Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous et bienvenue dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Les politiques logiciels libres de Grenoble et de Lyon, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme le label Territoire Numérique Libre et, en fin d’émission, l’interview de deux étudiants du master I2L, pour Ingénierie du logiciel libre.
Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargée de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter.
Nous sommes mardi 2 décembre.
Nous diffusons en direct sur radio Cause Commune, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Nous saluons également toutes les personnes qui nous écoutent sur la webradio radio Cigaloun et sur les radios FM Radios Libres en Périgord et Radio Quetsch.
À la réalisation de l’émission, Julie Chaumard. Salut Julie.
Julie Chaumard : Bonjour et bonne émission.
Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Label Territoire Numérique Libre : changement de format et résultats de l’édition 2025
Étienne Gonnu : Pour notre premier sujet, nous allons parler du label Territoire Numérique Libre, un label qui va bientôt fêter ses dix bougies, initié et organisé par l’association ADULLACT et dont l’April est membre du jury. Pour cela, j’ai le plaisir de recevoir à distance Camille Tillatte, responsable marketing et communication pour l’ADULLACT.
Bonjour Camille.
Camille Tillatte : Bonjour Étienne. Bonjour à tous et à toutes.
Étienne Gonnu : Pour commencer, pourrais-tu nous rappeler l’objectif de ce label, le présenter et peut-être en profiter pour rappeler également ce qu’est l’ADULLACT ?
Camille Tillatte : Oui, bien sûr.
Je vais peut-être commencer avec l’ADULLACT. C’est une association de développeurs et utilisateurs de logiciels libres qui œuvre en faveur des administrations et des collectivités territoriales.
Pour faire un bref rappel historique, l’ADULLACT, lors d’un conseil d’administration, en 2014, a eu l’idée de créer un label pour les collectivités. Le projet a mûri et c’est ensuite en 2016 qu’il y a eu la première édition du label Territoire Numérique Libre, qui a été créé, comme Étienne le disait, notamment avec l’April et d’autres structures reconnues dans le milieu du logiciel libre : on a également l’association Déclic, la commune de Saint-Martin d’Uriage, l’organisation OW2 ou encore le Conseil national du logiciel libre [Union des entreprises du logiciel libre]. C’est avec toutes ces personnes que le label a pu voir le jour en 2016, dans le simple but de mettre en avant les initiatives mises en place au sein des collectivités quant à l’utilisation de logiciels libres. Voilà en quelques mots.
Étienne Gonnu : Parfait, c’est très clair. Ça m’évoque l’image que prenait souvent Pascal Kuczynski, l’ancien délégué général de l’ADULLACT. Il me semble qu’il décrivait le label comme celui des Villes et Villages Fleuris, mais avec des arobases pour mettre en valeur les communes, les territoires numériquement libres. Il me semble que c’est une image un peu parlante.
Camille Tillatte : Tout à fait. C’est bien l’exemple qu’il reprenait à chaque fois. Ça permet d’imager ce qu’est le label Territoire Numérique Libre. C’est vraiment un label ouvert à toute collectivité territoriale française, gratuitement bien entendu.
Étienne Gonnu : Ça m’évoque une question : quel est l’intérêt pour les collectivités ? Pour le label Villes et Villages Fleuris, on imagine que les collectivités ont envie de mettre en avant le fait qu’elles soient jolies, qu’elles aient de jolies fleurs. Qu’est-ce qu’il en est du numérique libre ? Je sais qu’on a souvent eu des retours. En tant que responsable communication de l’ADULLACT, quels retours as-tu de l’intérêt des collectivités à participer à ce label ?
Camille Tillatte : Le label est vraiment un outil de communication très efficace au sein des collectivités. Il a été mis en place pour mettre un peu en lumière, si je puis dire, les initiatives libres des collectivités, surtout pour les promouvoir auprès de leurs élus, mais également de leurs citoyens et des autres collectivités. C’est le point qui est vraiment très important, parce que, dans le milieu du logiciel libre, la mutualisation des ressources, des moyens, est très importante et c’est un fait que le label Territoire Numérique Libre permet. On peut se dire « telle collectivité utilise tel logiciel libre pour ses besoins métiers, nous sommes une collectivité de même taille, de même capacité, nous pourrions aussi, pourquoi pas, l’utiliser. » Ça permet vraiment d’apporter une mutualisation des ressources, un bon usage de l’argent public, et de mettre en valeur toutes les autres initiatives qui sont mises en place sur les territoires.
Étienne Gonnu : Parfait. J’en profite pour préciser qu’on n’a pas besoin d’être déjà une collectivité extrêmement avancée dans ce processus, l’important c’est de l’engager et chaque « petite initiative », je mets « petite » entre guillemets, est très bonne et mérite d’être valorisée. C’est notamment à cela que sert ce label, ce n’est pas que pour les collectivités extrêmement avancées dans leur démarche, mais dès que la démarche est initiée, ce label est pertinent pour les raisons que tu as très clairement rappelées.
Les résultats de l’édition 2025 du label ont été rendus publics la semaine dernière, mais avant d’en parler plus en détail, il serait peut-être intéressant de noter que cette édition a apporté beaucoup de nouveautés. Je vais citer le communiqué de l’ADULLACT, « on peut même dire que le label a fait peau neuve ». Qu’est-ce que tu peux nous en dire ?
Camille Tillatte : C’est vrai que 2025 a été un tournant dans l’avancée du label Territoire Numérique Libre. Comme tu le disais Étienne, toutes les collectivités ont toujours été invitées à participer au label, mais cette année on a mis en place une nouvelle récompense qui s’appelle « le badge Territoire Numérique Libre », qui permet vraiment aux collectivités de plus petite taille ou qui ont fait un tout petit pas dans le monde du Libre de participer. On remplit un formulaire très simple, très rapide à remplir, qui permet déjà de montrer un engagement vers le logiciel libre. C’était la grosse nouveauté de l’année.
Il y a également eu des modifications dans l’attribution des labels. On a remplacé les niveaux copylefts qui allaient de 1 à 5 par des récompenses qui sont, si je puis dire, plus claires lorsqu’on les obtient. On a remplacé par des niveaux bronze, argent et or, on voit donc tout de suite l’excellence même dans l’appellation de ces niveaux-là, cela a aussi été une refonte assez importante.
Étienne Gonnu : Je me permets juste, je vais t’inviter à le faire si tu le veux bien. Tu as parlé de copyleft. Entre personnes qui connaissent ces sujets, le terme paraît tout à fait usuel, mais ce n’est peut-être pas le cas pour tout le monde. Est-ce que tu peux rappeler, en quelques mots, ce qu’est le copyleft ?
Camille Tillatte : Tout à fait. Pour faire simple, vous avez le copyright pour tout ce qui est propriétaire, les marques, etc., et le copyleft montre l’ouverture.
Étienne Gonnu : C’est un habile jeu de mots : copyright, on va dire que c’est la version du droit d’auteur dans le droit anglo-saxon ; right veut dire droit, left veut dire gauche, donc gauche d’auteur par rapport à droite d’auteur, si on peut traduire comme cela. Merci pour cette clarification.
Il y a donc les badges. On est passé des niveaux 1 à 5 à un niveau, comme pour les médailles, bronze, argent et or, et la gradation paraît effectivement limpide.
Camille Tillatte : Tout à fait.
D’autres nouveautés.
Le site TNL a également été revu, je pense que c’est important d’en parler, puisqu’on a clairement amélioré l’accessibilité du site. Pour tout vous dire, anciennement, dans notre version WordPress, nous avions un site avec un niveau d’accessibilité médiocre, une note F via le logiciel Asqatasun qui permet d’auditer la page d’accueil d’un site web. Là nous sommes sur un niveau A, c’est donc une très belle progression pour permettre à tous de consulter le site.
Une très belle nouveauté également : la remise des prix a été organisée sur le fameux Congrès des maires, un lieu de prestige vraiment remarquable.
Étienne Gonnu : On va y revenir parce que je trouve que c’est effectivement une importante évolution. Avant c’était au salon Open Source Expérience, un très beau salon professionnel autour du logiciel libre, mais le Congrès des maires s’adresse plus directement aux collectivités, c’est quand même une évolution. Bravo à l’ADULLACT d’avoir réussi d’aller au Congrès des maires parce qu’on imagine que ce n’est pas simple d’obtenir une place, c’est un gros, très gros salon, qui n’est pas du tout centré que sur le sujet du logiciel libre. Cette entrée dans le monde des collectivités a été vraiment une belle réussite. J’imagine que cela n’a pas été simple d’obtenir un temps pour la remise dans ce Congrès des maires.
Camille Tillatte : Oui, tout à fait, merci Étienne de le préciser. On peut dire merci surtout à Pascal Kuczynski qui nous a mis en relation avec le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, qui est vice-président de l’Association des maires de France. C’est clairement grâce à lui que nous avons eu une superbe place au Congrès des maires cette année. C’est vraiment un lieu remarquable et TNL avait clairement sa place là-bas, dans le sens où TNL est vraiment un regroupement, la plupart du temps, de DSI. On essaie aussi d’intéresser les élus, le but c’est vraiment que ça communique au sein des collectivités, donc autant du côté de la DSI, de la Direction des systèmes d’information, que des élus. Le fait de pouvoir célébrer la remise des prix au Congrès des maires fait que les élus se sont vraiment bien intéressés à cet événement et on a eu vraiment une mixité fantastique de personnes.
Étienne Gonnu : D’accord. J’imagine qu’il y avait des attentes par rapport au fait d’être au Congrès des maires. Et, de ton point de vue, le fait de se rendre au Congrès des maires pour le TNL c’était pertinent, ça a été validé.
Camille Tillatte : Oui. Validé, j’ai même envie de dire sur validé : on a eu énormément de bons retours, également de la part des collectivités présentes, nous disant que, pour elles, c’est plus simple de se rendre sur ce type d’événement puisque ça leur permet de justifier cela auprès de leur collectivité, qu’à un salon dédié à l’open source. Pour un élu, par exemple, ce n’est pas toujours très simple de justifier de se rendre à un salon dédié aux personnes impliquées dans la DSI.
Étienne Gonnu : On voit la logique. On parle de collectivités, on ne va pas rentrer dans le détail, les résultats sont disponibles sur le site du TNL, mais qu’est-ce que tu peux nous dire des résultats de cette édition 2025 ?
Camille Tillatte : Je peux dire que 36 collectivités ont été récompensées cette année, c’est donc un très beau score. Ces collectivités viennent s’ajouter aux labellisées précédentes. On est sur 97 collectivités labellisées en France, DOM-TOM compris, c’est quand même super !
Cette année, plus précisément, 19 collectivités ont obtenu un badge, donc la porte d’entrée à TNL : 19 labellisés de niveau bronze ; 5 labellisés argent et je me permets de les mentionner parce que, au niveau argent, on commence vraiment à rentrer dans des dossiers qui sont quasiment excellents ; on a la métropole de Montpellier, Montpellier Méditerranée Métropole, la ville d’Abbeville, la ville de Claix, Saint-Joseph à La Réunion et la ville de Villejuif. Vraiment des dossiers qui étaient très bons.
Étienne Gonnu : Je confirme. Je ne l’ai pas dit, mais je représente l’April dans le cadre du jury TNL. Tous les dossiers sont bons par nature parce que la démarche a été entreprise, mais c’est vrai que les quatre que tu mentionnes et les trois que tu vas mentionner ensuite étaient effectivement des dossiers passionnants à étudier, qui donnent beaucoup d’espoir. On voit que les collectivités sont vraiment motrices dans la démocratisation du logiciel libre.
Camille Tillatte : C’est exactement ça. Tous les dossiers sont vraiment très bons, les bronze tout autant que les autres.
On a donc trois labellisés de niveau or. Là c’est vraiment le niveau qui représente l’excellence, on est sur une perfection qui est même impressionnante dans ces dossiers-là. On a le Syndicat Morbihan Énergies, la ville de Boé, qui est une petite collectivité, un peu moins de 5000 habitants, pour donner un exemple, et la ville d’Échirolles.
Étienne Gonnu : Pour les personnes qui suivent le logiciel libre, Échirolles est effectivement une ville on va dire vitrine, je ne sais pas si le terme est très bon, reconnue pour les efforts faits pour le logiciel libre et la cohérence de sa stratégie dans cette direction. Échirolles est dans la métropole grenobloise.
Je vois que le temps file. Je vais te laisser mentionner aussi les mentions spéciales qui ont été décernées.
Camille Tillatte : Oui bien sûr. En parlant d’Échirolles justement, du fait qu’ils sont très actifs au niveau logiciel libre et surtout au niveau de sa promotion, ils ont reçu la mention spéciale « Promotion communication et sensibilisation aux logiciels libres ».
La ville de Colomiers a reçu la mention spéciale « Sobriété numérique », plus précisément sur la « durabilité des équipements ».
Et le Parc national des Écrins a obtenu la meilleure première candidature et une double récompense avec la mention spéciale « Mutualisation » grâce à un dossier assez exceptionnel et qui a aussi été niveau bronze.
Étienne Gonnu : Je vais mentionner aussi Villejuif et Les Abymes, je me permets parce que j’étais au jury, deux autres excellentes candidatures sur l’aspect sobriété, mais qui avaient déjà reçu cette récompense. On s’est dit qu’il fallait valoriser d’autres collectivités qui œuvrent avec engagement sur le sujet de la durabilité et de la sobriété.
Merci beaucoup Camille. Je vais quand même te laisser le mot de la fin pour les actualités. Je crois que tu souhaitais évoquer une actualité ADULLACT.
Camille Tillatte : Avec plaisir, merci Étienne. L’ADULLACT organisera son congrès annuel, comme tous les deux ans, à la mi-juin, à Montpellier. C’est ouvert à tous nos adhérents.
Étienne Gonnu : Je le redis : pour les collectivités, donc congrès de l’ADULLACT si vous êtes membre et, si vous ne l’êtes pas encore, je pense que ça peut être intéressant pour vous de l’envisager, sur invitation, et de candidater. Renseignez-vous. La porte d’entrée avec le badge est devenue beaucoup plus simple, les formulaires sont en ligne, le label a beaucoup évolué. Si cela fait longtemps que vous ne vous êtes pas renseigné, ça vaut le coup de candidater pour avoir un retour et pour mettre en avant ce que vous faites, c’est tous les ans et les candidatures sont ouvertes dès le début de l’été ou en septembre.
Camille Tillatte : C’était en septembre cette année, mais c’est vrai qu’habituellement c’est au début de l’été. Ce sera à rediscuter avec le comité d’orientation.
Étienne Gonnu : Gardez les oreilles ouvertes et n’hésitez pas à candidater.
Merci beaucoup, Camille, d’avoir pris ce temps pour échanger avec nous et je te souhaite une très bonne suite de journée.
Camille Tillatte : Merci à toi Étienne. Merci à tous. Au revoir.
Étienne Gonnu : Nous allons à présent faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous continuerons à parler de collectivité puisque nous entendrons l’interview des élus au numérique de Grenoble et de Lyon.
Avant cela, nous allons écouter The Passenger, par Wizard of Loneliness. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : The Passenger, par Wizard of Loneliness..
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter un extrait The Passenger, par Wizard of Loneliness, disponible sous licence libre Creative Commons, Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Nous allons passer à notre sujet principal.
[Virgule musicale]
Les politiques logiciels libres de Grenoble et de Lyon
Étienne Gonnu : Comme je vous le disais en introduction, pour notre sujet principal nous allons parler des politiques logiciels libres de Grenoble et de Lyon, un sujet préenregistré le 25 novembre 2025, il y a donc une semaine si vous nous écoutez en direct.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : Pierre Mériaux, Bertrand Maes, bonjour. Merci de nous avoir rejoints sur Libre à vous ! pour échanger sur les politiques logiciels libres de Grenoble et de Lyon, dont vous êtes respectivement élus au numérique.
Pour commencer, une question d’usage peut-être un peu décalée par rapport à l’habitude, parce qu’avant de vous présenter personnellement, j’aimerais bien que vous présentiez les collectivités que vous représentez. Lyon et Grenoble sont des grandes villes, mais c’est peut-être intéressant de rappeler quelques éléments factuels pour qu’on ait en tête de quoi on parle et puis préciser, à l’occasion, le mandat que vous occupez respectivement dans ces collectivités.
Bertrand, je vous propose de commencer.
Bertrand Maes : Oui, très rapidement. Je suis à Lyon, qui est une ville d’environ 520 000 habitants, ce qui nous classe troisième ville française, si je ne dis pas de bêtise.
Peut-être que je pourrais préciser juste ce qui concerne la collectivité, l’administration Ville de Lyon, avec un grand chiffre : on a environ 7000 ordinateurs pour l’usage des agents de la ville, environ 5000 postes concernés par de la bureautique de façon régulière, puisque c’est pas mal de cela dont je vais parler aujourd’hui.
Étienne Gonnu : Parfait. Merci beaucoup.
Pierre.
Pierre Mériaux : Bonjour. Pierre Mériaux, je suis adjoint au maire de Grenoble, en charge du personnel, de l’immobilier municipal, de la stratégie numérique et titulaire de la Commission d’appels d’offres.
Grenoble, c’est plus petit que Lyon, bien sûr. Nous sommes actuellement 165 000 Grenoblois, dans une métropole qui comprend 450 000 habitants.
Au niveau des effectifs de la collectivité, nous avons 3800 agents à la ville de Grenoble et 1200 au CCAS [Centre communal d’action sociale].
Nous avons un par d’ordinateurs qui doit atteindre les 2500 PC actuellement entre ville et CCAS.
Étienne Gonnu : D’accord. Merci pour ces précisions.
Vous avez dit que vous faites partie d’une communauté d’agglomération, c’est également le cas de Lyon, il y a le Grand Lyon et je pense que Bertrand pourra revenir sur ce point.
Je vais le rappeler parce je ne l’ai pas fait en introduction, mais toutes les deux, Lyon et Grenoble, vous êtes déjà intervenues dans le cadre de Libre à vous !. Pour Grenoble, c’était madame Comparat qui avait présenté la collectivité en 2019, c’est l’émission 27, et Lyon était intervenue avec le Grand Lyon, c’est l’émission 162, en 2022, pour parler déjà de ces politiques logiciels libres. Nous sommes en 2025. Récemment, en plus, il y a eu des annonces de vos deux collectivités, c’est pour cela qu’on trouvait intéressant de vous proposer d’intervenir à nouveau.
Il est toujours intéressant de savoir qui parle, je vous propose de nous donner un petit plus d’informations personnelles, peut-être votre parcours, votre rapport à l’informatique, au logiciel libre.
Qui se lance ? Reprenons le même ordre. Bertrand, je vous propose de commencer.
Bertrand Maes : Initialement, je ne viens pas du tout du monde du numérique, puisque je suis ingénieur dans le bâtiment, dans lequel j’ai travaillé plusieurs années. Je me suis vraiment penché sur les problématiques numériques lorsque j’ai été élu et que je suis devenu adjoint au maire en charge de la politique du numérique.
Peut-être quelques mots sur la façon dont j’ai abordé la question. Je pense que je suis entré par la porte de la sobriété numérique. Mon début de mandat, c’était l’époque où le Shift Project avait publié son rapport, « Déployer la sobriété numérique ». Ensuite, j’ai tiré la ficelle en suivant les travaux de gens comme Gauthier Roussilhe, Aurore Stéphant, Cécile Diguet sur les datacenters, etc. J’ai aussi pas mal tiré la ficelle de la souveraineté numérique en suivant des personnes comme Ophélie Coelho, Tariq Krim, etc., donc toutes les problématiques du droit extraterritorial américain par exemple. Et sur la question des logiciels libres en particulier, j’ai été bien aiguillé par un autre élu de la ville de Lyon, qui s’appelle Vincent Mabillot, qui est élu dans le 8e arrondissement de Lyon, qui est très engagé sur les questions logiciel libre. Je me suis évidemment intéressé à d’autres questions, l’inclusion numérique, l’accessibilité, ce qui nous a amenés, en début de mandat, à élaborer un peu une feuille de route sur tous ces sujets-là, qu’on a appelée notre stratégie numérique, qui a aussi été coconstruite avec un grand nombre d’agents de la ville de Lyon, avec des grandes lignes directrices impulsées par le politique.
Après, peut-être pour préciser en quoi peut consister le mandat d’adjoint au numérique au quotidien : ça va être orienter les choix matériels, par exemple la volonté de se tourner vers plus de matériel reconditionné, la façon dont on se sépare de son matériel en fin de vie ; évidemment orienter les choix logiciels, on est là pour parler notamment de logiciels libres ; veiller ensuite à ce qu’on respecte un cahier des charges sur l’accessibilité numérique ; évidemment aussi prioriser au quotidien les projets informatiques, puisqu’il y en a constamment beaucoup dans une grosse collectivité, avec quelques embouteillages. Voilà dans les très grandes lignes.
Étienne Gonnu : Merci. C’est toujours intéressant d’avoir ces perspectives et je trouve intéressant que vous fassiez le lien avec les questions d’inclusivité et de numérique plus durable, parce que, pour nous, les liens sont immenses avec le logiciel libre. Pour avancer de manière cohérente, il faut avancer sur ces chantiers en réfléchissant de manière transversale et en incluant le logiciel libre comme un des éléments de réponse, ce n’est pas le seul, mais un des éléments de réponse nécessaire, pour une réponse, on va dire à nouveau cohérente.
Je trouve aussi intéressant de se dire que le logiciel libre n’est pas qu’un problème d’informaticiens et d’informaticiennes, moi-même je ne suis pas du tout informaticien, mais ça nous concerne presque d’autant plus puisqu’on a besoin de pouvoir confiance aux outils qu’on utilise et le logiciel libre est un levier de cette confiance.
Pierre, qu’en est-il pour vous ?
Pierre Mériaux : Comme Bertrand, je ne suis pas du tout un informaticien d’origine. Ma profession c’est inspecteur du travail.
Mon rapport à l’informatique, c’était en tant qu’usager professionnel et personnel. En tant qu’usager à titre professionnel, j’avais eu à subir de nombreux déboires comme beaucoup d’agents et des salariés qui étaient confrontés au choix de leur employeur de logiciels privatisés, propriétaires, confectionnés par des grands groupes, qui ne répondaient absolument pas aux besoins qu’on avait en tant que professionnels. En tant qu’inspecteur du travail, je me suis investi, avec des collègues, dans un groupe de travail pour essayer de convaincre notre organisation, le ministère du Travail, ça remonte aux années 90, de la nécessité impérative de nous doter de logiciels correspondants à nos besoins. On a beaucoup travaillé, on a produit un cahier des charges, on a beaucoup discuté avec des experts du ministère, avec des SS2I [Sociétés de services en ingénierie informatique] sur le terrain et, au final, le ministère a fait un choix orthogonal par rapport à celui qu’on conseillait. Nous nous sommes encore retrouvés avec des logiciels très mal adaptés, « vendus sur étagère », entre guillemets, par des grosses boîtes de l’informatique qui arrivent, comme cela, à générer des profits sans doute conséquents, mais, quand on est utilisateur de ce genre de logiciel, on souffre beaucoup. C’est ce rapport à l’informatique qui m’a amené, par ce biais, à être sensibilisé à la logique des logiciels libres qui, très souvent, sont beaucoup plus conçus par des passionnés et en écoutant beaucoup plus les besoins des utilisateurs.
Après, en tant qu’élu, il se trouve que je suis élu à Grenoble depuis 2014. Depuis 2020, ma délégation a été concentrée sur la question du personnel et du dialogue social, et puis en 2023, suite à un petit remodelage de notre exécutif, j’ai hérité en plus de la stratégie du numérique et de l’immobilier municipal. C’est donc à ce moment-là que j’ai dû vraiment me mettre dedans, pour aussi essayer de rattraper le temps perdu parce qu’il fallait quand même faire des choses en urgence sur cette délégation qui avait sans doute été un petit peu délaissée. J’ai donc saisi le sujet à travers la nécessité, pour notre collectivité, comme pour toutes les grandes collectivités de France et de Navarre, en produisant une délibération qui correspondait aux objectifs de la loi REEN qui est de 2021, je crois.
Étienne Gonnu : REEN, Réduction de l’empreinte environnementale du numérique.
Pierre Mériaux : Tout à fait. C’est une des rares lois intelligentes sorties dans cette législature. Je dis cela en n’étant pas du trop proche du gouvernement, ni actuel ni en 2021, néanmoins, je dois reconnaître que cette loi est intelligente, sans doute parce qu’elle a été faite dans un esprit assez transpartisan pour affronter la question de l’empreinte du numérique qui est, comme chacun le sait, croissante, qui prend d’ailleurs des proportions très inquiétantes avec le développement de l’intelligence artificielle. Les grandes collectivités devaient produire une stratégie délibérée, assumée, pour faire face à cette question importante. Du coup, on devait la produire avant le 1er janvier 2025. Pour saisir la question du numérique à Grenoble, qui avait déjà été abordée dans le cadre d’une délégation précédente par Laurence Comparat, que vous avez citée, qui avait effectivement lancé une politique sur Grenoble en la matière, je me suis dit que c’était une bonne occasion pour refonder la politique du numérique à Grenoble. J’ai donc pas mal travaillé avec le renfort de quelques collègues intéressés et avec des échanges avec des associations locales, notamment La Turbine, une Scop, qui travaillent sur la question du logiciel libre et, de façon plus générale, comment développer une stratégie numérique sobre et responsable, on va dire.
J’ai donc fait adopter une délibération en septembre 2024, avec, derrière, un plan d’action complet, comportant une centaine d’actions bien identifiées, avec six axes, qu’on pourra développer si besoin, l’un des axes c’est effectivement la question de la souveraineté et de l’indépendance donc du recours, pour cela, aux logiciels libres de façon préférentielle. Voilà.
Étienne Gonnu : Merci beaucoup. Je pense qu’avec vos deux présentations respectives vous avez vraiment dressé un tableau intéressant, qui montre l’ampleur des enjeux, la diversité des enjeux. Je pense qu’il y a effectivement beaucoup de sujets, on n’aura pas le temps de tous les aborder, mais on va essayer d’en creuser certains.
On va maintenant parler de souveraineté numérique, je disais qu’il y a des actualités vous concernant. En juin 2025, Lyon a annoncé renforcer sa souveraineté numérique. Je vais citer le communiqué qui est sur le site de la ville : « Pour ne plus être dépendante des solutions logicielles états-uniennes et acquérir une véritable souveraineté numérique, la Ville de Lyon s’est engagée dans une transformation majeure de ses outils numériques. » Cela s’est fait autour de deux projets : « la création d’une suite collaborative libre et interopérable et le déploiement progressif de logiciels bureautiques libres ». On pourra revenir ensuite sur ces deux projets.
Déjà j’aimerais bien, Bertrand, que vous nous partagiez votre compréhension de la notion de souveraineté numérique. C’est une notion qu’on entend souvent, qui semble grandement varier en fonction de qui parle, de quoi on parle. Je trouve intéressant d’avoir cette vision de la part d’une collectivité, d’une grande collectivité puisqu’on parle de Lyon, une commune d’un peu plus d’un demi-million d’habitants et d’habitantes, en plus dans le cas d’une plus grande agglomération.
Qu’est-ce qui a motivé cette annonce et qu’est-ce que, pour vous, la souveraineté numérique, Bertrand ?
Bertrand Maes : Le terme peut effectivement être compris de différentes façons qui, d’ailleurs, ne s’excluent pas les unes des autres. Ça m’évoque plusieurs choses.
D’une part, le fait de ne pas être client captif de tel ou tel logiciel ou de tel ou tel éditeur. C’est vrai que certains outils propriétaires sont conçus pour qu’il soit très compliqué de s’en extraire et, en l’occurrence, nous nous sommes attaqués au sujet de Microsoft qui, avec ses solutions comme Microsoft 365, enferme de plus en plus ses clients avec des solutions de plus en plus intégrées, etc., ce qui fait qu’ensuite les clients consomment et sont à la merci par exemple des hausses de prix soudaines et parfois déraisonnables. C’est un premier volet.
Le deuxième volet peut être l’aspect qui consiste à privilégier une économie locale, du moins nationale, à minima. Il est vrai que dans les solutions que nous développons pour nous extraire de la bureautique Microsoft, nous avons eu essentiellement recours à des entreprises de la région Auvergne-Rhône-Alpes, à hauteur de 50 % des dépenses et je dirais que 100 % des dépenses se font sur le territoire national, sur des entreprises nationales.
Après, il y a évidemment aussi l’aspect souveraineté des données. Je dirais que le pire schéma serait des solutions clouds hébergés chez un acteur étasunien par exemple, sur du logiciel propriétaire dont on ne maîtrise pas toutes les fonctionnalités, tous les aspects, les éventuels détournements qui peuvent être faits de nos données. Le modèle inverse serait, je dirais, la solution sur son ordinateur, pas sur des serveurs distants, d’un éditeur français, avec des logiciels libres, etc. Il est vrai qu’il y a aussi différents degrés de souveraineté. À la ville de Lyon, nous ne revendiquons pas d’être parfaitement souverains sur nos outils informatiques, l’idée c’est plutôt d’être sur une trajectoire. En tout cas, pour ce dernier volet, je dirais souveraineté au sens de maîtrise de nos données, qu’on ne soit pas soumis à une législation étrangère. Voilà pour l’essentiel.
Étienne Gonnu : Très bien. La Cour des comptes a récemment publié un rapport, plus tourné vers les administrations centrales, qui est très intéressant parce qu’il évoque beaucoup le logiciel libre et qui pose une définition qui rejoint vraiment la vôtre, c’est-à-dire la maîtrise de la donnée, l’indépendance à des législations étrangères, etc. Merci beaucoup pour cette définition.
Pierre, est-ce que vous voulez compléter, apporter votre vision du sujet ?
Pierre Mériaux : La vision est conjointe à celle que vient d’exprimer Bertrand.
On voit bien qu’il y a des efforts de plus en plus importants des géants du numérique, ceux qu’on peut appeler les GAFAM, pour arriver à capter le maximum de ressources et, pour cela, ils utilisent des arguments technologiques. On vient d’en avoir la démonstration éclatante avec l’obsolescence programmée de Windows 10 et le passage obligé à Windows 11, quand on est encore sous Windows, ce qui, hélas, est notre cas pour une bonne partie de notre parc à Grenoble. Si on a réussi à basculer sur un système d’exploitation libre, sur GNU/Linux, les 1600 PC qu’on a mis en dotation dans les écoles, dans les bibliothèques, dans les Maisons des habitants, qui fonctionnent entièrement en logiciel libre, ce n’est pas encore le cas, hélas, pour les PC des services administratifs de la ville. Là on a un système un peu mixte : on a basculé en bureautique libre avec LibreOffice, mais on n’a pas encore fait le pas de basculer sur un système d’exploitation libre, parce que ça exige des investissements, d’abord essentiellement en temps de formation, de développement, de conviction parce que c’est aussi un travail. Là on a un frein interne qu’il ne faut pas cacher : on a système de mutualisation de notre service informatique et numérique avec la métropole de Grenoble, mais il se trouve que la métropole de Grenoble ne porte pas tout à fait les mêmes orientations fortes que nous en matière de choix du logiciel libre, du coup ça rend les choses très compliquées. Ce service commun étant géré de façon commune et beaucoup piloté par la métropole, qui l’héberge, nous avons des difficultés à faire entendre la nécessité de faire des choix décisifs en la matière. C’est une question qui se reposera très certainement au prochain mandat.
Mais oui, je pense que la question de la souveraineté numérique à travers l’utilisation préférentielle de logiciels libres devient capitale maintenant pour la sphère publique en général et pour les collectivités tout particulièrement, d’une part, parce qu’il y a la question de la maîtrise de nos données, qui devient cruciale, mais aussi celle des coûts. Chacun sait que quand on regarde les coûts d’utilisation croissants des logiciels privés, comme le disait Bertrand, avec un système de fermetures successives de leurs approches, ce qui nous rend définitivement prisonniers, c’est ça leur démarche, versus le monde du Libre qui, au contraire, offre des opportunités de faire d’autres choix et de les consolider petit à petit en dialogue avec un monde qui est beaucoup basé sur la coopération entre des acteurs de niveaux différents et c’est aussi cela qui est intéressant. C’est sortir d’une logique où, sous couvert de celui qui paie commande, en réalité ce n’est pas comme cela que ça marche. C’est celui qui est obligé de payer, qui est obligé de passer sous les fourches caudines de fabricants de logiciels, comme je le disais, en tout cas comme je l’ai vécu très fortement dans ma vie professionnelle, et de subir en réalité des choix qui sont pris très loin de chez nous et qui ne respectent pas vraiment les besoins des habitants. Quand on est un service public local, on est d’abord centré sur les besoins des habitants, ce qui est normal. C’est un motif essentiel, pour moi, de recourir de façon préférentielle au logiciel libre.
Étienne Gonnu : Ça me paraît très clair. J’aime bien ce que vous dites : finalement, avec le logiciel libre, qui paie contribue. On voit notamment l’intérêt, pour la puissance publique, d’investir, de payer pour justement renforcer les logiciels libres qui vont pouvoir servir à d’autres administrations, d’autres collectivités qui n’ont pas forcément les mêmes moyens et puis, bien sûr, à l’ensemble des usagers et des usagères.
J’aime aussi beaucoup le mot de Bertrand, la trajectoire, et je pense que c’est important d’avoir la lucidité que vous avez évoquée, notamment sur les systèmes d’exploitation : c’est compliqué de migrer ; il faut déjà avoir conscience de cette difficulté, la nommer, la réfléchir et c’est comme cela aussi qu’on peut mener une trajectoire, prendre une direction qui soit pertinente.
Vous avez évoqué les postes de travail. À l’April, nous sommes convaincus de l’importance d’engager une transition, un terme assez à la mode, sur les postes de travail, parce que c’est l’outil principal notamment de beaucoup de fonctionnaires. Je pense que ça va rejoindre les deux projets et j’imagine la motivation pour les deux projets qui ont été annoncés par Lyon dans le cadre de son communiqué de juin, que je rappelle : « la création d’une suite collaborative libre et interopérable et le déploiement progressif de logiciels bureautiques libres ». On voit que les deux projets, à priori, se répondent.
Bertrand Maes, vous êtes élu à Lyon, est-ce que vous pouvez nous détailler un petit peu ce qui a conduit à choisir ces deux projets, à les mettre en avant ? Peut-être un état des lieux de votre situation actuelle, Pierre l’a partagé pour Grenoble, ça peut aussi être intéressant de voir où en est Lyon au moment où vous engagez ces projets-là. Je vous laisse la parole.
Bertrand Maes : Ce qui nous a amenés à ce choix-là, c’est, d’une certaine façon, ce que vous venez dire : nous voulions nous engager pour plus de souveraineté numérique et plus de logiciels libres. Il me semblait évident que la première étape à franchir c’était celle de la bureautique et du poste de travail, puisque c’est l’outil que tous les agents vont ouvrir à peine arrivés le matin au travail, l’outil certainement le plus utilisé, l’outil par lequel transite une quantité très importante de données, potentiellement sensibles, etc. C’est un petit peu le nez au milieu de la figure, il me semblait donc évident de commencer par cela, même si, de ce fait, c’est peut-être aussi la brique la plus compliquée à engager, quoi que. C’est vraiment ce qui nous a amenés à engager ce travail-là.
Je dois dire que c’est un travail qu’on fait en collaboration avec la métropole de Lyon et le SITIV, un syndicat intercommunal qui fournit des solutions informatiques à un certain nombre de villes de la métropole, et pas que, en tout cas de la région lyonnaise.
Étienne Gonnu : Je me permets de dire que le SITIV est effectivement connu pour avoir une réaction sur le logiciel libre. Ils ont notamment obtenu le label Territoire Numérique Libre de niveau 4, voire 5, je n’ai plus exactement en tête le niveau. Vous mentionnez le SITIV qu’on va saluer pour son travail sur le logiciel libre.
Bertrand Maes : Tout à fait. C’est d’ailleurs ce qui nous a permis de déclencher nos projets, c’est un appel du pied du SITIV qui comptait répondre à un appel à projets de l’Agence nationale de la cohésion des territoires qui nous a permis de bénéficier de deux millions d’euros de subvention en début de projet, ce qui nous a évidemment donné un gros coup de pouce.
En quoi ça consiste ? On a effectivement créé une suite collaborative. L’idée c’était un petit peu de créer plus ou moins un équivalent de Microsoft Teams, mais je ne l’ai pas formulé comme ça. Notre ambition c’était de ne pas aller vers Microsoft 365, je dirais de ne pas franchir cette marche supplémentaire dans la dépendance aux outils Microsoft qui vont plus loin dans la non-souveraineté du fait que ce sont des modèles clouds qui coûtent beaucoup plus cher que les solutions qu’on connaissait précédemment, etc.
Du coup, cette suite collaborative contient un Nextcloud, un outil qui permet de partager des fichiers entre agents de la collectivité.
Nextcloud est associé à OnlyOffice, un outil plutôt de bureautique avec du traitement de texte, du tableur, des présentations, etc.
Nextcloud plus Onlyoffice permet de faire des documents sur lesquels on peut écrire à plusieurs mains, si je puis dire.
Également un outil de visio basé sur le logiciel libre Jitsi.
Nous sommes en train de mettre en place un outil de discussion instantanée qui sera basé sur Watcha lui-même basé sur Matrix. Je ne suis pas, moi-même, un grand spécialiste des logiciels et des briques logiciels libres, peut-être que ça parlera aux connaisseurs.
Le tout packagé, je dirais, pour que ce soit avec une connexion unique, ce qui permet de partager facilement des documents entre agents de la collectivité, en réalité entre agents de nos trois collectivités.
Voilà pour l’aspect suite collaborative que nous avons mise à disposition depuis déjà deux ans aux agents de la ville.
En parallèle, il y a aussi l’idée de remplacer les outils Microsoft, Word, Excel, Powerpoint, qui étaient installés sur le poste de travail, par les outils OnlyOffice. C’est notre première étape.
Après on passera aussi au mail : remplacer Microsoft Outlook. En l’occurrence, le choix a été fait d’aller vers Zimbra.
Et puis une troisième étape, qui est plus lointaine, on est encore en train d’y travailler, qui sera de remplacer Skype, notre outil de téléphonie. Nous sommes donc à la recherche de solutions libres de téléphonie.
La suite collaborative a été proposée aux agents depuis deux ans, comme je le disais. En fait, au début c’était un outil en plus, ça ne remplaçait rien, ça venait en complément, ce qui permettait aux agents déjà se familiariser avec les outils OnlyOffice. Là, nous sommes en cours de remplacement de Microsoft Office sur les postes de travail, à peu près la moitié des agents ont migré.
Que dire sur le choix des logiciels en tant que tels ? OnlyOffice a vraiment été choisi pour sa grande ressemblance avec les outils Microsoft et sa compatibilité avec les formats Microsoft, ce qui permettait que le changement soit pratiquement indolore, même si j’ai bien conscience que ce n’est peut-être pas le modèle le plus puriste de logiciel libre, ce n’est pas vraiment une communauté qui est derrière mais bien une société privée. En tout cas, c’est déjà une première étape qui permet de s’éloigner des outils Microsoft.
Je précise aussi qu’on a vraiment pris le temps de le faire, on prend vraiment le temps de le faire. L’idée c’est de ne pas de se précipiter, mais de faire en sorte que cette bascule puisse être définitive, que ça se passe de la bonne façon, que ce soit bien accepté.
On a notamment accompagné ça, d’une part, de formations. Tous les agents qui basculent disposent d’une journée de formation sur les outils, ça peut être un peu moins s’ils le souhaitent. Par ailleurs, on a aussi mis en place un support, pour le dire simplement je dirais une hotline, qui permet aux agents d’aller chercher de l’aide s’ils en ont besoin une fois qu’ils ont changé d’outil.
Autre élément important dans la bascule, on a beaucoup travaillé à trouver, par exemple, les équivalents des macros Excel. Des gens sont allés enquêter dans les services, dans les différents fichiers utilisés par les agents, ce qui pourrait être un point bloquant et quelle solution équivalente, quelle formule équivalente on peut trouver sur les nouveaux outils, là encore pour que les agents ne soient pas démunis une fois qu’on leur a changé d’outil.
Étienne Gonnu : D’accord. Merci pour cet exposé très complet, qui répond à une question un peu générale que je voulais vous poser ensuite. En fait, vous avez répondu par des exemples très concrets. Peut-être, Pierre, que vous voudrez rebondir pour nous dire si, à Grenoble, il y a aussi des projets en cours et quels choix vous avez faits, même si vous en avez déjà un peu parlé avant.
La question que je voulais poser, à laquelle vous avez apporté énormément d’éléments de réponse : fondamentalement, dans une collectivité, comment définit-on les besoins et, le cas échéant, comment décide-t-on de recourir à une solution informatique, parce que, parfois on peut aussi se passer d’informatique et cela nécessite la définition des besoins ? Je pense que c’est essentiel pour une collectivité, en fait pour tout le monde, me semble-t-il, mais pour une collectivité en particulier puisqu’elle manie des deniers publics. Et puis comment décide-t-on d’intégrer, de prendre en compte le logiciel libre dans ce processus ? La question est très large, on peut parler de mutualisation, de marchés publics, de questions de procuration : est-ce qu’on va faire appel à un prestataire, est-ce qu’on va prendre en charge en interne des compétences pour pouvoir maîtriser, en interne, les logiciels ? Ce ne sont pas les mêmes choix, il n’y en a pas forcément un qui est meilleur que l’autre, il y a du bon et du moins bon dans les deux cas.
Pour Lyon vous nous avez présenté tout un ensemble de logiciels et énormément de références ont été partagées pendant notre échange. Comme d’habitude, on les listera sur le site de l’émission. Vous avez parlé du Shift Project en début d’échange, vous avez nommé un certain nombre de logiciels.
Pierre, est-ce que vous voulez rebondir sur ce sujet de la définition des besoins et, si vous voulez, nous parler d’un projet logiciel, un projet de système d’information que vous êtes en train de mener ?
Pierre Mériaux : Je l’ai abordé tout à l’heure. L’un des préalables, et vous avez raison, c’est de définir le besoin en tant que service public. Nous avons déjà affirmé à travers la délibération numérique sobre et responsable que j’ai fait adopter en septembre 2024, le principe systématique d’un double accès pour les citoyens. C’est-à-dire que l’une des façons de ne pas accroître la fracture numérique, les fractures numériques, en fait il y en a de plusieurs sortes, c’est de permettre aux citoyens qui sont les plus éloignés du numérique d’avoir toujours un accès physique pour gérer leurs problèmes, leurs dossiers, leurs besoins. Nous avons affirmé cela à l’occasion de la délibération sur le numérique : on garde toujours un accès physique aux services publics. Dans tous les services de la ville, tous les citoyens qui le souhaitent peuvent avoir accès à un agent, un vrai humain et pas un robot. C’est un préalable que je trouve important de remplir.
Après, nous nous sommes aussi attelés à faciliter les interfaces de nos outils numériques pour faciliter les relations avec les citoyens et les usagers de nos outils numériques, parce qu’on en utilise quand même beaucoup, évidemment, on développe des services numériques de plus en plus importants comme beaucoup de collectivités. Pour cela, on fait très attention de développer à la fois des systèmes qui soient sobres en ressources, les plus sobres possibles en ressources et, en même temps, qui se mettent à la place du citoyen, de l’usager, avec une démarche qui intègre la question de l’accessibilité pour tous, évidemment, on essaye aussi de prendre en compte le langage FALC, facile à lire et à comprendre, pour que chacun puisse arriver rapidement à comprendre quand il arrive sur un site de la collectivité ou qu’il se branche avec son smartphone si besoin ; comment il peut utiliser les outils numériques mis à disposition pour accéder à une information, déposer une requête, déposer une plainte, etc. Cette démarche est engagée depuis plusieurs années maintenant, elle commence à porter ses fruits puisqu’on observe, par exemple, une décroissance de plus en plus importante du nombre de plaintes ou de demandes qu’on reçoit par courrier papier, ça devient effectivement beaucoup moins important et même par l’outil classique du mail, les points de contact par mail qu’on a sur le site, etc. Les gens se connectent via un site internet ou une appli, si besoin, les applis ne sont pas encore assez développées, c’est le futur, évidemment, puisque chacun sait que maintenant les gens utilisent beaucoup plus, surtout les jeunes, les smartphones que les PC pour se connecter au numérique.
Il faut donc qu’on accompagne cette bascule, il faut qu’on soit capable de produire des services numériques qui soient à la hauteur de ce qu’attendent maintenant les usagers qui comprennent mal qu’ils peuvent commander une pizza livrable à vélo, en trois clics, d’ailleurs dans des conditions sociales très discutables, mais que quand ils ont besoin d’un service public local ou d’un accès à un service public national – les collectivités locales sont aussi des opérateurs d’État par exemple pour la délivrance de cartes d’identité, etc., – ils n’aient pas la même simplicité. C’est vrai qu’on n’a pas recours à une livraison de cartes d’identité aussi souvent que pour de la restauration, évidemment et heureusement, et, par ailleurs, ça nécessite de sécuriser tout ça. En tout cas le courant est là et il faut qu’on tienne compte de cette demande sociale.
Après, effectivement, il y a des choix d’organisation, dans les collectivités, qui peuvent être différents, c’est de que je disais tout à l’heure. Du fait que nous avons un service numérique mutualisé avec la métropole de Grenoble, qui n’a pas tout à fait les mêmes orientations que nous en matière de logiciel libre, comme je le précisais, ça rend les choses plus compliquées puisque « la culture », entre guillemets, de ce service mutualisé est plus orientée vers le recours à des prestataires externes, des marchés publics qu’on passe en sous-traitance à des SS2I, etc. Certes elles sont utiles, elles ont une compétence, c’est indéniable, mais, pour moi, le modèle idéal n’est pas tout à fait celui-là. Si j’avais les mains entièrement libres, je préférerais embaucher en direct des informaticiens qui sont bien câblés, qui comprennent bien la priorité à donner aux logiciels libres, pour qu’ils aillent eux-mêmes produire du code à partir de ce qui est disponible dans la bibliothèque mondiale des logiciels libres, où il y a évidemment beaucoup de choses, pour adapter ces logiciels aux besoins de la collectivité, quitte à avoir recours, quand on a affaire à des gros logiciels, à des sociétés privées qui travaillent y compris sur le logiciel libre, je n’ai pas du tout de difficultés avec ça, je compose évidemment avec ce qu’on est capable de faire. J’ai bien entendu ce que fait Lyon, que je trouve très intéressant, mais il faut disposer d’une force de frappe interne capable de faire ces adaptations et c’est un choix de structuration du service qui détermine la façon dont, après, on va être capable d’avancer.
C’est un enjeu de débat, je le dis pour les futurs élus des municipales 2026 à venir, il faut y penser dès le début du mandat pour se donner une capacité et une force d’action bien supérieure, quitte à aller contre la logique néo-libérale qu’on voit un peu partout qui dit qu’il faut baisser les coûts de fonctionnement, les masses salariales des services publics. En fait, c’est contre-intuitif de dire ça : quand on veut développer une action publique locale au plus près des citoyens, il est parfois très utile, au contraire, de déployer des services publics renforcés et d’accepter de voir sa courbe de masse salariale un peu augmenter parce que, derrière, le rendement obtenu à l’euro d’impôt investi peut être bien supérieur.
Étienne Gonnu : C’est de l’investissement et on achète de la maîtrise, on achète de la souveraineté, pour reprendre ce terme.
Avant qu’on avance puisque Grenoble aussi a fait une annonce et vous parliez de votre lien aux habitants et habitantes, je ne sais pas, Bertrand, si vous vouliez rebondir sur cette notion de définition des besoins, comment vous intégrez le logiciel libre dans ce processus ou si vous considérez que vous y avez déjà répondu.
Bertrand Maes : Juste deux petits compléments. À Lyon, nous sommes dans la même situation, nous n’avons pas de développeurs en interne, nous ne fabriquons pas nos logiciels, nous sommes obligés de les acheter et, pour cela, nous sommes soumis aux règles de la commande publique. Nous sommes donc supposés faire des cahiers des charges et ensuite lancer des appels d’offres là-dessus. En réalité, comme d’autres collectivités, nous passons souvent nos achats par des centrales d’achat qui permettent plus ou moins de contourner les appels d’offres, la plus grosse centrale d’achats publics s’appelle l’UGAP. Petit à petit, nous poussons à ce que ces grosses centrales d’achats référencent des solutions qui soient conformes à nos exigences.
Une particularité du logiciel libre, qui n’est pas forcément très connue mais que je trouve intéressante pour la commande publique, qui permet aussi de garder une certaine maîtrise : dans le cas du logiciel libre, on peut choisir son logiciel, sa solution libre, et mettre en concurrence des intégrateurs. On met en concurrence les entreprises sur la façon dont elles vont mettre en place le logiciel que l’on aura choisi pour son systèmes d’information.
Étienne Gonnu : Absolument. Je me permets de rappeler ici ce n’est pas juste vous qui le dites. Le Conseil d’État l’a affirmé en 2011 dans un arrêt qui s’appelle Lilie : on peut choisir un logiciel libre de la manière dont on va choisir une fourniture et après on fait un appel d’offres sur le logiciel libre qu’on a choisi. C’est bien le Conseil d’État qui a affirmé ce que vous venez de dire, excusez-moi de vous avoir coupé.
Bertrand Maes : Je pense que c’est important de le dire bien fort parce qu’on entend souvent, comme opposition au logiciel libre, le fait que, quelque part, on n’aurait pas le choix parce que les règles de la commande publique font qu’on est obligé de mettre en concurrence les logiciels libres avec les logiciels propriétaires. Ce n’est pas tout à fait vrai.
Après, sur la façon de choisir un logiciel, c’est un peu le croisement de deux logiques : on va avoir le besoin métier, les gens qui ont besoin d’exercer leur métier avec un logiciel, qui ont un certain nombre de besoins techniques qu’il faut croiser avec les exigences de notre stratégie numérique. Parfois, on n’arrive pas à s’entendre complètement, mais, de plus en plus, on va exiger que les logiciels métiers qu’on va mettre en place sont effectivement compatibles avec les logiciels libres qu’on a choisis par ailleurs, la bureautique libre OnlyOffice. On va s’intéresser à la localisation de l’hébergement du logiciel ; on va s’assurer, par exemple, qu’il n’y a pas des bases de données Oracle qui tournent derrière ; on va s’assurer que ces logiciels sont conformes au RGAA, le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité.
J’observe que si, in fine, on veut un logiciel libre, quelque part il faut l’imposer. C’est-à-dire que si on s’en remet à juste faire une étude de marché, à étudier, de façon équivalente, les solutions libres ou non libres, il est possible que les services s’orientent naturellement vers une solution qui ne soit pas le logiciel libre. Je pense que, parfois, on n’a pas d’autre choix que de l’imposer lorsque le marché le permet puisque, parfois, sur des besoins spécifiques, il n’y a pas forcément de logiciels libres qui ont été développés sur tel ou tel besoin.
Étienne Gonnu : Oui, il faut une politique volontariste. C’est ce qu’on dit au niveau de l’État : tant qu’il n’y aura pas une vraie stratégie politique, on ne pourra pas renverser, on va dire, les rapports de force qui sont quand même plutôt favorables à une certaine domination des Big Tech, des GAFAM, on peut les appeler un peu comme on veut.
Je vois que l’heure avance. Même si nous ne sommes pas en direct, nous sommes en train d’enregistrer le 25 novembre, je sais, Pierre, que vous avez une contrainte. Je voulais quand même vous permettre, Pierre, de parler du Kit d’accès Logiciels Libres mis en place récemment par Grenoble, je vais lire le site : « La Ville de Grenoble propose ce « kit d’accès » aux logiciels libres, pédagogique et facile à utiliser pour permettre à chacun et chacune d’échapper à l’emprise technique des GAFAM en utilisant des logiciels et services libres, sans traçage, sans utilisation des données personnelles, pour les ordinateurs comme pour les smartphones. », en fait ça fait écho à des choses que vous avez évoquées juste avant. Je vous laisse nous présenter ce Kit d’accès Logiciels Libres.
Pierre Mériaux : En fait, c’est l’un des éléments du plan d’action que j’ai fait voter en septembre 2024.
Quand on est un usager, un citoyen lambda, on cherche des solutions pour gérer son accès au numérique et je dois dire que là Windows nous fait beaucoup de publicité, forcément, avec cette histoire de l’obsolescence programmée du logiciel Windows 10 pour des ordinateurs qui ne sont pas tous extrêmement vieux.
Suite à des échanges avec les personnes, avec les associations qui travaillent avec le logiciel libre à Grenoble, je me suis rendu compte qu’un travail intéressant était fait par le milieu local, mais qui n’était pas forcément facile à trouver comme ressource, information, etc., ce qui était un peu un paradoxe pour moi puisque, quand on travaille sur ce sujet-là, c’est quand même très important d’arriver à mailler mieux. À partir de cette réflexion, je me suis dit qu’il fallait qu’on puisse leur donner un coup de main pour mettre en visibilité ce que le milieu local fait déjà ; la communauté du Libre est très dynamique ici, comme dans beaucoup d’endroits. Donc, en réfléchissant en particulier avec une agente de la ville qui est intéressée par le sujet, j’ai dit, en tant que collectivité, il me paraît légitime qu’on rende plus accessibles à un maximum de citoyens et citoyennes de Grenoble les ressources locales en matière de logiciels libres. D’autant plus, à titre personnel, que j’ai un PC qui doit avoir 13 ans maintenant, qui fonctionne très bien avec un système GNU/Linux et des logiciels libres alors qu’il ramait terriblement avec la version de Windows que j’avais à l’époque, je ne sais même plus de quelle année c’était. À titre personnel, j’ai fait ce choix-là depuis longtemps, j’en suis très satisfait, je me suis dit qu’il fallait qu’on donne la chance à tout le monde de pouvoir éviter de payer des licences, éviter de devoir changer son matériel de façon imposée alors que l’ordinateur fonctionne encore sur un plan physique.
C’est une démarche vraiment pragmatique, on va dire, et, quand on est écologique, évidemment que la première des choses à faire c’est d’éviter de devoir racheter du matériel quand on sait que l’empreinte carbone du numérique c’est en premier le matériel, ce n’est pas tellement d’éteindre son wifi la nuit, etc. OK, c’est bien gentil, mais ce n’est pas ça l’empreinte majeure du numérique ; c’est le fait d’être obligé de racheter un PC alors que celui qu’on a semble bien marcher, à l’exception des logiciels « obèses », entre guillemets, qui gênent son fonctionnement au bout d’un certain temps, parce que c’est conçu comme ça.
Nous sommes partis de cette logique-là. Nous avons édité le guide en version papier. Pour des raisons de coût et d’économies, on le distribue dans les Maisons des habitants qui sont sur Grenoble. Comme dans beaucoup d’endroits, dans chacun des secteurs géographiques de la ville, on a des Maisons des habitants qui sont des micro-services publics locaux, des micro-mairies à disposition des habitants. On a mis des affiches, etc., et on fait distribuer le guide papier par nos médiateurs numériques, c’est-à-dire des agents formés, qui sont là pour aider les citoyens et les citoyennes à se débrouiller avec le numérique. On ne le met pas en libre-service papier parce que c’est un guide qui comporte une vingtaine de pages et ça serait sans doute un peu du gâchis et puis il est en libre accès, évidemment, en version numérique sur le site internet de la ville.
Les premiers retours qu’on a sont plutôt très positifs du côté du milieu associatif et des militants locaux du Libre qui ont bien apprécié qu’on les mette plus en visibilité à travers cet outil-là.
Les médiateurs numériques nous disent que ça leur sert effectivement d’outil pour accrocher les usagers et les usagères, pour leur proposer de les aider à faire une bascule vers le monde du Libre qui permet aux gens de continuer à avoir des actions numériques, mais souvent à moindre coût et avec des facilités d’accès, une fois qu’on a dépassé la phase initiale.
Étienne Gonnu : Une question rapide : savez-vous sous quelle licence est publié ce guide sur votre site, sinon je chercherai et je le mettrai en lien sur l’émission ?
Pierre Mériaux : Non, je dois dire que je n’ai pas ce niveau de détail, mais il est accessible directement. Vous allez sur le site de Grenoble, vous tapez « logiciel libre » et vous devriez le voir, la barre de recherche est assez bien faite et permet d’y accéder.
Étienne Gonnu : On vous invite donc à aller explorer, on mettra le lien dans les références de l’émission.
Merci beaucoup Pierre Mériaux.
Je soulignais un aspect très important pour nous, je trouve cette démarche très intéressante, c’est la notion d’accompagnement. Il ne suffit pas juste de lancer du logiciel libre aux usagers et aux usagères, il faut les accompagner, les aider à franchir la transition, c’est moins difficile qu’on ne le pense, mais ce n’est pas si simple non plus et c’est tout l’intérêt d’avoir ce lien humain pour être accompagné.
Je crois que vous devez partir. Si vous voulez rajouter un mot de la fin, je vous en prie, sinon je vous souhaite une très bonne suite de journée. Comme vous le souhaitez Pierre.
Pierre Mériaux : Le mot de la fin, ça peut être simplement de dire, vous l’avez cité au départ, qu’il y a des rapports qui s’entassent au Sénat, à la Cour des comptes, etc. Quand on examine de façon rationnelle le monde du numérique, on s’aperçoit très vite que toutes les administrations publiques devraient déjà avoir basculé, à l’exemple de la Gendarmerie nationale, dans un monde logiciel entièrement libre. C’est une solution souveraine, c’est une solution qui est maintenant sûre, c’est une solution qui permet de tenir compte des besoins des usagers et c’est une solution bien plus économe en deniers publics. En fait, si on avait un gouvernement déterminé à agir vite et fort sur le sujet, ça serait simple, il suffirait de prendre une position pour dire et imposer d’abord à l’État, subventionner les collectivités aussi pour ça, pour qu’on fasse cette bascule vers le logiciel libre de façon beaucoup plus ordonnancée, conjointe, commune, et on aurait une force d’impact bien supérieure. Je regrette qu’on n’en soit pas encore là, j’espère que ça va advenir, et je dois dire que les efforts que font les GAFAM pour se rendre absolument indispensables, avec des prix croissants, vont peut-être nous aider à faire enfin cette bascule. Peut-être que la contrainte budgétaire va aider à franchir le pas, en tout cas c’est ce que je souhaite pour les années à venir. Pour moi, il n’y a vraiment aucune bonne raison actuellement de rester sous l’emprise de logiciels propriétaires qui nous emprisonnent de plus en plus, comme le disait Bertrand tout à l’heure, c’est tout à fait le bon mot, dans des configurations qui nous rendent de moins en moins libres de nos choix et qui nous pompent des ressources à la fois en termes d’argent public mais aussi, et c’est une priorité pour nous, des ressources en carbone, en eau, etc.
Un des aspects dont on pourrait discuter aussi, c’est l’invasion de l’intelligence artificielle dans tout ce qu’on est amené à utiliser maintenant et c’est aussi un vrai problème. On se met à utiliser l’intelligence artificielle en substitut à n’importe quel moteur de recherche, ce qui est absolument stupide, mais c’est comme ça, c’est une des évolutions dont il faudra sans doute discuter un jour.
En tout cas merci.
Étienne Gonnu : Merci à vous et je ne changerais pas une virgule à la synthèse que vous avez faire sur l’importance d’avancer avec résolution, plutôt avec détermination, vers le logiciel libre.
Je vous souhaite une très bonne suite de journée. Merci encore d’avoir pris ce temps pour échanger avec nous sur les politiques logiciels libres. Je rappelle que vous êtes Pierre Mériaux, vous êtes élu au conseil municipal de Grenoble et vous avez dans votre mandat notamment le sujet de la stratégie numérique.
Au revoir Pierre et merci encore.
Pierre Mériaux : Au revoir, bonne journée.
Étienne Gonnu : Bertrand, je ne vais pas vous garder encore des dizaines de minutes. J’aimerais quand même vous entendre, si vous avez le temps, sur ce que fait Lyon, parce que je sais que Lyon mène aussi des actions vis-à-vis des habitants et des habitantes. Je crois que vous avez notamment soutenu dans le passé, je ne sais pas si c’est encore le cas, les Journées du Logiciel Libre, un événement très important pour les communautés du logiciel libre, un événement annuel organisé à Lyon.
Comment intégrez-vous l’importance de cette question du logiciel libre, plutôt de la démocratisation du logiciel libre vis-à-vis de votre population ?
Bertrand Maes : Pour être honnête, c’est un aspect qu’on n’a pas beaucoup développé. Sous ce mandat, nous nous sommes vraiment concentrés sur les outils des agents, un peu dans une logique de balayer devant notre porte, si je puis dire. C’est-à-dire dire qu’avant d’aller prêcher la bonne parole à l’extérieur, il me semblait bien que nous soyons assez exemplaires.
Nous soutenons effectivement les Journées du Logiciel Libre par une subvention, tout simplement, que nous avons mise en place sous ce mandat. Mais honnêtement à ce stade, vis-à-vis l’extérieur, ça se limite un peu à ça.
On attaque aussi le sujet des écoles, comme l’a fait effectivement Grenoble par le passé. On lance tout juste l’expérimentation de la solution Primtux, une distribution GNU/Linux adaptée notamment à l’école primaire, peut-être aussi au collège, mais pour nous, en tant que ville, ça concerne les écoles. C’est une suite de logiciels libres éducatifs associés. À la base, je crois que c’est un projet associatif, développé par des enseignants passionnés d’éducation et de logiciels libres.
Étienne Gonnu : Il me semble bien.
Bertrand Maes : Mais à ce stade, très honnêtement, en direction de la population nous n’en sommes pas du tout au stade de Grenoble, par exemple sur le kit dont parlait Pierre. Je pense que c’est un sujet auquel il faudra effectivement s’attaquer par la suite.
Je pense en plus, Pierre le disait un peu aussi, que le sujet est quand même assez porteur avec les augmentations de prix, avec l’obsolescence de Windows 10 qui oblige certains à passer à Windows 11, avec les dépenses associées, etc. L’actualité est porteuse, le sujet est mieux compris et appelé à être mieux compris.
J’observe aussi, d’un point de vue politique, qu’il y a quand même un certain caractère transpartisan. À l’Assemblée, il y a des députés, je pense à Éric Bothorel, à Philippe Latombe, des députés Modem, Renaissance, qui portent aussi le sujet du logiciel libre et de la souveraineté numérique notamment dans les administrations. Il y a un certain alignement des étoiles, un certain intérêt politique assez large qui doit permettre au logiciel libre de se développer dans les années à venir, je l’espère, y compris le système d’exploitation, c’est la marche qu’on n’a pas encore franchie, à part au stade de l’expérimentation. Je pense qu’il y a quelques années, quand on parlait de passer sous GNU/Linux, ça faisait peur à tout le monde, on imaginait des lignes de code, on imaginait des choses très geeks, si je puis dire. J’ai tendance à penser que tout ça peut se démocratiser avec un peu de volonté politique.
Étienne Gonnu : Je vous rejoins entièrement et je pense que depuis quelques années il y a une grosse évolution, côté logiciel libre, pour être justement plus accessible au grand public. Il y a notamment des systèmes d’exploitation qui sont pensés pour être facilement accessibles sans avoir besoin de compétences particulières.
Je vais me permettre de faire une très courte autopromotion pour une des actions de l’April, qui fait écho à ce que vous avez dit sur la notion d’accompagnement. Avec la fin de Windows 10 et l’obligation passer à Windows 11, ce qui peut mettre au rebut des ordinateurs par ailleurs complètement fonctionnels, il y a beaucoup d’initiatives locales d’associations, je suis sûr qu’il y en a à Lyon, qui font ce qu’on appelle des install parties, c’est-à-dire de l’aide à l’installation et à la prise en main, après l’installation, d’outils libres, notamment de systèmes d’exploitation libres. L’April a lancé un projet, une opération qui s’appelle « Adieu Windows, bonjour le Libre », qui permet de recenser et de trouver ces événements pour se faire accompagner. On le répète : il faut se faire accompagner par un être humain, quelqu’un qui va pouvoir vous montrer, vous accompagner dans cette transition qui n’est pas si compliquée, mais qui n’est pas non plus complètement anodine et c’est la meilleure manière de réussir cette transition.
Bertrand, y a-t-il quelque chose que vous souhaiteriez rajouter, un mot de la fin pour synthétiser l’ensemble des éléments vous avez partagés ? Ou peut-être que vous avez fait tout le tour et que vous avez fini comme vous le souhaitiez. Je vous laisse me dire.
Bertrand Maes : Je n’ai pas de mot de la fin qui me vienne.
Étienne Gonnu : D’accord. Je pense que votre propos précédent est déjà assez conclusif. Vous avez vraiment rappelé des enjeux essentiels et je trouve intéressant que vous ayez la lucidité, que vous parliez de trajectoire. Je trouve intéressant de se dire qu’il faut qu’on fonctionne bien en interne avant de partager. Chaque collectivité avance à son rythme, n’a pas forcément les mêmes points de départ, Lyon et Grenoble n’en sont pas forcément au même point, mais vous avez la même trajectoire, la même volonté d’avancer, je pense que c’est cela qui est essentiel et, bien sûr, ça ne peut pas se faire du jour au lendemain.
Bertrand Maes, je rappelle que vous êtes élu au conseil municipal de Lyon, dans votre mandat vous avez également le sujet de la stratégie numérique. Je vous souhaite le meilleur de la réussite dans la poursuite de ces stratégies.
Sans être partisan, mais que ce soit avec vous ou quelqu’un autre, on sait qu’en 2026 il va y avoir des élections, je souhaite bien sûr de tout cœur que Lyon poursuive cette stratégie que vous avez posée et mise en œuvre et je vous souhaite une très bonne suite de journée.
Merci beaucoup Bertrand.
Bertrand Maes : Merci à vous, bonne suite de journée également. Au revoir.
Étienne Gonnu : Au revoir.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : De retour en direct sur la radio Cause Commune. Nous venons d’entendre les propos de Pierre Mériaux et de Bertrand Maes, respectivement élus au numérique des communes de Grenoble et de Lyon.
Vous pourrez retrouver toutes les références de l’émission de ce jour sur la page consacrée à l’émission, libreavous.org/262, ou dans les notes de l’épisode si vous écoutez un podcast.
Nous allons à présent faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous entendrons l’interview de deux étudiants d’un master d’informatique dédié aux logiciels libres.
Avant cela nous allons écouter un extrait de Down the Road, par Cud Eastbound. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Down the Road, par Cud Eastbound.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter un extrait de Down the Road, par Cud Eastbound, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Nous allons passer à notre dernier sujet.
[Virgule musicale]
Interview de Johan et Hugo, deux étudiants au Master I2L, Ingénierie du Logiciel Libre, à l’université de Calais, par Laurent Costy, vice-président de l’April
Étienne Gonnu : Nous allons à présent poursuivre avec l’interview de deux étudiants du master I2L, pour Ingénierie du logiciel libre, à l’université de Calais, l’ULCO, une interview réalisée par Laurent Costy, vice-président de l’April.
[Virgule sonore]
Laurent Costy : Bonjour à tous. Bonjour à toutes. Nous ne sommes pas en direct aujourd’hui, nous accueillons deux étudiants, Johan et Hugo, du master I2L, qui vont vous expliquer ce que signifie l’acronyme I2L et puis le contenu de la formation qu’ils suivent cette année.
Je vais passer la parole à Johan qui va nous expliquer dans quelle formation il est.
Johan : Bonjour à tous et à toutes.
Je suis effectivement en master I2L pour Ingénierie du logiciel libre. C’est une formation master qui se passe à l’ULCO de Calais, l’Université du Littoral-Côte-d’Opale.
Cette formation vise à former des informaticiens, des développeurs, avec une coloration open source dans l’utilisation des différents logiciels ou outils de la formation. Comme toute formation en master, elle vise aussi à nous permettre d’intégrer des solutions web, mobiles, multi-tiers, en fait construire des logiciels web aussi avec des méthodes agiles. Il faut savoir que les méthodes agiles s’inscrivent énormément dans l’environnement du Libre.
Laurent Costy : Excuse-moi Johan, est-ce que tu peux expliquer ce qu’est la méthode agile en quelques mots ?
Johan : La méthode agile, c’est une façon de gérer un projet informatique en avançant par petites étapes, en s’adaptant rapidement aux changements en collaborant étroitement avec le client.
Laurent Costy : Très bien, merci je pense que c’est éclairant.
Je vais vous laisser aussi vous présenter, en fait expliquer comment on arrive dans un master comme celui-ci, donc raconter un petit peu votre parcours. Hugo, comment es-tu arrivé en master I2L ?
Hugo : Bonjour tout le monde.
Pour ma part, j’ai commencé par un bac technologique, sciences et technologies de l’industrie et du développement durable, enseignement spécifique systèmes d’information et numérique, à Calais. Ensuite, j’ai voulu voir autre chose, du coup j’ai fait une licence 1 en physique-chimie, j’ai obtenu mon premier semestre mais pas le deuxième. Du coup, après, je me suis réorienté directement vers le BUT informatique, parcours A, ce qui est lié au développement, réalisation d’applications, plus côté développement. Cette année j’ai failli me réorienter encore, mais, finalement, j’ai décidé de faire quand même mon master, donc actuellement je suis en master 1 en ingénierie du logiciel libre.
Laurent Costy : En première année. D’accord. Et ça te plaît ?
Hugo : Pas tout ! Ça dépend, on ne peut pas tout aimer !
Laurent Costy : On est sur écoute ! Fais attention ! Peut-être que ton prof principal écoutera [rires].
Johan, quel est ton parcours ?
Johan : Pour ma part, j’ai aussi un parcours, entre guillemets, « assez particulier ». J’ai commencé par un bac scientifique, l’ancien bac, option NSI, Numérique et sciences informatiques, c’était en Guadeloupe. Par la suite, rien à voir, j’ai commencé une première année en licence STAPS [Sciences et techniques des activités physiques et sportives], aussi en Guadeloupe, mais ça ne m’a pas plu, donc, finalement, j’ai bifurqué, j’ai fait un virage à 90° vers une licence en philosophie à Toulouse, qui ne m’a pas spécialement plu, j’ai eu ma licence. Du coup, j’ai voulu retourner à mes premiers amours. Il faut savoir qu’après mon bac j’ai hésité entre STAPS et l’informatique. Je suis revenu, après un an de travail, à mes premiers amours en intégrant le BUT informatique à Calais, le parcours A également, donc dans la même promotion que Hugo et puis j’ai intégré la première année de master I2L à Calais.
Laurent Costy : Extrêmement intéressant. Merci.
Le temps file. Je vais vous demander de parler de votre expérience du Libre en tant qu’étudiant en informatique : comment vous utilisiez le Libre avant le master, maintenant, et puis comment vous le sentez dans le futur. Hugo ?
Hugo : Avant, personnellement, j’avais déjà utilisé des outils comme OpenOffice et LibreOffice pour ce qui est rédaction de textes, diaporamas, etc.
J’avais déjà utilisé Audacity, un logiciel de traitement audio, Blender, un logiciel de modélisation 3D.J’avais aussi utilisé Gimp, un logiciel de traitement d’image plus pour les cours en BUT.
Actuellement, après avoir suivi ce cours, on a eu une liste assez exhaustive de logiciels libres, tout est bon à prendre. Par exemple, là on utilise le pad du Chapril.
Laurent Costy : Je me permets, du coup, de signaler l’appel à don de l’April, il ne faut pas hésiter. Merci pour la parenthèse, je t’en prie, continue.
Hugo : Pour le futur, c’est bien parce qu’on a des alternatives un peu à tous les logiciels qui existent. On ne sait jamais, tout peut servir !
Laurent Costy : Merci. Johan.
Johan : Pour ma part, par le passé j’ai eu une expérience assez peu riche de l’environnement du Libre, c’est-à-dire que j’utilisais peut-être simplement LibreOffice parce que c’était gratuit !
Maintenant j’utilise GIMP, un logiciel pour le dessin. Je l’utilise personnellement, je ne l’utilise pas dans le cadre d’un cours, parce qu’il me permet de dessiner, de modéliser des skins sur un jeu que j’aime bien pour mon temps libre.
J’ai aussi utilisé Blender, dans le passé, dans le cadre d’un cours de modélisation.
En fait, au travers des cours que j’ai pu avoir en master, je dirais que mon expérience va changer pas tant sur l’utilisation d’un nouveau logiciel, mais surtout à cause de l’impact qu’ont les logiciels non libres sur mes données personnelles, sur un ensemble de choses. En fait, c’est plutôt pour me protéger que je pense que je vais repenser ma manière de consommer des logiciels.
Laurent Costy : Très bien. Merci, ça veut dire que des choses sont passées dans le cours ! Merci.
Peut-être une dernière question avant de se quitter : comment voyez-vous l’avenir du logiciel libre avec ce que vous avez déjà acquis au sein de la formation ? Hugo, tu commences ?
Hugo : L’avenir du logiciel libre, je pense que c’est plus une question éthique pour les personnes. Il est vrai que pour une entreprise qui doit choisir un logiciel pour faire telle ou telle chose, telle ou telle tâche, il est primordial de se demander si elle peut utiliser une alternative libre à un logiciel privatif, par exemple pour tout ce qui est données, informations sur les personnes. Il faut penser à ces choses-là.
Laurent Costy : Merci. Johan.
Johan : Je veux bien aussi en parler. Pour ma part, je pense que le logiciel libre est sous-coté si je puis me permettre. En fait, on peut retrouver sur des logiciels libres énormément de choses que l’on peut trouver sur des logiciels propriétaires. Je pense que la seule « contrainte », entre guillemets, si on peut vraiment parler de contrainte, c’est simplement de chercher et je pense que le logiciel libre a un bel avenir dans la mesure où, à un moment, les gens vont peut-être se poser les bonnes questions, finalement se demander : est-ce que je veux confier mes données à des personnes qui vont les revendre ?
Laurent Costy : Je ne vois pas forcément le lien avec les quatre libertés du logiciel libre : la liberté d’utiliser, la liberté de modifier, la liberté d’étudier et la liberté de redistribuer. Le lien n’est pas forcément évident pour l’auditeur et l’auditrice dans ce que tu dis, c’est-à-dire la définition que je viens de donner et puis les données.
Johan : Je fais ce lien parce que souvent, à la différence du logiciel libre dont justement on peut aller vérifier le code source, on peut le partager, le diffuser, etc., le logiciel propriétaire, lui, installe tout un ensemble de trackers, de choses additionnelles qui viennent en fait, en plus, nous profiler, ce qu’on ne retrouve généralement pas dans les logiciels libres.
Laurent Costy : Un logiciel privateur de liberté ne permet pas d’aller vérifier ce que fait vraiment ce logiciel.
Donc, tous les deux, vous êtes plutôt optimistes.
Johan : Oui, totalement.
Hugo : Oui.
Laurent Costy : Et le fait que récemment la fac, l’ULCO, soit passée dans l’univers Google alors qu’il y avait des initiatives libres ne vous inquiète pas ?
Johan : Je trouve un peu dommage le fait d’avoir bifurqué sur cet environnement pour une question de prix. Si ce n’est qu’une question de prix, je trouve cela assez dommage, parce qu’on peut toujours creuser pour trouver des alternatives qui permettraient de protéger les étudiants, qui permettraient aussi de protéger les professeurs, etc., tout en utilisant un système qui permette de gérer les mails, de gérer toutes sortes de choses.
Laurent Costy : Ce sont souvent des calculs court-termistes qui s’avèrent dangereux à long terme, parce que, finalement, on s’enferme à nouveau dans un univers et puis, au fur et à mesure du temps, les coûts augmentent, etc.
Je vous propose d’en rester là. Je vous remercie tous les deux. Merci d’avoir pris votre temps un samedi matin pour contribuer et puis partager un peu votre ressenti dans cette formation. Je vous dis au revoir et à très bientôt. Merci à tous les deux.
Johan : Merci à vous.
Hugo : Au revoir.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : De retour en direct à Libre à vous ! sur la radio Cause Commune.
Merci à Laurent Costy d’avoir organisé cet échange. Un grand merci à Johan et Hugo d’avoir pris le temps d’y participer et de partager leur regard, un exercice qui n’est pas facile et un retour précieux qui fait plaisir à entendre.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
L’April sera présente avec un stand à différents événements.
D’abord au Premier Samedi du Libre XXL, un événement grand public autour du logiciel libre, les samedi 6 et dimanche 7 décembre au Carrefour numérique2 de la Cité des sciences et de l’industrie, Paris 19e.
L’April sera également présente avec un stand, toujours à Paris, cette fois-ci au salon professionnel Open Source Expérience les 10 et 11 décembre 2025, également à Paris 19e.
Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois à partir de 19 heures 30, dans ses locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. La prochaine soirée radio ouverte aura lieu le 5 décembre. Julie Chaumard, actuellement en régie, membre du conseil d’administration de l’April et chroniqueuse dans l’émission, beaucoup de casquettes, et Frédéric Couchet, délégué général de l’April, participeront à cette soirée.
La campagne de soutien financier de l’April suit son cours. Retrouvez demain, mercredi 3 décembre, une nouvelle gazette, Le Lama déchaîné, où il sera notamment question de Libre à vous !. Comme vous le savez peut-être, l’April a besoin de 30 000 euros pour finir sereinement l’année. Tout soutien financier, par adhésion ou par don, et tout relais de notre campagne nous sera d’une grande aide.
Je vous invite, comme d’habitude, à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec le logiciel libre et la culture libre près de chez vous, notamment des endroits pour vous faire aider à installer des systèmes libres dans le cadre de la campagne « Adieu Windows, bonjour le Libre ! ».
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Camille Tillatte, Bertrand Maes, Pierre Mériaux, Hugo, Johan et Laurent Costy.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite, Tunui, bénévoles à l’April, et Frédéric Couchet.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 9 décembre à 15 heures 30. Notre sujet principal sera un nouveau Parcours libriste avec Charlène Hounsou-Guédé, coopératrice associée au 24e, une coopérative spécialisée dans le développement de logiciels libres.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 9 décembre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.