand entretien. Commençons par voir ensemble si l’accès au code pour tous est un levier d’épanouissement personnel.

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Thibaut le Masne : Je pense donc je suis ou, du moins, je code donc je suis. On pense souvent que l’herbe est plus verte chez le voisin et, dans la tech, on se dit que si d’autres pays sont plus forts que nous c’est parce que chez eux, ils sont plus nombreux à avoir développé des compétences dans le numérique. Mais, ce n’est pas forcément vrai. On a vu dans l’épisode avec Luc Julia sur la Silicon Valley [2], qu’il nous présentait comme un creuset de talents venus du monde entier, qui nous permettait d’évoluer différemment. En revanche, de façon plus certaine, lorsqu’on maîtrise mal l’outil informatique, on est de plus en plus exclu de la société et, si on veut mieux comprendre le monde de demain, il vaut mieux savoir comment il est codé.
Alors Chloé, penses-tu, comme d’autres, qu’il faudrait que tout le monde sache coder pour mieux s’intégrer dans le monde de demain ?

Chloé Hermary : C’est une bonne question. Ma réponse c’est : je ne sais pas s’il faut s’arrêter au code ou s’il faut s’arrêter plutôt à la compréhension. Aujourd’hui, on est dans une société dans laquelle on a un téléphone à la main, on travaille essentiellement sur des ordinateurs, où, en fait, la tech, le numérique est partout, il est dans nos vies, il est dans notre quotidien, il est dans notre vie personnelle et dans notre vie professionnelle.
À la question « est-ce que tout le monde devrait coder », je réponds non. Savoir coder c’est savoir écrire, c’est savoir produire les outils, et je pense que c’est à réserver, finalement, aux personnes qui doivent le faire. En revanche, et je pense que c’est quelque chose qu’on doit travailler, qu’on doit travailler massivement dans l’éducation, c’est de pouvoir donner les éléments de compréhension, l’esprit critique sur ces outils-là. On ne peut pas utiliser des outils, des applications, de manière éthique, de manière responsable, si on ne comprend pas les tenants et aboutissants. Ce qui me choque c’est que si vous demandez à des personnes si elles comprennent ce qu’est un ordinateur, si elles comprennent ce qu’est Internet, de vous décrire ce que c’est…

Mick Levy : Ce n’est pas si simple, ça reste assez flou. Quel est le profil des personnes qui sont dans ton école. Quel est le profil des apprenants ?

Chloé Hermary : Pardon. À la question « est-ce que tout le monde doit coder ? ». Est-ce que tout le monde doit savoir coder ?, non. Est-ce que tout le monde doit pouvoir coder ?, oui. Donc, quel est le profil des apprenants et des apprenantes ?

Thibaut le Masne : Ça me rappelle l’anglais.

Chloé Hermary : Everyone ou anyone ?

Mick Levy : On ne dit pas ce qu’on veut, on dit ce qu’on peut ! C’est un peu la vision qu’ils nous donnent sur le code.

Chloé Hermary : Justement par rapport à l’anglais, c’est anyone ou everyone. Tout le monde ne va pas pouvoir coder, mais n’importe qui devrait pouvoir.

Thibaut le Masne : Tu veux donner l’accès à ça à tous ceux qui auront de s’orienter vers ces carrières-là.

Chloé Hermary : Exactement.

Cyrille Chaudoit : C’est quoi ? C’est une question de bases ? C’est une question de fondamentaux à connaître, finalement ?

Chloé Hermary : Je pense que généralement et globalement on doit pouvoir avoir cette base de fondamentaux, cette base de compréhension. La tech devrait être comme la géographie et devrait être enseignée dès les petites classes pour ensuite pouvoir décider si on devient un expert dans ce domaine-là, si on est prêt à prendre ce pouvoir de la production, de la création, et pouvoir ensuite s’y engager.
Le problème de ça c’est qu’aujourd’hui ces personnes qui ont le pouvoir de la production et de la création, déjà il y en très peu – c’est 0,03 % de personnes dans le monde qui savent véritablement coder, produire – et, en plus, quand on regarde également qui sait faire ça, aujourd’hui dans les équipes techniques en France, on a 10 % de ces producteurs ou créateurs qui sont des créatrices et des productrices, très, très peu de femmes. Au-delà de ça, finalement on a très peu de données sociales, raciales en France, et quand on regarde la photo des équipes, on voit aussi qu’il y a un très grand manque de diversité globale dans ces producteurs, ces créateurs ou ces créatrices.

Thibaut le Masne : Du coup quel est le profil des apprenants, quel est le profil des élèves qui viennent dans ton école ?

Chloé Hermary : Je vais donner encore une réponse de normande. On a des apprenants et des apprenantes, déjà on a 70 % femmes. On a des apprenants et des apprenantes qui ont entre 18 et 52 ans. On a, honnêtement, des personnes qui viennent de toutes les origines sociales, mais aussi académiques. On a un ancien moine, on aun ancien démineur, on a des anciennes directrices de crèche, des anciens photographes, etc. Bref ! En termes de profils, je ne peux pas répondre précisément à cette question, par contre, ce qui les rassemble c’est de vouloir avoir un métier stimulant intellectuellement, qui leur offre de la liberté, des opportunités de carrière et de développer ces nouvelles compétences, puisque beaucoup, 60 % d’entre eux, ont entre 25 et 35 ans, sont vraiment dans des processus de changement de carrière, de reprendre le contrôle de cette vie professionnelle dans un environnement qui soit positif, épanouissant et créatif.

Thibaut le Masne : J’ai une question qui me brûle les lèvres depuis le début. Ton école est ouverte à tout le monde, donc que n’importe qui peut s’inscrire. Dans les statistiques c’est 70 % de femmes. Quelle est ta recette pour les attirer ?

Mick Levy : S’il y a des RH qui nous écoutent ça pourra peut-être aussi être appliqué dans les entreprises. Bonne question Thibaut.

Thibaut le Masne : Merci.

Chloé Hermary : Pour la petite anecdote, quand j’ai voulu créer Ada Tech School, je prenais des infos, je prenais des conseils de la part de mes pairs, de mes futurs pairs, un directeur d’une école d’informatique très connue m’a dit : « Créer une école d’informatique à destination des femmes ! Vous rêvez ma petite dame ! Ça n’existe pas ! Je fais le métier depuis longtemps. »

Mick Levy : Aucune femme ne peut faire ça.

Chloé Hermary : Aucune femme, c’est bien connu !
Ma perception des choses, et c’est pour cela que je dis qu’il faut réinventer l’éducation de A à Z pour construire une société plus durable et inclusive. Je pense que l’éducation est le premier outil pour, justement, façonner cette société qui soit plus durable, plus inclusive, la penser par design plus durable et plus inclusive, ça a été justement la démarche d’Ada : penser l’offre de formation par design de manière plus inclusive.
Comment on arrive à avoir 70 % de femmes ? Ce n’est pas magique, c’est vraiment un travail de repenser la formation dans son sens large, comment on présente les métiers, comment on les raconte, comment on les représente ; comment on recrute nos apprenants, comment on les forme, comment on travaille avec les entreprises, etc. Finalement, ce jeu de reconstruction qui adresse un par un tous les freins sociaux qu’ont les femmes, notamment pour entrer dans la tech, au bout d’un moment c’est ça. On a commencé tout petit, on a commencé avec 10 apprenants, 7 apprenantes sur les 10, 70 % ! On en a 200 aujourd’hui, on a toujours 70 %. On ne fait pas de quotas. Je crois vraiment aux quotas.

Mick Levy : Qu’est-ce qui attire particulièrement les femmes ? Je reviens à la question de Thibaut : quelle est la recette ? Qu’est-ce qui attire particulièrement les femmes dans ton école pour qu’on arrive naturellement, by design tu sembles dire, à 70 % de femmes.

Chloé Hermary : Il y a deux éléments : il y a l’attraction et il y a la rétention, c’est ça, aujourd’hui, le problème de la féminisation et de la diversité dans la tech. C’est d’abord vraiment un problème de pipeline qui fuit dans tous les sens, qui est très faible en termes d’offre, mais il y a ensuite aussi qu’il se délite, puisque 50 % de femmes quittent la tech dans les dix premières années de leur carrière, ce sont les statistiques trouvés par Accenture [3] et l’association Girls who code [4].
Qu’est-ce qui fait qu’à Ada on fait ça ? D’abord le sujet de l’attractivité. C’est re-raconter ces métiers autrement. Le sujet de l’orientation est un sujet de représentation, de projection.

Cyrille Chaudoit : Avec les rôles modèles, notamment.

Chloé Hermary : Avec les rôles modèles, évidemment. Mais se dire je sais que ce métier est fait pour moi. En fait, on raconte une histoire du code qui est une histoire qui est différente, qui joue un peu aussi avec les constructions sociales : finalement se dire que le métier du code est un métier qui est créatif puisqu’on va résoudre des problèmes, proposer des solutions nouvelles, créer des produits qui répondent également à des usages et des besoins d’utilisateurs et utilisatrices de la vraie vie. C’est également un métier qui a du sens. Et puis, contrairement à ce qu’on pense et justement à cet imaginaire du geek qui est très seul dans sa cave à ne parler à personne, en fait dans la vraie vie, dans les entreprises, on code à plusieurs.

Cyrille Chaudoit : On collabore.

Chloé Hermary : C’est un métier social.

Thibaut le Masne : Si tu veux y trouver du sens, et que tu fasses des choses pour les autres, il faut bien évidemment que tu ailles vers les autres.

Chloé Hermary : Absolument.

Cyrille Chaudoit : Ça passe par la vie et la contribution avec les autres. On entend aussi cette logique, en tout cas cette ambition de travailler son employabilité, notamment avec ces personnes qui viennent chercher certes un sens, mais probablement aussi une carrière en reconversion. Cette idée que tu défends et que tu nous expliques depuis tout à l’heure qui est que le code, en tout cas apprendre à coder, tout le monde devrait savoir ou pouvoir coder, éventuellement, pour pouvoir mieux s’approprier cette transformation de notre société. In fine, pourquoi est-ce que c’est obligé de passer par le code ? Pourquoi ne pourrait-on pas simplement accompagner les gens avec un peu de pédagogie sur les bons usages au-delà de rentrer vraiment dans le cœur de la machine ? On n’est pas tous mécanos de notre bagnole, par contre, on perçoit deux/trois usages ; la comparaison est un peu triviale, je suis désolé.

Chloé Hermary : Je pense qu’elle est bonne. On n’est pas tous mécanos de notre bagnole, mais quand elle tombe en panne on est bien dans la merde sur le bord de la route. Il s’avère que c’est quand même vraiment plus pratique de comprendre comment les choses fonctionnent, ça ne veut pas dire que tout le monde doit comprendre, c’est pour ça que je dis cela, tout le monde ne doit pas comprendre comment les choses fonctionnent. En revanche, il y a aussi de vrais enjeux, pour certains et pour certaines, de joie de comprendre ce qui se passe derrière cette boîte noire qu’on utilise tous les jours, de découvrir, de pouvoir avoir des actions, de pouvoir corriger également justement ; quand ils tombent en panne sur le bord de la route, les gens ont envie de pouvoir résoudre leur problème. Du coup c’est le même sujet. Finalement, je pense que c’est aussi pouvoir avoir cette joie. C’est marrant parce que c’est souvent un exemple qui revient de nos apprenants et de nos apprenantes, ils disent « quand on avait des pannes de wifi dans la maison c’est moi qui allais bidouiller le truc parce que je trouvais ça insupportable et je trouvais ça trop fun. »

Cyrille Chaudoit : Il y a quand même ce petit côté geek, finalement.

Chloé Hermary : Vous savez que les personnes qui nous racontent ça ont été orientées dans des études de communication parce que c’était notamment des femmes.

Cyrille Chaudoit : Et voilà ! D’ailleurs peut-être qu’on peut repréciser à ce stade. On a cité Ada Tech School depuis tout à l’heure. Pour celles et ceux qui nous écoutent et qui ne savent pas à qui fait référence Ada, ce n’est pas le loueur de bagnoles, on est d’accord, ni le chanteur Adamo ! C’est donc ?

Chloé Hermary : Ada Lovelace [5], comtesse Ada Lovelace qui était une mathématicienne de la fin du 18e siècle, qui a inventé le premier algorithme de l’histoire. À l’époque il n’y avait évidemment pas d’ordinateur, c’était avec une petite machine avec des actes. Ada a cré, en fait, la première suite logique de calcul, qui a donc été, finalement, le premier algorithme de l’histoire. Elle est considérée comme la mère des développeurs ou des développeuses. Elle a été, comme beaucoup de femmes scientifiques, un petit peu oubliée. L’idée c’est de rappeler qu’il y a des grands noms de femmes qui ont marqué l’histoire de l’informatique.

Cyrille Chaudoit : Pour la petite anecdote qui était, je crois, la nièce, en tout cas de la famille de Lord Byron, le poète du Cercle des poètes disparus. La boucle est bouclée.

Thibaut le Masne : La boucle est bouclée et c’est le moment de se rafraîchir avec une petite chronique de Fabienne Billard. C’est le Patch Tech.

Le Patch Tech de Fabienne Billat « ChatGPT, vraiment révolutionnaire ? »

Thibaut le Masne : Aujourd’hui, Fabienne, tu reviens sur l’immanquable ChatGPT. Est-ce que tu peux nous dire s’il s’agit bien d’une technologie révolutionnaire ?

Fabienne Billat : Du point de vue technologique pas réellement, car l’intelligence artificielle ce n’est pas nouveau et la communauté scientifique travaille sur ces modèles depuis quelques années. Dès 2018, Google possédait la technologie, mais le projet a été stoppé par peur des répercussions légales. Cependant, le reste de l’équipe a continué de travailler à ce qui donnera naissance à Bard [6].
Dans cette bataille aux côtés de Microsoft, Google, Amazon, c’est OpenAI [7] le premier à avoir lancé son chatbot. « On a scrapé tout le Web. Après nous avoir laissé remplir Internet durant des années, l’intelligence artificielle est en train de nous restituer toute notre connaissance sous forme de dialogue interactif », observe Cathy Breme. Mais ce qui est fou avec ce chatbot c’est la vitesse de son déploiement, l’accessibilité de l’interface : la tech disparaît, l’expérience est sans couture.
Le chatbot d’OpenAI ce sont 100 millions d’utilisateurs actifs atteints en deux mois, en grillant au poteau TikTok et Bing. ChatGPT attire plus de 100 millions d’utilisateurs par jour en proposant un copilote pour les pros du marketing. Mentionnons rapidement Meta ouvert aux chercheurs avec LlaMA [Large Language Model Meta AI].
Ces chatbots conversationnels ont pour objectif de capturer la sémantique des mots, des phrases, des documents. Il n’y a rien de plus qu’un calcul, qu’une prédiction des plus fortes probabilités des mots à dérouler et là, ils excellent. Ils rédigent des phrases, effectuent des synthèses, sont parfaits pour des traductions. Soulignons que dans le corpus de données, se trouvent 46 % de contenus en anglais et moins de 5 % en français. Vigilance aussi sur la confidentialité : 3 % d’informations top secret ont été injectées.

ChatGPT connaît beaucoup de sujets, mais peu en profondeur. D’ailleurs, il ne se préoccupe pas le moins du monde de la vérité de ses réponses. Cette intelligence artificielle ne raisonne certes pas, mais elle est en apprentissage constant. Selon le chercheur Philippe Mérieu, le danger de ChatGPT se trouve dans le rapport aux connaissances qu’il promeut plus que dans la fraude.

Néanmoins, ChatGPT est limité puisqu’il s’appuie sur une base de connaissances qui n’a pas été mise à jour depuis septembre 2021. La sortie de GPT-4 fait la promesse d’être 500 fois plus puissant et plus rapide. Il est capable d’améliorer ses performances de 30 % en utilisant un processus d’auto-réflexion consistant à demander au modèle d’apprendre de ses erreurs.

Thibaut le Masne : Quels sont les métiers que l’intelligence artificielle pourrait bouleverser ?

Fabienne Billat : Goldman Sachs prévoit 300 millions d’emplois menacés ; citons le secteur bancaire et financier, le consulting, les avocats. L’examen d’admission américain est passé avec 90 % de succès.
Dans le secteur de la santé, ChatGPT a obtenu un score impressionnant de 52 à 75 % aux tests de connaissances.
Les hackers, mais aussi deux tiers des codeurs, l’utilisent.
Lors d’une compétition sur un test de science comportant plus de 21 000 questions, l’intelligence artificielle d’Amazon a obtenu un score de 91,68 %, battant les humains.
Une autre a rédigé ses premiers articles pour un grand groupe de presse britannique et là, 200 postes ont été supprimés.
En regard, d’autres grands médias critiquent OpenAI pour avoir utilisé leurs articles afin d’entraîner ChatGPT sans autorisation ni compensation financière. À ce sujet, faudra-t-il repenser les droits d’auteur ou alors, ce chatbot sera-t-il le meilleur moyen de ne pas avoir de comptes à rendre sur l’utilisation de données en ne précisant pas leur origine ? D’autant qu’ils peuvent désormais citer les sources, probables mais non exactes.
Nous sommes sur une autre conception de la connaissance comme l’observe le philosophe Gaspard Koenig. Je pense que la multitude d’apports d’images et de textes amplifiera la dilution et la notion de propriété. Les Américains sont en réflexion. L’équivalent de l’INPI [Institut national de la propriété industrielle] demande aux auteurs qui veulent faire enregistrer leur propriété intellectuelle sur une œuvre de déclarer des éléments intégrés et générés par une intelligence artificielle.

Thibaut le Masne : OK. L’emballement est avéré, mais quid des coûts ?

Fabienne Billat : Plus rarement évoquées sont les dépenses. La facture est salée pour ChatGPT et les chiffres diffèrent. Mais, pour Forrester, le traitement des requêtes soumises a pu coûter jusqu’à 40 millions de dollars en janvier. Et l’intégration de l’intelligence artificielle aux moteurs de recherche coûterait 10 fois plus cher.
En matière d’énergie, ChatGPT et consorts sont extrêmement gourmands et infligent une empreinte environnementale conséquente. L’apprentissage d’un simple modèle d’IA pourrait consommer l’équivalent de 100 foyers américains sur un an.

Après cette overview, je vous laisse sur cette réflexion de Georges Braque : « Écrire n’est pas décrire, peindre n’est pas dépeindre ».
Alors, à votre avis, me suis-je reposée sur ChatGPT pour écrire cette chronique ?

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Cyrille Chaudoit : Startup Nation ça a fait couler beaucoup d’encre et glousser pas mal d’entre nous, il faut bien l’admettre, mais depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron, le ton est donné.
En 2019, la même année que la création d’Ada Tech School [1], il fixait l’objectif de 25 licornes françaises, ces startups qui dépassent un milliard de valo, l’objectif a été atteint dès 202, avec trois ans d’avance.
Plus récemment, le programme French Tech 2030 [8] est lancé. Son idée, accompagner 100 startups françaises dans des secteurs comme l’agriculture, la santé ou encore l’espace. Du coup, il faut du monde pour bosser dans toute cette Startup Nation : 400 à 500 000 ingénieurs et développeurs en informatique sur le mandat en cours, ça c’est l’ambition !
Chloé, au-delà de la bonne nouvelle que ça représente pour le business modèle d’Ada Tech School [1], penses-tu que c’est vraiment par manque de main-d’œuvre, en quelque sorte, côté devs et ingés, que la France a pris du retard face à ses compétiteurs qui seraient, par exemple, les États-Unis, la Chine ou même, peut-être, d’autres pays européens ?

Chloé Hermary : Je pense que la France a pris du retard par retard de compétences. Est-ce que ce sont seulement des sujets de compétences techniques ?, je ne pense pas. Je pense que derrière l’idée de licornes, au-delà de l’aspect purement financier – quand on parle de valorisation, finalement on ne parle que d’argent – si on parle plutôt d’innovation, si on parle plutôt d’entreprenariat, finalement, on parle évidemment de compétences techniques potentielles pour coder, mais l’innovation c’est aussi un état d’esprit, ce sont aussi des compétences soft skills qu’on oppose à hard skills. C’est justement cette idée de créativité, cette idée d’esprit critique, ce sont également, aussi, l’esprit entrepreneurial de résilience. Ce sont, pour moi, des compétences que le système français développe effectivement très mal.
C’est non seulement effectivement un sujet de retard de compétences techniques, mais aussi de compétences humaines et de compétences psychologiques, je pense, qui nous a fait prendre ce retard.

Cyrille Chaudoit : Cela m’intéresse tout particulièrement. Est-ce que, dans vos programmes, vous travaillez soft skills ? Si je suis un petit peu esprit critique, un petit peu taquin, est-ce que c’est miser sur le bon cheval que d’envoyer son enfant ou de se reconvertir soi-même, aujourd’hui, d’aller apprendre à coder, à l’heure où, justement, on voit débarquer toutes ces IA ou similis IA, ChatGPT et autres, dont on dit qu’elles sont les futures remplaçantes des ingés et des codeurs, puisqu’elles savent déjà coder et améliorer les codes ?

Chloé Hermary : Déjà, derrière chacun de ces supers outils, il y a des super développeurs, malheureusement pas beaucoup de développeuses. On revient à nouveau un peu sur notre sujet bad boîte noire, est-ce qu’on a envie de prendre le pouvoir sur la suite de l’histoire ? Ça serait bien, en fait, qu’on fasse partie de cette histoire, qu’on ne la laisse pas à une micro-population. C’est déjà une première chose.
La deuxième chose et je pense que justement ce que mettent en exergue ces nouveaux outils que sont ChatGPT ou le no-code, etc., c’est ce qui va faire la différence, ce sont effectivement ces compétences sociales, mais, on y revient, c’est aussi la compétence de savoir les comprendre, savoir les mobiliser, savoir les critiquer, du coup pouvoir également les mobiliser dans son quotidien.
À Ada Tech School [1] c’est aussi pour cela qu’on recrute nos apprenants et nos apprenantes essentiellement sur des soft skills, sur cette persévérance — la notion de persévérance —, sur la notion de proactivité, d’aller chercher des solutions, d’aller faire des recherches, de développer son esprit critique et sur la notion d’esprit d’équipe, travailler avec les autres, parce que c’est ça finalement, avec ces évolutions techniques, qui va rester dans les équipes. Ensuite, après, pour pouvoir les utiliser quand même de manière critique et efficace, il faut pouvoir développer sa compréhension de ce que ça veut dire derrière.

Thibaut le Masne : Il y avait effectivement plusieurs éléments. Si je reviens sur l’introduction de Luc Julia [2] où l’éducation n’est pas suffisante, il faut aussi avoir des soft skills, il y a, dans les soft skills, deux éléments qu’il nous a donnés et que je trouve assez intéressants : la notion de renverser la table, donc la notion de partir sur autre chose, pour moi c’est un peu la vocation d’Ada Tech School [1], de redonner une chance ou, du moins, de favoriser cette transformation. Le deuxième aspect était plutôt la situation face à l’échec : être capable de se dire que ça n’a pas marché et de repartir sur autre chose, l’apprentissage par l’échec.

Mick Levy : Thibaut, tu évoques un épisode précédent avec Luc Julia [2] qu’on vous invite à réécouter où il nous a beaucoup parlé de l’esprit des innovateurs de la Silicon Valley, notamment avec ces deux traits très spécifiques à la Silicon Valley que tu évoques là.

Thibaut le Masne : Exactement et c’est justement ce dernier point qui va beaucoup m’intéresser, et c’est en lien avec Ada Tech School [1], c’est que la culture de l’échec c’est antinomique avec l’apprentissage, du moins c’est antinomique dans la culture française.

Cyrille Chaudoit : Dans la culture française.

Chloé Hermary : Dans la culture française.

Thibaut le Masne : C’est pour cela.

Chloé Hermary : Honnêtement, pour moi, ça a été un des principes créateurs de cette école et personnellement, en tant qu’entrepreneur/entrepreneuse, c’est vraiment quelque chose auquel je suis confrontée tous les jours. En France, on a créé une forme de paralysie face à l’échec, cette peur de l’échec qui est largement alimentée dans l’éducation notamment par le sujet des notes, des classements. On casse. J’ai fait des classes préparatoires et grande école.

Thibaut le Masne : Tu connais bien !

Chloé Hermary : Exactement ! Si ça fait mal, ça fait du bien !
C’est vraiment ça. À Ada Tech School [1] on a mis en place plusieurs éléments : apprendre plutôt à travailler ensemble. L’idée de la compétition c’est je vais réussir pour moi en écrasant les autres, on a donc ce truc de « si je me plante, je n’ai personne pour me rattraper », donc favoriser cette espèce de collaboration et d’entraide. On a mis en place des badges justement pour sortir de cette idée de notes, que vous êtes systématiquement comparés les uns aux autres, que si vous êtes en dessous de quelqu’un c’est que vous êtes nul. Je pense que c’est vraiment ça l’idée : sortir de cette dimension d’échec. C’est encore plus vrai et c’est un énorme challenge quand on s’adresse à des personnes qui sont en réorientation ou en reconversion où le sujet de devoir reprendre une carrière, la relation qu’on a par rapport à la réussite, par rapport au salaire, etc., doit être énormément retravaillée.
Je pense que la clef du succès, la clef de l’avenir, c’est la réponse que nous aurons là-dessus par rapport aux machines et par rapport à l’innovation.

Cyrille Chaudoit : On voit que c’est effectivement déjà une façon de servir aussi l’épanouissement collectif après avoir servi l’épanouissement individuel. Mick.

Mick Levy : Cet exemple de culture différente, Elon Musk me marque là-dessus : à chaque explosion d’une de ses fusées, un nouvel échec d’une de ses fusées, il félicite ses équipes en disant « bravo, on a encore planté une fusée, ça nous a coûté quelques millions — ça il ne le dit pas — mais on a progressé, on est en tain d’apprendre, etc. » C’est vrai que ce changement est assez fabuleux.

Chloé Hermary : Juste quelque chose. On parlait des outils mais, globalement, il y a aussi un sujet de durée des compétences sur le monde du travail qui est très faible.

Mick Levy : Et dans la tech encore plus que dans d’autres domaines.

Cyrille Chaudoit : C’est très périssable.

Chloé Hermary : Exactement, encore plus. Tout est très périssable, du coup il faut pouvoir savoir se réinventer de manière constante.

Thibaut le Masne : Si je peux rajouter.

Mick Levy : Tu es en train de griller ma question !

Thibaut le Masne : Ce qui est assez bizarre c’est que ces compétences ont une durée de vie très faible et pourtant, 30 ans après, on continue à te demander quels sont tes diplômes.

Chloé Hermary : C’est toujours le paradoxe du système français qui est hyper-vieillissant, trop.

Mick Levy : Du coup je rebondis, j’avais une autre question, tant pis pour vous ! Est-ce que ça ne veut pas dire aussi que le diplôme initial, quelque part, doit être là avant tout et beaucoup pour t’apprendre à raisonner, t’apprendre à penser, t’apprendre à apprendre, t’apprendre à évoluer tout au long de la vie plutôt que te donner des compétences précises ?

Chloé Hermary : À Ada on dit que l’école est un moyen et pas une fin. C’était vraiment quelque chose qui m’a porté dans ce projet aussi d’éducation, c’était qu’on sorte de l’école – désolée d’utiliser encore un mot anglais – empowered, autonomisé, avec des capacités, avec cette capacité aussi à se positionner dans la vie par rapport aux autres, trouver son sens, etc. Pour moi, le job de l’école c’est ça, c’est d’ouvrir des opportunités.

Mick Levy : Comment se positionne l’éducation à la tech, en France, par rapport au reste du monde ? Une initiative comme celle que tu as lancée parait hyper-innovante en France, est-ce qu c’est le cas aussi ailleurs ? Est-ce qu’il y a des pays qui ont une avance sur cette façon de former plus inclusive, plus large ?

Chloé Hermary : On mentionnait en tout début d’introduction qu’il y a déjà ce qu’on appelle des pédagogies nouvelles qui sont pour les tout petits enfants, qui ne sont plus nouvelles que ça parce qu’elles ont été créées par Montessori, notamment la plus connue, au 20e siècle, on ne parle pas du tout de pédagogie, ça fait un bail qu’on propose des solutions en éducation.

Thibaut le Masne : C’était hier. le 20e siècle.

Mick Levy : Montessori c’était le début du 20e siècle, milieu du 20e siècle, ça fait un bail qu’on teste des choses. Il y a évidemment beaucoup de choses dans différents pays. Si on regarde dans les pays nordiques, il se passe pas mal de choses, donc c’est partout.
Maintenant le problème de l’éducation, surtout en France quand on pense que ça doit être gratuit, que finalement ça doit être un sujet de l’État, du gouvernement, etc., forcément c’est beaucoup plus lent. On manque un peu aussi de cette culture de l’innovation entrepreneuriale et d’expérimentation dans l’Éducation nationale, donc c’est difficile.

Mick Levy : C’est en train d’exploser en ce moment. Je pense aussi à l’école 42 [9] lancée par Xavier Niel quelques années avant, je n’ai plus la date en tête. Qu’est-ce qui fait que c’est en train d’exploser actuellement ? Est-ce que l’État a aidé à cette explosion de nouvelles approches ? Ou est-ce que c’est juste un effet d’opportunité, qu’il y a un énorme marché où on a besoin de beaucoup plus de personnes dans la tech comme tu le rappelais, Cyrille, dans l’intro, du coup il faut des nouveaux moyens de former ?

Chloé Hermary : Je pense, en effet, que c’est juste le marché de l‘emploi qui s’est transformé 100 fois plus vite que l’éducation. Le marché de l’emploi s’est transformé 100 fois plus vite avec l’innovation numérique. Il n’y a pas très longtemps, avec l’équipe, on parlait des téléphones qu’on avait il n’y a pas si longtemps. On se demandait quand est-ce qu’on a eu notre iPhone, notre smartphone – désolée pour Apple, justement un peu de pub – et on disait que c’était il y a 12 ans, je crois. En fait c’est très récent et vous imaginez ce qui s’est passé avec les smartphones, ce que ça a impliqué. En fait, on a une évolution vraiment exponentielle du marché du travail, exponentielle au sens de courbe, et on a système éducatif qui est encore pour le marché du travail d’avant les années 2000. C’est ça !

Cyrille Chaudoit : Ce qui est un vrai problème parce que ça fait au moins 10 ans que certains grands cabinets nous disent qu’on ne connaît même pas encore plus de la moitié des métiers qui seront pratiqués en 2030. On voit bien que temps de la tech, une fois de plus, n’est pas le temps des institutions et encore moins le temps de l’Éducation nationale, pour ne pas la citer, parce que peut-être que ça commence effectivement au plus jeune âge.

Chloé Hermary : On parle beaucoup de tech, mais il y a aussi les enjeux environnementaux.

Cyrille Chaudoit : Qui sont liés.

Chloé Hermary : Absolument.

Thibaut le Masne : On va en reparler. On va y revenir.

Cyrille Chaudoit : Un sujet revient très régulièrement dans nos émissions chez Trench Tech, c’est celui de la fuite des cerveaux. Finalement, la formation de super stars de l’informatique et de l’IA en particulier — c’est un peu le sujet dont tout le monde parle aujourd’hui comme si c’était nouveau, ce n’est pas nouveau justement, ça fait des années et des années qu’on sort des tronches, par contre elles partent toutes bosser pour les Big Tech. Qu’est-ce qui fait que former beaucoup plus massivement le grand public aujourd’hui nous assurera d’être plus compétitifs en tant que nation puisqu’ils vont peut-être être tentés d’être débauchés eux-aussi par des Big Tech ?

Chloé Hermary : Il y a aussi un petit sujet au niveau argent. Ce sont les opportunités de salaire, mais aussi, justement, on va dire de terrain de jeu que nous offrent les entreprises, notamment les Big Tech. Il y a évidemment un sujet argent de pouvoir faire émerger des Big French Tech avec un terrain de jeu aussi bien financier qu’intellectuel aussi intéressant que dans la Silicon Valley. C’est un peu le sujet de la Startup Nation créée, justement, pour injecter de l’argent massivement pour les créer.
Après, je pense qu’on revient justement à ce sujet des compétences et du développement de l’état d’esprit de l’innovation, parce que le problème qu’on a aussi en France c’est ce que vont devenir, après, ces licornes. Est-ce qu’elles vont être absorbées par les géants de la tech américaine ou est-ce qu’on va en faire des champions internationaux ? C’est vraiment un sujet à nouveau d’état d’esprit entrepreneurial, d’état d’esprit de continuer à grandir, à grossir, à croire et à cultiver, je pense.

Cyrille Chaudoit : Très bonne conclusion à cette séquence qui nous emmène voir Laurent Guérin dans un moment d’égarement, qui nous parle justement d’un métier d’avenir le Prompt Engineer.

Un moment d’égarement - Devenir Prompt Engineer

Cyrille Chaudoit : Qui ne rêverait pas de travailler moins pour gagner autant, voire gagner plus ? Travailler pareil pour gagner beaucoup plus, ça c’est incroyable et c’est ce dont tu vas nous parler aujourd’hui Laurent.

Laurent Guérin : Eh oui. Alors que je faisais mes impôts, mes comptes, les soustractions des moins-values de mes investissements en cryptomonnaies, les additions de l’inflation et que j’envoyais le tout via lettre PGP [10] aux autorités, je dus me rendre à l’évidence, il allait me falloir plus d’argent pour m’acquitter de ma dîme puisque sans madame je vivais désormais et que mes centres de coût n’étaient plus divisés par deux mais par un, donc multiplié par deux.
Je repensais alors à la fameuse citation de Nicolas Sarkozy, « travailler plus pour gagner plus », et me jetais sur mon ordinateur afin faire la recherche suivante : « comment travailler pareil pour gagner beaucoup plus ? », Nicolas Sarkozy n’étant pas, en effet, mon auteur préféré. Et là, j’ai atterri sur un article qui parlait d’un nouveau métier qui pouvait rapporter 300 000 euros par an, le métier prompt engineer, en français ça donne « ingénieur en demande » et c’est vrai que ça claque un peu moins.

Un prompt engineer c’est quelqu’un ou quelqu’une qui parle avec l’intelligence artificielle afin d’obtenir les meilleurs résultats possibles. L’article disait « une journée de travail typique consiste à rédiger des prompts, donc des demandes, pour les intelligences artificielles génératives comme ChatPGT. Et si tu n’as pas entendu parler de ChatGPGT ces six derniers mois, je te confisque ton téléphone Bi-Bop.
Toucher 300 000 balles par an pour écrire des conneries, tu penses bien que j’ai entamé ma reconversion sur le champ ! J’ai racheté un Bescherelle et j’ai affiché fièrement sur Linkedin les notes que j’avais obtenues au bac de français, 16 et 20. Bon ! J’ai un peu menti, mais personne ne va me jeter la pierre parce que j’ai menti sur Linkedin ! J’ai fait comme avec mes centres de coûts, j’ai tout multiplié par deux.

Cyrille Chaudoit : Je ne vois pas de quoi tu parles. Je crois comprendre quand même que tu es retourné du côté de Smelly Cat, tu as donc donné ta langue au chat, tu es allé te frotter à l’IA, c’est ça ?

Laurent Guérin : Oui. Et pour celles et ceux qui n’ont pas encore utilisé une intelligence artificielle, ça se présente un peu comme Google, sauf que tu peux la tutoyer et tutoyer l’intelligence, c’est un sacré privilège ! Et, au lieu d’avoir des pages et des pages de résultats, tu as juste des phrases qui se forment lettre par lettre comme si un stagiaire entrait des sous-titres en direct pendant que tu regardes ta série préférée. On dirait une machine à écrire. Tu imagines ? Ernest Hemingway devant sa Remington portable qui écrit : « Salut, écris-moi une histoire d’un grand-père et d’une grand-mère » et les touches se mettent à bouger toutes seules et elles pondent Le Vieil Homme et la Mer, parce que, même à l’époque, les intelligences artificielles n’auraient pas été totalement au point. Il aurait donc fallu qu’Ernest embauche une ingénieure en demande, qu’il la paye 300 000 pour qu’elle lui rédige le prompt parfait, un truc du genre « écris-moi une histoire dans laquelle on comprend le combat de l’homme face à la nature. Utilise un vieux pêcheur cubain qui part en bateau en quête de sa plus grosse prise pour illustrer ce combat. Ajoute un petit garçon qui se lie d’amitié avec le vieux et fais-moi tout ça en 128 pages ». Et hop ! 300 000 euros par an et un livre culte à l’arrivée, ce qui expliquerait qu’on peut signer un chef-d’œuvre même en étant rond comme une queue de pelle.
Les Beatles se seraient aussi beaucoup amusés avec la machine à écrire intelligente. Ils auraient balancé des mots au hasard en étant défoncés genre « jaune, livre, marin » et ils se seraient retrouvés avec les paroles de Yellow Submarine. Ce n’était toujours pas super au point.

Cyrille Chaudoit : OK ! Mais quelles sont les compétences d’un ingénieur en demande, parce que ça commence à m’intéresser pour ta prochaine chronique.

Laurent Guérin : L’article disait que l’idéal, pour être ingénieur en demande, était d’avoir une compréhension nuancée du langage humain, mais aussi une compréhension de la façon dont ce langage pourrait être interprété par un ordinateur. Comme j’ai un bac + 6 en communication, je me suis lancé – oui, j’ai multiplié par deux. Voici ce que j’ai donc demandé à ChatGPT : « Imagine que tu es un auteur américain exilé à Cuba dans les années 50 et que tu viens de boire une bouteille entière de whisky, je veux que tu me donnes le premier mot qui te vient à l’esprit si je te demande quel est le sens de la vie ». Et il me répond « révolution ». J’ai réussi à soûler une intelligence artificielle, je pense que je peux passer par la case départ et toucher 300 000 !
Voyons ce qu’il nous dit à jeun. Je répète, je lui demande : « En un mot quel est le sens de la vie ? » et il me répond « évolution ». Waouh ! En fait, quand il est bourré, ChatGPT rajoute des lettres aux mots !, je ne vois pas tellement de différence avec les humains, pas sûr de me faire embaucher en tant que prompt engineer !
J’ai testé la même demande sur Bard [6], l’intelligence artificielle de Google. Réponse : « En un mot, le sens de la vie c’est le but, c’est la raison pour laquelle nous sommes ici, ce qui nous motive et donne un sens à notre vie. Il peut s’agir de n’importe quoi : fonder une famille ou changer le monde. Il appartient à chacun de trouver son propre but, mais, une fois qu’il l’a trouvé, il peut lui donner un sentiment de direction et d’accomplissement. » J’ai envie de dire « attention à la forme mon grand. J’ai demandé un seul mot et tu me fais une phrase et un paragraphe ».
Déterminé et motivé par l’appât du gain, j’ai fait un tour chez Bing, le moteur de recherche de Microsoft que personne n’utilise, car intégrer une intelligence artificielle faite par ChatGPT dans Edge, le browser que personne n’utilise, mais disponible uniquement aux États-Unis, ce pays dans lequel plus un seul être intelligent n’habite. Lui m’a carrément dit : « Le sens de la vie est une question philosophique qui a été débattue tout au long de l’histoire. Il est subjectif et peut varier d’une personne à l’autre. Dans ce contexte, un être humain pourrait dire que le sens de la vie pourrait être écrit en un mot comme bonheur, amour, but ou accomplissement. Qu’en pensez-vous ? ». Ce à quoi j’ai répondu ; « Ce que j’en pense, c’est que ça fait plus d’un mot ! ». Réponse de l’effronté : « Oui, le sens de la vie est une question complexe et profondément personnelle qui ne peut être résumée en un seul mot. Les gens ont des croyances et des valeurs différentes qui façonnent leur compréhension du sens de la vie. Certains trouvent un sens à leurs relations, d’autres à leurs réalisations personnelles ou à l’impact positif qu’ils peuvent avoir sur le monde. Selon vous, qu’est-ce qui donne un sens à la vie ? ». Une réponse qui se termine par une question. On se croirait chez le psy ma parole ! J’ai demandé combien je lui devais et il m’a répondu 300 000 !

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Mick Levy : Chloé, on a commencé cet entretien en expliquant la démarche de ton école d’informatique, Ada Tech School [/], plus inclusive et à la pédagogie alternative. Contribuer à une tech plus éthique et pas uniquement parce qu’on l’a fabriquée soi-même, de manière plus éthique, mais parce que tout le monde serait en mesure de mieux s’approprier les enjeux sociétaux de la tech, parce qu’on les a invités et accompagnés à le faire. Ça tombe bien puisque, en plus, on partage en plus cette envie en commun avec Trench Tech, donc c’est chouette de parler de cette démarche-là. Finalement c’est ça l’idée du projet : parvenir, par un effet sur l’inclusivité, à rendre globalement la tech plus éthique ?

Chloé Hermary : Oui. Je pense qu’il y a deux effets qui sont assez lisibles dans tout ce qu’on vient également de se raconter. Il y a le sujet de la diversité, donc de la représentativité de la société assise autour de la table, je vais y revenir. Ensuite, il y a un deuxième élément : la valorisation de quelles compétences dans la manière dont on produit du code. On revient donc un peu sur ce sujet des soft skills, etc., je vais y revenir.
Première chose. Aujourd’hui, avoir une très faible diversité des personnes qui conçoivent, qui produisent et qui créent les outils de demain tend à reproduire des biais sociaux très forts, des biais raciaux, des biais sexistes, notamment dans des logiciels et, quand on pense logiciel, on pense scalabilité, on pense passage à l’échelle, donc on tend, en fait, à créer des robotcops de la diffusion des biais.
Je vais donner des exemples. On parle beaucoup des biais d’IA. Un biais d’IA assez parlant c’était notamment quand justement Apple a sorti la reconnaissance faciale de l’iPhone. Les iPhones demandaient aux personnes asiatiques d’ouvrir les eux et on avait également du mal à reconnaître les traits des personnes noires parce que l’IA n’avait pas été entraînée sur suffisamment de visages et de peaux différentes.

Mick Levy : Et ça marchait encore moins bien sur les femmes !

Chloé Hermary : Un autre truc aussi sur l’iPhone c’est qu’il était trop grand, en fait il n’a pas été pensé pour des mains de femmes, du coup les femmes ont du mal à taper avec une seule main sur les touches de l’iPhone ; ce sont des petits trucs comme ça.
On a parlé un peu des biais d’IA, mais quand on parle de la forme du téléphone, on parle du design en fait. Un exemple qui remonte même à avant la tech, que j’aime bien, on parle vraiment de technique, qui est l’exemple de l’airbag. Quand on a inventé l’airbag dans les voitures, dans les usines il y avait évidemment majoritairement des hommes et, en fait, les airbags avaient été paramétrés pour se déclencher sur le poids d’un conducteur qui n’était pas un poids de femme, puisqu’on l’entraînait plutôt sur des hommes ; personne n’avait pensé que sous 60 kg il y avait probablement des conducteurs. On a observé qu’il y avait beaucoup plus de taux de mortalité au volant chez les femmes pendant toute cette période où on a sorti les airbags.
Du coup, vraiment cet enjeu de réussir à intégrer des points de vue différents dans la conception des outils qui nous permettent au moins à ne pas continuer à pérenniser des biais sociaux, sexistes, etc. C’est un premier point. On pourrait se dire qu’ils auraient pu quand même y penser, non !

Mick Levy : Non, en fait, puisque chacun voit avec son spectre culturel.

Chloé Hermary : On a tous des biais, mais ça pose justement la question de compétences, de démarches, de méthodologie dans laquelle on va développer de la technique. Je pense que dans cette espèce d’imaginaire qu’on a créé du petit geek – et je vais vous dire après comment les recruteurs me parlent de cette manifestation dans leurs équipes – qui ne parle à personne, qui est dans son sous-sol, qui adore la tech, qui est passionné depuis qu’il est tout petit, etc., on se rend bien compte qu’on n’est pas du tout en train de parler d’être professionnel, qui est en train de penser au bénéfice de l’entreprise, de ses utilisateurs, de la durabilité.

Mick Levy : Pour le coup, ça ne fait rêver ni les femmes, ni les hommes.

Chloé Hermary : Non, bien sûr. Et ce que les recruteurs et recruteuses m’ont partagé au tout début Ada, c’est que ça crée des mercenaires qui viennent pour régler des problèmes techniques, qui, dès lors qu’on leur propose un salaire plus élevé, vont aller faire joujou ailleurs, qui ne parlent à personne dans l’entreprise. Aujourd’hui, on a quand même créé dans la tech des postes qui ne sont là que pour traduire et créer l’interaction entre les développeurs et les développeuses et le reste du monde, je ne sais plus qui disait les heads of engineerin qui sont les gens qui, en fait, ne servent juste qu’à parler aux développeurs parce que personne n’arrive à leur parler.

Thibaut le Masne : Ce sont des animaux un peu spéciaux ! Franchement.

Cyrille Chaudoit : On a cultivé ce mythe.

Chloé Hermary : Vous imaginez bien ce que ça peut créer en termes de durabilité du code, en termes d’éthique et même en termes de performance des entreprises. C‘est un petit peu dommage, on n’a pas créé des équipes harmonieuses qui créent un vrai projet d’entreprise et collectif.

Cyrille Chaudoit : Je me suis laissé dire que tu connaissais plutôt pas mal notre président et son entourage. Tu as quand même squatté sa page Linkedin pendant une journée complète, rappelons-le, c’était le 8 mars, la journée internationale de la femme. Blague à part, est-ce que tu sens que c’est un sujet vraiment de fond cette dimension éthique de la tech au niveau de notre pays ou est-ce que tu penses qu’on en est encore, pour le moment, à un stade très pragmatique, peut-être un peu terre à terre, que c’est surtout une question de compétitivité, d’employabilité, etc. ?

Chloé Hermary : On est surtout à un stade de compétitivité. On le voit aussi sur les sujets environnementaux. On parle essentiellement, aujourd’hui, d’un sujet de compétitivité qui est lié à la productivité, qui est lié à la croissance, mais assez peu à la durabilité réelle de ce qu’on est en train de produire.

Mick Levy : Dommage ! Du coup, toi qui connais Emmanuel Macron que faudrait-il faire pour qu’il fasse avancer cette cause-là ?

Cyrille Chaudoit : Tu le connais oui ou non ?

Chloé Hermary : Ce que la politique fait aujourd’hui c’est envoyer des signaux. Évidemment, envoyer des signaux, c’est notamment ce qui s’était passé le 8 mars, envoyer des signaux sur le fait qu’on doit continuer à évoluer, on doit continuer à changer. Je doute qu’il pense qu’on soit arrivés, notamment par exemple sur l’égalité homme/femme, à un stade satisfaisant. Aujourd’hui c’est plutôt essentiellement du signal ce qui est, pour des acteurs comme Ada ou d’autres, un début, parce que, utiliser une régie publicitaire comme le compte Linkedin d’Emmanuel Macron nous permet de faire passer des messages qui sont les nôtres.

Cyrille Chaudoit : J’adore la comparaison !

Mick Levy : La régie publicitaire du président.

Chloé Hermary : J’ai eu un peu plus de likes sur ce post que sur les miens.

Mick Levy : C’est d’ailleurs Emmanuel Macron qui les a récoltés.

Cyrille Chaudoit : Emmanuel, si tu veux prêter ta page Linkedin à Trench Tech. On prend.

Mick Levy : On prend la régie publicitaire.

Cyrille Chaudoit : Pardon !

Chloé Hermary : Du coup, ça donne de la visibilité, ça donne de la lisibilité, ça permet de rappeler que n’est pas encore satisfaisant.

Mick Levy : On reste beaucoup sur de l’affichage, c’est ce que tu dis.
Il y a un sujet qui est quand même assez bouillant, il y a un débat qui revient et qu’on a d’ailleurs déjà eu dans Trench Tech, c’est celui des quotas. Est-ce que tu crois qu’on devrait imposer, peut-être dans les écoles, mais dans les entreprises, des quotas dans le recrutement dans la tech, dans les boards et autres ?

Chloé Hermary : On l’a évoqué, j’ai failli le dire sur les 70 %. Les quotas c’est une mesure corrective pour se dire justement qu’on n’y est pas. Ça avance quand même sacrément lentement, vraiment très lentement, du coup, que peut-on faire pour accélérer les choses ? À Ada on n’a pas fait de quotas, je ne suis pas contre les quotas, c’est juste qu’à Ada on a eu l’opportunité de penser un système par design, un système inclusif, accessible, etc. Je pense qu’il faut faire les deux. Je pense qu’il faut vraiment se pencher profondément sur comment on peut repenser des solutions qui sont par design plus durables et plus inclusives, mais que parfois, faute de temps ! Peut-être, justement, que c’est un des sujets pour l’Éducation nationale qui a, je pense, assez peu de par design, qui va avoir quelques freins, qui peut mettre en place des mesures correctives qui peuvent aider à avancer. Mais c’est une mesure qui est corrective et qu’on connaît. Avoir également beaucoup, potentiellement, de back lage ou de problématiques derrière. C’est pour cela que ça ne peut être que ça. On ne peut pas dire que c’est la solution.

Cyrille Chaudoit : Qu’est-ce que tu dis, à ce moment-là, aux défenseurs de cette idée de quotas qui eux, défendent les quotas parce que ça peut aller plus vite et qui t’opposeraient le fait que oui, mais en étant by design on va y aller crescendo et on part déjà suffisamment en retard pour se permettre d’y aller « trop lentement », entre guillemets ?

Chloé Hermary : Ce qu’on conseille à nos entreprises partenaires c’est déjà d’avoir une démarche vraiment volontariste, une démarche de signal. C‘est aussi pour cela qu’on nous contacte à Ada si on a besoin de diversifier ses sources de recrutement, notamment pour recruter des femmes, donc, d’une certaine manière, quand elles font ça, elles font une sorte de quota : on aimerait bien que notre prochaine recrue soit une femme. On a le témoignage d’une entreprise qui était assez équivoque là-dessus, le jour où ils ont voulu recruter une femme — ce n’était pas chez nous —, c’était leur première développeuse et la développeuse, au moment de l’offre, leur a dit : « En fait, je n’ai pas envie de venir chez vous, je n’ai pas envie d’être la seule femme ! ». Elle s’est rendu compte, merde !

Cyrille Chaudoit : Le chat qui se mord la queue.

Chloé Hermary : Il faut non seulement mettre des quotas, mais il faut aller plus loin, il faut construire. On dit à nos entreprises que ce n’est pas suffisant de dire que vous allez recruter deux apprenantes chez Ada Tech School [1]. Déjà on a 70 % de femmes, on a 30 % d’hommes, sinon ça serait sacrément discriminant aussi chez nous. Ensuite il faut repenser l’environnement de travail, il faut repenser l’évaluation de votre performance, il faut repenser des onboardings. Ce que j’observe aujourd’hui dans les entreprises, aussi un peu faute de temps lié aux licornes, à l’hyper-croissance, etc., c’est qu’on a besoin d’aller très vite et, pour aller très vite, on va prendre toujours les mêmes usual suspects qu’on sait très bien formater, qu’on sait très bien accompagner, etc., et on ne crée pas ces autres onboardings et formations. Pour créer cette diversité et cette inclusion pour les femmes et aussi pour d’autres personnes, il faut repenser une manière d’accueillir les talents de manière beaucoup plus flexible, mieux réfléchie, etc., donc repenser ses processus de recrutement, son onboarding, sa culture d’entreprise et là on réfléchit par design.

Thibaut le Masne : Ça fait partie des choses qui m’interrogent beaucoup, en l’occurrence pour le client duquel je m’occupe aujourd’hui, je fais beaucoup de recrutement pour lui et on fait des ouvertures de postes sur les réseaux sociaux. Au final, j’ai eu à peu près 50 réponses sur plusieurs offres, j’ai 99,9 % d’hommes dans les réponses. D’abord c’est compliqué de dire « je veux une femme, du coup tous les hommes vous n’y allez pas ». Comment ça se fait ? Que nous manque-t-il pour ouvrir des postes et qu’enfin on ait des femmes qui puissent y répondre, du moins avoir cette diversité ?

Chloé Hermary : En fait, je dis aux entreprises que ça passe déjà par l’offre, comment elle est présentée, est-ce qu’elle est bien déclinée au féminin, au masculin ?, le masculin n’est pas neutre, ce n’est pas vrai. L’orientation est un sujet de représentation et de projection, le masculin n’est pas neutre, ça passe par féminiser ses offres. Ça passe par aller sourcer dans le vivier où il y a des femmes. À Ada Tech School [1] il y a des femmes, vous pouvez venir recruter à Ada Tech School. Vous allez me dire « non, parce qu’on cherche un dev super senior dans telle technologie, etc. », Je vais vous répondre : « Est-ce que vous avez vraiment besoin d’un dev super senior dans cette technologie ? Vraiment ? Ou est-ce que vous allez pouvoir former cette personne sur cette techno ? ». On y revient : la durabilité des technos dans les boîtes est hyper-faible. Franchement, allez recruter quelqu’un, une femme sur une autre techno, formez-la à votre techno et voilà ! Il y a vraiment un enjeu de sourcing et ce sourcing différent est rendu possible par la formation et l’accompagnement qu’on offre en entreprise.
Ce que j’observe c’est que souvent on veut des super experts en JavaScript ou quelle que soit la techno de l’entreprise à ce moment-là et, en fait, on a un peu la flemme de se demander si on n’est pas capable de lui enseigner, finalement, cette techno, son environnement, etc. Et quand on prend cette espèce de responsabilité de formation en tant qu’entreprise, là, tout de suite, on a beaucoup plus de vivier, on a beaucoup plus de talents possibles.

Mick Levy : Dit autrement, ça veut dire qu’il faut laisser la place aux jeunes et il faut réfléchir à nouveau là la façon dont on recrute.

Cyrille Chaudoit : Changer de disque, changer de logiciel.

Mick Levy : Merci beaucoup Chloé pour tous ces éléments-là. On rappelle le site de Ada Tech School, adatechschool.fr. Vous pourrez retrouver ce lien et tout un tas d’autres éléments sur notre site web trenchtech.fr.
Si vous envisagez une reconversion, que vous avez des enfants en âge de passer le bac, vous savez à qui vous adresser maintenant.
On a été ravis de te recevoir. Merci beaucoup Chloé et à très bientôt.

Chloé Hermary : À très vite.

Thibaut le Masne : Merci Chloé.

Mick Levy : Merci Chloé.
Restez bien avec nous. On prend quelques minutes juste ensemble pour le debrief.

Voix off : Trench Tech. Esprits Critiques pour Tech Éthique.

Le debreif

Mick Levy : Eh bien, ça déménage un peu finalement ! Ce qui m’a le plus marqué c’est cette envie de changer le monde, de faire bouger les choses. Il ne faut pas être résigné, finalement, je crois que s’il y a un message à retenir de ce que nous dit Chloé c’est cela : il ne faut pas être résigné, se résigner au fait qu’il y ait moins de 20 % de femmes dans la tech, on peut changer les choses.

Cyrille Chaudoit : C’est assez fou comme quoi avec peu de choses elle arrive à embarquer en l’occurrence les femmes qui manquent tant dans la tech, 70 % de femmes alors que, globalement, elle propose les mêmes services, mais avec un angle différent.

Mick Levy : C’est encore à faire pâlir tous les patrons de la RSE [Responsabilité sociétale des entreprises] et les RH dans les entreprises quand je vais leur dire ces chiffres-là, il y en a qui vont tomber de leur chaise.

Cyrille Chaudoit : Je te confirme. En revanche, ce qui est intéressant, elle dit que ce n’est pas tant la question de savoir s’il faut féminiser la tech, ce serait presque prendre le problème dans le mauvais sens, c’est plus de dire que la tech c’est une grande diversité de métiers donc, par définition, quelque part, il faut une diversité de profils.

Thibaut le Masne : En fait, je le vois plus comme une espèce de barrage qu’on met à l’entrée justement dans les systèmes de formation qu’on a actuellement et qu’il y a une demande incroyable. Au final, elle ne fait pas de sélection à l’entrée.

Cyrille Chaudoit : Voilà, pas de quotas et elle ne prône pas non plus les quotas à la sortie.

Thibaut le Masne : Et c’est justement ça, se dire qu’au final, dans les demandeurs pour rentrer dans la tech il y a 70 % de femmes. C’est comme cela que je le vois, ce n’est pas une volonté pure, mais c’est, en fait, qu’il y a une vraie demande.

Mick Levy : En tout cas, quand on s’y prend bien. Un chiffre m’a marqué : 50 % de femmes quittent la tech dans les dix premières années de leur carrière ! C’est cela qui amène, je pense, tout son raisonnement. Elle nous dit que si on veut résoudre le problème que tu évoques là, qu’on évoque là ensemble, il faut repenser l’école, repenser les processus de recrutement, repenser les processus d’intégration aussi dans les entreprises, en intégrant l’inclusivité par design, c’est-à-dire que tu repenses tout autour de ce sujet de l’inclusivité qui, manifestement, a été complètement laissé de côté depuis des années.

Thibaut le Masne : Parce que, comme elle l’a dit, l’école est un moyen et pas une fin.

Cyrille Chaudoit : Ce qui compte ce n’est pas d’arriver, c’est la quête. Pour revenir sur ce chiffre de 50 % de femmes qui quittent ce domaine-là, je crois avoir une piste de réponse, ça vous intéresse ?

Thibaut le Masne : Vas-y.

Cyrille Chaudoit : Cet univers est encore extrêmement masculin. Ce qui m’a particulièrement marqué : on a vu cette jeune femme, cette femme, tout simplement, avec son projet – 2019, ce n’est quand même pas la meilleure période pour lancer un nouveau business –, avec toutes ses convictions, tout le sens qu’elle cherche à donner, etc., elle va au contact de ses pairs, elle a eu l’élégance de ne pas nommer la personne en question, mais elle va voir un patron d’une école du même type, il n’y en pas 15 000, qui lui dit : « Ma petite dame, si vous voulez vraiment féminiser la tech je vous souhaite bon courage parce que, en gros, vous n’allez pas y arriver ! ». La posture du bonhomme par rapport au sujet alors que beaucoup se targuent aussi de vouloir féminiser ces métiers-là. Quand on a ce type de réaction face à soi, ce n’est peut-être pas étonnant si les femmes un, évidemment, ne veulent pas y aller et deux, n’y restent pas, peut-être parce qu’elles sont confrontées à cela au quotidien.

Mick Levy : Un véritable changement culturel est à faire en plus d’un changement sociétal.

Thibaut le Masne : Effectivement. Pour elle, c’était plus le côté diversité et ce que j’aimais dans la diversité c’était la représentativité nécessaire dans la tech. Et je trouve que ce terme, diversité, était plutôt intéressant.

Cyrille Chaudoit : Et voilà ! Plus ou moins 60 minutes viennent de s’écouler et normalement, les enjeux de formation du plus grand nombre d’entre nous aux fondamentaux de la tech vous sont désormais un peu plus familiers.
Merci d’être de plus en plus nombreuses et nombreux à prendre le temps d’exercer votre esprit critique à nos côtés sur les enjeux éthiques que soulève l’environnement technologique dans lequel nous baignons toutes et tous. Que nous soyons les concepteurs, les commanditaires ou les usagers du monde technologique dans lequel nous baignons, vous avons le droit et même la responsabilité de faire preuve de sens critique sur ces sujets. Alors soyons actrices, acteurs, plutôt que spectatrices et spectateurs.
Trench Tech c’est fini pour aujourd’hui, mais vous pouvez nous écouter ou réécouter sur votre plateforme de podcast préférée. Profitez-en pour nous laisser un commentaire et nous mettre des étoiles, ça nous fait plaisir et vous contribuerez, comme cela, à propager l’esprit critique pour une tech éthique. Car, pour reprendre la célèbre phrase du sociologue Pierre Bourdieu à propos de la télévision et l’appliquer à nos temps modernes : « Le numérique a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie très importante de la population. »