Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l’émission du 2 juin 2020

Titre :
Émission Libre à vous ! diffusée mardi 2 juin 2020 sur radio Cause Commune
Intervenants :
Nicolas Dandrimont - Christian Quest - Laurent Costy - Étienne Gonnu - William Agasvari à la régie
Lieu :
Radio Cause Commune
Date :
2 juin 2020
Durée :
1 h 30 min
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Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’accord de Olivier Grieco.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

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Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.

L’envers du décor du travail parlementaire, c’est le sujet principal de l’émission du jour avec également au programme des nouvelles de Nicolas Dandridont avec qui nous échangerons sur Debian et sur Software Heritage, des nouvelles de Laurent Costy sur les associations dans la période de confinement.

Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Cause Commune sur la bande FM c’est de midi à 17 heures puis de 21 heures à 4 heures en semaine, du vendredi 21 heures au samedi 16 heures et le dimanche de 14 heures à 22 heures ; sur Internet c’est 24 heures sur 24. La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile et elle diffuse désormais en DAB+ 24 heures sur 24 ; le DAB+ c’est la radio numérique terrestre avec notamment un meilleur son et c’est le terme officiel choisi par le CSA. Le DAB+ est gratuit, sans abonnement, pour le capter il faut juste avoir un récepteur compatible avec la réception DAB+.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Étienne Gonnu chargé des affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’April est april.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission, et également les moyens de contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours en indiquant ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.

Nous sommes mardi 2 juin 2020, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.
Voici maintenant le programme détaillé de cette émission.

  • Nous commencerons donc par prendre des nouvelles de Nicolas Dandrimont de la communauté Debian et qui travaille sur le fabuleux projet Software Heritage.
  • D’ici 15/20 minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera sur le travail parlementaire. Nous devions recevoir la députée Paula Forteza mais, étant finalement indisponible, nous aurons le plaisir de recevoir un de ses collaborateurs parlementaires, libriste convaincu, Christian Quest.
  • En fin d’émission nous prendrons des nouvelles de Laurent Costy, vice-président de l’April, animateur du groupe Libre Association et nous ferons un point avec lui sur comment les associations ont pu, ont dû même s’adapter pendant la période de confinement.

À la réalisation de l’émission, William Agasvari.
Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]

Entretien avec Nicolas Dandrimont, ancien président de Debian France et membre de l’équipe travaillant sur le projet Software Héritage

Étienne Gonnu : Normalement j’ai le plaisir d’être avec Nicolas Dandrimont. Est-ce que tu es avec nous ?
Nicolas Dandrimont : Oui bonjour.
Étienne Gonnu : Comment ça va déjà ?
Nicolas Dandrimont : Tout va bien avec ce beau temps et les oiseaux qui chantent dehors c’est assez chouette.
Étienne Gonnu : Oui, ça fait du bien au moral, c’est sûr.

On avait eu le plaisir de te recevoir dans une émission sur les distributions GNU/Linux, le 30 avril 2019, on mettra le lien sur la page de l’April, pour nous parler de Debian puisque tu es très engagé dans la communauté de cette distribution libre, tu as même été président de Debian France, si je ne me trompe pas. Pour nos auditeurs et auditrices qui n’auraient pas le plaisir de te connaître, est-ce que tu pourrais te présenter rapidement s’il te plaît ?
Nicolas Dandrimont : Oui. Nicolas Dandrimont, je suis développeur de logiciels libres, depuis longtemps maintenant, ça va faire 12 ans à peu près. Je suis pas mal actif effectivement dans Debian et je travaille en tant qu’ingénieur dans le projet Software Heritage qui est un projet d’archivage de tout le patrimoine logiciel de l’humanité.
Étienne Gonnu : Une belle ambition en tout cas.

Du coup j’imagine que le confinement a dû potentiellement t’impacter, comme tout le monde d’ailleurs. Professionnellement dans le cadre de ton travail sur Software Heritage et dans le cadre de ton engagement associatif dans la communauté Debian, en commençant par l’un ou par l’autre comme tu le sens, est-ce que tu peux nous expliquer comment a pu se passer cette période pour toi et pour le projet ?
Nicolas Dandrimont : Je crois que le changement principal c’est bien sûr la distanciation physique et le fait que ce soit très compliqué de se rencontrer physiquement. C’est moins vrai sur Debian qui est quand même un projet sur lequel les gens travaillent en ligne, donc on a l’habitude de travailler de manière désynchronisée et à distance. Plus encore, effectivement, pour mon travail au jour le jour sur Software Heritage : c’était assez bizarre de se retrouver du jour au lendemain isolé chez soi sans pouvoir discuter avec son équipe à la pause café. On va dire que ça nous a mis tête la première dans une modalité complètement remote. Je pense que c’est quelque chose qui va continuer au moins pendant quelques mois, puisqu’il y a assez peu de chance qu’on retrouve nos bureaux avant la fin de l’été si ce n’est plus tard.
Étienne Gonnu : Du coup je te propose qu’on commence par Software Heritage puisque tu abordes la question. Vous avez été amenés à télétravailler, j’imagine que du fait de vos profils de travail ce n’était pas trop compliqué techniquement, mais tu pourras me corriger. C’est quelque chose que vous avez déjà l’habitude de faire ou est-ce que ça a été provoqué justement par la situation ?
Nicolas Dandrimont : C’est quelque chose qu’on est habitués à faire à la marge, c’est-à-dire qu’actuellement en tout cas, tous les membres de l’équipe travaillent sur le même site, du coup on se retrouve au bureau tous les jours en temps normal. Mais là, effectivement, on s’est retrouvés à passer en distant par défaut et je pense qu’il y a du bon et du moins bon. C’est assez clair que c’est important pour un projet comme le nôtre qui a une portée mondiale et qui fait un gros travail de collaboration de faire en sorte que nos échanges puissent être suivis même à l’extérieur. Tout notre travail est ouvert à l’extérieur, d’ailleurs c’est quelque chose qu’on veut encore plus favoriser à l’avenir. Par exemple, là on a commencé à travailler sur l’archivage d’une forge de logiciels qui s’appelle Bitbucket, qui a annoncé il y a quelques mois qu’ils allaient fermer au mois de mars – ils ont repoussé cette fermeture avec la pandémie. On a travaillé avec la NLnet Foundation qui est une fondation internationale pour le financement et avec Octobus qui est une entreprise française pour la réalisation du travail d’archivage de Bitbucket, en collaborant, du coup, avec une équipe extérieure, ce qui est une nouveauté pour nous.
Étienne Gonnu : OK. C’est important.

Tu as déjà évoqué Software Heritage. Je pense que tout le monde n’a pas forcément en tête ce qu’est Software Heritage et que ça pourrait justement éclairer ces informations que tu nous donnes. On avait reçu en février 2019 Roberto Di Cosmo qui est à l’initiative du projet, on mettra le lien vers l’émission. Il faut quand même souligner à quel point ce projet est démentiel et fondamental dans son principe. Est-ce que tu pourrais nous le vendre un petit peu ? Nous rappeler un peu ce que c’est dans les grandes lignes ? Plus concrètement, on sait que le projet est porté au sein de l’Inria, c’est vraiment un projet de recherche, je ne sais pas combien vous êtes maintenant à bosser dessus. Est-ce que tu pourrais nous donner ces quelques éléments pour remettre dans le contexte ?
Nicolas Dandrimont : Bien sûr. J’aurais certainement dû le mentionner au début. Software Heritage c’est la bibliothèque d’Alexandrie du logiciel. L’objectif du projet c’est de construire une archive pérenne et intégrale de tout le code source des logiciels développés par l’humanité, que ce soit des logiciels qui sont développés aujourd’hui sous la forme de logiciels libres ou des logiciels plus anciens que l’on souhaite archiver pour la postérité.

En fait, notre projet c’est effectivement une plateforme qui est impulsée par Inria, le grand laboratoire de recherche publique en informatique en France. Ce projet est à vocation internationale, il a vocation aussi à sortir de juste un projet de recherche et à être un projet qui est utilisé évidemment par la communauté de la recherche, mais aussi par l’industrie pour ses besoins et même en tant qu’objet d’héritage culturel de notre société.
Étienne Gonnu : Clairement en tant que libriste, défendant l’éthique du logiciel libre, on voit immédiatement à quel point garder ces archivages pour finalement maintenir la connaissance accessible est extrêmement important. Peut-être qu’on peut même dire que pendant cette période de pandémie où les outils de communication ont joué un rôle fondamental, on voit peut-être là, encore une fois, l’importance d’avoir des outils de qualité dans la durée, sur lesquels on pourra reconstruire. Peut-être que je suis un peu utopiste dans la manière dont je le décris, mais il me semble que c’est à nouveau révélateur de l’importance d’avoir ce genre de bibliothèque.
Nicolas Dandrimont : Je pense que tu as tout à fait raison. Je pense que ce n’est pas utopique et, effectivement, cette situation de pandémie nous l’envoie en pleine face en fait : on a besoin de partager les connaissances de manière massive pour la collaboration de la société toute entière. Pour faire ça, on a besoin de se préparer pour le futur et de construire des infrastructures qui soient transverses, pérennes, collaboratives, sur lesquelles des gens peuvent collaborer de manière ouverte.

Par exemple nous, à Software Heritage, on a pu avoir des retours de certaines personnes qui nous disent on a retrouvé des logiciels qui étaient des objets de recherche il y a cinq ans, dont l’hébergement a disparu et qui, aujourd’hui, reprennent un intérêt nouveau. Je crois que ça c’est le cœur de notre mission et de notre volonté.
Étienne Gonnu : Il y a quand même eu un impact de cette pandémie, des enjeux qui en ressortent pour Software Heritage du coup.

Pour revenir à ton cas personnel, pour revenir un peu à cette idée du télétravail parce que ça a été un peu une arlésienne nos chroniques de prises de nouvelles, comment s’est passé pour toi le télétravail ? Est-ce que c’est vraiment un truc que tu avais, même à la marge, l’habitude de faire, que tu apprécies ou, au contraire, que tu n’aimes pas ? Comment tu as pu te mettre par rapport à ton travail sur ce projet ?
Nicolas Dandrimont : Le télétravail c’était vraiment quelque chose que je n’ai jamais fait entre guillemets « sérieusement ». C’est-à-dire que chez moi je n’ai pas d’installation correcte pour faire du télétravail en temps normal. Là j’ai eu la chance de pouvoir me déplacer chez ma compagne dans un espace plus grand, dans lequel on a pu s’organiser pour avoir chacun des espaces pour travailler sans s’embêter les uns les autres. J’ai récupéré du matériel de mon bureau, en fait j’ai reconfiguré mon bureau chez moi. Mais, comment dire, si on passe à un mode plus pérenne de travail à distance, de télétravail, il est clair que toutes les bonnes pratiques d’ergonomie, de séparation du privé et du travail ne sont pas vraiment mises en place aujourd’hui, donc on est toujours, entre guillemets, sur du « télétravail d’urgence » et pas sur du pérenne.
Étienne Gonnu : OK. Effectivement, donc pour la qualité du travail j’imagine que ça peut avoir un impact.

Est-ce que tu voulais rajouter quelque chose sur Software Heritage, n’hésite pas à en faire de la pub, sinon on peut passer à l’autre sujet qui t’intéresse.
Nicolas Dandrimont : J’ai juste une petite mention. Je parlais de notre collaboration avec l’équipe d’Octobus pour l’archivage de Bitbucket. On a d’autres bourses qui sont ouvertes grâce à la fondation Sloan. Donc si des gens sont intéressés à collaborer avec nous pour améliorer la couverture de notre archive sur les codes sources de logiciels, il y a sur notre site web, sur notre blog softwareheritage.org tout attaché, un appel à projet qui est ouvert pour les gens qui seraient des développeurs et qui seraient intéressés à venir nous aider.
Étienne Gonnu : Ça marche. On ne manquera pas de relayer et je te redemanderai les liens qu’on pourra mettre sur la page consacrée à l’émission pour que les personnes les retrouvent facilement, tu as cité Bitbucket, Sloan Foundation, Octobus, on pourra mettre les liens là-dessus. En tout cas le message est passé.

Du coup je te propose de parler de Debian qui a en plus une actualité ce week-end, les MiniDebConférences on line. C’était une nouveauté il me semble, ou j’ai peut-être mal lu, et j’imagine que c’est en répercussion à la situation de pandémie et de distanciation.
Nicolas Dandrimont : Oui, c’était une première, effectivement. Le projet Debian est un projet qui vit sur Internet. C’est un projet qui est complètement distribué. Les gens sont aux quatre coins du monde et contribuent au projet. On a régulièrement des événements en présentiel, des Debconfs, des conférences Debian, et on a des MiniDebConfs qui sont des minis conférences Debian qui ont lieu à peu près sur un week-end, qui sont des événements de plus petite nature où développeurs, utilisatrices et tous les gens intéressés par Debian peuvent effectivement venir et voir ce qui se passe dans la distribution.

Ça fait quelques mois, un peu plus d’un an qu’on discute d’améliorer la participation à distance à ces événements parce que, d’un point de vue écologique par exemple, faire voler la moitié de la planète vers un site commun ça a un impact très important. Peu importe le pays que tu choisis pour héberger un événement, tu empêches des gens de s’y déplacer pour des raisons politiques, pour des raisons sociales, etc., donc ça fait un bon moment qu’on se dit que ce serait intéressant de faire des événements un peu plus distribués, un peu moins physiques.

Là, effectivement, on a pris un peu – je dis « on », mais c’est le travail d’une équipe, j’ai juste participé à la marge – la balle au rebond cette situation de pandémie mondiale pour organiser notre première MiniDebConf on line. Donc pendant le week-end passé, des développeurs, des développeuses se sont rassemblés et ont fait des présentations de leur travail dans Debian et autour de Debian avec des interactions en ligne, à distance. C’était une première, je pense que ça a été un succès. Évidemment, aujourd’hui ce sont des conférences qui étaient plutôt axées développeurs, c’est vrai que les MiniDebConfs ont plus de discussions techniques en profondeur que la DebConf, la grosse conférence DebConf. C’est aussi en anglais, donc ce n’est pas forcément très accessible à tout le monde, mais ce sont des formes d’interaction et de conférences qu’on est en train de développer.
Étienne Gonnu : Super. Tu devances une question d’un auditeur qui nous pose exactement ces questions-là : est-ce qu’il n’y aura pas une volonté d’inclure des conférences plus grand public vu le niveau de connaissance technique exigé et la barrière potentielle de la langue. Écoute, tu devances, du coup, la question.

Quel bilan en tires-tu ? J’imagine que ça a été riche pour toi, d’une part parce qu’il y avait peut-être un peu d’enjeu technique à mettre ça en place et après dans la qualité est-ce que tu as senti un impact ? Est-ce que c’était finalement la même qualité que celle que tu as pu trouver dans des MiniDebConfs précédentes ? Qu’en tires-tu finalement ?
Nicolas Dandrimont : D’un point de vue technique, c’était assez intéressant parce que l’équipe vidéo s’est concentrée sur l’utilisation d’outils libres à 100 % avec du déploiement, à ma connaissance, sur Debian. Du coup c’était un bon test, peut-être pas un test de stress, mais au moins un test d’intégration de tous les outils ; il y avait de l’IRC pour la discussion en direct, il y avait du Jitsi pour la prise de parole des conférencières et conférenciers. Effectivement, on avait un petit peu d’infrastructure à mettre en place ; ça s’est plutôt bien intégré à notre système habituel de diffusion en direct, c’était assez confortable. On va se retrouver à devoir faire la grande DebConf, celle qui dure une semaine complète, à distance aussi, à priori, il me semble que la décision finale a été prise cette semaine. Du coup, là on va effectivement avoir un vrai test des modalités d’interaction, parce que toutes ces rencontres entre développeurs ont un gros impact sur la qualité de la collaboration entre ces gens qui sont tous distribués à droite à gauche sur la planète. Ce sont des événements où tu peux avoir des conversations avec une bande passante très élevée de manière synchrone, donc ça permet de résoudre tout un tas de problèmes que tu peux avoir si tu es à distance. Pour ça, effectivement, on a réussi à avoir ce qu’on appelle en anglais une hallway track, c’est un peu, comment dire, la série de conférences du couloir, en gros c’est un salon de discussions libres où tu peux discuter de choses et d’autres. Ça ne remplace pas des interactions de vive voix, mais c’était quand même assez chouette de voir une partie des copains et des copines en direct.
Étienne Gonnu : J’imagine ! Tu parles de discussions informelles à distance. Il y a eu potentiellement un enjeu, j’imagine, de modération pour que ça reste audible, pour que les personnes qui souhaitent s’exprimer puissent le faire, ce qui est déjà un enjeu en présentiel physique parce qu’on sait qu’il y a des personnes pour lesquelles la prise de parole est peut-être moins évidente, d’autres qui ont tendance à prendre plus de place. Est-ce que c’est quelque chose que vous aviez anticipé ? Est-ce que vous avez laissé faire les choses naturellement ? Comment ça s’est passé de ce point de vue ?
Nicolas Dandrimont : En tout cas, pour ce qui est des conférences qui étaient planifiées, on avait une seule discussion de groupe. Pour cette discussion-là, en fait, on avait séparé les intervenantes et intervenants dans un chat Jitsi séparé, avec un mot de passe. Du coup ils se modéraient entre eux et on n’a pas fait spécifiquement de système pour améliorer l’équité dans la prise de parole, c’est quelque chose qu’on ne fait pas non plus en vrai. Je pense que c’est aussi un problème en vrai, mais on n’a pas encore travaillé sur des solutions pour ça, malheureusement.
Étienne Gonnu : OK. Après, par itération, j’imagine qu’on améliore, c’est aussi l’intérêt d’améliorer à chaque fois, au moins d’être vigilant sur les potentiels problèmes.

On nous pose une question sur le salon #libreavous de Cause Commune : les conférences ont-elles été captées, j’imagine que oui, et seront-elles visionnables bientôt ?
Nicolas Dandrimont : Les conférences ont effectivement été enregistrées en direct. Je pense qu’il y a déjà une partie des conférences qui est disponible sur notre archive vidéo, j’ai vu des discussions de gens de l’équipe vidéo sur la publication. Si ce n’est pas le cas, ce sera le cas, je pense, d’ici la fin de la semaine et ce sera aussi publié sur notre instance de PeerTube et sur YouTube parce qu’il y a des gens qui utilisent toujours ça.
Étienne Gonnu : Précisons PeerTube, je n’aime pas forcément le terme « alternative », mais un système de partage de vidéos basé sur du logiciel libre qui avait été mis en place par Framasoft. C’est toujours bien aussi de s’appuyer sur ces outils, même si on sait qu’ils n’ont pas la même portée. Il faut les faire vivre, justement, c’est un super projet.

Je vois que le temps avance. Est-ce que qu’il y a une dernière chose que tu aurais aimé dire sur Debian, MiniDebConf, sur un autre sujet qui te tient à cœur et qui n’a pas été évoqué ?
Nicolas Dandrimont : Sur Debian, pendant cette MiniDebConf, il y a eu une tendance qui se confirme qui est que le projet a de plus en plus conscience de sa difficulté à recruter de nouvelles bonnes volontés et commence à travailler sérieusement pour améliorer l’intégration de nouvelles contributrices, de nouveaux contributeurs. Si vous avez envie de contribuer, quel que soit votre niveau de compétence, il ne faut surtout pas hésiter à vous rapprocher des associations locales, il y a une association Debian France qui est active en France. On a prévu une MiniDebConf au mois d’octobre, si je ne dis pas de bêtises, j’espère que la situation sanitaire permettra qu’elle ait lieu dans les meilleures conditions. Je vous invite à vous rapprocher de Debian France si ça vous intéresse de contribuer.
Étienne Gonnu : Le message est à nouveau passé. Il me semble, en plus, que vous avez quand même historiquement à Debian une vraie vigilance pour créer des espaces accueillants, sécurisants, pour toutes les personnes, en fait, quelle que soit leur situation, pour les femmes notamment, pour les personnes transgenres, pour les personnes racisées. Il me semble qu’il y quand même une vigilance de ce point de vue, peut-être que je me trompe.
Nicolas Dandrimont : Non, tu as raison, c’est un travail de longue haleine. En tout cas j’ai l’impression qu’il y a des améliorations visibles de mois en mois sur ce sujet.
Étienne Gonnu : Dernière question de métrique et après on te laissera : cpm demande combien de confs et combien d’intervenants il y a eu ce week-end ?
Nicolas Dandrimont : Ce week-end il y a eu une dizaine de conférences et, je pense, une quinzaine d’intervenantes et d’intervenants en tout. Mon comptage des personnes qui ont visionné le stream c’est autour de 230/250, c’est en nombre d’adresses IP, c’est une surestimation du nombre de personnes qui ont vu les conférences en direct.
Étienne Gonnu : En direct, ça me paraît tout à fait honorable pour une première.
Nicolas Dandrimont : C’est assez impressionnant vu la communication limitée qui a été faite autour de la conférence, c’est une très bonne surprise.
Étienne Gonnu : Parfait. Vous le méritez, je trouve.

Un grand merci, Nicolas Dandrimont de Debian et de Software Heritage. Grand merci d’avoir pris ce temps avec nous et je te souhaite une excellente fin de journée.
Nicolas Dandrimont : Merci beaucoup de m’avoir reçu et bonne émission.
Étienne Gonnu : Merci.

Nous allons faire une pause musicale avant de passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous allons écouter Intro par Quantum Jazz. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, 93.1 FM, la voix des possibles.
Pause musicale : Intro par Quantum Jazz.
Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Intro par Quantum Jazz. Intro bien sûr étant l’introduction de leur excellent album, disponible sous licence libre Creative Commons, Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.

Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publiques pour l’April.

Nous allons maintenant passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]

Échange avec Christian Quest, collaborateur de la députée Paula Forteza, coprésidente du groupe Écologie Démocratie Solidarité, sur le travail parlementaire à l’Assemblée nationale

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui porte donc sur le travail parlementaire.

Comme je vous le disais nous devions recevoir la députée Paula Forteza, connue notamment pour avoir été rapporteure sur la loi de transposition du Règlement général sur la protection des données. Étant finalement indisponible, nous avons le plaisir de recevoir un de ses collaborateurs parlementaires, Christian Quest. Christian est connu dans les milieux libristes notamment pour sa forte implications dans le projet OpenStreetMap, nous l’avions d’ailleurs reçu pour en parler lors de notre émission du 24 septembre 2019, mais ce n’est pas le sujet du jour. Aujourd’hui, ce qui va nous intéresser c’est essayer de comprendre, comme je vous le disais, l’envers du décor du travail parlementaire, comment fonctionnent les équipes des députés, l’importance centrale du travail en commission – on a surtout l’image de l’hémicycle mais c’est vraiment en commission que se trouve le cœur du travail – le travail de préparation des amendements, les relations avec les représentants d’intérêt, l’April en est un, les groupes politiques, chose importante. Le sujet est vaste, on va essayer de couvrir un maximum de terrain dans le peu de temps, finalement, que nous avons. N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».

J’ai donc le plaisir d’être avec Christian Quest. Bonjour Christian.
Christian Quest : Bonjour.
Étienne Gonnu : Tu m’entends ?

Tu es donc collaborateur parlementaire de la députée Paula Forteza. Déjà depuis combien de temps ça pourrait être intéressant, mais je pense que c’est aussi une bonne manière de commencer le sujet du travail parlementaire par la question : c’est quoi un collaborateur parlementaire ? Quel est son rôle ?
Christian Quest : Il peut avoir plein de rôles. C’est, en fait, d’assister le parlementaire dans sa mission de représentant du peuple à l’Assemblée. Il y a beaucoup de choses à faire. Il y a évidemment du travail de secrétariat, ce qui est assez évident : gérer l’agenda, répondre aux sollicitations, répondre aux e-mails. Et puis il y a tout le travail législatif d’étude des textes qui arrivent, voire de proposition de nouveaux textes, donc tout ce qui est amendements et tout ça.
Étienne Gonnu : Vous êtes combien dans votre équipe de collaborateurs ?
Christian Quest : Actuellement on est cinq, on a aussi des stagiaires. C’est à peu près la moyenne, je pense, peut-être un petit peu au-dessus de la moyenne.
Étienne Gonnu : Il me semble qu’on dit souvent que l’équipe, qu’un bureau de parlementaire c’est presque une TPE, PME. Il me semble qu’ils sont autonomes dans leurs choix, ils se servent de ce qu’on appelle leur réserve parlementaire, tu me corrigeras si je me trompe, donc il y a une certaine autonomie de ce point de vue-là. Ils recrutent qui ils veulent, en somme, et vous avez un contrat de travail classique j’imagine.
Christian Quest : Au niveau du financement il y a ce qu’on appelle l’AFM, l’avance de frais de mandat, qui permet de subvenir à certaines dépenses. Il y a une enveloppe prévue pour la rémunération des collaborateurs qui est d’environ 10 000 euros tout compris. Ensuite, oui, on est sous contrat, on a un contrat assez particulier, c’est un CDI, donc à durée indéterminée mais déterminée par le mandat. C’est-à-dire que si le parlementaire perd son mandat, s’il démissionne ou si, par exemple, il devient ministre, eh bien on perd son job.
Étienne Gonnu : Oui, ça fait penser quelque part à l’entreprise que ça représenterait qui, finalement, disparaît, le contrat de travail part avec. Il y a une certaine cohérence.

Ça ne va pas être le cœur de notre échange, mais puisqu’on est une association qui promeut le logiciel libre, ce qui est intéressant aussi c’est peut-être la question des outils techniques qui ont, j’imagine, une place importante dans votre travail quotidien. Là, à nouveau, les parlementaires doivent être assez autonomes, j’imagine, dans leurs choix. Vous êtes complètement autonomes ? On imagine que l’Assemblée a des services techniques. Est-ce qu’ils vous proposent des outils ? Est-ce que vous êtes justement autonomes ? Est-ce qu’il y a des rapports avec eux ? Comment tout ça se met en place ?
Christian Quest : L’Assemblée offre tout un ensemble de services aux parlementaires. On a à disposition du matériel, on a aussi à disposition une infrastructure donc de la connexion réseau, des services de messagerie, des services de type partage de fichiers, ce genre de choses. Il y a aussi tous les services internes de l’Assemblée, la gestion même de l’Assemblée, c’est-à-dire l’agenda, toute la gestion législative des textes, on va dire l’intranet de l’Assemblée. On a une autonomie, évidemment, on n’est pas du tout obligé de passer par les services que propose l’Assemblée par exemple en termes d’outils. On peut très bien déployer ses propres outils si on a des besoins qui ne sont pas satisfaits ou qu’on n’est pas satisfait de ce qui est proposé.
Étienne Gonnu : Je connais malheureusement un peu le sens de la réponse, mais j’imagine que la plupart des services proposés ou utilisés au sein de l’Assemblée ne sont pas tous du logiciel libre.
Christian Quest : Oui, pas tous, c’est un euphémisme. Il n’y a pas beaucoup de logiciel libre dans ce qui est déployé. C’est essentiellement des outils Microsoft, donc c’est de l’Outlook, c’est du webmail Outlook, Exchange, etc. Ce n’est pas l’idéal pour quelqu’un comme moi. Ce n’est pas grave, j’ai ma machine et je suis autonome !
Étienne Gonnu : Paula Forteza fait partie des députés qui sont plutôt, on va dire, spécialistes des questions relatives aux enjeux du numérique, elle est notamment connue pour utiliser du logiciel libre, il me semble, parmi les outils qu’elle utilise. Je crois que son site est sous WordPress. Elle a un agenda qui est librement accessible sous Nextcloud, il me semble tu m’as expliqué que c’est justement toi qui a mis en place ce système. C’est bien sûr un exemple qu’on peut saluer. Est-ce qu’il y a eu des difficultés à mettre ça en place ? Est-ce que ça a fait des émules parmi d’autres parlementaires ? Comment ça se passe ?
Christian Quest : Il n’y a pas eu de difficultés à mettre en place. Vu qu’on est autonomes, on loue un serveur dédié que j’administre complètement, sur lequel j’ai déployé les outils dont j’avais besoin. Mon prédécesseur avait fait de même, avait utilisé des solutions un petit peu différentes mais toutes libres ; c’est vraiment, comment dire, dans l’ADN de Paula Forteza d’utiliser des outils libres et open source et aussi d’en faire la promotion. Donc on a vraiment utilisé et exploré, dans les outils qui existent, ceux qui peuvent être bien adaptés à un travail quotidien, un travail en confidentialité, en sécurité, etc., puisque ce sont des points qui sont quand même assez importants quand on parle du Parlement.
Étienne Gonnu : Tu parles d’autonomie, des outils. Lorsqu’on a discuté un peu avant l’émission, on a évoqué que la difficulté qu’il peut y avoir sur l’interconnexion puisque les systèmes ont besoin de communiquer entre eux, de se passer des informations. Peux-tu nous expliquer comment ça se résout ou pas ? Vous utilisez certains outils qui ne sont pas forcément les mêmes que les autres, est-ce qu’il peut y avoir des frictions par rapport à ça ?
Christian Quest : Il y a des frictions qui peuvent être liées à des problèmes d’interopérabilité et il y a aussi des frictions qui viennent des règles de sécurité du système d’information de l’Assemblée ce qui fait que, par exemple, même si on peut gérer un agenda avec les outils que nous propose l’Assemblée, il est impossible de le partager à l’extérieur. Du coup, on est obligé d’avoir un agenda qui ne soit pas géré par ce que nous propose l’Assemblée parce qu’on ne pourrait pas le partager. Donc il y a des choses comme ça qui tiennent soit de l’interopérabilité soit de règles de sécurité qu’on peut comprendre mais qui sont un peu contraignantes quand on veut être un petit peu plus ouvert que la moyenne.
Étienne Gonnu : On en discutait : la période de confinement, enfin cette situation de pandémie, a amené son lot de difficultés et j’imagine la nécessité d’avoir des outils de visioconférence, d’échange de textes, etc. Peut-être que ça a heurté des manques qu’il peut y avoir, que ça a sans doute été un révélateur. Comment l’as-tu perçu et ton bagage technique notamment t’a-t-il offert un regard particulier sur ce sujet ?
Christian Quest : On a déjà l’habitude de faire du télétravail. Moi, à titre personnel, je fais déjà une grande partie de mon travail à distance, donc ça ne m’a pas beaucoup perturbé sauf le fait de ne pas voir mes collègues ce qui est quand même, au bout d’un certain temps, un petit peu gênant.

On était assez habitués à travailler d’une façon très dématérialisée et qui ne pose pas de problème avec du télétravail. On a l’habitude d’utiliser des pads, on a l’habitude d’utiliser ce genre d’outils, donc ça ne nous a pas vraiment posé de gros problèmes.

J’ai déployé des petits outils nouveaux. On a profité un peu de ce temps atypique pour tester de nouveaux outils, par exemple CryptPad que je ne connaissais pas trop et que j’ai beaucoup apprécié, un logiciel qui est développé essentiellement en France, c’est intéressant de le signaler aussi. C’est un pad sécurisé avec du chiffrement de bout en bout et plus qu’un pad, on peut avoir du tableur, ce genre de choses. On a aussi utilisé et abusé de Jitsi, il y a eu pas mal d’instances publiques qui ont été installées, je pense par exemple aux instances de Scaleway, mais il y a aussi la Fondation de l’entreprise Free qui en a installé et il y en a d’autres. On a utilisé ces outils-là, qu’on avait déjà un peu l’habitude d’utiliser, mais là on les a utilisés beaucoup plus régulièrement, ça c’est sûr.
Étienne Gonnu : Justement tu parles d’outils, Cryptpad, Jitsi, on a fait des émissions avec les personnes qui gèrent, qui pilotent un peu ces projets, les émissions 61 et 63 pour être précis. On mettra les liens sur notre page pour les personnes qui souhaitent creuser la question. Merci pour ces précisions.

Je propose qu’on avance et qu’on passe un petit peu à ce qui va faire le sel du travail parlementaire, c’est-à-dire la production finalement de textes législatifs, la production de la loi qui est même le rôle déterminant de l’Assemblée. On a évoqué l’importance du travail en commissions. Il va y avoir des projets de loi, des propositions de lois, des propositions de textes, comment vous les accueillez ? J’imagine que vous vous répartissez le travail en fonction des spécialités de chacun, vous allez produire des amendements. Pour dire les choses de manière très générale, comment attaquez-vous un texte ?
Christian Quest : Tu as raison de préciser qu’il y a une grosse partie du travail de l’Assemblée qui n’est pas le travail en hémicycle. L’hémicycle c’est la partie visible de l’iceberg, mais l’iceberg est gigantesque en dessous.

Le choix par rapport aux textes qui arrivent, sur lesquels on va beaucoup plus s’investir, travailler ? Il y a tellement de textes qui sont mis à l’ordre du jour que c’est extrêmement difficile, sauf à faire un travail superficiel, de s’exprimer sur tous les textes.

Il y a des textes sur lesquels, naturellement, certains parlementaires ont plus d’appétence et vont, du coup, beaucoup plus s’investir parce que c’est un sujet qu’ils connaissent bien, c’est un sujet qu’ils maîtrisent, donc il va y avoir beaucoup plus de travail, des choses beaucoup plus fouillées ; c’est ça qui fait la qualité du travail de construction de la loi. Évidemment, quand des gens connaissent certains sujets, eh bien ça évite d’avoir, on va dire, des amendements de principe ou de posture, pour avoir des choses un peu plus techniques, qui vont dans des détails qui peuvent être parfois très importants : une virgule mal placée dans un texte de loi peut en changer le sens, donc il faut être très attentif à la façon qu’on a d’écrire mais aussi à la façon dont les autres ont écrit certains textes pour dire « attention là ça ne va pas, il ne faut pas que ça soit écrit comme ça, il faut que ça soit écrit autrement ».

C’est un travail énorme en commissions mais même en amont, parce qu’il faut travailler, préparer les amendements, les répartir, lister un petit peu tout ce qui a besoin d’être revu dans le texte qui est proposé et le faire en collaboration avec d’autres parlementaires avec qui on travaille régulièrement.
Étienne Gonnu : Oui, ce que j’allais te demander, on voit justement le travail : les textes sont inscrits à l’ordre du jour, la commission saisie au fond, parce qu’il y a plusieurs commissions sur le sujet, va se saisir du texte, c’est là où il va y avoir les premières réunions de travail, mais même en amont tout cela se prépare, comme tu le dis, ça demande énormément de préparation.

Paula Forteza est membre de la commission des lois, si je ne me trompe pas. On sait que c’est une commission qui est quand même assez importante, elle touche notamment à des textes importants du point de vue de l’April tout ce qui va être droit d’auteur, je confonds avec le niveau européen. Pardon. Est-ce qu’il y a des spécificités sur ce travail en commission des lois ?
Christian Quest : Ce n’est pas trop mon domaine, donc je ne vais pas pouvoir beaucoup vous renseigner sur la partie purement législative. Je sais qu’en fonction du type d’amendements et du type de sujets, ce n’est pas quelque chose qu’on peut voir dans n’importe quelle commission. Un député ne peut pas, non plus, siéger dans un grand nombre de commissions, il ne peut pas être partout ni par volonté, ni par définition ; il y a des choix, des attributions qui sont faites. C’est pour ça aussi qu’il y a un travail entre les députés : si un député doit faire avancer un amendement dans une commission alors que c’est une commission de laquelle il ne fait pas directement partie, il va le faire soutenir par quelqu’un d’autre, etc. Donc il y a tout ce travail un peu d’équipe. Le travail d’un député n’est pas qu’un travail en solo.
Étienne Gonnu : C’est là où je voulais en venir. Dans ce travail en amont il y a déjà la partie rédactionnelle qui est très importante pour faire des propositions d’amendements, prendre connaissance des autres et essayer de voir s’il y a des propositions similaires en termes d’arrangement. Je pense qu’il a aussi beaucoup de travail de relations pour créer des rapports de force, pour s’organiser. Comment cela s’organise-t-il ? J’imagine qu’il y a des contacts plus ou moins formels entre les députés, il y a des réunions préparatoires sans doute aussi au sein des groupes. Qu’est-ce que tu pourrais nous en dire ?
Christian Quest : Oui, quand il y a des nouveaux textes, le texte est analysé par le groupe pour déjà voir un petit peu quels sont les points de principe actuels du groupe par rapport au texte, voir ce qui a besoin d’être rectifié, d’être amélioré, d’être peaufiné. Et puis, comme je disais, vu que les parlementaires ne sont pas dans toutes les commissions qui vont étudier un texte, ils peuvent avoir besoin d’un collègue qui va porter des amendements en commission. Il y a vraiment ce besoin de fonctionnement entre les députés, ce qui rend finalement les groupes parlementaires assez importants, quand même, parce que du coup il y a une forme de travail d’équipe qui s’instaure et pas simplement le travail solitaire d’un député qui aurait de bonnes idées d’amendement, mais il ne peut pas les porter tout seul, il faut qu’il ait un peu de soutien, il faut éventuellement qu’il y ait quelqu’un qui le présente à sa place parce qu’il n’est pas dans la bonne commission, etc. Donc il y a vraiment besoin du travail du parlementaire et de son équipe mais aussi d’un travail avec le reste du groupe et de ses collègues.
Étienne Gonnu : Du coup, ça c’est à l’échelle d’un texte. Tu en parlais, les textes sont extrêmement nombreux, donc, en plus, ça peut avoir un impact. Comment tu perçois, le terme ne se veut pas péjoratif mais presque du service rendu, « tiens tu me soutiens sur ce texte, je vais te soutenir sur l’autre », il y a un peu ces rapports-là et ça fait partie de la création, sur le long terme, d’un rapport de force. Je pense, enfin j’imagine que c’est une réalité du travail parlementaire.

Il me semble, à titre personnel, que tu étais déjà intéressé par les questions du travail parlementaire. Maintenant tu es passé de l’autre côté des coulisses, un petit peu, quelle est ta vision du travail ? Comment ça a pu faire évoluer ta vision du travail parlementaire, si ça l’a changée ?
Christian Quest : C’est vrai que j’avais un regard extérieur là-dessus. Mais je l’avais connu aussi quand je travaillais à la mission Etalab, entre autres quand on a travaillé sur la loi Lemaire, la loi pour une République numérique, on a beaucoup suivi l’avancée de ce texte, là c’était un texte. Après, c’est vrai qu’observer de l’extérieur et observer de l’intérieur ce n’est pas la même chose.

Je découvre surtout le rythme effréné qu’il y a pour travailler sur les textes. Aujourd’hui l’essentiel des textes passe en procédure d’urgence, ça veut dire des délais relativement raccourcis, des allers-retours qui sont moins nombreux, ce genre de choses. Et ça force à aller toujours plus vite ce qui, parfois, ne permet pas de prendre le temps et le recul pour que des textes de loi soient, on va dire, plus des fondations pour construire des choses sur le long terme que souvent des replâtrages de textes précédents qui ont été sortis aussi un peu vite. L’impression que j’ai c’est un peu celle d’une fuite en avant dans la quantité de productions législatives et puis un peu aussi des textes de circonstance, d’affichage, qui sont très discutables. Je n’ai pas envie de rentrer dans des questions politiques, je pense que ce n’est pas tellement le sujet de Libre à vous !, mais voilà ! Vous avez sûrement beaucoup discuté de la loi Avia. Plus récemment on a pu discuter, on a été nombreux à discuter de la fameuse application StopCovid. Il y a des choses pour lesquelles on sent que c’est pour boucher des choses à court terme et, malheureusement, pas tellement pour construire sur du long terme.
Étienne Gonnu : Je dirais même que c’est le cœur du sujet, on est finalement dans ce qui fait le sang du travail parlementaire. Il y a toute une logistique, toute une procédure, toute une manière de faire correctement, on va dire, un bon travail législatif, mais ça reste du travail politique et toutes ces coulisses, les rapports de force qu’il peut y avoir derrière pour faire passer des lois, c’est exactement le sujet.

Clairement, d’un point de vue extérieur, quand on travaille sur ces questions, je suis d’accord : on a effectivement l’impression que les procédures d’urgence sont devenues la norme, qui ont d’ailleurs pour effet de limiter le nombre d’allers-retours donc la qualité, le nombre de débats, la capacité aussi à des contributions extérieures de se faire, donc c’est très important.

Évidemment on a parlé de loi Avia qui mériterait tout un sujet, je pense qu’on en parlera beaucoup la semaine prochaine puisqu’on parlera justement de la sur-législation, on va dire, d’Internet. La loi Avia, on peut le dire en deux mots, est une loi absolument terrifiante à tel point elle est liberticide. Oui c’est le sujet.

Puisqu’on parle de rapports politiques, il y a cette question qu’on entend souvent sur les lobbies, des représentations extérieures qui vont proposer des choses. L’April fait du travail de lobbying, de relations extérieures, puisqu’elle propose des amendements, mais elle essaie de le faire en transparence et selon ce qu’elle considère être l’intérêt général de son point de vue, selon son éthique, je pense ce n’est pas le sens de toutes les propositions. J’imagine que vous recevez énormément de propositions d’amendements, comment ça se passe au sein de votre équipe ? Comment vous le percevez ? Comment vous traitez ces propositions ?
Christian Quest : Ce n’est pas forcément sous la forme de propositions d’amendements, là ça va déjà très loin. Ce sont souvent des contacts pour expliquer, en fait, la problématique de ceci cela. Par exemple sur la loi pour l’économie circulaire, j’ai eu l’occasion de rencontrer des lobbies au niveau des fabricants de matériel électronique ou ce genre de choses, qui ont parfois des arguments qui sont tout à fait recevables ; il y a des choses qui peuvent être tout à fait recevables sur le réalisme. Il ne faut pas non plus qu’on écrive des textes idéalistes et qui ne peuvent pas être applicables, donc il y a des moments où il faut quand même avoir une vue pas trop éloignée de la réalité pour pouvoir faire évoluer réellement les choses et pas simplement avoir des textes de principe finalement inappliqués parce que inapplicables.

C’est toujours intéressant, de toutes façons, d’écouter les différents avis, même si on n’est pas d’accord avec. Par contre, il faut effectivement faire attention à, on va dire, de la manipulation, c’est-à-dire de l’information totalement tronquée, partiale, qui ne correspond pas vraiment à la réalité. Je ne citerai pas de nom, mais un grand réseau social a fait des ateliers pour, comment dire, expliquer aux députés ce qu’est le travail de modération sur un réseau social. Il fallait quand même avoir un peu d’esprit critique pour démonter leur argumentation. Il y a parfois un côté manipulatoire de certains lobbies qui peut être assez dangereux, surtout dans des domaines qui ne sont pas vraiment maîtrisés par les députés.
Étienne Gonnu : Si on va par là, je vais me lancer, j’imagine que tu parles de Facebook, ça pourrait être d’autres réseaux. J’imagine que c’est en lien avec la loi Avia puisque Facebook va être amené à jouer le rôle de l’État, de la justice, et décider ce qui va relever d’une parole légitime. Facebook est quelque part dans son rôle. C’est le rôle du député et je pense que c’est aussi tout ça le travail législatif, c’est aux députés et à leurs équipes d’être capables d’avoir l’esprit critique et le recul sur les informations qu’ils vont recevoir pour pouvoir intelligemment construire une loi. Malheureusement, sur certaines prises de parole de certains députés, tous bords confondus, on se demande parfois où est ce recul critique. Bien sûr, on est tous contre la haine en ligne, pour continuer à parler de la même loi. Les enjeux sont quand même bien plus complexes que simplement mettre à la charge de Facebook. Je pense que l’enjeu est difficile à trancher et qu’il faut peut-être éviter de blâmer uniquement l’acteur privé mais l’esprit critique et la capacité d’analyse des équipes législatives du Parlement.
Christian Quest : Oui. Là je parlais d’un lobbying qui, comment dire, tient plus dans certains cas d’une forme de manipulation que d’une claire information des parlementaires.

Qu’un lobby explique quels problèmes ça va causer, etc., c’est une chose. Quand les informations qui sont données sont fausses, ça pose d’autres questions. C’est juste ça que je voulais signaler et je n’ai pas dit de qui je parlais.
Étienne Gonnu : Je me suis permis d’imaginer, de tirer mes propres conclusions, je ne te mets pas les mots dans la bouche.

Je pense qu’il peut être intéressant qu’on aborde ensuite quels sont les outils justement pour permettre un travail informé, notamment dans les commissions, en amont de l’hémicycle par rapport à permettre aux parlementaires d’avoir des votes informés.

On va faire une petite pause musicale avant pour s’aérer un peu la tête. Je vous propose d’écouter Waiting For Nothing par The Fisherman. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune 93.1 FM, la voix des possibles.
Pause musicale : Waiting For Nothing par The Fisherman.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Waiting For Nothing par The Fisherman, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution. Comme la pause précédente il s’agit d’un morceau que nous avons découvert grâce au site auboutdufil.com qui, en plus, donne tout un panel d’informations, tout un tas d’informations, d’historique sur les groupes. On ne peut que vous inviter à découvrir auboutdufil.com. Vous retrouverez bien sûr les références sur le site april.org.

Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm. Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publiques pour l’April et nous discutons avec Christian Quest, collaborateur parlementaire de la députée Paula Forteza, sur l’envers du décor du travail parlementaire.

N’hésitez pas à participer à notre conversation via le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».

Avec Christian, on discutait un petit peu. Il y a beaucoup d’informations, potentiellement de tentatives de manipulation, mais je pense que c’est un peu le jeu politique aussi. Comment les parlementaires, les équipes parlementaires font-elles le tri dans ça, quels sont les outils à leur disposition pour avoir un avis informé, individuellement mais aussi collectivement, au sein de la commission, des groupes politiques, etc. ?
Christian Quest : Il n’y a pas vraiment d’outils. Il y a des outils mis en place par l’Assemblée pour gérer les textes, c’est-à-dire pour proposer des amendements, ce genre de choses. Par contre, des outils pour travailler de façon collaborative sur les textes, ce n’est pas quelque chose qui a l’air d’être très développé. Évidemment, je ne connais pas le fonctionnement de tous les groupes, de tous les partis, qui peuvent avoir des modes assez différents.

Je suis actuellement dans un passage particulier. Un nouveau groupe a été créé avec comme co-présidente Paula Forteza, donc je suis impliqué pour donner un coup de main, pour proposer des outils pour qu’il y ait un travail collaboratif un peu plus efficace qui se mette en place. On est en train de réfléchir à certains outils pour aider les parlementaires à faire le travail législatif un petit peu autrement et d’une façon, je ne peux pas dire plus moderne, mais sortir des simples outils bureautiques qui sont très utilisés mais qui ne sont pas forcément ce qu’il y a de plus efficace pour suivre tout un projet.
Étienne Gonnu : Tu abordes effectivement quelque chose de très intéressant, les outils collaboratifs. Finalement on nous vend beaucoup la startup nation et même sans rentrer dans ce terme péjoratif, on a des outils à disposition qui doivent permettre une meilleure collaboration.

Quand je parlais d’outils, sans aller jusqu’à la commission d’enquête, mais on voit parfois quand on suit des auditions, des auditions d’experts. Par exemple, vous pouvez demander certaines auditions, je crois que ce sont plutôt les groupes qui vont pouvoir demander des auditions. Comment ça se passe ? Par exemple comment un réseau social, quel qu’il soit, peut venir au sein du Parlement proposer les informations qui manipuleraient pour arriver à ses fins ?
Christian Quest : Je ne comprends pas très bien ta question, je suis désolé.
Étienne Gonnu : On sait qu’il y a des auditions en amont de certains textes : pour avoir de l’information, on va chercher et faire venir des experts. Comment on décide qui on invite ? Comment est-ce que ça se met en place ? Je pense que c’est au niveau de la commission ou des commissions qui vont avoir cette possibilité. Tu nous disais qu’il va y avoir par exemple des entités privées, donc un réseau social, qui vont, au sein de l’Assemblée, proposer des conférences ou des choses, proposer leurs informations, leur vérité, elles sont dans leur rôle, ça aussi comment ça se met en place ? Je ne sais pas si c’est plus clair comme ça.
Christian Quest : Pour les auditions et tout ça, il y a des listes de gens qui sont proposés pour les commissions. Je ne connais pas le mécanisme précis. En général il y a le président et les rapporteurs de la commission qui gèrent un petit peu l’agenda des auditions qui vont être faites. Il y a des personnes qui sont sélectionnées pour être entendues sur tel ou tel sujet. Je ne sais pas s’il y a des mécanismes pour que des personnes se proposent pour être entendues, je ne peux pas vraiment dire.

Je vois aussi sur le chat que parfois il y a des huis clos en commission. Oui, c’est possible, certaines commissions ne sont pas totalement ouvertes. Il y a des raisons qui peuvent se comprendre, d’autres où ça peut être un peu plus compliqué. Je pense par exemple à la commission de la défense, ça peut se comprendre que tout ne soit pas sur la place publique. Pour d’autres commissions ça peut être un peu plus compliqué, mais ça permet aussi, parfois, de libérer la parole des gens qui vont être auditionnés ; le fait de savoir que c’est à huis clos, ils peuvent s’exprimer plus librement. Donc ce n’est pas forcément négatif.
Étienne Gonnu : Oui. Je pense qu’il y a un vrai débat là-dessus. Après, on pourrait dire que tout est transparent et que tout le public devrait pouvoir suivre et avoir un débat complètement informé. Je pense que c’est un débat qui est important. On en avait parlé avec Regards Citoyens quand ils étaient intervenus.

Je soulevais aussi cette question-là puisque qu’on parlait potentiellement des influences extérieures et l’April, parfois, va prendre contact avec des parlementaires sur des textes pour proposer aussi nos argumentaires, notre point de vue ; la question c’est de le faire en transparence. C’est aussi tout l’enjeu des rapports de force pour une structure comme l’April d’avoir un historique, d’avoir plus de 4000 membres, pour arriver avec un poids politique. Je pense qu’il y a là des arbitrages à faire. On sait que les groupes politiques vont négocier peut-être aussi entre eux.

Tu parlais des groupes dans les outils de collaboration. Le temps avance, je pense que c’est un sujet qui est intéressant notamment parce que Paula Forteza était avant dans le groupe majoritaire LREM et elle a créé un groupe. On sait que les groupes politiques sont des instances extrêmement importantes dans le travail parlementaire. Tu as été finalement collaborateur d’une députée LREM et maintenant d’une députée de l’opposition, comment tu perçois ce changement ? Quelle est pour toi l’importance des groupes ? Je te laisse la parole, qu’est-ce que tu peux nous dire là-dessus ?
Christian Quest : Pour mon travail ça n’a pas changé grand-chose, je continue à faire de la veille et du conseil sur les sujets numériques et puis d’entretenir toute une partie d’outils et d’infrastructures. Donc si tu veux, quel que soit le parti auquel elle est rattachée, ça ne change pas grand-chose pour moi. Il y a juste, peut-être, plus de possibilités aujourd’hui d’être entendus au niveau du groupe, certes beaucoup plus petit. Il y a ça, il y a beaucoup plus de choses à construire avec ce groupe tout nouveau, tout frais. C’est assez intéressant de ce point de vue-là de partir, pas d’une feuille blanche, mais il y a quand même beaucoup de choses encore à écrire dans ce groupe sur la façon de fonctionner, sur les outils. J’essaye d’apporter mes connaissances, je ne cherche pas à imposer, je pense que c’est un peu la règle avec le Libre, il faut arriver à convaincre et pas forcer les gens à basculer en leur montrant que oui on peut utiliser autre chose que Google Docs. Ça se fait petit à petit.
Étienne Gonnu : En discussion générale sur StopCovid qui est une application dont on peut dire beaucoup de mal tant elle est liberticide et intrusive et qu’elle s’oppose vraiment à l’éthique du Libre en étant vraiment dans un rapport de surveillance, ce n’est pas le sujet, en tout cas Paula Forteza a d’ailleurs pris une position plutôt bonne et on a senti, du moins j’ai senti une expression plus libérée dans sa parole.

D’un point de vue, d’un regard extérieur que tu as peut-être eu avant de travailler là-dedans, on voit ce qu’on appelle la discipline du groupe majoritaire qui finalement impose, qui limite la capacité de sortir du sentier prévu. comment l’as-tu vécu ? Est-ce que tu as vu qu’il y avait effectivement une discipline de groupe forte, ou pas ?
Christian Quest : C’est sûr qu’à partir du moment où on est dans un groupe, eh bien il y a aussi un fonctionnement du groupe, des règles du groupe, des rapports de force qui font qu’il faut faire des compromis. Je pense que même au sein d’une association on retrouve la même chose, on ne peut pas vraiment faire les choses tout seul, on a besoin d’être ensemble pour porter certains sujets un peu plus loin.

Après, quand on ne se sent plus bien avec le fonctionnement d’un groupe, eh bien oui, on prend ses distances, on forke et on essaye de faire un petit peu autrement. On connaît bien tout ça dans le Libre !
Étienne Gonnu : Bien sûr. C’est vrai qu’on parle des groupes et il faut dire qu’être dans un groupe c’est extrêmement important pour un député ou une députée, c’est-à-dire que hors groupe on a beaucoup moins de temps de parole, on a beaucoup moins de capacité de poser des questions écrites ou orales, les dépôts de propositions de textes sont beaucoup plus difficiles. On voit aussi l’importance, mais quelque part c’est normal, de devoir créer finalement des compromis avec d’autres personnes pour avoir un groupe. Être dans un groupe est très important, le risque d’être exclus d’un groupe est aussi une réalité politique pour les parlementaires.
Christian Quest : C’est sûr. Il y a une chose qui est importante à l’Assemblée, c’est son règlement qui est un beau pavé, il y a quand même pas mal de pages dedans. Il y a beaucoup de choses qu’un député ne peut pas faire seul, ne peut pas faire directement, qu’il ne peut faire qu’à travers son groupe parlementaire ou bien il n’y a que le groupe parlementaire qui peut le faire et pas un député tout seul.

Être non-inscrit, c’est-à-dire dans aucun groupe, c’est d’une certaine façon une liberté totale si on regarde un côté de la pièce, mais, de l’autre côté, c’est moins de possibilités parce que, justement, on n’est dans aucun groupe. Il y a des avantages et des inconvénients. Les députés qui sont non-inscrits, qui ne sont dans aucun groupe, sont quand même très peu nombreux et ce n’est pas pour rien. Il y a beaucoup plus de possibilités quand on est à l’intérieur d’un groupe. Quand il y a un certain nombre de députés qui sont non-inscrits ou qui souhaitent un peu changer les choses, ils se reconstituent sous forme d’un groupe. Là, en dix jours, on en a vu deux nouveaux qui se sont créés, le neuvième et le dixième groupes. Il y a de temps en temps des changements comme ça.
Étienne Gonnu : Je vois malheureusement que le temps nous échappe un peu. Il y a des questions qui ont été posées ; je pense que si on refait un sujet on pourra les aborder. Merci beaucoup Christian, sauf peut-être si tu as un dernier mot que tu aurais aimé partager, sinon je te souhaite une bonne après-midi. Je ne vais pas te censurer.
Christian Quest : Je vois quand même des questions, je vais essayer de répondre très rapidement : écrire aux députés ça marche ? Oui, ils reçoivent des mails, ils les lisent. Ensuite, répondre systématiquement à tout le monde, on essaye tous de le faire. Après, il faut voir la quantité. Soit on renvoie, malheureusement, un mail un peu générique et pas forcément avec un suivi, ce qu’on essaye d’éviter, mais quand vous recevez beaucoup de messages c’est effectivement compliqué. On essaye de faire au mieux, mais ce n’est pas toujours parfait.
Étienne Gonnu : Oui, c’est avec du mail qu’ils reçoivent les informations.

Christian, vraiment merci d’avoir passé ce temps avec nous. Je te souhaite une très bonne fin de journée et à bientôt.
Christian Quest : Je reviendrai pour d’autres sujets, on parlait d’archive de logiciels avant, je ne sais pas si tu es au courant, je m’occupe d’archiver l’open data, c’est peut-être un autre sujet.
Étienne Gonnu : Rendez-vous est pris.

[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : On va faire une petite pause musicale avant de passer à notre dernier sujet. Nous allons écouter La valse des vieux sabots par Les bretons de l’est. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune 93.1 FM.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Pause musicale : La valse des vieux sabots par Les bretons de l’est.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter La valse des vieux sabots par Les bretons de l’est disponible sous licence Art libre. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.

Je vois que le temps file vite. Nous allons passer tout de suite passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]

Entretien avec Laurent Costy, vice-président de l’April, en charge du groupe Libre Association, comment les associations ont pu s’adapter au confinement

Étienne Gonnu : Nous allons prendre des nouvelles de Laurent Costy qui est vice-président de l’April, responsable du groupe Libre Association. Bonjour Laurent.
Laurent Costy : Bonjour à toutes et tous. Je ne sais pas si vous m’entendez.
Étienne Gonnu : Parfaitement.
Laurent Costy : Super. Très bien.
Étienne Gonnu : Parfait. Comme pour le premier sujet, l’objet de notre échange c’est de prendre des nouvelles par rapport à toi, tes prismes, tes occupations. Comment ça va pour toi ? Comment s’est passée cette période de confinement d’un point de vue associatif à travers l’April et professionnellemnt ?
Laurent Costy : Professionnellement et personnellement, j’ai eu la chance de pouvoir me confiner en région avec une maison et un jardin, ça n’a sans doute pas été le cas de tout le monde. Je dirais que le confinement a sans doute été moins pénible pour moi que pour d’autres personnes qui étaient contraintes de rester dans des appartements et sans capacité de pouvoir bénéficier de la nature autour. Ça c’est plutôt une chance.

En termes de rythme de travail ça n’a pas changé grand-chose parce que je dirais que la fédération dans laquelle je travaille était préparée, majoritairement on va dire, à travailler en télétravail, donc en termes de rythme de travail ça n’a pas changé grand-chose, c’est juste le cadre qui a changé, mais ce n’est quand même pas négligeable. Donc on a beaucoup télétravaillé, le rythme a très peu changé.
Étienne Gonnu : Tu parlais de fondation, donc MJC, je pense que c’est intéressant aussi. Est-ce que tu peux nous dire ce que sont les MJC ?
Laurent Costy : Ce sont les Maisons des jeunes et de la culture. C’est une fédération qui est née après la guerre, au sortir de la guerre, en 1945/48, je vous épargne l’histoire dans le détail, mais c’est issu de la suite de la guerre. Ça avait pour objet d’avoir des équipements dans les quartiers, pas forcément dans les quartiers en particulier au départ, mais en tout cas d’avoir des équipements pour pouvoir, au départ, occuper les jeunes, c’était ça la grande préoccupation du gouvernement à l’époque. En tout cas, l’idée c’était quand même de doter les territoires d’équipements pour que les jeunes puissent avoir des activités, être accompagnés, formés, etc.

C’est une fédération d’éducation populaire, c’est quelque chose auquel je tiens beaucoup, parce que l’idée c’est quand même de rendre les gens capables et autonomes, les jeunes en particulier. Après, évidemment, le projet s’est élargi. C’est bien une logique intergénérationnelle qui est poussée dans tous les projets des MJC sur les territoires.
Étienne Gonnu : On peut voir l’importance de tout ça dans une période comme celle que nous traversons.

Avançons. Tu es membre du groupe Libre Association, on sait que tu as un rapport qui va défendre l’intérêt du logiciel libre auprès des associations. Tu travailles beaucoup dans le milieu associatif, c’est vraiment, il me semble, une chose qui te tient beaucoup à cœur.
Laurent Costy : Oui. C’est tout ce lien-là entre l’éducation populaire et le logiciel libre qui me parait une évidence depuis très longtemps. C’est vrai que c’est quelque chose qui m’a toujours questionné, intéressé. J’ai toujours essayé d’œuvrer, au sein de l’April, dans le groupe Libre Association, pour essayer d’augmenter les liens qui pouvaient exister entre l’univers libriste, on va dire, et le milieu associatif.

De fait, dans les associations, on constate qu’il y a des militants sur les territoires, dans les diverses fédérations d’éducation populaire, toutes les autres fédérations. On trouve toujours des gens passionnés qui ont aussi compris que l’éducation populaire et le logiciel libre avaient à travailler ensemble parce que la convergence de valeurs est forte. Mais après, c’est vrai que pour réussir à passer le cap, à mettre en œuvre, ça reste très compliqué parce que, en tout cas jusqu’à il n’y a pas longtemps, ces questions-là n’étaient pas traitées politiquement au sein des conseils d’administration et c’était systématiquement renvoyé comme question technique, donc qui ne concerne pas le conseil d’administration. Or, fondamentalement c’est une erreur. Il commence à y avoir des prises de conscience. Effectivement depuis Snowden, depuis le RGPD ça s’accélère un peu et les associations comprennent qu’il y a aussi des enjeux sur ce plan-là, mais c’est vrai qu’au départ c’était extrêmement compliqué de faire entendre l’importance de penser son informatique dans le milieu associatif.
Étienne Gonnu : RGPD, Réglement général sur la protection des données, c’est vrai que c’est un enjeu ; on voit que c’est très vrai dans le milieu associatif qui, en plus, généralement défend une certaine éthique. Et politiser le rapport aux outils techniques est aussi au cœur de notre combat, d’où toute la pertinence de ton action au sein de l’April de ce point de vue.

Une question qu’on voulait aussi aborder, tu travailles beaucoup avec les associations. On imagine bien que toute la difficulté qu’a pu représenter cette période-là, toute cette période de confinement pour les associations, chacune avec ses spécificités, et comment certains outils, les outils libres notamment, ont été mis à disposition par des associations comme l’April, Framasoft à travers le Collectif CHATONS, etc., on mettra les liens puisqu’on en a parlé au sein de Libre à vous !. Comment as-tu perçu ça, puisque tu as pu voir comment les associations ont pu et ont dû s’adapter au confinement ?
Laurent Costy : Il y a plusieurs échelles en fait, c’est important de considérer les échelles.

Par exemple si je parle du territoire, du local, une MJC est sur un territoire qui, en général, permet systématiquement la rencontre physique. Et c’est vrai que, du coup, le travail à distance ce n’est pas quelque chose qui est dans les gènes parce qu’il n’y en pas un besoin fort. Bien sûr on peut coproduire des documents, on peut prendre une date de réunion à distance, etc., mais fondamentalement la logique d’une association de ce type-là, comme une maison de quartier, comme un centre social, c’est bien d’être au contact avec les habitants, les adhérents.

C’est vrai que quand il a fallu, du coup, être confiné et garder du contact, il a fallu se mettre un peu en ordre de bataille par rapport à tous les outils qui permettaient de le faire. De fait, un des premiers outils ça a quand même été le téléphone pour rester en contact avec les adhérents, avec les personnes qui pouvaient avoir des difficultés, les personnes âgées qui devaient faire les courses, etc. Il y a eu plein de petites choses, comme ça, qui se sont mises en place et évidemment tous les outils de contact à distance, le mail, ont été amplifiés, ont permis de continuer à entretenir le lien. C’est entre autres ce qui s’est passé en local.

Après, pour l’échelle en réseau, quand on est plus loin dans la logique fédérale, on est un peu plus équipé, normalement, pour pouvoir travailler avec des outils déjà en place. C’est vrai qu’on n’était pas complètement préparé mais, en tout cas, je dirais que l’infrastructure principale était posée pour qu’on puisse continuer à travailler. Il a fallu faire quelques petits réglages, ça a permis de passer en production un peu rapidement des serveurs qui étaient en train d’être installés, pour tester, pour pouvoir soutenir les habitudes de travail.

Il faut bien considérer les niveaux de cette manière-là.
Étienne Gonnu : Très intéressant.

Est-ce que tu as un bilan que tu tires justement de cette période-là ou un autre point que tu souhaiterais évoquer parce qu’on touche déjà presque à la fin de l’émission ?
Laurent Costy : Je ne sais pas. Je peux peut-être en profiter pour lancer un sujet qu’on aura dans l’émission dans les semaines ou les mois à venir qui sera l’outil YunoHost qui, justement, est un serveur qui peut être installé assez facilement et qui permet de déployer plein de petits services. Du coup j’ai expérimenté ça pendant le confinement, vraiment à titre expérimental, mais ça a aidé un peu. On peut installer très rapidement un pad, donc avoir son propre pad, gérer ses propres pads, installer l’équivalent d’un serveur Framateam, je ne sais plus sur quel logiciel c’est appuyé [Mattermost, NdT]. Il y a la capacité d’installer assez simplement un serveur. Il faut quelques compétences, je ne suis pas informaticien, mais effectivement j’ai acquis de la compétence au fil des années. On essaiera d’ouvrir une émission sur ce sujet-là parce que je pense que pour la décentralisation et le sujet que vous avez déjà abordé autour des chatons, c’est quand même une voie extrêmement intéressante pour les associations qui souhaitent prendre un peu en main leurs données et les maîtriser.
Étienne Gonnu : Tout à fait. C’était très clair. Vivement, finalement,la réalisation de l’émission.
Laurent Costy : Je ne sais pas combien de temps il nous reste. Bénévalibre continue d’être utilisé, déployé, expérimenté par les associations.
Étienne Gonnu : Du coup, tu peux nous dire en deux mots ce qu’est Bénévalibre puisque tu le mentionnes ?
Laurent Costy : C’est un logiciel libre qui permet de faciliter la valorisation du bénévolat dans les associations. Le CRAJEP, Comité régional des associations de jeunesse et d’éducation populaire de Bourgogne-Franche-Comté, a porté le projet, a réuni les financements et a permis de financer la SCIC Cliss XXI pour le développement de cet outil qui est désormais opérationnel sur benevalibre.org. Sur leur lancée, à titre complètement autonome, on peut même signaler que Cliss XXI a développé un logiciel qui s’appelle GvoT qui permet maintenant de faciliter les votes à distance pour les associations. C’est pareil, c’est un outil qui était franchement bienvenu, il est au tout début de son exploitation mais n’hésitez pas à aller voir sur le site de Cliss XXI cet outil-là qui pourra peut-être vous aider pour votre prochaine AG ou vous prochains CA à distance si vous n’avez pas encore la possibilité de les organiser en présentiel, et peut-être pour être complémentaire du présentiel.
Étienne Gonnu : Parfait. On mettra le lien sur notre site et tu soulèves une question qui va nous intéresser dans nos annonces.

Un grand merci Laurent, désolé pour ce temps court. En tout cas un grand merci pour ces différentes informations. C’était un plaisir de t’avoir.
Laurent Costy : Pas de souci. Merci à vous toutes et tous. Au revoir.
Étienne Gonnu : Bonne fin de journée.

Annonces

Étienne Gonnu : L’émission touche à sa fin. Comme je vous le disais quelques annonces rapides.

[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Laurent parlait d’assemblée générale. Celle de l’April avait été reportée du fait du confinement. Une nouvelle date a été posée. L’assemblée générale de l‘April aura lieu le 27 juin à 14 heures, à distance. À priori nous utiliserons le logiciel libre de visioconférence BigBlueButton.

Le groupe de travail Traductions de la philosophie GNU a publié en ligne la traduction de deux nouveaux textes de Richard Stallman, un sur la mise de vidéos en ligne et sur le fait que dire non à l’informatique injuste, même une seule fois, ça aide.
L’émission touche à sa fin. Je remercie les personnes qui ont participé : Nicolas Dandrimont, Christian Quest, Laurent Costy.

Aux manettes de la régie aujourd’hui William Agasvari.

Merci également à Sylvain Kuntzmann, bénévole à l’April, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio, qui s’occupent de la post-production des podcasts, Merci à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe les podcasts complets en podcasts individuels par sujet, et Frédéric Couchet, délégué général de l’April et principal artisan de Libre à vous !>
Vous retrouverez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles qu’on a pu citer pendant l’émission. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plus, les points d’amélioration, toutes vos remarques sont les bienvenues à l’adresse libreavous chez april.org.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 9 juin 2020 à 15 heures 30. Nous tenterons de répondre à la question que les adversaires des libertés informatiques aiment poser : Internet est-il une zone de non-droit ?, ou plutôt aiment affirmer. Nous aurons l’honneur de recevoir Marc Rees, rédacteur en chef de Next INpact et Christiane Féral-Schuhl, avocate spécialisée dans le droit des nouvelles technologies et présidente du Conseil national des barreaux.
Nous vous souhaitons de passer une très belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 9 juin et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.