Logiciels Libres, Souveraineté et Liberté - repenser l’indépendance numérique de nos villes Journées du Logiciel Libre 2025

Walid Nouh : Bonjour et bienvenue à tous.
Bienvenue sur le podcast RdGP [1], un podcast qui traite des enjeux des droits numériques, des libertés individuelles et de la vie privée.

Benjamin Bellamy : Bonjour. Bienvenue sur le podcast Projets Libres ! [2], un podcast qui traite des modèles économiques et des communautés du logiciel libre. Par avance, nous présentons nos excuses, ça va être un tout petit peu pénible.

Walid Nouh : On va y arriver.
Aujourd’hui un épisode doublement exceptionnel, car nous enregistrons en duo pour un crossover incroyable.

Benjamin Bellamy : Doublement exceptionnel, puisque nous enregistrons en direct des Journées du Logiciel Libre de Lyon [3], donc en public. Lyon vous allez bien ?

Public : Oui !

Benjamin Bellamy : Je ne vous entends pas. Vous allez bien ?

Public : Oui !

Benjamin Bellamy : Merci.

Walid Nouh : Notre invité se tient la tête entre les mains, ça commence bien ! Notre invité aujourd’hui est Nicolas Vivant qui est directeur de la stratégie et de la culture numérique à la mairie d’Échirolles. Nicolas, bonjour.

Nicolas Vivant : Bonjour.

Walid Nouh : Nicolas, première question, est-ce que tu peux commencer, s’il te plaît, par te présenter pour l’audience et pour les auditrices et auditeurs des podcasts RdGP et Projets Libres ! ?

Nicolas Vivant : Oui. Je suis le directeur de la stratégie et de la culture numérique à la ville d’Échirolles. Je suis donc le responsable du numérique de la ville, en fait, avec deux équipes : une équipe qui est la DSI [Direction des Systèmes d’Information], l’informatique interne de la commune, et puis une équipe qui travaille sur l’inclusion numérique avec des conseillers numériques qui interviennent dans les Maisons des habitants pour aider les habitants sur des problématiques soit d’accès aux droits, donc des problématiques on va dire administratives, des demandes de papiers, ce genre de choses, ou des problématiques d’utilisation des outils numériques, smartphones, PC, créer une boîte mail, ce genre de choses.
Auparavant, pendant 12 ans, j’ai été le DSI de la mairie de Fontaines et les 20 années précédentes je travaillais dans le privé, notamment dans des sociétés américaines, à savoir HP et Motorola, où les logiciels libres n’étaient pas tout à fait la règle.

Benjamin Bellamy : Est-ce que tu peux revenir un peu sur ton parcours, tes études ? Qu’est-ce qui fait que tu es arrivé où tu es aujourd’hui ? On sent que tu es un expert dans pas mal de domaines, mais avant d’arriver à Échirolles et à Fontaines, et même chez HP, quel cursus as-tu suivi et que représentait l’informatique pour toi quand tu étais jeune ? Y avait-il des ordinateurs quand tu étais jeune ? Je précise qu’on a à peu près le même âge !

Nicolas Vivant : J’ai démarré avec des bouliers et des cartes perforées, évidemment !
Je n’ai aucun cursus dans l’informatique, j’ai fait un bac littéraire, un bac A2 pour les personnes âgées, comme moi, qui ont le souvenir de ce type d’études, avec principalement des langues et de la philo. Derrière j’ai fait un DES [diplôme d’études supérieures] communication audiovisuelle parce que mon rêve, dans la vie, c’était d’être journaliste et de pouvoir parler devant 12 micros. J’ai trouvé du boulot dans l’informatique en 1990, au tout début des années 90, dans un contexte où on cherchait beaucoup d’informaticiens et finalement il y avait assez peu d’informaticiens formés. J’ai donc fait toute ma carrière en me formant sur le tas. Mon premier jour chez HP, quand on m’a parlé de fichier, j’ai demandé ce qu’était un fichier, je n’avais donc vraiment aucun niveau en informatique. L’avantage de travailler dans une grosse boîte c’est qu’il y a plein de métiers, qu’on a une possibilité d’évoluer en interne. J’ai donc d’abord été opérateur la nuit, je faisais des sauvegardes, je travaillais sur des gros systèmes sur lesquels je faisais des sauvegardes, un travail de manard, la nuit. Je suis devenu administrateur système, j’ai travaillé sur des bases de données, et puis Internet est arrivé. Voilà. J’ai construit mon cursus en interne. Je suis complètement autodidacte en informatique.
J’ai eu la chance de m’intéresser à des sujets, et je crois que les logiciels libres en font partie, qui n’intéressaient pas grand monde au moment où je m’y intéressais et qui sont devenus prégnants par la suite. C’est le cas d’Internet, du Web. J’ai connu Internet sans le Web, donc évidemment, quand le Web est arrivé, ça a un peu tout changé et j’étais déjà dedans.
Je me suis intéressé à la cybersécurité à un moment où c’était un sujet pour personne et c’était, du coup, assez amusant.
Et c’est un peu pareil avec les logiciels libres finalement, on sent bien qu’il y a une dynamique importante. J’ai commencé à travailler sur les logiciels libres quand je suis arrivé à Fontaines en 2009. Là, on sent qu’il y a une vraie dynamique dans les collectivités.
Voià. Ma carrière s’est faite de centres d’intérêts et de compétences développées sur des sujets qui sont ensuite devenus importants.

Benjamin Bellamy : OK. Merci. On en sait un peu plus sur toi. Comme on a préparé l’interview de manière très sérieuse et très scolaire, on a évidemment écrit des questions auxquelles tout le monde s’attend sûrement et puis on avait décidé de finir par des questions peut-être un peu plus légères et un peu moins dans le cœur du sujet. Comme on a très peur de pas avoir de temps pour poser les questions de la fin, on va commencer par la question de la fin. La question de la fin, qu’on avait retenue, c’était : Nicolas, est-ce que tu peux, en deux mots, donner envie à toutes celles et ceux qui sont présents dans la salle ou qui nous écoutent sur les podcasts RdGP et Projets Libres ! de passer des vacances à Échirolles ?

Nicolas Vivant : Sans difficulté. C’est une ville dans laquelle je travaille mais je n’y habite pas. C’est une ville hyper agréable à vivre avec une vraie offre culturelle, commerciale, associative. Échirolles est une ville super agréable et, même au niveau urbanistique, c’est une ville très sympa. Nous souffrons beaucoup, les gens soit qui travaillons soit qui habitons à Échirolles, de l’image qui est donnée de cette ville parce que, quand on cherche dans les journaux, ça parle surtout de deals, de fusillades, etc. On souffre pas mal de ça parce que ce n’est pas du tout l’image qu’on en a quand on y vit, à la grande surprise des gens qui s’y installent.
L’autre chose, pour revenir quand même un tout petit peu au thème qui est le nôtre, je sais qu’on est à la fin de l’émission, c’est qu’on fait du numérique pas tout à fait comme tout le monde à la ville d’Échirolles. C’est quelque chose dont je parle assez rarement, finalement, mais ça essaime dans la ville.
Le fait, par exemple, que les conseillers numériques, qui font de l’inclusion numérique, soient dans la même direction que le service informatique fait que les ordinateurs portables qu’ils ont sont sous GNU/Linux, avec la même distribution que celle qu’on utilise à l’hôtel de ville. Du coup, quand ils ont besoin de réinstaller une machine pour un habitant, ils ont tendance à réinstaller aussi cette distribution de Linux, ce qui n’est pas problématique puisque qu’ils ont les compétences et qu’ils sont là pour aider s’il y a une difficulté. Vous voyez donc qu’une dynamique se crée à l’échelle de la ville, pas simplement en interne dans le service informatique, qui fait qu’il est intéressant d’être à Échirolles pour ça.
Nos élus sont parfois surpris par des habitants qui disent « bravo pour ce que vous faites sur le numérique », parce qu’on ne communique pas énormément en interne, auprès de nos agents, sur ce qu’on fait. Je trouve que c’est vraiment intéressant, y compris au niveau associatif aussi.

Walid Nouh : Si on rentre un peu dans le vif du sujet, il y a plein de villes qui utilisent Windows, Office, Teams et elles sont très contentes. Une des premières questions c’est pourquoi avez-vous décidé de passer au logiciel libre ? Est-ce que c’est parce que vous ne vouliez pas faire comme les autres ? Quelles étaient les motivations ?

Nicolas Vivant : Il faut bien mesurer que ce n’est pas du tout mon idée, ce n’est l’idée de personne dans le service, c’est vraiment une décision des élus d’être cohérents dans l’action municipale, cohérents politiquement y compris sur le sujet du numérique. Il y a eu une prise de conscience du fait qu’il y a des enjeux politiques autour du numérique et qu’il y a des façons de faire de l’informatique qui sont plus ou moins en cohérence avec le projet politique.
Nous sommes dans une ville avec une majorité plurielle de gauche, dont la maire est communiste. Mettre tous ses œufs chez Microsoft, une société Big Tech américaine, quand vous êtes communiste, ce n’est pas forcément ultra cohérent avec le reste de l’action municipale par ailleurs.
Il y a eu cette prise de conscience, donc la volonté d’adresser un certain nombre d’enjeux que vous connaissez tous, auxquels, je pense, vous êtes tous attachés. Ce sont des enjeux autour de l’autonomie stratégique, la souveraineté numérique donc, des enjeux autour de l’impact environnemental, des enjeux autour de l’inclusion numérique, des enjeux autour de la bonne gestion des données personnelles et des deniers publics on va dire. Les logiciels libres sont une réponse à ces enjeux. On ne fait pas des logiciels libres parce que c’est génial de faire des logiciels libres. C’est la meilleure solution qu’on a trouvée pour répondre à ces enjeux politiques qu’on nous a demandé de travailler.
Il y a donc eu, à Échirolles, la création de ce poste de direction de la stratégie numérique avec cet objectif-là. Quand je suis arrivé, les élus avaient fait un travail, ils avaient fait une feuille de route politique qui était d’ailleurs parfaitement positionnée : elle ne parlait pas de projet, elle ne disait pas « il faut mettre en place des logiciels libres », elle disait « on veut que cet enjeu, cet enjeu, cet enjeu soient adressés ». Sur la base de ces orientations politiques, ils m’ont demandé de rédiger, bien sûr avec des allers-retours avec les élus, un schéma directeur numérique pour la ville qui prenne en compte ces enjeux. Les logiciels libres c’est une des réponses ; les conseillers numériques dans les Maisons des habitants c’est une autre réponse à l’enjeu d’inclusion numérique.
C’est vraiment parti d’une volonté politique et je ne suis que l’outil à cheval, on va dire, entre la technique et la politique pour une déclinaison opérationnelle de ce projet.

Benjamin Bellamy : Ce que tu dis est super intéressant, merci. En t’écoutant je me pose une question : mais alors, les logiciels libres c’est un truc de gauchistes ? Un peu naïvement, j’ai du mal à voir pourquoi on ne pourrait pas être de droite et fondamentalement pour les logiciels libres. Est-ce que, par hasard, tu aurais une expérience d’une mairie ou tu aurais déployé du Libre, où il y aurait eu un changement de majorité et où, du coup, on aurait retiré les logiciels libres parce que c’est vraiment trop gauchiste ?

Nicolas Vivant : C’est rarement parce que c’est trop gauchiste qu’on supprime les logiciels libres.
Il y a une image un peu gauchiste des logiciels libres. Tu pourrais poser ta question en disant « les valeurs du service public, n’est-ce pas un truc un peu de gauchistes ? ». Parce que, en réalité, se mettre au service des habitants, être dans le partage, la transparence et tout ça, ce ne sont pas tout à fait des valeurs néolibérales hardcore.
Les logiciels libres ne sont ni de droite ni de gauche ni de rien du tout. Un certain nombre de valeurs sont défendues. Il se trouve que ces valeurs sont très communes dans le service public, qu’on soit de droite ou de gauche, et elles deviennent de plus en plus prégnantes quand on se retrouve dans des situations comme la situation actuelle où le numérique est utilisé comme une espèce d’arme géopolitique et où les logiciels libres, l’auto-hébergement, la fédération deviennent une façon de ne pas être dépendant et de se protéger d’un certain nombre d’attaques sur le service public.
Je connais des mairies de droite et je connais des fervents défenseurs des logiciels libres qui sont de droite. Peut-être qu’ils y trouvent un intérêt qui n’est pas tout à fait le même que quand une mairie communiste décide d’y aller, mais ils se retrouvent sur le fait que c’est une réponse.
À ce sujet d’ailleurs, puisque ça va être publié, j’en profite pour dire un truc super important. Quand on parle de « souveraineté numérique », on ne parle pas de souverainisme. On parle d’autonomie, de ne pas être dépendant, de réduire le niveau de dépendance, ce qui n’empêche pas la collaboration et l’entraide. Le principe de la fédération c’est chacun chez soi avec son serveur PeerTube [4] ou son serveur Mastodon [5] , mais tous interconnectés et travaillant ensemble. Je vous dis cela parce qu’il existe des sites web ou des comptes sur les réseaux sociaux, type Souveraine Tech, retenez ça, surtout ne reprenez pas les publications de Souveraine Tech. Il y en a qui peuvent rejoindre des interrogations qui sont les nôtres, parce que, derrière, c’est un projet de Pierre-Édouard Stérin, un milliardaire qui veut faire avancer les idées d’extrême droite, conservatrices.
C’est très important d’être très clair sur le fait qu’on est dans de l’autonomie, pas dans ceux du souverainisme, et qu’on est dans de la collaboration, y compris internationale, y compris avec les Américains, simplement on évite de se rendre dépendants les uns des autres. C’est quelque chose, pour revenir à la question, qui est ni de droite ni de gauche, c’est juste du bon sens. On voit bien les problèmes que peut poser une dépendance trop importante à un outil quelconque.

Benjamin Bellamy : Je ne vais pas prendre les questions dans l’ordre. Pourquoi passe-t-on au logiciel libre in fine ? De manière assez classique, l’argument marketing et commercial le plus répandu et le plus entendu pour passer au logiciel libre c’est : « c’est gratuit ». N’utilise pas Photoshop, utilise GIMP [6] parce que c’est gratuit. Pas besoin de le pirater, tu peux le télécharger et l’installer. À titre très personnel, c’est comme cela que je suis venu au logiciel libre, parce que c’était gratuit.
Dans un contexte professionnel où les utilisateurs ne payent pas les licences, de toute façon c’est leur employeur qui les payent, je me disais, en préparant avec Walid, que l’argument « le Libre c’est mieux parce que c’est gratuit », n’a absolument aucune valeur. Il y a forcément autre chose. Est-ce tu peux nous en dire un peu plus sur ce qu’apporte l’utilisation des logiciels libres dans un cadre professionnel, dans le cadre d’Échirolles ?

Nicolas Vivant : Ce qui est important pour une collectivité c’est moins le fait que ce soit gratuit que le fait que les coûts soient maîtrisés. Ça rejoint un peu la question de la dépendance. La difficulté, le problème, ce n’est pas de payer des licences Microsoft, c’est qu’on paye cette année et on ne sait pas combien ça va nous coûter l’année prochaine. Vous savez que les collectivités sont obligées de présenter chaque année un budget à l’équilibre, c’est-à-dire que toute nouvelle dépense doit être équilibrée par une nouvelle recette et c’est une vraie difficulté pour nous. Quand Microsoft est dominant dans votre infrastructure et que, d’un coup, il augmente de 20 % le coût de ses licences, vous vous retrouvez à devoir compenser cette augmentation en faisant des économies quelque part. Vous êtes dans l’impossibilité de planifier, d’anticiper cela et c’est un vrai problème pour nous.
Un des énormes avantages de l’utilisation du logiciel libre à Échirolles, c’est qu’avec un périmètre fonctionnel, c’est-à-dire un nombre d’outils sur notre réseau qui a doublé depuis 2021 – entre 2021 et 2025 nous avons doublé le nombre de solutions disponibles –, depuis 2021 et chaque année, nous présentons un budget en baisse en fonctionnement et en investissement. Ce qui est intéressant ce n’est pas cette baisse, ce qui est intéressant c’est que notre budget est linéaire, on n’a pas, d’un coup, une augmentation monstrueuse des dépenses à cause de critères qui sont exogènes, avec VMware qui, d’un coup, dit que les licences universelles n’existent plus, vous connaissez l’histoire, rachat par Broadcom, et on se retrouve à devoir payer un prix basé sur le nombre de cœurs qu’on a sur nos hyperviseurs, avec des coûts des DSI qui explosent. On est complètement protégé de ça.
On est aussi protégé de lubies du type « Windows 11 ne sera pas supporté sur tout un tas de processeurs et vous allez devoir jeter la moitié de votre de votre parc. »
Quand notre directeur général des services discute avec les autres directeurs généraux des services de ces problématiques « comment allez-vous faire vous pour gérer la fin de Windows 11 ? », il est ultra content et ultra soulagé de ne pas avoir à gérer ce type de problématique. C’est quand même agréable, quand on est à une direction, de savoir à quoi s’attendre au niveau budgétaire d’année en année.
Je voulais dire une autre chose. Ce n’est pas que c’est gratuit, dans un certain nombre de cas, il faut quand même le dire, c’est juste mieux, les logiciels libres sont mieux que les logiciels propriétaires. Tu as pris l’exemple de Photoshop, mauvaise idée. S’il y a un logiciel qu’il est vraiment très difficile de changer, c’est Photoshop, pour des raisons qui, en réalité, ne sont pas des raisons fonctionnelles – avec GIMP on peut faire énormément de choses –, mais qui sont des raisons culturelles : tous les infographistes sont formés à la suite Adobe, ils débarquent, ils sont tous sur Mac, sur la suite Adobe, et quand on fait un passage au Libre on ne commence certainement pas par les infographistes du service communication, il vaut mieux commencer par les journalistes qui, eux, sont bien contents d’être sous Linux et laisser les infographistes tranquilles, se concentrer sur des choses plus faciles.
De même pour tous les logiciels d’infrastructure : Internet fonctionne avec des logiciels libres pas parce que c’est du logiciel libre. Les plus anciens d’entre vous ont connu IIS, le serveur web de Microsoft, qui était une catastrophe par rapport à Apache à l’époque et par rapport à NGINX [7] aujourd’hui.
Dans un certain nombre de cas, dans de plus en plus de cas, on a des logiciels libres qui sont supérieurs aux logiciels propriétaires et en plus on a du choix. Si vous voulez faire, par exemple, du montage vidéo simple, je connais trois logiciels libres qui permettent de faire du montage vidéo, ce qui fait la différence ce sont les quelques fonctionnalités différentes et l’interface utilisateur. Aujourd’hui, on a du choix. Aujourd’hui, ça n’a pas de sens de prendre un logiciel de montage propriétaire. Shotcut [8] est un logiciel est absolument génial pour faire du montage de base.
Nous choisissons des logiciels libres parce que c’est mieux.
Je peux en profiter pour dire une autre chose. Quand on fait un passage au Libre, c’est génial de commencer par répondre aux nouveaux besoins. Je m’explique. Si vous avez de l’édition collaborative avec un cloud basé sur SharePoint de Microsoft, que vous passez à Nextcloud [9], les gens vont comparer et vont dire « on pouvait faire ça, là on ne peut pas le faire ; on ne pouvait pas faire ça, maintenant on peut le faire », il y a des éléments de comparaison.
Si vous êtes dans une infrastructure où il n’y a pas de cloud, mais il y a un besoin et vous déployez un Nextcloud, vous répondez à un besoin qui n’était pas couvert jusque-là et les gens sont très contents, ils n’ont pas d’élément de comparaison, ils ne peuvent pas dire que c’était mieux avant.
Il y a comme ça, en termes de stratégie de migration au Libre, des façons d’augmenter le niveau de satisfaction de ses utilisateurs sans que ce soit basé sur la gratuité mais simplement sur les nouvelles fonctionnalités, les nouveaux besoins auxquels on répond.

Walid Nouh : J’avais une question annexe à ça, quand tu parlais de du passage à Windows 11. Le fait de ne pas être contraint par le renouvellement des éditeurs, puisque ça fait en sorte que vous gardiez plus longtemps vos matériels, comment gérez-vous ça ? Parce que, en fonction du coût de l’achat du matériel c’est quelque chose d’assez important ? Comment faites-vous pour justement maîtriser les coûts sur cette partie matériels ?

Nicolas Vivant : Linux est une vraie contribution et pas seulement à cela. Les machines sous GNU/Linux vieillissent effectivement mieux. J’imagine que vous avez tous entendu parler d’obsolescence logicielle. Les PC qui arrivent sont de plus en plus lourds de base, ils ont besoin de tourner sur des plateformes de plus en plus puissantes simplement parce qu’ils arrivent avec des logiciels qui sont de plus en plus consommateurs de ressources. GNU/Linux l’est beaucoup moins, on a donc des ordinateurs qui ne rament pas au bout de deux ou trois ans, ça permet donc de faire durer les PC plus longtemps.
Au-delà de cela, on a aussi des objectifs de travailler sur l’impact environnemental du numérique, on a donc changé complètement notre façon de gérer le renouvellement de notre matériel.
Première chose. Nous nous sommes remis à faire de la réparation là où, avant, on changeait simplement rapidement l’unité centrale, par exemple, et puis c’était réglé. Même chose pour les smartphones, nous nous sommes remis à faire de la réparation.
Autre chose. Avant la vie était belle, vous aviez 1 000 PC dans votre parc et vous disiez « la durée de vie d’un PC c’est cinq ans, je vais renouveler 20 % de mon parc tous les ans et, comme ça, je renouvelle sur cinq ans tout mon parc. » C’était bien, vous pouviez anticiper vos coûts et dire « il suffit de budgéter chaque année telle somme pour pouvoir assurer le remplacement régulier de mes postes ». Du coup, vous vous retrouviez à remplacer des postes qui étaient parfaitement fonctionnels, dont les gens étaient très contents, simplement pour des facilités de gestion. C’est évidemment en contradiction avec la prise en compte de l’impact environnemental, puisque, comme on le sait, c’est la production des terminaux qui impacte le plus l’environnement.
Aujourd’hui, notre façon de travailler c’est de dire qu’on remplace les postes quand ils ont besoin d’être remplacés, soit parce qu’ils dysfonctionnent complètement, soit parce qu’ils rament trop. Du coup, c’est beaucoup moins confortable, c’est-à-dire qu’on a des difficultés à dire exactement combien de postes on va changer pour une année donnée parce qu’on ne sait pas lesquels vont dysfonctionner, mais nos matériels durent beaucoup plus longtemps, les coûts sont diminués et surtout, l’impact environnemental est diminué d’autant.
Il y a donc une vraie contribution des logiciels libres à cela, mais ce n’est pas la seule et, à vrai dire, ce n’est pas la plus grande.
À Échirolles, là où auparavant, par exemple pour obtenir un PC portable il fallait passer par un processus de validation qui pouvait être assez lourd, aujourd’hui c’est à la demande. Pourquoi ? Parce qu’un PC portable consomme beaucoup moins d’énergie qu’un PC fixe, donc ça vient contribuer à cet objectif de réduction de l’impact environnemental.
Donc vraie contribution du Libre, pas la seule, et qui vient s’inscrire dans une cohérence de notre travail sur l’impact environnemental.

Walid Nouh : OK. Au tout départ, tu disais que tout provient des élus qui fixent des grands caps. Tu arrives à ce moment-là pour mettre en avant cette politique. Quand ils fixent ces objectifs, certains ont-ils déjà en tête le fait que ça va passer par des logiciels libres, ou pas ? Première chose. Et deuxièmement, quelques années après, que tirent-ils comme conclusion de cette mise en place pour eux et aussi pour les citoyens ? Que voient-ils pour eux, concrètement, de cette mise en place ?

Nicolas Vivant : J’arrive à Échirolles en 2021. En 2014, Échirolles a déjà signé la charte des logiciels libres de l’April [10]. La difficulté, comme souvent, c’est que l’injonction politique ne suffit pas, la volonté politique ne suffit pas. Si vous avez un service qui n’a pas les compétences qui permettent de mettre en œuvre les logiciels libres, vous mettez votre service en difficulté et, évidemment, les agents vont avoir tendance soit à ne pas faire, pas par mauvaise volonté mais parce qu’ils pensent que ce n’est pas possible, ou mal faire par manque de compétences. Ça peut donc être très contre-productif, finalement, de pousser un service à mettre en œuvre des solutions qu’ils ne maîtrisent pas, pour tout le monde, pour les utilisateurs, pour les habitants, pour le service lui-même. Quand on parle de résistance au changement, en vérité ce n’est pas la résistance au changement des utilisateurs, en général c’est la résistance au changement du service. Et c’est bien à cette problématique-là qu’ils souhaitaient répondre en créant ce poste. Ça a été un vrai recrutement. Ils m’ont pris et je sais que ce qui a pesé dans la balance c’est le travail que j’avais pu faire à Fontaines justement sur le passage au Libre, mais il y avait aussi d’autres candidats qui avaient d’autres expériences évidemment. L’idée c’était d’embaucher quelqu’un qui aura une responsabilité hiérarchique sur l’équipe et qui va, d’une façon ou d’une autre, trouver un plan pour que ça fonctionne.
Le travail, j’en ai parlé dans la conférence que j’ai faite hier [11], n’a pas été de faire monter en compétences l’équipe, ça a été un, de communiquer sur le fait qu’on changeait de direction, que ce n’était pas mon idée. La région grenobloise n’est pas très grande, les gens me connaissaient, on se connaît entre services. Quand ils m’ont vu arriver, ils ont dit « oh, la, la, il va mettre des logiciels libres partout. » Ils ne savaient pas que c’était vraiment une volonté des élus d’aller dans cette direction-là. D’ailleurs, quand je leur en ai parlé, ils en ont douté. Il a fallu que je fasse venir l’élu en réunion d’équipe pour qu’il dise « j’ai signé le Pacte du logiciel libre en 2014, c’est vraiment la direction dans laquelle on veut aller, ce n’est pas l’idée de Nicolas. » Bref !
C’est passé par quoi ? C’est passé par de la patience, beaucoup, et pas par convaincre les équipes. Il y a un turnover naturel dans toutes les équipes. À chaque départ d’un membre de l’équipe, il a été remplacé par quelqu’un qui avait à la fois des compétences sur les logiciels libres et une appétence pour les logiciels libres. C’est en fait avec le temps qu’il y a eu une montée en compétences pas des agents mais de l’équipe liée à l’intégration d’agents techniquement plus forts et qui connaissaient les logiciels libres. C’est comme cela que les choses se sont faites.
Concrètement aujourd’hui, qu’est-ce que ça donne ? J’ai un retour de mon directeur général des services qui est assez sympa, je lui ai demandé « ça fait maintenant plus de quatre ans qu’on est dans cette dynamique, qu’est-ce qui a changé pour toi ? », notez que c’est le premier qu’on a passé sous GNU/Linux. Il a dit « bof, je n’ai pas vu vraiment de changements . Ah si ! Il n’y a plus de pannes ! ». C’est le meilleur retour qu’il pouvait me faire !
Première chose. On a une infrastructure qu’on maîtrise complètement. Il peut se passer n’importe quoi sur notre réseau, sur notre système, sur un PC, on maîtrise complètement notre truc. Puisque nous ne sommes plus dépendants de prestataires, nous avons une réactivité importante quand un problème se pose et la stabilité de notre infrastructure est extraordinaire. Ça ne plante jamais et, quand ça plante, c’est parce qu’« on » a planté et que la personne n’a pas lu le mail qui disait « on met à jour à midi. » C’est la première chose.
La deuxième chose. Je vous disais que cette stabilité financière par exemple, cette stabilité budgétaire, est évidemment visible par les élus. La préparation budgétaire, pour ma direction, les arbitrages, ce n’est jamais un problème.
Une autre chose a quand même changé dans le lien qu’on a avec les élus. Quand vous travaillez avec des logiciels propriétaires, le fonctionnement habituel d’une DSI c’est, au mois de septembre lors de la préparation budgétaire, de contacter les autres services pour leur demander quels sont leurs besoins informatiques pour l’année. Ils vous le disent, vous faites arbitrer ça par les élus et la direction générale qui disent « ce projet-là oui, ce projet-là non, cet achat de logiciels oui, c’est achat non », et hop, nous avez votre roadmap pour l’année et votre budget pour l’année. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le driver c’est le budget. Ça veut dire aussi que chaque année, au mois de septembre, lors de la préparation budgétaire, vous donnez de la visibilité sur ce que l’équipe va faire tout au long de l’année.
Quand vous passez au logiciel libre, tout cela disparaît puisque, évidemment, il n’y a plus de budget associé aux logiciels, donc vous n’écrivez pas au mois de septembre pour demander quels sont les besoins. Si un besoin est exprimé par un service au mois de février, aucun problème, au mois de mars ou avril il a son logiciel. Du coup, le driver ce sont les besoins des services ou des habitants, ce sont les priorités qu’on met, c’est la charge de travail de l’équipe, mais ce n’est plus le budget. C’est le côté positif.
Le côté moins positif, c’est qu’on perd en visibilité sur les projets du service et sur la charge de travail de l’équipe. Il a donc fallu trouver des processus permettant de montrer un, ce qu’on fait, et deux, pas seulement ce qu’on économise, parce que c’est visible au niveau budgétaire : vous avez un logiciel propriétaire de messagerie qui vous coûte 30 000 euros par an, d’un coup il n’y a plus les 30 000 euros parce que vous êtes passé sur un logiciel libre, c’est visible, ça fait moins 30 000 sur votre budget. Mais quand vous n’aviez pas de cloud, vous installez un Nextcloud, au niveau budgétaire vous étiez à zéro, vous êtes toujours à zéro, c’est invisible sur le budget. Il a donc fallu trouver un moyen de donner de la visibilité pas à des économies mais à des coûts évités. Dire : on a fait ça, ça a une valeur. Si on l’avait pris chez Microsoft ou chez Google, ça aurait coûté tant, ça a donc une valeur. C’est une augmentation de la charge de travail de l’équipe, il faut évidemment faire le support, les mises à jour, la maintenance au quotidien de la solution, on a dû mettre en place tous ces mécanismes qui n’existaient pas auparavant et c’est quelque chose qu’on mesure assez peu. Mais quand on se lance dans un vrai passage sérieux aux logiciels libres, ça a un vrai impact organisationnel et ça oblige à mettre en place des outils et des façons de travailler qu’on n’apprend pas. Je discute assez régulièrement avec des DSI qui sortent d’écoles, qui sont formés au métier, ils ne sont pas du tout formés à ce genre de chose.
Dans le lien avec les élus il y a cela aussi : leur dire « attention, j’arrive avec une nouvelle notion, ça s’appelle les coûts évités et il faut qu’on en parle. »

Walid Nouh : Et pour les habitants, les citoyens ?

Nicolas Vivant : Pour les habitants, je vous disais que ça passe surtout par la partie inclusion numérique. En réalité, dans les téléservices qu’on met à disposition et tout ça, pour les habitants, que ce soient des logiciels libres ou pas, tout ce qu’il voit c’est « quand j’écris un mail est-ce que ça répond, quand je candidate, que ce soit un Odoo [12] qui me réponde ou une solution propriétaire, pourvu que j’aie une réponse du système et que ce soit fluide, c’est tout ce qu’ils demandent. D’ailleurs, c’est la même chose pour nos agents. On ne met pas forcément en avant le fait que ce soient des logiciels libres, on n’a pas besoin. On a confiance dans les solutions qu’on met en place, elles fonctionnent bien, les gens sont contents et c’est ça le l’essentiel, c’est de rendre le meilleur service, ce n’est pas de faire des logiciels libres. On communique assez peu en interne et assez peu à destination des habitants sur le fait que ce qu’ils utilisent ce sont des logiciels libres.

Benjamin Bellamy : Tu dis que vous communiquez assez peu auprès des administrés sur le fait que vous utilisez des logiciels libres, néanmoins toi tu communiques beaucoup, d’ailleurs tu es présent aujourd’hui aux Journées du Logiciel Libre à Lyon, c’est comme cela qu’on t’a connu. Tu fais pas mal de prosélytisme pour les logiciels libres et on t’en sait gré. Je pense que dans le logiciel libre on aime bien la transparence parce que ça permet de mettre en concurrence de manière tout à fait libre. J’avais donc deux questions à te poser. La première : quel est le mieux, les JdLL ou AlpOSS [13] ? La deuxième : est-ce que tu peux nous parler de France Numérique Libre [14] ?

Nicolas Vivant : J’en parle beaucoup, en fait l’objectif c’est de partager, c’est de montrer que c’est possible.
L’originalité du projet échirollois, et c’est lié à cette articulation politique/services, c’est qu’on a fait concrètement les choses. Quand des gens viennent nous rendre visite, j’adore leur montrer concrètement ce qu’on a fait. C’est nous qui avons fait l’intranet. Il est synchronisé avec notre serveur de fichiers. On a fait tout un tas de trucs super sioux. Très peu de communes streament leur conseil municipal qu’avec des logiciels libres. Chez nous, c’est un PC sous Linux avec de l’OBS toutes les solutions qu’on utilise sont libres et c’est sympa de venir voir le résultat parce qu’on est loin d’avoir le conseil municipal le plus moisi en termes de qualité et on le streame avec notre serveur PeerTube. Intégrer un stream d’un serveur PeerTube sur le site web de la ville, qui est sur Drupal [système libre de gestion de contenu], c’est quand même vraiment beaucoup mieux pour les habitants, que d’intégrer un stream Facebook où, au bout de dix secondes, on vous demande de créer un compte. Bref, l’originalité c’est ça.
Quand on met en place le streaming du conseil municipal, le coût total c’est 5 000 euros en investissement, c’est-à-dire, en gros, l’achat de deux caméras et d’un switch, c’est ce que ça nous a coûté. Tout le reste c’est zéro et c’est zéro en coûts de fonctionnement. Toutes les autres collectivités se retrouvent à payer des sommes assez importantes pour pouvoir streamer leurs conseils. On se dit il faut qu’on partage ça avec nos collègues. Tout le monde cherche à faire des économies et c’est le service public, il n’y a pas qu’Échirolles dans la vie. Quand on trouve, comme ça, un bon plan, on a envie de dire aux autres « eh les gars, j’ai un bon plan, voilà comment on a fait. » On communique beaucoup sur cela. On communique à la fois sur les outils qu’on utilise et on communique aussi sur les méthodologies, les stratégies. Je vous parlais tout à l’heure du recrutement, des RH et tout ça, il y a plein d’idées reçues autour de ça. Plein de gens disent que c’est très important de faire monter en compétences l’équipe, plein de gens disent que la résistance au changement chez les utilisateurs c’est quand même quelque chose, et puis ce n’est pas ce qu’on observe, donc on a aussi envie de le partager de dire « en vrai, ce n’est pas comme ça que ça se passe. » Il y a beaucoup de ça.

Je vais commencer par France Numérique Libre, je répondrai ensuite à la question : est-ce que les JdLL sont mieux que AlpOSS ? Et la réponse est oui, mais AlpOSS est mieux que les JdLL, j’expliquerai aussi pourquoi.
France Numérique Libre est un collectif de responsables informatiques de collectivités. Par collectivités on entend communes, conseils départementaux, conseils régionaux, les syndicats intercommunaux, les syndicats mixtes, les parcs naturels, les SDIS [Services départementaux d’incendie et de secours], donc les pompiers.
En gros, l’idée c’est simplement de créer une mailing-list qui nous permet d’échanger entre responsables informatiques de collectivités sur des outils, des stratégies, des méthodologies. Pouvoir échanger des documents, ça veut dire un Nextcloud ; pouvoir communiquer sur le fait qu’on existe, si une collectivité veut nous rejoindre, un site web. Bref, on a construit un certain nombre d’outils. On a construit ce collectif à destination des collectivités pour pouvoir échanger. Dans la région de Grenoble, on a une dynamique vraiment importante entre communes, on se parle beaucoup, on échange. mais, en fait, il y a plein de communes qui font plein de choses, on ne le sait pas forcément, et qui se sentent un peu isolées dans leur coin. Le fait de pouvoir discuter entre nous permet d’échanger des bonnes pratiques, des outils, etc.

Walid Nouh : Quand tu dis « on », qui est « on » ?

Nicolas Vivant : Ce sont les responsables informatiques des collectivités.

Walid Nouh : Quelle est l’étincelle qui a fait que vous dites « OK, on va monter France Numérique Libre » ?

Nicolas Vivant : Au départ, on avait un collectif local, à Grenoble, qui s’appelait Alpes Numérique Libre et ça se passait très bien, vraiment, avec une vraie dynamique locale qui a été augmentée, on va dire, par l’existence de ce collectif, ça se passait super bien. Comme je parlais aussi un peu de ça sur les réseaux sociaux, sur Mastodon et tout ça, j’ai commencé à être contacté par des communes assez lointaines qui demandaient « peut-on venir dans les Alpes Numérique Libre ? – Tu es en Alsace, ce n’est pas tout à fait les Alpes ! ». On a eu des échanges, par exemple, avec Vandœuvre-les-Nancy ! Quand même, des Alpes à Nancy ! Colomiers près de Toulouse. En même temps, nous étions embêtés parce qu’on aurait aimé faire une place. Donc, au bout d’un moment, on s’est demandé : ce qu’on a réussi au niveau local, est-ce que ça ne vaut pas le coup de le tenter au niveau national ? On s’est appuyé sur l’ADULLACT [15], une association dont le périmètre correspond exactement. Là, c’était pour travailler sur la pérennité de ce collectif : on s’est dit que les outils du collectif ne peuvent pas dépendre d’un des membres du collectif. On a effectivement connu des marches arrières sur les logiciels libres dans un certain nombre de collectivités et il ne faudrait pas que ça vienne grever la capacité du collectif à échanger. On a donc négocié avec l’ADULLACT pour qu’ils hébergent gratuitement tous les outils du collectif et ils ont été très contents de le faire. Non seulement l’ADULLACT est intégrée comme membre à part entière de France Numérique libre, participe aux échanges et tout ça. Ils avaient déjà un certain nombre d’outils, que vous connaissez peut-être, par exemple Le Comptoir du Libre [16] où on a une liste de logiciels avec une liste de prestataires qui rendent des services pour ces logiciels-là, qui était déjà beaucoup utilisée par les collectivités qui bossent sur Libre. Ils ont pris en charge le site web, ce sont eux qui ont déposé le nom de domaine,ce sont eux qui gèrent le DNS, ce sont qui gèrent notre Nextcloud et c’est un vrai travail en collaboration.
On a aussi travaillé les échanges avec des acteurs qui sont des partenaires quotidiens des collectivités, à savoir la DINUM [Direction interministérielle du Numérique] qui a une offre de logiciels à destination des collectivités [17], l’ANCT [Agence nationale de la cohésion des territoires] qui a aussi une offre, La Suite territoriale [18] ; avec le ministère de l’Éducation nationale, très important. Il faut savoir que la moitié du parc informatique des collectivités concerne en réalité l’Éducation nationale, puisque les communes équipent en informatique les maternelles et les élémentaires, les conseils départementaux les collèges et les conseils régionaux les lycées. Il y a donc beaucoup de collectivités pour qui l’Éducation nationale représente quelque chose de très important, les échanges sont nombreux, donc ils sont aussi dans France Numérique Libre.
France Numérique Libre est né officiellement le 1er avril, ça fait donc deux mois, et aujourd’hui nous sommes environ 300 membres, 280, et un peu plus de 200 collectivités, puisqu’il peut y avoir plusieurs représentants d’une même collectivité, avec des échanges. Vous avez intérêt, au sein de votre Thunderbird, à mettre en place un filtre pour que ça tombe dans un dossier, parce qu’il peut y avoir 50 mails par jour avec déjà des vraies retombées sur un certain nombre de choix de collectivités.

Walid Nouh : C’est donc une initiative pour parler de sujets techniques, organisationnels, mais ce n’est absolument pas lié à une volonté politique. Ce n’est pas du tout politique en fait.

Nicolas Vivant : Non, même si, en réalité, un peu tout est politique, ce sont vraiment les services entre eux pour leurs besoins, indépendamment du fait qu’il y ait une volonté politique, ou pas, derrière. Nous ne nous mêlons pas de politique, les fonctionnaires ont un devoir de réserve. Nous sommes concrets : je suis à la recherche d’un outil de MDM [v] pour gérer mon parc de téléphones mobiles, qu’est-ce que vous utilisez comme logiciel ? Et bim, les collectivités répondent en disant « moi j’utilise ça, moi j’utilise ça ». « Est-ce que quelqu’un a déployé..., comment vous y êtes-vous pris ? » Et puis hop, ça échange des documents. Ce n’est vraiment que technique, on ne parle pas de politique et je ne sais pas si chaque collectivité a effectivement un projet politique, ou pas, autour du passage au libre.
Notre élu, à Échirolles, a créé un collectif des élus au numérique de l’agglomération grenobloise, un peu le pendant de ce qu’on a pu faire au niveau des services, et il existe déjà des organisations au niveau national – les Interconnectés, France urbaine – qui permettent aux élus au numérique d’échanger sur certains sujets. Les élus changent tous les six ans et nous, nous restons là à travailler, il y a donc besoin de stabilité, de décorrélation.

Walid Nouh : C’est passionnant, j’ai encore des milliards de questions, typiquement sur comment vous choisissez les logiciels, etc. Comme on n’a pas le temps puisqu’on va donner la parole à la salle pour poser des questions, je te propose de venir en parler sur le podcast Projets Libres ! dans la série « Comment évaluer les logiciels libres », dans quelques mois, si ça tente.

Nicolas Vivant : Avec plaisir.

Benjamin Bellamy : Y a-t-il un micro pour la salle ? OK. Il n’y a pas de micro pour la salle, mais pour que vous ne soyez pas jaloux parce qu’on en a eu quand même un bon paquet, on en a un et on va vous demander de parler dedans pour qu’on puisse avoir la trace de vos questions.

Walid Nouh : Y a-t-il des questions ?

Public : Trois petites questions. Un bilan a-t-il été tiré de Munich ? En gros, quel est le risque de voir les Munichois revenir. À Munich, un très grand projet sur le Libre a été saccagé pour des raisons idéologiques, si j’ai bien compris. Deuxièmement, un peu dans la même logique, comment faire pour que les économies faites avec le logiciel libre servent à financer une informatique de qualité au service du peuple et pas les cadeaux fiscaux à Bolloré et Arnault, tu as expliqué administrativement comment tu fais, mais c’est parce que tu as des gens qui t’écoutent. Comment faire si les gens n’ont pas envie de t’écouter et préfèrent piquer l’argent à l’informatique puisque ça ne va plus à Microsoft, il n’y a plus besoin d’argent, logiquement, à donner à leurs copains.

Walid Nouh : On va s’arrêter là parce que d’autres gens ont des questions.

Benjamin Bellamy : Excusez-moi, j’ai oublié de poser la règle : quand vous posez une question, déjà c’est forcément une question, et ensuite c’est UNE question, sinon on les oublie et puis on ne va pas pouvoir partager. Il nous reste cinq minutes. Si on veut que tout le monde puisse parler un peu, retenez bien la règle. Merci.

Nicolas Vivant : Où va l’argent qu’on économise avec les logiciels libres ? c’était la deuxième question.

Public : Comment il reste.

Nicolas Vivant : Il reste de fait. On a suffisamment de difficultés budgétaires dans les collectivités, il y a des baisses de dotations de l’État qui font qu’on est cruellement en manque d’argent d’année en année. On n’a pas d’actionnaires, on a des élus qui changent tous les six ans et l’argent va dans des projets de rénovation d’écolesNous sommes heureux, au niveau du numérique, malgré une dématérialisation de plus en plus importante – il n’y a pas de moins en moins d’informatique dans les collectivités – de pouvoir présenter un budget en baisse depuis quatre ans, on se dit que c’est plutôt pas mal pour le bien commun et on n’est pas inquiet sur l’utilisation qui est faite des deniers publics par les collectivités territoriales. Ne croyez pas ce que vous raconte le gouvernement quand il dit que la dette c’est de notre faute. Nous sommes obligés de présenter un budget à l’équilibre, chaque année on présente un budget à zéro, on n’a pas le choix, c’est la loi, donc la dette ne vient pas de chez nous.

Public : Petite question au niveau technique. Quel système d’exploitation GNU/Linux utilisez-vous ?

Nicolas Vivant : On utilise Zorin OS [19] comme distribution GNU/Linux, parce que c’était la distribution la plus adaptée à l’environnement qui était le nôtre. Il n’y a pas une distribution meilleure qu’une autre, cela dépend vraiment de l’environnement.
Quand j’arrive, il y a principalement un environnement Microsoft, donc un serveur de fichiers sous Microsoft, un Active Directory, des Windows Servers en veux-tu en voilà. Quand on attaque le passage à Linux, on se demande quelle est la distribution la mieux à même de s’intégrer dans un système d’information forcément hybride et qui va rester hybride pendant un moment. Par exemple, on va pouvoir faire de l’authentification sur un Active Directory et ça va fonctionner, ce type de questionnement.
On a donc choisi Zorin OS d’abord parce que, au niveau ergonomie, cela ressemblait énormément à Windows, un vrai travail a été fait là-dessus ce qui fait que l’effort de formation est minimal ; au niveau du look c’est plutôt sympa et ça s’intègre parfaitement dans notre système d’information. Ce travail a été fait par le service informatique et tout le monde était d’accord pour dire que la meilleure option était Zorin OS. C’est aussi une des distributions dont le catalogue de logiciels est le plus fourni, y compris en logiciels propriétaires. Dans Zorin, vous cliquez sur votre icône « logiciels » et vous installez Teams ou Zoom, aucun problème. L’acceptation par les utilisateurs rentrait aussi en ligne de compte.

Public : Ça se rapproche un peu du Microsoft Store.

Nicolas Vivant : Oui, c’est ça. Je vais vous raconter une petite anecdote à ce sujet, qui nous a bien fait plaisir. On a attaqué le passage à Linux il y a un petit moment et, au mois de septembre, on a lancé un appel à volontariat en disant « si vous voulez Linux, on vous l’installe. » Une agente nous a demandé Linux en disant « j’aimerais passer sous Linux » et on a refusé parce que cette agente était depuis le mois de janvier dans la collectivité et, depuis le mois de janvier, elle était sous Linux et elle ne s’en était pas aperçu. Elle nous réclame, en septembre, Linux. Le service a fait une réponse absolument savoureuse, une grande réponse en disant « il est malheureusement des cas où le passage à Linux n’est pas possible », je me demandais « mais qu’est-ce qu’ils disent ? ». En fait l’agente était sous Linux depuis six mois, elle n’avait rien vu. C’est vous dire si on a travaillé sur l’ergonomie.

Walid Nouh : On a encore le temps pour une question ou peut-être deux.

Public : Bonjour. Je voulais savoir comment faire pour sensibiliser sa propre mairie à prendre le chemin que vous avez pris. Ne me dites pas « il suffit d’en parler à votre maire », vous savez que quand on parle du logiciel libre aux personnes non sensibilisées, elles ouvrent des grans yeux.

Nicolas Vivant : Sensibiliser une mairie ce n’est surtout pas sensibiliser les élus. Comme je vous l’ai dit, si un service n’est pas compétent et n’est pas convaincu que c’est là qu’il faut aller, il ne se passera rien, donc la solution ce ne sont pas les élus, surtout pas maintenant, ils changent dans un an, moins d’un an, donc surtout pas maintenant. Il faut travailler avec les services. Ils utilisent déjà tous des logiciels libres.
Je pense que France Numérique Libre peut être une vraie aide, donc faire savoir que France Numérique Libre existe et faire savoir que via France Numérique Libre ils vont trouver des solutions vraiment sympas et ils seront entre collègues. C’est une très bonne façon de faire.
Un certain nombre de collectivités, autour de la région grenobloise, n’avaient pas véritablement de vision autour du numérique avant l’existence de Alpes Numérique Libre et aujourd’hui elles vous expliquent qu’elles ont une vision, un vrai projet autour du Libre et tout ça. J’ai discuté avec les DSI pour leur demander « à quel moment avez-vous basculé, parce que, si je me souviens bien, il y a trois ans vous vous moquiez de nous ? ». Le point de bascule ça a été les outils justement. Ils entendaient parler d’outils, ils ne disaient rien, ils en ont installé quelques-uns, ils les ont testés, ils ont dit « mais cet outil est incroyable ! ». Une fois, deux fois, trois fois, là ils ont commencé à se dire « on tient peut-être un truc là ! ». Les services ont commencé à déployer des outils, les élus ont vu ces outils arriver et ont dit « c’est bien ce que vous faites, ce service ». Ce sont les élus qui, ensuite, ont rebondi sur ce que faisaient leurs services et se sont dit « il y a moyen de faire une vraie politique autour de ça ». C’est comme ça que les choses se sont passées.
Il y a des cas où des élus qui sont très volontaires pour y aller et ça vaut le coup d’échanger avec eux sur la méthodologie, comment arriver à transformer cette volonté politique en réalisations concrètes, sauf que ce n’est pas mon boulot. Je suis dans les services et, comme je vous disais, dans les services on ne fait pas de politique, c’est le boulot de mon élu, donc ça se passe dans d’autres cercles. Et vous, les habitants, discutez avec vos services vraiment. À ce sujet, je raconte quand même un truc et je vais finir là-dessus. Quand on a commencé à communiquer à l’extérieur sur le fait qu’on attaquait le passage au Libre à Échirolles, plusieurs habitants se sont pointés à l’accueil de l’hôtel de ville, ont expliqué aux femmes de l’accueil qu’ils voulaient absolument me parler : il fallait absolument partir sur Debian parce que, sinon, on était vraiment des merdes. Évitez de faire ça, c’est compliqué de faire le passage au Libre dans une collectivité, laissez faire vos DSI. Même si vous n’êtes pas convaincu que c’est la meilleure façon de faire, laissez faire et surtout parlez-en avec les services, pour moi, c’est la meilleure façon.

Benjamin Bellamy : Merci beaucoup Nicolas. Merci à toutes et à tous. Vous avez écouté RdGP.

Walid Nouh : Et Projets libres !.

Benjamin Bellamy : Ces podcasts, aussi bien Projets libres ! que RdGP, sont diffusés sur Castopod [20]. Castopod est évidemment une solution open source, libre et gratuite. Vous pouvez interagir sur le fédivers et en particulier sur Mastodon. Vous pouvez repartager cet épisode, le liker et le commenter directement sans intermédiaire. Merci à toutes et à tous.

Walid Nouh : Merci.

Nicolas Vivant : Merci.

[Applaudissements]