Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l’émission du 10 mars 2020

Titre :
Émission Libre à vous ! diffusée mardi 10 mars 2020 sur radio Cause Commune
Intervenant·e·s :
Véronique Bonnet - Ludovic Dubost - Anne L’Hôte - Bruno Thomas - Frédéric Couchet - Patrick Creusot à la régie
Lieu :
Radio Cause Commune
Date :
10 mars 2020
Durée :
1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’accord de Olivier Grieco.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.

Le financement de logiciels libres avec le retour d’expérience de la société XWiki, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme une chronique sur le thème « Des mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre » et aussi l’interview du Consortium international des journalistes d’investigation sur leur logiciel libre Datashare. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio diffuse désormais également en DAB+ [Digital Audio Broadcasting] 24 heures sur 24. La DAB+ c’est la radio numérique terrestre avec notamment un meilleur son. Pour capter la DAB+ c’est gratuit, sans abonnement, il faut juste avoir un récepteur compatible avec cette réception et les récepteurs DAB+ sont compatibles avec la FM.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’April c’est april.org. Vous y trouverez une page consacrée à l’émission avec les références et les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours.
Nous sommes mardi 10 mars 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission, #libreavous.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Voici maintenant le programme détaillé de l’émission :

nous allons commencer dans quelques secondes par la chronique de Véronique Bonnet, professeur de philosophie, vice-présidente de l’April. La chronique s’intitule « Partager est bon » et le thème du jour sera « Mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre » ;

d’ici une quinzaine de minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le financement de logiciels libres avec le retour d’expérience de la société XWiki. Notre invité du jour est Ludovic Dubost ;

en fin d’émission nous aurons une interview de deux personnes du Consortium international des journalistes d’investigation, Consortium qui a reçu récemment un prix du meilleur projet logiciel libre pour le logiciel Datashare dont nous parlerons.

À la réalisation de l’émission du jour Patrick Creusot, bénévole à l’April. Bonjour Patrick.

Patrick Creusot : Bonjour tout le monde. Bonne émission. Bon après-midi.
Frédéric Couchet : Merci Patrick. Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]

Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet sur le thème « Mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre »

Frédéric Couchet : Une lecture d’informations et de mise en perspective de la philosophie GNU, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie, membre du conseil d’administration de l’April et même vice-présidente de l’April. Le thème du jour de la chronique c’est « Mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre ». La chronique a été enregistrée il y a quelques jours. Nous allons donc la diffuser et on se retrouve juste après.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Une lecture d’informations et de mise en perspective de la philosophie GNU, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April. Le sujet du jour : « Mesures à la portée des gouvernements pour promouvoir le logiciel libre et pourquoi c’est leur devoir de le faire. » Véronique, on t’écoute.
Véronique Bonnet : Fred, effectivement il faut prendre son souffle pour lire ce titre qui est quasiment un titre à la Alexandre Dumas. Si j’avais à faire un commentaire de ce titre très long, je dirais qu’il y a de la part de Richard Stallman, l’auteur de ce texte, la volonté de démontrer que si les gouvernements ayant à leur portée des mesures ne les mettent pas en œuvre, alors il y a une faute morale. C’est-à-dire que les gouvernements ont le devoir d’adopter ces mesures si elles sont nécessaires dans le cadre du respect et des citoyens et des gouvernements eux-mêmes. Un gouvernement qui se respecte mettra en œuvre ces mesures.
Ce texte, par conséquent, est beaucoup plus qu’un texte éthique, parce que éthique veut dire simplement avantageux, intéressant, qui obtient le maximum de gains avec un minimum de pertes, ça n’est pas de cela dont il s’agit. Il s’agit d’un texte moral. Je dis bien moral et non pas moralisateur, c’est-à-dire que ce texte ne fait pas la leçon. Il est moral au sens où il rappelle que prendre des décisions pour d’autres humains impose des devoirs. Il s’agit de tout faire pour ne pas les nier comme humains, il faut les respecter.

Bien sûr il peut y avoir des bénéfices politiques – effectivement, peut-être qu’un gouvernement exemplaire reste au pouvoir plus longtemps –, mais il ne s’agit pas simplement d’un texte au sens d’une manière de faire pour persister. Il s’agit essentiellement d’une tâche que le gouvernement va donner à lui-même. Je cite, c’est dit dans l’introduction : « La mission de l’État est d’organiser la société avec pour objectif la liberté et le bien-être de la population. » Certes, l’État doit aussi veiller à sa souveraineté et à sa sécurité. Il doit aussi faire des économies, privilégier et dynamiser l’industrie locale des services logiciels. » Certes. On le voit, l’argumentaire est aussi stratégique, il est aussi économique, mais il est d’abord humaniste, comme le montre d’ailleurs la chronologie des points évoqués.
Richard Stallman part de la notion d’éducation. Autrement dit il pose que l’État, dans ses relations avec le public, doit avoir en vue une souveraineté, une souveraineté informatique, une souveraineté écologique c’est-à-dire qu’il faut éviter ce qu’on appelle le gaspillage, le caractère non-recyclable de certains choix logiciels, il y a bien des considérations d’optimisation ; il va évoquer la neutralité technologique des États pour d’ailleurs inviter à les dépasser.
Quelle teneur de ce qui est proposé pour l’éducation ? Pour la philosophie GNU, il s’agit de n’enseigner que le logiciel libre. Bien sûr il y a un bénéfice secondaire qui n’est pas mince, à savoir que ceci garantit l’avenir politique d’une nation, mais au-delà de ce bénéfice secondaire, il y a surtout le devenir autonome des individus. Voilà ce qui est indiqué : « Enseigner un programme non libre revient à enseigner la dépendance ce qui est contraire à la mission de l’école. »

Parti de ce foyer qu’est l’émancipation, il y a un deuxième point qui examine cette fois les relations de l’État avec le public. On évoque des politiques publiques qui sont souvent cruciales. En effet, lorsqu’on utilise le logiciel libre, il y a des conséquences pour les individus et pour les organisations. Donc il est très important de ne pas obliger les particuliers à utiliser un programme non libre, sinon ça veut dire qu’il y a une rupture d’égalité devant le service public.

Il se trouve que j’ai eu l’occasion d’en parler au Défenseur actuel des droits qui est très sensible à cette question de l’équité des citoyens devant l’État.
Frédéric Couchet : Précisons qu’il s’agit de Jacques Toubon.
Véronique Bonnet : Absolument, il s’agit de Jacques Toubon.

D’où la proposition de ne distribuer que du logiciel libre y compris lorsqu’il s’agit de logiciels utilisés à l’école.

Récemment, il a été question dans différentes tribunes de matériel distribué, déjà prédéterminé pour aller vers du logiciel non libre. Il a été question aussi de sites web de l’État. Il serait fondamental d’y accéder seulement avec des logiciels libres. Je donne un exemple : il se trouve que comme enseignante on m’a proposé d’utiliser un programme qui est Educ’ARTE. Educ’ARTE propose aux enseignants, pour leurs classes, de disposer d’émissions éducatives. Or, expérience amère, malheureuse, il se trouve qu’avec Educ’ARTE il faut utiliser Flash, ce à quoi je n’ai pas pu me résoudre. Donc j’ai écrit à Educ’ARTE et mon courrier est en attente de réponse.

Pourquoi, par conséquent, proposer des formats et des protocoles libres, non seulement les protocoles de communication mais aussi les liseuses qui interviennent dans les bibliothèques, dans les établissements scolaires. Elles sont encore à libérer, il y a beaucoup de travail à faire pour y parvenir puisqu’il s’agit de libérer les ordinateurs des licences. Mais là encore, lorsque ce point est évoqué dans le texte, c’est la plupart du temps la vente liée qui prévaut. Ce n’est pas simplement une question d’argent. Cette contrainte d’imposer d’utiliser des ordinateurs avec des licences est inique et, en plus, certains dispositifs empêchent le recyclage, le reconditionnement des ordinateurs de seconde main et, en ce sens, l’État doit se mobiliser pour parler d’indice de réparabilité, pour parler de recyclage et de cohérence écologique.
Le point qui est examiné ensuite est celui de la souveraineté informatique. Il est précisé que l’État doit garder la main sur ce qui le concerne, sinon il est subordonné à des entités privées. Migrer vers le logiciel libre est un ainsi un axe fort. À cette même antenne il a été question de la migration de la Gendarmerie nationale vers le logiciel libre, ce qui permet donc de développer des solutions informatiques tout à fait cohérentes lorsqu’un État est un État qui s’impose le devoir de respecter ses citoyens.

D’où, deuxième point, il se trouve que la souveraineté informatique est traitée doublement : il y a dans ce texte une préconisation du contrôle de l’État sur les tâches qui sont de son ressort, c’est-à-dire que l’État doit contrôler ses ordinateurs et maîtriser, si l’ordinateur n’est pas portable, le lien qui permet son utilisation. Il faut influencer, par conséquent, le développement du logiciel libre, ne surtout pas encourager le logiciel non libre. Il y a parfois des contrats étonnants qui sont passés entre les États et les GAFA !
J’ai déjà parlé tout à l’heure du gaspillage. Vous avez le rappel, en fin de texte, que les ordinateurs, pour ne pas être mis au rebut, doivent pouvoir être débloqués et surtout ne pas être verrouillés par des dispositifs qui rendraient impossible l’installation d’un logiciel libre.
Le dernier point est tout à fait inspirant pour le professeur de philosophie que je suis, puisque, dans ce texte, on parle bien de neutralité technologique, mais on dépasse aussi cette expression. Je cite, il est dit que « l’État ne doit pas imposer de préférence arbitraire sur des choix techniques », mais pour autant, il ne doit pas être neutre au sens d’indifférent. L’État ne peut pas être indifférent. Je cite : « Seuls ceux qui désirent mettre un pays sous leur joug pourraient suggérer que son gouvernement soit "neutre" en ce qui concerne sa souveraineté et la liberté de ses citoyens. » Il y a des formes de neutralité qui sont des formes de refus de se pencher moralement sur le respect des citoyens. Autrement dit, et là je me réfère à deux expressions d’Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, il y a, pour les gouvernements, des résistances honnêtes et des rébellions légitimes et, par exemple, l’April peut en être le vecteur.
Frédéric Couchet : Merci Véronique. Je vais préciser que la Gendarmerie nationale, pour les gens qui veulent écouter le podcast, c’est l’émission du 3 septembre 2019, l’émission 34, et pour la partie gaspillage-recyclage, nous avons consacré une émission à la loi anti-gaspillage le 7 janvier 2020, c’est l’émission 48. Vous pouvez les retrouver sur april.org ou sur causecommune.fm.

C’était la chronique « Partater est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April.

Véronique, je te souhaite une belle fin de journée.
Véronique Bonnet : Très belle journée à toi Fred.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Nous sommes en direct. Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter Oh Boy ! par Who Are You Lutra Lutra ??. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Oh Boy ! par Who Are You Lutra Lutra ??.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Oh Boy ! par Who Are You Lutra Lutra ??, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écouter l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France, en DAB+ 24 heures sur 24 et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

On va passer au sujet principal de l’émission du jour.
[Virgule musicale]

Financement de logiciels libres avec le retour d’expérience de la société XWiki

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur le financement de logiciels libres avec le retour d’expérience de la société XWiki. Notre invité est Ludovic Dubost. Bonjour Ludovic.
Ludovic Dubost : Bonjour Frédéric.
Frédéric Couchet : Le logiciel libre est caractérisé par les quatre libertés que l’on connaît, liberté d’utilisation, de comprendre le fonctionnement, de modifier le logiciel et de le redistribuer dans sa version originale ou dans sa version modifiée, mais Libre ne veut pas dire forcément gratuité. Les modèles de financement de logiciels libres sont variés. On en a déjà un peu parlé notamment dans l’émission consacrée au lecteur multimédia VLC et aujourd’hui nous allons parler du financement de logiciels libres avec un retour d’expérience de la société XWiki. Nous consacrerons d’autres émissions à la même thématique car, en fait, les modèles sont très variés et les retours d’expérience sont très variés.

L’avantage de XWiki c’est que c’est un retour d’expérience sur une quinzaine d’années, avec Ludovic Dubost, créateur du logiciel XWiki, PDG de la société XWiki SAS qui développe XWiki et CryptPad dont nous allons parler également ; également membre du conseil d’administration de Open Food Facts dont nous avons déjà parlé dans l’émission Libre à vous !.

Première question Ludovic, petite présentation personnelle : quel est ton parcours ? Comment tu es venu au logiciel libre et à créer un logiciel libre une entreprise du logiciel libre ?
Ludovic Dubost : Je travaille dans l’informatique depuis maintenant 25 ans. En fait j’ai été passionné d’informatique très tôt, j’ai eu un Apple IIc, j’ai commencé à programmer un peu sur mon temps libre. Ensuite j’ai fait des études d’ingénieur et, en fait, j’ai découvert Internet lors d’un stage dans la Silicon Valley en 1995. Quand je suis revenu en France j’ai absolument voulu travailler sur Internet, donc ça m’a amené à trouver d’abord un job chez Capgemini, puis j’ai été débauché par Netscape. Donc j’ai travaillé deux ans et demi chez Netscape, au consulting, à aider à mettre en place les logiciels serveurs de Netscape, types mail, serveurs web et j’ai commencé à toucher un peu aux logiciels collaboratifs dans cette optique-là, mais j’ai surtout vu chez Netscape, en fait, une concurrence exacerbée entre Microsoft et Netscape. J’ai aussi vu l’émergence de Mozilla. J’avais même candidaté pour travailler pour Mozilla quand j’ai quitté Netscape. J’ai dit « je ferais bien ce job-là » et, finalement, ils ne me l’ont pas proposé, il n’y avait que cinq personnes qui bossaient sur Mozilla à l’époque. Finalement j’ai bossé dans une start-up française qui faisait de la mesure d’audience de sites internet. Je suis resté trois ans dans cette société qui a été une start-up avec un peu tout le profil, c’était une des premières sociétés françaises à entrer en bourse avec quasiment pas de revenus et qui a explosé dans la bulle internet ; j’ai été un millionnaire virtuel parce que j’avais 1 % de la société comme stock-option au départ ; c’était vraiment la start-up parfaite. En fait, en sortie de ça, ça m’a fait pas mal réfléchir.

J’ai démarré dans le logiciel libre plus sur la problématique technologique, c’est-à-dire que j’ai vu qu’en cinq ans les décisions que j’avais prises en tant que directeur technique de cette start-up, eh bien le logiciel libre les aurait changées fondamentalement, c’est-à-dire que plutôt que des bases de données Oracle et des serveurs Sun, on aurait mis du Linux, du MySQL et ces technologies qui ont émergé, des choses comme Jboss qui se sont lancées à ce moment-là ou Red Hat. J’ai trouvé qu’il y avait quand même quelque chose de très fort là-dedans, une opportunité, donc j’ai décidé de créer la société XWiki sous forme de logiciel libre.

Il y avait un aspect idée, j’avais envie de créer une société, j’avais envie de créer quelque chose dans le partage de connaissances, chose que j’avais faite chez Netscape. Donc je me suis lancé dans XWiki et j’ai décidé de le faire sous forme de logiciel libre.

Mon premier contact avec le logiciel libre était plutôt « ça a l’air d’être quelque chose de très intéressant qui marche », donc j’ai voulu me lancer là-dedans.
Frédéric Couchet : D’accord. Très bonne introduction. J’apprécie notamment le passage par rapport à la bulle internet qui t’a appris un certain nombre de choses que tu as sans doute, ensuite, mises en application.

J’ai oublié de préciser que si vous souhaitez participer à notre conversation, poser des questions ou intervenir, n’hésitez pas à nous rejoindre sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm bouton « chat », le salon c’est #libreavous. Il y a déjà Marie-Odile qui fait un petit commentaire sur la réponse de Ludovic.

Ça c’est ta présentation personnelle. Tu vas commencer à parler un petit peu à parler de XWiki. On va y revenir, évidemment, dans la suite de notre échange parce que c’est le retour d’expérience sur XWiki. Est-ce que tu peux nous dire rapidement quand est-ce que la société a été créée, un petit peu le domaine d’activité, le nombre de personnes dans l’équipe ? En quelques mots.
Ludovic Dubost : J’ai créé le logiciel en 2003. J’ai créé la société en 2004, quasiment dans la foulée, donc c’était un projet commun en fait, créer un logiciel et une société. Elle a 15 ans aujourd’hui. On est 40 personnes, 50 % en France, 50 % en Roumanie. On fait environ deux millions d’euros de chiffre d’affaires autour du logiciel XWiki et on fait des logiciels collaboratifs : l’objectif c’est d’aider les gens à partager l’information et à collaborer, et on en fait deux. XWiki c’est historique, c’est le premier, c’est moi qui l’ai créé au départ et aujourd’hui il est développé par une équipe permanente sur le sujet. Son objectif c’est d’aider le partage de connaissances que ça soit en interne ou en externe, donc on a aussi bien des sites publics de type wiki que des sites d’entreprises de partage de connaissances internes, de bases de connaissances, voire des sites collaboratifs. Le logiciel XWiki est utilisé par exemple par Amazon qui a ses propres problèmes. Moi, en tant qu’acteur du logiciel libre, je vois des problèmes autour de sociétés comme Amazon, mais c’est un utilisateur de XWiki qui a choisi XWiki pour faire son intranet en mode wiki.

On fait un deuxième logiciel qui s’appelle CryptPad. La particularité de CryptPad c’est d’être un logiciel entièrement chiffré. Il a pour objectif de permettre le partage d’informations mais en respectant la vie privée et en protégeant les informations.
Frédéric Couchet : D’accord. On parlera de CryptPad en fin d’émission si on a le temps, on essaiera de trouver le temps. Là on va se concentrer sur le retour d’expérience de XWiki. On ne va pas rentrer dans le détail sur ce que fait XWiki parce qu’on pourrait y consacrer une émission entière. On retient que c’est un outil logiciel collaboratif utilisé par des entreprises, par des collectivités, peut-être pas orienté grand public, je ne sais pas.
Ludovic Dubost : Non, il n’y a pas beaucoup de grand public qui utilise XWiki, il y en a un petit peu, on a des sites open source qui utilisent XWiki. Il peut y en avoir.
Frédéric Couchet : Mais ce n’est pas la cible principale.
Ludovic Dubost : Ce sont plutôt des organisations.
Frédéric Couchet : D’accord. On va parler du financement du Libre. Comment XWiki est financé. Première question : en introduction j’ai rappelé que logiciel libre et gratuité ce sont deux choses différentes. Pourquoi aujourd’hui le financement du Libre est-il un enjeu ? Pourquoi c’est important ? Tu peux peut-être présenter rapidement quelques modèles de financement de logiciels libres et peut-être les difficultés ou ce qui manque, déjà en introduction générale.
Ludovic Dubost : Le truc c’est que moi, en tant qu’acteur du logiciel libre, j’y vais parce qu’il y a un aspect technologique, parce qu’il y a quelque chose qui fonctionne ; d’ailleurs j’y vais aussi petit à petit, pas forcément au début, par conviction. C’est-à-dire que c’est important que les choses soient libres. Au départ convictions liées à la souveraineté : si on veut réussir des sociétés de logiciel en Europe, il y a peut-être quelque chose qu’il faut changer par rapport aux règles de concurrence avec les Américains. J’avais vu Netscape se faire massacrer par Microsoft, donc ça posait des vraies questions sur ce qui marche, ce qui peut marcher pour une société européenne. Je n’avais pas envie d’aller aux États-Unis, j’avais envie de rester en France, donc je me suis dit « il faut changer les règles du jeu ». Il y avait un aspect souveraineté. Économiquement, si on veut réussir, l’arme du logiciel libre est une arme très intéressante pour l’Europe. Ensuite j’ai découvert plus. J’ai découvert ce que dit la FSF.
Frédéric Couchet : La Fondation pour le logiciel libre.
Ludovic Dubost : La Free Software Foundation. En fait, il y a un aspect contrôle de l’individu sur le logiciel libre, c’est quelque chose qui me touchait aussi et que je trouvais intéressant.

Une fois qu’on a dit ça – ce serait vachement qu’il y ait du logiciel libre – le problème c’est comment on en vit et comment on gère la contradiction entre le fait que si on diffuse un logiciel sous licence libre il est, quelque part, gratuit. Il n’est pas obligatoirement gratuit, c’est-à-dire qu’on n’est pas obligé de tout faire gratuitement nous en tant qu’éditeur, en tant que personne qui produit le logiciel, mais le code est là, il est gratuit. On accepte la concurrence de toute personne qui viendrait se brancher sur ce code pour construire quelque chose de plus.

Comment on gère cette contradiction entre, d’un côté, on libère pour la concurrence et, de l’autre côté, il faut bien qu’on vive et qu’on paye les personnes. J’ai découvert au fur et à mesure du démarrage du business XWiki, d’abord un, les gens qui me posaient la question : « Pourquoi votre boîte va marcher si elle est en logiciel libre ? » Comment répondre à cette question-là ? Les gens à qui il fallait présenter les dossiers disaient : « Pourquoi votre boîte va marcher ? » ou des clients qui disaient : « Pourquoi votre logiciel va marcher ? »
Frédéric Couchet : On va rappeler que c’était dans les années 2000, 2003/2004, donc à une époque où le Libre était encore moins compris qu’aujourd’hui.
Ludovic Dubost : C’est ça. Aujourd’hui il est beaucoup plus compris, mais moi j’ai eu toutes les questions sur pourquoi ce logiciel va fonctionner. On pouvait donner des exemples d’autres sociétés, etc. Il y avait quelques avantages à faire du Libre, par exemple quand on vous disait : « Qu’est-ce qui se passe si vous crevez ? » Je disais : « Eh bien le logiciel sera toujours là » et ça c’est un vrai avantage. On avait aussi un autre avantage c’est que quand on faisait du commerce, quand on venait présenter le logiciel, on pouvait montrer des références. Puisque finalement, en diffusant le logiciel sur Internet, eh bien on avait des gens qui se mettaient à l’utiliser y compris des gens connus. Oracle a utilisé XWiki, je l’ai utilisé [comme argument, NdT]. Aujourd’hui j’utilise le fait qu’Amazon utilise XWiki. Ça crédibilise le logiciel. C’est un vrai avantage au niveau business de pouvoir crédibiliser son logiciel par ça. Par contre, il reste toujours le problème de comment on négocie le prix, qu’est-ce qu’on vend si le logiciel est gratuit et je l’ai découvert petit à petit, on a vu ces problèmes-là et ces difficultés. Quand on embauche des commerciaux. Le commercial c’est quelqu’un qui est là pour vendre et pour gagner de l’argent. Dès qu’il voit une difficulté pour gagner de l’argent, il commence à se dire « hou la, la, c’est ennuyeux, ça m’embête, je n’y arrive pas, etc. »
Frédéric Couchet : Je suppose que tu as embauché des commerciaux et des commerciales qui ont l’habitude de « vendre », entre guillemets, des licences, ce qui est plus simple à vendre, alors que là il fallait un modèle de financement différent.
Ludovic Dubost : Oui. XWiki a eu un très bon commercial qui venait du logiciel propriétaire, mais qui, finalement, comprenait aussi très bien aussi le logiciel libre et qui était intéressant et puis on a eu un commercial très jeune qui n’avait pas de préexistence de métier avant. Quoi qu’il en soit, on voit que la vente de logiciels libres ne se fait pas de la même manière, c’est-à-dire qu’on ne vend pas du logiciel libre de la même manière qu’on vend du logiciel propriétaire. Tu as cette contradiction de qu’est-ce qu’on vend et la relation entre le fournisseur de logiciel libre et le client n’est pas en faveur du fournisseur dans la négociation puisque le client peut dire « moi je ne paye pas ». C’est quelque chose qui est important dans les avantages du logiciel libre pour les clients, ça peut amener les clients à s’y mettre, mais finalement ils ne sont pas obligés de payer, ils peuvent utiliser le logiciel gratuitement, etc. Moi j’ai des expériences où il y a des gens qui veulent non seulement le logiciel gratuit, mais ils voudraient aussi le service gratos, c’est-à-dire « pourquoi vous ne répondez pas à toutes mes questions ? Comment j’utilise le logiciel ? Votre logiciel n’est pas assez bien, il lui manque ci, il lui manque ça ! » Je dis : « Très bien, il lui manque ci, eh bien payez et on va vous le faire. » Et là, tout de suite, on sent de temps en temps, chez certaines personnes, une sorte de réticence, une réticence à participer au financement du logiciel.

Il y a ces questions de contradiction qu’il faut traiter, donc c’est un peu pour ça que moi je m’intéresse à cette problématique de financement et on a mis en place tout un tas de méthodes assez intéressantes justement pour essayer de travailler et d’expliquer aux utilisateurs le fait que le logiciel libre n’est pas gratuit. En fait, c’est quelque chose qu’il faut expliquer.
Frédéric Couchet : Un point qui est intéressant : dans la préparation il y a un mot qui est revenu c’est « l’éthique » et je pense que c’est un peu apparu dans ce que tu expliquais au début. On ne va forcément entrer dans le détail des licences, des explications, mais toi tu as choisi un modèle qui est vraiment logiciel libre avec, au départ, une licence libre par rapport à d’autres modèles, notamment les modèles freemiums. Peut-être que tu pourrais expliquer un petit peu ce que sont ces modèles freemiums qui se développent et qui sont aujourd’hui un piège pour les structures qui vont avoir recours à ces prestations ?
Ludovic Dubost : Il y a beaucoup de licences et de modèles de business. Parfois, les modèles de business sont liés à la licence, parfois ils ne le sont pas forcément. Nous, on a fait un choix. En interne, nos employés ont envie de faire du Libre, c’est ce qui les motive. Si on leur explique qu’on va faire des parties propriétaires dans ce qu’on fait, ils disent « on ne se reconnaît plus dans une société de logiciel libre ». Donc on vit aussi cette contradiction en interne, c’est-à-dire qu’est-ce qu’on fait, comment on fait fonctionner ?

Il y a plein de business modèles. On peut parler, par exemple, des business modèles utilisés par les sociétés les plus capitalistiques, les plus capitalistes, celles qui reçoivent des investisseurs et des VC.
Frédéric Couchet : VC ?
Ludovic Dubost : Venture capitalists qui veulent des résultats.
Frédéric Couchet : Une croissance à deux chiffres, à trois chiffres, va savoir !
Ludovic Dubost : Une croissance à deux chiffres, dix fois la valeur de ce qu’ils ont mis au départ, etc. Là, ce qu’on voit, c’est qu’ils mettent beaucoup d’argent, ils donnent du logiciel libre, mais en fait, derrière, soit ils construisent une offre propriétaire par-dessus le logiciel libre.
Frédéric Couchet : Avec les fonctionnalités les plus intéressantes dans la version propriétaire et non pas dans la version libre !
Ludovic Dubost : C’est ça. Et il y a plein de tricks.
Frédéric Couchet : Tricks ?
Ludovic Dubost : Des tricks dans le sens des astuces, c’est-à-dire que finalement on fait croire à l’utilisateur qu’il a un logiciel qui est complet et, en fait, quand il arrive au moment où il veut vraiment l’utiliser sérieusement, l’utilisateur se rend compte qu’il manque plein de trucs qui sont hyper-importants pour lui.
Frédéric Couchet : Donc cette personne est obligée d’utiliser la version privatrice.
Ludovic Dubost : Il doit passer à la version propriétaire et là il se retrouve exactement dans la même situation qu’avec un logiciel propriétaire, c’est-à-dire dans la situation où l’utilisateur n’a plus de pouvoir du tout, c’est-à-dire que c’est l’autre qui décide combien ça coûte. Il peut décider de rester sur la version libre, il y a toujours cette partie libre qui est là et ça, il faut reconnaître que c’est extrêmement positif pour le monde du logiciel libre. Elasticsearch est un bon exemple. C’est un super logiciel.
Frédéric Couchet : Qui permet de faire de l’indexation et de la recherche.
Ludovic Dubost : Ouais, de la recherche, des analyses statistiques, etc. On l’utilise aussi, on utilise la version libre. Si on veut sécuriser correctement Elasticsearch, il n’y a plus rien ! Il n’y a plus rien d’Elasticsearch.
Frédéric Couchet : Tu veux dire sécuriser d’un point de vue technique ?
Ludovic Dubost : Oui, mot de passe, droits sur les données, etc.
Frédéric Couchet : Il y a eu un bug récemment.
Ludovic Dubost : Oui, c’est ça, c’est un bon exemple. Moi je considère que c’est de la responsabilité de la société d’avoir volontairement mis en place une plateforme non sécurisée. C’est-à-dire que c’est volontaire qu’elle soit non sécurisée pour que les fonctionnalités de sécurisation soient vendues et on se retrouve avec des données qui sont « likées » sur Internet parce qu’il y a des gens qui ont mis sur Elasticsearch des data, etc.
Frédéric Couchet : Ce sont des données ont été fuitées, je crois que c’est une structure publique, je n’ai pas le nom en tête, le site Next INpact en a parlé, mais les personnes qui ont mis en place le site, justement ne savaient pas qu’il y avait ce problème d’absence de sécurité donc ces données ont fuité. Toi tu penses que la responsabilité c’est évidemment celle d’Elasticsearch.
Ludovic Dubost : Il y a une responsabilité du fait que volontairement ils ne mettent la fonctionnalité de sécurisation et ils le font pour de bonnes raisons : ils le font pour avoir quelque chose à vendre, ce qui est légitime quelque part ; c’est légitime qu’ils aient quelque chose à vendre. Par contre, c’est complètement occulté. Ils ne vont pas expliquer « on n’a pas sécurisé le truc pour que vous achetiez la version sécurisée ». L’objectif c’est de diffuser un maximum le logiciel en version gratuite, donc c’est du freemium.
Frédéric Couchet : C’est ce qu’on appelle le freemium.
Ludovic Dubost : Voilà. C’est ce qu’on appelle le freemium, par contre c’est un peu un freemium, pas hypocrite, mais on cache.
Frédéric Couchet : Il est caché quoi.
Ludovic Dubost : Il est caché. Ça existe aussi dans les modèles SaaS. Slack c’est gratuit et du jour au lendemain.
Frédéric Couchet : Explique ce qu’est un modèle SaaS.
Ludovic Dubost : Un modèle SaaS c’est « je fais un service en ligne gratuit sur Internet ».
Frédéric Couchet : C’est logiciel comme service.
Ludovic Dubost : C’est ça, je fais un logiciel comme service sur Internet, Slack est un bon exemple, qui est un grand succès.
Frédéric Couchet : Slack est un outil de chat.
Ludovic Dubost : De chat, de discussion d’entreprise.
Frédéric Couchet : D’organisation, de discussion d’entreprise.
Ludovic Dubost : C’est un concurrent de Skype qui a un peu pris la main sur Skype aujourd’hui. Il y a des alternatives libres Matrix Riot par exemple, Mattermost, qui sont très bien.
Frédéric Couchet : Tous les noms techniques qu’on va citer, on va essayer de les expliquer un peu petit peu, sinon on mettra des liens sur le site de l’April et sur le site de Cause Commune.
Ludovic Dubost : Slack est un logiciel gratuit. En fait, si vous échangez plus de 10 000 messages ils ne sont plus dans votre recherche, c’est-à-dire que vous n’avez pas d’archivage au-delà de 10 000 messages. Mais, du jour au lendemain, ils peuvent décider de changer leurs règles, décider qu’à partir de demain il n’y a pas plus d’ouverture de Slack gratuit. Il y a un problème d’éthique dans tous ces modèles, en fait, dans le fonctionnement de ces modèles freemiums, qu’ils soient libres ou pas libres, avec du logiciel libre ou sans logiciel libre, il y a un problème éthique qui est le fait de ne pas dire ce qu’on a planifié de faire. C’est-à-dire que l’objectif c’est d’avoir un maximum de diffusion, un maximum d’utilisateurs et, plus tard, on va faire payer ces utilisateurs. On ne dit pas comment on va le faire, mais on sait très bien comment on va le faire.

On pourrait dire que Facebook c’est exactement la même chose : partagez sur Facebook c’est génial, c’est super, etc., et maintenant boom ! Le système de tracking universel qui mate toutes nos données, avec des services de plus en plus intrusifs qui utilisent de plus en plus de données. Au départ, ces services n’y étaient pas, donc en tant qu’utilisateur vous ne vous rendiez pas compte du problème. Maintenant tout le monde est OK et, en fait, on n’arrive plus à en sortir. Ils ont pris le marché et on n’arrive pas à sortir du système.

Ces modèles freemiums existent, ils ne nous convenaient pas, c’est-à-dire que ça ne nous convient pas de cacher des choses à l’utilisateur.
Frédéric Couchet : Parce que toi, si je comprends bien, il y a un point essentiel, c’est comment financer du Libre tout en gardant l’éthique du Libre, en fait. Quelque part, c’est ce que j’ai l’impression de comprendre.
Ludovic Dubost : En étant éthique, oui.
Frédéric Couchet : Et en respectant les structures utilisatrices de ton produit.
Ludovic Dubost : C’est ça. Respecter nos utilisateurs, les gens qui ont fait la promo de notre logiciel libre gratuitement et qui nous ont fait connaître, les contributeurs qui nous ont donné du code. Quand j’ai démarré XWiki il y a des gens qui m’ont donné du code gratos, juste comme ça, pour m’aider parce qu’ils trouvaient ça sympa. Demain je ferme tout, je ferme mon logiciel, je ne me sens pas bien ! C’est bien, c’est super, c’est du business mais ce n’est pas de l’éthique. Nous on veut garder cette éthique.

Il y a plein de méthodes. On peut peut-être passer un peu ces méthodes.
Frédéric Couchet : On va parler des méthodes. Peut-être une petite réaction sur une des difficultés dans les financements des projets libres et des logiciels libres. Tout à l’heure j’ai évoqué le cas de VLC, parce que là on va plutôt parler d’outils d’entreprises. Il y a une problématique du financement de ce qu’on va appeler des logiciels utilisation finale, pour l’utilisateur et l’utilisatrice type VLC et autres. Ça c’est une problématique que tu as étudiée ou pas du tout ?
Ludovic Dubost : Nous, on n’est pas allé vers le grand public.
Frédéric Couchet : C’est un choix volontaire ?
Ludovic Dubost : En tout cas, c’est ce qu’on a fait comme choix avec XWiki. Maintenant, CryptPad va vers le grand public. On en parlera. CryptPad va vers le grand public pour plein de bonnes raisons. C’est plus par rapport à l’usage du produit XWiki qui va plus vers l’entreprise et l’organisation que vers le grand public. Ce n’est pas forcément un choix personnel d’avoir absolument envie de faire de l’entreprise ou absolument envie de ne pas faire de grand public.
Frédéric Couchet : D’accord. Quand on parlera de CryptPad on verra qu’il y a des modèles de financement qui dépendent justement de la cible aussi.
Ludovic Dubost : Les problèmes de financement d’un VLC, d’un XWiki ou d’un CryptPad ne sont pas du tout les mêmes ; il n’y a pas un modèle de financement valable pour tous les logiciels libres. Il y a plein de logiciels libres différents, donc il faut vraiment adapter. L’expérience que je peux présenter par rapport à XWiki, par rapport à CryptPad, elle est valable pour nos types de logiciels, elle ne sera peut-être pas valable pour tous les types de logiciels.
Frédéric Couchet : D’accord. On va en parler juste après. Je vais prendre une question sur le salon web. Stephan demande : « Que dire à la direction d’un système d’information d’une grande entreprise quand l’argumentaire principal est de trouver une personne, entité, sur qui taper en cas de problème ? » C’est le fameux argument, quand je prends du Microsoft ou de l’IBM, je sais sur qui taper. Quand on prend du XWiki on tape sur qui ?
Ludovic Dubost : On tape sur XWiki, il n’y a pas de problème.
Frédéric Couchet : Plus globalement quelle est la réponse ?
Ludovic Dubost : Ça dépend. Je ne sais pas exactement dans quel contexte les gens présentent ça : est-ce que c’est un employé de la DSI qui veut mettre du logiciel libre dans sa DSI, dans son entreprise et les gars lui disent : « Tu ne vas pas me mettre du Nagios parce qu’il n’y a personne pour s’en occuper ! »
Frédéric Couchet : Je suppose que l’argumentaire c’est la comparaison c’est entre des entreprises qui sont relativement petites par rapport aux grosses entreprises.
Ludovic Dubost : À la rigueur, ce n’est pas grave. Derrière la plupart des logiciels libres, il y a soit une société éditeur principal : dans les logiciels d’entreprise, il y en a beaucoup. Il n’y a pas tant de développeurs sur un logiciel libre, on va les compter sur les doigts d’une main, il n’y a pas besoin de tant de développeurs pour faire un bon logiciel – il faut déjà se rendre compte de ça – c’est-à-dire que tu peux faire un bon logiciel avec très peu de développeurs, ce n’est pas le problème. La question est de savoir est-ce que tu as une entité juridique avec laquelle tu peux traiter ? Parfois ça peut être un éditeur, parfois ça peut-être des sociétés de service. Je pense que dans tous les cas, si le seul problème de la DSI c’est de trouver des entités juridiques pour se garantir un bon niveau de service et savoir sur qui taper, on les trouve ! Il suffit de payer ! Le problème c’est quand tu essayes de faire la gratuité et avoir quelqu’un sur qui taper. Là, c’est normal qu’il n’y ait personne, ça ne peut pas marcher !
Frédéric Couchet : Là, ça ne marche pas !


Les personnes qui nous écoutent, si vous souhaitez participer à notre discussion, n’hésitez pas à nous rejoindre sur le salon web de la radio, le site causecommune.fm, vous cliquez sur le bouton « chat » et vous nous rejoignez sur le salon #libreavous.
Après cette introduction, on va continuer la discussion sur le retour d’expérience concret de XWiki en espérant arriver à trouver le temps d’aborder tous les sujets, sinon on réinvitera Ludovic.
On a bien compris que le choix de départ de Ludovic et de la société XWiki c’est le financement de projets libres et avec une éthique, vraiment du vrai logiciel libre, tel qu’on peut l’entendre. Comment fonctionne, finalement, ce financement de logiciel libre ? Comment tu as démarré ? Comment ça fonctionne aujourd’hui ? À quoi tu as recours pour financer le projet ? Est-ce que c’est du support, de la formation ? Est-ce que ce sont des subventions, des donations ? Est-ce que c’est un ensemble de toutes ces choses ?
Ludovic Dubost : C’est globalement un ensemble de choses et la première chose avec laquelle on a commencé c’est le service : j’ai un logiciel, j’ai du code, c’est moi qui l’ai créé, il manque quelque chose. Vous, vous voulez faire quelque chose ? Ce logiciel peut faire partie de ce dont vous avez besoin et les premiers projets de service qu’on a faits, à la rigueur, ils auraient très bien pu être faits avec autre chose que XWiki. En fait, c’est petit à petit que nos projets de services et ensuite nos business sont devenus de plus en plus proches de l’objectif de XWiki. Le démarrage de XWiki c’est de dire « vous avez besoin de quelque chose, je peux le faire et je vais le faire avec XWiki. Ou je vais faire quelque chose et moi je vais réutiliser le résultat sous forme de logiciel libre avec XWiki. » C’est finalement avoir un deal avec ton client, c’est dire : « Tu me payes pour faire ton projet et moi je récupère aussi le code. Il y a une partie qui est pour toi et il y a une partie qui est libre », et il y a une partie qui est aussi, finalement « pour nous », entre guillemets.

On a commencé par faire des projets de services. Il y avait quand même une idée derrière le logiciel. D’ailleurs mon premier financeur c’est le chômage, comme pour beaucoup de gens. J’ai quitté la société où j’étais avant avec un deal.
Frédéric Couchet : Avec un accord.
Ludovic Dubost : Avec un accord, j’ai pu fonctionner avec le chômage, ça m’a financé pendant deux ans et ça m’a permis de développer le logiciel. Donc il y avait un logiciel qui avait un objectif, qui sert à quelque chose, diffusé sous forme de logiciel libre, il lui manquait pas mal de choses. Les premiers clients disaient : « Est-ce que vous pouvez faire ci, est-ce que vous pouvez faire ça ? » et on s’est fait payer pour faire ces éléments de service. Ça c’est le premier élément.
Frédéric Couchet : Ce qui est intéressant sur ce premier élément c’est que tu expliques que des entreprises t’ont payé pour ajouter des choses dont elles avaient besoin tout en t’autorisant à les reverser, en tout cas partiellement, en tant que logiciel libre.
Ludovic Dubost : En fait, on le mettait quasiment comme deal du contrat. C’est-à-dire que notre logiciel est en licence LGPL [GNU Lesser General Public License], au début il était même en GPL[GNU General Public License], de toutes façons quand on va faire des choses sur le logiciel, eh bien on va respecter la licence.
Frédéric Couchet : On ne va pas rentrer dans le détail des licences libres, d’ailleurs on consacrera une émission à ce sujet-là, mais ce sont des licences qu’on appelle des licences à réciprocité qui, quelque part, encouragent en tout cas à reverser dans le pot commun du développement. Ce qui est intéressant c’est que des entreprises ont accepté ce modèle, cet accord, de se dire « je finance un développement parce que j’en ai besoin, mais il va être reversé dans le pot commun », avec aussi l’argument qu’en fonction de l’évolution des versions de XWiki ces fonctionnalités vont rester, donc, en fait, ça profite à tout le monde.
Ludovic Dubost : D’ailleurs ça a continué même après. C’est-à-dire que régulièrement on nous paye des fonctionnalités qu’on reverse au pot commun. Les clients comprennent assez bien que c’est leur intérêt que ça aille dans le pot commun parce que ça va être maintenu. Parfois, on peut même arriver à faire payer une fonctionnalité par deux clients différents, c’est-à-dire qu’ils partagent le coût : on propose la fonctionnalité à quelqu’un et ensuite il y a quelqu’un d’autre qui finance une autre partie et on fait partager le coût de la fonctionnalité à deux clients.
Frédéric Couchet : Et ça, ça a fonctionné dès le départ dans les entreprises, parce qu’on le rappelle, c’était dans les années 2000.
Ludovic Dubost : 2003/2004, c’était plus tôt. Au début c’est plutôt dans le cadre d’un projet pour avoir un objectif et, à un moment donné, on est arrivé à des fonctionnalités. Par exemple Amazon a payé une grande fonctionnalité du logiciel XWiki. Amazon utilise XWiki mais a aussi payé quasiment une année de roadmap. C’était un deal de 150 000 euros de financement du produit. On a eu des financements de l’éditeur WYSIWYG, pour remplacer l’éditeur WYSIWYG.
Frédéric Couchet : WYSIWYG c’est What you see is what you get. C’est un éditeur graphique, on va dire visuel. Ça c’est intéressant. D’ailleurs tout à l’heure j’aurai peut-être une question quand on parlera de CrypPad parce que ce n’est pas la même licence pour CryptPad et pour XWiki. Tu nous expliqueras le changement de licence à ce niveau-là.

Je regarde le salon web, ça discute sur le salon web justement sur l’amalgame logiciel libre et gratuité.

Le temps passe super vite. On va faire une pause musicale. Je retrouve mon petit papier. Nous allons écouter Fear par Lemmino. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : Fear par Lemmino.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Fear par Lemmino, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm.

Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix de possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Nous parlons toujours du financement de logiciels libres avec le retour d’expérience de la société XWiki avec son fondateur Ludovic Dubost.

Avant la pause musicale, nous parlions de la partie service, support, et une question pour relancer un petit peu sur cette partie-là, est-ce que ça fonctionne sur le long terme cette partie service, support, est-ce que ça permet de grossir ? Ludovic Dubost.
Ludovic Dubost : Le service c’est très bien, mais le problème, effectivement, c’est que ce n’est pas facile de grossir. En fait, il faut embaucher pour pouvoir faire plus de services et si, du jour au lendemain, vos clients ne vous achètent plus de services, eh bien vous n’avez plus de revenus et vous n’avez plus de quoi payer les personnes que vos avez embauchées. Donc en tant qu’entreprise ce n’est pas facile. On peut le faire avec des free-lance mais c’est très difficile aussi. C’est problématique. Donc ce qui est important quand on est éditeur de logiciel c’est de se focaliser sur le revenu produit. Comment on génère du revenu produit ? Le service c’est super pour démarrer, ça permet de démarrer, de partir de zéro et de financer doucement, petit à petit, son business mais ce n’est pas facile à scaler.
Frédéric Couchet : La mise à l’échelle.
Ludovic Dubost : De monter à l’échelle et de grandir sur ce revenu-là.

Dès le début on s’est posé la question : il est hyper-important de vendre un revenu récurrent. Ça c’est le support. Le premier type de revenu récurrent qu’on a vendu c’est le support. C’est d’associer à nos projets de services un contrat de support. Justement, une chose qu’on a faite plutôt tardivement, c’est de différencier le prix de service si le client prend ou pas du support. Au début on prenait tous les clients et on ne différenciait pas les clients.
Frédéric Couchet : Même tarif pour tout le monde.
Ludovic Dubost : Même tarif pour tout le monde. Maintenant, si vous ne prenez pas de support, c’est 50 % de plus sur le prix du service.

Une deuxième chose qu’on a faite pour mettre en avant les offres de support, c’est de dire : vous avez un prix pour trois ans de support et c’est plus cher si vous ne prenez qu’un an. Donc si vous nous suivez dans le long terme, on vous fait un prix.
Frédéric Couchet : C’est-à-dire que a fidélité vous permet de payer moins cher.
Ludovic Dubost : C’est intéressant parce que beaucoup d’éditeurs de logiciels qui font ça. Quand mon commercial est venu au début de XWiki m’apporter un peu cette expérience des grands éditeurs de logiciels, c’était trois ans pour le prix de deux, cinq ans pour le prix de trois. C’est exactement la même chose, en fait, ce qu’on fait avec 30 % de moins si c’est trois ans, mais ce n’est pas présenté de la même manière. C’est-à-dire que, finalement, on présente le fait que si vous nous accompagnez sur le long terme, on ne vous fait pas le même prix. Et c’est la même chose avec l’augmentation de 50 % du support. Le fait d’avoir défini ces politiques-là sur notre site et dans notre politique commerciale fait qu’on engage la discussion sur le logiciel libre avec le client. Pour moi ça a été quelque chose de très important et c’est assez récent, on a démarré ça en 2016/2017, près de dix après, justement en changeant un peu cette façon de parler du logiciel libre à nos clients. Avant, on avait presque tendance à cacher un peu le fait qu’on faisait du logiciel libre parce qu’on avait peur, finalement quelque part, « c’est gratuit à côté ». Maintenant on engage frontalement la discussion du financement du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Tu en fais un acte de vente en fait, un argument de vente.
Ludovic Dubost : On en fait un outil de vente pour expliquer « vous devez payer pour nous accompagner parce que vous faites partie de l’existence du projet. »
Frédéric Couchet : Tu parles des structures clientes. J’aurais une petite question sur la gouvernance du projet. On a bien compris que tu as créé initialement XWiki, maintenant c’est une société avec une quarantaine de personnes. Est-ce que vous avez des contributions externes ? Est-ce que dans l’évolution du projet, dans sa feuille de route, c’est XWiki qui décide de tout ou les contributions externes, enfin les personnes contributrices externes participent aussi aux prises de décision ?
Ludovic Dubost : À XWiki on a fait un choix : séparer le projet libre de la société. Le seul truc qu’on n’a pas fait c’est de lui donner un nom différent. On s’est gardé pour la société une sorte de petit avantage, c’est qu’on a le même nom que le projet libre. Par contre, on a une gouvernance différente entre la société et le logiciel libre. Le logiciel libre est sous gouvernance Apache, méthode Fondation Apache. C’est-à-dire que les gens qui codent, qui participent au code, peuvent voter.

Maintenant, ce qui est compliqué dans le domaine du logiciel libre d’entreprise, c’est qu’il n’y a pas tant de contributeurs que ça. Il y en a, il y a des contributeurs un peu actifs, mais rapidement ils n’ont pas l’activité d’un employé permanent et, en fait, ils ont du mal à suivre, donc ce n’est pas facile. Par contre, il y a des contributeurs qui contribuent du bug, qui contribuent du test.
Frédéric Couchet : De la correction de bug.
Ludovic Dubost : De la correction de bug et même juste le fait de les signaler, c’est une contribution qui a beaucoup de valeur, ils ramènent l’information auprès de la communauté. On a une approche très ouverte vis-à-vis de toute personne qui veut participer dans le projet. Par contre, et c’est le cas de pas mal de projets libres d’entreprises, c’est difficile d’avoir un nombre de contributeurs élevé. C’est-à-dire que rapidement c’est l’entreprise principale qui fournit le maximum de développeurs. C’est aussi le cas de Drupal, qui a pourtant une communauté encore bien plus grande que XWiki.
Frédéric Couchet : Drupal c’est pour faire des sites web.

On va continuer sur le financement et le retour d’expérience de XWiki, notamment un point intéressant sur la partie répondre à des appels de financement de projets de recherche français et européens – tu l’as utilisé à la fois pour XWiki et CryptPad, peut-être l’occasion aussi d’expliquer un petit peu CryptPad – et aussi les donations, parce que c’est un modèle complémentaire.
Ludovic Dubost : Les éditeurs de logiciel ont la chance, en Europe, de pouvoir faire appel à des fonds publics, qu’on soit éditeur de logiciel libre ou pas libre. J’encourage toute personne qui veut développer des logiciels à faire le plus possible appel à ces fonds publics.

XWiki, dès 2006, a commencé à participer à des projets de recherche d’abord collaboratifs. En fait, on a collaboré avec Mandriva à l’époque qui, malheureusement, n’existe plus aujourd’hui.
Frédéric Couchet : Une distribution GNU/Linux à l’époque.
Ludovic Dubost : Maintenant il y a Mageia, qui est devenue Mageia.
Frédéric Couchet : Exactement.
Ludovic Dubost : Donc on est rentré dans ces projets de recherche collaboratifs qui, entre autres, sont assez accueillants vis-à-vis du logiciel libre, parce que finalement, pour des fonds publics, financer de la recherche dont l’application va être mise sous forme de logiciel libre est un point positif.
Frédéric Couchet : Il y a une certaine logique.
Ludovic Dubost : Voilà. il y a une certaine logique, ça va pouvoir être utilisé plus largement que juste par les acteurs du projet de recherche. L’objectif d’un projet de recherche ce n’est pas de financer la R & D d’une société particulière, l’objectif d’un projet de recherche c’est de faire avancer l’état de l’art d’un côté sur la partie recherche et aussi d’aider, quand même, des entreprises à émerger dans ce cadre-là. Donc les logiciels libres sont plutôt bien reçus dans ces différents projets de recherche, qu’ils soient français ou européens. Nous on a pas mal bénéficié de ce type projet, on a testé les choses, et CryptPad est issu d’un de ces projets de recherche, financé par la BPI.
Frédéric Couchet : Banque publique d’investissement.
Ludovic Dubost : Voilà. L’objectif c’était de travailler sur les éditeurs temps réel en ligne, qui était une technologie qui ne nous intéressait à l’époque que pour XWiki initialement, c’est-à-dire que l’objectif c’était de permettre d’éditer dans XWiki en temps réel, donc on a une extension qui utilise les résultats de cette recherche. Et en fait, quand on a développé la technologie, on s’est rendu compte que l’algorithme qui avait été développé n’avait pas besoin du serveur.
Frédéric Couchet : Tout se fait sur le poste client. C’est ça ?
Ludovic Dubost : C’est ça. La logique principale se fait sur le poste client et le serveur ne servait que de relais aux données mais n’avait pas besoin de les connaître. Et là, on s’est dit « mais attendez, on peut chiffrer la donnée ». Le fait de pouvoir chiffrer une édition temps réel, finalement on l’a vu comme un résultat de recherche vraiment très important. Pourquoi ? Parce qu’à partir de là on s’est rendu compte qu’on pouvait construire une application collaborative complète à base de ce système de données temps réel synchronisé sans que le serveur puisse connaître la donnée. Donc on a décidé de développer CryptPad et la logique de CryptPad ce n’est pas uniquement de faire de l’édition temps réel d’un document, c’est de faire une plateforme collaborative complète, mais à aucun moment celui qui gère les données sur le serveur ne peut accéder aux données de ses utilisateurs.

En fait, c’est quelque chose qui existe très peu, en fait qui n’existe même pas, quasiment pas, sauf pour quelques applications très particulières. Dans CryptPad, on fait tout un tas d’applications sur le même modèle.
Frédéric Couchet : Pour les personnes qui veulent tester en l’occurrence c’est cryptpad.fr, c’est ce qu’on appelle le zéro connaissance, c’est-à-dire que le serveur n’a aucune connaissance des données qui sont éditées parce que tout se passe sur le poste client, quelque part, avec du chiffrement.
Ludovic Dubost : Au départ c’est un Framapad.
Frédéric Couchet : C’est ce que j’allais dire, au départ c’est un Framapad sauf que c’est une extension qui permet d’avoir de l’édition collaborative, mais vraiment avec du chiffrement et sans connaissance par le serveur des données échangées. Donc le point de départ c’est un financement de projet de recherche français.
Ludovic Dubost : Tout à fait. Au départ c’est un financement de projet de technologie pour XWiki. Dans le cadre de ce projet on a dit « on va faire un deuxième projet » qui n’était même pas prévu au départ – le lancer en tant que produit – l’objectif c’était de lancer des prototypes. On s’est rendu compte que c’était viable, donc on a décidé de le lancer.

Un an avant la fin du projet de recherche, on s’est dit « mais comment on fait pour le continuer ? » Là on a décidé de faire appel à de la donation et de faire des souscriptions. En fait CryptPad c’est un logiciel libre qui a une version gérée par nous, qui s’appelle cryptpad.fr, c’est notre instance CryptPad, un peu comme Mastodon a son instance. Et là, si vous dépassez 50 mégas, eh bien il faut payer.

À ce moment-là, on a décidé qu’on allait faire les souscriptions et les donations en même temps, et qu’on allait expliquer l’importance de financer le projet. L’aspect donation était très important pour expliquer pourquoi le service crypad.fr n’était pas gratuit et pourquoi on encourageait à nous payer d’une façon ou d’une autre. Ce qui est très intéressant c’est qu’on a vu que quand on a lancé les donations et lancé les explications autour des donations, ce qu’on a fait sur Open Collective qui est un service très intéressant pour justement demander des fonds pour du logiciel.
Frédéric Couchet : En une phrase Open Collective ?
Ludovic Dubost : Open Collective est une plateforme où on peut créer son collectif pour financer quelque chose qui est libre. Pas forcément du logiciel, on peut aussi décider, par exemple, de financer une conférence.
Frédéric Couchet : Ça permet de gérer les donations, etc.
Ludovic Dubost : Ça gère les donations et on peut prendre des paiements ; on voit qui a payé. Ce que j’aime bien dans Open Collective par rapport à d’autres systèmes qui ont aussi été lancés c’est que c’est orienté un peu finance ouverte, c’est-à-dire « présentez l’objectif, soyez ouverts, présentez de la donnée transparente sur votre projet ». C’est ça que j’ai trouvé très intéressant et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai bien aimé cette plateforme. Au passage, on a décidé d’ouvrir les finances de CryptPad. Pas les finances complètes de XWiki parce que c’est compliqué, ça nous prendrait beaucoup de temps et pour le moment c’est compliqué de le faire. On a pris le budget de CryptPad et on a ouvert les finances de CryptPad, incluant non seulement les fonds qu’on obtient par Open Collective, les fonds qu’on obtient par les souscriptions sur cryptpad.fr et les fonds qu’on obtient par des financements de recherche. Pour finir, ce qui était très intéressant, c’est que le fait d’avoir ouvert et expliqué les donations, la partie donations, eh bien ça a augmenté les souscriptions.
Frédéric Couchet : C’est-à-dire que quand tu expliques à quoi sert l’argent ça augmente le don.
Ludovic Dubost : Pas que le don ! Les souscriptions aussi. Il y a des gens qui ont payé le service alors qu’ils n’ont pas besoin de payer le service. C’est-à-dire qu’ils pouvaient très bien continuer à utiliser la version gratuite, mais ils ont décidé de payer. On a aujourd’hui un sondage pour demander aux gens comment ils utilisent, eh bien une partie des gens a dit : « J’ai payé une souscription parce que je voulais supporter le projet et pas parce que j’avais besoin de le payer. » Donc c’est très intéressant parce que ça permet d’expliquer un peu comment ça fonctionne et comment réussir à payer.

Pour finir, CryptPad a aussi obtenu des fonds. Les souscriptions ne suffiraient pas. Aujourd’hui on a besoin de multiplier au moins par dix pour être capables de payer les deux personnes qui bossent sur CryptPad. Ce qui est intéressant dans le cas de CryptPad c’est que, justement à l’opposé de XWiki, on ne fait pas du tout de service et, pour le moment, on se dit qu’on ne va peut-être pas en faire du tout. C’est-à-dire qu’on va essayer de rester très produit, tout dans la même livraison et pas de spécifique ou de choses autour. Et on ne fait même pas d’entreprise, c’est-à-dire qu’on n’a pas de contrat de support pour entreprise, on ne vend que des souscriptions en cloud et des donations. Par contre, on a besoin de très peu de personnes, c’est-à-dire qu’on a deux développeurs, ils sont trois aujourd’hui dans l’équipe parce qu’on a une troisième personne, et le problème c’est comment on finance cette petite équipe. À l’intérieur de XWiki, l’avantage c’est qu’on n’a pas besoin de financer les frais fixes, etc., et ça ne suffirait pas aujourd’hui d’être uniquement sur des souscriptions, des donations parce que, pour le moment, on est à 10 000 euros. On estime être capables d’atteindre 20 000 cette année, sur l’année 2020, donc on double, ce qui est déjà bien ! Doubler d’une année sur l’autre ce n’est pas mal ! Et ça suit assez bien l’usage de CryptPad. Notre analyse c’est qu’il faut qu’on multiplie par dix CryptPad pour pouvoir atteindre 100 000 euros et avec 100 0000 euros on peut commencer à payer des vrais salaires.

Par contre, entre temps, il faut qu’on trouve d’autres financements. Là on a trouvé des financements avec Next Generation of the Internet qui est un fonds européen géré par NLnet, une fondation hollandaise qui finance du logiciel libre. J’encourage les gens à aller regarder ça. On mettra les liens dans les résumés. En fait, on peut obtenir des fonds de 50 000 euros qu’on soit une entreprise, un particulier, pour un logiciel libre qui répond aux objectifs du fonds. Ça s’appelle les Cascade Funding, c’est un nouveau système de financement européen.
Frédéric Couchet : Financement en cascade.
Ludovic Dubost : Voilà. Financement en cascade, l’Europe donne six millions à une organisation qui les redistribue sous forme de petits paquets. C’est un mode de financement qui est vraiment très intéressant et on a foncé là-dessus pour CryptPad qui matchait, qui correspondait bien aux sujets qui étaient proposés, donc on a foncé là-dessus. J’encourage les gens à aller voir ces types de financement.
Frédéric Couchet : D’accord. Le temps a filé super vite. Est-ce que tu te sens de résumer en moins de deux minutes les éléments clés sur ce sujet de financement ou on passe directement à la dernière question bonus ?
Ludovic Dubost : Je peux résumer en une minute.

La première chose que j’aimerais que les gens retiennent de la problématique du financement du logiciel libre c’est déjà qu’on peut se financer. C’est-à-dire qu’il y a plein de sources de financement à commencer par le service ; on peut développer du logiciel libre, on peut vivre en faisant du service. On ne va pas devenir riche, il faut être clair. Il ne faut pas que ça soit l’objectif. Il ne faut pas faire du logiciel libre dans l’optique de se dire qu’on va devenir riche. Il faut faire du logiciel libre parce qu’on a envie de faire du logiciel libre et parce que c’est le boulot qu’on a envie de faire tous les jours.

La première chose c’est qu’il y a des financements. Par contre, si on veut pouvoir avoir un peu plus de moyens, de personnes, c’est-à-dire dépasser deux/trois ou d’être juste dans son coin en train de trouver des financements, ce qui a aussi un intérêt parce que quand on grossit un peu l’entité, eh bien on peut aussi demander plus de choses, y compris aux fonds publics – on ne peut pas demander des fonds publics en étant tout seul à part NGI [Next Generation Internet] qui est intéressant. Si on veut pouvoir grandir, avoir un peu plus d’impact, eh bien il faut aller vers le produit. Il faut trouver des moyens de vendre du produit, donc le support, les souscriptions, les donations, vendre le travail qui est fait sous forme de logiciel libre.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc en combinant plusieurs méthodes on arrive à faire une société qui existe depuis 15 ans et qui se développe.

Avant la dernière question bonus, je prends une dernière question sur le salon web, il faudra vraiment répondre en 30 secondes, une question de Anne L’Hôte qui sera dans le sujet suivant : est-ce que le temps de recherche de financements ne prend pas le pas sur le temps de développement du code ? En 30 secondes.
Ludovic Dubost : Non, ça ne prend quand même pas le temps, mais il est vrai que parfois on se sent un peu, d’un certain point de vue, comme une ONG. On sait qu’une ONG passe en moyenne 15/20 % de son temps à chercher des fonds. Oui, c’est vrai, on passe un certain temps à chercher des fonds, mais ça vaut le coup, c’est-à-dire que c’est aussi le seul moyen de grandir. Maintenant, si on arrive à bien cibler ses actions, on arrive à les amener dans la bonne direction.
Frédéric Couchet : D’accord. Dernière question. Je précise qu’on a du timing tout simplement parce que le sujet d’après est enregistré, on est obligé de finir à une certaine heure pour ne pas dépasser. Un coup de cœur de lecture ou autre, je crois que tu voulais nous parler, alors très rapidement, d’un livre auquel tu as participé, pour lequel tu as été interviewé, qui s’appelle Déclic de Maxime Guedj et Anne-Sophie Jacques. Pareil en 30 secondes.
Ludovic Dubost : Il est sorti il y a trois semaines, si je ne me trompe pas. J’ai eu la chance de faire partie des interviewés de ce livre. Ce que je trouve très intéressant dans ce livre c’est qu’il présente, en fait, comment vivre dans le numérique, comment utiliser le numérique sans tomber dans le piège des géants du Web. Aujourd’hui on est tous sensibles, on entend tous les problèmes autour des GAFAM – Google Apple, Facebook et compagnie – et comment on peut profiter des services numériques sans tomber dans tous les problèmes associés à cette domination massive de l’Internet par ces acteurs. Ce que je trouve intéressant c’est que ce livre ne consacre pas tout le bouquin à râler, il consacre aussi une partie du bouquin à montrer les solutions qui existent. C’est aussi un peu dans ce cadre-là que j’avais été interviewé. Justement, un des pans qui est repris mon intervention, c’est le financement par les fonds publics, recherche, etc. Il y a cette partie et il liste aussi des solutions : regardez, il y a ça comme logiciels qui existent comme alternatives.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est le livre Déclic de Maxime Guedj et Anne-Sophie Jacques, édition Les Arènes, 240 pages. Effectivement, c’est « et s’il existait un autre Internet respectueux de nos libertés », avec des solutions pratiques. Je vous encourage à le commander et à le lire.

Merci Ludovic. C’était Ludovic Dubost de la société XWiki pour ce retour d’expérience sur le financement de logiciels libres. Je pense qu’on aura l’occasion de te réinviter pour une prochaine émission. Je te souhaite une bonne fin de journée.
Ludovic Dubost : Merci Frédéric.
Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Nous allons faire une courte pause musicale, c’est Black Bird par Emmanuel Saracco. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Pause musicale : Black Bird par Emmanuel Saracco
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Black Bird par Emmanuel Saracco, disponible sous licence Art Libre. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écouter toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]

Interview du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) qui a reçu récemment le prix du Meilleur projet logiciel libre remis au salon Paris Open Source Summit en décembre 2019, pour leur logiciel libre Datashare, une plateforme d’indexation et de partage sécurisé d’informations pour les journalistes d’investigation

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec l’interview de deux personnes du Consortium international des journalistes d’investigation qui a reçu récemment le prix du Meilleur projet libre remis au salon Paris Open Source Summit en décembre 2019 pour leur logiciel Datashare, une plateforme d’indexation et de partage sécurisé d’informations pour les journalistes d’investigation. Ludovic Dubost me confiait pendant la pause qu’il avait fait partie du jury qui avait remis ce prix. Donc ça tombe bien.

Nous allons écouter l’interview de Anne L’Hôte et de Bruno Thomas et on se retrouve juste après.

[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Nous sommes au salon POSS avec Anne L’Hôte et Bruno Thomas du Consortium ICIJ qui vient de recevoir le prix du Meilleur projet logiciel libre. Première question : présentation personnelle. Anne et Bruno, qui êtes-vous ? Anne.
Anne L’Hôte : Bonjour. Anne. Je suis développeuse à l’ICIJ. Je m’occupe, en fait, du compte front-end, donc vraiment tout ce qu’on voit à l’écran et les interactions sur l’écran c’est moi.
Frédéric Couchet : Bruno.
Bruno Thomas : Bruno. Moi je pourrais me définir comme un software craftsman.
Frédéric Couchet : Qu’est-ce que c’est ?
Bruno Thomas : C’est un artisan logiciel, j’aime bien ce mot d’artisan. Je suis Full Stack, donc je fais à la fois le côté serveur et aussi un petit peu, comme Anne, l’interface utilisateur.
Frédéric Couchet : D’accord. Première question. C’est quoi l’ICIJ ?
Bruno Thomas : C‘est International Consortium of Investigative Journalists. C’est un consortium qui rassemble environ 250 journalistes autour du monde, avec un staff d’une trentaine de personnes qui essayent de partager des enquêtes pour avoir un impact plus important à l’international sur des sujets qui sont souvent éthiques comme l’évasion fiscale ou l’oppression, comme les Ouïghours il y a peu de temps ou les China Cables, le dernier dossier qui est sorti.
Frédéric Couchet : D’accord. Vous avez travaillé aussi sur les Panama Papers. C’est ça ?
Bruno Thomas : Tout à fait. C’est le plus connu avec 19 millions de documents, donc c’est celui qui a mis l’ICIJ sur le devant de la scène médiatique.
Public : Il a reçu le prix Pulitzer.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc le Consortium a reçu le célèbre Pulitzer qui est un peu plus connu que le prix que vous avez reçu aujourd’hui. Quels sont les médias français qui participent à ce Consortium ? Anne.
Anne L’Hôte : Habituellement, l’ICIJ s’attache à contacter les trois types de médias : les médias radiodiffusés, télédiffusés et la presse imprimée. Du coup, en France, ce sont Le Monde, Radio France et France Télévisions qui font partie du réseau ICIJ.
Frédéric Couchet : Quelqu’un veut compléter, ou non ? Il y a quoi, il y a Premières Lignes, c’est ça ?
Anne L’Hôte : Oui, pardon, Premières Lignes fait partie du réseau ICIJ.
Frédéric Couchet : D’accord. Je précise qu’on est en public, donc il y a d’autres personnes qui soufflent et qui aident pour les réponses.

Là on est à un salon logiciel libre, donc on a une remise de prix à des acteurs et actrices du logiciel libre et on pourrait se demander pourquoi un Consortium international de journalistes est là. Vous avez reçu un prix pour un projet logiciel libre qui s’appelle Datashare. Première question : à quoi sert Datashare dans le cadre du Consortium ? Qui veut répondre ? Bruno.
Bruno Thomas : Oui. Quand on reçoit 19 millions de documents comme c’était le cas pour les Panama Papers, on ne peut pas demander aux journalistes de les ouvrir un par un. Du coup, on développe des outils, on pourrait dire une sorte de mini Google, un moteur de recherche qui permet aux journalistes de retrouver de l’information et de savoir de quoi parlent ces documents, qui est concerné, où ça se passe, etc. Donc on fait à la fois de l’indexation et on extrait aussi des entités nommées qui permettent à des personnes, des organisations, des lieux, de mieux comprendre le corpus de documents de façon accélérée.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc cet outil-là n’existait pas pour vos besoins ? Anne.
Anne L’Hôte : Il y avait des outils qui préexistaient, mais on a des besoins qui sont un peu spécifiques et qui nous ont imposé de développer notre propre outil, notamment des problèmes de scalabilité.
Frédéric Couchet : De mise à l’échelle.
Anne L’Hôte : Exactement, parce qu’il faut que l’utilisateur s’imagine bien que ce sont des téras entiers de documents, des quantités vraiment impressionnantes qu’on reçoit. Du coup on a dû adapter des outils, disons que les concurrents qui existaient ne pouvaient répondre à de tels besoins donc on a dû adapter les outils.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc vous avez adapté des outils pour un besoin personnel, mais un truc qui est important c’est que vous avez finalement décidé de le mettre en logiciel libre. Quelle était la raison ou les raisons principales ?
Anne L’Hôte : Tout simplement parce qu’on s’est dit que si nous on avait ce besoin, d’autres avaient probablement un besoin identique et peut-être n’avaient pas les ressources nécessaires pour répondre à cette question.
Bruno Thomas : On en avait parlé un peu petit à l’époque avec Julien qui était un des développeurs et aussi Pierre, notre CTO, qui est très défenseur du logiciel libre.
Frédéric Couchet : CTO, c’est le directeur technique on va dire.
Bruno Thomas : Directeur technique, tout à fait, merci. En fait il existe une certaine congruence entre le fait de vouloir rendre l’évasion fiscale transparente, de rendre le monde on va dire plus transparent pour le citoyen lambda que nous sommes tous, et de participer aux communs numériques. C’est important pour nous de participer aussi à ces initiatives-là.
Frédéric Couchet : D’accord. Le Consortium est un consortium informel ou c’est une structure privée ? Est-ce que vous êtes bénévoles ou vous êtes salariés dans ce Consortium ?
Anne L’Hôte : On est salariés. Nous on est salariés du Consortium, on est une trentaine, une quarantaine de personnes actuellement, ça grandit vite, mais la structure c’est quand même une ONG, c’est-à-dire que ce n’est pas à but lucratif. Le but ce n’est pas vraiment de gagner de l’argent, le but c’est plutôt de mener des combats à l’international et pour nous en tout cas, la team technique, d’offrir des outils aux journalistes pour mener leurs combats.
Frédéric Couchet : D’accord. Une spécificité de ce prix des acteurs du logiciel libre, si j’ai bien compris, c’est qu’on soumet une candidature, ce n’est pas un jury qui choisit parmi tous les projets qui existent, donc vous avez soumis une candidature. Pour quelles raisons vous avez soumis cette candidature ? Est-ce que c’est pour faire connaître le projet ? Est-ce que c’est pour faire connaître le Consortium ?
Anne L’Hôte : Je pense que quand on développe un logiciel libre, en tout cas en tant que développeur, on a vite tendance parfois à s’isoler derrière son ordinateur et à créer des outils qui répondent à des besoins qu’on a nous-mêmes créés. Je pense que c’est parfois un peu un piège. En tout cas, moi ce que j’ai à cœur, je suis convaincue que Datashare est un produit super utile et que c’est un outil très finalisé. Une de nos problématiques, vu qu’on travaille avec des journalistes qui ne sont pas forcément très tech-friendly, qui ne sont pas très habitués à utiliser des outils tech au quotidien, on cherche tout le temps à rendre l’outil le plus fluide possible, le plus utilisable possible, notamment grâce à notre UX designer.
Frédéric Couchet : UX designer, c’est quoi ?
Anne L’Hôte : En fait, c’est une personne qui va étudier l’interface pour répondre à ce besoin-là, la rendre la plus fluide, la plus intuitive possible.
Frédéric Couchet : Une personne utilisatrice.
Anne L’Hôte : Oui. Exactement. Du coup je suis convaincue que notre outil peut être pris en main par beaucoup de personnes qui auraient un besoin proche. Parfois, ce qui manque un peu, c’est justement de faire connaître au monde extérieur, c’est-à-dire extérieur à l’ICIJ, l’existence de cet outil et sa facilité de prise en main. Du coup, candidater ici et intervenir ici, au POSS, c’était une des façons de présenter notre outil qui est actuellement assez stable et utilisable par tout le monde, de le faire connaître, simplement !
Frédéric Couchet : D’accord. Avant d’oublier, on peut le récupérer, on peut le tester où cet outil ? Sur quel site ?
Bruno Thomas : Sur datashare.icij.org, tout simplement. Il y a un document utilisateur très bien fait qui explique comment l’utiliser et même l’utiliser en mode serveur, c’est-à-dire pour collaborer sur des corpus de documents partagés, ce qu’on fait nous au sein de l’ICIJ.
Frédéric Couchet : D’accord. Un espoir c’est d’avoir des gens, des structures qui vont l’utiliser, qui ont des besoins que vous n’aviez pas forcément prévus et peut-être aussi des personnes qui vont contribuer au code, finalement l’améliorer. C’est un peu votre espoir cette candidature, faire connaître le projet pour avoir des contributions ? Bruno.
Bruno Thomas : Tout à fait. C’est évidemment un des aspects centraux du logiciel open source, sachant que Datashare a été fait avec deux modes. Il a un mode qu’on appelle standalone.
Frédéric Couchet : Une version autonome sur un poste de travail.
Bruno Thomas : Autonome sur un poste de travail. L’avantage c’est qu’on peut travailler sans être en ligne, déconnecté, ce qui permet à des reporters de travailler en toute sécurité.

Il y a un deuxième mode d’utilisation qui est le mode serveur, comme je disais tout à l’heure, dans lequel on partage des documents à plusieurs.
Frédéric Couchet : D’accord.
Anne L’Hôte : Juste pour compléter, effectivement ce qu’on attend c’est que les gens l’utilisent, que les gens reviennent vers nous soit en nous demandant de développer de nouvelles fonctionnalités, soit en critiquant ou en pointant du doigt ce qu’on pourrait améliorer. Le principe de l’open source c’est que le code source est disponible sur une plateforme de partage de code, qui est en l’occurrence GitHub. Je ne sais pas si vous savez, mais notre plateforme c’est GitHub.

Les issues, les commentaires sont les bienvenus et les pull requests donc les contributions de code sont évidemment les bienvenues aussi. Toute remarque d’amélioration sera la bienvenue et nous aidera à faire évoluer l‘outil pour tout le monde.
Frédéric Couchet : Super. Dernière question : est-ce que vous utilisez d’autres outils logiciels libres dans le cadre du Consortium ? Je pense par exemple à SecureDrop pour permettre à des lanceuses, des lanceurs d’alerte ou des sources de vous soumettre des documents sécurisés et anonymisés.
Anne L’Hôte : Comme on l’a déjà dit, à l’ICIJ l’open source est vraiment important et dans notre ADN. On utilise SecureDrop évidemment pour partager des données et pour que d’autres personnes puissent nous partager des sources qui pourraient être à l’origine d’enquêtes plus approfondies. On utilise également une version, en tout cas adaptée, de Discourse qui est un outil de discussion, de partage, pour que justement, quand tous les journalistes de l’ICIJ mènent une enquête, ils puissent discuter sur les différentes ramifications de cette enquête, etc.
Frédéric Couchet : Discourse c’est une sorte de forum.
Anne L’Hôte : Exactement. Merci.
Frédéric Couchet : D’accord. En tout cas vous avez reçu le prix donc félicitations.
Bruno Thomas : Merci.
Frédéric Couchet : Est-ce qu’il y a des évènements où vous serez présents bientôt. Est-ce que vous avez des annonces à faire ? Des besoins ? N’hésitez pas.
Bruno Thomas : Des besoins oui, on cherche un autre développeur ou une développeuse.
Frédéric Couchet : Avec quelles compétences ?
Bruno Thomas : Full Stack, plutôt Java. em>Full Stack

ça veut dire à la fois serveurs et interfaces.
Frédéric Couchet : Qui est capable d’intervenir à tous les niveaux de la programmation.
Bruno Thomas : Voilà, exactement. Expérimenté et, si possible, qui connaisse un peu l’agilité. Ils sont bienvenus.
Frédéric Couchet : Le poste est basé quelque part précisément ?
Bruno Thomas : De préférence à Paris, mais ça peut être à distance.
Frédéric Couchet : D’accord.
Anne L’Hôte : L’annonce est sur le site icij.org.
Frédéric Couchet : D’accord. Écoutez félicitations. C’était le Consortium ICIJ avec Anne L’Hôte et Bruno Thomas. On va suivre la suite de vos aventures dans le logiciel libre et surtout, évidemment, on attend avec impatience les prochaines révélations. On ne va pas vous demander sur quoi vous travaillez actuellement. En tout cas, vous faites vraiment une action d’utilité publique. Merci à vous !
Bruno Thomas : Merci.
Anne L’Hôte : Merci à vous et merci à l’April.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : C’était l’interview de Bruno Thomas et Anne L’Hôte du Consortium international des journalistes d’investigation. Si vous voulez en savoir plus sur Datashare, c’est datashare.icij.org.

Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]

Annonces

Frédéric Couchet : Les annonces.

Dans le cadre de notre émission, un point important concerne la post-production, le traitement des podcasts, en effet, les podcasts resteront la mémoire et la trace des émissions. C’est pour ça qu’il faut apporter un soin particulier à leur traitement avant la mise en ligne. Actuellement le traitement est fait par Sylvain Kuntzmann, bénévole à l’April. Ce serait bien si on pouvait avoir au moins une personne de plus pour répartir le travail. Donc si vous avez de l’expérience, des compétences, des idées, n’hésitez pas à nous contacter. Vous pouvez aussi relayer notre appel qui est disponible sur le site de l’April, april.org.
Si vous souhaitez mettre des visages derrière les voix des animateurs et animatrices de la radio Cause commune, eh bien Cause Commune organise son premier apéro ouvert aux auditeurs et auditrices. Ça se passera le vendredi 27 mars 2020 à partir de 19 heures au studio de la radio, 22 rue Bernard-Dimey à Paris dans le 18e. L’apéro est ouvert à toute personne qui souhaite venir. N’hésitez pas à venir nous rencontrer. Je répète : 27 mars à partir de 19 heures, 22 rue Bernard-Dimey dans le 18e arrondissement de Paris.

Si vous voulez nous rencontrer un peu plus tôt au niveau April, sachez que nous organisons un apéro April à notre local, vendredi 13 mars, 44/46 rue de l’Ouest dans le 14e arrondissement de Paris. Les informations sont disponibles sur le site de l’April, april.org.
L’émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Véronique Bonnet, Ludovic Dubost, Anne L’Hôte, Bruno Thomas.

Aux manettes de la régie aujourd’hui Patrick Creusot.

Merci également à Sylvain Kuntzmann, bénévole à l’April, et à Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio, qui s’occupent de la post-production du podcast.

Merci également à Christian Momon, bénévole à l’April, qui va découper le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous retrouverez sur notre site web, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm, toutes les informations utiles. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Toutes vos remarques et questions sont, bien entendu, les bienvenues.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et faites également connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 17 mars 2020 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur la question de l’achat de matériels et de logiciels libres, ordinateurs de bureau, ordinateurs portables et téléphones mobiles.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. Je précise que pour l’apéro il vaut mieux s’inscrire sur le site. Vous allez sur le site agendadulibre.org. Je le rappellerai avant l’apéro.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 17 mars et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.