Conférence d’Alexis Kauffmann - Projet d’un label du Libre éducatif Congrès ADULLACT 2022

Label du Libre éducatif

C’est vraiment un plaisir et un honneur d’être parmi vous.
Pour la petite histoire, comment ça a commencé ?
Je suis arrivé au ministère de l’Éducation nationale, rue de Grenelle, en septembre, j’y reviendrai par la suite. En arrivant, la première chose c’est rencontrer différentes personnes, notamment l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales] [1]. J’ai rencontré Pascal [Pascal Kuczynski] qui m’a parlé du label Territoire Numérique Libre [2], me disant qu’il y a des écoles qui ont postulé, une ou deux, et évidemment ce n’est pas prévu pour les écoles, ça ne rentrait pas dans les cases. Je me suis demandé ce que ça pourrait être que rentrer dans les cases pour une école, ce que pourrait être un label École Numérique Libre. Ça a commencé comme ça.

J’étais un peu naïf en arrivant au ministère. Je pensais que créer un label École Numérique Libre ça pouvait être jouable. J’ai découvert, après, qu’il y a pléthore de labels à l’Éducation nationale, sur le développement durable, l’égalité filles-garçons, les langues - il y a plein de langues -, l’international, etc., que le processus de labellisation prendrait à peu près deux/trois ans, à mon avis, au ministère. Donc, pour l’instant, un label École Numérique Libre ça reste un peu un sujet d’étude, comme on dit, c’est plutôt pour discuter de ce que ça pourrait être.
En tout cas, ce qui me semble intéressant, c’est que ce soit à l’échelle de l’établissement scolaire. J’ai vu des professeurs passionnés, faire des choses passionnantes dans leur salle informatique, mais c’était vraiment restreint à leur salle et puis, quand ils s’en allaient, tout partait également avec eux, tout ce qu’ils avaient monté à base de logiciels libres.

Puisqu’il faut meubler, je vais faire juste un petit peu d’histoire.
Quand on célèbre ses 20 ans c’est évidemment pour se projeter dans l’avenir, j’imagine que c’est ce que vous avez fait hier en assemblée, mais c’est également un petit peu aussi le moment de regarder en arrière, de faire le bilan.

Moi je suis arrivé dans le Libre il y a aussi 20 ans. C’est intéressant de voir ce qui a pu se dire ou s’écrire à ce moment-là. Je ne vais pas vous embêter, mais j’ai découvert le logiciel libre avec un article [3] d’un professeur de l’Université de littérature comparée au Québec, Jean-Claude Guédon, qui avait écrit une lettre ouverte à sa ministre de l’Éducation au Québec, en 1998, en lui suggérant d’informatiser les écoles avec Linux, disait-il, non seulement comme outillage mais également comme objet d’étude, avec tout ce que ça pouvait apporter aux élèves parce qu’on pouvait soulever le capot, qu’on était potentiellement contributeur, auteur, autonome, etc.
Si vous le lisez, je ne vais pas le lire. En tout cas en 1998, « en utilisant le logiciel libre non seulement on effectuait des économies spectaculaires sur le matériel, non seulement on se libère des logiques que tentent d’imposer les grandes multinationales – les grandes multinationales de l’informatique étaient déjà là –, mais en plus on se met en relation avec un des foyers les plus vivants de la société qui est en train de se créer, celle de l’intelligence distribuée – le terme est un peu tombé en désuétude, mais on voit bien ce que c’est –, qui ne fait que commencer à faire sentir ses effets et ils vont être majeurs ». Wikipédia ou Netflix n’étaient pas là, en tout cas c’était en germe dans son esprit. « De grandes surprises attendent les instances politiques et commerciales qui ne vont pas bien en saisir les enjeux ». On est bien d’accord !

Quand j’ai découvert ce texte et que j’ai commencé en tant que jeune professeur de mathématique, avec le numérique qui arrivait dans les années 90, tout d’un coup j’ai découvert qu’il y avait une distinction entre logiciel gratuit, libre, etc. Cette sorte de révélation m’a passionné, « bon sang, bien sûr », c’est une lumière qui s’allume comme rarement dans sa vie, j’ai envie de dire. Je me suis dit « il y a quelque chose qui va bien au-delà de l’informatique », Free Software, Free Society, comme dirait l’autre. Je ne vais pas dire que c’est trop important pour être laissé aux seuls informaticiens, en tout cas les informaticiens n’avaient pas forcément le temps de communiquer, de faire de la pédagogie, etc., et puis, en théorie, c’est le cœur de métier des enseignants. Donc voilà comment Framasoft [4] a commencé.

Je l’ai appris plus tard, mais au même moment, en 1998, premier accord-cadre entre une association, l’Aful [Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres], l’Association francophone des utilisateurs – à l’époque ce n’était que de Linux et après ils ont ajouté logiciel libre, c’est aussi une évolution intéressante dans le temps – et le ministère [5]. Je trouve que le préambule est intéressant : « L’Aful apporte son soutien au développement de l’usage du numérique auprès de l’ensemble des établissements d’enseignement français et des enseignants en ce qui concerne l’emploi des ressources informatiques libres et la disponibilité des ressources commerciales liées à l’informatique libre. » Je trouve que c’est intéressant de le libeller comme ça. Par rapport à ce que vous faites, ça m’a frappé et on est en 1998.

Framasoft a aussi fêté ses 20 ans. Je ne sais pas comment vous avez daté votre histoire, c’est peut-être la création de l’association ? Ça doit être ça pour l’ADULLACT. Comme ça a démarré d’abord avec un projet personnel quand j’étais dans un collège à Bobigny, donc c’est le dépôt du nom de domaine, framasoft.net en l’occurrence, c’était en novembre 2001. On a fêté les 20 ans il n’y a pas très longtemps.

Voilà à quoi ressemblait Framasoft au début. Je suis aussi allé rechercher à quoi ressemblait l’ADULLACT au début, ça m’a amusé.

On a un slogan : « Des logiciels libres par tous et pour tous ». Déjà François [François Élie] nous fait un article « Les logiciels libres pour les hommes libres » avec conviction et emphase, comme on le connaît. C’est intéressant parce que je vois, par exemple, « ce qui est à moi n’est pas toujours pour moi », dit François, c’est vrai que c’est intéressant. Et puis sur la droite, si vous voyez, il y a écrit « fichier propriétaire attaché », c’était il y a 20 ans. Cette problématique des fichiers propriétaires attachés n’a pas disparu ; je peux vous dire que les fichiers attachés .docx, c’est vraiment mon cauchemar depuis que je suis au ministère ! C’est enregistré ? Ce n’est pas grave !

L’évolution de Framasoft est peut-être aussi intéressante dans le sens où c’est d’abord un annuaire de logiciels libres et gratuits pour Windows, ça commence comme ça. Après ce n’est plus qu’un annuaire de logiciels libres pour Windows ; après ce n’est plus qu’un annuaire de logiciels libres et puis ça devient un annuaire collaboratif, c’est-à-dire que je ne suis plus tout seul, ça devient une petite communauté.

Je vous ai mis cette slide d’abord parce que je suis très immodeste et pour montrer que j’ai fait une conférence TEDx [6] mais vous voyez l’image, il y a un pingouin qui visite un musée, qui voit un téléphone filaire qui évidemment n’est plus. À l’époque on pensait que Windows allait peut-être rejoindre rapidement le musée ; ce n’est pas le cas aujourd’hui, mais c’est intéressant.

Petite anecdote. J’ai aussi rajouté une slide en retrouvant Richard Stallman il y a deux jours, je ne l’avais pas vu depuis très longtemps. Ce TEDx c’était il y a une dizaine d’années, à Genève. Les conférences TED sont très normées. On se retrouve la veille, on répète les uns devant les autres, c’est quasiment du texte appris par cœur, dix minutes ; c’est toujours en mode projet porté par une personne, entre story stelling et projet, mais surtout, il faut des slides, une dizaine de slides, pas plus pas moins. Et Stallman n’a jamais fait une conférence avec des slides. C’est la seule et unique fois où il a dû faire une conférence avec des slides ! Donc il arrive et il n’a pas de slides. L’organisation, l’association, ça se passe en Suisse, lui trouve deux jeunes graphistes, designers, etc. La veille au soir je les vois, ils sont dans une pièce ; Stallman dirige, dit « voilà ce que je voudrais ». À un moment donné, je vois qu’il part dans une colère folle, j’étais loin, moi-même j’étais en train de préparer, je n’ai pas suivi, mais je vois qu’il s’énerve. Il ne faut jamais énerver Stallman, vous le savez bien ! Je rentre, je me couche, je savais que j’avais une grosse journée. Je fais mon intervention et Stallman intervient juste après moi. Je vous explique pourquoi il s’est énervé : quand il a parlé non pas de Linux, évidemment, de GNU/Linux, regardez ce que ça donne : ça c’est GNU/Linux selon Richard Stallman [portion de cercle GNU énorme, portion Linux toute petite, NdT] et, en fait, les jeunes avaient 50 % GNU et 50 % Linux, ce qui avait énervé Stallman. L’OS libre, selon Stallman, vous voyez la place de GNU et la place de Linux, je trouve ça assez amusant.

Framasoft donc annuaire. On a ensuite senti rapidement que ça allait se déplacer dans le cloud, donc attention aux données personnelles. Il y a eu l’étape de ce qu’on appelle « Dégooglisons Internet » [7], il y a une dizaine d’années, en posant des services web alternatifs. Au départ on prenait du Libre existant, Etherpad/Framapad, etc., et on montrait, en les posant directement, que ça pouvait être intéressant, utile. En fait on posait des services vitrines avec l’idée que les gens allaient s’en emparer. Finalement les gens ne s’en sont pas forcément emparé. Comme on a posé une trentaine de services alternatifs à d’autres services, on est aussi devenu une grosse machine. Ensuite est arrivé le moment de se dire qu’on voulait simplement que les gens s’en emparent, les installe et ça ne s’est pas fait. On a une trentaine de services, on n’a pas les capacités pour.
Après il y a eu le mouvement quasiment de « Déframasoftisons Internet » [8]. Je ne suis plus dans l’association, mais aujourd’hui c’est vraiment la logique des chatons [9], on re-décentralise, l’image c’est souvent l’archipel. Les chatons sont donc des structures qui vont installer les services – PeerTube, Nextcloud, etc. – pour retrouver un peu de décentralisation.

L’évolution est intéressante : un annuaire, ensuite un service web et puis on re-décentralise.

En tout cas je me suis fait connaître d’abord parce que, évidemment, j’étais dans l’Éducation et parce que ayant fondé Framasoft, l’ayant présidée, etc.

Il y a eu toujours eu beaucoup d’enseignants à Framasoft, on a souvent frappé à la porte du ministère, d’ailleurs on nous a parfois reçus : « Oui, ce que vous faites est intéressant, on vous écrira », en gros c’est un peu ça. Quand même peu d’écoute, ce qui fait que, du coup - je n’y étais plus - à un moment donné l’équipe s’est un peu énervée et a écrit un article assez lapidaire « Pourquoi Framasoft n’ira plus prendre le thé au ministère de l’Éducation Nationale » [10] qui a fait beaucoup de bruit, certains s’en souviennent encore au ministère. Donc des relations pas toujours faciles entre l’association, le Libre en général, et le ministère de l’Éducation nationale.

Toujours est-il qu’il y a eu une énième concertation. À la suite du premier confinement où il y a eu quelques ratés techniques chez nous, à l’Éducation, je ne reviens pas là-dessus et, pour un petit peu calmer les esprits, c’est souvent la grande concertation. Ça ne débouche pas forcément sur grand-chose, parfois ça peut être pour noyer le poisson, mais là non, en l’occurrence. En tout cas, il y en a qui se sont exprimés, beaucoup d’enseignants du terrain ont souhaité qu’on utilise davantage de logiciels et ressources libres. Parmi les 40 propositions qui émanaient de cette concertation, qui s’appelait États Généraux du Numérique [11], il y en a une, texto, c’était « favoriser l’utilisation de logiciels et ressources éducatives libres ».

Dans le cadre de la mise en action on m’a contacté, j’étais en Italie à l’époque, « Alexis, veux-tu bien… ». J’étais en fin de contrat, j’ai dit banco. Déjà, symboliquement, je trouve que c’est intéressant. Du coup me voici avec ce titre : chef de projet logiciels et ressources éducatives libres, au sein de la structure qui pilote le numérique éducatif qui s’appelle la Direction numérique pour l’éducation [12]. Symboliquement, en soi, c’est déjà assez intéressant, c’est aussi intéressant de m’avoir pris alors que j’avais été très critique publiquement en tant que président de Framasoft, assez courageux je dirais. Après, le problème c’est que je n’ai pas que des amis dans la structure, on ne va pas se le cacher.

J’ai une deuxième casquette, la mixité dans les filières du numérique, faire en sorte qu’il y ait davantage de filles qui s’orientent dans le numérique. Il aurait pu avoir plus de femmes sur l’estrade pendant ces trois jours, mais je sais ce que c’est, j’organise aussi des évènements, c’est un challenge pour nous tous. Je ferme la parenthèse. Grosse digression.

Territoire Numérique Libre [2]. J’imagine que vous connaissez les grands critères : stratégie et mutualisation ; bonnes pratique numériques ; logiciels et systèmes libres ; communication et écosystème libre ; gestion des données. Ce qui est intéressant dans un label, il y a évidemment la portée communication, etc., mais il y a aussi une structure qui s’interroge et puis l’accompagnement. Je ne connais pas exactement bien les rouages, mais je sais que ça a été fait très sérieusement, les critères ont été bien pesés, avec différents niveaux, il y a un jury, ce n’est pas uniquement l’ADULLACT qui va choisir les lauréats, etc., et je trouve ça très intéressant.

Donc qu’est-ce qui est commun à ce que pourrait être un établissement scolaire labellisé École Numérique Libre, qu’est-ce qui est un peu différent ?

Je vous disais qu’on a beaucoup de labels. Dans l’académie de Montpellier, ici, ils ont des labels numériques [13] – label numérique école, label numérique collège, label numérique lycée –, avec quatre familles de critères : le pilotage de l’établissement ; les infrastructures et les équipements ; le numérique en tant que levier des usages pédagogiques – c’est vraiment une spécificité des établissements ; l’accompagnement et la formation des enseignants.
On va se laisser un temps de questions, mais l’idée c’est : que pourriez-vous attendre de l’éducation dans le cadre de votre travail ? Si, globalement, les gens étaient mieux formés ou si on avait aussi des informaticiens de talent, je pense que ça pourrait être intéressant. Je pense que dans les questions c’est : que pourriez-vous attendre de l’éducation en matière de Libre, Libre éducatif au sens large ? Je suis vraiment sur trois actes : l’acculturation, les usages et la contribution et aussi comment outiller les communautés d’enseignants qui veulent travailler ensemble, puisque quand on veut travailler ensemble et partager c’est quand même plus simple de le faire quand c’est ouvert que quand c’est fermé, je caricature mais c’est un peu ça.

Ce qui est intéressant avec les critères de l’Occitanie c’est que si vous avez le label, alors la région et l’académie s’engagent, notamment par la dotation gratuite d’ordinateurs portables à l’ensemble des élèves de seconde. Je peux vous dire que c’est incitatif ! Il y a du concret, du coup ça marche ! Le label comme une sorte de médaille, j’ai envie de dire, mais là ça s’accompagne de moyens, donc c’est d’autant plus incitatif pour les personnels de direction.

Je ne vais vous embêter avec une liste de critères. Je vais prendre un établissement scolaire dans le Nord. Je présente mes excuses parce que ça va être des copies d’écran de fils Twitter, pour vous montrer un peu un établissement.
Je vous parlais du professeur un peu passionné, geek, qui installe du Libre dans sa salle informatique et puis c’est tout. Là, vous allez voir que c’est quand même un projet multidimensionnel dans l’établissement, qui pourrait se rapprocher d’un établissement numérique libre non pas idéal, en tout cas qui va dans la bonne direction. J’ai été contacté.

D’abord c’est piloté par deux enseignants [Romain Debailleul et Pascal Beel], de sciences, c’est vrai, mais avec le soutien fort de leur proviseur, on est dans un lycée, à Bruay-La-Buissière, dans les Hauts-de France. Ce sont des professeurs de NSI [Numérique et sciences informatiques], une des nouveautés de la réforme du lycée ; dans la réforme du lycée il y a l’informatique. Nous sommes un certain nombre à avoir voulu que l’informatique ne soit pas uniquement un outil transversal, mais une discipline à part entière dès le secondaire. Ce professeur de NSI souligne que des élèves ont fait des projets sur du GNU/Linux avec des outils – VLC, Gimp, Firefox, etc., – du Raspberry Pi aussi, vous voyez les belles boîtes, en soulignant la pédagogie inclusive.
Ils ont aussi testé des solutions pour le primaire, PrimTux [14] qui est une distribution optimisée pour cet usage, qui arrive avec plein d’applications pédagogiques pour les enfants et qui fonctionne sur un Raspberry Pi. Sur un Raspberry Pi, avec une distribution Linux légère, il y a un beau potentiel. Ce que je trouve intéressant aussi c’est qu’ils soulignent que le Raspberry Pi consomme quand même beaucoup moins qu’une grosse boîte, une grosse machine, un gros portable. Il y a cette dimension-là, on revient à l’intervention d’hier sur la frugalité numérique [15].

On invite l’équipe pédagogique à tester tout ça, à en parler, à se former, professeure de philo, professeur de lettres, donc une dimension intéressante, on n’est pas tout seul.

Les élèves reconditionnement les vieux ordis dans l’armoire pour les mettre en salle des profs, mais aussi pour les donner aux familles dans le besoin au moment de la crise, etc., donc chose vraiment intéressante, mais ils se sont heurtés au serveur de l’établissement. La région avait installé ce serveur-là, le contrôlait avec des solutions comme KoXo sous Windows, je ne connais pas bien, mais c’est un serveur Windows, c‘était compliqué, ils n’avaient pas la main dessus, donc ils ont un peu remué ciel et terre pour avoir davantage de liberté, d’autonomie au sein de leur établissement, notamment en ce qui concerne ce serveur. Ils ont vraiment envoyé des lettres partout, c’est d’ailleurs comme ça que je les ai connus, notamment à un député, Philippe Latombe, qui a été rapporteur d’une étude, un rapport sur la souveraineté, le député Latombe a parlé de la souveraineté [16]. Toujours est-il qu’ils l’ont mobilisé et que Philippe Latombe a fait un communiqué de presse que je trouve assez intéressant ; je vais vous lire ce que j’ai souligné : « Alors qu’une tendance avait été amorcée dans ce sens dans les établissements scolaires, s’est développé depuis quelques années, sous couvert de rationalisation des pratiques et de limitation des coûts, la tentation pour les communes, regroupements de communes, conseils départementaux et régionaux finançant les équipements informatiques de vouloir centraliser la gestion des équipements des établissements scolaires en la confiant à leurs propres directions des systèmes d’information. Or, ces dernières s’orientent presque toutes, par ignorance et souci de facilité, vers des architectures similaires à celles déjà utilisées dans leurs administrations. En un mot, une monoculture basée sur les logiciels édités sur Microsoft. »

Peut-être que ça peut vous parler. J’ai essayé de prendre des exemples qui sont convergents avec mon public d’aujourd’hui. On pourra en discuter dans les questions, si je laisse du temps pour les questions.

Donc me voici au ministère de l’Éducation nationale avec cette idée, en fait, de structurer et fédérer ce qui se fait déjà. Je ne suis pas du tout là pour… Ça fait 20 ans que çà et là, de manière un peu éparse, pas forcément coordonnée, il y a du Libre. Ça a commencé par les serveurs, serveurs GNU/Linux. Un petit peu structurer, fédérer, peut-être valoriser. L’Éducation nationale ce sont 800 000 enseignants à bac + 5. Vous imaginez si on arrive à les faire travailler ensemble, en mode collaboratif, ces 800 000 professeurs à bac + 5 ! Ce serait extraordinaire, il y a un potentiel énorme !

Je vous montre deux projets. Il y a en un auquel je suis assez attaché. J’ai ajouté ces projets-là en écoutant les uns et les autres depuis deux jours.

Vous savez que je pousse pour installer une forge, une instance GitLab, pour les professeurs et les élèves. Pourquoi ? D’abord les forges ont évolué, la barrière d’entrée s’est abaissée et on ne partage pas que du langage de programmation en fait. On partage maintenant du texte avec du Markdown, etc.
Là vous avez un professeur de philo – j’aime bien prendre des exemples aussi hors professeurs de sciences et c’est aussi un petit clin d’œil, évidemment, à votre président – avec un cours structuré en mode site web, etc. Le cours est ce qu’il est, mais il est sur GitHub, en tout cas il est sur une forge, et le professeur peut inviter à commiter avec lui, pull requests, issues, ce que vous voulez, vous voyez ce que je veux dire. Imaginez que les enseignants aient de plus en plus d’aisance avec ce genre d’outil ! On peut vraiment collaborer de manière fine. Après c’est sur GitHub, donc serveur américain, by Microsoft, RGPD [Règlement général de protection des données], etc. C’est aussi pour ça que je pousse pour qu’on ait notre forge souveraine à nous.

D’autres usages pour montrer un peu comment les enseignants peuvent s’approprier une forge de façon vraiment différente de celle des développeurs. Vous avez aussi du texte et ce texte comme ça, dans un environnement avec du Node.js, etc., mais, ensuite, il n’y a plus qu’à pousser et ça donne une carte mentale : texte, carte mentale.
Vous voyez en haut un petit code, vous le glissez à l’intérieur même de l’URL, du texte que vous mettez dans l’URL, et hop !, vous avez un petit quiz très rapidement, tout ça à partir de texte, donc c’est vraiment intéressant.
Pour l’instant, tous les enseignants ne sont pas familiarisés avec cet outil, mais je constate qu’il y en a et ce serait dommage de ne pas les fédérer, structurer, leur proposer un hébergement. Et si on est tous ensemble sur une même instance, on peut aussi découvrir les projets des uns et des autres, etc.

On peut aussi faire tourner, exécuter du code, des scripts Python, etc. Ce qui est intéressant également c’est que c’est du texte, c’est du hors connexion, c’est aussi une logique de « on ne va pas réinventer la roue », donc tout ça reparle au numérique responsable.

Vous avez aussi des élèves. Aujourd’hui on a la spécialité NSI, Numérique et sciences informatiques, quatre heures en première et six heures en terminale par semaine, pour ceux qui suivent, sur deux ans, c’est solide, en plus ce sont des pédagogies de projets. Donc vous avez des élèves qui font des trucs vraiment intéressants. Là vous avez quatre élèves, quatre contributeurs, qui sont aussi sur GitHub, malheureusement, dans un projet Pytris, ce n’est pas mal de faire un Tetris à ce niveau, à 16/17 ans, en plus on peut s’aider de tout Internet, donc c’est magique.

Je voulais pointer la forge, puisqu’on a parlé des forges en tout début de congrès, et puis un projet dont vous avez entendu parler, qui s’appelle Apps.education.fr [17], qui me semble intéressant, qui est d’ailleurs une sorte de chaton [9] de l’Éducation nationale. On va prendre des briques, pas forcément 100 % libres, mais majoritairement open source, pour proposer quelque chose d’intégré – c’est important aussi que l’authentification soit unique, c’est un vrai enjeu –, un ensemble de services où on a identifié des solutions libres qui fonctionnent, on les intègre dans un portail, par exemple BigBlueButton, que vous connaissez peut-être ou certainement.

Ce qui est intéressant avec BigBlueButton [18], c’est que non seulement on favorise l’utilisation, mais, et c’est nouveau et franchement je suis content d’arriver au ministère à ce moment-là, on contribue au développement de BigBlueButton. Cette année on a vraiment fait tout un retour d’expérience. On a demandé aux enseignants, aux élèves, de nous dire ce qui va, ce qui ne va pas, ce qu’ils souhaiteraient, etc. On a listé les priorités et on va financer, on est en train de le faire, on finance de l’ajout de fonctionnalités en relation avec la gouvernance du logiciel, ce qui n’est pas évident pour un ministère qui est habitué aux marchés publics, à des trucs hyper-cadrés ; là il faut bosser avec une communauté. En plus, chaque logiciel libre a sa propre gouvernance, ça peut être très communautaire ou ça peut être relativement fermé pour celui qui va committer à la fin, dans le core comme on dit. Là, en l’occurrence, c’est une boîte canadienne qui pilote le logiciel.
C’est intéressant de travailler ainsi. On se retrouve avec un ministère qui contribue, public money, public code comme on dit. On contribue parce que ça répond à nos besoins et c’est versé dans le pot commun, donc c’est une belle idée. Ça c’est avec BigBlueButton.

Pour l’instant, ce portail est encore en phase de rodage, il sera annoncé officiellement à la rentrée. C’est pour tous les enseignants, pour les 800 000 profs et vous rajoutez les agents, donc c’est un million 200 000 agents auxquels on offre ce service.

Il y a aussi un espace Nextcloud [19], donc on offre aux enseignants un drive. Vous connaissez Nextcloud j’imagine, un dépôt de fichiers qui est couplé à de la collaboration avec LibreOffice Online, ce n’est pas Collabora, c’est LibreOffice Online. Donc vous avez des enseignants qui sont tout contents, on leur offre 100 gigas et hop !, ils partagent.

Un blog aussi, donc chacun peut écrire des articles.

Ce n’est pas rien tout ça, c’est à l’échelle nationale et les enseignants n’ont qu’à pousser un bouton pour partager, pour rédiger, pour publier. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de modération à priori. Dans l’Éducation nationale je peux vous dire que d’habitude il y a un circuit : il faut que le truc pédagogique soit tamponné par l’inspecteur, machin, etc. Là, tout d’un coup, on va leur faire confiance et ils vont partager. Évidemment, plein de questions se posent : qu’est-ce qu’on partage ?, l’indexation, le contrôle qualité, etc. N’empêche que pour la première fois, à cette échelle-là, les enseignants ont différents canaux pour déposer, pour partager, même pour collaborer. Il y a aussi un pad, on leur propose un pad et puis la collaboration via LibreOffice Online. C’est vraiment nouveau, c’est vraiment intéressant.

Il y a aussi un espace pour partager les vidéos sur PeerTube [20], alternative libre à YouTube. Peertube m’est cher parce que c’est Framasoft qui est derrière, c’est Framasoft qui pilote PeerTube, donc on se retrouve avec le ministère qui travaille avec Framasoft, qui participe au développement. La dernière version de PeerTube c’était avec des fonctionnalités d’édition de vidéos, c’est-à-dire qu’on peut ajouter un insert avant un cut, après, on peut ajouter une petite image et ça a été financé par nous en collaboration avec Framasoft, donc la boucle est un peu refermée pour moi.

La question que je me pose aussi c’est comment me positionner, comment faire avancer tout ça.

On a organisé la première Journée du Libre Éducatif à Lyon, le premier avril dernier ; François Élie, Nicolas Vivant, quelques autres aussi, quelques-uns parmi vous y étaient. Mon directeur a fait un vibrant discours [21], en commençant d’abord par réexpliquer ce qu’est le logiciel libre, les quatre libertés, etc., disant que le Libre et l’éducation sont à 200 % compatibles, etc., quelque chose d’impressionnant que je voulais vous faire écouter, tant pis. Ça mesure un peu le chemin parcouru. Ce sont des paroles, il y a les paroles et les actes, comme on dit. Prudence ! L’histoire nous a appris que... ! Il n’empêche que c’est vraiment une séquence favorable. Ça fait 20 ans qu’on est là, ça finit par infuser. Si mon directeur a pu faire un tel discours, c’est un peu grâce au travail de nous toutes et tous, notamment l’ADULLACT.

Merci beaucoup pour votre attention et je suis à l’écoute de vos questions.

Questions

Bertrand Lemaire : Première question liée à l’organisation de l’Éducation nationale. Il y a le ministère, c’est très bien ; il y a les académies, il y a les départements et les régions qui ont chacun leur rôle. Du coup un beau discours très théorique au niveau d’une direction ministérielle, c’est encourageant, certes, mais quelle est la situation réelle sur le terrain, étant donné que tous les ordinateurs qui sont donnés aux élèves par les régions ou par les départements sont tous des ordinateurs équipés de Windows et, la plupart, avec Microsoft Office ?

Alexis Kauffmann : Je n’ai pas de chiffres. Un, je n’ai pas de chiffres, deux, j’avoue que la question de l’équipement c’est vraiment le point le plus complexe pour moi. En plus, comment dire, quand l’IT du ministère déploie quelque chose c’est parfois à l’échelle d’un million de personnes, le ministère de l’Éducation nationale est plus grand que l’Estonie, il faut bien mesurer !
Je me suis plus concentré, j’ai envie de dire, sur les enseignants, la pédagogie. Notre spécificité ce sont les ressources pédagogiques qu’on peut partager, etc.

En tout cas je reçois des messages, je suis en contact avec des enseignants/des enseignantes, qui me demandent comment peut-on faire pour installer du Libre du l’établissement ou pour qu’on arrête de nous balancer des ordinateurs propriétaires alors qu’on n’a rien demandé ? C’est vrai qu’on reçoit très souvent ce genre de demande. C’est compliqué.
Je trouve que l’intervention d’hier sur la frugalité numérique [15] est intéressante, ça peut vraiment être un levier pour convaincre ceux qui livrent dans les établissements.
Après on essaye d’avancer. Par exemple il y a un grand évènement, la réunion des maires de France, l’AMF, chaque année, ils viennent à Paris. J’ai demandé à pouvoir avoir un créneau et évoquer ce sujet, on verra bien si c’est accepté. En tout cas voilà !

Malheureusement on manque pas mal de métrique dans l’Éducation nationale de manière globale, c’est vrai. On travaille aussi sur la data, sur l’open data, ce n’est pas moi m’en occupe, mais il y a beaucoup à faire pour pouvoir mieux évaluer, évaluer finement la situation et en tirer les conséquences.

Bertrand Lemaire : On va se retourner vers la salle. Plein de questions. On va peut-être commencer par François Élie.

François Élie : Merci Alexis.
Une première remarque rapide à propos de ce que tu as dit au début. Quand je dis « ce qui est à moi n’est pas nécessairement pour moi », c’est une référence à saint Thomas d’Aquin. Avant que la Révolution française proclame la propriété privée inviolable et sacrée elle ne l’était pas, on peut donc réfléchir à ce qu’était la propriété privée en philosophie.

Comme je suis enseignant, je voudrais simplement signaler un point qui est la collaboration qui a été encouragée par le ministère ; autrefois c’était pour capturer les données et les revendre. Il faut se souvenir que le modèle économique de Canopé c’était ça et c’est peut-être encore ça, c’est-à-dire encourager les enseignants à partager pour ensuite leur revendre ce qu’ils ont produit, donc les enseignants sont échaudés. D’ailleurs, les ressources éducatives massivement utilisées par les enseignants sont à l’extérieur de l’institution, c’est Archambault [22] qui le disait ; là on avait des métriques, la grande majorité des ressources utilisées n’étaient pas dans l’institution. Revenir dessus va être compliqué parce qu’on a pris de mauvaises habitudes qui sont d’aller chercher dans le grand bain nos ressources.

Je reviens sur les collectivités et c’est là que l’ADULLACT a peut-être un rôle à jouer. Le ministère préconise, mais ce sont les collectivités qui payent. Il y a quand même des collectivités qui mettent du GNU/Linux, il y a beaucoup de rectorats, d’inspections académiques qui encouragent l’utilisation de ressources libres, même sous Windows, il y a plein de LibreOffice partout. C’est effectivement aux collectivités de financer intelligemment plutôt que, comme Philippe Latombe le signalait, devenir paresseuses en mettant Windows partout. Mais effectivement si le ministère, si celui qui préconise ne cause pas au plus haut niveau avec ceux qui financent, ça n’avancera pas ! Alors bon courage pour parler à l’Association des maires de France. Je te raconterai des choses, mais là, en version sous-titrée, non enregistrée, je ne peux pas les dire !

Alexis Kauffmann : Ce n’était pas vraiment une question de François, je vais juste dire un mot. Entre d’un côté le mode de production des ressources pédagogiques très cathédrale, qu’on a connu, qu’on connaît encore sur les sites académiques, avec le tampon de l’inspection, les différents jalons, ça met six mois à être publié et de l’autre un peu l’anarchie des réseaux sociaux, Apps.edu [17] propose, quelque part, un entre-deux. Je trouve que c’est intéressant à ce niveau-là.

Ensuite juste une anecdote. Apps.edu propose un ensemble de services qu’on ne proposait pas avant, du coup ce qu’on appelle l’EdTech a un peu occupé l’espace vide. Ici je ne vais pas citer de noms, mais l’EdTech, le monde des startups de l’éducation, était en train de dire un petit peu comme ça : « c’est bien gentil les communs numériques, mais il faut que ce soit encadré et dans un périmètre réduit parce que sinon nous allons perdre des emplois ». Il y a une espèce de tension et peut-être un modèle économique à trouver mais sur des briques open source.

Bertrand Lemaire : Une question là, une question là et une question là. On va commencer par là.

Christophe Dubreuil : Bonjour. Christophe Dubreuil, GIP RECIA.
Deux questions. La première n’est pas une question c’est une affirmation. Aujourd’hui, en termes d’OPSN [Opérateurs Publics de Services Numériques], nous sommes 40 OPSN regroupés autour de Déclic [23]. Dans les 40 OPSN regroupés autour de Déclic, nous sommes les seuls à avoir une dimension complètement transversale, nous travaillons autant pour l’éducation puisqu’on gère les 40 000 postes de travail des lycées, on fait les ENT [Espace Numérique de Travail] pour les lycées, les collèges, etc., et on opère aussi de la dématérialisation pour les collectivités. Je pense que cette dimension transversale permettrait de multiplier un peu ces petits pains, et en amenant nos copains OPSN sur le domaine de l’éducation, peut-être en les guidant un peu parce que c’est une aventure qui est compliquée. Nous, nous venons de l’éducation, nous sommes passés sur les collectivités après, ça a peut-être été plus facile pour nous. Il y a peut-être un terrain à explorer là pour aider ces positionnements à prendre du poids auprès des collectivités, puisque c’est vraiment effectivement, comme le disait François, les départements et les régions qui sont réellement le nerf de la guerre, voire les communes sur les écoles, mais on est encore sur une autre problématique. C’était le premier point.

Le deuxième point c’est sur le site qui est proposé, Apps.education.fr. J’ai une question concernant justement l’ENT. En proposant, au niveau national, des lieux de concertation - si j’ai bien compris le sens de ce qui est proposé – que moi, en tant prof, je trouve fondamentaux, est-ce qu’on ne risque pas d’affaiblir les ENT régionaux qui sont eux aussi des lieux de concertation et de partage pédagogique ? Au départ, le but d’un ENT ce n’est pas que de donner la ressource à un élève, c’est de préparer en amont, de manière collégiale, et de partager ses propres ressources. Est-ce que là on n’a pas une double chose ? Est-ce que ce projet-là ne risque pas d’affaiblir un projet déjà très fragile qu’est le projet des ENT ?

Alexis Kauffmann : La relation avec les ENT est une vraie question. En tout cas, Apps.education.fr c’est pour les enseignants, des espaces de partage, de collaboration pour les enseignants et pas pour les enseignants avec leurs élèves, ce qui reste dévolu aux ENT. C’est vrai que la frontière peut être un peu floue, mais c’est comme ça que c’est présenté. Ce qui est intéressant ici c’est que c’est vraiment de la mutualisation à base de logiciel libre et puis aussi à l’échelle nationale. Du coup, par exemple, je suis sur Nextcloud, je veux partager un fichier avec une enseignante. Je tape son nom, avec l’auto-complétion arrive son nom, je partage avec elle les droits de lecture, d’écriture, etc., c’est à l’échelle nationale. On n’a plus la frontière académique, ce qui me semble intéressant.

Les ENT restent bien en place. Après peut-être que ce projet, à terme, peut faire évoluer les ENT, mais je ne peux pas vous en dire plus à ce stade.

Bertrand Lemaire : Il y avait une question au fond. Présentez-vous bien.

Daniel Coissard : Daniel Coissard, directeur des DSI [Directeurs des Services Informatiques] du département du Rhône. Comme tout département on a la compétence sur les collèges. On finit le plan actuel : l’ensemble des collèges est équipé en Windows mais en logiciels libres pour le reste.

Bertrand Lemaire : Donc LibreOffice, etc.

Daniel Coissard : Oui. On est en train de travailler sur l’écriture du nouveau schéma directeur éducatif, où justement GNU/Linux va être proposé à l’ensemble des enseignants, des principaux. On délivre aussi des tablettes et là, notre souci, c’est qu’on ne trouve aujourd’hui aucune tablette réellement intéressante sous GNU/Linux. De là ma question : est-ce qu’il y a des éléments qui sont faits pour avoir de bonnes tablettes sous GNU/Linux qu’on pourrait mettre à disposition des enseignants et des élèves ? Si on veut développer une filière libre pour l’éducation il y a aussi, peut-être, du travail à faire à ce niveau.

Alexis Kauffmann : Franchement je n’en sais rien. Je ne veux pas m’avancer.
Moi, par exemple, j’essaye de soutenir et de favoriser la contribution, contribution des enseignants entre eux, contribution des élèves, la contribution à des projets comme Vikidia [24] ; pour résumer, Vikidia c’est la Wikipédia des enfants et des ados et c‘est plus facile de le faire avec un beau clavier qu’avec une tablette. Il y a aussi l’objet tablette peut-être à interroger. Là on est au collège, peut-être que c’est plus pertinent au primaire qu’au secondaire, je ne sais pas. C’est déjà, à mon avis, intéressant d’interroger l’objet tablette en soi. On est peut-être plus dans la consommation que dans la contribution ? Point d’interrogation, mais c’est un avis perso.

Ensuite, c’est vrai qu’il y a des projets pour essayer de se dégager un peu de la couche Android, etc., des choses sont en train d’émerger pour les smartphones, donc aussi pour les tablettes. À suivre.

Est-ce que c’est mature aujourd’hui ? Pas certain. Prendre le risque, etc. Il y a aussi Unowhy [25], je ne sais pas si vous voyez. Je n’ai pas de réponse, je suis prudent, mais c’est une vraie question.

Bertrand Lemaire : Effectivement, parce que les appareils Android sont, comme c’est dit, à partir d’une distribution GNU/Linux ; par définition on peut basculer sur GNU/Linux.
Allez-y Monsieur.

Nicolas Vivant : Nicolas Vivant, directeur de la stratégie numérique de la ville d’Échirolles.
Pour répondre à mon collègue lyonnais, il existe une possibilité, un OS qui s’appelle /e/OS, qui est français, c’est Gaël Duval [26] qui est derrière ce truc-là, qui peut-être installé sur des tablettes, qui est un OS libre. Ça peut être intéressant de se pencher là-dessus.

Une autre façon de faire c’est de « dégoogliser » sa tablette Android, c’est-à-dire fonctionner sans compte Google. Pour ça, vous connaissez tous le dépôt Aurora Store [27] qui permet d’installer des applis du Playstore, donc l’ensemble des applis, sans passer par Google Play. Le simple fait de ne pas être connecté avec un compte Google évite déjà toute une fuite de données personnelles, de pouvoir rattacher ça à un compte particulier, de pouvoir croiser les informations et tout ça.

Donc des solutions existent. C’est relativement récent, mais elles marchent plutôt très bien. Là-dessus Aurora Store est vraiment top et permet de faire fonctionner... Après je ne sais pas quelle est votre capacité à imager des tablettes de façon un peu massive pour pouvoir les distribuer, c’est une autre question, mais on commence à avoir des solutions qui existent autour de ça et qui sont intéressantes.

Je voulais rejoindre ce que disait François tout à l’heure sur l’importance de travailler ensemble, collectivités et éducation, notamment parce que le passage au Libre, on en a tous conscience, c’est un changement culturel à opérer. Je crois que c’est intéressant de se poser la question de comment nos enfants ont été biberonnés à Microsoft depuis toujours et la façon dont ils s’y sont pris pour faire les choses. Il y a des choses à retenir de leur façon de fonctionner. Je pense qu’on devrait s’inspirer un peu de leur façon de fonctionner. Aujourd’hui on a des PC qui sont livrés sous Microsoft et nos enfants naissent avec ça. Il n’y a pas de question d’appropriation culturelle autour de Microsoft, ils naissent avec ! d’où l’importance de bosser. J’ai notamment entendu tout à l’heure « voire les communes » ; mais les communes sont super importantes ! Ce sont les premiers contacts des enfants à l’école avec de l’informatique et ils se produisent dans les écoles maternelles et dans les écoles élémentaires.
Il y a des communes qui essaient de faire des efforts pour, justement, passer des écoles sous GNU/Linux, c’est un truc sur lequel il faut absolument qu’on travaille, c’est-à-dire qu’on ait une stratégie commune autour de ça.
On a des personnels de l’Éducation nationale qui sont de vrais relais, que sont les eRUN [enseignant Référent pour les Usages du Numérique] et évidement les IEN [Inspecteurs de l’Éducation nationale], qu’on rencontre régulièrement, avec qui on discute de ces projets-là. Il y a, je crois, une stratégie à penser. Je vois que la volonté politique commence à émerger au niveau de l’Éducation nationale. Par exemple l’idée du label, l’idée d’Alexis d’avoir un label spécifique pour les écoles qui ressemblerait au label TNL c’est un exemple de travail commun, de départ de travail commun, qui peut apporter une cohérence à ce qui est fait.

Si on veut que ce changement culturel opère, il faut qu’on ait des mômes qui arrivent au collège en disant « mais c’est quoi ces PC, c’est bizarre ! », ce serait l’objectif ultime. Je pense qu’il faut aller plus loin. Ça serait bien qu’on se réunisse sur ce thème très particulier de l’interaction entre Éducation et collectivités et qu’on voie ensemble où on met les priorités, ce qu’on peut mettre en place comme outils et tout ça, et essayer de construire un truc en commun. Je pense qu’on aurait une force de frappe beaucoup plus importante.

Bertrand Lemaire : De toute manière, lorsque vous mettez des PC à disposition, il faut les masteriser, que ce master soit un Windows ou un GNU/Linux, fondamentalement en termes de manipulation et en termes de main-d’œuvre, ça revient au même.

Nicolas Vivant : Il y a plein d’écoles où il n’y a pas à masteriser du tout. C’est un PC qui est livré sous Microsoft dans l’état où il est, avec les outils qu’il y a. Il n’y a pas que des grandes communes avec la possibilité de masteriser et tout ça.
En réalité ce n’est même pas du tout la même chose, parce qu’un master Windows c’est au minimum 20 minutes avec Windows 10 sur un PC, un master GNU/Linux, c’est cinq minutes avec un outil comme FOG ou Clonezilla [28], donc ça va même beaucoup plus vite, il y a un vrai gain de performance de ce point de vue-là. Ça veut dire qu’il faut qu’on réfléchisse à des solutions, je crois que ce n’est pas le lieu d’en parler.

Si on se lance là-dedans de façon un peu plus massive que ce qu’on fait aujourd’hui, ça veut dire que, pendant un moment, on va fonctionner dans un environnement hybride, potentiellement des machines GNU/Linux, mais avec un serveur qui lui va être sous Microsoft et tout ça. Il faut qu’on travaille à cette intégration des OS libres dans un environnement hybride pour arriver à quelque chose qu’on est capable de déployer assez massivement.

Vous savez qu’un des grands problèmes qu’on rencontre, qui est lié à cette liberté pédagogique des enseignants et cette décentralisation qui est super intéressante dans l’Éducation nationale, c’est comment faire tourner les logiciels de préparation de cours de nos enseignants en élémentaire sur GNU/Linux. Ils ont acheté des DVD, parfois avec Le Sou des écoles, parfois avec leurs fonds propres, qui leur permettent de concevoir leurs cours et qui ne tournent que sous Windows. Passer une école sous GNU/Linux, ce sont des centaines de DVD à jeter à la poubelle, ce n’est pas acceptable !, il faut travailler là-dessus. Et, quand on arrive avec un déploiement de GNU/Linux dans une école, il faut montrer qu’on a pris en compte ces problématiques qui sont purement des problématiques d’enseignant.

Alexis Kauffmann : Je suis tout à fait d’accord. Il y a l’équipement, mais il y a aussi l’acculturation de manière générale. Je vous ai montré Apps.education, OK, c’est intéressant, mais à côté il y a des enseignants qui ont fait l’expérience, Google Suite, etc., et qui vont vous dire « en termes d’UX[User eXperience], ceci cela », qui vont juste comparer l’efficacité et le fait qu’on est dans un autre paradigme, avec du Libre, leur échappe vraiment complètement. Ça me semble quand même intéressant d’acculturer vraiment enseignants et élèves sur ces questions. Ça bouge un peu. On a des lycées où il y a de nouveaux enseignements. Je ne sais pas si vous avez des enfants qui ont essuyé les plâtres du nouveau lycée. Dans le programme de SNT, Sciences numériques et technologie, en seconde, il y a invitation à contribuer à OpenStreetMap [29], c’est écrit noir sur blanc. Ensuite dans NSI, j’en parlais, vous avez « usage d’un système d’exploitation libre », c’est dans le programme. Ça oblige à s’équiper. Là, pour le coup, tout prof de NSI peut demander à avoir une salle, du moins un ordi avec double boot avec du Libre. Donc il y a, comme ça, des choses qui avancent.

L’acculturation de manière générale, Nicolas, me semble vraiment très importante.

Bertrand Lemaire : Il nous reste à peu près une minute trente. Il y avait une question de Matthieu là-bas.

Matthieu Faure : Merci. Matthieu, chef de projet logiciel libre à l’ADULLACT.
Je voudrais revenir sur la présentation du label que j’ai perçue très orientée, avec la carotte financière qu’il y a derrière, ce que j’entends très bien.

Alexis Kauffmann : C’est juste un exemple de ce que fait l’Occitanie qui est très incitatif parce qu’il y a des moyens derrière.

Matthieu Faure : Je comprends l’effet de levier particulièrement puissant. Je voudrais savoir quels intérêts il peut y avoir, pour des gens de l’Éducation nationale, à candidater à un label ? La première réponse, peut-être un petit peu taquine, c’est « peut-être qu’il n’y en a pas ! », j’en doute un peu ! Quels sont les intérêts des établissements ou des enseignants à candidater ?

Alexis Kauffmann : Disons que c’est engageant parce que c’est vraiment à l’échelle de l’établissement scolaire. C’est incitatif pour le chef d’établissement, même s’il n’y a pas de moyens, ça fait une petite ligne sur son CV, si vous me permettez l’expression, donc ça peut être incitatif aussi à ce niveau-là.
Ce que je trouve vraiment intéressant, c’est que c’est à l’échelle de la communauté scolaire, de l’établissement scolaire au sens large, parce que dans l’acculturation les familles sont aussi sensibilisées et demandent ceci, demandent cela, ou s’étonnent qu’il y ait ceci ou cela alors qu’il pourrait y avoir…, ça fait partie de l’équation, absolument.

Bertrand Lemaire : Une toute dernière question. Allez-y.

Gislain Pongi : Gislain Pongi, Alès Agglomération. C’est plus une remarque. Par rapport à l’appétence qu’il peut y avoir par rapport aux distributions GNU/Linux au collège, on dit que les collectivités doivent fournir dès le plus jeune âge du GNU/Linux. Ce qui est un petit peu oublié quand même dans le propos, c’est que les enseignants, s’ils n’ont pas l’outil qui leur convient, ont tendance à remonter au rectorat que ça ne va pas et, du coup, demandent aux collectivités d’avoir ce dont ils ont envie. Il y a un petit échange qui a été passé sous silence. Ce n’est pas aussi simple que ça et je pense qu’à un moment il faut vraiment que les premiers demandeurs, les premiers moteurs soient néanmoins les enseignants, parce que ce sont eux qui sont face aux enfants.
On peut leur mettre du GNU/Linux, mais si eux-mêmes veulent absolument du Windows, finalement ils finiront par ne pas utiliser les machines ou alors à se plaindre, utiliser leurs propres machine, venir les connecter au TBI [Tableau blanc interactif]. Je me tourne juste vers mes collègues de Montpellier qui ont sans doute aussi des TBI avec un logiciel Promethean qui ne tourne pas sous GNU/Linux, ce genre de chose.
C’est loin d’être aussi simple de démarrer l’open source dès le plus jeune âge. Il y a aussi une part côté enseignant qui doit être très importante, voire qui doit être motrice vis-à-vis des élus pour déclencher la fourniture de matériel avec des OS et des logiciels open source.

Alexis Kauffmann : Absolument. Je n’ai pas dit qu’ils doivent être fournis en GNU/Linux. Ce qui est certain c’est que j’ai évoqué la distribution PrimTux [14], qui, pour un fond de classe au primaire est assez extraordinaire. J’ai un enfant de six ans ; vous pouvez aussi proposer PrimTux aux familles comme ordinateur de leurs enfants, c’est absolument extraordinaire et c’est sous les radars pour le moment. Il y a quand même des choses intéressantes.
Dans l’acculturation, si les enseignants et les professeurs des écoles ne sont pas au courant qu’il y a autre chose que Windows, ils ne risquent pas de le demander !

Bertrand Lemaire : On va devoir s’arrêter là pour cette intervention.

Alexis Kauffmann : Merci beaucoup.

[Applaudissements]