Favoriser l’utilisation des logiciels libres dans les collectivités territoriales Journées du Logiciel Libre 2025

L’évolution de la situation géopolitique a convaincu un certain nombre de décideurs des collectivités territoriales de la nécessité de travailler l’autonomie de leurs systèmes d’information. Les logiciels libres apparaissent, de plus en plus, comme une option à étudier.
Mais au delà des prises de position politiques, comment fait-on concrètement ?
Échirolles s’est lancée, depuis 2021, dans une démarche résolue de passage au Libre, avec succès et en évitant les écueils souvent rencontrés. Structuration, stratégies de migration, ressources publiques sont les leviers d’un passage au Libre des collectivités territoriales ? Et en quoi France Numérique Libre, la nouvelle initiative des collectivités territoriale, peut-elle les aider ?

Bonjour à toutes et tous. Dans cette présentation, nous allons parler de logiciels libres et collectivités territoriales et de comment on peut favoriser le passage au Libre d’une collectivité.
Je m’appelle Nicolas Vivant. Je travaille dans une mairie, la mairie d’Échirolles, je suis directeur de la stratégie numérique à la ville d’Échirolles. C’est une direction dans laquelle j’ai, en gros, deux pôles : j’ai un pôle avec l’informatique interne, avec un DSI [Directeur des Systèmes d’Information] qui fait d’ailleurs partie du comité d’organisation des JdLL et puis un autre pôle qui est sur l’inclusion numérique avec des conseillers numériques, qui interviennent dans les maisons des habitants, pour aider les habitants qui sont en difficulté soit sur de l’accès au droit donc, en gros, pour faire des démarches administratives, ou qui sont en difficulté avec les outils, c’est-à-dire l’utilisation de leur PC, de leur smartphone.

Concrètement

Échirolles a la particularité de travailler sur le passage aux logiciels libres concrètement. Pourquoi je dis ça ? Parce que je connais plein de villes qui travaillent au passage aux logiciels libres sur le papier et puis, dans les services, on se connaît et, quand on parle, on se rend compte que le niveau d’avancement concret n’est pas toujours à la hauteur des qualités d’élocution de son élu. Il y a des élus qui parlent très bien de sujets et puis, concrètement ils ont un peu de difficulté à mettre en place, ce dont ils sont en train de parler. Tout l’objet de cette présentation c’est de vous expliquer comment, à Échirolles, on est passé d’un discours politique à une déclinaison opérationnelle, à une mise en œuvre concrète d’un projet de passage au Libre et ça ne s’est pas fait tout seul. Ça ne s’est pas fait tout seul, ça ne s’est pas fait rapidement. Bref ! Je vais vous parler de tout cela.

Pourquoi passer au Libre ?

Je vais commencer par vous dire pourquoi c’est une bonne idée de passer au logiciel libre.
C’est une bonne idée pour travailler son autonomie stratégique. Par autonomie stratégique ou par souveraineté numérique, ces deux termes veulent dire à peu près la même chose, sauf qu’on parle de souveraineté à l’échelle d’un État, on préfère donc parler d’autonomie stratégique. On n’est pas dans du souverainisme, on n’est pas dans du nationalisme, dans du « échirollisme », ce n’est pas du tout ça l’idée. L’idée c’est de diminuer sa dépendance vis-à-vis d’un certain nombre d’acteurs, d’être le moins dépendant possible.
Ne pas être dépendant, ça permet d’être plus libre, évidemment, et ça permet d’éviter un certain nombre d’ornières que vous imaginez : typiquement Microsoft augmente le coût de ses licences de 20 %, vous n’avez pas de produits Microsoft, vous regardez avec un peu de tristesse vos collègues qui, eux, se retrouvent avec un budget qui explose d’un coup et pas seulement.
L’autonomie c’est aussi une autonomie technique, c’est-à-dire, évidemment, que si tous vos outils sont hébergés sur un cloud à Strasbourg qui a le malheur de prendre feu, d’un coup vous vous retrouvez en difficulté pour faire fonctionner votre collectivité.

C’est intéressant aussi du point de vue du travail sur l’impact environnemental à plusieurs titres. Autant dans la contribution du numérique à réduire l’impact environnemental de la ville en pilotant des capteurs, mais aussi parce que ça permet de travailler sur l’impact environnemental directement lié au numérique. Exemple : si vous utilisez ChatGPT de OpenAI en ligne, vous n’avez aucun moyen de mesurer l’impact environnemental de ce que vous êtes en train de faire. Si vous installez une intelligence artificielle générative en interne, sur des serveurs chez vous, vous allez voir votre consommation électrique exploser, vous allez pouvoir éventuellement tenter de la juguler, voire de la compenser en faisant des économies par ailleurs, bref ! Vous êtes autonome, donc vous avez la main sur votre consommation énergétique, chose qui est impossible, évidemment, si vous passez par des solutions hébergées.

Le travail sur l’inclusion numérique, évidemment, très difficile de faire de l’inclusion quand on ne maîtrise pas son système.

La contribution à l’écosystème local. Très souvent quand vous partez sur des solutions qui sont des grosses solutions du marché, connues, que vous vous appuyez sur des Big Tech, vous vous appuyez aussi sur des prestataires qui sont des prestataires lointains, là où quand vous êtes sur des solutions plutôt autonomes et des solutions plutôt libres, vous avez tendance à faire appel à des prestataires locaux et ça tombe très bien pour une collectivité. En général, quand vous passez par une Scop de la ville pour faire, par exemple, le support de vos PC, les employés de la Scop sont aussi ceux qui font vivre la boulangerie du coin, qui vous payent des taxes foncières, donc vous voyez que vous êtes dans une sorte de cercle vertueux où vous faites travailler des locaux, donc vous participez à l’animation économique de votre collectivité.

La bonne gestion des données personnelles, évidemment. Si vous auto-hébergez vos solutions, vous vous responsabilisez sur la gestion personnelle de vos administrés. Si vous vous appuyez sur des prestataires qui peuvent être lointains et des solutions qui sont fermées, que vous ne maîtrisez pas, ce n’est pas toujours simple de savoir ce que deviennent vos données. Par exemple, tous les gens qui utilisent une solution comme Canva pour faire de la création graphique n’ont évidemment pas lu les petites lignes où il est écrit « vos données peuvent être utilisées pour entraîner des IA » et qu’ils envoient joyeusement des données, pas forcément publiques, chez un acteur qui héberge tout ça chez Amazon aux États-Unis. Donc, pour la bonne gestion des données personnelles, le passage au Libre est une bonne idée.

Et puis pour la bonne gestion de l’argent public, je l’ai évoqué tout à l’heure avec une augmentation soudaine des coûts de licence, en réalité c’est beaucoup plus que ça. Globalement, quand vous gérez votre numérique en interne, avec des outils libres et auto-hébergés, vous gérez votre budget de façon beaucoup plus sûre et aussi, on va dire, de façon beaucoup moins dispendieuse. Je vais y venir un peu plus en détail après.

Comment bien rater son passage au Libre ?

La stratégie qu’on a mise en place à Échirolles repose évidemment sur des bonnes pratiques, mais elle repose aussi sur un certain nombre d’échecs de migration sur lesquels on s’est penché, soit parce que les gens ont tenté de migrer et n’y sont pas arrivés, soit ils y sont arrivés et puis, souvent à l’occasion d’un changement de majorité au sein de la collectivité, un nouvel édile est arrivé, une nouvelle équipe, qui a dit « ça c’est un truc de clochards, je veux revenir à du Microsoft, du Google, des vrais trucs sérieux ! »
Les choses qu’il faut éviter de faire si vous faites un passage au Libre, sont contre-intuitives par rapport à la façon dont les DSI sont formés habituellement, c’est-à-dire avec des objectifs, des tableaux de bord, vous avez tous vu ça.
Se donner des objectifs chiffrés, c’est une mauvaise idée, c’est très difficile, à priori, de savoir ce que ça va pouvoir donner. Par exemple, vous choisissez de faire un passage à Linux, c’est très compliqué de savoir combien de postes vous allez pouvoir concrètement passer à Linux, c’est donc absolument déconseillé.
C’est la même chose pour les objectifs datés. Chaque fois qu’on se donne des objectifs chiffrés ou datés, ça veut dire qu’au bout d’un moment on est rattrapé par ses objectifs et on risque de se mettre à travailler dans une sorte d’urgence, par exemple d’y aller à marche forcée là où, au contraire, il faudrait ralentir parce que, par exemple, on a une résistance un peu plus importante qu’attendue à un changement qu’on opère.
Se donner des objectifs financiers impossibles, très difficiles. Quand je dis pas d’objectifs chiffrés, pas d’objectifs datés, pas d’objectifs financiers, vous pouvez donner des grandes tendances. À Échirolles, on a pris l’engagement que l’année prochaine [2026] il y aura plus de PC sous Linux que cette année, mais on n’a dit pas 100, on n’a pas dit 20. On est dans une démarche et on veut pouvoir adapter cette démarche aux problématiques qu’on rencontre.
C’est la même chose pour les objectifs financiers. Quand je suis arrivé à Échirolles, j’ai pris l’engagement de, au pire, ne pas augmenter mes budgets de fonctionnement et d’investissement d’une année sur l’autre, au mieux de les réduire et c’est ce qu’on arrive à faire depuis 2021. On présente un budget en fonctionnement et en investissement en baisse depuis quatre ans, avec un périmètre fonctionnel qui a doublé entre 2021 et 2025, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on a deux fois plus d’outils sur notre réseau qu’on en avait en 2021 et je parle sous le contrôle de mon DSI qui vient de rentrer dans la salle. Si vous voyez des trucs qui volent, c’est que j’aurais raconté un truc qui est faux !
Viser la pureté, la perfection. Quand ça s’est su, à Échirolles, qu’on entamait un passage au Libre, on a eu quelques visites, à l’accueil, de gens, des habitants très branchés Libre, très volontaires, qui sont venus nous expliquer que si on ne mettait pas des Debian partout on était vraiment des merdes. Il y a ce qu’on sait des qualités relatives de l’un ou l’autre des projets ou de l’une ou l’autre des distributions et puis il y a la vraie vie et la vraie vie c’est qu’on a 1200 à la ville avec des gens qui n’ont jamais entendu parler de ces problématiques-là, ça ne les intéresse pas du tout, et Debian, par exemple, n’est pas toujours la réponse appropriée, en tout cas on ne peut pas dire comme ça que Debian est la réponse appropriée à toutes les questions qu’on se pose. On a eu, comme ça, des gens qui sont venus. On les a reçus, c’est toujours sympa de rencontrer des habitants libristes, mais essayer de viser la pureté et la perfection c’est se faire plaisir au sein du service informatique, mais les agents et les habitants n’ont pas toujours plaisir quand on se positionne comme ça.
Un piège dans lequel il faut éviter de tomber : personnaliser le plus possible. Non, il faut personnaliser le moins possible. Exemple d’échec : à Munich, où il y avait eu un gros passage au Libre, ils avaient installé une version de Linux qui était basée sur Ubuntu, mais il l’avait tellement personnalisée à leur façon, qu’ils lui avaient donné un nom qui était Munbuntu [1], je crois, comme il y a Genbuntu à la Gendarmerie nationale, il y avait un Munbuntu à Munich et ils avaient publié cette distribution sur une forge en ligne. Résultat : changement de majorité, changement d’orientation politique, des élus arrivent en disant « bravo, c’est génial ce que vous avez fait, mais bon, c’est du bricolage, la preuve vous l’avez publié et vous êtes les seuls à l’utiliser et vous comprenez, nous, à Munich, on n’est pas là pour faire du bricolage. » Voilà comment le fait qu’ils communiquent sur le fait qu’ils avaient parfaitement personnalisé leur solution s’est retourné contre eux et a été utilisé comme un argument pour faire marche arrière sur le passage au Libre. En réalité, s’il avaient dit « à Munich, c’est Ubuntu », personne n’aurait pu leur dire que c’est du bricolage, vous voyez ce que je veux dire. Donc attention, s’appuyer autant que possible sur des solutions que vous pouvez mettre en avant comme des solutions stables, qui existent depuis longtemps, efficaces et utilisées par plein de gens.

Voilà. Maintenant vous savez comment rater votre passage au Libre. Si votre objectif c’est de pourrir le passage au Libre de quelqu’un, vous avez là la façon de le faire.

Comment réussir son passage au Libre ?

Ça c’est plus compliqué.
Le premier truc, être fourbe, très important, et pourquoi c’est très important ? Si les logiciels propriétaires ont bien réussi, ce n’est pas parce qu’ils ont été cool, c’est parce qu’ils ont été fourbes et ils utilisent des fourberies qu’il est intéressant de reprendre à son compte pour avancer dans un passage au Libre.
La différence, c’est que vous le faites dans un contexte où les objectifs sont affichés, c’est-à-dire on qu’on va essayer de travailler sur notre autonomie, on va essayer de travailler sur l’impact environnemental du numérique, donc c’est la direction qu’on prend. Eux disent « on va essayer de faire de l’argent », non ils ne disent pas « on va essayer de faire de l’argent », c’est donc de la fourberie, avec des objectifs qui ne sont pas clairement affichés.

Deuxième truc : impliquer les décideurs et décideuses. La première personne qui est passée sous Linux à Échirolles, c’est le Directeur général des services, c’était en 2021. On est en 2025. Allez expliquer au Directeur général des services que Linux ne marche pas, que c’est nul, qu’on ne peut pas travailler, que Windows c’est vraiment beaucoup mieux. Ça fait quatre ans qu’il travaille avec, ça va être très compliqué de le convaincre et c’est tout l’objet de cette fourberie, en plus du plaisir de donner quelque chose, qui marche. Quand les décideurs sont impliqués, donc aujourd’hui notre Directeur général des services, mais aussi notre Directeur de cabinet, notre élu aussi, tous les gens qui, demain, pourraient dire sous les applaudissements de la foule « c’est pourri, on fait marche arrière », ne le feront pas parce qu’ils sont sous Linux depuis des années et ça se passe bien.

Et très important, obtenir le soutien des utilisateurs et des utilisatrices. Travailler la satisfaction des utilisateurs c’est majeur. En réalité, quand quelqu’un décide de faire marche arrière, il fait généralement marche arrière sous les applaudissements des utilisateurs, c’est ce qu’il faut éviter. C’est-à-dire qu’un maire fraîchement élu, qui arrive dans une commune et dit « vous allez m’enlever tous ces trucs sous Linux, on va revenir à du Windows » et que vous avez les agents, les chefs de service qui disent « vous êtes sûr parce que c’est bien », il va avoir tendance à réfléchir à deux fois, surtout, en plus, qu’il y a des coûts associés à la marche arrière, ce qui fait qu’il va se poser des questions. Si, quand il débarque, il y a une succession de gens dans son bureau qui lui disent « l’informatique c’est la misère, si vous pouviez remettre de l’ordre là-dedans ce serait bien », comprenez bien que la marche arrière est d’autant plus facilitée.
C’est très important, ça veut dire qu’on ne fait pas du Libre pour se faire plaisir, on fait du Libre pour rendre service à nos utilisateurs. L’idée première c’est de rendre le meilleur service possible, on est un service public, on n’est pas là pour s’amuser, même si, en vrai, on s’amuse plutôt bien.

Idées reçues

Quelques idées reçues.
La taille compte. Dans plein de domaines c’est faux et, quand il s’agit d’un passage au Libre, c’est faux également, je vais y venir, je détaille après.
Les utilisateurices n’aiment pas le changement, la fameuse résistance au changement. On va en parler aussi.
L’équipe doit monter en compétence, c’est très important, OK, mais c’est une mauvaise idée et je vous expliquerai pourquoi.
Il faut bien communiquer sur le projet en amont, c’est très important.
Et Libre ne veut pas dire gratuit. Dans Google vous allez avoir un million d’articles qui vous expliquent que non, Libre ne veut pas dire gratuit et, en général, c’est par des gens qui vendent des choses, bizarrement.

La taille compte

C’est vrai. Quand vous faites un passage au Libre dans une collectivité où vous avez 10 000 PC, c’est un projet plus lourd que si vous avez 100, c’est sûr, mais vous avez plus de monde pour gérer votre projet, beaucoup plus que dans une petite collectivité.
Vous avez plus d’argent, vous avez plus d’outils, vous avez plus de personnel administratif. Bref ! C’est vrai, c’est plus lourd, mais on est plus nombreux.

Quand on est une petite collectivité, surtout quand elle est vraiment petite, il y a souvent une espèce de limite dans les collectivités, en dessous de 5000 habitants sur une commune, c’est rare qu’on ait un service informatique ; au-dessus, parfois on en a, parfois on n’en a pas, mais il y a, comme ça, une sorte de limite. Les petites collectivités n’ont pas de service informatique et elles ne s’intéressent pas forcément au sujet, elles n’ont pas forcément ni les compétences ni l’idée de travailler ça particulièrement.
En revanche, quand on est une petite collectivité on peut choisir ses prestataires et il y a des prestataires qui ont tendance à s’appuyer sur des solutions open source, il y a des ressources en ligne qui peuvent donner un certain nombre d’idées, notamment de logiciels existants pour rendre les services – état-civil, urbanisme –, et il existe des communautés auxquelles on peut s’adresser et qui seront très heureuses de nous expliquer quel logiciel utiliser pour faire quoi et c’est aussi vrai pour les logiciels métiers que pour des logiciels d’infrastructure, de monitoring de son réseau, sa messagerie.

Pourquoi j’ai mis ces deux points-là, parce que ce sont des arguments que j’ai souvent entendus et on peut avoir parfois l’impression qu’il faut être une collectivité de taille moyenne, que le bon truc c’est une taille moyenne,qu’entre 20 000 et 30 000 habitants ça va et, en dessous, c’est très compliqué et, au-dessus, c’est très compliqué. En vrai, c’est la façon de se structurer qui est importante plus que la taille de la commune, je vais y revenir un petit peu en détail après.

Les gens n’aiment pas le changement

C’est faux. Les gens adorent le changement quand ce que vous leur proposez c’est mieux que ce qu’ils avaient avant.
Il faut donc travailler sur ses outils. Évidemment, si vous leur dites « je vais t’enlever ton super logiciel clinquant, propriétaire, je vais te le remplacer par une bouse qui ne ressemble à rien mais qui est libre », vous allez assez vite vous faire détester. Ça veut dire travailler sur la qualité de ses outils aussi bien du point de vue des fonctionnalités que du point de vue de l’ergonomie.
Il faut commencer par adresser les nouveaux besoins. Si vous avez, dans votre collectivité, une habitude qui a été prise de travailler l’édition collaborative avec un outil de Microsoft type SharePoint et que vous les passez sur une solution libre, les gens vont faire la comparaison « je pouvais faire ça avant, je ne pouvais pas faire ça ». Mais quand vous n’avez pas d’édition collaborative, que vous n’avez pas de cloud, et que vous mettez en place une solution libre, ce sont de nouvelles fonctionnalités que vous proposez, un nouveau besoin auquel vous répondez, et ils ne vont pas vous dire que c’était mieux avant, il n’y avait pas avant, donc c’est juste mieux. L’idée c’est donc de commencer par adresser les nouveaux besoins plutôt que d’essayer tout de suite de changer les habitudes des gens.
Et puis vous pouvez bosser sur vos logiciels d’infrastructure, votre annuaire informatique, tout ce qui est authentification, tout ce qui est DNS, DHCP, serveurs web. Vous pouvez passe en Libre toutes ces briques qui sont invisibles pour les gens, personne ne s’en rendra compte. En général ça marche juste mieux, il y a moins de pannes et ça vous permet d’attaquer sans être dans le dur tout de suite.

L’équipe doit monter en compétence

Vous arrivez dans une équipe, tout le monde est très fier de ses certifications Microsoft et vous dites « stop, on change tout, on va tout passer sous Linux, maintenant on va faire du Libre », il y a peu de chances que ce soit ultra bien accueilli par l’équipe et surtout, il y a peu de chances que tout le monde, d’un coup, fasse l’effort en se disant « finalement, les certifications de Microsoft sur lesquelles j’ai bossé pendant des mois ne sont pas si importantes, je vais me mettre à Linux et apprendre comment on fait des trucs en ligne de commande. » Non, ça ne se passe jamais comme ça en vrai. Si vous essayez de faire ça vous allez misérer, ce n’est vraiment pas la bonne idée.
En fait, il faut remplacer l’équipe. Je rappelle qu’il est interdit de les assassiner, qu’il est mal venu de les licencier, donc vous avez un seul allié, c’est le temps. Dans toutes les équipes, quelle que soit leur taille, il y a du turnover. Chaque départ doit être l’occasion de recruter quelqu’un qui a les compétences attendues et qui a surtout une appétence pour le sujet. Ça veut dire repenser son recrutement. Ça veut dire que vous allez prendre vos fiches de poste et là où il y avait écrit « maîtriser parfaitement les outils bureautiques », vous allez mettre « maîtriser parfaitement les outils bureautiques libres » ; dans les projets, vous allez mettre « il y a un projet de passage à Linux », bref ! Vous allez mettre quelques mots-clés qui font que les personnes qui vont postuler chez vous savent où elles viennent et vous allez voir que le profil des personnes qui postulent change : vous vous retrouvez avec des gens qui postulent chez vous qui sont beaucoup plus forts techniquement en plus d’être convaincus que c’est une bonne idée. À Échirolles ça a pris trois ans et, avec le temps, vous allez avoir une équipe qui va monter en compétence, au point qu’avec Philippe, ici présent, on est dans la période où il faut les freiner parce que ce sont des fous furieux et on est obligé de leur dire « les gars, cet outil est très bien, bien sûr, mais il y a des priorités, il y a la charge de travail », mais c’est super agréable d’être là à dire « calmez-vous ! », surtout quand vous avez connu une équipe qui vous disait « Nextcloud [2] ! Tu es sûr que c’est une bonne idée ? Il y a quand même vachement mieux ! » Bref !

Ça nécessite donc d’être très clair sur ses attentes.
Très concrètement, puisqu’on est là pour parler concrètement, vous êtes dans une équipe où il y a des agents qui, potentiellement, ont été très valorisés dans leur travail, parce que vous aviez des serveurs Windows partout et qui faisaient un excellent travail sous Windows. Le projet change. Ces gens-là, du jour au lendemain, risquent de mal vivre le fait qu’on est beaucoup moins content d’eux d’un coup. Ce n’est pas gênant, ça fait des gens qui partent dans le privé et qui gagnent beaucoup d’argent. Mais pour ça, il ne faut surtout pas qu’ils croient que vous êtes contents d’eux. Donc il faut être très clair sur le fait que ça a changé et que maintenant les attendus ne sont plus les mêmes.
Il faut le faire tranquillement. L’objectif n’est pas de faire souffrir les gens, c’est de dire « le projet, maintenant, c’est ça et je t’attends là-dessus, là-dessus. Là, par exemple, tu vois qu’il y a vraiment un axe d’amélioration. » Il faut que les gens aient bien conscience qu’il y a du changement et qu’il faut qu’ils s’adaptent parce que c’est notre taf de mettre en place le projet. Donc être bien clair, prendre le temps, repenser le recrutement, bien réorganiser le travail. Imaginez une collectivité où on n’utilisait que des logiciels propriétaires hébergés dans le cloud, eh bien vous allez avoir principalement des gestionnaires de contrat, des gestionnaires de projets. Ça va le faire.
Mais si, demain, vous faites le choix d’outils libres auto-hébergés, vous n’avez plus du tout besoin des mêmes profils. Ça veut donc dire aussi faire évoluer les missions, les fiches de poste et tout ça. Et ça, c’est un vrai boulot. Mais faire monter en compétence votre équipe qui ne veut surtout pas y aller, ça ne marche pas. Enfin, ça marche pour certains. Ils étaient sous Windows parce que c’était Windows, vous leur dites « maintenant c’est Linux », ils disent « génial, je vais apprendre des nouveaux trucs », il y en a, mais c’est rarement la majorité et puis généralement ceux-là restent, de toute façon. Je n’ai pas dit qu’il fallait virer tout le monde, ce n’est pas ça l’idée. En tout cas, il vaut mieux partir de ce principe-là.

Vous voyez comment cela entre en contradiction avec « se donner des objectifs chiffrés et se donner des objectifs datés », vu que c’est n’est pas vous qui virez les gens, les gens partent avec le temps, c’est le turnover naturel. Vous êtes bien incapable de dire à quel moment vous allez avoir une équipe qui est capable de dérouler efficacement.

Il faut communiquer en amont

Nos utilisateurs et nos habitants ne sont pas responsables des choix politiques de leurs élus. La plupart de nos agents se tapent quand même le coquillard, et très joyeusement, des logiciels libres, de l’autonomie numérique, de l’impact environnemental et de tout ça. Leur problématique c’est répondre à une demande de permis de construire, c’est répondre à une demande de passeport, c’est répondre à une famille qui est en galère de logement, c’est ça leur travail. Leur travail ce n’est pas de mettre en place des logiciels libres. Donc communiquer en amont à destination des agents, ce n’est pas forcément une bonne idée. En fait, si vous arrivez à vous tenir à votre objectif de leur donner les outils qui vont permettre de rendre le meilleur service, le fait que les outils soient libres ou pas libres ne rentre pas du tout en ligne de compte, ça ne doit pas être un sujet.
À Échirolles, on n’a jamais communiqué auprès de nos agents sur le projet, mais on va bientôt le faire parce que, vu que par contre on communique à l’extérieur, il y a des agents qui en entendent parler via les réseaux, les sites web, les articles, et qui viennent nous voir en demandant « pourquoi n’avez-vous rien dit ? ». C’est donc le moment où on va commencer à en parler, mais ça fait quatre ans qu’on a attaqué. En tout cas, pas en amont.

Communiquer à destination des élus, si cette idée vient des élus.
Si vous êtes un DSI qui, parce que vous avez conscience d’un certain nombre d’enjeux, vous décidez de mettre en place des logiciels libres, vous n’allez évidemment pas prendre la tête de vos élus avec ça. Eux aussi vont regarder la qualité du service rendu, ça suffit bien, ne leur prenez pas la tête.
Par contre, si ce sont vos élus qui ont eu l’idée de mettre en place les logiciels libres, évidemment là ça vaut le coup de communiquer sur les avancées, on a attaqué le passage à Linux, etc.

Le service communication, pareil. Si c’est une volonté des élus, la ville a évidemment intérêt à communiquer sur ce que vous êtes en train de faire si c’est effectivement dans le projet de la majorité, sinon ce n’est pas forcément utile.

Communiquer auprès de la Direction générale des finances, des RH, oui, parce qu’un passage au Libre induit un certain nombre de changements qui peuvent être un peu surprenants pour ces services-là, si vous n’en parlez pas avec eux, je vais y venir.

Et puis communiquer à destination du service informatique, évidemment, comme je vous le disais c’est très important que le projet soit clair.

Libre ne veut pas dire gratuit

La dernière idée reçue « Libre ne veut pas dire gratuit ».
Au départ, ça vient des États-Unis, parce qu’en anglais free veut dire « libre » et veut dire « gratuit ». Pour qu’il n’y ait pas de confusion, on dit not free as a beer, « ce n’est pas gratuit comme une bière », c’est free as freedom. Aux États-Unis, c’est important de bien faire la part des choses vu que le terme est polysémique, mais en français ce n’est pas le cas et gratuit ne veut pas dire « qui n’a pas de valeur ». Tous les gens qui sont bénévoles quelque part le savent, gratuit veut juste dire gratuit par rapport à ce que vous auriez payé si vous étiez avec des logiciels propriétaires, toutes choses étant égales par ailleurs. On dit souvent que ce que vous gagnez en coûts de licences, vous le perdez en prestations ou en formations, comme si sur les logiciels propriétaires, miracle, il n’y avait ni prestation ni formation ! Mais non, il y a des prestations et des formations. Tout changement de logiciel induit un accompagnement, qu’il soit libre ou qu’il ne soit pas libre. On ne peut pas prendre ça en compte pour dire « non, ça ne veut pas dire gratuit ». Le logiciel propriétaire non plus ne veut pas dire gratuit, la différence entre les deux ce sont les coûts de licences, mais sur un logiciel propriétaire vous avez besoin d’hébergement, vous avez besoin d’accompagnement, vous avez besoin de support comme sur les logiciels libres. En revanche, vous ne payez plus le coût des licences.
Si, en plus, vous faites de l’auto-hébergement, vous avez une équipe qui est compétente, qui est capable d’installer, de paramétrer, de maintenir les logiciels pour vous et de former les utilisateurs, évidemment après c’est une question de gestion de la charge de travail et de mission que vous donnez à vos agents, mais c’est une économie nette, vous passez de 30 000 euros à 0 euro d’un coup !
Mais, pour ça, il faut effectivement que vous ayez une équipe compétente, une équipe correctement dimensionnée, et que vous soyez sur de l’auto-hébergement, sinon vous avez tout ça à payer, mais c’est la même chose pour les logiciels propriétaires.
C’est dommage parce que dire que les logiciels sont gratuits, c’est quand même un sacré argument, surtout quand vous discutez avec le directeur du service financier.

Passer au Libre, c’est changer le monde

Passer au Libre, ce n’est pas juste remplacer des logiciels propriétaires par des logiciels libres, c’est un changement profond, très important, dans le fonctionnement du service, dans le fonctionnement de la collectivité et c’est quelque chose auquel on n’est pas formé quand on suit une formation de DSI.
Pour illustrer ça avec ce qui s’est passé à Échirolles. À Échirolles, jusqu’en 2020, comment ça se passait ?
Au mois de septembre, vous aviez une période de préparation budgétaire. La responsable informatique écrivait à l’ensemble des services en demandant « quels sont vos besoins en numérique pour l’année ? » et les services répondaient en disant « moi, il faut mettre à jour mon logiciel de ceci ou cela ; j’aurais besoin d’un nouveau logiciel ; j’ai besoin de tel matos, machin. » Elle récoltait tous ces besoins, elle remontait ça dans le cadre de la préparation budgétaire à la Direction générale et aux élus qui arbitraient en disant « ça oui, ça oui, ça non parce que c’est trop cher » et à la fin elle avait sa roadmap pour l’année. Simple. Il suffit de retourner vers les services et on leur dira « désolé, ton projet n’a pas été validé, on ne va pas faire ça cette année. – Toi, ton projet a été validé, donc on va y travailler. »
Il y a donc une période dans l’année où vous donnez de la visibilité aux projets sur lesquels vous allez travailler dans l’année et sur les coûts associés à chacun des projets. Et puis, vous vous mettez à faire avec des logiciels libres. D’un coup, il n’y a plus de budget associé, donc, dans le cadre de la préparation budgétaire, les projets n’apparaissent plus, du coup vous perdez en visibilité sur l’activité de l’équipe, vous perdez en visibilité sur la valeur de ce que vous faites, vous perdez en visibilité sur la charge de travail. Avec Philippe, nous nous sommes rendu compte de cela un peu tardivement. On est forcément préparé à impact-là, c’est-à-dire que les finances ne sont plus les arbitres des projets. Vous pouvez décider de mettre en œuvre un logiciel au mois de février alors que votre préparation budgétaire a lieu en septembre, donc le driver de l’activité de l’équipe ça devient les besoins des services, les priorités que vous donnez à chacun des projets en fonction de l’intérêt pour le service, l’urgence, l’intérêt pour les habitants et tout ça, et, évidemment, la charge de travail de l’équipe, c’est ça le driver et ce n’est plus « est-ce qu’on a l’argent pour faire ou est-ce qu’on n’a pas l’argent pour faire ? » Ça change tout.
L’avantage, c’est que vous êtes effectivement dans une maîtrise de vos coûts. Depuis quatre ans, nous présentons un budget en fonctionnement et en investissement en baisse chaque année alors notre périmètre fonctionnel augmente. Génial, on maîtrise nos coûts ! Nos élus et notre service financier sont ravis, il n’y a jamais de mauvaise surprise. Je vous l’ai dit tout à l’heure Microsoft augmente de 20 %, vous n’êtes pas concerné ; Broadcom rachète VMvare, vous êtes sur Proxmox [3], donc tout un tas d’avantages, mais il y a moins de visibilité sur ce que vous faites. Il faut donc inventer un fonctionnement avec votre Direction générale, avec les autres services et tout, pour donner de la visibilité aux projets sur lesquels vous bossez. Moi, par exemple, je me suis mis à faire un truc chaque fois qu’on installe un nouveau logiciel. Exemple, on n’avait pas de logiciel de visio quand j’arrive en 2021, pendant toute la période du Covid, à Échirolles, ils ont utilisé du Cisco Webex sur des serveurs publics. Je mets en place un BigBlueButton [4], ça ne nous coûte rien puisque c’est fait par l’équipe, c’est maintenu par l’équipe, ils font les mises à jour, la maintenance, tout ça. Si j’avais acheté Teams, si j’avais acheté Zoom, ça m’aurait coûté combien ? Je fais le travail suivant : je cherche à savoir quelle est la licence Zoom la moins chère, quelle est la licence Teams la moins chère, je fais une moyenne, je multiplie ça par mon nombre d’utilisateurs, je dis « voilà les coûts que j’ai évités pour la collectivité ». Ce n’est pas une économie puisque, avant, le logiciel n’existait pas, donc, au niveau de mon budget, ça ne bouge pas, je ne fais pas une économie, mais j’évite un coût. Je rajoute une fonctionnalité, j’augmente la taille de mon périmètre, donc ce sont des coûts évités.
Il y a d’autres cas. On avait, par exemple, des contrats de maintenance sur la messagerie, on a changé de messagerie, c’est une messagerie libre, on l’a installée en interne, on la maintient, etc., et ça, par contre, ce sont des coûts d’abonnement, des coûts de licence qui disparaissent, ce sont des économies, c’est visible au niveau de notre budget. Vous voyez ce que je veux dire. Ça veut dire qu’on a un tableur, en deux parties, avec les économies réalisées et les coûts évités. Cela va nous permettre de donner de la visibilité en réalité sur l’activité de l’équipe, sur la montée en charge et, finalement, sur ce qu’on produit.
Vous voyez le type d’impact d’un passage au Libre.

Et la contribution, égoïste que tu es ?

Comment contribue-t-on au logiciel libre ?
À Échirolles, on utilise vraiment beaucoup de logiciels libres, mais vraiment, c’est par dizaines, chaque fois qu’on fait la liste on n’en revient pas. Alors comment contribue-t-on ?

Il nous arrive de faire quelques petites adaptations et tout ça, on pourrait avoir une forge publique et publier notre code, sauf que nous ne sommes pas du tout organisés pour ça, si on a trois issues et deux pull-requests, c’est la panique chez nous, nous ne sommes pas du tout organisés pour gérer ça.
Par contre, on peut faire la promotion des logiciels qu’on utilise et partager avec les autres collectivités. C’est quelque chose qu’on fait, c’est une façon de contribuer.
On peut faire appel à des prestataires, c’est aussi une façon de gérer la charge de travail. Je vais vous donner un exemple : notre messagerie était une messagerie qu’on payait et, pour la mettre à jour, on nous demandait 20 000 euros. Changer de messagerie, c’est un projet qui est lourd. On s’est dit que pour la migration on allait s’appuyer sur un prestataire, une Scop locale, on lui a donné 12 000 euros, on a économisé 8 000 euros, on a fait bosser une Scop locale, on a une nouvelle messagerie et aucun coût récurrent. Faire appel à des prestataires, c’est une façon de contribuer. C’est une Scop qui bosse sur des logiciels libres, ils sont ici, ils ont un stand, ils s’appellent Algoo [5] pour ne pas les nommer.

La bonne idée facile si vous bossez dans une collectivité, une très bonne façon de contribuer à l’écosystème : vous utilisez un logiciel, c’est le cas de notre messagerie, c’est le cas de notre téléphonie, on a une téléphonie sur IP open source, c’est de prendre un contrat de maintenance, un contrat de support avec la société qui développe le logiciel en question, dont vous n’avez pas besoin, parce que vous avez les compétences en interne et, de toute façon, c’est vous qui allez gérer au quotidien, qui allez faire les mises à jour, les passages, c’est juste une façon de contribuer sur laquelle personne ne vous posera jamais de questions.
Faire un don. Il faut comprendre que faire un don ou adhérer à une association c’est très lourd pour une collectivité, ça passe par une délibération, c’est administrativement très lourd, il faut se justifier. Par contre, un nouveau logiciel apparaît, il y a un contrat de maintenance associé, personne ne vous pose de questions. Vous installez votre petit Open-Xchange [6], Zimbra [7], ce que vous voulez, votre messagerie, et puis vous prenez le prestataire, la personne le plus près de chez vous qui travaille sur cette solution, qui contribue et tout, et vous prenez un contrat de maintenance à 3 000 euros par an. Pour elle, ce sont 3 000 euros qui rentrent tous les ans avec zéro effort, vous ne les appelez jamais, et c’est une façon financièrement simple de contribuer à la communauté. C’est pour cela que je dis des contrats de maintenance, même et surtout s’ils sont inutiles, je le dis à vous, c’est publié, c’est une très bonne façon de contribuer.
Il faut que je vous parle de cela, c’est magnifique, j’ai un témoin ici dans la salle.
On prend des contrats de maintenance dont on n’a pas besoin, et puis, parfois, les contrats de maintenance augmentent, changement tarifaire. Donc, vont vous avez le commercial de votre solution de VoIP qui vient vous voir et vous dit « c’était 6000 euros par an, mais vous comprenez, on a rajouté une fonctionnalité d’intelligence artificielle incroyable, maintenant c’est 10 000 ». Et là, vous vous retrouvez dans une position assez jouissive, vous dites « attendez, je vous explique, combien de fois vous a-t-on appelé ? Jamais, on est bien d’accord, le contrat de maintenance, c’est pour contribuer. Donc nous, c’est simple, c’est 0 ou 6000, mais ce n’est pas 10 000 ! – Monsieur Vivant, nous ne nous sommes pas bien compris. En fait, ce sont des nouvelles fonctionnalités. Évidemment qu’on peut garder les conditions telles qu’elles sont, c’était une nouvelle proposition que je vous faisais, mais rien ne vous oblige ». Tu es d’accord, Philippe, c’est quand même un plaisir, c’est-à-dire que vous avez des commerciaux au téléphone et c’est vous qui faites les tarifs. Le but n’est pas non plus de les humilier, mais à un moment, quand vous considérez que la contribution qu’ils vous demandent est un peu trop élevée, vous êtes quand même dans une position assez inédite et ça fait bien plaisir.

Passer à Linux

Le passage à Linux, c’est le boss de fin de niveau, les gars, ne commencez pas par ça, jamais !
Avant de passer à Linux, le vrai gros boulot c’est de passer de Microsoft Office à LibreOffice [8]. Une fois que vous êtes sur LibreOffice, que vous utilisez Firefox [9], que votre client de messagerie c’est Thunderbird [10], passer à GNU/Linux c’est de la rigolade. Par contre si vous passez à GNU/Linux, forcément il n’y a plus d’Outlook, forcément il n’y a plus de Microsoft, et d’un coup vous vous retrouvez avec beaucoup de changements d’un coup, donc commencer par GNU/Linux ce n’est pas forcément la bonne idée.

On passe d’abord ses voisins sous GNU/Linux. Quand je dis « ses voisins », ce sont les services autour de soi. On ne commence pas le passage à GNU/Linux dans des écoles qui sont hyper lointaines et, quand il s’agit d’aller faire du support, d’aller donner un coup de main, il faut enfourcher son vélo ou prendre sa bagnole et faire dix minutes de route. C’est beaucoup mieux si c’est le service juste au-dessus ou juste à côté, vous pouvez réagir très rapidement. Comme je vous l’ai dit, la satisfaction utilisateur c’est très important, commencez autour de vous. Quand vous déployez une distribution GNU/Linux, il y a effectivement une période, pour le service, pour monter en compétence sur cette distribution-là et c’est bien de le faire en partant par cercles concentriques.

Ne pas se presser, y aller doucement, ce que je disais tout à l’heure, pas d’objectifs datés. Essayer d’avancer aussi vite que possible, mais se donner la possibilité de ralentir le mouvement parce qu’on rencontre une difficulté technique particulière qu’on n’avait pas anticipée ou parce qu’on commence à avoir des retours un petit peu bizarres d’utilisateurs.

On ne passera jamais 100 % des gens sous GNU/Linux, c’est impossible, il faut se sortir cette idée de la tête. L’objectif doit être de passer sur GNU/Linux autant de monde que possible, mais jamais dire « on va passer tout le monde sous GNU/Linux », jamais.

On ne passe pas à GNU/Linux si on n’a pas un plan. On ne fait pas ça à l’arrache en disant « j’ai découvert une super distribution tiens, bim ! – Ton PC est en panne, attends. Bim ! » Non, ça ne marche pas. Il faut s’organiser un tout petit peu.

Linux : notre plan secret

La diapo suivante c’est justement le plan. Ce plan est secret, évidemment, ça reste entre nous. C’est un plan en cinq étapes :

  • 1. Le choix de la meilleure distribution et ce qu’on entend-on par meilleure distribution. Il n’y a pas de meilleure distribution, entendons-nous bien, il n’y a pas de Debian, de Fedora, de Arch Linux, non. En fait, c’est très variable en fonction du contexte et si vous avez à l’esprit que l’objectif c’est de rendre les meilleurs services, forcément vous adaptez la distribution au contexte qui est le vôtre.
    Si vous êtes dans un contexte où il y a du Microsoft partout, vous avez un Active Directory comme annuaire, vous avez un serveur de fichiers sous Microsoft, vous allez essayer de sélectionner la distribution Linux qui s’intègre le mieux dans un environnement comme cela.
    Si vous êtes déjà sur du Samba, du OpenLDAP, du machin, n’importe quelle solution Linux fera l’affaire, mais vous voyez ce que je veux dire. Il n’y a pas de bonne réponse à la question : quelle distribution pour ma commune ? ; ça dépend du contexte.
    Les points auxquels il faut être attentif : il faut prendre une distribution pour laquelle l’effort de formation pour des raisons de temps, pour des raisons de charge de travail, pour des raisons d’effort d’accompagnement va nécessiter le moins de formation possible, c’est-à-dire, en gros, le plus proche de ce que les gens connaissent. Ne partez pas sur des trucs d’extraterrestre. Ubuntu, ça peut être très compliqué pour des gens juste parce que les icônes se trouvent à gauche, plus en bas, parce qu’ils n’ont pas la même tête, parce que créer un raccourci sur le bureau ne se fait pas du tout de la même façon, parce que les raccourcis classiques clavier ne sont pas les mêmes. Bref ! Avoir ça à l’esprit.
    L’ergonomie. Prenez une distribution qui est belle, ne prenez pas une distribution développée par votre cousin, ce n’est vraiment pas une bonne idée.
    Qui s’intègre parfaitement dans le DSI, j’en parle.
    Et puis, j’en ai parlé tout à l’heure, le moins de bricolage possible. Prenez une distribution qui s’installe par défaut avec une clé USB bootable ; le gros de ce dont vous avez besoin est déjà là, donc le travail d’adaptation est minimal.
    Ça c’est un travail qui doit être fait en interne dans la DSI, ça prend deux trois mois. La bonne façon de faire c’est de dire à vos agents « testez plein de distributions. Dès qu’il y a en une que vous trouvez géniale, vous la notez. » Ensuite, on met ensemble toutes nos distributions géniales et on décide de laquelle on utilise, comme cela c’est la distribution de l’équipe, ce n’est pas votre distribution à vous, qui êtes fan de Debian depuis que vous avez huit ans, et vous avez décidé que c’était sûrement le cas pour tout le monde aussi.
  • 2. Une phase de bêta-test. Vous identifiez un certain nombre de personnes qui sont OK pour participer à un bêta-test et vous installez Linux chez ces personnes-là. Vous n’êtes pas complètement prêt, vous n’avez pas forcément d’outils de gestion de votre parc et tout ça, mais ce petit nombre de personnes accepte de faire le boulot. La bonne idée c’est de mettre les décideurs dedans. Ce sont eux les early adopters et, comme je vous disais tout à l’heure, après, si vous avez des gens qui se plaignent, ça sera un peu plus compliqué.
  • 3. Troisième phase : un plan de volontariat. Vous communiquez en interne en disant « si vous voulez Linux, on vous l’installe. » Ça c’est une fois que vous êtes relativement prêt dans le service, vous savez à peu près comment déployer vos images, comment les mettre à jour et tout ça, plan de volontariat. Vous allez être surpris par le nombre de demandes que vous allez avoir, nous avons été surpris chaque fois qu’on a fait ça. Je travaillais auparavant à Fontaine, maintenant je suis à Échirolles, à chaque fois on est surpris par le nombre de personnes sorties de je ne sais où qui nous réclament du Linux. Cette phase-là dure un an. En gros, pendant un an, on installe Linux aux gens qui le réclament. Ça veut dire que dans toute cette phase-là, la résistance au changement est nulle.
  • 4. Ensuite, une phase d’incitation. On propose systématiquement Linux quand on change un PC ou qu’on installe un nouveau PC, et si la personne refuse, pas de problème, Windows, on n’insiste pas.
    Pour vous donner une idée, ça peut permettre de passer 20 % de votre parc sous Linux ; 20 % sur 1000 machines, on parle de 200 machines. Ça commence déjà à faire un joli petit parc et vous commencez à avoir une belle expérience du support de votre distribution. C’est une phase qui peut durer trois à quatre ans, parce qu’on ne renouvelle pas les postes tous les ans, évidemment. Vous voyez qu’on parle d’un projet sur cinq ans, minimum, OK.
  • 5. Ensuite une phase de bilan. On dit « on a 20 % des postes sous Linux, quel retour on a, est-ce que ça se passe bien et tout ça ? ». Et là c’est le moment critique où on bascule et on dit « Linux devient le système d’exploitation par défaut ». Ça ne veut pas dire, encore une fois, tout le monde sous Linux. Ça veut dire que, par défaut, on vous livre des PC sous Linux. Si vous voulez Windows, il va falloir nous expliquer pourquoi : est-ce que c’est un problème d’incompatibilité avec un logiciel ? Un problème de formation ? Bref !
    Objectif, évidemment, la domination mondiale.

Des retours qui font plaisir

Il faut que je vous parle de retours qu’on a eus et qui nous ont fait rire ou qui nous ont fait plaisir.
Le premier. En septembre 2024, à Échirolles, on lance le plan de volontariat : mail à tout le monde, article sur l’intranet, il y a un formulaire, les gens remplissent « je veux Linux » et puis on installe et on supporte. Une utilisatrice nous écrit en disant « je serais intéressée pour passer sous Linux » et là le service dit « non, impossible ». Ils font un mail génial : « Il est des cas où, malheureusement, un passage à Linux n’est pas possible. Nous sommes donc au regret de devoir refuser ce passage à Linux pour ce qui vous concerne, puisque vous avez rejoint la collectivité au mois de janvier et que, depuis janvier, vous êtes sous Linux. » La personne était sous Linux depuis six mois, ne s’en était pas aperçu, et nous réclamait Linux en septembre. C’est un bon indice que vous avez bien travaillé votre ergonomie, que vous avez bien travaillé au moment de l’installation du poste la petite information que vous faites et tout ça. C’est d’autant plus cool que cette personne-là vient d’une ville où le service informatique vous explique que non, le passage à Linux est impossible, c’est vraiment beaucoup trop compliqué, que ce serait un désastre si on y allait. Et vous avez une personne de la même collectivité qui ne s’en aperçoit même pas quand elle arrive à Échirolles, ça fait plaisir.

Et puis notre directeur général des services. Je lui ai dit « ça fait quelques années, quand même, qu’on a tout changé, comment ça se passe ? – Franchement je n’ai pas vu de changement. Ah si ! Il y a moins de pannes. » Voilà le très bon retour quand même, il a même dit « il n’y a plus de pannes. » Voilà la situation dans laquelle on était avant. Ça veut dire qu’on n’y est pas allé violemment, ça veut dire que le changement est passé comme une lettre à la poste, il dit « je n’ai pas vu beaucoup de changement », mais, en même temps, il y a un retour sur la stabilité du système tel qu’il est et je ne vous parle pas, évidemment, des aspects financiers et tout ça et des économies qu’on a pu réaliser.

Alpes Numérique Libre – France Numérique Libre

Un petit mot sur un collectif qui existe, qui s’appelle France Numérique Libre [11], qui est ouvert à tous les responsables informatiques de collectivités territoriales et les élus des petites communes où il n’y a pas de service informatique, où c’est souvent l’élu qui gère les contrats avec les prestataires et tout ça, sont aussi les bienvenus.
L’objectif c’est de participer à la dynamique qu’on note autour des logiciels libres grâce à qui ? Grâce à Donald Trump ! Ce brave Donald qui, en supprimant le compte Microsoft du président de la Cour pénale internationale, a fait prendre conscience à tout le monde que l’autonomie ça a quand même du bon, donc beaucoup de collectivités réfléchissent à ces enjeux, qui, en vrai, se moquaient de nous il y a quelques années, à raison parce que c’est vrai que nous sommes un peu ridicules, mais qui, aujourd’hui, sont à fond.
Ce collectif tombe donc pile au bon moment.
Il est né le 1er avril.
Ça permet de se connaître entre collègues et ça c’est cool, on connaît maintenant des gens partout en France.
Nous avons démarré le 1er avril. Nous sommes déjà un peu plus de 200 collectivités dans France Numérique Libre.
Les outils sont hébergés par une association qui s’appelle l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales] [12] ce qui permet d’assurer la pérennité de nos outils, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas dépendants d’une des collectivités membre du collectif, on n’est jamais à l’abri d’une marche arrière soudaine.
Et l’intérêt c’est de montrer que nous sommes nombreux. Si vous allez sur le site web de France Numérique Libre, france-numerique-libre.org, vous verrez qu’il y a une cartographie des membres [13] qui vous permettra de voir que nous sommes nombreux et surtout que nous sommes partout en France aussi bien du Nord aux Pyrénées en passant par la Bretagne, l’Alsace et tout cela grâce à Donald. Merci à toi Donald.
Les échanges sont nombreux, ultra-riches. Même nous, à Échirolles qui pourtant passons du temps à chercher des solutions et tout, nous avons découvert des solutions dont on ignorait l’existence.
Des villes ont commencé à installer des solutions suite à des discussions qui ont eu lieu sur la liste de discussion de France Numériques Libre, donc nous sommes super contents, ça marche très très bien et je pense que ça va participer de la dynamique qui est en cours sur le sujet.

J’ai terminé. Je crois que j’ai cinq minutes, à peine, pour des questions si vous en avez.

Questions du public et réponses

Tu fais le passage de micro, Philippe. Merci beaucoup. Juste derrière toi.

Public : Bonjour. Merci pour la présentation. Deux questions : qu’est-ce que vous utilisez pour la masterisation et la gestion de toute cette flotte Linux ?

Nicolas Vivant : FOG Project [14]. Dessus on met aussi bien les PC sous Windows que les PC sous Linux. On a une solution de Kiosque, par exemple, ça nous permet un déploiement en quelques minutes.

Public : Bonjour. Je m’intéresse à l’indépendance ou la dépendance de la municipalité par rapport à tout son environnement – la région, le département, différentes agences, la métropole par exemple à Grenoble. Est-ce que vous devez échanger des données informatiques, avoir des outils communs avec eux, les persuader de changer ? Quelles contraintes avez-vous ?

Nicolas Vivant : On ne persuade personne. L’article 72 de la Constitution prévoit la libre administration des collectivités territoriales. Chacun fait ce qu’il veut chez lui et on ne cherche à convaincre personne.
En revanche, très bonne question sur la partie interopérabilité et échanges avec les autres collectivités, d’autant que des collectivités ont des compétences et nous obligent à utiliser des logiciels qu’elles nous fournissent pour pouvoir faire des trucs. Parfois, ces logiciels ne sont pas compatibles avec LibreOffice Calc, il faut Excel. C’est donc très important, dans le cadre d’un passage à Linux, par exemple, mais pas seulement, d’un passage au Libre, si vous passez à LibreOffice, de prévoir une solution de contournement qui permet à ces services ou à ces agents dans les services, qui ont absolument besoin d’Excel bien malgré eux, de pouvoir y accéder. La bonne façon de faire c’est d’avoir un serveur Windows, type Remote Desktop ou RemoteApp, je ne sais pas si ça vous parle. En fait, vous avez une version de Microsoft Office installée sur votre serveur Windows et ensuite, en utilisant Remote Desktop, donc les points RDP de Windows ou Remmina [15], par exemple, sous Linux. vous allez exécuter Excel sur le serveur. Il n’y a pas d’Excel installé sur les postes clients et en plus ça marche sous Linux. Ça veut dire que vous ne vous ne grevez pas votre passage à Linux y compris pour des gens qui ont besoin d’Excel, c’est cool. Ce type de solution de contournement permet aussi, s’il y a des solutions qui reposent sur des clients lourds sous Windows, de les installer sur ce serveur et de les exécuter à distance. C’est comme cela qu’on s’en sort.
Pour le reste, grosso modo, ce sont très souvent des PDF qu’on s’échange. La compatibilité docx/odt se passe plutôt bien en réalité. Il arrive qu’on ait des plaintes sur un ou deux trucs particuliers, mais, en gros, ça se passe bien.

Public : Un des succès de la migration dans la Gendarmerie [16] était qu’ils mettaient Ubuntu sur les nouveaux ordinateurs qu’ils achetaient, les gens étaient donc contents d’avoir des machines qui marchent et ils ne faisaient pas attention à ce qu’il y avait comme OS puisque ça marchait. Est-ce que maintenant c’est encore possible, ou le matériel est, de toute façon, de bonne qualité donc les gens ne feront pas la différence ?

Nicolas Vivant : L’idée, si on passe à Linux, c’est de rendre Linux désirable. En venant à trois dans la voiture, on réfléchissait et on se marrait en disant « en fait on aurait dû dire que Linux ce n’est que pour les VIP et tout le monde se serait battu pour l’avoir », c’est une façon.
À la Gendarmerie, il n’y avait pas que ça. Ils proposaient un nouvel écran neuf 16/9, à l’époque ils avaient encore beaucoup d’écrans 4/3. Si vous preniez Linux, vous aviez un écran neuf 16/9.
Ce qu’il faut retenir, de manière générale, j’en ai parlé avec la personne qui a géré le projet à la Gendarmerie, c’est qu’il faut effectivement le rendre désirable, donc mettre en avant les avantages énormes du passage à Linux pour un utilisateur qui n’est pas un militant. Il y a des choses évidentes :

  • les mises à jour. Vous ne passez plus 20 minutes à deux heures à attendre avec un message « Surtout n’éteignez pas l’ordinateur » parce que votre PC est parti sur des mises à jour ;
  • la vitesse de démarrage, c’est un truc majeur ;
  • la vitesse pour chercher des fichiers localement sur le PC. La recherche de Microsoft c’est quand même une blague depuis toujours. Dès que vous recherchez un fichier, vous êtes parti pour une demi-heure avecune barre bleue qui avance. Sous Linux, ce sont deux secondes.

Voilà typiquement le genre de choses que vous pouvez mettre en avant, montrer à vos utilisateurs avant le passage à Linux et qui peut emporter leur adhésion. C’est ce que je fais dans les formations que je fais en interne, les gens sortent et veulent tous Linux !
Merci beaucoup.

[Applaudissements]