Le numérique, un objet diplomatique

Jean-Christophe Elineau : Nous sommes très intéressés pour savoir ce que tu fais aujourd’hui en tant qu’ambassadeur du numérique et nous expliquer un petit peu en quoi consiste ta vie professionnelle.

Henri Verdier : J’espère qu’on ne va pas parler que de ça, mais ça peut être une manière de commencer la conversation.

Jean-Christophe Elineau : Exactement.

Henri Verdier : Je crois que je connais pas mal de gens dans la salle, je t’ai connu comme star de l’open data dans les Landes.
Je suis tombé dans la révolution du numérique en 1995. À l’époque je n’avais pas conscience d’être à ce point pionnier, mais maintenant, quand je me rends compte qu’il y avait 15 000 internautes en France et 10 000 sites web sur le monde, je me rends compte que finalement c’était les tout débuts. J’ai créé une première boîte qui faisait des services numériques et puis, petit à petit, on s’est spécialisés dans l’éducation au numérique. J’ai eu une vie d’entrepreneur avec un vrai goût de l’action collective qui fait que, pour les Parisiens, j’étais dans les fondateurs de Silicon Sentier, de La Cantine de Silicon Sentier qui est devenue NUMA, de Cap Digital qui est un plus joli pôle de compétitivité, j’ai travaillé un peu avec Télécom Paris tech en prospective ce qui m’a donné un certain nombre de convictions que j’ai écrites dans un livre qui s’appelle L’Âge de la multitude : entreprendre et gouverner après la révolution numérique il y a bientôt dix ans.
Et là j’ai eu une chance incroyable, on m’a proposé de rejoindre l’État d’abord pour porter la politique d’open data avec Etalab [1], qui a quand même été un des grands moments de ma vie, puis pour diriger la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État [2] qui était un peu la DSI Group de l’État. Du coup, en tant que DSI Group, elle avait quand même un regard sur la conduite des grands projets, sur les questions interministérielles et un regard sur la transformation numérique. Je ne vais pas être long. En tout cas j’ai essayé, d’abord, d’apporter des convictions qui venaient de ma pratique de patron de PME et de ma pratique de vieux mec du numérique.
Je crois quand même, c’est vous qui le direz, qu’on a essayé de rappeler à l’État, pour ce qui nous occupe aujourd’hui, que l’open source ça marche, que l’autonomie stratégique de ce qui est le droit de rouvrir le code et même de le modifier c’est important et que l’État devrait toujours rester en autonomie stratégique. J’ai aussi essayé de montrer que les méthodes agiles marchent mieux et que ça permet d’épouser des usages réels donc de mieux servir les usagers. Que pour faire ça il fallait savoir recruter des profils bizarres, différents et qu’un très bon développeur, même s’il vient au bureau en short déchiré et en trottinette, il peut être quand même le meilleur développeur de la bande et il faut que l’État sache accueillir des gens comme ça. Que la sous-traitance à outrance ça fait que finalement on paye dix fois trop cher des choses qui finissent par rater leur cible et qu’il faut quand même savoir faire des choses soi-même. Et qu’on pouvait appliquer à notre profit, au profit de l’intérêt général, ce qui est au cœur de la stratégie des big techs, ces stratégies de plateformes. C’est-à-dire que si au lieu de croire que notre informatique est seulement faite pour régler des problèmes et qu’on comprend qu’en faisant des petites briques, des petits modules très ouverts, très interopérables, réutilisables par d’autres, qu’on prend la peine de les exposer aux usages externes, aux innovateurs, aux citoyens, on peut créer un meilleur service public à la fois parce qu’on fait une meilleure informatique en interne, qu’on crée plus de valeur et plus d’usage en externe.
Je crois que j’ai porté ça pendant cinq ou six ans. Je pense que certaines choses ont reculé un peu, d’autres ont continué très bien et d’autres ont laissé de belles traces et on m’a appelé au Quai d’Orsay pour diriger la diplomatie numérique. J’ai souri quand toi, comme beaucoup d’autres, vous dites que je suis ambassadeur DU numérique. Oui, il y a des gens qui croient que je suis l’évangéliste du numérique dans l’État. Parfois ça m’arrive, on est quand même de moins en moins rares, il y en a d’autres maintenant. En fait, je suis ambassadeur pour les affaires numériques. Je défends la France, et pas le numérique, dans les dossiers numériques.
Là je m’arrête deux secondes parce je vais arriver sur des choses qui sont peut-être moins familières, mais je veux juste vous dire que quand on a vécu, comme moi et comme d’autres, dont certains dans cette salle, 25 ans d’histoire du numérique, c‘est assez frappant de voir que finalement, il y a 25 ans, c’était quand même une affaire de geeks et d’innovateurs. Il y avait des gens qui disaient : « Qu’est-ce que je peux faire avec le lien hypertexte, qu’est-ce que je peux faire avec ci, est-ce qu’on va enseigner différemment, et si et si ? »
Disons qu’il y a 10 ou 15 ans c’était aussi devenu une affaire de disruption, notamment de filières industrielles entières. La musique, le cinéma, la presse, ont vacillé sur leurs bases et puis la banque, l’assurance et beaucoup d’autres secteurs d’activité ont eu très peur de la révolution numérique. C’était l’époque où on citait beaucoup l’article de Marc Andreessen [3], Software is eating the world, « le logiciel dévore le monde ». Tout ça reste vrai. Je voulais juste partager avec vous que maintenant il y a aussi une couche qui est vraiment de la géopolitique. C’est aussi devenu un terrain d’affrontement entre les États, un terrain de rapport de forces. Je vous donne juste trois exemples.
Vous voyez tous, comme moi, que les États-Unis et la Chine ont ouvert une course à la maîtrise de l’intelligence artificielle en se disant que le pays qui serait le maître de l’intelligence artificielle serait, en fait, un peu le maître du monde. L’Europe essaye à la fois de suivre quand même un peu la course pour ne pas décrocher, mais essaye aussi de dire qu’il faut une régulation de l’intelligence artificielle, il faut qu’elle respecte les droits de l’homme, il faut qu’on en parle tous ensemble et puis qu’il faut peut-être veiller, ça va plaire à Nouvelle-Aquitaine Open Source [4], à ce que ce ne soit pas privatisé par deux/trois super puissances et qu’il y ait aussi quand même assez d’algorithmes en open source, de données, pour éduquer les modèles, que tout le monde ait le droit de faire de l’intelligence artificielle, même si elle n’a pas toutes les performances de celles d’Amazon ou d’Alibaba. C’est un exemple d’enjeu géopolitique.
Les enjeux de gouvernance d’Internet quand même. Régulièrement on se réunit pour changer les règles de nommage ou un certain nombre de règles de gouvernance d’Internet ; ce sont des enjeux auxquels les États participent. C’est aussi en train de devenir, hélas, de la géopolitique. Je ne sais pas si tout le monde, dans la salle, a vu que la société chinoise Huawei a réussi, à l’Union internationale des télécommunications, à faire créer un groupe de travail pour discuter d’un nouveau protocole TCP-IP dont les Chinois nous disent : « Regardez, il est beaucoup plus efficace que votre vieux truc bordélique et décentralisé », ce à quoi nous répondons : « Il est peut-être plus efficace — ça reste à prouver —, en tout cas il est moins résilient et surtout il est plus contrôlable, parce que votre truc est vertical, centralisé ». Savoir, par exemple, comment on s’organise dans la conversation internationale pour défendre les principes de base de l’Internet qu’on connaît, c’est aussi un sujet de diplomatie puisque c’est un sujet de relations internationales.
Pour donner deux derniers exemples. Probablement que la prochaine guerre mondiale commencera par une frappe cyber qui tapera d’ailleurs des hôpitaux, des aéroports ou des banques centrales, pas forcément des infrastructures militaires. Les diplomates du monde entier travaillent pour essayer de s’entendre sur le fait qu’il faut appliquer le droit international dans le cyberespace et comment on va l’appliquer, c’est aussi un sujet de diplomatie.
Peut-être un tout dernier, je le dis là, devant vous, parce que, parfois, la presse dit : « C’est une diplomatie pour parler aux GAFA ». Non, ce n’est pas une diplomatie pour parler aux GAFA. Certains pays ont fait cette erreur. Le Danemark avait créé un tech ambassador qu’ils ont envoyé dans la Silicon Valley pour négocier avec les GAFA. Nous, les Français, comme d’ailleurs tous les Européens maintenant, les Danois eux-mêmes ont changé d’avis, ne traitent pas les GAFA comme des États, les GAFA et les autres, c’est une commodité d’appeler ça les GAFA. Il va falloir, bien sûr, trouver des manières de réguler la haine, les ingérences étrangères dans les élections, le terrorisme quand il utilise Internet, etc., et, pour ça, il faudra s’assurer d’une coopération loyale des entreprises de la tech et, pour ça, il faut des coalitions d’États qui disent la même chose sinon on n’a aucune chance, on se fait atomiser. Donc il y a une partie de mon travail qui est aussi consacrée à la régulation des plateformes, notamment par les textes européens.
Pour terminer de répondre à la question, le numérique maintenant c’est aussi de la lourde géopolitique et il y a plein de gens au Quai d’Orsay qui travaillent là-dessus, dans plein de directions. Maintenant il y a un ambassadeur pour le numérique à la fois pour coordonner tous ces gens-là et, parfois, pour représenter la France dans certaines instances.
Pour lancer une perche pour la discussion qu’on va avoir avec vous, ce qui est peut-être intéressant, qui permet de boucler la boucle. Bien sûr, un des sujets qui nous préoccupe tous, en tout cas les diplomates et d’ailleurs les gouvernements, c’est la souveraineté numérique européenne. Est-ce que l’Europe peut-être un continent qui n’est pas esclave, qui ait de l’autonomie stratégique, qui peut décider de protéger les données personnelles, qui peut décider d’avoir une politique culturelle, etc. ? Pour faire ça, il faut avoir une sorte de puissance, d’autonomie, que nous appelons souveraineté. Le problème de ce mot c’est qu’il est un peu ambigu, c’est dommage. Il y a des gens qui craignent, quand on dit souveraineté, que ça veut dire qu’on veut contrôler Internet. Bien sûr, quand les Russes, les Chinois ou d’autres disent « souveraineté », eux parlent de mettre Internet sous tutelle et nous disons non, nous voulons juste être libres dans Internet. Il y a aussi des gens qui se souviennent que trop souvent, en France, quand on a dit souveraineté c’était en fait du protectionnisme déguisé, c’était pour protéger et sauver des boîtes françaises. Là on dit non, c’est pareil, on ne parle pas forcément de sauver les canards boiteux qui ne vont plus bien. On parle juste d’avoir le choix. Ce qui, peut-être, pourra vous intéresser c’est qu’on a fait un gros travail, depuis deux/trois ans, pour convaincre les diplomates français, les diplomates des autres pays d’Europe, les commissions, que les communs numériques — que ce soit les logiciels libres, parfois l’open source, que ce soit les open data, que ce soit les grands modèles pour éduquer l’IA pour qu’elle comprenne le français, que ce soit OpenStreetMap, Wikipédia et les autres — sont vraiment un levier de souveraineté.
Finalement, on était en train d’entrer dans un monde où il y avait des super puissances incroyablement fortes, que parfois, par commodité, on appelle les GAFA, et les Européens se disaient toujours « mon dieu, on est menacés d’être écrasés par des monopoles, alors il faut faire des contre-monopoles aussi forts ». Je répète, depuis trois ans que je suis Quai d’Orsay, « vous savez, on peut aussi rêver d’un monde où il n’y a pas de monopoles du tout. Pour ça, chaque fois qu’il y a une ressource qui est un commun, personne ne peut vous en exproprier, en fait vous êtes plus libres ». Et c’est en train de prendre. On travaille à ce que pendant la présidence française de l’Union européenne, qui commencera le premier janvier prochain, la France essaye de porter une initiative pour que l’Europe reconnaisse que l’existence et la pérennité des communs est une partie intégrante de notre stratégie de souveraineté, ce n’est pas la seule, il faut aussi de la sécurité, il faut aussi le service industriel, voire, c’est notre rêve – on y travaille, mais je ne peux rien promettre cet après-midi – que l’Europe s’organise pour être capable financer les communs qui en ont besoin quand c’est nécessaire à leur pérennité.
Voilà. Jean-Christophe, j’ai peut-être trop parlé, je ne sais pas. Je suis sûr d’une chose c’est que j’ai donné 12 000 accroches possibles pour qu’on puisse lancer un débat.

Jean-Christophe Elineau : C’était très intéressant. Il y a déjà des gens qui lèvent la main dans la salle, notamment un certain Stéfane Fermigier, que tu connais forcément, du Conseil National du Logiciel libre [5].

Henri Verdier : Si vous saviez depuis quand je le connais et pourquoi ! C’était bien avant.

Jean-Christophe Elineau : Oui, tu le connais. Je vais le laisser prendre la parole. Je voulais simplement te dire, pour rebondir, qu’au B-Boost on a parlé de souveraineté numérique, on a parlé de communs, on a parlé de data, on a parlé de cyber, donc effectivement ces enjeux-là sont aujourd’hui absolument déterminants pour la suite de la souveraineté de l’Europe, la souveraineté de la France. Je passe tout de suite la parole à Stéfane qui veut échanger avec toi.

Public - Stéfane Fermigier : Merci. Henri, tu as évoqué l’Europe et tu as évoqué la présidence française qui commence dans deux mois, deux mois et demi. C’est un sujet qui nous intéresse et qui nous préoccupe. La Commission européenne a sorti, il y a deux ans et quelque, un document qui s’appelle « Think Open » [6], qui donne une stratégie open source pour la Commission, essentiellement pour les côtés internes à la Commission, les usages du logiciel libre au sein de la DigiConnect, donc essentiellement de la DSI de la Commission, avec plein de principes, plein de choses intéressantes, pas de politique industrielle, mais intéressant.
Tout récemment, la Commission a publié une étude économique [7] qui montre tous les bénéfices que l’open source peut apporter à l’Europe, des gains de PIB, des gains en termes de création de startups et d’emplois et on pense que c’est aussi un élément à apporter au débat.
Et puis le député Philippe Latombe a sorti un rapport [8] au début de l’été et il est intervenu hier au B-Boost pour confirmer qu’il voyait le logiciel libre comme l’un des piliers de ce qui pourrait être fait sur le sujet de la souveraineté numérique. J’ai aussi lu dans son rapport qu’il y a plus d’une dizaine, peut-être une quinzaine de propositions, qui concernent directement le niveau européen.
Ma question : dans le cadre de cette présidence française de l’Union européenne et aussi dans le cadre des différentes régulations qui sont en cours de négociation à Bruxelles, que peux-tu nous dire concrètement sur les intentions de la France et, en gros, comment ça va passer pour le Libre les six mois de présidence européenne ?

Henri Verdier : Malheureusement, je ne peux faire qu’une réponse partielle. Après on peut creuser, on peut aussi s’organiser entre amis pour aller creuser un peu plus. Je suis au Quai d’Orsay, je m’occupe de relations internationales, donc je n’ai pas une vue sur l’ensemble des dossiers numériques de la présidence française. Par ailleurs, comme vous le savez, la Commission, fort heureusement, ne change pas tous les six mois, il y a des agendas européens qui sont portés par des commissions successives et puis la présidence peut, bien sûr, hâter les choses, en faciliter certaines, en ralentir d’autres et après elle fait un vrai travail de mise en cohérence et de mise sur agenda.
Un des gros leviers d’action de la présidence française ce sera le levier de grands sommets européens qui sont quand même importants. Par exemple nous allons réaliser une réunion début février – le calendrier n’est pas encore officiel – des ministres des Affaires étrangères et des ministres de l’Économie numérique pour parler de souveraineté numérique européenne, ça va durer deux jours. Ce que je peux vous assurer c’est qu’on va vraiment creuser, avec des témoignages, cette idée que l’existence et la pérennité des communs est une partie intégrante d’une stratégie de souveraineté. Typiquement d’ailleurs, la même semaine où on fera ça, je sais que le ministère de la Culture et la déléguée à la langue française montent aussi un colloque à Lille sur le traitement automatique du langage, l’intelligence artificielle et la culture. J’en profite pour le glisser là, c’est peut-être moins ce qui vous intéresse, qu’on va vraiment essayer de mettre profondément au cœur de l’agenda européen l’idée que si on n’éduque pas les IA dans toutes les langues de l’Europe on sera tous obligés, à la fin, de parler en anglais. Pour ça il faut des grands méta-modèles et il faut les financer. La même semaine aussi Amélie de Montchalin, à Strasbourg, fait un colloque plus des ministres de la Réforme de l’État pour parler de e-administration et là, pour le coup, je pense savoir qu’il y aura une large place accordée au logiciel libre dans l’État, l’open data, etc. C’est ce qui est dans mon radar, il y en a peut-être aussi d’autres. Je suis désolé de vous dire que moi aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, je ne peux pas vous donner une vision d’ensemble.
L’inconvénient de ça, ça peut aussi laisser des petits trous. Je me suis retrouvé parfois, rarement avec Stéfane, plus souvent avec certains amis de Stéfane dans des micros polémiques parce que donner une prime au Libre ce n’est pas forcément, pour autant, faire une politique industrielle, d’ailleurs une politique industrielle n’est pas forcément une politique de souveraineté. Parfois on se rejoint et parfois on peut laisser des trous dans la raquette.
Je n’ai pas trop envie de parler. Stéfane, peut-être as-tu envie de répondre sur ce que je viens de dire, quitte à ce que je reprenne encore après ?

Public - Stéfane Fermigier : Les informations que tu donnes viennent évidemment éclairer cet agenda dont on comprend qu’il doit se situer assez tôt dans le semestre compte-tenu du cycle électoral qui va bientôt commencer également. Évidemment nous sommes, et tu viens de l’évoquer, très attachés aussi à l’idée de la mise en place d’une politique industrielle, que ce soit en France ou au niveau européen, et ça s’insère tout naturellement dans le cadre du débat sur la souveraineté numérique puisqu’on estime que sans un tissu industriel à la fois de grandes entreprises du numérique mais aussi de PME, de TPE, de spécialistes, de communautés, etc., il ne peut pas y avoir de souveraineté numérique.

Henri Verdier : Bien sûr. Je me permets parce que j’ai l’impression qu’on est en comité restreint et on se connaît bien. Avec Etalab, l’open data, la Dinsic [Direction Interministérielle du Numérique et du Système d’Information et de Communication de l’État, devenue DINUM], j’ai creusé une dimension qui me semble essentielle, j’ai beaucoup travaillé avec le Libre en disant que nous-mêmes il faut que nous soyons aussi contributeurs et qu’on sache produire dans cette logique-là, ce qui veut dire pas seulement libérer des droits sur ce qu’on fait, mais bien documenter, partager nos codes sources d’une manière qui soit vraiment réutilisable, etc. Et puis je me suis un peu plus intéressé aux grands communs contributifs parce que j’avais à faire face à certains problèmes, je voulais me débarrasser de Google Maps, j’avais besoin d’OpenStreetMap [9], etc.
Mon vieux camarade de promo, Jean-Paul Smets, m’a souvent titillé, d’abord en privé et ensuite sur Twitter, en me disant « tu n’as pas fait de politique industrielle ! » En même temps j’étais le DSI de l’État, pas le ministère de l’Industrie. Pour moi il faut les deux et ça n’a rien d’incompatible. En revanche, ce ne sont pas forcément les mêmes administrations qui ont les équipes et les budgets pour faire les deux.
Peut-être, dans ce qui vous intéresse, avez-vous vu que Cédric O a confié une mission à Bruno Sportisse. L’avez-vous vu ou pas ? Je ne vous vois pas, quand je parle je ne vois pas s’il y a des approbations ou pas.

Jean-Christophe Elineau : Non.

Henri Verdier : Il a confié au directeur d’Inria une mission pour essayer de cartographier les briques libres qui sont absolument stratégiques pour l’industrie européenne. Très concrètement : est-ce qu’il nous faut un OS libre pour les téléphones portables, pour l’Internet des objets ? Dans leur tête ça devrait arriver à la définition d’une dizaine de briques. C’est très tactique pour le coup, ce sont des questions d’ingénieur, ce ne sont pas des questions de politique. Quand je vais chercher OpenStreetMap, je fais aussi de la politique, je mobilise les citoyens.
J’espère qu’on arrivera à faire converger la mission Sportisse et ses conclusions et le travail que j’ai ouvert qui était plus sur la ligne de front des communs.
Il y a cette mission-là qui vient d’être donnée par Cédric O, dont on peut espérer des résultats assez intéressants. Si elle termine en disant « l’indépendance de l’Europe exige les dix logiciels suivants libres », je pense que ça donnera peut-être un peu plus satisfaction à ce qu’évoque Stéfane.

Jean-Christophe Elineau : Il y a des questions dans la salle. Je n’ai même pas encore passé mon déroulé. On va tout de suite interagir avec les gens qui sont dans la salle. Je voudrais commencer par te passer Vincent Bergeot d’OpenStreetMap.

Henri Verdier : J’espère qu’il ne va pas démentir ce que je viens de dire !

Jean-Christophe Elineau : Il ne démentira pas, il est aussi connu Vincent.

Public – Vincent Bergeot : Bonjour. Je m’interrogeais vraiment par rapport à la question du plan de soutien aux communs qui a été évoquée tout à l’heure. Je me demandais quelle est la pensée pour le soutien aux communs par l’intention.
Aujourd’hui OpenStreetMap France, comme vous devez le savoir, n’est absolument pas une structure qui fait de la presta, qui n’a pas d’envie de salariés, vraiment dans quelque chose qui est plutôt de l’ordre du lobbying. Je me demande comment soutenir un projet comme OpenStreetMap quand on est à l’endroit où vous êtes ? Qu’est-ce qu’on peut soutenir ?, et là je parle d’OpenStreetMap spécifiquement, c’est celui que je connais le mieux. Comment envisagez-vous un soutien à ce commun ? Ça peut-être communication politique et ainsi de suite, mais après ?

Henri Verdier : J’essaye de ne pas me limiter à la communication politique.

Public – Vincent Bergeot : Je sais. C’est pour ça que je voulais des pistes plus précises.

Henri Verdier : D’abord c’est parti justement comme ça. Un, j’ai essayé d’introduire dans le logiciel des diplomates l’idée que la souveraineté ce n’est pas que tenter d’opposer des monopoles aux monopoles existants et que ça pouvait être aussi distribuer différemment le pouvoir avec moins de domination, je le dis dans un registre très politique. Une fois qu’ils ont compris le truc, que c’était une autre orientation stratégique, celle qui s’assure que personne ne contrôlera le marché, ils ont adoré, ça a commencé à bouger. Après je me suis dit qu’il fallait aller plus loin, qu’il faut joindre le geste à la parole.
Pour l’instant nous sommes dans une phase de mise sur agenda de ça. J’ai convaincu l’interministériel français, j’ai convaincu mes homologues dans quatre ou cinq pays d’Europe et je vois DigiConnect la semaine prochaine.
Justement, pour que ce ne soit pas que des mots, j’ai commencé par me dire que déjà si on avait un peu d’argent pour pouvoir aider de manière tactique quand les gens en ont besoin, ça serait peut-être bien, et on est assez grands pour comprendre qu’il ne faut pas que ce soit unilatéral et venant de l’État. J’ai commencé par dire qu’il faudrait faire une fondation cogérer avec les grands commoners, pour que les règles de décision de où on met l’argent soit collectives et soient transparentes. Attention, je ne vous promets rien, je vous explique ce qu’on essaye de faire. Peut-être que dans six mois on se rendra compte qu’on s’est heurtés au mur du réel.
À la limite, à l’heure où je vous parle, je pense que ce n’est pas forcément très difficile d’arriver à trouver une cagnotte européenne de 100 millions d’euros pour pouvoir intervenir aussi de là.
On peut parler deux secondes d’OpenStreetMap. Je pense que de temps en temps vous pourriez être contents d’avoir plus de serveurs et on peut trouver une manière qui ne soit pas dominatrice de donner un coup de main. Ou alors il faut être intelligent, on décide qu’il faut des serveurs relais au moins pour les usages en Europe, je n’en sais rien.
Ce qui intéressant c’est que quand j’ai commencé à discuter avec les écosystèmes, j’ai vu qu’il y a aussi tous les communs émergents en fait, tous les gens qui sont en train de bâtir quelque chose qui a vocation à devenir un commun. J’en fabrique un, j’essaye d’en fabriquer un, on verra si on y arrive et j’ai eu beaucoup de retours. Vous savez, quand on essaye vraiment de construire un commun, on se pose des questions incroyables : est-ce que si je prends le statut de fondation de droit européen je ne risque pas de faire perdre les exemptions fiscales aux entreprises françaises qui me donnent de l’argent ? Est-ce que je risque de perdre les grants américains ? Et à l’inverse, si je suis une fondation de droit américain, est-ce que je perds les subventions européennes ? J’ai vaguement l’impression, ça vient de conversations et on va continuer ces conversations, vous me direz si on se trompe, qu’il y a peut-être aussi la place pour une espèce d’incubateur des communs capable de donner de l’expertise technique, juridique et administrative. Au début on ne sait pas mieux que les autres, mais à force d’en aider un, puis deux, puis dix puis de voir les problèmes des uns et des autres ! Il me semble qu’avec Cap Digital [10] on avait fini par être utiles parce qu’il y avait une équipe de huit personnes qui passait sa vie à aider les startups. Au bout d’un moment son savoir de tout ce qui existait comme dispositifs d’aide était grand parce qu’elle avait vu les problèmes de milliers startups.
Je me demande s’il ne faut pas concevoir un truc qui soit à la fois un fonds de soutien et une espèce d’équipe dédiée à trouver, dans les administrations nationales et européennes, l’expertise technique dont on a besoin.
Et tout ça est encore assez ouvert, notamment ouvert aussi aux bonnes suggestions, on est très preneurs d’idées. Dès qu’on aura eu le feu vert officiel pour porter l’idée, je pense qu’on ouvrira une phase de consultations ouvertes. On va présenter le projet à l’Élysée dans 15 jours. Ils savent déjà, ils sont déjà favorables, mais j’attends le feu vert officiel pour le lancer.
Dites-moi tout de suite si vous pensez qu’on est en train de rater quelque chose ?

Public – Vincent Bergeot : Je ne prétendrais pas dire qu’on est en train de rater quelque chose. Je pense que ce sont des modèles qui sont justement complètement nouveaux dans les formats et je n’arrive pas à voir comment il peut y avoir des modalités classiques d’action, de soutien financier ou autre. J’entends les idées. Je pense aussi que les Local Chapter en Allemagne, en Croatie, en France et tout ça, c’est pareil, ce sont des structures non lucratives et ainsi de suite. Je ne suis pas sûr que ce soient les financements qui soient le meilleur endroit. En même temps, comment trouver aussi d’autres structures peut-être effectivement de professionnels travaillant sur ces communs, sans tomber non plus dans l’alimentation d’entreprises classiques libérales.

Henri Verdier : Ni le patronising ni le patronage en disant je suis l’État j’arrive avec mon chéquier, maintenant c’est moi qui vais organiser le truc.
Après j’ai une autre conviction, notamment, comme vous le savez, j’ai beaucoup travaillé avec OpenStreetMap. Je pense que quand quelque chose existe la puissance publique ne doit pas s’en mêler. Si ce qui existe demande de l’aide, il faut aider et nous, nous pouvons aussi intervenir là où on a l’impression qu’il y a un gros trou.
Du coup, si Jean-Christophe m’autorise je partage le projet dont on est assez fiers, quand même, dans l’équipe, qu’on essaye de porter qui s’appelle Open Terms Archive [11], je ne sais pas si ça vous dit quelque chose ou pas.

Jean-Christophe Elineau : Je t’en prie Henri, vas-y.

Henri Verdier : Est-ce que, dans la salle, quelqu’un a déjà entendu parler d’Open Terms Archive ?

Jean-Christophe Elineau : Un sur 15.

Henri Verdier : Si ça marche je serai vraiment fier du truc, là aussi c’est le démarrage. On est tombé là-dessus parce qu’on s’est rendu compte que quand les GAFAM nous promettent quelque chose, on ne sait pas s’ils le font ou pas, et, en particulier, je vous donne un exemple. On travaillait sur les questions de désinformation, de manipulation de campagne électorale. Je ne sais pas si vous savez, en décembre 2018 les boîtes de tech avaient signé avec l’Europe un code of conduct de l’élection européenne et elles avaient promis de faire la transparence sur les publicités politiques, elles l’ont faite mais que deux mois après les élections et nous avons pris la main dans le sac Facebook qui a, sous nos yeux, effacé un tiers de la base de données de publicités politiques, qui n’a jamais accepté de nous expliquer pourquoi il avait effacé ce tiers-là. On a aussi pris la main dans le sac Google qui avait promis qu’il empêcherait, dans l’App Store, les applications qui faisaient semblant d’être un État quand elles n’étaient pas un État et ils n’ont changé leurs CGU que six mois après les élections.
On s’est rendu compte qu’on ne savait pas suivre ça et que l’endroit où, finalement, on pouvait voir s’ils mettaient en œuvre ce qu’ils avaient promis c’étaient les conditions générales d’utilisation. Après on s’est rendu que les conditions générales d’utilisation c’est vraiment la merde puisque chacun d’entre nous, même vous qui êtes des libristes qui, sans doute, êtes un peu plus à l’aise que d’autres à consumer Internet, mais à un internaute normal il faudrait un an, vraiment un an, pour lire vraiment les conditions générales d’utilisation qu’on a à accepter. Et même si vous les lisez, après il n’en demeure pas moins qu’elles changent tous les quinze jours sans que ces changements vous soient notifiés.
Donc c’est déjà un problème et c’est même un problème de respect du consommateur et du citoyen, mais c’est aussi un problème pour le législateur parce qu’il y a un jeu d’interactions très subtil entre le droit et le contrat. Pour une fois je vais taquiner une boîte française. Quand on fait la loi sur l’open data en transport, la loi Macron quand il était ministre, qui oblige tous les opérateurs de transport, même privés, à publier leurs données de transport, BlaBlaCar change un peu son intitulé et il dit : « Moi je ne suis pas un acteur de transport, je suis un acteur de la mise en relation des gens, donc je ne suis pas obligé de faire de l’open data en transport ». C’est un cas presque rigolo, mais vous voyez comment ça peut être grave si vous prenez une législation et que les gens y échappent juste en changeant les terms of services.
Et puis le régulateur, la DGCCRF [Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes], la CNIL, l’Arcep, le CSA n’ont pas d’outils pour savoir si nos décisions ont vraiment été mises en œuvre, quand et à quelle heure, etc. J’ai envie de dire que ce sont des problèmes pour les Européens. Dans le reste du monde, à mon avis, il y a un truc encore plus grave, c’est que le cadre juridique global, la common law si je puis me permettre, est définie, en fait, par les terms of services des boîtes. Si vous allez en Afrique, le droit de la vie privée, le droit de la modération de contenus, le droit de la sécurité financière, sont, en vrai, inventés dans les conditions générales d’utilisation des boîtes et d’une manière qui n’est pas contrôlable puisqu’il y a milliers de conditions générales d’utilisation qui changent tout le temps et qui sont, chacune, plus longue qu’un roman.
Face à ça, avec ma petite équipe, mais il y avait un certain Matti Schneider que certains d’entre vous connaissent peut-être, on a eu l’idée d’essayer de fabriquer la base de données. La cible c’est la base de données de toutes les conditions générales d’utilisation du monde, pour toutes les boîtes du monde, dans toutes les langues du monde et sous toutes les juridictions et de la faire le plus proprement possible pour que chacun puisse s’en servir pour analyser ce qu’il veut, bâtir du service dessus, etc. On a commencé humblement avec deux développeurs. Dès le début on a tout mis en licence libre sur GitHub. On a pensé à dire « si tu veux tu prends les données brutes via une API, machin ». On s’est organisé pour recevoir des pull-requests et on a fait un vrai travail pour essayer de faire grossir la communauté, assez facilement finalement. Il y a d’abord les gens qui faisaient TOSback aux pays-Bas, qui ont trouvé que nos choix techniques étaient assez intéressants, ils ont commencé à poser leurs archives chez nous et on travaille ensemble. Il y a il y a le Global DigitForm Index, qui est britannique, qui avait besoin de pouvoir recuillir toutes les conditions mais seulement les content policies, les règles de régulation des contenus. Ils nous ont amené tout ce qu’ils avaient recueilli. Ensuite Audrey Tang, à Taïwan, a traduit en chinois. On continue à essayer de faire grossir la pelote. Là, au bout d’un an, avec toujours que deux développeurs, on a à peu près 800 contrats venant de 500 boîtes. Quand on a les contrats, puisque sinon ce serait facile s’il fallait juste aspirer une fois, on fait un pool ou on scrap, ça dépend, toutes les heures et on archive tout l’historique. À la demande de gens de la communauté Legal Tech, on s’est même organisés pour pouvoir fabriquer une date certaine opposable en justice pour qu’éventuellement des gens puissent dire « quand j’ai signé les CGU, il y a trois ans, elles ne disaient pas ça. Voilà ce que j’ai accepté vraiment ».
Je vous en parle parce que notre cible est très claire : dès qu’on est une communauté assez grosse, que ce ne soit plus l’État le seul porteur et que ça devienne un commun authentique gouverné par sa communauté de contributeurs ; on le dit aux gens et on le prouve par notre attitude, on le prouvera surtout quand on le fera en vrai. Ça me permet de montrer aussi que parfois le détour par les communs peut être un peu tactique et peut servir à faire des politiques publiques d’une manière très nouvelle. Finalement, face à ce problème de l’inflation des conditions générales d’utilisation, on aurait pu prétendre faire un règlement européen pour dire que les CGU ne doivent pas faire plus de trois pages. On aurait pu coller des centaines d’agents à la DGCCRF pour tout relire tous les jours et engueuler les boîtes quand elles font des CGU illégales. Mais faire un outil et le faire ensemble c’est une approche que je trouve plus intéressante et plus moderne.
En tout cas j’avais envie de vous raconter cette histoire-là et dire que, bien sûr, on est hyper-preneurs d’appuis, de soutiens, de contributions ou de réutilisations.

Jean-Christophe Elineau : Si on peut t’aider de quelque manière en Nouvelle-Aquitaine, on le fera, Henri.

Henri Verdier : Il y a un truc, en particulier, qui commence à devenir sympa, on commence à avoir plusieurs propositions de faire des « contributhons » un peu thématiques. Quand on le travaille bien, ça peut être intéressant. Vous savez tous, j’espère, qu’Alexis Kauffmann a été recruté à la DNE [Direction du numérique pour l’éducation], je ne sais pas s’il est dans la salle. On s’est dit que ça serait intéressant de prendre quelques lycées, de faire prendre conscience à la communauté éducative de tous les logiciels qu’ils utilisent et de toutes les CGU qu’ils ont acceptés et de faire ensemble un « contributhon » pour charger toutes les données qu’utilise un lycée. On pourrait faire ça avec les collectivités locales.
Après, en vrai, j’ai aussi besoin de contributeurs tech qui disent « je prends un bout et je développe une fonctionnalité qui manque », mais je n’ose pas demander ça comme ça. Un petit hackathon de contribution ce ne serait pas dur à organiser !

Jean-Christophe Elineau : À ta disposition pour échanger sur ces sujets, pour voir comment on peut aider en région.
Il y a d’autres questions dans la salle ? Il y a d’autres personnes qui veulent interagir avec toi. Je te laisse te présenter.

Public - Pierre : Bonjour. Merci Jean-Christophe. Je m’appelle Pierre. Je contribue à la société DATA PLAYERS. On fait de l’interopérabilité des données avec Solid, ActivityPub.
Je regrette que vous ne soyez pas là parce que j’aimerais bien boire une bière, j’ai à peu près 50 000 questions qui me sont venues. La première. On parle beaucoup de communs, communs numériques, je me demandais quelles seraient les caractéristiques pour vous d’un commun ? Vous avez commencé à y répondre en parlant d’une gouvernance un peu autogérée, mais quelles seraient les caractéristiques ? J’ai entendu aussi logiciel libre, open source. C’est ma première question.
La seconde c’est quelle histoire on raconte ? J’entends beaucoup qu’on fait des choses, on va soutenir les communs, mais derrière, en fait, quel est le projet à dix ans ? Quel est le projet politique ? Dans quelle histoire va-t-on ? Quelle est l’histoire qu’on raconte ?
J’ai trois questions, j’en rajouterais peut-être après. La troisième. Il y a aussi des communs de type hardware, il y a des dépendances un peu partout parce qu’il y a des serveurs. Un des trucs qui m’intéresse ce sont les câbles qui passent en Amérique, qui passent en Afrique et eux, je crois qu’ils ne sont pas hyper-communs. Est-ce que ça a votre attention ou pas ?

Henri Verdier : Sur la première question je vais répondre assez facilement. Je connais les différences entre Libre, open source, communs, open hardware. Dans certains contextes d’action elles sont importantes, mais parfois, certainement pas vous ici ce soir, il y a aussi des gens qui passent trop temps à écrire le bon catéchisme pour être sûrs qu’on ne se trompe pas et qui oublient les logiques d’action.
Par exemple, pour moi, il y a quand même une famille, tout ça c’est quand même la même famille et, suivant les cas, j’ai fait des logiciels libres, de l’open source, ou je n’ai pas osé en faire parce que dans certaines de mes boîtes je me disais c’est trop dur d’inventer un bon logiciel et puis d’inventer un nouveau business modèle fondé sur le service. J’ai créé trois entreprises dans ma vie, je n’étais pas toujours dans l’open source !
Il y a plein de définitions qui décrivent chacune un fragment du réel, mais il faut savoir si on a besoin de les employer ou pas.
J’appelle commun un machin qui peut être du soft ou du hard, c’est vrai, contributif et gouverné par la communauté des contributeurs. C’est somme toute assez simple, c’est quand la gouvernance est faite par les contributeurs. On peut aussi faire des logiciels libres très fermés. Il est libre, mais je n’accepte aucun pull-request, je ne fais jamais de commit. Ça peut arriver. Certains logiciels libres ne sont pas des communs. Il faudrait d’ailleurs voir s’il y a des communs qui ne sont pas libres, je n’en sais rien.
Comme j’ai dit à Stéfane tout à l’heure, je pense qu’il faut faire feu de tout bois, il faut plusieurs stratégies en parallèle. Moi je serais content qu’il existât aussi en Europe un OS souverain pour le téléphone portable. Dans les endroits où j’ai été, je me suis plus souvent retrouvé avec OpenStreetMap ou Open Food Facts [12]. Vous vous rappelez peut-être quand on a cré OpenFisca [13] ; c’étaient plus des trucs avec des milliers de contributeurs, millions pour Open Fisca.
La cible, à la fin, peut aller très loin. D’une part l’Europe est le continent où nous sommes presque les derniers à défendre les valeurs fondatrices d’Internet : un système décentralisé, ouvert, libre. Au fond, les Russes et les Chinois veulent la peau de ça depuis le début. Les Américains ont abandonné la bataille, ont confié les trucs à la Silicon Valley et la Silicon Valley s’en fout un peu en fait.
Ça me permet de répondre à la question sur le câble. Oui, le cœur public d’Internet était en fait un commun, quand c’était nécessaire on rajoutait un câble, etc. Oui, on sent une sorte de tension qui n’est pas hostile à ce commun, mais les boîtes, pour se sécuriser, notamment en matière de cybersécurité, ont tendance à dire « j’aurai mon propre câble, je le paierai moi-même, j’aurai mon datacenter et j’aurai mes routeurs ». Il y a un risque que plus personne ne se soucie de financer la partie commune d’Internet. En plus, puisqu’il a été question de câbles, oui, la question des câbles, pour le coup, rappelle de bons souvenirs de géopolitique à l’ancienne à beaucoup de gens. Il y a, en ce moment, des questions qui ne sont pas portées chez nous, pas portées chez les gens du numérique, en fait, pour savoir si je peux envoyer un message en Nouvelle-Zélande sans passer par la Chine. Il y a, en ce moment, de grandes manœuvres pour réfléchir à des systèmes de câbles un peu indépendants les uns des autres qui ne sont pas tellement confiées aux gens du numérique.
Je reviens à mon histoire de communs puisque la question numéro 2 c’était la cible. Je disais un, l’Europe est probablement et devrait être de manière très assertive le continent qui est le plus proche des valeurs initiales d’Internet. Et deux, précisément en creusant un peu cette frontière-là des communs, j’espère pouvoir porter un contre-témoignage. Une des choses qui nous préoccupent le plus c’est que, honnêtement, les Chinois et les Américains ont décidé que c’était la nouvelle guerre froide. Ils ont décidé, vous le savez aussi bien que moi, de désimbriquer totalement leurs stacks technologiques. Ils commencent, j’y ai fait allusion tout à l’heure, à s’affronter notamment à l’Union internationale des télécommunications y compris sur la norme TCP-IP, donc c’est grave, ce sont des choses profondes. La plupart des analystes disent « non, les Chinois n’arriveront pas à convaincre l’Occident de changer le protocole » et je pense que c’est vrai, mais qu’est-ce qui se passe s’ils disent « ce n’est pas grave nous nous en prenons un autre, nous en Chine » ? Ça fait peur parce que si on fait ça, on a après un monde qui est dans une très grande instabilité stratégique puisqu’on peut débrancher l’infrastructure de l’autre sans péter la sienne. C’est très tentant de passer ensuite... C’est un contexte très favorable à l’escalade.
Dans ce monde-là, si l’Europe dit « vous savez, la souveraineté ce n’est pas forcément sur le dos de quelqu’un, ce n’est pas forcément en dominant l’autre. Si on cherche seulement l’autonomie stratégique, si on cherche à rester libres, on peut faire un monde où plus je suis libre, plus les Allemands sont libres, plus les Européens sont libres, plus les Africains sont libres. Donc chaque fois qu’on a mis en circulation un outil émancipateur, contributif, en fait ce sont des degrés de liberté pour tout le monde sauf, peut-être, pour monsieur Zuckerberg, mais ce n’est pas grave. »
C’est un peu ma deuxième idée c’est que nous soyons le continent qui porte l’idée d’une souveraineté non rivale et coopérative. À travers un exemple qui dit regardez, quand on a décidé de tous s’organiser pour utiliser OpenStreetMap, pour contribuer à OpenStreetMap, et s’assurer qu’il y ait quand même assez d’argent pour payer tous les serveurs qu’il faut pour qu’on ne fasse pas tout péter quand on se met tous à tirer dessus, ou alors un système distribué où il y a des serveurs relais, si on arrive à montrer ça, ça a une valeur d’exemple pour bien d’autres sujets.
Mon troisième rêve, et là c’est va peut-être plaisir à Stéfane, je ne sais pas, c’est que en particulier, les 27 pays d’Europe essayent que les stacks technologiques des États soient entièrement libres, parce qu’on est un peu cons quand même, on achète 27 fois la même chose, et du coup portent ça. Exporter le Libre ce n’est pas dur.
Vous savez peut-être qu’une de mes grandes fiertés c’est FranceConnect [14] qu’on a fait quand j’étais à la Dinsic. Maintenant il y a 30 millions de Français qui se servent de FranceConnect, il y a une petite équipe d’anciens d’Etalab. FranceConnect a été vendu au Vietnam et maintenant il y a VietnamConnect qui est une transposition au Vietnam du code source de FranceConnect. Ils ont pu le faire à trois parce qu’ils ont pris un socle libre qui existait déjà.
Du coup d’ailleurs, pardon je suis un peu brouillon, on a même exporté du RGPD [15] sans le dire, puisque quand on exporte FranceConnect on exporte les sécurités que la CNIL avait exigées pour FranceConnect by design. Donc aujourd’hui dans VietnamConnect, comme dans FranceConnect, les citoyens vietnamiens peuvent effacer leurs traces s’ils veulent, comme ils ont copié-collé, les sécurités sont là aussi.
Mon rêve ultime c’est qu’en particulier on décide d’asseoir les 27 États d’Europe sur un socle complètement libre et qu’on le partage largement. Si je dis sans arrêt l’Afrique c’est parce que, vous le savez comme moi, c’est à la fois le continent qui, pour l’instant, a le moins accès à Internet, c’est moins de 50 % de la population, et c’est le continent où un certain nombre de puissances dont la Chine, dont Facebook et d’autres aussi, Elon Musk, etc., sont en train de lui dire « si tu veux je te déploie Internet ». En fait elles déploient un faux Internet qui est fermé, qui est propriétaire, qui est centralisé. Si nous n’arrivons pas convaincre l’Afrique d’asseoir le développement du continent sur des solutions ouvertes, elle va rentrer tout de suite dans un Internet de domination et d’exploitation.
Du point de vue de la diplomatie voilà un peu notre roadmap et voilà ce qu’on essaye de faire, Encore une fois, j’en parle ici parce que je me sens en famille, mais je ne promets rien. C’est notre combat. On va essayer de le faire. Il y a beaucoup d’alliés, beaucoup plus qu’on ne croit, mais ce que je vous raconte là est quand même un long chemin .

Jean-Christophe Elineau : Merci Henri. On a une autre question. Je vous laisse vous présenter.

Public - Gratien Désormeaux : Enchanté. Je suis Gratien Désormeaux, je travaille dans une startup parisienne qui fait du chatbot, ça n’a pas grand-chose à voir avec la question que je vais vous poser.
J’aimerais rebondir un peu sur ce que vous venez de nous raconter et ce que vous avez dit au début vis-à-vis de la dimension où il y a certaines personnes qui, derrière le terme souveraineté, entendent immédiatement protectionnisme. En fait pourquoi derrière ? Je me pose franchement la question, pourquoi un peu de protectionnisme en matière numérique serait forcément mauvais ? Si on prend l’exemple de communs qui seraient suffisamment aboutis, prenons l’exemple d’OpenStreetMap dont on a beaucoup parlé, à quel moment pourrait-on estimer qu’OpenStreetMap est un commun suffisamment bon pour se permettre de se dispenser d’autres services fournis par des entreprises tierces étrangères ?

Henri Verdier : Déjà ça ne rentre pas là-dedans. OpenStreetMap est anglais, donc il partirait après le Brexit, donc les Européens ne pourraient pas s’en servir ; ce serait dommage !

Public : Si je prends l’exemple de Facebook, il y a tout un tas de personnes qui se disent qu’aujourd’hui l’apport global de Facebook est plutôt néfaste et, finalement, qu’on subit plus Facebook qu’on en tire des avantages au niveau sociétal. C’est quelque chose qui est sujet à beaucoup de discussions. En fait à quel moment pourrait-on se permettre de mettre des barrières un peu franches, un peu radicales, pour se dire ce que nous apporte telle société, ce qui nous vient de tel pays... ?

Henri Verdier : Ce n’est pas la même chose que le protectionnisme. Par exemple aujourd’hui, dans nos infrastructures 5G, il y a très peu de Huawei et pas, d’ailleurs, parce qu’on a dit que la Chine c’est méchant, ni même Huawei c’est méchant, parce qu’on a audité tout le matériel et dès qu’on considérait qu’il y avait une faille de sécurité, on ne prenait pas, mais ce n’est pas du protectionnisme, c’est de la cybersécurité.
Je continue, je vous ai coupé un peu la parole, mais je veux bien qu’on continue l’échange.
Vous m’envoyez sur un sujet dangereux, je ne sais pas si Jean-Paul Smets est là, mais il va m’engueuler si je dis le fond de ma pensée.

Jean-Christophe Elineau : Il était là ce matin.

Henri Verdier : Jean-Paul, si tu nous écoutes !
Plusieurs choses. Bien sûr qu’on a le droit, peut-être même le devoir, on a le devoir de veiller à avoir des entreprises prospères, exportatrices, contributives à l’innovation mondiale, etc. Oui, c’est vrai, et il faut le faire intelligemment.
J’ai quand même dirigé pendant six ans, présidé Cap Digital dans une politique publique qui était une politique industrielle. Elle me plaisait parce qu’elle était bottom-up, ce n’était pas l’État qui, d’en haut, décidait ce qu’il fallait faire. C’est l’État qui donnait des sous quand un écosystème venait lui proposer une stratégie. Bien sûr qu’il faut le faire. Mon problème n’est pas sur le fond, il est sur la méthode. Et, sur la méthode, je vais quand même faire deux remarques qui, peut-être, fâchent. C’est une conviction personnelle, si quelqu’un n’est pas d’accord avec moi, je peux rester un peu plus qu’après 16 heures, si vous pouvez vous répondez et on échange.
Je crois que la France a été un très grand pays d’informatique jusque dans les années 2000 avec Bull, avec Thomson, Thales. Louis Pouzin [16] a inventé le routage par paquets qui a donné TCP-IP. On a inventé l’ADSL, le triple play, on était quelque chose ! On a raté la révolution numérique, celle de la Silicon Valley, celle du Web, parce qu’au fond notre culture d’innovation ouverte, décentralisée, tirée par les usages, ce n’était pas notre genre de beauté, mais on l’a aussi ratée parce que face à ça, quand on a commencé à perdre la main, les grandes entreprises françaises sont allées voir l’État et lui ont dit « protégez-moi ». En gros, si je devais dire en un slogan « aider l’industrie française dans la compétition internationale c’est l’aider à gagner dans la compétition internationale, ce n’est pas l’aider en la protégeant de la compétition internationale ». Ça peut demander de l’argent, je ne dis pas du tout le contraire, mais je dis aussi que s’il y a de l’argent il doit être exigeant, il doit dire « je vais vous aider, mais vous, vous devez devenir un leader mondial » ; ce n’est pas « je vous mets sous cloche et je fais des petites sécurités ». Je suis d’accord que parfois, dans une trajectoire de soutien, une protection provisoire peut être utile. Après tout les Chinois ont fait leur Internet comme ça, ils ont laissé un peu entrer les GAFA puis ils ont dégradé le service et ils ont protégé artificiellement Tencent, Alibaba et les autres. Il faut quand même être clair qu’à la fin le but c’est que les boîtes aient le niveau mondial, soient de rang mondial. Donc l’argument consistant à dire « il faut m’aider parce que je suis Français » n’est pas suffisant. Il se trouve qu’il y a 20 ans on avait un peu baissé la garde là-dessus, on a aidé trop de solutions juste parce qu’elles étaient françaises et, à un moment, on a un peu décroché de la compétition internationale et, en plus, je trouve qu’on était en train de revenir et je réentends trop souvent des gens qui nous disent « il faut m’aider parce que je suis Français ». Je dis « non, il faudrait me convaincre que vous avez une chance réelle de devenir un champion du monde ». Par ailleurs rassurez-vous ce n’est pas moi qui distribue les sous. Je ne fais pas de politique industrielle, je fais de la diplomatie.
Je me permets de glisser une deuxième remarque. Cette idée que la sécurité totale et l’autonomie c’était l’intégration verticale d’une échelle industrielle complète, entièrement française, au fond elle nous vient des militaires. Quand on fait le Rafale, s’il y a un boulon du Rafale qui est fabriqué en Chine, la Chine peut bloquer la chaîne de production en coupant l’approvisionnement en boulons. Rien ne nous dit que c’est pareil dans les métiers grand public, consumers.
Il y a une deuxième chose qui a changé. Quand on a inventé le Rafale, on était dans un monde où, en fait, le B to B était toujours meilleur que le B to C. Si je vous disais « ça c’est le système de radio du Rafale », vous saviez que ça voulait dire qu’il était meilleur que le système de radio grand public.
Je pense qu’un des trucs que la révolution numérique a bouleversé c’est que maintenant il y a un certain nombre d’industries où le B to C a atteint des performances qui sont meilleures que le B to B pour toujours. À Shenzhen il y a des usines qui fabriquent un milliard de pièces par an, elles ont atteint des optimums de performance, de contrôle qualité et de prix incroyables. Il faut se rendre compte que ce n’est pas parce qu’on met le paquet tout seul en France avec le Corps des mines qu’on fera mieux que ces trucs-là.
Et enfin, et je vais terminer parce que je ne veux vraiment pas donner des leçons, je veux bien qu’on discute, moi aussi je cherche, je veux que quelqu’un me réponde. Si j’ai raison, ça veut dire que souvent l’interopérabilité c’est au moins aussi important que la nationalité du fournisseur.
Les théories des économistes vous disent qu’il y a trois manières d’être autonome : la première c’est si vous faites tout vous-même ; la deuxième s’il y a un vrai marché libre et concurrentiel avec assez d’offre et de demande pour atteindre un optimum de prix et j’ajoute la troisième : ce sont les communs où il n’y a aucun patron parce qu’on ne peut pas vous exproprier.
Parfois, la stratégie d’interopérabilité, de portabilité, vous donne aussi l’autonomie stratégique. Par exemple, là je vais peut-être me faire encore plus d’ennemis, GAIA-X [17] a été fait pour dire on veut que les solutions de cloud qui sont utilisées en Europe soient suffisamment interopérables pour que le client puisse changer de fournisseur facilement et aussi pour que des boîtes puissent se regrouper pour répondre ensemble à un appel d’offres. Vu de loin, ce n’est pas porté par moi, ça m’a l’air d’être une belle politique. J’ai vu, de loin aussi, j’ai peut-être raté quelque chose, Stéfane va m’expliquer que j’ai raté quelque chose, j’ai vu les sarcasmes sur Twitter quand Microsoft a dit « je rejoins GAIA-X » et les gens dire « c’était bien la peine de faire un truc souverain si c’est pour que Microsoft en profite ! » Mais pour moi, le fait que Microsoft, si c’est vrai, il faut aller vérifier dans le détail, accepte les règles de portabilité et d’interopérabilité qu’on veut en Europe sur ça, c’est plutôt une victoire de la souveraineté européenne. Ça veut dire qu’on ne laisse personne nous installer des solutions qui enferment et bloquantes.
Là j’ai conscience que j’ai dit des choses qui peut-être ne plaisent pas à tout le monde, mais discutons. Je voulais vous dire ça. En tout cas c’est le fond de ma pensée.

Jean-Christophe Elineau : Effectivement, la présence de Jean-Paul dans la salle aurait été intéressante, mais je crois qu’il est reparti sur Paris.
Stéfane tu veux réagir ? Oh là !, tu as fait lever Stéfane très vite de son siège.

Stéfane Fermigier : Excuse-moi Henri, moi aussi j’ai un train à prendre dans quelques minutes.

Henri Verdier : Donc je vais gagner par forfait.

Stéfane Fermigier : On n’est pas les seuls à avoir réagi sur GAIA-X. Un article qui est paru dans une revue allemande dont le nom m’échappe, je ne sais plus, l’équivalent de ZDNet allemand ou quelque chose comme ça, qui est passé il y a quelques mois, que j’ai d’ailleurs cité, ce n’est pas ça que tu as vu. On n’est pas les seuls, les Allemands aussi. En tout cas il y a un certain nombre de PME allemandes qui font partie de GAIA-X et je pense qu’il y a pas mal de PME, que ce soit en France, en Allemagne ou ailleurs, qui se sont senties obligées ou qui ont voulu payer pour voir et qui voient une grosse machine bureaucratique. Elles ne se reconnaissent pas dans le mode de fonctionnement de GAIA-X qui est très opaque, très cloisonné, etc. Une citation qui était dans cet article, qui est rigolote mais qui est vraie, c’est « la seule chose qui est européenne dans GAIA-X ce sont les clients ». Effectivement, avoir un terrain où on met des règles d’interopérabilité, c’est un domaine sur lequel nos associations se battent depuis 20 ans, c’est un sujet, mais on a aussi monté en parallèle, et tu dois le savoir, l’association ou la fédération Euclidia. Euclidia [18] est un complémentaire de GAIA-X, ce n’est pas l’anti-GAIA-X comme ça a pu être écrit, c’est clairement complémentaire et là il s’agit vraiment de faire la promotion des technologies européennes de cloud.

Henri Verdier : Stéfane, tu me permets de faire un deux doigts, comme ils disent entre diplomates, une très courte interruption.
Si ce que tu dis est vrai, d’abord ça ne change rien à ce que je disais, je suis malheureusement prêt à croire que tu as raison. Je vous ai dit aussi que tout dépend de l’exécution, de voir si ce qui est annoncé est vrai. Quand j’ai travaillé à la Dinsic avec Pierre Pezziardi on disait quasiment tous les jours que le vrai problème de l’État c’est la tragédie de l’exécution. L’intention est claire, est bonne, et après c’est mis en œuvre de manière pourrie, qui plante l’intention initiale. Je ne suis pas allé vérifier parce que ce ne sont pas du tout des politiques dont je m’occupe., mais je suis prêt à le croire. Ça n’empêche que dire qu’une stratégie de souveraineté doit passer par une stratégie de l’interopérabilité et de portabilité reste vrai.

Stéfane Fermigier : Là-dessus, encore une fois, on est d’accord et ça fait 20 ans qu’on se bat sur ce sujet, mais on pense aussi qu’il faut avoir comme objectif final de faire la promotion d’un écosystème industriel européen parce que si, à un moment, tous les acteurs, tous les industriels sont étrangers et que nous essayons d’imposer nos règles, eh bien on n’a plus de leviers pour le faire.

Henri Verdier : Je suis d’accord, pardon parce que je vais peut-être froisser les uns et les autres. Je suis entièrement d’accord, mais vous les voyez, vous ? Moi je vois les gens qui croient qu’on peut réussir sa boîte en recrutant cinq énarques pour aller faire du lobbying dans les cabinets ministériels et c’est ce que j’essaye d’infléchir quand je dis ce que je viens de dire. Il faut quand même être excellent et avoir des clients et après l’État aura le devoir de vous aider.

Jean-Christophe Elineau : On aura l’occasion de se revoir bientôt, j’espère en présentiel, et d’échanger sur tous ces sujets.

Henri Verdier : À bientôt alors.

Jean-Christophe Elineau : Merci beaucoup Henri. À très bientôt. Au revoir.

Henri Verdier : Au revoir.

[Applaudissements]