Table ronde Accessibilité - Congrès ADULLACT 2022

Bertrand Lemaire : Bienvenue à cette table ronde sur l’accessibilité.
À ma droite nous avons deux représentants de la FAF, la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France [1], Fernando Pinto da Silva, qui est juste à ma droite et, un petit peu plus loin, Denis Boulay. Ce sont eux qui ouvriront le bal.
À ma gauche, nous avons, tout à fait au bout de la table, Aurore Bouffel de l’Adico [2], Antoine Cao de la DINUM [3] et Matthieu Faure, de l’ADULLACT [4], que tout le monde ici connaît, et qui conclura le premier tour de table.

Dans un premier temps, nous allons faire simplement une présentation des différentes thématiques de la table ronde et ensuite nous aurons une partie débat et questions.

Pour commencer, la FAF va nous présenter, durant à peu près 15/20 minutes, la problématique de l’accessibilité du point de vue d’une fédération de personnes en situation de handicap. Messieurs, je vous laisse la parole.

Fernando Pinto Da Silva : Bonjour à toutes et à tous et merci à l’ADULLACT [4] de nous accueillir aujourd’hui pour parler accessibilité.
Comme Bertrand nous présentait, je m’appelle Fernando Pinto Da Silva et je suis chargé, au sein de la Fédération des Aveugles de France, de la stratégie numérique.

Denis Boulay : Bonjour Mesdames et Messieurs. Denis Boulay, je suis chargé du Pôle accessibilité numérique au sein de la Fédération des Aveugles de France.

Fernando Pinto Da Silva : En quelques mots, rapidement, pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas la Fédération des Aveugles de France est une structure qui rassemble au niveau national, donc aussi bien en métropole qu’en Outre-mer, une grosse cinquantaine d’associations qui œuvrent à améliorer la vie des personnes malvoyantes et aveugles, avec un certain nombre de chantiers, donc, comme vous l’aurez compris, Denis et moi travaillons plus spécifiquement sur le numérique.

En ouverture de cette table ronde, on a jugé qu’il était intéressant de vous montrer un cas d’usage, en l’occurrence le nôtre, pas parce qu’il a valeur d’exemple, pas du tout, mais juste pour, peut-être, donner un peu de chair à ce qu’est l’accessibilité numérique, à comment une personne, par exemple aveugle comme moi, peut utiliser le numérique quand c’est accessible.
Je dis que ça n’a pas valeur d’exemple parce que, en réalité, il faut bien comprendre que l’accessibilité numérique concerne une personne sur cinq dans le monde. C’est un ratio qu’on retrouve dans beaucoup de statistiques au niveau international, on le retrouve aussi en France : 20 % des Français ont besoin de systèmes accessibles ; dans ces 20 %, on trouve des personnes aveugles et malvoyantes, mais on trouve des gens qui ont des troubles – dyslexie, dyspraxie –, on trouve des personnes sourdes, malentendantes, etc. Donc, concevoir un système nativement accessible c’est s’assurer que ces 20 % de la population ne vont pas rester sur le bord du chemin sans pouvoir utiliser le numérique.

Ce que j’ai devant moi, c’est un ordinateur Mac, un vieux Mac que j’ai retapé tranquillement avec un Windows 10 et, dessus, j’utilise ce qu’on appelle un lecteur d’écran. Qu’est-ce que c’est ? Un lecteur d’écran est un logiciel qui va attraper l’information qui va passer par la carte graphique et qui va la rediriger soit, par exemple, vers un périphérique braille, ce que je ne vais pas vous montrer aujourd’hui parce que ça serait un peu long à expliquer et à démontrer, soit – et c’est la solution de facilité que j’ai décidé de prendre aujourd’hui – vers une voix de synthèse vocale. La synthèse vocale que j’utilise est présente sur le système Microsoft Windows 10, donc je n’ai pas eu besoin d’installer de synthèse. La seule chose que j’ai installée, c’est ce fameux lecteur d’écran qui attrape l’information et lui, pour le coup, c’est un lecteur d’écran open source qui s’appelle NVDA [5] pour NonVisual desktop Access, que vous pourrez trouver sur nvda-fr.org, qui correspond à la communauté francophone qui maintient ce lecteur d’écran.
Comment ça fonctionne ? Vous avez à l’écran la page de la région. Si je me mets tout en haut de la page :

Voix du lecteur d’écran, qui lit très vite : Lien « Aller au contenu ».

Fernando Pinto Da Silva : Et que je fais « Lire la page automatiquement ».

Voix du lecteur d’écran : Lien Aller au contenu. Bannière région. Navigation principale. Navigation région. Bouton réduit Votre collectivité. Bouton réduit Participer. Bouton réduit Vous aider. Bouton réduit Vivez l’Occitanie. Bouton sous-menu rechercher.

Fernando Pinto Da Silva : J’arrête. En fait, ça lit toute la page, de haut en bas. Il est bien évident que ce n’est pas forcément comme ça que je vais naviguer, et encore heureux, sinon ça serait très fastidieux. J’ai donc tout un tas de raccourcis clavier, une fois que ce lecteur d’écran est activé, qui vont me permettre de regarder quels sont les niveaux de titres. Autrement dit, ce que l’éditeur de ce site internet a voulu valoriser pour que le contenu soit facilement compréhensible, même si on n’a pas d’appréhension visuelle.
Là, en l’occurrence, je vais taper le raccourci « h » pour aller regarder quel est le titre le plus proche :

Voix du lecteur d’écran : Principales régions cliquables. Région Occitanie, barre oblique, Pyrénées-Méditerranée, titre niveau 1.

Fernando Pinto Da Silva : J’ai donc un titre de niveau 1 qui est Région Méditerranée, ça ne m’intéresse pas spécialement, je vais au titre suivant :

Voix du lecteur d’écran : Que fait la région pour moi ?

Fernando Pinto Da Silva : Ça ne m’intéresse pas non plus. Je vois qu’il est en titre 2, c’est intéressant, ça veut dire que, dans la hiérarchie des informations, il est placé en dessous. Si je continue toujours avec « h » :

Voix du lecteur d’écran : Quoi de neuf dans ma région ?

Fernando Pinto Da Silva : Et encore avec « h » :

Voix du lecteur d’écran : À la une, titre niveau 3.

Fernando Pinto Da Silva : Et là, ce coup-ci, c’est un niveau 3. Donc, dans la hiérarchie des informations je suis encore un cran en dessous.
Ce que j’essaye de vous démontrer paraît très bête. C’est juste pour vous dire qu’une personne aveugle va chercher, en réalité, à comprendre mentalement comment l’information est organisée et, pour comprendre, c’est la façon dont les titres ont été hiérarchisés dans le code source. Ça me permet, alors que je n’ai aucune espèce d’appréhension visuelle de la page, de comprendre ce que l’éditeur a voulu mettre en avant, comment il a rubriqué son site, etc. Et ça me permet, comme vous l’avez vu, de naviguer assez rapidement. En plus, je suis en train de vous parler depuis tout à l’heure, il est bien évident que si je n’étais pas en train de faire une démonstration, j’irais beaucoup plus vite.
Si je regarde, par exemple :

Voix du lecteur d’écran : Lien À Gruissan, des hébergements flottants, écologiques et uniques en France.

Fernando Pinto Da Silva : J’ai ensuite des liens que je vais pouvoir activer pour aller regarder à quoi correspond l’information.
Pourquoi ai-je choisi ce site, puisque, évidemment, j’aurais pu en prendre plein ? D’abord, nous sommes à Montpellier, je pense que ce n’était pas très difficile, mais il y a des choses intéressantes dessus : d’abord il y a une structuration, malheureusement ce n’est pas toujours le cas, on y reviendra tout à l’heure.

Voix du lecteur d’écran : Information sur le contenu. Plan du site. Lien Labo des usages. Liens Accessibilité – Accessibilité non conforme.

Fernando Pinto Da Silva : En réalité, il y a quelque chose dans le pied de page : « Accessibilité non conforme ». Cette mention est ce qu’on appelle une déclaration d’accessibilité [6], c’est une obligation légale, je suis sûr qu’Antoine y reviendra tout à l’heure, donc je ne vais pas nécessairement rentrer dans les détails. Pour faire court disons qu’aujourd’hui tous les sites publics, en France, depuis octobre 2020, doivent présenter cette mention et même certains sites privés qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros. Et moi, en tant qu’utilisateur aveugle, je sais tout de suite, en voyant cette mention, que la région se déclare comme non-conforme en matière d’accessibilité. On va juste aller faire un tour dedans rapidement.

Voix du lecteur d’écran : Visiter Lien accessibilité.

Fernando Pinto Da Silva : Je valide ce lien en faisant « Entrée ». J’ai oublié de le préciser, mais j’ai là un clavier totalement normal, évidemment, je n’utilise pas la souris, donc je fais absolument tout au clavier, ça va de soi, mais avec un clavier qui est totalement standard, ce n’est pas un clavier adapté. La seule chose c’est que, pour pouvoir utiliser un ordinateur, j’ai dû apprendre la dactylo, comme une secrétaire, par exemple, devrait savoir le faire.
Si je vais chercher les niveaux de titres, toujours avec « h » :

Voix du lecteur d’écran : Principales régions. Cliquez sur l’accessibilité, titre niveau 1. Lien partagé sur Twitter. Aucun titre suivant - Lien partagé sur bouton Imprimer. La région Occitanie, barre oblique Pyrénées-Méditerranée porte une attention particulière sur l’accessibilité des sites internet, depuis plusieurs années - Liste de trois éléments

Fernando Pinto Da Silva : Donc là, j’ai tout un laïus, je vais aller encore plus vite et, heureusement, je peux quand même aller de paragraphe en paragraphe, notamment avec « Ctrl Flèche bas », par exemple.

Voix du lecteur d’écran : Carré noir, la formation des agents. Carré noir Déclaration d’accessibilité en cours d’audit, prévue pour juin 2022

Fernando Pinto Da Silva : Là, par exemple, il y a une déclaration d’accessibilité en cours d’audit qui sera publiée en juin 2022. C’est fondamental, parce que ça me garantit le fait de bien comprendre ce qui est en cours. Je vais maintenant donner la parole à Denis sur la base de ce que je viens de vous expliquer en matière de déclaration d’accessibilité, pour que vous compreniez quelle est la petite étude qu’on vient de faire sur 1400 sites et quels sont aujourd’hui les constats qu’on en tire. Denis.

Denis Boulay : Merci, Fernando.
Je prends la suite de Fernando. Vous avez vu, sur l’aspect légal, un certain nombre de choses. La loi oblige les sites publics et un certain nombre de sites privés à être conformes avec des règles d’accessibilité, des critères d’accessibilité qui existent au niveau international depuis un certain temps et qui, dans l’espace français, se concrétisent sous la forme d’un référentiel général d’amélioration de l’accessibilité, le RGAA [7], peut-être en avez-vous entendu parler. Il y a la partie technique – un site doit être rendu accessible techniquement – et il y a aussi une partie déclarative, dont la fameuse déclaration d’accessibilité que vous aviez sous les yeux, ainsi qu’un autre élément assez important, et Fernando a justement mis le focus dessus, rapidement, sur la page d’accueil du site de la région, c’est « Accessibilité non conforme » dans ce cas-ci.
Ça veut dire que tout site soumis aux obligations légales d’une déclaration d’accessibilité doit, techniquement, réaliser un audit sur un échantillon de pages du site qui est visé, du service en ligne qui est visé, en déduire un pourcentage du niveau d’accessibilité et, à partir de ce pourcentage d’accessibilité :
si le pourcentage est 100 %, mettre sur la page d’accueil la mention obligatoire « Accessibilité : totalement conforme » ;
si le résultat n’est pas 100 % mais supérieur à 50 %, indiquer sur la page d’accueil « Accessibilité : partiellement conforme » ;
enfin, si le résultat de l’audit est inférieur à 50 % de conformité au fameux RGAA [7], la mention affichée sur le site web sera « Accessibilité : non conforme » ; c’est le cas notamment pour celui de la région, en tout cas, tel qu’il est évoqué ici.

Au niveau de la Fédération des Aveugles de France, nous avons décidé de prendre un échantillon assez large de sites web soumis à obligation légale.
Sur 1400 sites, 70 % sont des sites publics, le reste ce sont des sites privés, des sites du CAC 40, des choses comme ça.
On a donc décidé – manuellement pour le moment – de vérifier. Tout ce qu’on vient d’évoquer, ce sont des données publiées sur le site web, donc publiques. On a donc essayé de référencer l’ensemble des sites qui publiaient à la fois une déclaration de conformité ainsi que la petite mention sur la page d’accueil, de voir ceux qui faisaient à moitié le travail, par exemple publient uniquement une déclaration de conformité sans forcément mettre la mention sur la page d’accueil – on l’a fait pour le public, on l’a fait pour le privé – et on a essayé de dresser et de croiser un certain nombre de chiffres.
Je vais y venir au résultat dans quelques instants.

Il faut signaler que l’accessibilité numérique en France est quasiment obligatoire, dans les faits, depuis 2012. Même si la loi et les décrets sont antérieurs, en 2012 l’ensemble des sites web publics, français en tout cas, devaient déjà être accessibles et publier une preuve de leur mise en accessibilité.
En 2014, l’association Braillenet [8] a publié une étude qui s’appelait « Ce que les sites web publics nous disent de leur accessibilité ». J’avais pris un échantillon un peu plus court que celui qu’on a fait là, 602 sites, ce qui n’était pas rien, uniquement sur le public, et il s’avérait que simplement 22 sites sur 602 avaient fait un travail de déclaration d’accessibilité, ce qui représentait 3,7 % de sites, sur un échantillon quand même non négligeable, qui avaient produit une preuve de mise en accessibilité de leurs services en ligne.

On a le chiffre de 3,7 % à l’esprit. Avec la publication de l’étude [9] sur les 1400 sites le 19 mai dernier [2022], pour le secteur public uniquement, on est passé de 3,7 % à 14,6 % en sept ans. C’est-à-dire que, indéniablement, il y a une augmentation, ça augmente, c’est indéniable, inattaquable. Maintenant on est 17 ans après la loi de 2005, 7 ans après la première mesure. C’est multiplié, certes, mais on pouvait s’attendre quand même à ce que la prise en charge de l’accessibilité, au moins au niveau déclaratif – qui reste une obligation légale, on est bien d’accord – puisse être effective. Là, je parle de la déclaration d’accessibilité, c’est-à-dire le document que vous avez sous les yeux.
Maintenant, au niveau de la mention sur la page d’accueil, on n’est plus à 14,6 %, on est tombé à 7,5 % de l’échantillon des sites publics. Je ne veux pas dire no comment, mais vous voyez que c’est très faible en 2022.
Pour faire une petite comparaison avec un échantillon, certes un peu plus court, sur les sites privés soumis à obligation légale, avec un chiffre d’affaires, je rappelle, égal ou supérieur à 250 millions d’euros, ce qui doit représenter, en France, entre 1400 et 1500 entités, eh bien là, on tombe à 7,5 % de sites qui ont fait une déclaration d’accessibilité et uniquement à 2,7 % de sites qui ont fait cette mention sur la page d’accueil, qui est, elle aussi, obligatoire. Donc voilà un petit peu l’état des lieux.

Là encore, on a fait une étude sur l’aspect déclaratif des choses, d’accord, et ça ne veut pas dire que ceux qui déclarent mentionnent systématiquement « 100 % de conformité, totalement conforme ». Parmi tous ceux dont je viens parler, les quelques pourcentages de sites qui ont fait le travail déclaratif, donc obligatoire, la majeure partie ça va être des sites « non conformes », « partiellement conformes », c’est la plus grande part, et, de manière très réduite, ça va être des sites avec 100 % de conformité, donc qui déclarent 100 %, donc « Accessibilité : totalement conforme » ; l’échantillon est encore plus petit, je n’ai même pas fait le calcul parce que c’est vraiment très faible.

On a donc fait cette étude sur « travail déclaratif » et, là encore, on n’a pas pris chacun des 1400 sites où on a regardé les 106 critères du RGAA manuellement pour vérifier la réelle accessibilité des sites. On a vraiment pris sur la partie déclarative, qui fait partie de l’enveloppe, on va dire légale, de ce qui est demandé à chacun de ces sites soumis à obligations légales.

Voilà en quelques minutes.
On a, par exemple, sectorisé un petit peu les 1400 sites, notamment dans les sites publics on a fait les universités. En France, il y a 59 universités, 57 ne produisent ni déclaration de conformité, ni mention sur la page d’accueil, uniquement 2 qui vont faire le travail déclaratif : l’université de l’Île de La Réunion et l’université d’Orléans. On a donc pu montrer qu’au niveau des ministères, au niveau des collectivités territoriales, on a pu inclure les départements, les régions, les grandes communautés de communes et urbaines, c’est pareil, on tombe à des chiffres qui sont malheureusement très faibles. De toute façon, pour arriver à 14,6 % de sites qui ont fait une déclaration de conformité, vous imaginez bien que c’est relativement faible en règle générale.

Les meilleurs élèves vont être les sites des ministères les plus importants, les chiffres arrivent à peu près à 50 % de sites qui font bien le travail déclaratif. Idem au niveau privé, c’est plutôt les sites qui ont un gros chiffre d’affaires, notamment ceux du CAC 40, qui montrent une certaine connaissance de leur obligation légale, on va parler de ça, qui tirent vers le haut les chiffres, mais les chiffres globalement, comme vous avez pu le constater, sont très faibles.
Je vais terminer cette petite présentation et je repasse la parole à Fernando.

Fernando Pinto Da Silva : Très brièvement, vous dire que faire de l’accessibilité c’est fondamental pour nous garantir, à nous personnes notamment en situation de handicap, de pouvoir accomplir les démarches : remplir sa déclaration des revenus, ce qui n’est toujours pas complètement accessible au moment où je vous parle ; c’est, par exemple, pouvoir prendre un rendez-vous pour renouveler sa carte d’identité avant de partir en vacances. Le système qui a été adopté par ma commune, par exemple, n’est pas accessible, donc pas la possibilité de prendre un rendez-vous. Ce sont tous ces genres de choses du quotidien qui vraiment nous impactent et, comme vous l’aurez sans doute compris, en tout cas même si c’est très bref, au travers de la démonstration, ça ne nécessite pas de mettre en place, par exemple, des versions audio de sites internet, puisque, en réalité, on a déjà les outils qui vont bien pour vocaliser, si on en a besoin, ou pour mettre en braille. C’est simplement appliquer les fameux 106 critères [du RGAA]. Je pense que d’autres, autour de la table, vont vous en reparler. Je vous remercie pour votre attention.

Bertrand Lemaire : On va justement tout de suite passer à l’aspect réglementaire et contrôle de la réglementation avec Antoine Cao, qui opère au sein de la DINUM [3].

Antoine Cao : Bonjour à toutes et à tous. Je suis Antoine Cao, je travaille à la Direction interministérielle du numérique, j’essaye de ne pas utiliser d’acronymes puisque, justement, les acronymes ne sont pas accessibles. Je travaille au sein de cette direction dans un pôle qui s’appelle Design des services numériques, qui s’intéresse donc à la qualité des services numériques, avec tout un ensemble d’activités. Pour ma part, je suis plutôt en charge du fameux Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité, qui a été évoqué par mes collègues précédemment, sur ses deux aspects, c’est-à-dire à la fois les aspects des obligations au sens réglementaire et les aspects techniques qui permettent de vérifier la conformité à ces obligations, les fameux 106 critères qui ont été évoqués. Je fais donc en sorte que, justement, on puisse faire évoluer ça puisque, comme les technologies, les solutions évoluent en permanence, il faut aussi maintenir à jour toutes ces parties-là.

Je voudrais juste rajouter un élément par rapport à ce qui a été indiqué par Denis. Dans les évolutions réglementaires, il y a effectivement la déclaration d’accessibilité, qui est devenue obligatoire, la mention, mais il y a également un troisième élément, parce que ces deux premiers éléments n’indiquent que la situation. Le troisième élément, c’est « quelle est la stratégie d’amélioration que vous avez prévue ? ». On sait que vous n’allez pas le faire sur un an, donc c’est prévu sur plusieurs années. Ce qui se fait sur plusieurs années, on l’appelle habituellement pluriannuel – c’est assez simple – et l’orientation que vous allez donner à votre stratégie d’amélioration des anomalies que vous avez déclarées, vous le faites en publiant – c’est une obligation – un schéma pluriannuel d’amélioration de l’accessibilité qui a une portée maximale de trois ans.
Voilà pour compléter sur l’aspect, je dirais, des obligations réglementaires.

Bertrand Lemaire : Il y a aussi un observatoire ?

Antoine Cao : Il y a un autre élément que je voudrais corriger par rapport à la présentation que vous avez faite de mon activité. Je définis, je participe, puisque je suis le principal prescripteur – après ça passe par tout le circuit interministériel de validation, etc., via les éléments qui sont portés par la réglementation – et je porte également tout ce que sont les critères opérationnels de vérification, donc des critères techniques. Je ne suis pas organe de contrôle, je ne peux pas être à la fois le juge et l’arbitre.

Bertrand Lemaire : C’est un peu logique.

Antoine Cao : En fait, la mission de contrôle n’est pas assurée par la DINUM [3]. On me pose beaucoup de questions par rapport à ce contrôle.

Bertrand Lemaire : Dans ce cas, qui contrôle ?

Antoine Cao : Les textes ont prévu qu’il y ait une autorité de contrôle qui soit définie par un arrêté conjoint par les ministres en charge de la politique du handicap, donc ils sont plusieurs : le ministre en charge du Numérique et le ministre en charge des Personnes handicapées. On attend toujours cet arrêté, malheureusement !, je ne suis pas dans le circuit d’écriture des arrêtés. Je sais qu’il y a des discussions, que c’est remonté très haut, surtout avec la volonté politique qui nous a été donnée de faire en sorte que le numérique ne crée pas une fracture supplémentaire, tel que vous l’avez signalé, que ça réussisse l’inclusion, c’est pour ça qu’on parle de qualité ou de design des services numériques dans notre activité, mais, malheureusement, on n’a pas de noms et actuellement, avec la situation électorale dans laquelle nous sommes, comme ça va dépendre de ministres, on ne sait pas qui sera en charge.

Bertrand Lemaire : Ceci dit, si vous me permettez, ça fait quand même trois ans, quatre ans, que la Défenseure des droits, très régulièrement, vient taper sur la e-administration, on s’en est fait l’écho sur CIO [Site IT News Info] et sur Le Monde Informatique à plusieurs reprises, parce que, précisément, la e-administration n’est pas accessible, n’est pas conforme à l’égalité de traitement des citoyens et la DINUM [3], finalement, n’a pas réagi sur ce point de vue-là. Il y aurait peut-être quelque chose à faire, au-delà de l’organisme de contrôle, on comprend bien que vous ne pouvez pas le faire, par exemple inclure dans le code des marchés publics l’obligation que les marchés de prestations numériques s’appuient sur le RGAA, ça pourrait être prévu par un autre circuit. Est-ce que c’est possible de l’envisager ?

Antoine Cao : C’est déjà fait. Mais vous savez, dans une réponse à un marché, les candidats, avant de devenir titulaires, disent « on va faire ça, ça, ça et ça, on s’engage ». Après, le problème n’est pas que l’engagement, il y a aussi : est-ce que vous avez prévu des réfactions de réception parce que ce n’est pas conforme ? Généralement vous ne les avez pas écrits.

Bertrand Lemaire : C’est ennuyeux !

Antoine Cao : C’est ennuyeux parce que ça n’est pas dans les modalités administratives, c’est dans les modalités techniques. Vous voyez ce que je veux dire ? Et c’est l’argument que prennent les titulaires, ils disent : « Vous n’avez pas prévu, etc., donc ce que vous me demandez c’est une évolution », alors que ce n’est pas une évolution, c’est de la base, on est bien d’accord.

Bertrand Lemaire : Non, bien sûr, c’est le cahier des charges officiel.

Antoine Cao : Mais c’est l’argument que prennent très souvent leurs services juridiques. Moi, je ne suis pas juriste, je ne suis pas là pour me batailler sur ces principes-là, j’essaie de conseiller un certain nombre d’entités ministérielles, puisque mon périmètre est surtout ministériel, de ne pas s’appuyer uniquement sur les clauses administratives du respect des référentiels généraux, puisque je suis en charge plutôt des référentiels généraux. Vous avez le RGPD [10], vous avez le RGS [Référentiel général de sécurité] [11], le RGI [Référentiel général d’interopérabilité] [12] et le RGAA, moi je m’occupe plus du RGAA ; en fait, ils sont quand même déjà implicitement obligatoires. Tous. Mais ce n’est pas pour autant que tout le monde les suit. Et malheureusement, celui qui est le moins suivi, c’est le RGAA, on le voit depuis un certain nombre d’années.

Bertrand Lemaire : Il faut dire que lorsqu’on ne respecte pas le RGS, c’est l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information] [13] qui se fâche tout rouge.

Antoine Cao : Pour expliquer, quand vous avez fait votre étude, pourquoi un certain nombre de mentions n’ont pas progressé de la même façon que sur la déclaration ? L’obligation de ces mentions n’est apparue qu’avec l’évolution de la réglementation depuis 2016, avec, également aussi, la transposition d’une réglementation européenne qui a été faite en 2019. Donc, en fait, il n’y a que trois ans qu’on a cette partie d’obligation avec les entreprises privées sur les trois mentions et ça a donné lieu aussi à une évolution de l’aspect technique, je la connais bien puisque j’en suis le principal instigateur, pilote et porteur, ainsi nous sommes passés de la version 3 du RGAA à la version 4. De façon mnémotechnique, la version 4 amène quoi ? L’accessibilité numérique toujours obligatoire, premier facteur ; la déclaration d’accessibilité, deuxième facteur ; la mention obligatoire, troisième facteur ; et le quatrième, le schéma pluriannuel. RGAA 4 = quatre facteurs. C’est facile de s’en souvenir pour vous, c’est un petit moyen.

Avec ces trois facteurs supplémentaires qui ont été rajoutés, l’énorme différence qu’il y a c’est qu’il n’y a pas de sanctions au fait qu’on n’ait pas suivi l’accessibilité numérique ; on pénalise les utilisateurs, mais il n’y a pas de sanctions ! Alors que, pour les trois autres, des sanctions sont prévues : vous prenez un risque juridique et un risque financier, ça a été prévu par la loi, c’est aussi ça la grande différence. Et on espère que ça fera, peut-être, bouger les choses.

Bertrand Lemaire : En France, si ce n’est pas puni, on s’en fout, quoi !

Antoine Cao : Ce qui manque effectivement, comme vous le signalez, c’est l’organe de contrôle qui permettra justement d’avoir... Mais ça va marcher comme pour tous les autres systèmes de contrôle : soit c’est lui-même qui fait le contrôle, soit il reçoit des informations pour qu’il aille contrôler et après il va calculer la sanction, etc.

Bertrand Lemaire : Par exemple l’Arcom [Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique] [14], ça serait possible ?

Antoine Cao : Je ne sais pas, je ne suis pas dans les discussions de qui on va être nommé, sur quels arguments, etc. Par contre, je peux vous dire qu’actuellement je me base sur une directive européenne qui était la directive d’accessibilité des sites internet du secteur public, qui a donné lieu à ces évolutions, à ce schéma, etc., mais une autre directive est en cours de transposition, qui sera applicable pour 2025, dont le texte doit être transposé pour 2023 au niveau de chaque État membre, qui est l’accessibilité de tous les produits et services [15]. Donc ça ne touchera pas que les entreprises de plus de 250 millions d’euros, mais tous les fournisseurs de prestations de services et de produits à destination des usagers.

Après, je ne sais pas quel sera le référentiel de vérification de conformité sur l’ensemble de ces produits et services. Ce que je peux dire d’entrée de jeu, c’est que je n’ai pas la compétence, ou la DINUM [3] n’a pas la compétence, dans certains périmètres. Donc, forcément, il faudra que ces méthodes de vérification soient portées par d’autres ministères ou d’autres entités qui ont la compétence.

Bertrand Lemaire : Justement, puisqu’on parle de mise en compétence, Aurore Bouffel vous travaillez à l’Adico [2], est-ce que, pour commencer d’ailleurs, vous pourriez présenter l’Adico [2] ?

Aurore Bouffel : Bonjour à tous.
Je suis Aurore Bouffel, chef de projet Accessibilité et Sobriété numérique et j’interviens pour l’Adico [2] qui est l’Association pour le développement et l’innovation numérique des collectivités territoriales. Nous sommes basés à Beauvais, dans l’Oise, et nous pouvons être qualifiés d’OPSN, opérateur public de services numériques, c’est-à-dire que nous accompagnons les collectivités territoriales dans leur transformation numérique. Ça c’est pour l’introduction.

Aujourd’hui, je viens vous parler plus précisément de notre service RGAA, service accessibilité numérique. Ce service-là, pour replacer le contexte, a été créé début 2020 à peu près. Pour ma part, j’ai eu la chance de le rejoindre un an plus tard, courant été 2021.
Ce service, à sa création, a rapidement eu deux objectifs à remplir. Un premier objectif c’était de pouvoir accompagner nos collectivités territoriales sur les questions d’accessibilité numérique, puisque, comme ça a été présenté avant, des obligations juridiques doivent être respectées par les collectivités, donc il fallait les accompagner sur ce sujet-là, puisque ce sont des questions techniques qui nécessitent des compétences particulières qu’elles n’avaient pas forcément en interne. Et, en parallèle de cet objectif, l’objectif était également de mener la démarche en interne, et c’est plus particulièrement sur ça que je vais m’exprimer aujourd’hui.

Pourquoi amener cette démarche en interne ? Déjà, tout simplement, parce que c’était une obligation également pour nous, de par notre structuration. Et, tout simplement aussi, dans une démarche d’exemplarité : c’est plus facile d’amener un sujet si on est soi-même lancé dans la démarche ; on pouvait être sûr qu’on allait rapidement nous renvoyer vers nos propres responsabilités si on se permettait de faire des leçons sans nous-mêmes nous appliquer ces mêmes bonnes pratiques et ces mêmes règles, d’ailleurs, il faut parler de règles en matière de RGAA.

Sur cette thématique de l’accessibilité, des premières actions ont été réalisées dès 2020. Tout d’abord de la formation puisque, comme je le disais, l’accessibilité numérique est un sujet technique et s’il y a énormément de ressources en ligne pour vous aider à comprendre le sujet, à monter en compétences, rien ne remplace une formation par un organisme qui est compétent et reconnu en la matière. En tout cas, c’est ma vision des choses, puisqu’il faut vraiment comprendre ce qu’est le RGAA, les implications, quelles ont été aussi les volontés au moment de sa rédaction. Il y a des choses qu’on ne peut pas comprendre simplement en lisant le texte brut. La formation est donc un préalable indispensable.

En parallèle, des premiers audits ont été réalisés puisque, comme vous l’avez compris, l’audit de conformité est un passage indispensable pour la conformité aux obligations réglementaires.
Des premiers audits sur notre site principal, évidemment, et, au fur et à mesure, on a étendu aux sites que nous proposons à nos collectivités. Et surtout, en parallèle de ça – et c’est sur ça que je vais m’arrêter un peu plus longtemps – on a adopté notre premier schéma pluriannuel de mise en accessibilité, on vous en a parlé un petit peu juste avant.
Ce schéma c’est vraiment la colonne vertébrale, la base de travail pour une mise en accessibilité réussie tout simplement puisque, au-delà des déclarations de bonnes intentions, si on veut que l’accessibilité puisse progresser, il faut avoir un plan d’action défini, des échéances fixées, des objectifs précis pour pouvoir suivre l’avancée et les réussites, les échecs, pour pouvoir avancer à vue, en tout cas.

Ce schéma pluriannuel de mise en accessibilité est d’autant plus important à l’Adico [2] qu’il est rédigé, proposé à la direction et accepté par celle-ci. Il est donc vraiment endossé par la direction avant d’être diffusé auprès de toutes les équipes de l’Adico [2], ce qui montre que c’est vraiment quelque chose d’important pour notre structure, qui va devoir s’intégrer, finalement, dans tous les projets de l’Adico [2].

Dans ce schéma pluriannuel, il y a différents grands axes de travail qui ont été identifiés.
Tout d’abord, la sensibilisation. La porte d’entrée de l’accessibilité numérique c’est vraiment sensibiliser les équipes de l’Adico [2] au sujet afin qu’elles y pensent, afin que ce soit intégré dans tous les projets. Ça passe par des ateliers, par la diffusion d’informations en interne. On a des canaux de discussion sur lesquels, dès qu’il y a des actualités en lien avec l’accessibilité numérique ou, plus largement, sur le sujet du handicap, on va les diffuser via les canaux afin de sensibiliser et que nos collaborateurs aient ça à l’esprit en toutes circonstances. Sensibilisation aussi vis-à-vis de nos adhérents sous forme de webinaires, d’articles, de guides pratiques, selon les prestations. On essaye vraiment d’intégrer l’accessibilité dans tout ce que l’on fait. C’était pour la sensibilisation.

On a un axe de travail sur la communication. Le service communication n’est pas le seul concerné par l’accessibilité numérique, mais c’est quand même un acteur privilégié sur cette thématique-là. On a un donc travail plus avancé avec eux, des livrables particuliers pour répondre à leurs besoins, pour les accompagner dans leurs missions.

À côté de cela, on a un axe Projets Adico [2]. Dès qu’il y a des questions d’accessibilité numérique à soulever, on fait en sorte que ça le soit et on en discute en interne sur les projets qui en ont besoin. Par exemple, on a proposé un agenda des obligations d’une mairie. On a fait une version accessible de cet agenda pour qu’elle soit diffusée au besoin pour les mairies qui auraient des secrétaires en situation de handicap, c’est un exemple parmi d’autres.

Et enfin, un dernier axe de travail sur les sites web, qui est un des autres gros services impactés, à l’Adico, par l’accessibilité numérique. On fait des groupes de travail privilégiés avec eux pour s’assurer que les sites web que nous proposons aux collectivités soient aussi accessibles que possible. On n’est pas sur un engagement à 100 % d’accessibilité, on fait au mieux pour s’en approcher, mais, encore une fois, c’est quelque chose de technique qui nécessite du travail dans la durée pour atteindre cet objectif des 100 %, on l’espère, au bout du chemin.

Et en parallèle de ce schéma, j’aimerais aussi mettre l’accent sur un travail de mutualisation à l’échelle de Déclic [16]. Déclic c’est notre réseau national des OPSN qui fédère sur tout ce qui va être nos missions, nos compétences. Il faut savoir qu’on travaille aussi à l’accessibilité numérique à cette échelle-là. Donc, d’une part, sensibiliser les OPSN à cette thématique, qu’ils puissent eux-mêmes mener leur démarche, se mettre en conformité à leur échelle, voire, s’ils le souhaitent, monter en compétences sur l’accessibilité numérique pour pouvoir accompagner leurs collectivités, leur territoire, sur cette problématique-là, qui reste encore aujourd’hui, malheureusement, très méconnue des collectivités territoriales ou parfois, connue, mais pas encore bien prise en charge par les collectivités. On souhaite vraiment diffuser ce sujet-là auprès de nos collectivités, il faut donc que ça passe par les OPSN qui vont pouvoir faire rayonner le sujet, chacun sur son territoire au niveau français.

Il fallait aussi que je précise un peu vers quoi j’allais pour la suite. À l’avenir, qu’est-ce que va être l’accessibilité numérique pour Adico ?
Aujourd’hui, on est sur un gros travail de répertoriage de nos services de communication publique en ligne, c’est un gros travail puisqu’on en a un certain nombre. On doit les identifier pour pouvoir voir ce qu’il est nécessaire de faire pour les mettre en conformité, d’une part, au niveau de la réglementation, et voir comment on va pouvoir les améliorer pour qu’ils soient toujours plus accessibles aux personnes handicapées. Ce travail-là est en train d’être mené. On va même un petit peu plus loin en identifiant aussi les services de communication publics, en ligne, qu’on propose à nos collectivités, dans l’idée aussi de pouvoir améliorer ces supports-là pour qu’elles-mêmes puissent respecter leurs obligations. Il y aura donc tout un travail à mener en interne auprès de nos services, mais aussi auprès des prestataires qui sont derrière certains de ces services, pour les interroger sur leur prise en compte de l’accessibilité, voire, peut-être, entamer des discussions, les accompagner pour essayer de mettre ça en avant. C’est donc un travail qui est mené.

En parallèle, on maintient notre niveau d’accessibilité en interne. On n’y est pas encore, on a encore du travail, notamment sur les documents bureautiques, puisque énormément de nos livrables sont des documents bureautiques, et ceux-ci doivent eux-mêmes être accessibles lorsqu’ils sont diffusés en ligne. Donc on fait ce travail-là même au-delà de ceux qui sont diffusés en ligne, on souhaite, à nouveau, que ce soit accessible au plus grand nombre et respectueux du RGAA.

En parallèle à notre travail, celui d’adopter un nouveau schéma pluriannuel de mise en accessibilité puisque l’actuel arrive à son échéance. On va donc devoir se fixer de nouveaux objectifs pour trois années de plus.

Et enfin, pour élargir un petit peu et finir mon intervention, je vais aussi me former à la certification Opquast [17], tout simplement parce que beaucoup de prestataires avec lesquels je peux échanger dans le cadre de mes missions mettent en avant cette certification pour valoir de compétences en matière d’accessibilité numérique. C’est donc intéressant d’avoir cette certification-là pour comprendre un petit peu leur approche de l’accessibilité numérique et pour mieux communiquer avec eux.

Bertrand Lemaire : Il se trouve qu’il aurait dû y avoir une sixième personne à cette table ronde, en l’occurrence Sylvie Goldfain, qui, elle, est côté entreprise, qui réalise notamment les audits, mais pas seulement. Vous avez beaucoup mentionné la formation. J’ai eu Sylvie Goldfain hier au téléphone, assez longuement, qui m’a expliqué ce qu’elle aurait voulu pouvoir défendre aujourd’hui. Ce sujet de la formation lui tient beaucoup à cœur quand on rentre dans la discussion. J’ai été assez étonné de ça : dans les écoles de design web, dans les écoles d’informatique, eh bien on ne parle pas du tout d’accessibilité, ce qui implique de devoir former à nouveau les gens derrière, notamment dans les collectivités locales, mais aussi dans les entreprises. Ça m’a beaucoup surpris que le sujet ne soit même pas abordé en formation. Donc là aussi, peut-être, un rôle militant à avoir auprès de l’Éducation nationale. Monsieur Cao ?

Antoine Cao : C’est encore ! [Geste avec les doigts, NdT]. Dans les actions que nous menons pour essayer d’améliorer cette prise en compte, il y a l’inscription d’un certain nombre de modules de formation, puisque différents types de postes, de fonctions sont concernés, ceux qui sont sur la communication, ceux qui sont sur le développement, ceux qui produisent des documents bureautiques, les assistantes de direction, les secrétaires généralement, les directeurs eux-mêmes, les cadres, les agents, etc. Donc tout un ensemble de formations et de modules de formation qui prennent en compte l’accessibilité numérique sont maintenant, puisque c’était dans les discussions, inscrites dans un document dont je ne connais plus le nom exact. Excusez-moi parce que je suis pas du monde de l’éducation, mais une sorte de schéma directeur des éléments de l’éducation.
Il y a également la mise en place d’une plateforme d’autoformation qui va être déployée en interministériel, qui est en expérimentation, qui était issue de l’Éducation nationale qui est passée, je ne sais plus, à la DGAFP, la Direction générale de l’Administration de la Fonction publique, qui s’appelle Mentor [18], dans lequel il y a déjà deux modules sur l’accessibilité numérique qui sont prévus.
Des travaux ont également été faits avec cette fameuse Direction générale de l’Administration et de la Fonction publique, puisqu’elle couvre tous les versants de la fonction publique, État et territoriale. L’accessibilité numérique va être inscrite dans leur catalogue et c’est officiel. Ça a quel impact ? Ça veut dire, en fait, que tous les services RH des administrations publiques auront dans leur catalogue des formations proposées aux agents pour leur évolution de carrière des modules d’accessibilité numérique. C’est quelque chose qui me tenait beaucoup à cœur. Après, il fallait trouver le bon niveau, mais c’est en cours.

Un autre élément, puisque vous avez parlé de vos travaux sur le schéma pluriannuel, je le connais par cœur, évidemment, puisque j’ai contribué à rédiger son contenu et ses attentes.

Bertrand Lemaire : Attendez, avant qu’on attaque ce point du schéma directeur pluriannuel, M. Pinto Da Silva voulait apporter une précision.

Fernando Pinto Da Silva : Je voulais juste compléter sur la formation, puisque, évidemment, c’est une préoccupation qu’on partage avec Sylvie Goldfain. En me présentant, je n’ai pas précisé qu’une de mes autres casquettes c’est d’être vice-président du Conseil national consultatif des personnes handicapées [19], une structure au niveau national qui statue sur tout ce qui concerne de près ou de loin le handicap en général. Une des choses qu’on porte depuis un certain nombre d’années c’est le fait d’inscrire la formation à l’accessibilité numérique dans les cursus de formation initiale et au cours aussi. Les démarches que présente Antoine sont tout à fait pertinentes, mais, en réalité, un des écueils – et vous l’avez souligné, Bertrand –, c’est qu’on se heurte au fait que les développeurs eux-mêmes, quand ils sont dans les écoles, quand ils sont à l’université, en fait quand ils sont en train d’apprendre leur futur métier, sans même présager du fait qu’ils vont travailler pour le public ou le privé, n’en entendent quasiment jamais parler, ou parfois une paire d’heures par-ci et ça s’arrête là. On a donc aussi des démarches, mais c’est effectivement extrêmement long. On a notamment signé une charte avec l’association BrailleNet en 2015 pour travailler avec les universités sur ces questions, mais on a du mal à faire émerger ça.
Je vous confirme qu’il y a des contacts de haut niveau avec l’Enseignement supérieur, avec l’Éducation nationale, avec, fut un temps, le Secrétariat d’État au Numérique qui avait pris cette question, peut-être même pour voir comment ramener ça notamment dans le CAPES informatique. On voit effectivement qu’on peine à faire comprendre que, de la même façon qu’on parle sécurité dans les cursus, on devrait aborder l’accessibilité numérique, sans quoi on se retrouve à chaque fois devoir expliquer ce que c’est quand on dit « vous devez respecter cette clause parce qu’elle est obligatoire ».

Bertrand Lemaire : Merci. Sur le schéma pluriannuel.

Antoine Cao : Dans les rubriques qui font partie du schéma pluriannuel, il y a à vérifier que dans tous les contrats, conventions qui sont passés – vous avez parlé de prestataires, de sous-traitants –, il y a bien les clauses d’accessibilité. Il y en a également dans les processus d’embauche, les fiches de poste, de maintien en emploi, de recrutement. Il y en a également dans tous les outils internes utilisés par le service pour ses agents, puisqu’il y a une obligation d’emploi, prévue par la réglementation, de personnes en situation de handicap, donc ces personnes, à partir du moment où elles sont dans vos effectifs, il ne faut pas qu’elles soient défavorisées par rapport à l’ensemble des autres employés de l’entreprise. Il y a également toutes ces rubriques qui sont dans le schéma pluriannuel et sur lequel il faut aider, peut-être, les gens qui demandent « comment je vais faire, comment je pourrais faire, comment je pourrais rédiger ». Après, il y a des sociétés comme la vôtre, qui sont là pour ça. Moi je peux expliquer ce qu’on avait comme idée derrière.

Bertrand Lemaire : Un autre point important sur lequel Sylvie Goldfain voulait également insister, et là on rejoint complètement les autres discours que j’ai pu entendre, notamment de la part de l’ANSSI, d’ailleurs sur les autres référentiels, typiquement le RGS, c’est-à-dire qu’il ne faut jamais appliquer le référentiel à la fin, c’est la pire catastrophe qui puisse être faite ! Quand on arrive à la fin, qu’on arrive à faire un bel audit, il y a évidemment plein de choses qui ne fonctionnent pas, il y a donc un surcoût puisqu’il faut adapter ce qui a été fait. En matière de sécurité, c’est assez catastrophique très vite. Je pense qu’en matière d’accessibilité, c’est aussi catastrophique assez vite, j’entends catastrophique sur le plan budgétaire. Alors que si on embarque tous les référentiels dès le départ — c’est vrai pour la sécurité, c’est vrai pour l’accessibilité, c’est vrai aussi pour d’autres types de référentiels —, il n’y a, bien évidemment, pas de surcoût puisque c’est fait dès le départ. Donc, que ce soit fait comme ça ou autrement, ça revient concrètement au même. Il y a donc un véritable intérêt à prévoir la sécurité, l’accessibilité, la résilience, etc., dès le départ des projets, donc les inclure complètement dans les cahiers des charges, notamment les cahiers de clauses techniques particulières ou autres.
Dernier intervenant pour cette première partie de la table ronde, Matthieu Faure pour l’ADULLACT [4].

Matthieu Faure : Merci.
Je souhaitais vous parler d’un de nos projets à l’ADULLACT [4], qui s’appelle ni plus ni moins que l’Observatoire de l’accessibilité [20]. Avant de vous présenter le projet, je vous propose de vous partager quelques petites anecdotes, une ou deux, qu’on a eu l’occasion de vivre par le fait de nos rencontres avec nos membres, les collectivités.
En préambule, on va poser le fait que l’accessibilité est un sujet qui nous tient à cœur, moi, à titre individuel, je suis dans l’accessibilité depuis quasiment 20 ans, c’est donc un sujet qui me passionne.

On a eu l’occasion de rencontrer nos adhérents et ce sont, en fait, des collectivités qui faisaient preuve de la plus grande bonne volonté – je tiens à souligner que c’est assez remarquable –, mais qui, par contre, se sont retrouvées dans certaines situations qui n’étaient pas tout à fait agréables. Typiquement des collectivités qui lancent une démarche de mise en accessibilité, qui utilisent un outil qu’elles pensent fiable et qui donne une note du style : « Vous êtes à 98 % », OK, c’est super ! Sauf que quand on passe derrière, que des professionnels du métier arrivent et disent : « 98 % ! En fait, vous avez fait juste une portion du travail », ça pose problème parce qu’il y a eu une erreur de compréhension dès le début.

Dans les autres exemples malheureux qu’on a pu voir. Dans le monde de l’accessibilité, il y a différents prestataires, dans le monde du Web, il y a différents prestataires et, parfois, vous avez des vendeurs qui vous vendent monts et merveilles et les collectivités sont toujours, une fois de plus, persuadées de bien faire et, malheureusement, ça ne tombe pas toujours juste, voire ça tombe carrément à côté de la plaque. Ça a été mentionné par Fernando et par Denis tout à l’heure : quand il s’agit de mettre en place des systèmes de vocalisation, je vous invite à ne surtout pas tomber là-dedans parce que, comme Fernando l’a très bien montré, les utilisateurs ont déjà la vocalisation, donc tout ce qui est rajouter de la vocalisation ne sert clairement à rien ; autant le dire clairement et être limpide sur le sujet.

C’est par ces vécus que nous nous sommes dit « comment pourrions-nous aider les collectivités à y voir un peu plus clair ? ». On s’est dit, bien évidemment, en allant à leur rencontre, c’est évident, mais on est dans des considérations de limites humaines, de limites de ressources en termes de personnes, donc, comment pourrait-on communiquer à une plus large échelle ? En fait, nous nous sommes inspirés des travaux de la DINUM [3] qu’a menés Antoine Cao il y a de cela quelques années, où il s’est agi de mesurer sur un très large panel le niveau d’accessibilité des sites web, en l’occurrence des sites web publics. Ce qu’avait fait Antoine à l’époque avec la DINUM [3] consistait à mesurer ces sites-là. Il a donc pu, à un instant t, opérer une photo : à cet instant, le niveau d’accessibilité des sites web publics était à cet endroit dans tel secteur – les universités, les collectivités, les villes, les communautés de communes, et ainsi de suite.

On a pensé que ça avait du sens de refaire la photo. Et puis, quand on fait une photo une deuxième fois, une troisième fois, et quand on fait 25 images par seconde, ça fait un film. Et on s’est dit « pourquoi ne pas faire le film de l’accessibilité ? », c’est-à-dire une « mesure », entre guillemets, continue, du moins régulière, de l’accessibilité des sites web publics, et c’est l’Observatoire, c’est ce projet que nous portons. L’idée de cet observatoire, c’est bien de fournir aux collectivités – qu’elles soient adhérentes à l’ADULLACT [4] ou pas, d’ailleurs, ce n’est pas très important – un niveau d’information sur ce qu’on va appeler les erreurs grossières de l’accessibilité.

L’Observatoire n’a pas pour objectif de mesurer la totalité de l’accessibilité, c’est important de le préciser, parce que, dans l’accessibilité, il y a des choses qui sont automatisables et des choses qui ne le sont pas, on va donc travailler sur ce qui l’est. Et, sur cette partie qui est automatisable, nous allons identifier les erreurs les plus manifestes, en gros tout ce qui est trouvable de manière automatique, dans le but d’informer les collectivités en disant « vous avez une note ». Comme sur les diagnostics énergétiques, elles vont de A à F, A étant la meilleure note. Si elle est de E ou F, c’est qu’il reste un certain nombre d’erreurs grossières que vous pouvez corriger, la plupart du temps de manière très facile, parce que, si c’est grossier, c’est que les choses sont franchement faciles à corriger.

Le but de l’Observatoire, c’est bien d’aider les collectivités dans ce sens-là. C’est une première étape qui est assez technique dans le sens où le périmètre qui est pris est celui de la technique, mais on a décidé de ne pas s’arrêter là. On a décidé aussi de publier toutes ces informations en open data, bien évidemment, dans le but d’arriver à sortir des statistiques pour arriver à voir si, par exemple, on mesure à l’échelle de la ville chacun des sites web des villes, de se dire « à l’échelle de ce département, on observe que le niveau d’accessibilité des villes est plus élevé que dans tel autre département ». Après, charge aux acteurs locaux de prendre le relais, mais l’idée c’est de fournir ce niveau d’information. Je parle des villes, on pourrait parler des régions et de tout autre découpage géographique. C’est donc le genre de chose sur lequel on va travailler, ça vous a d’ailleurs déjà été présenté brièvement hier sur les graphes sur lesquels nous travaillons.

Et puis, enfin, il y a un autre point sur lequel on souhaite faire intervenir l’Observatoire, c’est le risque juridique. En fait, comme il a été présenté tout à l’heure par la Fédération des Aveugles de France, cette fameuse déclaration, cette mention qu’on trouve sur la page d’accueil est obligatoire, donc l’idée c’est qu’on va aussi aller vérifier la présence de la mention. Nous allons automatiser ce qui a été fait par la Fédération de France de manière manuelle, ce qui va nous permettre de passer à l’échelle. Ça a été fait, globalement, sur 1500 sites ; notre première marche c’est 30 000 sites. En gros, l’unité sur laquelle on va travailler ça sera la dizaine de milliers de sites, voire la centaine de milliers de sites, parce que, quitte à automatiser, autant aller jusqu’au bout. On va mesurer la présence de cette déclaration.
Et puis nous allons rajouter un petit peu d’intelligence derrière pour aller observer des choses : si, par hasard, on tombait sur un site qui déclare être conforme – et, comme ça vous a été présenté, vous vous souvenez que conforme c’est quand vous êtes totalement accessible – et puis, d’un autre côté, l’Observatoire dit « tiens, c’est surprenant, j’observe des erreurs ! », on va pouvoir montrer les écarts entre le discours et les faits, toujours dans une optique d’aider les collectivités.
On souhaite mettre à disposition du public et du secteur public ces outils d’automatisation pour arriver à faire monter le niveau de maturité sur l’accessibilité.

Là, on est à posteriori puisqu’on mesure quelque chose qui a déjà été fait, quelque chose qui a déjà été réalisé, en l’occurrence ces sites web. Ceci étant dit, ce qui va nous intéresser aussi par le biais de l’Observatoire, c’est faire en sorte qu’au moment de la commande publique, au moment de l’achat public, vous, collectivité, puissiez dire dès le début, à vos ou votre prestataire, « si vous n’avez pas une note de A, ce n’est même pas la peine de nous proposer un rendu, puisqu’on sait que les erreurs qu’on mesure ne sont que les erreurs grossières, donc, commencez par ça ! » L’idée de cet Observatoire, c’est aussi d’aider les collectivités à ce niveau-là.

Bertrand Lemaire : Très bien.
Ce qui m’a étonné dans toutes vos interventions c’est que personne n’a voulu invoquer Satan, je vais donc le faire : le premier aveugle du monde, chacun le sait, s’appelle Google. Bien structurer un site web, avoir différents niveaux de titres, avoir des menus bien positionnés, bien structurés, des choses qui sont nécessaires pour les personnes qui ont un certain nombre de handicaps, c’est une manière d’assurer son référencement, c’est une règle de SEO [Search Engine Optimization], mais c’est aussi une manière de faciliter la circulation dans le site web. Donc ça n’est pas seulement pour des pouièmes de pourcents de la population, ça n’est même pas pour les 20 % de la population qui ont une difficulté ou une autre, c’est bien pour 100 % de la population. Quand vous structurez correctement un site web, un service en ligne, c’est bien pour l’ensemble des personnes qui vont y avoir accès, parce que si les menus sont bien faits ce sera plus facile, plus rapide, on n’aura pas à chercher partout une information.

Un truc tout bête. À une époque, j’avais un petit jeu avec mes collègues de la rédaction. Quand vous créez un compte sur CIO, vous déclarez une adresse mail et puis, derrière, si vous êtes un DSI [Directeur des Systèmes d’Information] d’entreprise utilisatrice ou d’administration, vous avez un statut particulier qui vous permet d’avoir davantage de crédit, pour lire davantage et plus facilement des contenus. Du coup, je vérifie que l’entreprise qui est déclarée est une entreprise qui est utilisatrice et pas un éditeur, par exemple. Eh bien j’arrive sur des sites web et je ne sais pas ce que fait l’entreprise. Du tout. On n’en est même pas à savoir si un aveugle pourrait comprendre ce que fait l’entreprise ! Je suis, à priori, tout à fait valide, je n’ai pas de problème, je ne suis pas dyspraxique, je ne suis pas aveugle, rien. J’arrive sur un site web, je ne comprends pas ce que fait l’entreprise, donc je suis obligé de chercher. Et, bien évidemment, les sites sont extrêmement mal conçus dans ces cas-là, donc les menus ne mènent nulle part, ils mettent des choses ou à des slogans vides. Parfois, au bout d’un moment, j’abandonne, je dis hop !, prestataire, mais je trouve que c’est dramatique.
Avoir conscience du fait que lorsque l’on structure correctement un site web, lorsqu’on le rend accessible, on le rend, en fait, accessible à tout le monde, c’est, je crois, quelque chose d’important. C’est pour ça j’ai préféré invoquer Satan.
Monsieur Cao.

Antoine Cao : Je suis tout à fait d’accord avec vous, je vais même généraliser. Là, vous êtes sur la partie « ils ont mal conçu, etc. ». Dans un processus de réalisation du site, avant de faire son audit à la fin – qui est le plus mauvais moment, comme vous avez dit, il faut le prendre bien plus en amont –, il y a une phase bien particulière, ça fait partie du schéma pluriannuel, c’est prévoir des tests utilisateur. Parce qu’en tant qu’utilisateur, indépendamment du fait d’être valide ou non valide, c’est déjà le test utilisateur qui va vérifier que le design du site – puisque là on est sur la notion de design, avant même de parler que l’accessibilité est bien faite – et, parmi les tests utilisateur, prévoir des tests d’utilisateur avec des personnes en situation de handicap. Je vois mal, par exemple, une société dire « je vais rendre mon application compatible avec les lecteurs vocaux ». Elle ne va pas mettre des modules audio, comme tu disais, mais comment appréhendent-elle l’usage d’un lecteur vocal ? Il n’y a qu’une personne qui a l’habitude ; s’il faut qu’elle appréhende d’abord l’usage de l’outil, ça n’a pas de sens ! Autant demander à l’utilisateur qui serait en situation, qui utilise ce type d’outil ou d’autres outils par rapport à d’autres types de handicap, de faire partie du panel d’utilisateurs qui vient tester. Certaines phases, si c’est fait par petits bouts, en mode agile — on se moque de la méthodologie —,mais que dans la phase de test il y ait bien l’avis d’utilisateurs, qu’ils puissent intervenir, et non pas attendre l’assemblage de tout et la mise en production.

Matthieu Faure : Ce que dit Antoine est évidemment frappé au coin du bon sens. Je souhaite, si tu le permets, préciser le propos sur une chausse-trape qu’on observe parfois concernant les tests utilisateurs.
Il me semble très important de dire qu’un test utilisateur ne remplace absolument pas l’application du référentiel. Je vais le dire encore autrement : dans vos travaux, vous déroulez toute votre méthodo-projet et vous suivez le RGAA. C’est super. À un moment, certainement vers la fin, vous allez faire intervenir les tests utilisateur. Il est important d’avoir en tête que les tests utilisateur ne doivent pas contrevenir au RGAA. C’est le RGAA qui fait foi, quand vous êtes sur des tests utilisateur avec des personnes en situation de handicap. Pourquoi est-ce que je dis ça ? On observe, d’une situation de handicap à l’autre, qu’on pourrait imaginer des solutions qui vont régler un problème pour une personne, mais qui vont en générer d’autres pour les autres. Et c’est justement pour ça que le référentiel a été créé. Là, on parle du référentiel français qui n’est ni plus ni moins que la transcription en français d’une norme internationale, résultat de 30 ans de travaux de différents organismes répartis de par le monde. C’est justement pour éviter ce genre de choses. Donc, dans l’ordre, soyez vigilant à bien appliquer le référentiel et, ensuite, appliquez vos tests sans jamais remettre en cause le référentiel.

Bertrand Lemaire : On va passer aux questions, il nous reste un quart d’heure. Qui veut se lancer pour la première question ? Monsieur.

Public : Bonjour. Anthony Nutten, je suis DSI-adjoint à l’université Paul-Valéry Montpellier 3. On a lancé un projet avec une nouvelle plateforme pédagogique il y a deux ans, on a intégré dans le marché l’accessibilité, etc., tout le monde est content, c’est super bien. Il faut maintenant aller plus loin, donc tous nos sites, toutes nos applications un peu plus anciennes, etc., mais c’est un sujet qui est difficile, en fait, à porter dans l’établissement. Apporter du crédit : on a tous des priorités, budgétaires, temporelles, etc. On a énormément de difficultés, par exemple, avec le RGPD, où on est obligé d’avoir un DPO [Délégué à la protection des données], il y a des choses qui sont quand même très strictes. Vous disiez tout à l’heure que l’autorité de contrôle était en création. Ne faudrait-il pas accélérer la création de cette autorité ? Comme on doit avoir un DPO, qu’on soit obligé d’avoir un référent accessibilité, sinon j’ai peur que ça n’avance pas beaucoup.

Bertrand Lemaire : Monsieur Cao ?

Antoine Cao : C’est une des rubriques du schéma pluriannuel : il y a la désignation d’un référent accessibilité numérique. Mais, en fait, il faut comprendre que ce n’est pas un poste, c’est une activité. Je vais prendre l’exemple d’un organisme qu’on a souvent cité ici, l’Inria [Institut national de recherche en informatique et en automatique]. Ils ont voulu faire leur schéma pluriannuel, ils m’ont demandé de venir les conseiller auprès de la direction générale et on s’est rendu compte du nombre de sites. Ils ont fait l’inventaire des sites, comme vous avez dit, et ils en ont plus de 14 000 répartis par rapport aux différentes activités de recherche, de développement qu’ils ont. Ils ont donc décidé que le référent activité numérique c’est un comité. Vous avez effectivement raison, mais c’est prévu par les textes. Pour le RGPD, le DPO, comme vous avez dit, c’est vraiment un poste pour une personne ; c’est une activité que peut compléter la personne avec d’autres choses, néanmoins, vu l’ampleur du travail, elle est à temps plein.
Le référent accessibilité, ça peut-être un ensemble de personnes qui sont sur différents projets, différents services, différentes entités du service, puisque on touche à la formation, au développement, on touche à tout un ensemble de choses, à celui qui crée des contrats, au service de recrutement, au RH. On voit bien que, pour la prise en compte de l’accessibilité, il faudrait que le référent soit tellement multi-facettes et que ce n’est pas possible. C’est le mouton à sept pattes, même pas à cinq, à six, et, en plus, il y a neuf rubriques, je ne vais pas jusqu’à neuf !
Je suis effectivement d’accord avec vous. C’est prévu par les textes, mais il faut le voir comme une mission. Je crois que c’est le deuxième alinéa du schéma pluriannuel qui le décrit, si je me souviens bien.

Bertrand Lemaire : M. Pinto da Silva, vous vouliez apporter une précision.

Fernando Pinto Da Silva : Pour répondre à notre interlocuteur dans la salle. Vous dire que, de toute façon, cette structure de contrôle va exister. Je ne vais pas vous dire qu’elle va exister d’ici la fin de l’année, je vous mentirais, par contre, elle va de toute façon exister et je vais essayer très brièvement de vous expliquer pourquoi.

En juillet dernier, des utilisateurs ont décidé de saisir la ministre en charge du handicap de l’époque, la secrétaire d’État, en utilisant un processus qui existe, qui est long, fastidieux, qui peut amener à des sanctions administratives, etc. À cette occasion, c’était la première fois que c’était fait en France, il y a eu huit saisines sur des services publics, des services privés, etc. Ça a été extrêmement long, laborieux, ça s’est retrouvé devant le Conseil d’État puisque la ministre n’a pas répondu dans les temps. Finalement, la ministre a fait ce qu’il fallait, et puis là, il va falloir qu’on reprenne les choses une fois les législatives passées, pour que le nouveau ministre reprenne ces saisines et, du coup, fasse ce qu’il faut vis-à-vis des collectivités et des entreprises.
Pour la petite histoire, il y a quand même une sanction financière qui existe pour chaque infraction constatée en matière d’obligation légale, de 20 000 euros par service, pas par site internet, mais bien par service. Il y a donc quelque chose, mais effectivement, comme on vous l’a tous dit aujourd’hui, il manque un pilote dans l’avion, pour le dire de façon un peu triviale.

Pourquoi je vous dis que, de toute façon, ça va bouger ? Parce qu’il y a une transposition d’une autre directive, qui s’appelle l’Acte européen d’accessibilité [21], qui est beaucoup plus large, qui adresse, en réalité, l’accessibilité du cadre privé. En France, nous avons déjà commencé un peu à le faire en amont, on va dire, de ce qui se passe au niveau européen et, comme le précisait Antoine tout à l’heure, en 2025 c’est une obligation pour les sites privés, sauf les micro-entreprises au sens européen du terme. Il y a tout un tas d’autres choses, notamment liées, je vous le dis en vrac : les transports, l’accessibilité des distributeurs bancaires, l’accessibilité du livre numérique, etc.
Du coup, ce qui est sûr, avec ce qui s’est passé en juillet dernier, la façon dont ça a été traité, la façon dont on s’est tous agacés collectivement — je pense ici à la Fédération, au CNCPH [Conseil national consultatif des personnes handicapées], même à la DINUM [3], je le sais – eh bien, on fait tous le constat que, de toute façon, avec un texte comme la directive européenne il nous faut un organisme. Est-ce que ça sera l’Arcom ? Est-ce que ça sera la DGCCRF [Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes], parce qu’on en parle aussi, on ne sait pas encore à ce stade. Par contre, je peux vous dire que ça va exister, tout simplement parce que les enjeux sont tels pour cette directive que ça sera totalement ingérable s’il n’existe pas. Cette parole-là a été portée très haut, notamment par Jean Castex, lors du Comité Interministériel du Handicap, le 3 février dernier [2022]. On sait que là, de toute façon, il y a une volonté de l’État pour aller là-dessus.

Bertrand Lemaire : Mathieu Faure.

Matthieu Faure : Peut-être pour vous aider dans votre démarche, on peut s’inspirer de ce que fait le secteur du privé. On parle là, bien évidemment, du secteur public, mais ce n’est quand même pas inintéressant de regarder ce qui est fait dans le secteur privé, particulièrement dans le monde des grandes entreprises. Quelque part ça m’attriste un petit peu de le dire, mais on est obligé de le constater : en fait, les entreprises du CAC 40 et les grandes entreprises sont, me semble-t-il, en avance sur l’accessibilité par rapport au secteur public. Et, fortes de ça, ces entreprises, ces organisations, ont ce qu’elles appellent une « mission handicap » et c’est au sein de la mission handicap qu’il y a ce qui était appelé l’activité de référent accessibilité. Je pense que cette notion de mission, qui va prendre en charge ces travaux, est une manière de s’organiser qui, l’expérience le montre, a l’air de ne pas trop mal fonctionner.

Bertrand Lemaire : On va prendre une autre question. Monsieur.

Public : Bonjour, je suis enseignant au Maroc. Je m’intéresse énormément à cette problématique d’accessibilité, depuis des années. Pour vous dire, pour l’anecdote, il y a, je crois, dix ans, il y a eu une conférence faite par Richard Stallman lors des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, et j’avais proposé à la FSF [Free Software Foundation] d’ajouter une cinquième règle au niveau du logiciel libre. Il y a les quatre règles que tout le monde connaît : droit d’étude, de modification, d’utilisation... Mais pourquoi pas le droit d’accès ? Pourquoi ? Parce que ça n’est pas simplement au niveau des sites web, mais surtout au niveau des applications. Je trouve mal que des libristes, qui développent des choses très intéressantes, oublient malheureusement cette population très importante qui a des droits. Ce n’est pas un cadeau, c’est un droit humain universel que l’accès à l’information, l’accès aux ressources fabriquées par l’argent de ces personnes-là, ça d’une part.
D’autre part, une autre chose m’intéresse personnellement et j’essaye d’intégrer dans l’enseignement, dans mon expérience. Ce n’est pas évident pour les étudiants parce que, malheureusement, ils ignorent cette chose-là, parce qu’ils ne se mettent pas à la place de quelqu’un qui a besoin d’avoir accès.
J’ajouterais que l’accessibilité ce n’est pas simplement pour les non-voyants. Il y a une autre catégorie, et je vais prendre le cas de mon pays, ce sont les analphabètes, pas les analphabètes, les gens qui ne savent pas facilement lire. À titre indicatif, en France, il y a, je crois, 2,5 millions de personnes qui ont des difficultés pour lire et il ne faut pas oublier ces personnes-là. Elles ont le droit d’accéder aux sites publics, aux sites universitaires, aux sites d’information, etc., et elles ne sont pas prises en considération. Donc il ne faut pas restreindre l’accessibilité simplement aux gens mal-voyants, mal-entendants, etc., mais élargir la chose, c’est-à-dire que l’accessibilité c’est le droit d’accès. J’ai le droit d’accéder à un immeuble, j’ai le droit d’accéder à un PC, j’ai le droit d’accéder à mon téléphone, ce machin-là où il y a Google derrière, etc. On ne prend pas en considération cette population ; j’allais dire qu’elle n’a pas le droit. En tant que consommateurs nous devrons être exigeants, et j’allais dire même plus que ça : nous tous, un jour, allons avoir besoin d’accessibilité avec l’âge ; on va vieillir et, lorsqu’on va vieillir, on aura des difficultés pour voir, on aura des difficultés pour plein de choses. Donc nous sommes tous, potentiellement parlant, des gens entre guillemets « non valides ». Merci.

Bertrand Lemaire : Une petite réaction de l’un ou de l’autre ?

Antoine Cao : Merci de cette réaction. Juste pour vous préciser, je ne vais pas rentrer dans les détails, qu’il y a des critères dans le RGAA sur le problème de ce qu’on appelle le langage clair ou langage simplifié, pour certains types de déficits, on va dire, qu’ils soient liés également, par exemple, au fait de mal maîtriser une langue. Vous parlez des gens analphabètes ou autres, mais il y a aussi ce genre de choses, donc il y a tout un ensemble de critères qui tiennent compte de ça.
Je veux donner un exemple assez simple. Fernando vient d’utiliser un lecteur d’écran et ce lecteur d’écran a lu en français parce que dans la page, je présume puisque c’était la région Occitanie, il était indiqué quelque part que c’est en langue française. Si Fernando avait utilisé un autre site qui serait indiqué en langue anglaise, on aurait tous entendu son lecteur d’écran prononcer avec la langue anglaise. L’indication de la langue sur une page, sur un sous-ensemble de pages ou sur un certain nombre de choses, fait partie des critères du RGAA. Ce genre d’élément a été prévu dans les critères.

Bertrand Lemaire : C’est d’ailleurs aussi un critère de SEO. Denis Boulay, vous vouliez intervenir également.

Denis Boulay : Juste pour dire que la norme internationale du W3C [22], sur laquelle se base le fameux RGAA, prévoit ce type d’accès à des typologies de besoins plus spécifiques. Il y a trois niveaux d’accessibilité au niveau international, A, AA [double A], AAA [triple A]. Les normes, on va dire nationales, françaises, de tous les pays qui légifèrent, ont A et AA, et c’est vrai que le AAA peut apparaître dans le RGAA, mais pas de façon la plus obligatoire. On incite à utiliser légalement A et AA, on propose les critères du AAA, faites-le si possible, mais l’aspect légal s’arrête souvent au AA dans les pays qui légifèrent. En tout cas, Antoine a raison, la norme internationale prend en charge ce besoin très particulier.

Bertrand Lemaire : Une dernière question peut-être ?

Public : Pour Aurore. D’abord, merci à Adico et bienvenue. Si j’ai bien compris, Adico aide ses collectivités à fabriquer des sites web le plus proprement possible. Peux-tu nous donner un peu de quantitatif : de combien de collectivités, donc de combien de sites web parle-t-on ?

Aurore Bouffel : Je n’aurai pas les chiffres exacts, mais on a une bonne centaine de sites internet. À savoir que moi, j’accompagne le service web dès la phase de maquette. Dès le début, on discute ensemble, je regarde les maquettes, je fais des remarques, ce qu’il est nécessaire de corriger. Une fois que la maquette est finalisée, ils vont passer à la phase de développement et là j’interviens à nouveau avec un audit de vérification où, justement, je vais voir ce qui peut gêner dans le code, dans la page, et leur remonter à nouveau de nouvelles corrections à réaliser. Là, ils vont faire tout ce qu’ils peuvent, ils vont mettre autant de corrections que possible en place, dès cette étape-là. Malheureusement, il y a des choses qui vont demander un petit peu plus de temps, puisque, parfois, des outils tiers sont insérés dans les pages et on n’a pas forcément la main pour les corriger, donc il y a besoin de développements assez conséquents pour pallier ces problèmes-là. Ce sont donc des choses à planifier pour plus tard, en tout cas qui seront adressées lorsqu’ils auront du temps à y consacrer.

Public : Est ce que tu as imaginé utiliser notre Asqatasun [23] pour t’aider dans cette mission ?

Aurore Bouffel : Comme j’ai été formée comme auditrice d’accessibilité, j’ai quand même tendance à préférer les tests manuels. Ces outils-là sont très intéressants en premier lieu, pour un premier accès à l’accessibilité numérique pour les personnes qui n’ont pas la formation, qui n’ont pas les compétences ; ça leur donne quand même une bonne visibilité de où elles en sont, avec toutes les alertes qui ont déjà été faites sur le fait que ce n’est pas exhaustif et qu’il y a, dans tous les cas, besoin de tests manuels. Après, pour ma part, j’avoue que j’ai tout simplement ma panoplie d’outils et que je déroule mes tests comme j’ai appris à le faire, comme je suis habituée, avec mes outils.

Matthieu Faure : Peut-être juste pour partager quelque chose sur les outils et pour l’assemblée. Il est évident que les outils automatisés ne vont pas être d’une grande aide auprès d’experts en accessibilité, les experts qui vont contrôler le travail des outils. Ça, c’est limpide. Ceci étant, un expert ça reste une personne et une personne n’est pas forcément toujours disponible. Et quand il s’agit de multiplier, donc de passer à l’échelle, le recours aux outils permet de valoriser le temps de chacun et de se dire, toujours et une fois de plus, on évacue les erreurs grossières. Une fois qu’on a évacué les erreurs grossières, et pas avant, après, on sollicite les experts, parce que si les experts sont sollicités alors que ce sont des erreurs grossières, la première fois ils vont venir, la deuxième fois aussi et, à la dixième fois, ils commencent à en avoir marre ! Il se trouve que j’ai aussi vécu cette situation et j’étais agacé qu’on me demande d’intervenir sur des bêtises. L’intérêt des outils n’est pas tant dans une problématique de l’univers, il est dans le fait de faciliter la répartition du temps, l’optimisation du temps entre tous les différents profils.

Denis Boulay : C’était juste un point de détail. J’ai quand même une expérience dans l’audit d’accessibilité et, dans ma procédure, c’est vrai que des outils comme Asqatasun me permettent sur certains critères où je sais que c’est chronophage — vérifier qu’il ne faut pas embarquer des éléments obsolètes, du HTML — de gagner beaucoup de temps. L’outil est fiable, parce qu’il les a tous dans sa bibliothèque. Plutôt que de faire des recherches manuelles pour ce genre de choses, je passe l’outil et c’est bon, ce n’est pas bon, en tout cas ça permet de gagner beaucoup temps, au moins sur un certain nombre de critères très précis.

Bertrand Lemaire : Très bien. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter un bon appétit. Il y a une dernière question ? Alors une petite dernière.

Public : Plus qu’une question, un commentaire. Quand on veut mettre en place une politique sur l’accessibilité de manière globale, il faut avoir des indicateurs de départ pour mesurer le chemin parcouru. Asqatasun est un outil parfait pour fabriquer les indicateurs de départ, voir où on en est et où on peut aller. C’est un outil de base pour commencer à établir une politique.

Bertrand Lemaire : D’accord. Merci beaucoup, merci à tous. Mesdames et Messieurs, merci.

[Applaudissements]