Émission Libre à vous ! diffusée mardi 14 décembre 2021 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Le plan d’action du gouvernement sur les logiciels libres, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique d’Isabella Vanni sur l’AMMD, une coopérative d’artistes libres produisant de l’art libre avec des matériels et des logiciels libres. Et également, en fin d’émission, la chronique d’Antanak sur Le Garage Numérique qui accompagne les personnes habitantes et les associations du 20e arrondissement de Paris pour une vie numérique inclusive et solidaire.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes mardi 14 décembre 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Le libre fait sa comm’ » d’Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April, animatrice du groupe Sensibilisation. Interview avec ORL de l’AMDD

Frédéric Couchet : Parler d’actions de type sensibilisation menées par l’April ou par d’autres structures, annoncer des événements libristes à venir avec éventuellement des interviews des personnes qui organisent ces événements, c’est la chronique « Le libre fait sa comm’ » de ma collègue Isabella Vanni qui est coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.
Bonjour Isa. Je te passe la parole.

Isabella Vanni : Bonjour Fred. Bonjour à tout le monde.
Aujourd’hui j’avais envie de parler de cette coopérative d’artistes libres qui s’appelle l’AMMD. Nous allons le faire grâce à notre invité, ORL, qui est normalement au téléphone avec nous. Bonjour ORL.

ORL : Salut.

Isabella Vanni : Bonjour. Merci d’avoir accepté notre invitation.
Pour commencer je te propose de nous en dire un peu plus sur l’AMMD, déjà ce que veut dire l’acronyme, ce que c’est, depuis combien de temps cette association existe et quelle est la mission de cette association.

ORL : L’AMMD a été fondée en 2004 quand nous étions encore étudiants, à l’époque pour produire un premier album d’un groupe qui s’appelait Sebkha-Chott. Sebkha-Chott, à cette époque-là, disait jouer du Mekanik Metal Disco, donc AMMD c’était pour Amicale du Mekanik Metal Disco. On est bien loin de ça maintenant mais ce n’est pas très grave ; historiquement c’est ça.
On n’a pas vraiment de mission en tant que telle avec l’AMMD, on est plutôt, on va dire, une espèce de lieu des possibles. En gros, tous les artistes qui sont dans l’AMMD décident de diffuser leur art quel qu’il soit — ce sont principalement des musiciens — sous des licences copyleft, donc licence Art Libre, Creative Commons CC by SA, ce genre de choses, et en utilisant, voire en développant, des logiciels libres. Au fur et à mesure on s’est retrouvés à développer des compétences sur la technique du spectacle avec des logiciels libres ou la technique du son ou des choses comme ça et voilà. C’est plutôt un endroit des possibles où on peut faire de choses. On sait qu’on va trouver des gens qui sont raccords avec notre philosophie, c’est un peu ça l’idée.

Isabella Vanni : Parfait. Merci pour cette première présentation. Si j’ai bien compris tu étais là au moment de la fondation.

ORL : Tout à fait, je fais partie des rares à être encore là.

Isabella Vanni : D’accord. Tu connais bien l’historique.
Une première question : est-ce qu’il faut être membre pour publier avec l’AMMD ?

ORL : L’AMMD ne fait pas vraiment de publications au sens strict. Elle a plusieurs fois produit des albums dans le sens où elle a mis en marche les moyens matériels ou financiers pour le faire, éventuellement la promotion et tout ça. En fait, on n‘a pas de salariés permanents et, du coup, c’est quand même davantage de l’ordre du Do It Yourself, donc de l’entraide qu’autre chose. Il n’y a pas vraiment de productions de l’AMMD en tant que telles. J’ai perdu ta question, excuse-moi.

Isabella Vanni : Moi aussi j’ai perdu le fil, j’ai enchaîné les questions. J’avais commencé par te demander quels types d’œuvres vous produisez et tu m’as dit tout de suite qu’en fait on ne peut pas parler vraiment de productions. Si j’ai bien compris, c’est une façon de rendre visibles les œuvres de ces artistes et après, en fonction des projets, vous pouvez participer financièrement ou pas.

ORL : C’est ça. C‘est une association, de fait. Finalement il y a des adhérents qui nous rejoignent généralement parce qu’ils nous connaissent. Ce que je veux surtout dire c’est qu’on n’est pas une société prestataire comme on peut avoir des labels ou des choses comme ça, on n’est pas ce genre de choses.

Isabella Vanni : Très bien, c’est très clair.

ORL : On fait ensemble. En ce moment ce sont surtout des musiciens qui sont dans l’AMMD. Notre dernier non-musicien est un membre de l’April. J’imagine qu’il n’est pas innocent dans le fait que vous m’appeliez maintenant. C’est Luk qui faisait du roman-photo, avec lequel on a encore fait un roman-photo qui est sorti il n’y a pas très longtemps.
En ce moment ce sont plutôt des musiciens et de la vidéo. Il y a eu des plasticiens par le passé, etc. On a quand même un gros cœur de métier autour du spectacle, on va dire.

Isabella Vanni : Je reformule ma question : est-ce qu’il faut être adhérent pour que son œuvre, son groupe apparaisse sur le site de l’AMMD ? Est-ce que c’est une condition ?

ORL : Oui. Je dirais même que c’est différent. Il faut être adhérent et après il va falloir s’occuper du fait que son œuvre apparaisse parce qu’il n’y a personne, dans l’AMMD, qui s’occupe réellement à la place des autres. On s’occupe tous ensemble de tout ça. Encore une fois, nous ne sommes pas une association de prestation de service, donc on ne fait pas à la place. Ça fait aussi un peu partie du discours qu’on tient qui est de dire qu’il n’y a pas de raison particulière que les artistes ou les musiciens aient tout un tas de gens qui fassent le boulot un peu sale et un peu relou à leur place. Donc on le fait nous-mêmes, on le fait ensemble justement pour que ça soit un peu moins relou.

Isabella Vanni : La logique du Do It Yourself est quelque chose qui est très proche des principes du logiciel libre, de la licence libre en général. Pourquoi le choix de cette licence et pourquoi le choix de la licence copyleft ?

ORL : Pourquoi ? En fait parce que ça correspondait à ce qu’on avait envie de faire à l’époque. Je ne sais plus exactement comment nous en sommes venus à ça. Je me souviens que nous étions étudiants et, à priori, que le labo de l’université dans lequel la plupart d’entre nous étions, travaillait sous Debian ou des choses comme ça. Du coup on était déjà dans l’univers du Libre. Honnêtement, je ne me souviens pas comment nous en sommes arrivés à ça. Mais depuis, en tout cas, on s’est dit qu’on allait faire sous licence copyleft et depuis on a tout fait sous licence copyleft jusqu’au développement logiciel et aussi les quelques, on va dire, matériels qu’on a pu faire. Pour le coup nous ne sommes pas des gros fabricants de ce côté-là.

Isabella Vanni : Je m’excuse auprès de notre public, on va rappeler ce qu’est une licence libre appliquée par exemple à une musique et pourquoi il y a cette clause copyleft en plus. Licence libre pour commencer, appliquée à la musique.

ORL : Licence libre ça va être libre utilisation, donc on peut l’utiliser dans le cadre familial, le cadre privé, le cadre pas privé du tout. On peut la diffuser à priori partout, on peut la copier.

Isabella Vanni : Dans un cadre commercial aussi.

ORL : C’est là que si tu me dis libre, la question c’est un peu où est-ce que tu mets la limite. À l’AMMD, oui, tu peux le faire dans un cadre commercial, puisqu’on a choisi un principe copyleft, donc il n’y a aucune restriction ni commerciale ni de dire que tu n’as pas le droit de modifier. Ce sont les deux autres libertés qu’on donne, c’est libre pour tout usage et tu as le droit de faire des modifications et de rediffuser ces modifications.

Isabella Vanni : Et copyleft dans le sens où la personne qui réutilise cette musique est censée rediffuser sous les mêmes conditions.

ORL : Exactement. Il y a le principe de viralité de la licence.
Notre idée, par rapport à ça, c’était de dire que finalement, je ne suis pas historien de la musique, mais il y a autour de 300 ans la musique a commencé à être codifiée, il y a eu des partitions, etc. On a pu commencer à se poser la question de comment on pouvait « protéger », entre guillemets, les droits d’auteur. On a donc inventé ce statut de compositeur à ce moment-là. Mais, en amont, c’était quelque chose qui était transmis de manière orale, d’ailleurs il y a encore beaucoup de sociétés où c’est le cas. C’était finalement un bien commun qu’on partageait et auquel les gens apportaient quelque chose au fur et à mesure. Si on prend l’exemple de la Chanson de Roland, il y a 50 000 versions et j’imagine qu’il y en a beaucoup qu’on ne connaît pas parce qu’elles datent d’une époque où on n’enregistrait pas, évidemment.
C’est un peu dans ce truc-là qu’on s’inscrit, de se dire, en fait, qu’il n’y a pas de raisons qu’on ait une propriété particulière là-dessus. Les choses existent, elles finissent par passer, on existe dans un contexte qui était là, qui nous a inspirés et on ne peut pas l’ignorer. Ça nous semble tout à fait normal que tout ça soit de l’ordre du bien commun.

Isabella Vanni : Merci de rappeler ça. J‘introduis un autre point. Les artistes qui produisent leurs œuvres et qui partagent la même idée, j’imagine qu’ils ne sont pas déclarés à la Sacem qui est la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique. Je sais qu’il est possible maintenant, pour un artiste qui est membre de la Sacem, de diffuser, s’il veut, sa musique sous licence libre de diffusion, mais pas complètement libre parce que la clause commerciale n’est pas acceptée. J’imagine que les artistes qui font effectivement partie de l’AMMD publient uniquement sous licence libre et n’ont aucune intention de faire partie, de déposer certaines œuvres auprès de la Sacem.

ORL : Non. En plus historiquement, quand on a commencé l’AMMD, la Sacem était nettement plus stricte qu’elle ne l’est maintenant, elle a été un peu obligée de changer son fusil d’épaule avec le développement du Net. À l’époque il était hors de question de faire quoi que soit avec la musique qui était labellisée Sacem. On l’a toujours plutôt vue comme une entité qui était hostile à ce qu’on faisait, en tout cas nous, nous étions hostiles à ce qu’elle faisait. Effectivement, personne de l’AMMD n’est adhérent à la Sacem.
Comme je disais tout à l’heure, l’AMMD est beaucoup basée autour du spectacle, y compris pour les musiciens. La question qui revient souvent, dans ces cas-là, c’est quelle est la forme de modèle économique qui permet de vivre ? En fait nous, finalement, c’est à travers le spectacle qu’on vit, c’est-à-dire que la composition et tout ça – je viens de voir le chat [mon cerveau avait auto-complété « entité démoniaque », Note de l’intervenant] - c’est presque un acte anecdotique qui va nous amener à faire un spectacle. On va pouvoir vendre ce spectacle derrière, on va être déclaré salarié, intermittent du spectacle et c’est le modèle qui va nous permettre de vivre. Ce n’est pas le fait d’avoir composé une fois quelque chose qui va nous assurer une rente à vie.

Isabella Vanni : Donc il y a quand même des artistes de l’AMMD qui arrivent à vivre de leurs œuvres ?

ORL : Oui. On est plusieurs.

Isabella Vanni : C’est bonne nouvelle.

ORL : Pour autant on ne peut pas dire qu’on est salariés de l’AMMD parce que ça n’aurait pas de sens. On est intermittents du spectacle, donc on est salariés quand on fait des spectacles. Il y a un certain nombre de spectacles qu’on fait grâce à l’AMMD, d’autres pour lesquels ce n’est pas le cas. On arrive à vivre aussi parce qu’il y a quand même ce statut d’intermittent qui nous permet ça.

Isabella Vanni : Ce n’est pas le cas pour tous les groupes. On a interviewé, par le passé, le groupe Stone From The Sky qui expliquait que ses membres avaient un travail à côté et qu’ils utilisaient leur temps libre et leurs congés pour faire de la musique, ce qui était leur passion. Ça me fait vraiment très plaisir de savoir qu’il y a des artistes qui arrivent à vivre de leurs œuvres libres, grâce aussi au statut d’intermittent.
On met dit que le temps est terminé. Est-ce que tu veux lancer un message ? Par exemple, est-ce que vous sélectionnez les membres qui demandent à participer à l’AMMD ?

ORL : On les sélectionne oui et non. En fait, vu qu’on ne veut pas décevoir les gens, on les rencontre, on discute et on voit ce qu’on fait ensemble. Encore une fois, l’AMMD n’est vraiment pas un talisman ni quelque chose qui ouvre une porte. C’est pour ça qu’on s’est appelés coopérative ou collectif, c’est avant tout un truc où on fait les choses ensemble. Il n’y a pas d’idée de candidature ou quoi que ce soit. On se retrouve et si c’est les choses doivent se faire, elles se feront et voilà ! On ne veut pas vendre du rêve qui n’existerait pas.

Isabella Vanni : C’est très clair. Je te remercie beaucoup pour ta participation.

ORL : Merci à vous.

Isabella Vanni : On a mis les références du site de l’AMMD sur note site libreavous.org, ainsi que les pages des sites des groupes qui sont actuellement à l’AMMD. N’hésitez pas à aller voir et surtout à les écouter. Merci encore et très bonne continuation.

ORL : Merci beaucoup.

Frédéric Couchet : Merci Isa et merci ORL. Le site de l’AMMD c’est ammd.net.br/>
Nous allons faire une pause musicale et nous n’allons pas complètement quitter l’AMMD.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : En effet, nous allons écouter un groupe qui fait partie de la coopérative. Nous allons écouter le groupe Plagiat. Le titre, attention, J’ai acheté·r un Agno Gastrik chez Wish & Lidl - Part III - Le Clash des Coaches Buccals - feat. Vin Rouge. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : J’ai acheté·r un Agno Gastrik chez Wish & Lidl - Part III - Le Clash des Coaches Buccals - feat. Vin Rouge par Plagiat.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter J’ai acheté·r un Agno Gastrik chez Wish & Lidl - Part III - Le Clash des Coaches Buccals - feat. Vin Rouge de Plagiat, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.

[Jingle]

Frédéric Couchet : J’ai un petit quiz sur ce jingle musical. Il y a deux changements par rapport au jingle habituel. Si vous trouvez ces deux changements je ne sais pas ce que vous gagnez, mais on trouvera bien. Pour cela vous donnez la réponse sur le salon web de la radio causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous.
En attendant on va passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Plan d’action du gouvernement sur les logiciels libres avec Sabine Guillaume, cheffe de la mission LABEL du programme TECH.GOUV conduit par la Direction interministérielle du numérique (DINUM) et Bastien Guerry, chef du pôle logiciels libres au département Etalab de la DINUM

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal. Aujourd’hui nous allons parler du plan d’action du gouvernement en matière de logiciels libres et communs numériques dans l’administration. Si on est encore loin d’une priorité effective au logiciel libre, qui doit être la ligne de mire de toute politique publique ambitieuse sur le sujet, le plan d’action pose des bases encourageantes pour une administration tournée vers les logiciels libres et les communautés qui les font vivre. Comme nous le disions dans le titre de notre communiqué de presse de réaction « le gouvernement avance, à son rythme ». On va parler de tout cela.

Nos invités : Sabine Guillaume, cheffe de la mission LABEL du programme TECH.GOUV conduit par la Direction interministérielle du numérique, la DINUM. Bonjour Sabine.

Sabine Guillaume : Bonjour Frédéric

Frédéric Couchet : Et Bastien Guerry, chef du pôle logiciels libres au département Etalab de la DINUM. Bonjour Bastien.

Bastien Guerry : Bonjour.

Frédéric Couchet : Mission LABEL, TECH.GOUV, DINUM, Etalab, nos invités vont bien sûr expliquer tous ces termes au cours de l’émission.
N’hésitez pas à participer à cette conversation soit en posant des questions, soit en réagissant sur le salon web dédié à l’émission, je rappelle le site, causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, ou directement sur le site libreavous.org.
On va commencer par une petite présentation personnelle ce qui permettra un petit peu d’éclaircir qui vous êtes et ce que vous faites. On va commencer par Sabine Guillaume.

Sabine Guillaume : Je suis Sabine Guillaume comme il vient d’être précisé. Je suis cheffe de la mission LABEL au sein du programme TECH.GOUV de la Direction interministérielle du numérique. À ce titre je porte une mission qui, globalement, traite de qualité logicielle à destination des acteurs publics, administrations centrales, collectivités territoriales, etc. Cette mission a une patte sur le logiciel libre au travers du plan d’action logiciels libres qui, lui, est porté par Bastien, belle transition.

Frédéric Couchet : La grosse patte du logiciel libre c’est donc Bastien Guerry.

Bastien Guerry : Je suis chef du pôle logiciels libres à Etalab. Pour donner des ordres de grandeur, à Etalab nous sommes une quarantaine de personnes. C’est historiquement la mission d’ouverture des données publiques. À Etalab depuis trois ans, je me consacre au logiciel libre dans toutes ses dimensions, à savoir aider les administrations à publier les codes sources des logiciels qu’elles achètent ou qu’elles font elles-mêmes, les aider à mettre en œuvre l’article 16 de la loi Lemaire qui demande d’encourager le logiciel libre, ce n’est pas la priorité qui a été évoquée en préambule, c’est un encouragement inscrit dans la loi. On met en œuvre cet encouragement en fournissant un catalogue de solutions libres et en aidant les administrations à s’en emparer. Et, depuis peu, mon travail s’est prolongé au travers du pôle logiciels libres qui va nous permettre d’être plus nombreux et d’aller plus loin, plus vite, plus fort.

Frédéric Couchet : C’est un beau slogan à quelques mois des Jeux olympiques ! On va effectivement parler de tout ça. Bastien ne dit pas qu’il est aussi libriste de longue date. Il n’est pas le seul libriste présent dans l’administration aujourd’hui et ça fait du bien.
On va commencer par un petit rappel sur l’historique récent. Je vais citer quelques jalons et je vous demanderai de réagir de réagir un petit peu, tu as un petit peu commencé.
On ne va commencer aux années 2000, parce que l’histoire du Libre dans les administrations c’est quand même assez loin, mais on va revenir simplement dix ans en arrière parce qu’on est bientôt en 2022, donc quelques marqueurs. Je précise tout de suite que toutes les références sont sur le site de l’émission, libreavous.org. Vous avez juste besoin de noter ce site et vous trouverez tous les liens.
En 2012 il y a la circulaire Ayrault, du nom du Premier ministre de l’époque, sur le bon usage des logiciels libres dans l’administration. C’est un document qui envoie un signal fort car il est signé par le Premier ministre et il propose des pistes intéressantes sur le bon usage, mais, comme on l’a dit en introduction, il n’y a pas de priorité ua logiciel libre. En tout cas c’est un premier signal fort, 2012, circulaire Ayrault.
En 2016 il y a la loi pour une République numérique, portée par Axelle Lemaire, dont l’article 16, comme tu l’as dit Bastien, prévoit que « les administrations encouragent à l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation de systèmes d’information ». C’est une disposition dont nous considérons qu’elle est dénuée de portée normative et dont on peut douter un petit peu de l’effet, mais on va en discuter tout à l’heure. À l’époque on s’était mobilisés à la fois dans le cadre de la consultation et dans le cadre du projet de loi. Ça c’est 2016, la loi pour une République numérique.
Plus récemment, il y a un an, le rapport du député Éric Bothorel, qui était également accompagné d’une consultation publique et d’auditions auxquelles nous avons participé, et ce rapport, très intéressant, abordait beaucoup de sujets. Il préconisait notamment de « développer l’utilisation des logiciels libres pour se donner les moyens de nos ambitions », je cite le rapport, avec notamment le besoin, selon le rapport, « d’impulser la politique logicielle libre au niveau ministériel, avoir des moyens humains, voire de créer une agence ou mission interministérielle pour accompagner les administrations sur leur utilisation, la publication et la politique de contribution au logiciel libre », ce qui faisait aussi partie de nos suggestions. Donc rapport très intéressant. Nous avons reçu Éric Bothorel dans Libre à vous ! émission 90, donc libreavous.org#90.
Plus récemment encore, on arrive en avril 2021. Suite à la publication du rapport Bothorel, une nouvelle circulaire d’un nouveau Premier ministre, en l’occurrence Jean Castex, sur la politique publique de la donnée, des algorithmes et des codes sources. La circulaire précise que « l’ambition de la politique publique implique un renforcement de l’ouverture des codes sources et des algorithmes publics, ainsi que l’usage de logiciels libres et ouverts », une déclaration avec laquelle il est difficile d’être en désaccord, mais qui était déjà l’ambition de la circulaire de 2012 dont j’ai parlé à l’instant, la circulaire Ayrault. Ceci dit, la circulaire ne s’arrête pas toutefois au simple affichage de cette ambition, elle reprend une des principales propositions du rapport Bothorel sur le logiciel libre : la création d’une mission dédiée à l’animation et la promotion interministérielle en matière de logiciel libre et de communs numériques, on va voir tout à l’heure si ça a donné des effets.
Encore plus récemment, juillet 2021, le rapport du député Philippe Latombe dans le cadre de la mission d’information « Bâtir et promouvoir une souveraineté nationale et européenne ». Le député Latombe va encore plus loin, il préconise clairement « d’imposer au sein de l’administration le recours systématique au logiciel libre en faisant de l’utilisation de solutions propriétaires une exception », une prise de position que l’April, évidemment, a saluée. On a reçu Philippe Latombe dans l’émission 113 de Libre à vous !, donc libreavous.org#113.
Et enfin, on finit par les annonces récentes de la ministre Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, en novembre 2021, au salon Open Source Experience où elle était présente. Pas de priorité au logiciel libre, mais le gouvernement semble vouloir inscrire l’État « comme utilisateur et contributeur de logiciels libres, un renforcement des moyens humains, notamment au niveau de la DINUM – on va sans doute en parler –, l’ouverture de portails – dont on va parler tout à l’heure – et un signal envoyé à l’écosystème du logiciel libre avec la création d’un conseil d’expertise qui réunirait administrations et représentants de cet écosystème ».
Ce sont un petit peu des dates et je vais finir. Je précise que l’essoufflement est lié à la fois à une certaine fatigue et au port du masque. Pendant ce temps-là, je rappellerai simplement que certains ministères restent toujours embrigadés et prisonniers de solutions privatrices de Microsoft notamment à travers les accords « Open Bar » Microsoft – Défense, Microsoft – Éducation nationale et d’autres acteurs sont évidemment aussi concernés.
Par rapport à cet historique plus ou moins récent d’une dizaine d’années, qu’est-ce qui a vraiment évolué ? Question simple : par rapport, à la circulaire Ayrault de 2012 qu’est-ce qui a évolué de façon positive ? Bastien Guerry.

Bastien Guerry : Il y a des évolutions claires.
Je ferais même remonter l’historique, pour la préhistoire, au sénateur Laffitte qui, en 1999, lance cette idée audacieuse d’obligation légale et, par rapport à la circulaire Ayrault, je remonterais même six ans en arrière, au moment où les ministères, par eux-mêmes, se saisissent du logiciel libre, envisagent, du côté des impôts, l’installation par exemple de LibreOffice et constituent un groupe d’échange technique sur le sujet, ce sont les groupes de mutualisation interministériels des logiciels libres. Donc on a une expertise technique qui se construit et qui prépare l’idée qui sera celle de la circulaire Ayrault qui est entièrement dédiée au Libre et qui dit « le Libre est fiable, allez-y, on a besoin de repères et on a besoin que les administrations centrales — ça vise les administrations centrales — se coordonnent pour savoir quels logiciels utiliser parce que ça foisonne et il faut des repères.

Frédéric Couchet : Je vais juste faire une petite précision à laquelle tu me fais penser, 2006 c’est aussi, si je me souviens bien, la date à laquelle le ministère de la Défense avait une directive interne qui encourageait très fortement à l’utilisation du logiciel libre, ce qui ne les a pas empêchés, deux ans plus tard ou trois ans plus tard, de signer un accort « Open Bar » Microsoft – Défense. On sait bien qu’en France il s’est passé quelque chose en 2007, notamment avec l’élection d’un certain président de la République qui a eu ensuite un effet négatif.
Je te laisse poursuivre.

Bastien Guerry : C’est important de toujours préciser. Si on a le temps on reviendra un peu sur la complexité de ce qu’est l’informatique de l’État, où il y a à la fois ce qui se passe sur le poste des agents, ce qui se passe dans les ordinateurs des infrastructures, ce qui est développé à l’intérieur des applications.
Donc en 1999 Laffitte. En 2006 une mobilisation des experts techniques au sein d’une administration clef qui est Bercy et qui rend possible cette circulaire. Je fais cette parenthèse parce que la circulaire du Premier ministre Jean Castex, du 27 avril 2021, est aussi possible parce qu’on a continué cette mobilisation et parce qu’on a continué le travail de coordination via la Dinsic puis DINUM sur les efforts autour du Libre dans l’administration. Le Premier ministre ne signe pas une page blanche, cette continuité est logique et elle est attendue.
L’aspect qui me paraît nouveau, pour en venir directement à ça. Pour ceux qui ont connu les combats autour du logiciel libre dans les années 2000, on en était à former nos députés, on en était à acculturer le monde politique sur tous ces sujets-là. Aujourd’hui ces députés, Éric Bothorel, Philippe Latombe, sont tous bien au fait de ces sujets, parfois ils sont même techniquement compétents en la matière. Je pense que c’est une chance d’avoir ces héritiers de Michel Rocard qui, lui, s’était formé de façon accélérée dans les années 2000 pour porter le combat contre les brevets logiciels en Europe. Donc c’est nouveau, on a un contexte politique avec des gens qui savent ce dont ils parlent.

Frédéric Couchet : Précision. Tu viens de parler de brevet logiciel, Michel Rocard. Philippe Latombe vient de cosigner une tribune pour rappeler le danger des brevets logiciels, juste pour confirmer ce que tu dis.

Bastien Guerry : J’allais en parler pour dire que, effectivement, ces combats sont d’actualité. On a une maturité nouvelle des gens qui portent politiquement ces sujets au Parlement et au gouvernement. Le plan d’action logiciels libres et communs numériques c’est une volonté de la ministre Amélie de Montchalin qui sait ce dont elle parle quand elle avance sur ce sujet.
Sur le plan opérationnel, il y a une première nouveauté qui est que la DINUM quadruple ses efforts en termes de moyens humains, on passe de une personne à quatre personnes, on a une augmentation de 400 %. Ça paraît dérisoire dit comme ça, mais ça veut dire qu’il y a vraiment une équipe qui se mobilise et quatre personnes c’est en phase avec les recommandations du rapport Bothorel sur la constitution d’une mission.
La deuxième nouveauté c’est qu’avec Sabine Guillaume, ma collègue, on clarifie l’articulation entre le catalogue des logiciels libres recommandés à toutes les administrations et l’offre des éditeurs qui viennent sur le catalogue GouvTech évoquer leurs solutions, libres ou non libres ; on a cette complémentarité nouvelle. Comparé à il y a cinq ans, aujourd’hui toute l’administration qui est, encore une fois, très riche, concentrée, déconcentrée, centrale et décentralisée, a des informations beaucoup plus riches qu’elle n’avait auparavant pour pouvoir éclairer ses choix en interne. Je rappelle ce principe très simple et très important, on n’est pas sous Louis XIV avec un intendant qui décide pour toute l’administration de façon ruisselante et tyrannique. On a, dans les administrations, un principe de subsidiarité, les administrations sont autonomes dans leurs choix. Ce n’est pas la DINUM, qui est une petite administration interministérielle de 140 personnes, qui fait les choix de chaque ministère en termes d’équipement des agents. Il faut le rappeler.

Frédéric Couchet : Souvent on raccourcit, on dit que c’est la DSI de l’État, la Direction des systèmes d’information de l’État. En fait, ce n’est pas du tout ça.

Bastien Guerry : Si, c’est la DSI de l’État mais qui a un rôle d’accompagnement, d’information. Le seul rôle de contrôle qu’elle a c’est pour les projets qui dépassent les neuf millions d’euros. Pour tout le reste cet accompagnement est né autour des logiciels libres à la fin du mandat de Henri Verdier.

Frédéric Couchet : L’ancien responsable de la DINUM.

Bastien Guerry : De la Dinsic à l’époque. Il a été prolongé sous le mandat de Nadi Bou Hanna.
Donc les nouveautés c’est plus de gens, c’est plus de coordination sur l’offre pour la simplifier, l’éclairer, c’est ce conseil d’expertise et de mobilisation logiciels libres.

Frédéric Couchet : Dont on parlera tout à l’heure.

Bastien Guerry : C’est très important pour nous. On a entendu le message passé pendant la consultation publique du rapport Bothorel : il nous faut des canaux de discussion et de collaboration avec l’écosystème. On a cette chance, en France, d’avoir un écosystème de petites et moyennes entreprises, voire de grandes entreprises qui est vraiment très actif sur le sujet, c’est une richesse, il faut qu’on discute avec eux. Ensuite nous ne sommes représentants, nous ne sommes une administration que du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques et on ne fait la politique industrielle de la France.

Frédéric Couchet : D’accord. Je précise, avant de passer la parole à Sabine Guillaume pour la même question, que je vois bien les questions qu’il y a sur le salon web et que je vais les relayer quand on sera sur le timing de ces questions-là. Marie-Odile précise que, dans les parlementaires, il y a aussi Paula Forteza compétente sur le sujet. Paula Forteza est d’ailleurs une ancienne d’Etalab.
Sabine Guillaume, une réaction sur l’historique, ce qui a changé, et peut-être sur l’articulation, dont vient de parler Bastien, sur les différents pôles de la DINUM.

Sabine Guillaume : Pour répondre sur le premier point qui est la diffusion du Libre, qui est beaucoup plus importante que précédemment dans tous les messages que pouvait porter l’administration, je pense que le catalogue GouvTech est, en ce sens-là, un totem assez important à la suite du SILL. L’idée de ce catalogue c’est de proposer aux acteurs publics qui ont un choix de solution à faire de présenter sur un même plan des solutions libres et des solutions dites propriétaires. L’acte d’achat reste à la charge du porteur de projet qui, lui, passe sa commande publique où il est en capacité d’intégrer une solution libre sur ses propres équipements et d’avoir l’équipe de développeurs en interne qui prend en charge le sujet, voire fait appel à un intégrateur.
Je n’ai pas le compte d’aujourd’hui, on n’est pas tout à fait à 600 solutions mais presque, et il faut savoir qu’on atteint à peu près 10 % de solutions qui relèvent de licences libres, qui ont été validées avec le concours de Bastien. Certaines de ces solutions sont référencées dans le SILL, d’autres pas. On a, comme que disait Bastien, un lien entre les deux, puisqu’on dit de l’un qu’il est dans l’autre et de l’autre qu’il est dans l’un.
Je pense que cette présentation faciale, sans faire de différence entre les solutions propriétaires et libres, est déjà un pas. On se rend compte, avec les échanges qu’on peut avoir, que dans les solutions qui sont référencées il n’y a potentiellement pas de différences de qualité ou de compétences entre l’une et l’autre. Au-delà de certaines réserves qu’on pourrait peut-être avoir à priori sur des solutions libres, je pense que ça fait partie des outils qui permettent de gommer ces différences-là et de pouvoir évaluer des solutions propriétaires et libres suivant des critères qui sont peut-être autres.

Frédéric Couchet : D’accord. On va rappeler que le SILL est le Socle interministériel de logiciels libres, c’est ce fameux catalogue dont parlait tout à l’heure Bastien.
Pour être un peu taquin, Sabine Guillaume, visiblement aujourd’hui, par rapport à la première version du catalogue GouvTech quand elle est sortie où c’était auto-déclaratif — des gens avaient dit « c’est du Libre » avec tel ou tel exemple —, on avait un peu taquiné en faisant une communication disant qu’une bonne partie n’était pas du tout du logiciel libre, si je comprends bien il y a maintenant une collaboration entre la mission LABEL et le pôle logiciels libres pour vérifier que les déclarations des entreprises, en tout cas des structures qui proposent des solutions libres, soient réellement libres. C’est bien ça ?

Sabine Guillaume : Exactement. La DINUM est souvent dans un mode apprenant. Effectivement, on a lancé la première initiative sans véritablement, comment dirais-je, mettre en question ce qui relevait de l’auto-référencement. Il y a eu effectivement quelques discussions et quelques remarques que nous avons, je pense, prises en compte le plus rapidement possible. Maintenant on travaille vraiment avec Bastien. On s’est mis d’accord sur ce qu’est une licence libre et ce que n’est pas une licence libre, donc on le contrôle en amont qui est calé, ce qui n’était pas le cas précédemment. Lorsqu’on a un cas un peu litigieux ou sur lequel on se pose des questions, c’est Bastien qui est notre grand sachant en la matière. Il en faut un, je suis désolée, Bastien, c’est toi, c’est comme ça ! [Rire, NdT].

Frédéric Couchet : On reviendra justement sur cette question des licences libres.
Tout à l’heure on a fait un retour rapide sur l’historique. Le point essentiel ce sont les annonces de la ministre de Montchalin, la ministre de la Fonction et de la Transformation publiques. J’ai envie d’être un peu, pas taquin, mais de vous poser la question que la plupart des gens se sont posée quand ils ont entendu ces annonces, c’est la question de la confiance à accorder à ces annonces, notamment par rapport à un historique. J’ai pris quelques points de l’historique. Il se trouve que quand j’avais fait le point de l’historique, Nadi Bou Hanna était et est d’ailleurs encore le patron de la DINUM, donc sa prise de poste en 2018. Ensuite, en mars 2019, dans une interview, il qualifiait le Libre de question de début des années 2000, on va en parler tout à l’heure, mais, dans son esprit, c’était plutôt quelque chose de négatif. On a effectivement parlé de la première version du catalogue GouvTech qui était un petit peu problématique. On peut aussi se dire que des annonces faites à même pas six mois d’une présidentielle, donc d’un nouveau gouvernement – même si le président reste, il y a souvent, quand même, un nouveau gouvernement – avec potentiellement un poste, le ou la responsable de la DINUM, qui est hautement politique et qui est soumis aux changements politiques. Tout à l’heure tu parlais de Henri Verdier, Henri Verdier a été, on va dire exfiltré de son poste parce que sa tête ne revenait pas au secrétaire d’État chargé du Numérique de l’époque c’est-à-dire Mounir Mahjoubi. Et, en parallèle, il y a aussi et toujours la persistance des solutions « Open Bar » dans certains ministères, donc de la forte dépendance de ces ministères à Microsoft. Quelque part j’ai envie de vous demander pourquoi devait-on y croire cette fois-ci ? Bastien Guerry.

Bastien Guerry : Rendez-vous dans trois ans.

Frédéric Couchet : Pourquoi trois ans ?

Bastien Guerry : Il y a une raison. C’est la durée sur laquelle on a observé les effets de la circulaire Ayrault. Il y a une étude de la Harvard Business School qui a montré que cet encouragement, cette circulaire qui était juste une circulaire, ce n’était pas une nouvelle loi, avait eu des effets sur la commande publique et sur la stimulation des entreprises.

Frédéric Couchet : On mettra le lien sur le site web de l’émission.

Bastien Guerry : Avec plaisir, c’est une étude intéressante. Elle montre aussi, a contrario, que la loi pour une République numérique qui d’un coup, fait des avancées légales sur le logiciel libre, n’a pas l’air, elle, d’avoir des effets directement mesurables économiquement pour les entreprises du libre.

Frédéric Couchet : Il n’y a pas besoin d’une étude pour savoir qu’un truc qui est juste un encouragement ne sert à rien dans une loi. Je pense que nous sommes d’accord là-dessus.

Bastien Guerry : Pourquoi faut-il avoir confiance ? Je suis arrivé sur « mon mandat », entre guillemets, il y a trois ans, dans ma fonction de développeur qui soutient le Libre avec un engagement clair qui était de rester et de continuer parce que les administrations avaient vu trop d’interlocuteurs différents, souvent des gens compétents, je peux citer mon collègue Antoine Cao qui accompagnait toutes les administrations, avec les groupes interministériels de mutualisation, groupes qui fonctionnent aussi indépendamment de la DINUM, qui échangent des expertises. Il y a notamment le pôle logiciels libres de l’Éducation nationale qui fait un gros travail d’animation autour de ces groupes-là. La continuité que vous décriviez, qui fait qu’on se demande ce qu’il y a de nouveau, c’est aussi celle qui est garante du fait qu’on continue, qu’on est confiants et qu’on va construire des indicateurs d’impact pour qu’on puisse se donner un rendez-vous, encore une fois, et dire ça a avancé, ça fonctionne. On voit qu’on a de plus en plus de demandes des administrations qui viennent vers le SILL, le catalogue de Sabine, avec des demandes concrètes d’accompagnement pour mieux utiliser et faire des choix plus éclairés.
Les deux ennemis, je pense, dans les choix techniques, ce sont les préférences personnelles. Quand quelqu’un très haut, un secrétaire général qui a connu une solution de courrier de messagerie, par exemple, pour ne pas le citer, va dire « je connais ça, j’ai besoin de ça, je mets ça à tous mes agents » et là il y a un arbitraire ressenti qui fait que le critère du Libre passe à la trappe. Le deuxième ennemi c’est l’arbitraire de choix techniques trop abstraits qui ne sont pas validés par les DSI, par les équipes, et qui ne fonctionnent pas bien. On aurait le risque du même arbitraire avec une obligation légale qui serait prématurée.

Frédéric Couchet : Pour toi cette obligation légale du Libre est prématurée. C’est ça ?

Bastien Guerry : Aujourd’hui elle serait prématurée. Je pense que c’est une idée régulatrice, c’est un horizon qu’il faut viser pour construire la méthode qui permettra de faire des choix éclairés dans les administrations. On a nos voisins italiens qui ont cette obligation légale.

Frédéric Couchet : Depuis 2016 je crois.

Bastien Guerry : Depuis plus longtemps que ça je crois. En tout cas eux-mêmes observent que ça n’aide pas.

Frédéric Couchet : Depuis 2013, nous dit-on sur le salon web.

Sabine Guillaume : Je crois aussi que c’est 2013.

Bastien Guerry : On a besoin d’interlocuteurs et de méthode. Aujourd’hui le SILL, le catalogue, est très perfectible à tous points de vue, on veut avoir plus d’infos qualitatives sur ce qui est utilisé, où. On veut avoir plus d’échanges d’expertise. On doit acculturer sur les achats, sur les questions juridiques.

Frédéric Couchet : On va parler tout à l’heure de la commande publique, point essentiel.

Bastien Guerry : On a fait récemment un atelier, la semaine dernière, avec la mission Appui au patrimoine immatériel de l’État qui est rattachée à la Direction des affaires juridiques de Bercy. C’est très important pour tout le monde de savoir. On a un contexte juridique très favorable.

Frédéric Couchet : Je rigole parce qu’il y a aune question de Marie-Odile sur le salon web que je vais relayer. Elle dit « c’est prématuré, parce que, comme disent certains, il faut attendre que certains décideurs partent en retraite ». Est-ce que c’est un peu ça ? C’est une question de génération ?

Bastien Guerry : Non.

Frédéric Couchet : Sabine Guillaume.

Sabine Guillaume : Non. J’étais précédemment DSI. Je rejoins Bastien. Pourquoi y a-t-il des endroits où le Libre a toute sa place et des endroits où c’est plus compliqué ? Il y a aussi les habitudes des utilisateurs. C’est assez compliqué de supprimer la suite Office. Tout le monde a des habitudes, des choses comme ça, donc c’est très compliqué. On a déjà les utilisateurs qui font parfois de la résistance. On peut avoir aussi des réseaux de décideurs qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, vont plutôt orienter vers du propriétaire ou, pourquoi pas, vers du cloud ou du pas cloud pour de très bonnes raisons qu’ils sont en capacité d’expliquer. C’est peut-être assez compliqué, dans certains endroits, de choisir une stratégie libre, full libre. Je pense que Bastien va évoquer, en plus, la difficulté de recruter des compétences, ce qui risque d’être un frein pour le déploiement du Libre qui demande des compétences en interne sur un volume d’ETP, un volume d’agents.

Frédéric Couchet : Un volume d’agents et d’agentes à temps plein.

Sabine Guillaume : D’agents et d’agentes à temps complet pour s’occuper d’un parc logiciel qui va demander plus d’attention que si, effectivement, on a un prestataire qu’on paye x tous les mois et qui va venir quatre fois par jour gérer, par exemple, les tickets de bug.
On peut être extrêmement persuadé de l’utilité et du bien fondé du Libre, mais on peut être pris dans un contexte où, au moment de l’acte d’achat, on intègre d’autres éléments qui font que le Libre ne va pas forcément être choisi alors même qu’on sait que c’est isofonctionnel.

Frédéric Couchet : D’accord. Avant la pause musicale, Bastien, tu voulais intervenir ?

Bastien Guerry : Juste par rapport à la citation de Nadi Bou Hanna qui a été faite tout à l’heure. On ne peut que constater que le contexte n’est plus le même depuis les années 2000, que le cloud est arrivé et que ça pose les questions différemment, y compris sur le logiciel libre, sur la liberté des utilisateurs quand ils sont de plus en plus usagers du cloud et l’administration est de plus en plus encouragée à utiliser le cloud.
Une remarque plus générale. Henri Verdier était favorable au Libre dans l’esprit, diffusait cet esprit-là. Nadi Bou Hanna avait une position très clairement pragmatique, position pragmatique qui relaie la position naturelle de la plupart des DSI des grands ministères qui sont face à des enjeux de plusieurs milliers d’ordinateurs, de services, des grandes infrastructures. Ce balancier naturel entre idéalisme et pragmatisme, d’abord il n’est pas étranger aux gens du logiciel libre, on le connaît bien. En plus, je pense qu’il est la preuve que les plans successifs tracent une continuité qui résiste à cette dialectique. Tantôt on est encouragé par des principes de souveraineté, par des principes qui sont des causes de partage, de transparence citoyenne ou autre, tantôt on passe l’épreuve du pragmatisme en montrant que les logiciels libres sont souvent meilleurs, remplissent mieux les fonctions. C’est en avançant de cette façon qu’on obtient les moyens de faire plus. Si on partait dans des ambitions démesurées on échouerait, on n’aurait pas les moyens de continuer.
On aura les moyens de faire de la conduite de changement sur du traitement de texte libre dans des grandes administrations que si on fait, aujourd’hui, la preuve que le pragmatisme est compatible avec la démarche.

Frédéric Couchet : Je suis tout à fait d’accord. Je pense que la Gendarmerie nationale qui a pris son temps pour migrer, qui l’a fait proprement, sera aussi d’accord.
On va faire une petite pause musicale. La pause musicale a été choisie par Bastien, je l’en remercie.
On va écouter Last Dance par The Zero Project. On se retrouve dans environ trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : em>Last Dance par The Zero Project.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Last Dance par The Zero Project, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Je rappelle la question, à savoir quels sont les deux petits changements qu’il y a dans ce jingle ? Venez en discuter avec nous, proposer votre réponse sur causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous et aussi poser des questions et réagir à notre échange sur le plan d’action du gouvernement en matière de logiciels libres avec Sabine Guillaume et Bastien Guerry.
Juste avant la pause musicale, on a parlé un petit peu de l’historique, de la confiance qu’on pouvait accorder aux annonces du gouvernement. On va parler un petit peu du plan d’action en pratique. Il y a beaucoup de choses dans le plan d’action. On a commencé à en parler un petit peu avec le Socle interministériel de logiciels libres. On va parler tout à l’heure de la partie commande publique qui me parait très importante.
Je vais demander à chacun et chacune ce qui lui parait le plus essentiel dans ce plan d’action On va commencer par Bastien et ensuite Sabine.

Bastien Guerry : Le plan d’action ce sont trois objectifs : mieux utiliser, publier les codes sources et attirer des talents dans l’administration. Ces trois objectifs sont portés conjointement par différentes missions de la Direction interministérielle.
L’ouverture des codes sources est naturellement portée par Etalab, à travers le pôle logiciels libres, Etalab qui est la mission d’ouverture sur les données publiques. L’utilisation rentre dans le cadre de la mission LABEL dirigée par Sabine et le fait d’attirer des talents est l’objet d’une autre mission à part entière qui s’appelle justement TALENTS, très simplement.
Il y a vraiment un effort collectif. Pour moi il y a quand même cette nouveauté, depuis quelques années, de prendre le taureau par les cornes sur comment attirer des data scientists, des développeuses, des développeurs, des designers dans l’État. On a des programmes innovants comme l’incubateur des services publics numériques, beta.gouv.fr, qui recrute en indépendants et en contractuels de nombreux développeuses et développeurs depuis longtemps, c’est un écosystème de plus de 500 personnes aujourd’hui. On a le programme Entrepreneurs d’intérêt général. Nous-mêmes, côté plan d’action logiciels libres, on lance le BlueHats Semester of Code.

Frédéric Couchet : Qu’est-ce que c‘est que BlueHats ?

Bastien Guerry : BlueHats, c’est le symbole, le chapeau bleu qu’on porte pour réunir les gens qui s’intéressent au logiciel libre dans l’administration, qu’ils soient simples citoyens ou agents publics. Le Semester of Code, donc le Semestre de code, c’est l’idée de permettre à des projets libres qui sont utilisés dans l’administration, donc Thunderbird, PeerTube, ou à des projets existants à l’extérieur de l’administration de bénéficier de l’effort de la contribution d’étudiants stagiaires, pendant six mois. La DINUM est en accompagnement pour que ces étudiants découvrent à la fois le logiciel libre, ce que c’est que contribuer, parce que ce n’est pas évident, et ce que c’est que de travailler au sein d’une administration.

Frédéric Couchet : Sabine, de votre côté, quels sont d’après vous les points essentiels du plan d’action ?

Sabine Guillaume : Je pense que tous les points sont importants parce que ça traite de communication, d’usage, de mise à disposition de ressources et de compétences pour traiter tout ça, donc le plan d’action couvre tous les champs. Je dirais que ce n’est pas forcément le plus important pour moi, mais ce qui m’occupe le plus c’est le volet déjà évoqué par Bastien qui est de faire mieux connaître, mieux utiliser. Dans cet axe-là, l’action est beaucoup à trouver et à attirer vers le catalogue des solutions libres plus que ce qu’on peut avoir aujourd’hui, même si on a à peu près 10 % des solutions qui sont libres, c’est déjà pas mal, d’en avoir encore plus pour donner plus de visibilité. Et d’un autre côté, puisque nous avons aussi mis en place, démarré il n’y a pas très longtemps, le deuxième totem qui est une plateforme réservée aux acteurs du secteur public pour échanger et avoir des retours d’expérience sur les solutions du catalogue, arriver, en s’appuyant sur cette communauté, avec l’aide de Bastien sur des actions ciblées, des webinaires, des séminaires, des choses comme ça, à rediffuser la culture du Libre qui est, comme on l’a dit tout à l’heure, une culture un peu à tous les étages : il faut de la ressource, il faut des moyens, il faut une autre façon de penser, une autre façon d’imaginer, une autre façon aussi d’acheter des solutions par rapport à ce qu’on fait aujourd’hui. Il y a toute une culture à mettre en place. On a ce sujet du Libre, on a aussi le sujet du cloud. On a à communiquer sur des points que la DINUM veut mettre un petit peu en avant par l’offre du secteur public pour qu’il y ait des choses à choisir. C’est important aussi de proposer au choix des outils qu’on a pu récupérer par des moyens divers et variés dont celui-ci.

Frédéric Couchet : D’accord. Dans les points que Bastien a cités et qui ont été annoncés, il y a le renforcement des moyens humains. Comme tu l’as dit tout à l’heure, vous êtes passés de un à quatre. Même ton rôle a évolué. Si je me souviens bien, quand tu étais venu ici en 2019, ton poste c’était référent logiciels libres, maintenant tu es chef de pôle logiciels libres, donc il y a une évolution.
Dans les annonces d’Amélie de Montchalin il y a également l’annonce, on en a parlé tout l’heure, qu’elle indiquait « souhaiter pouvoir construire un dialogue partenarial et pérenne avec les écosystèmes du logiciel libre et créer pour cela une instance d’expertise et de mobilisation sur la mise en œuvre du plan », donc une instance de dialogue, conseil d’expertise « composé à la fois d’administrations et de structures de l’écosystème ». Je précise que l’April a été sollicitée pour en faire partie et nous avons décidé de donner une chance à ce plan d’action. Est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu quel va être le rôle de ce conseil d’expertise ? Bastien Guerry.

Bastien Guerry : Le conseil d’expertise a deux cercles : un cercle administrations et un cercle écosystème. Son rôle c’est de faire que des administrations qui ont des acteurs engagés dans le logiciel libre, parce qu’il n’y a pas que la DINUM évidemment, puissent échanger de l’information et du service entre elles. Si je prends l’exemple de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT, eh bien ils seront dans ce conseil. Ils ont une connaissance du logiciel libre et des communs numériques, ils ont été à la manœuvre quand il s’est agi de répartir l’argent du plan de relance pour permettre à des collectivités d’acheter elles-mêmes des solutions sous licence libre, donc d’encourager la mutualisation en amont, c’était un plan de 30 millions. Cette expertise-là, ce qu’ils ont appris à cette occasion-là, ils peuvent le repartager avec les autres administrations qui seront dans ce cercle-là.
Je peux donner un deuxième exemple. Du côté de l’Éducation nationale il y a la Direction du numérique éducatif qui a une expertise sur l’usage de serveurs sous licence libre depuis très longtemps, sur l’ouverture éventuellement de codes sources importants, qui a une deuxième expertise avec le recrutement d’Alexis Kauffmann sur les ressources éducatives libres et sur l’encouragement à soutenir les enseignants qui développent des logiciels libres pour l’éducation, eh bien cette expertise-là peut être reversée au pot commun administratif.
Il y a un deuxième cercle écosystème. Pour les citer rapidement, on a l’association ADULLACT avec laquelle la DINUM a un partenariat historique, l’April, le Hub Open Source, le CNLL, le Conseil numérique du Logiciel libre, l’association OW2. On a tout un ensemble de partenaires.

Frédéric Couchet : Les derniers que tu as cités c’est plutôt entreprises. L’ADULLACT est l’Association des développeurs et utilisateurs de logiciels libres dans les administrations et les collectivités territoriales.

Bastien Guerry : On a aussi les fondations Mozilla et Eclipse. La fondation Eclipse a migré en Europe récemment, donc des gens qui ont beaucoup de projets à leur actif, beaucoup d’expérience et on veut mettre cette expérience à profit. C’est d’abord pour dialoguer et c’est aussi pour faire passer des messages à cet écosystème, qu’il comprenne mieux l’administration et qu’il cible mieux les offres. Je vous donne un exemple : on a besoin d’un annuaire des entreprises du numérique libre, les ENL, pour savoir mieux se repérer, connaître réellement, pour chaque entreprise du logiciel libre, ses compétences sur tel et tel sujet. Le CNLL construit un tel annuaire. On discute avec eux pour mieux cibler cette offre-là et la faire connaître à l’ensemble de l’administration.

Frédéric Couchet : Je suppose aussi par rapport aux critères de l’administration ?

Bastien Guerry : Complètement. Pour entrer dans la même démarche que celle que l’ADULLACT a enclenchée en référençant aussi les prestataires en plus des solutions libres.

Frédéric Couchet : Je vais juste préciser qu’Alexis Kauffmann, dont tu parlais tout à l’heure, est l’un des fondateurs de Framasoft, la célèbre association, donc c’est aussi un libriste qui est intégré à une administration, comme toi. Pareil, on lui donne rendez-vous peut-être un peu plus tôt, dans un an, on le recevra pour savoir où il en est. En tout cas c’est très intéressant de voir des libristes dans l’administration.
Tu viens de parler des entreprises, on va aussi parler de la commande publique parce que je vois le temps qui passe et on risque de ne pas en parler.
La commande publique est un des sujets très souvent oublié. Je crois, de mémoire, que dans la circulaire Ayrault on n’en parle pas, le rapport Bothotrel n’en parle pas, la circulaire Castex n’en parle pas, et pourtant la commande publique est un point essentiel. Au-delà de mettre la priorité normative du logiciel libre dans la commande publique c’est comment effectivement, entre guillemets, « mieux acheter du logiciel libre ». Quelle est la problématique ? Est-ce que vous pouvez expliquer cette problématique de la commande publique ? Bastien.

Bastien Guerry : Tout à l’heure on parlait d’évaluer les résultats du plan d’action, j’espère que dans trois ans on aura des parlementaires qui se mobiliseront pour une mission d’information qui nous éclairera sur la répartition des dépenses de cette commande publique et qu’on verra quel est le pourcentage dépensé pour le logiciel libre, quel est le pourcentage dépensé pour le reste. Est-ce que ça augmente ? Est-ce que ce sont des dépenses qui sont évaluées, reconduites ? Comment ça fonctionne.

Frédéric Couchet : Petite précision. Quand elle était députée, Isabelle Attard avait sollicité un certain nombre de ministères, donc il y a des chiffres qui sont déjà connus. Effectivement, ce serait bien d’avoir l’évolution de ces chiffres.

Bastien Guerry : Je pense que c’est là-dessus qu’on pourra mesurer très simplement pas seulement les dépenses, parce qu’il faut vraiment que ces dépenses puissent être justifiées et qu’on mesure l’impact en termes d’acculturation, d’adaptation des solutions.
Je cite un exemple de problématique qu’on a. Aujourd’hui les administrations peuvent passer par une centrale d’achats bien connue, qui s’appelle l’UGAP, pour acheter de la prestation en développement. Il se trouve que quand une administration achète à travers l’UGAP, cette centrale d’achats, aujourd’hui elle n’a pas accès aux conditions juridiques contractuelles qu’il y a entre cette centrale d’achats et le prestataire. Cela nous amène à des situations absurdes où une administration peut acheter un site web statique sans avoir les clefs pour le modifier par la suite, parce que le prestataire dit : « On vous a donné le livrable, mais on n’avait pas discuté de licence ».

Frédéric Couchet : Ça veut dire que les conditions de livraison du produit ne sont pas connues de l’administration ?

Bastien Guerry : Les conditions juridiques contractuelles entre la centrale d’achats et le prestataire peuvent ne peuvent pas être connues. Si l’administration n’est pas extrêmement attentive à tout ça en amont, elle peut se retrouver, tout en étant de bonne volonté, coincée, parfois même le prestataire n’est pas de mauvaise volonté, ce n’est pas toujours mal intentionné. C’est aussi une remarque que je fais par rapport aux gens qui sont rentrés dans le catalogue LABEL. Vous trouvez partout des boîtes qui se disent open source en étant de très bonne volonté parce qu’elles veulent diffuser un état d’esprit et puis elles ne connaissent pas, elles ne sont pas expertes des licences libres, elles ne sont pas expertes de tout ça. Les corrections d’erreurs concernaient autant des erreurs de manque de vérification de la licence que des erreurs de bonne foi de ces entreprises qui se disaient juste open source parce que c’est cool.
L’achat c’est essentiel et les administrations qui achètent sont aujourd’hui en mesure de demander la propriété intellectuelle des livrables, des codes sources qu’elles font développer. Seulement elles y sont plus ou moins attentives en fonction de ce qu’elles prévoient d’en faire après, si elles savent qu’elles vont ouvrir un code source. Au moment de la création du projet Vitam, projet d’archivage électronique dirigé par Jean-Séverin Lair, ces questions-là étaient évidemment au premier plan et juridiquement la maturité était là pour poser les bonnes conditions.

Frédéric Couchet : Jean-Séverin Lair était un des architectes de la circulaire Ayrault, si je me souviens bien, quand il était je ne sais plus dans quel ministère, peut-être la Culture. Il y a aussi un historique.
J’ai peut-être une petite question sur la commande publique : est-ce que vous avez évoqué le cas des grosses entreprises, on va dire des sociétés de service, qui répondent à des appels d’offres sur des produits, prenons par exemple QGIS qui est un système d‘information géographique libre. Ces entreprises, en fait, ne font aucune valeur ajoutée sur le logiciel. À côté de ça il y a un certain nombre de personnes indépendantes, de petites structures qui contribuent à QGIS et qui sont quelque part, en fait, un peu exclues de l’appel d’offres par leur petite taille. Est-ce que c’est un sujet que vous avez identifié ou pas du tout pour l’instant ?

Bastien Guerry : Non seulement on l’a identifié, mais, en plus, on a vécu le fait que pour le marché interministériel de logiciels libres, qui est un marché qui permet aux administrations de faire des remontées de bugs et d’avoir des correctifs de bugs, qui leur permet aussi de faire des développements, eh bien le titulaire du marché de support est une grosse entreprise qui a construit un groupement autour d’elle pour s’assurer de l’expertise de ces petites entreprises. Donc l’administration est attentive à cibler justement la bonne expertise au bon endroit et à ne pas simplement réagir à des flyers publicitaires.

Frédéric Couchet : Il y a des commentaires sur le salon web. Un commentaire qui est à la fois positif et négatif, je vais quand même le transmettre : « Avec du personnel d’une telle qualité – Marie-Odile parle de vous deux – il était grand temps qu’on leur change de patron ». Je ne vous demanderai évidemment pas de réagir sur ce sujet-là. Marie-Odile fait simplement référence au fait que Nadi Bou Hanna a annoncé son départ de la DINUM en janvier 2022, la veille de la publication d’un article du Monde qui relatait un certain nombre de problèmes de management avec des burn out, des dépressions, etc. Nadi Bou Hanna conteste formellement ces accusations, en tout cas il partira. Je ne vous demanderai pas non plus de réagir là-dessus. Je fais un petit coucou à la chargée de comm’ de la DINUM, vu qu’on a parlé de ce sujet avant. On ne va pas rentrer plus dans les détails.
Il nous reste cinq/six minutes grand maximum.
Juste avant la phase de conclusion, tout à l’heure vous vouliez aborder la partie ressources humaines, le recrutement, les talents, vous avez actuellement une offre de poste ouverte. Qui le fait Sabine ou Bastien ?

Sabine Guillaume : C’est Bastien qui cherche.

Frédéric Couchet : Qu’est-ce que tu cherches Bastien ?

Bastien Guerry : On est deux aujourd’hui, je suis accompagné par ma collègue Agathe Bouché sur la communication et l’événementiel, je la remercie pour tout son investissement. On a un développeur, Joseph Garrone, qui nous rejoint en janvier et qui se consacrera à plein temps au catalogue de logiciels libres. Dans les jours qui viennent on va publier une fiche de poste pour chercher une ou un chargé d’accompagnement des communautés et des contributions. Quelqu’un qui aidera à répondre aux administrations quand elles veulent que leur projet, qui est simplement à source ouverte pour l’instant, devienne un vrai projet libre, capable de recevoir des contributions et aussi pour porter tous les aspects BlueHats à savoir valorisation des contributions du secteur public à l’écosystème du Libre. On en parlera aussi lors d’un événement ce jeudi, le Forum de l’emploi tech de l’État. C’est ouvert à tous, vous pouvez vous renseigner, nous serons dispos entre 15 heures et 16 heures pour répondre aux questions sur cette fiche de poste et sur l’ensemble du projet libre.
Un petit mot pour réagir à la remarque de Marie-Odile. Je pense que c’est difficile d’imaginer, quand on ne vit pas dans une administration, ce qu’a pu être la mobilisation en 2020 au moment du premier confinement. Cette mobilisation a vraiment construit des collectifs. Sur la qualité des agents, on ne se compare pas entre nous. Il faut un village pour faire l’éducation d’un enfant africain, il faut un collectif aussi large que l’écosystème de la DINUM, plus les gens de beta.gouv.fr, plus nos partenaires pour soutenir les efforts de chacun. Autour du logiciel libre il y a Etalab, il y a Laure Lucchesi qui est là depuis plus de huit ans.

Frédéric Couchet : La directrice d’Etalab.

Bastien Guerry : La directrice d’Etalab qui porte l’ouverture de la donnée. Il y a toutes les équipes de data.gouv.fr, il y a du terreau et c’est cette continuité qu’on veut prolonger.

Frédéric Couchet : Avant de poser la question finale, juste un avis totalement personnel. Comme vous cherchez une nouvelle patronne ou un nouveau patron, je dirais aux gens du dessus qu’ils n’ont pas forcément besoin d’aller chercher ailleurs les talents. Personnellement je pense qu’un signal fort serait donné si Laure Lucchesi, actuelle directrice d’Etalab, était nommée à la tête de la DINUM. C’est un point de vue totalement personnel.
Nos intervenant et intervenante du prochain sujet viennent d’arriver. Je précise à Étienne qu’on va sans doute zapper la pause musicale, mais vous n’êtes pas encore totalement partis.
Une petite question, réponse rapide, et ensuite la dernière question : avez-vous une personne référente dans chaque ministère, sous-entendu référente logiciel libre ?

Bastien Guerry : J’adorerais répondre à cette question en plus de deux minutes ! Très rapidement. Dans la circulaire Castex, le logiciel libre n’est qu’un bout, c’est une circulaire sur la donnée publique. Tout le volet open data est largement porté et on avance aussi sur l’ouverture des codes. Donc oui, il y a des administrateurs ministériels des données, des algorithmes et des codes sources dans chaque ministère. Ces administrateurs sont nommés, vous en avez la liste sur data.gouv.fr et ils portent le sujet des algorithmes publics et des codes sources. Donc ils trouvent des référents techniques chez eux.
Sur le volet de l’utilisation, oui, c’est notre ambition d’avoir des points de contact et des référents, voire des administrations qui avancent sur des politiques d’utilisation des logiciels libres, qui s’engagent, et ce sera visible dès l’année prochaine avec la publication de la politique d’utilisation de logiciels libres. C’est très important parce qu’on a juste vocation à distiller un état d’esprit, à accompagner, mais chaque ministère doit construire sa politique.

Frédéric Couchet : OK. Je relaie juste une dernière question pour Sabine avant la question finale, question avec réponse courte si possible. Étienne demande comment a évolué votre regard sur le Libre au contact, par exemple, de Bastien ?, question compliquée, réponse courte si possible.

Sabine Guillaume : Rien de personnel ! [Rire, NdT]. Mon regard n’a pas forcément évolué. C’est vrai que quand on côtoie quelqu’un de vraiment passionné et investi on a forcément le regard qui évolue. Je n’ai pas d’avis pour ou contre le Libre, je pense même que c’est plutôt une bonne idée. Après il y a énormément de choses à changer, ce qu’on a évoqué, les comportements, les organisations, les méthodes, la commande publique, etc. Je dirais juste qu’il faut vraiment en vouloir pour faire bouger les choses et je pense que Bastien, pour le coup, est la bonne personne.
Je voulais juste ajouter un tout petit truc sur la DINUM, en plus de ce que Bastien a dit, l’esprit collectif qui existe. On vient quand même, sur l’année qui s’écoule, de mettre en place, porté par pas mal de collègues de la DINUM, le plan de relance. Ça a été mis en place en un temps record, entre l’annonce qui a été faite, la mise en place et la première distribution de subvention. C’est quand même quelque chose qui ne se fait pas tout à fait n’importe où, ça se fait à la DINUM, c’est quand même important, et c’est du collectif.

Frédéric Couchet : OK. Dernière question, en moins de deux minutes chacun et chacune si possible : quels sont les éléments clefs à retenir, que vous souhaiteriez que les auditeurs et auditrices retiennent ? Bastien Guerry.

Bastien Guerry : Un nouvel élément que j’ai oublié de mentionner mais qui est extrêmement important, on a le Plan national pour la science ouverte qui est sorti l’année dernière et qui comporte un volet sur les codes sources. Ça veut dire que les chercheurs, les enseignants-chercheurs sont invités à publier de plus en plus leurs codes sources pour rendre la recherche plus reproductible. Cette action-là s’inscrit aussi dans les efforts du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour ouvrir les codes sources de la recherche et aussi parce que ce ministère est volontaire sur le sujet pour utiliser plus de logiciels libres et s’appuyer sur le catalogue qu’on met en place. Etalab organise en janvier, avec le comité pour la science ouverte, un séminaire en trois matinées sur ouvrir les codes sources de la recherche et surtout valoriser les codes sources de la recherche, c’est-à-dire comment construire des entreprises sans refermer la licence derrière.

Frédéric Couchet : OK. Sabine, un mot de conclusion.

Sabine Guillaume : J’ai moins de deux minutes, ce n’est pas grave. Je profite de l’occasion pour encourager tous ceux qui portent des solutions libres à venir se référencer dans le catalogue qui est un moyen où les solutions libres sont présentées de façon complètement identique à des solutions propriétaires, à utiliser cet outil et à se l’approprier, sachant qu’on va créer, à partir de ça, une communauté d’agents publics sur lesquels on va pouvoir travailler de façon assez précise, par exemple pour obtenir les chiffres évoqués précédemment sur ces populations de 200, 300 agents publics : qu’est-ce qu’ils ont utilisé dans l’année comme solutions ? Est-ce que c’était du Libre, pas du libre ? Quels budgets associés ? On va pouvoir avoir une communauté de gens et on va pouvoir examiner, de façon relativement fine, leur façon d’acheter et de choisir du Libre et pas du Libre, pourquoi, comment, etc. Je pense qu’il faut profiter de cette opportunité.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est noté. Merci à Sabine Guillaume et à Bastien Guerry de la DINUM, de la Direction interministérielle du numérique. Marie-Odile vous donne rendez-vous en 2025.

Bastien Guerry : On sera là.

Frédéric Couchet : Je vous donne rendez-vous un peu plus tôt pour faire un point. Je vous souhaite une belle fin de journée.

Bastien Guerry : Merci.

Sabine Guillaume : Merci pour l’invitation.

Frédéric Couchet : Je précise qu’on ne va pas dissusere de pause musicale, par contre, Étienne, tu peux envoyer le petit jingle de transition.

[Jingle]

Frédéric Couchet : On va passer au sujet suivant. Exceptionnellement on ne fait pas de pause musicale. J’invite les deux personnes à s’installer aux deux places et j’invite Sabine et Bastien à aller dans le canapé pour profiter, après, de la petite collation qui est prévue. Isabelle et Brice s’installent pour le sujet suivant, la chronique d’Antanak.

[Virgule musicale]

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » d’Antanak sur Le Garage Numérique

Frédéric Couchet : « Que libérer d’autre que du logiciel », c’est la chronique d’Antanak. Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées, mises en acte et en pratique au sein du collectif : le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par toutes et tous.
Le thème du jour, Le Garage Numérique qui accompagne les personnes habitantes et les associations du 20e arrondissement de Paris pour une vie numérique inclusive et solidaire, donc Isabelle a convié Brice. Isabelle je te laisse la parole.

Isabelle Carrère : Merci Fred. Bonjour à toutes et tous.

Brice : Bonjour.

Isabelle Carrère : Aujourd’hui j’avais envie d’ouvrir un peu cette petite chronique de dix minutes d’Antanak à une autre structure qu’on commence à bien connaître maintenant. Je vais laisser la parole à Brice pour qu’il expose un peu, parce qu’on est vraiment en phase sur plein de sujets, notamment l’utilisation des systèmes sous GNU/Linux, mais aussi l’approche avec les personnes, etc. Vas-y Brice, raconte-nous Le Garage Numérique, à Paris également, mais dans le 20e.

Brice : Oui, exactement. Ça fait dix ans que l’association est active sur Paris, quartier de la Banane, les Amandiers, entre Ménilmontant et le Père Lachaise. On a effectivement pas mal de points communs avec vous, Antanak, puisqu’une des activités historiques porte sur la collecte, le reconditionnement et la redistribution d’ordinateurs pour que, autant que possible, les familles du quartier qui auraient besoin de s’équiper puissent le faire. On utilise évidemment et on installe autant que possible des distributions GNU/Linux sur les postes.

Isabelle Carrère : Autant que possible, c’est-à-dire ?

Brice : Autant que possible parce qu’on fait aussi tourner un atelier de réparation, donc les gens viennent avec leurs bécanes telles qu’elles sont, pour ne pas dire souvent des Windows 7 ou 10 un peu à bout de souffle. On essaie d’expliquer, de convertir, on sensibilise. Il y a des fois où oui, les gens s’y retrouvent et acceptent de basculer sur une Debian ou autre, d’autres fois c’est plus compliqué et puis on comprend. On ne fait pas 100 % de GNU/Linux, mais, en tout cas, on essaye.

Isabelle Carrère : En tout cas vous n’installez pas des systèmes d’exploitation sous Windows, vous travaillez avec.

Brice : Si, on en installe.

Isabelle Carrère : Si, ça vous arrive ? Dans quels contextes ? Dans quels cas ?

Brice : Dans quels cas ? Il y a quelques personnes, dans le quartier, qui peuvent faire du graphisme et c’est un peu long de basculer sous Gimp ou autre, qui ont besoin de leur suite Adobe. Le but c’est qu’on rende service.

Isabelle Carrère : Tu fais du double boot dans ces cas-là, comme nous ?

Brice : Pas forcément. Ça nous arrive.

Frédéric Couchet : Vous allez très vite. Expliquez ce que c’est qu’un double boot.

Isabelle Carrère : À Antanak, on a pris comme principe qu’un ordinateur qui est passé par chez nous aura toujours un morceau de système libre dessus. Double boot, ça veut dire qu’on divise en deux partitions le disque de manière logique, on ne le découpe pas !, et quand on démarre la machine, on peut soit la démarrer sous le système GNU/Linux, peu importe Ubuntu, Xubuntu, Linux Mint, Debian, etc., ce qu’on met et sinon, de l’autre côté, on peut la démarrer sur, majoritairement, du Windows.

Frédéric Couchet : On va juste que préciser que techniquement c’est un menu qui s’affiche et la personne utilisatrice choisit.

Isabelle Carrère : C’est ça. Ce qu’on pousse les gens à faire, ça ne veut pas dire qu’ils le font après tout le temps, c’est, dans ce cas-là, de n’utiliser la partie Windows que, comme tu le dis, quand « j’ai absolument besoin de tel ou tel outil et je n’ai pas trouvé l’équivalent dans le monde du Libre » ou plus exactement, souvent, « je suis trop fainéant pour changer mes habitudes et passer sur un logiciel libre ». Il y a aussi des choses qui, réellement, ne sont pas exactement pareil, on sait pourquoi. Du coup on leur suggère de n’utiliser cette partition-là que pour des choses précises, mais pour tout le reste de qu’ils ont à faire qu’ils restent sur le système d’exploitation libre.

Brice : J’entends bien et c’est là où on retrouve un point commun, c’est qu’on passe finalement autant de temps devant les ordinateurs qu’à discuter avec les gens pour expliquer aussi bien l’utilisation même que les enjeux qu’il y a derrière ces outils-là. Je sais qu’on a ça en commun dans nos actions.

Isabelle Carrère : Une différence, qui est quand même de taille, c’est que vous vous avez réussi à monter un modèle économique sur cette activité, là où nous sommes uniquement ou quasi uniquement des gens bénévoles. Toutes les personnes qui viennent à Antanak sont des personnes bénévoles et il y a simplement les permanences d’écrivains publics numériques pour lesquels on a quelques vacations payées, pas assez payées. En tout cas on arrive à les rémunérer un petit peu, parce que là on a estimé qu’il y avait des obligations d’horaire, d’être là, de répondre, de confidentialité sur les données, etc., donc là on rémunère les gens mais toutes les autres personnes sont bénévoles. Je crois que vous avez un modèle économique, n’est-ce pas ?

Brice : On a un modèle économique probablement à consolider. On peut dire qu’on a un modèle économique dans la mesure où on a été et on est encore en capacité de salarier quelques personnes, effectivement. À côté de ça on a beaucoup de jeunes, en fait on travaille beaucoup avec les jeunes du quartier. On est un espace ouvert, en continu, tous les jours de la semaine, où chacun peut aller et venir, rentrer, que ce soit pour demander des nouvelles, se faire dépanner ou aider dans l’usage de son ordinateur.

Isabelle Carrère : Du coup c’est une vraie différence. Nous, par exemple, nous sommes fermés le mardi et le vendredi parce qu’on a chacun et chacune d’autres activités, peut-être éventuellement qu’on va bosser un peu sur d’autres choses. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être ouverts tout le temps.
Tu parlais d’accompagnement de jeunes, je crois que vous avez aussi des actions hyper-précises avec des jeunes qui viennent auprès de vous pendant une durée un peu importante.

Brice : On a structuré un parcours. Historiquement Le Garage a toujours accueilli en stage, en service civique, quel que soit le format, des jeunes du quartier pour qu’ils puissent s’essayer à l’informatique, monter en compétences autant que possible. On est encore en train de structurer un parcours de trois à quatre semaines, ça peut être dans le cadre de stages pour des jeunes qui seraient en formation ou juste conventionnés par la mission locale ou autre, le but étant de découvrir un certain nombre de métiers du numérique. Nous avons plutôt un focus, évidemment on va dire, sur la maintenance et la réparation qu’on va faire un peu plus au Garage. Ça peut permettre aussi de développer un monde sur Minetest, de s’initier à Python, d’apprendre à gérer un agenda, de savoir faire des e-mails de façon professionnelle. Un parcours qui permet de sortir, normalement, en ayant un peu monté en compétences en informatique et en se disant « oui, OK, je vais peut-être pouvoir en faire mon métier » et là on s’accorde du temps pour identifier des formations, savoir si c’est le dev, si c’est la maintenance, plutôt de l’atelier, du hardware, un atelier de réparation, ou plutôt de la maintenance, de l’infogérance pour être un technicien support. Le but c’est que le jeune sorte au bout de ces trois/quatre semaines avec les idées un peu plus claires.

Isabelle Carrère : D’accord. Et c’est une activité reçoit des ressources, des subventions ? Comment faites-vous pour tenir ?

Brice : Oui. Il y a la ville, il y a l’État qui nous soutiennent et qui nous financent pour cet accompagnement des jeunes. On a, depuis la fin de l’automne on va dire, un autre partenaire qui est une entreprise d’insertion, qui fait de l’infogérance, qui s’appelle RézoSocial, avec lequel on a coconstruit ce parcours. Une des possibilités de sortie du parcours, après Le Garage, pour des jeunes qui ont confirmé un projet professionnel autour de la maintenance, de l’infogérance, c’est d’intégrer RézoSocial sous la forme d’un contrat d’insertion pour être technicien de support, technicien de maintenance et préparer en parallèle un titre professionnel de TAI, technicien d’assistance informatique. C’est un des débouchés possibles. Le parcours peut servir aussi à quelqu’un pour se dire « l’informatique, hou là, là ce que vous m’avez fait faire ! La ligne de commande, vous m’avez cassé la tête les amis. Je ne veux pas du tout faire ça » et c’est très bien. C’est aussi une sortie positive. Le but c’est d’avancer.

Isabelle Carrère : Super. Je ne sais s’il nous reste beaucoup de temps, Fred ?

Frédéric Couchet : Vous avez deux/trois minutes. J’ai juste une petite question. Vous parlez d’ordinateurs, est-ce que vous faites aussi les téléphones mobiles ?

Brice : On l’a fait. C’est un peu compliqué. Il y avait notamment un jeune qui s’occupait de ça, qui était en filière microélectronique. Il habite toujours dans le coin, mais il n’est plus dans Le Garage. On est plus à réorienter, on préfère ne pas gérer, on n’a pas trop les compétences, on n’a jamais capitalisé sur les compétences autour de la réparation de téléphones ou de « dégooglelisation », « desandroisation » des téléphones, on n’en est pas encore là. On a mis beaucoup d’efforts dans la montée en compétences autour de l’admin système, d’héberger nous-mêmes notre instance Nextcloud, notre instance Odoo, des choses comme ça. Ce sont plutôt ces compétences-là qui se diffusent dans l’association.

Frédéric Couchet : D’accord. Isabelle.

Isabelle Carrère : À Antanak, ce qu’on arrive à faire sur les téléphones c’est à monter des ateliers pour effectivement « dégooglegliser » et mettre des systèmes, on en avait parlé plusieurs fois ici, mais pas sur la partie réparations parce que c’est vraiment un autre job.
S’il me reste juste une minute. Je voulais juste reconfirmer, je crois que j’en ai parlé ici je ne sais plus quand [libreavous.org#93], que Brice et Le Garage Numérique font partie des premiers fondateurs, fondatrices, avec nous, du REFIS le Réseau francilien de réemploi pour une informatique solidaire. C’est aussi ça qui est intéressant. Je me réjouis de la présence du Garage Numérique dans le 20e, à côté de nous, parce que c’est aussi ce qui nous permet de mutualiser, pour le moment avec le REFIS, des collectes éventuelles, mais aussi, par la suite, d’autres projets comme celui dont on parlait tout à l’heure dehors sur la question de comment va-t-on arriver à faire quelque chose avec cette affaire de certification pour l’écrasement des données ou des choses comme ça.

Frédéric Couchet : Tu en as parlé la dernière fois. J’ai envoyé le courriel à l’ANSSI [Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information], je n’ai pas eu de retour. J’ai fait ce que j’avais dit.

Isabelle Carrère : J’ai eu un premier retour, j’en parlerai une autre parce que sinon ça va être trop long.
Tout ça pour dire que c’est intéressant aussi et c’est pour ça que c’est bien. Je pense que je réinviterai Brice une autre fois sur d’autres sujets.

Brice : Je suis ravi. Un dernier point de l’activité du Garage qui est aussi très structurale pour nous et importante, c’est la formation qu’on a investie depuis deux à trois ans avec un partenariat avec le CNAM, le Conservatoire national des arts et Métiers. On anime une spécialité de formation de technicien devOps, une sorte de technicien de maintenance avec des notions autour de Git, de Python, de la dockerisation, un niveau bac + 1 donc tranquille, mais quand même sensibiliser à ça. C’est un super groupe, ça fait trois ans maintenant, qui se renouvelle.
Donc l’équipement, l’accompagnement et cet aspect de formation. On a une vue complète du Garage.

Isabelle Carrère : Génial. Merci Brice.

Frédéric Couchet : Super. Juste un petit rappel, peut-être une information : le site web, legaragenumerique.fr, c’est dans le 20e. Antanak c’est antanak.com et c’est dans le 18e, 18 rue Bernard Dimey, juste à côté de la radio.
C’était la chronique d’Antanak, avec Isabelle Carrère et Brice aujourd’hui.

Isabelle Carrère : Merci.

Frédéric Couchet : Nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : Rapidement quelques annonces parce qu’il reste peu de temps.
Les fêtes se rapprochent. Parmi les cadeaux que vous pouvez faire aujourd’hui, vous pouvez faire des petits dons, ou même des gros, à vos projets de logiciels libres préférés, à votre association de défense de la vie privée préférée ou à toute autre association du même genre. C’est important. Si vous souhaitez faire d’autres cadeaux, vous allez sur le site enventelibre.org, vous pouvez y trouver des mugs, des vêtements, des tee-shirts, sweat-shirts, chaussettes, gourdes, dons à des associations. J’ai un superbe sweat-shirt Debian, on parlait tout à l’heure de la distribution libre Debian.
Vous pouvez aussi aller sur le site de KPTN, artiste libre, kptn.org, qui fait de la musique marrante française. Vous pouvez acheter son CD, mais vous pouvez aussi télécharger librement sa musique et lui faire un petit don si vous voulez.
Vous pouvez aussi prendre un abonnement par exemple à un journal ou à un magazine qui traite d’informatique, de technologie, de politique, comme Next INpact, nextinpact.com, avec les excellents articles de Marc Rees. En plus, quand vous êtes abonné, vous n’avez plus de traceurs, vous n’avez plus de pub, etc.
Dernière annonce, ma collègue Isabella Vanni va animer, ce jeudi 16 décembre à 17 heures 30, la réunion du groupe de travail Sensibilisation de l’April.
Toutes les informations sont sur le site de l’Agenda du Libre.

Notre émission se termine. C’était la dernière de l’année.

Je remercie d’abord les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Isabella Vanni, ORL, Sabine Guillaume, Bastien Guerry, Isabelle Carrère, Brice.
L’émission a été réalisée, avec son talent habituel, par mon collègue Étienne Gonnu.
Pour les personnes qui nous écoutent en podcasts, nous apportons un soin particulier à leur traitement avant leur mise en ligne et votre confort d’écoute en est amélioré. Merci donc à l’équipe qui s’occupe toute l’année de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, bénévoles à l’April, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
J’en profite également pour remercier Adrien Bourmault qui a aidé Quentin dans cette tâche et aussi à la réalisation de certaines émissions avant de partir vers de nouvelles aventures.
Merci également à Laure-Élise Déniel qui a mis en voix nos différents jingles. Il y a eu deux modifications sur le jingle : on a dû changer le nom du site web april.org par libreavous.org et Laure-Élise a réenregistré le jingle.
Un grand merci également à l’âme et au cœur de la radio Cause Commune, à savoir Olivier Grieco , le directeur d’antenne de la radio, qui nous permet de participer à cette formidable aventure.
Au cours de l’année 2021, nous avons aussi eu l’occasion de recevoir l’aide de Stéphane Dujardin, de l’équipe de la radio, notamment lorsque nous avions quelques problèmes techniques, ce qui est arrivé, donc un grand merci à Stéphane.
Enfin merci à vous sans qui notre émission n’aurait aucun intérêt. Nous avons des auditrices et auditeurs formidables qui en plus, de temps en temps, nous font des retours qui nous font chaud au cœur. Continuez, encore merci.

Vous retrouverez sur notre site libreavous.org toutes les références utiles et les moyens de nous contacter.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous. Faites connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
Justement il me reste un peu de temps. De nouvelles émissions ont été intégrées à la grille des programmes de la radio, notamment sur la thématique du travail, la vulgarisation scientifique, les pratiques somatiques, la poésie, la grande histoire en petites histoires, un rendez-vous cinéma, une émission sur la musique metal, sur les parcours de vie, sur les initiatives vertueuses. Évidemment les émissions habituelles telles que Cyberculture consacrée à la compréhension et à l’appropriation de la culture numérique, l’émission d’Isabelle Carrère d’Antanak sur l’habitat, une émission pour que le vélo devienne une évidence ou encore une émission sur l’histoire et, bien entendu, les rendez-vous musicaux habituels de la radio. Peut-être d’ailleurs qu’on se donne rendez-vous le mercredi 5 janvier pour une musicale avec mon camarade Mehdi. C’est à suivre sur le site causecommune.fm.

C’était la dernière émission de l’année. Nous reprendrons en direct mardi 11 janvier 2022 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur le thème « Contribuer au Libre ».

Malgré le contexte morose, nous vous souhaitons ainsi qu’à vos proches une belle fin d’année, de bonnes fêtes. Avec un peu d’avance nous vous souhaitons également une belle année 2022, que la nouvelle année soit plus sereine et plus douce à tous points de vue, pour vous-même et pour vos proches.

On se retrouve en direct le mardi 11 janvier 2022 et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh tone par Realaze.