Sobriété numérique pour éviter la gueule de bois ? - La Voix Est Libre

Titre :
Sobriété numérique pour éviter la gueule de bois ?
Intervenants :
Baptiste Wojtkowski - Romain de Laage
Lieu :
Émission La Voix Est Libre, association Picasoft
Date :
octobre 2020
Durée :
33 min
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Présentation de l’émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Internet of Things, Wilgengebroed on Flickr - Licence Creative Commons Attribution 2.0 Generic
NB :
transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Baptiste Wojtkowski : Bonjour à tous.

Vous êtes dans l’émission La Voix Est Libre, l’émission hebdomadaire de l’association Picasoft [1] qui s’est donnée pour objectif de sensibiliser et former les citoyens aux enjeux du numérique, héberger des services web qui soient respectueux de la vie privée et promouvoir une approche libre, éthique, inclusive et locale du numérique. Vous pourrez retrouver cette émission en podcast sur radio.picasoft.net.

Cette semaine on va parler du numérique et de son impact sur la société et sur l’environnement avec le titre « Numérique, la sobriété pour éviter la gueule de bois ? ».

2020 est une année charnière pour le numérique érigé en outil idéal de la lutte contre le coronavirus permettant le télétravail, apéros Zoom, voire Jitsi Meet [2] pour se donner bonne conscience. Le monde a basculé vers le tout numérique du matin au soir, certains avec plaisir, d’autres sous la contrainte. Certains ont aimé, d’autres pas.

Les infrastructures ont soutenu la charge mais pour combien de temps et à quel prix ? Ne devrait-on pas encore augmenter les capacités de transfert, de stockage pour permettre plus de services, plus d’offre et plus de croissance ?

2020 c’est aussi une année électorale qui a vu, enfin, passer au premier plan les enjeux environnementaux pour le numérique. Ils sont nombreux et documentés. De l’extraction à l’exploitation et au recyclage tout dans le numérique peut et doit être questionné.

Début octobre s’ouvrait un colloque gouvernemental [3] « numérique et environnement » pour, je cite « poser les bases d’un numérique durable », preuve s’il en fallait qu’il n’y a pas d’informatique magique et que son impact sur l’environnement est loin d’être négligeable comparé à ses apports.
Romain de Laage : Du coup, on peut se poser la question du numérique et de l’environnement, savoir où est-ce que ça coince.

D’après un rapport d’étude [4] de Green IT en 2019, à l’échelle mondiale, le numérique sous toutes ses formes représente environ 4,2 % de la consommation d’énergie primaire, 22 millions de tonnes de matériaux, 3,8 % des émissions de gaz à effet de serre et ce sont au total 34 milliards d’équipements informatiques – 34 milliards, donc c’est vraiment un chiffre énorme –, hors des accessoires. Ces appareils sont principalement situés dans les pays riches, par exemple en France le numérique concentre 12 % de la consommation de l’énergie, donc c’est vraiment énorme.

Le numérique, comme toutes les technologues en fait, a un coût et suppose une organisation particulière. Il est aussi porteur de choix politiques dont il faut vraiment être conscient. Parmi ces coûts certains sont assumés par les entités qui vont mettre en place ces dispositifs ; d’autres sont des externalités, des coûts qui seront assumés, en fait, par une partie de la société qu’elle en profite ou non. Ces coûts sont assumés dans toutes les étapes de la vie d’un objet informatique, lors de la production, lors de l’utilisation et aussi lors du démantèlement. Parmi ces coûts il y a les coûts environnementaux. Pour les coûts environnementaux du numérique on va compter, par exemple, l’épuisement des ressources non renouvelables, on en a déjà parlé lors d’émissions précédentes, par exemple l’extraction de terres rares, l’extraction de matériaux, l’extraction de pétrole pour produire l’électricité, etc. ; la consommation d’eau qui est due à la fabrication, à l’extraction, etc. ; la contribution au réchauffement climatique ; la consommation d’énergie primaire, qu’elle soit sous une forme qui est renouvelable ou non, d’ailleurs : l’énergie utilisée par le numérique va être produite à partir d’autres sources pour être transformée en électricité. Il y a aussi la consommation d’énergie finale, donc la quantité d’énergie sous la forme exploitée, généralement de l’électricité, mais aussi du pétrole, comme on en parlait pour l’extraction minière.

Parmi les équipements numériques, la plus grosse partie de la consommation va concerner les équipements des utilisateurs finaux, donc ça va être les tablettes, les ordinateurs, les box, les objets connectés, etc., télévisions, consoles. Ça va concerner les particuliers mais aussi les entreprises et les administrations et il y a, on l’a vu, une grosse diversité d’appareils. J’en ai cité quelques-uns, mais il y en a plein d’autres. Donc c’est assez logique, finalement, que ça concentre une grosse partie de la consommation.

Ensuite vient la consommation des datacenters et enfin tout ce qui va constituer le cœur du réseau et, dans le cadre de l’informatique, ça va être principalement le réseau internet donc les câbles, les routeurs, etc.

Il ne faut pas oublier que même si le numérique, Internet, etc., ça ne paraît être que ce qu’on a entre les mains, c’est bien quelque chose de physique, une infrastructure derrière qui a besoin d’être alimentée et maintenue, ça ne marche pas par la magie, d’autant plus que le numérique, on le voit, a de plus en plus d’usages et de plus en plus d’équipements sont aptes à utiliser le numérique. Donc ça ne va pas en s’améliorant.
Selon les appareils, leur consommation, leur taux d’utilisation, c’est soit la fabrication, soit l’utilisation qui va concentrer les coûts environnementaux. Le constat est sans appel : plus de la moitié de la consommation de chacun des indicateurs est liée aux objets individuels. Comment en est-on arrivé là ? Est-ce que les utilisateurs sont tous devenus fous de la technologie ? Est-on prêt à consommer jusqu’à la moelle tous les matériaux rares qui passent ?

Déjà, il y a un impact qui est très peu clair et visible : pour tous les utilisateurs, on a aussi une pression à la performance des usages qui devient, en fait, une norme, une dette numérique et une obsolescence programmée qui est toujours présente.
Concernant les réseaux et les datacenters, même s’ils sont un peu en retrait, on l’a vu, dans la consommation, ils consomment également énormément, près de la moitié de la consommation électrique du numérique. Du coup c’est la faute à qui ?

Principalement, on le voit, à l’usage de la vidéo. En 2019 d’après The Shift Project, avant le confinement, les cours et apéros Skype en ligne, etc., 80 % de la consommation électrique du réseau était due à l’usage de la vidéo. Contrairement à une idée très répandue ce n’était pas seulement du contenu pour adultes, mais aussi de la VOD, du stream, de la vulgarisation scientifique. La vidéo a bouleversé, en fait, les ordres de grandeur de consommation du numérique. Ainsi, si vous hésitez entre télécharger, par exemple, 10 heures de film ou l’intégralité de Wikipédia, sachez que vous consommerez la même quantité de données. Donc c’est vraiment impressionnant.

Pire que ça, en fait ces plateformes sont designées pour inciter les utilisateurs à rester et à consommer toujours plus de données, notamment via des fonctionnalités comme l’AutoPlay

et la mise en avant de vidéos qui vont inciter les utilisateurs à rester sur la plateforme parce qu’elle a intérêt à ce que les utilisateurs restent.

Typiquement, une très mauvaise pratique si vous êtes un créateur de contenu, c’est de mettre des sources écrites dans la description de vos vidéos, puisque les utilisateurs vont quitter le site et les taux de recommandation vont baisser pour vous.

Du coup qu’est-ce qu’on peut faire ? Est-ce que le green IT peut nous sauver ? Baptiste ?

Baptiste Wojtkowski : Comme tu le disais, Romain, ce qu’on peut voir à travers cette présentation c’est que le numérique a un impact environnemental d’une part parce que c’est le numérique et que ça consomme des terres rares et, d’autre part, par le design qu’on en fait, par la manière dont on s’en saisit.

Ce qu’on voit bien à travers l’exemple de YouTube c’est que, d’une part, la vidéo c’est gourmand en énergie, ça transforme l’échelle des consommations, mais, en plus, la manière dont YouTube est designé c’est qu’on consomme encore plus et on a encore plus envie de consommer de la vidéo de manière un peu boulimique et de manière systématique.

Effectivement, la question qu’on peut se poser c’est : que faire ? Face à ce constat, une fois n’est pas coutume, on va faire notre quiz en début, milieu d’émission. On a trois questions pour nos utilisateurs.

  • D’une part, est-ce qu’il faut développer des nouvelles technologies plus performantes et, du coup, relativement moins consommatrices d’énergie ?
  • Une autre option ce serait peut-être d’adopter le modèle Amish et ne plus utiliser la technologie.
  • Ou enfin, viser la sobriété numérique et avoir des usages raisonnés du numérique.

On va énumérer chacune des options maintenant.
Pour la première option, ce qu’on sous-entend ce sont les débats autour de la 5G. Il y a énormément à dire sur le débat, ça lève énormément de sujets. On va uniquement s’y attarder d’un point de vue environnemental et d’un point de vue des discours dessus.

Ce qu’on peut dire d’un point de vue environnemental c’est que, au mieux, ce n’est pas fou pour l’environnement et, au pire, c’est dramatique.

Parmi les effets bénéfiques, on aurait l’augmentation de la productivité du réseau, c’est-à-dire que le transfert d’un octet consomme moins sur la 4G que sur la 3G et moins sur la 5G que sur la 4G. Pourquoi ? Parce qu’on transfère énormément de données et du coup, relativement, le coût de un octet diminue. On voit bien que le problème de cet argument c’est qu’il est très joli et scientifique, c’est-à-dire qu’on peut constater un rapport, mais l’implication « je consomme moins à l’octet, donc je consomme moins au total », ne peut jamais être vérifiée, car, pour faire des économies d’échelle il faut un changement d’échelle. Autrement dit, c’est parce qu’on consomme énormément d’énergie pour transférer des données que ramené à la donnée, ramené une donnée, ce coût est faible. On voit bien que dans la dynamique, la quantité générale de transfert de données augmente.

Pire, c’est l’augmentation des capacités du réseau qui amène à leur usage intensif. C’est ce qu’on appelle, en fait, l’effet rebond, c’est parce qu’il est peu cher de regarder une vidéo en ligne que je le fais. C’est parce que je regarde une vidéo en ligne que les gens produisent des vidéos en ligne, donc je contribue à augmenter la demande. Je fais diminuer le prix via des économies d’échelle, donc on peut toujours plus regarder des vidéos en ligne.
Un deuxième écueil dans la même veine, dans la veine du « on va produire des nouveaux objets pour éviter de consommer plein d’énergie », c’est celui des objets connectés. Ça mériterait une émission à part entière. Leur promesse, entre autres, c’est l’économie de ressources, l’utilisation parcimonieuse de celles-ci, par exemple la gestion du chauffage en fonction de l’occupation des lieux, la gestion de la lumière, tout ça automatisé pour éviter de consommer trois mégawatts en trop ; couper automatiquement les appareils inutilisés ou qui ne vont pas être utilisés, et ainsi éviter toute dépense superflue.

Le problème qu’on voit surtout dans l’objet connecté c’est qu’en fait l’inutile, le superflu, c’est souvent l’objet connecté lui-même, avec des matériaux plastiques, son processeur multi-usage dont on se sert, en fait, uniquement pour une application, sa batterie parce que, souvent, il embarque une batterie. Donc sur les 35 milliards d’équipements informatiques dont vous parlait Romain, 35 milliards, je rappelle, c’est huit fois le nombre d’être humains sur la planète. Chaque être humain a à son service, en moyenne, je dis bien en moyenne, huit équipements informatiques. Donc sur ces 35 milliards, 15 milliards sont des objets connectés. Est-ce que ces 15 milliards d’objets ont effectivement un impact, ont effectivement un intérêt sur la réduction de la consommation du numérique. Moi je pense que non !

La deuxième question c’est : est-ce que les besoins auxquels répond le numérique sont réellement des besoins ? Est-ce qu’on a réellement besoin d’avoir une machine à café qui, spontanément, quand on rentre chez soi, nous fait un café parce qu’on adore boire du café en rentrant chez soi ou commence à préparer du café avant notre réveil. Je prends l’exemple de la machine à café, mais il y a énormément d’objets dans les objets connectés qui nous vantent une rationalisation alors qu’en fait, ils sont eux-mêmes superflus et consomment énormément de ressources.

Ça c’était pour la première option du quiz.
Pour la deuxième option, je crois que la personne qui l’a mentionnée, mentionnait ça comme un épouvantail. Donc on ne va pas épiloguer sur la deuxième réponse du quiz.
Pour la dernière option, viser une sobriété numérique et des usages raisonnés, nous on pense que c’est quelque chose vers lequel il faudrait tendre à supposer que ce soit possible. En tout cas, c’est effectivement un cap à avoir, mais c’est un cap qui est compliqué et qu’on va essayer de développer ensemble.
Romain de Laage : Tout de suite la musique qui est donc cette semaine Mental disorder par Deathstaret et qui est sous licence C Réaction.
Pause musicale : Mental disorder par Deathstar.
Romain de Laage : De retour sur La Voix Est Libre. Nous venons d’écouter Mental disorder de Deathstar.

Nous retournons à notre émission sur le numérique et « la sobriété va-t-elle nous sauver ? »

On a évoqué les problèmes dus au numérique, savoir si le green IT peut nous sauver. On a vu, par exemple, que les objets connectés n’allaient pas nous sauver.

Maintenant on peut s’attarder sur des pistes qui sont peut-être plus sérieuses.

Déjà, en 2020, on semble se rendre compte qu’il y a vraiment un vrai problème. Cette année s’est tenue la Convention citoyenne pour le climat [5] qui a rendu un certain nombre de dispositions sur le numérique parmi lesquelles elle a déjà proposé un petit moratoire sur la 5G, privilégier l’écoconception notamment l’écoconception des datacenters, réduire l’incitation à l’achat sur les écrans, lutter contre le renouvellement régulier des équipements individuels puisqu’on a vu que la production des appareils a un impact très fort ; allonger la garantie des équipements numériques à cinq ans et développer le réemploi et la réparation.

Baptiste, tu veux intervenir.
Baptiste Wojtkowski : Tu as évoqué l’écoconception logicielle. Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que c’est un super logiciel qui va dans la poubelle verte dématérialisée ? Est-ce que c’est le nouveau buzzword de la Silicon Valley pour vendre des nouveaux produits ? Peut-être, mais on va essayer de s’attarder un peu sur ce qu’est l’écoconception.

De manière générale déjà, selon l’ADEME [Agence de la transition écologique], l’écoconception c’est une manière de concevoir des produits qui a recours aussi peu que possible aux ressources non renouvelables en leur préférant l’utilisation de ressources renouvelables exploitées en respectant le taux de renouvellement – le taux de renouvellement c’est la manière avec laquelle la ressource revient naturellement dans la nature – associée à la valorisation des déchets qui favorise le réemploi, la réparation et le recyclage.

Ce que ça veut dire c’est, en fait, dans tout le cycle de vie du produit, ne pas consommer plus que ce qu’on peut récupérer.

Avec tout ce qu’on a dit là c’est quand même hyper-mal parti parce que le numérique, on l’a dit, ce sont des terres rares qu’on doit extraire en utilisant beaucoup d’énergie ; c’est beaucoup de consommation énergétique et ce sont des métaux qu’on retraite, de manière générale, assez peu.
Comment le monde de l’informatique s’empare de ces définitions et est-ce que c’est fait de manière pertinente ?

Dans l’informatique on lui a donné un petit nom, « l’écoconception des services numériques ». Il y a bien deux catégories différentes dans l’écoconception des services numériques. Il y a à la fois faire des logiciels qui utilisent peu d’énergie, qui vont peu recourir à l’entièreté de l’Internet mondial pour s’afficher et, d’autre part, le design d’infrastructures logicielles qui sont réutilisables, démontables, qui utilisent peu de ressources, qui sont performantes par rapport à leur utilisation de métaux, etc.

D’après le rapport du Syntec les produits électroniques devraient être fiables, sûrs, apporter une valeur ajoutée tout au long de leur utilisation et devraient être également éliminés sans affecter l’utilisateur et l’environnement. C’est ça le but de l’écoconception.

Ce rapport [6] du Syntec de 2019 est un rapport semi-imbitable comme les ingénieurs qui s’adressent au politique aiment bien faire, avec plein d’acronymes, et notamment un chapitre « définitions principes » qui fait six pages, plein d’industriels qui viennent se faire mousser parce qu’ils sont plus écolos que leur voisin, mais, une fois qu’on a passé tout ça, on trouve pas mal de choses intéressantes, notamment les cinq axes de travail de l’écoconception qui montrent bien les enjeux qu’il y a dans ce numérique.

Romain, peut-être veux-tu nous en parler ?
Romain de Laage : Effectivement.

Premièrement il y a l’amélioration de la transparence à l’égard des clients. Pour ça, chez Picasoft on a une solution simple, ça s’appelle libérer les services. Vous en avez sûrement déjà entendu parler dans nos émissions.

Un deuxième axe serait la réduction de la consommation d’énergie. Ça va passer par une dégradation qui sera imperceptible des services : diminuer un peu la qualité des images et des vidéos affichées sur son site, mais aussi limiter l’usage inutile de services tiers tels que le téléchargement de polices Google ou les pisteurs qui ne servent pas à grand-chose. La meilleure solution c’est de supprimer tous les pisteurs.

Troisièmement, on aura l’augmentation de la durée de vie des produits. Il y a plein de solutions : ça passe par des garanties plus longues mais aussi par la mutualisation de certains biens informatiques. Normalement, la semaine prochaine on vous parlera des commons, c’est un petit teaser pour l’émission de la semaine prochaine. L’idée ce n’est pas d’acheter des biens informatiques, mais bien de louer le matériel aux fabricants pour qu’ils aient un intérêt direct, en fait, à ce que leurs produits durent le plus longtemps.

Un autre point c’est la dette numérique associée à des logiciels qui sont toujours plus gourmands.

Quatrièmement, on a la suppression des substances dangereuses. C’est un enjeu purement industriel pour le coup. On ne va peut-être pas développer.

Le cinquième axe, du coup, c’est la réduction des impacts de la fin de vie du produit. C’est l’idée qu’un produit informatique, même si on allonge la durée de vie disons à cinq, dix ans, à un moment il ne va plus fonctionner et il va falloir s’en séparer. Il faut que le matériel soit démontable et que le désassemblage soit traité correctement. Du coup il faut aussi pouvoir concevoir les produits dans le but d’être démontés, recyclés, etc.

À l’échelle des utilisateurs, cela passe par privilégier l’utilisation de produits reconditionnés plutôt que neufs, l’utilisation de matériel démontable dont on peut remplacer facilement les composants. Pour l’instant, pour les ordinateurs de bureau ça se fait bien. Par contre, pour les PC portables et pour les smartphones, eh bien il faut choisir avec soin son matériel au moment de l’achat. Il existe déjà plusieurs solutions.
Baptiste Wojtkowski : Si on veut en parler dans la fin d’émission peut-être c’est voir comment le logiciel libre s’empare, en fait, de tous ces questionnements. Ce qu’on va développer c’est pourquoi, en réponse à ça, même si la réponse est imparfaite, le logiciel libre semble quand même s’imposer parmi tout ça.

Déjà, un point sur lequel j’aimerais bien revenir par rapport ça, c’est toute la question de la dette numérique. Aujourd’hui il y a tout un tas d’appareils qui sont trop vieux et qu’on ne peut plus utiliser, non pas parce qu’ils ne marchent, mais parce que l’ensemble des systèmes d’exploitation qu’on va vouloir utiliser sont obsolètes et surtout les fabricants ne les mettent plus à disposition. On peut notamment penser à Bill Gates qui, en 1980, disait que personne n’aura jamais besoin de plus de 640 kilooctets de mémoire. Aujourd’hui, si un ordinateur a 640 kilooctets de mémoire, on ne fait rien tourner dessus, rien du tout ! Pourquoi on ne fait rien tourner dessus ? Parce que tous les systèmes d’exploitation qu’on pouvait faire tourner dessus à l’époque ne sont disponibles nulle part. Personne ne les a rendus libres et personne ne propose d’installer quoi que ce soit dessus.

L’intérêt d’un logiciel libre c’est que vous pourrez aller rechercher des vieilles versions et les faire tourner sur des appareils qui sont techniquement obsolètes, mais qui pourraient quand même remplir le besoin qu’on a envie de remplir avec. Par exemple, on n’a pas besoin d’avoir un bête de course de 2020 pour faire du traitement de texte ; dans les années 2000, on savait déjà faire du traitement de texte et même avant. Et pourtant, vous prenez un PC qui a 20 ans, vous êtes incapable d’avoir un système d’exploitation qui soit efficace, en tout cas dans le domaine du logiciel propriétaire.
Romain de Laage : La philosophie derrière le logiciel libre, au-delà du logiciel, elle peut aussi aider au niveau du matériel puisque, on l’a dit, on a aujourd’hui du matériel comme des smartphones qu’on ne peut pas réparer. Eux c’est vraiment au niveau de la conception, ce n’est pas facile de réparer, souvent on ne peut pas faire grand-chose. Mais, pour d’autres matériels numériques, on peut notamment penser à certains objets connectés, pour la réparation de ces matériels-là en fait, le fait d’avoir du matériel libre, de savoir comment il fonctionne permet de comprendre les pannes, comprendre comment réparer, etc.
Baptiste Wojtkowski : Oui. L’aspect réparabilité est aussi un aspect important. Dans le domaine pas libre mais qui essaie de tendre vers une démontabilité, une compatibilité entre les composants, des specs suffisamment définies pour qu’on puisse démonter des ordinateurs, des téléphones, etc., c’est quelque chose qui se met en place. Le problème c’est que souvent, actuellement, ce sont quand même des solutions assez chères. On pense notamment au Fairphone [7]

qui est un téléphone qui doit coûter facilement 400, 500 euros, mais qui est déjà développé dans cette philosophie de « si vous avez cassé votre micro, si vous avez cassé votre puce, votre calculateur, etc., vous pouvez la retirer, c’est dans un petit compartiment pour elle-même, et en mettre une autre à la place ». Même si, en eux-mêmes, les composants chez eux ne sont pas libres, ça permet à n’importe qui — ce qui n’est fait pas actuellement — à des utilisateurs qui développent eux-mêmes des pièces de rechange qui respectent les fonctionnalités qu’on leur demande d’avoir.

Toujours pareil, ce qu’on voit c’est le fait de partager les protocoles d’échange entre les différentes pièces, le fait de rendre libre et accessible à tous, ça permet aux gens de s’emparer des choses et d’augmenter la durée de vie des appareils.
Un autre point qui me paraissait vachement important que tu as aussi dit, c’est pareil, là on retrouve directement la philosophie du Libre, c’est Google qui, actuellement, propose souvent des cours gratuits de développement qui vous permettent de développer très rapidement des sites web pour tous vos usages. C’est génial, sur le principe ça a l’air trop bien, ce sont des formations gratuites et tout. Leur objectif c’est que vous utilisiez tous leurs services et en fait, en ayant suivi les cours de Google, ce que vous faites c’est créer un site qui va faire plein d’appels à Google. Donc quand quelqu’un va faire une requête sur votre site, il va demander deux, trois éléments à votre site, globalement le texte et c’est à peu près tout, et après il va aller faire des requêtes à des serveurs partout dans le monde pour aller récupérer les polices d’affichage, donc la forme du texte, pour aller récupérer des librairies CSS, pour aller récupérer des trackers. Chose très importante qu’on vous apprend dans une formation Google c’est mettre des trackers pour bien savoir comment les gens sont venus sur votre site, comment est-ce qu’ils sont arrivés là, est-ce qu’ils sont restés longtemps, où est-ce qu’ils ont cliqué, où est-ce qu’ils ont mis leur souris, qu’est-ce qu’ils ont regardé. Tout ça, ce sont plein d’informations que Google vous incite à récupérer. À chaque fois qu’il va y avoir sur un site Google, c’est la mobilisation du réseau, c’est du calcul sur votre machine, donc ça contribue à abîmer les matériels, ça contribue à leur utilisation et ce n’est pas forcément nécessaire en fait.

L’intérêt de Google c’est surtout de récupérer les données et de faire énormément de big data. En fait, à votre échelle, vous récupérez aussi des données que vous auriez pu avoir autrement et vous passez toujours par des services Google, vous passez souvent aussi par des services Facebook, par des services offerts par tous les GAFAM et, ce qu’il faut bien voir, c’est qu’ils ne sont pas à l’endroit de votre site, mais ils sont partout sur le monde, votre requête va passer le câble sous l’Atlantique, elle va passer à plein d’endroits, aller des requêtes vraiment partout et ça, ce n’est pas la sobriété numérique ; je ne sais pas ce que c’est, mais en tout cas ce n’est pas de la sobriété numérique.
Romain de Laage : Finalement, quand on parlait de dégradation imperceptible des services c’est ce genre de dégradation, c‘est ce genre de chose qu’on voulait éviter, c’est qu’on fasse des appels qui sont inutiles pour l’utilisateur final, qui sont utiles seulement pour les GAFAM, finalement pour leur modèle économique.
Baptiste Wojtkowski : On peut citer quand même une bonne initiative qui a été prise pendant le confinement, c’est l’initiative de YouTube de diminuer la qualité de base de vos vidéos pour réduire le flux. Voilà quand même un point positif de l’histoire.

Le point négatif étant, logiciel libre merveilleux s’il en est, il existe un add-on Wikipédia qui vous permet, quoi qu’il arrive, de mettre la qualité maximale d’une vidéo YouTube pour contrebalancer cette décision prise. On voit que le fait de faire un logiciel libre ce n’est pas toujours associé non plus à…
Romain de Laage : Finalement, l’utilisateur a toujours le choix de ne pas installer cet add-on puisque finalement il est libre, ce n’est pas intégré dans Wikipédia, etc. Il peut faire comme il veut.
Baptiste Wojtkowski : Bien sûr. C’est ça qu’on défend dans le logiciel libre, c’est toujours se poser la question : est-ce que j’en ai besoin ? Qui le fait ? Pourquoi ? Quel est le modèle économique ? Et là, déjà la question est-ce que j’en ai besoin ?, je pense que la question est vite répondue, comme dirait l’autre. Pas besoin d’avoir une vidéo en 8K.

Je ne sais pas si tu as encore des choses à dire sur le sujet, Romain.
Romain de Laage : Non, je n’ai plus grand-chose à dire. En tout cas c’était super intéressant. Merci pour avoir préparé cette émission. Merci à toi Baptiste.

Vous pouvez retrouver cette émission sur radio.picasoft.net, notamment avec les liens vers les sources et aussi le plan général de l’émission.

Avant la fin, j’ai vu sur le PeerTube de Monsieur Bidouille, dont le lien sera en description du podcast, qu’il a sorti une vidéo sur un thème connexe qui est donc la sobriété sur Internet. Là c’est vraiment axé Internet pour le coup, donc la sobriété et l’impact environnemental d’Internet.

Merci Baptiste et à la prochaine.