Émission Libre à vous ! diffusée mardi 19 décembre 2023 sur radio Cause Commune Sujet principal : Framasoft, un an de coin coin


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Voilà un an que l’association Framasoft s’est mise à faire coin coin pour collectiviser et convivialiser Internet. On en parlera avec elle dans notre sujet principal. Avec également au programme les campagnes et Firefox, navigateur en voie d’extinction. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 19 décembre 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, Élise, accompagnée de Fred. Salut à vous deux.

Élise : Salut !

Frédéric Couchet : Bonne émission.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Humeur de Gee » - « Les campagnes de dons »

Étienne Gonnu : Nous allons commencer cette dernière émission de l’année 2023 par une nouvelle humeur de Gee, aujourd’hui sur les campagnes de dons. Je n’ai pas lu la chronique, je ne l’ai pas entendue, je vais donc la découvrir en direct, comme tout le monde, mais je ne peux m’empêcher de me demander si, cette fois-ci encore, à quel moment ta chronique va prendre un virage anticapitaliste. Suspense ! On va voir.
Salut Gee, désolé si je divulgâche, malgré moi, ta chronique et je te laisse la parole.

Gee : Il n’y a pas de souci !
Salut à toi, public de Libre à vous.
Ça y est, c’est la fin de l’année. On a attaqué la dernière quinzaine de décembre, ce qui signifie le retour de pas mal de choses : d’abord, les bonnets, les doudounes et la goutte au nez, option Covid bien sûr, ça devient une tradition ; ensuite, les décos de Noël – même si cette année elles sont apparues tellement tôt que je m’en suis presque étouffé avec ma soupe au potiron d’Halloween ; et évidemment, les campagnes de dons.
Oui, parce qu’à Noël, les gens claquent tellement de thunes dans des conneries qu’on se dit qu’on peut bien leur en faire claquer dans des trucs intéressants, sur un malentendu, ça peut marcher.

Je sens qu’on va vite me soupçonner de faire cette chronique à cause de la présence de notre invité, Pouhiou, codirecteur de Framasoft, asso dont je fais moi-même partie et qui est, en ce moment, en pleine de campagne de dons. Mais ce n’est qu’une partie de la réalité. En vérité, en bon agent double, je suis aussi membre de l’April, l’asso qui gère cette émission de radio, et qui ne crache pas non plus sur les dons même si elle est plutôt financée par les cotisations ; et notons enfin que cette même radio, Cause Commune, est aussi en pleine campagne de dons pour faire face à des difficultés financières, ce qui fait de moi un agent triple. Façon un peu classe d’exprimer le fait que je bouffe à tous les râteliers !

La campagne de dons, donc, c’est un rendez-vous incontournable pour pas mal d’assos, que ce soit dans le milieu du numérique et du logiciel libre, ou pas, d’ailleurs. C’est souvent, d’abord, l’occasion de faire le bilan, calmement, en se remémorant chaque instant – et oui, maintenant vous avez la chanson dans la tête –, parce qu’un bilan bien foutu, c’est une bonne façon de montrer tout ce qu’on a fait de cool et qui mérite donc qu’on le finance d’une manière ou d’une autre : « Allez viens, on est bien, regarde tout ce qu’on peut faire… si on a de la thune. »

Oui, parce que la campagne de dons, ça soulève quand même l’épineuse question du pognon.
Je ne souscris pas du tout à ce cliché à deux ronds qui dit « oui, l’argent c’est tabou en France. » Non, ça c’est ce que disent les riches pour pouvoir taire pudiquement leurs salaires indécents. L’argent, quand tu en touches et que tu dépenses des sommes raisonnables, ce n’est pas tabou du tout ! Moi, par exemple, je n’ai aucun problème à vous le dire : depuis début septembre, avec mes activités d’auteur, j’ai gagné dans les 4500 balles. Au passage, je ne suis ni une asso ni en campagne, mais je signale que j’accepte les dons aussi, les liens seront dans la page de la chronique.
L’argent, donc, n’est pas non plus tabou pour les assos, car leurs rapports financiers sont, en général, publics. Je dis « en général » parce que, parfois, ils sont publics, trois ans après ! Pas par malveillance, mais surtout parce qu’un rapport financier, ce n’est pas le truc le plus fun à faire, c’est souvent long et chiant.
Le truc, avec l’argent, c’est que pas mal d’assos reposent principalement sur du bénévolat et, de fait, sur du travail « gratuit », entre guillemets. Et nous, dans le milieu du Libre, on dit souvent : « Attention, si c’est gratuit, c’est toi le produit », ce qui, en fait, n’est pas toujours le cas ; c’est une façon un peu réductrice de dire que quand c’est gratuit, c’est financé par autre chose. Alors, effectivement, quand c’est Google, Amazon et Cie, les GAFAM, c’est financé par l’exploitation, sans scrupule, du temps, des informations et du contenu qu’on leur donne, mais quand ce sont des assos à but non lucratif, c’est souvent bien différent : outre le bénévolat, on a des systèmes de cotisation ou de dons, c’est-à-dire qu’une minorité paie pour que tout le monde en profite. Tout le but des campagnes de dons est donc d’élargir au maximum cette petite minorité, car, bien sûr, plus de gens donnent, moins chacun et chacune a besoin de donner. Imaginez un peu qu’on généralise le processus, on pourrait avoir des services publics gratos et performants financés par un impôt juste et redistributif !, mais je n’ose même pas y penser, ce serait du communisme et du coup paf !, 100 millions de morts, vas-y, ressers-moi un canon, Roger ! Excusez-moi, je diverge, et dix verges, c’est énorme comme disait Desproges. Oui, Desproges, c’est la caution intellectuelle pour faire classe même avec une blague de teub.
Bref, pour en revenir au sujet, une asso a besoin de pognon, et ce d’autant plus si elle commence à avoir des salarié⋅es, parce qu’on le sait, le coût du travail est délirant en France… OK, j’arrête avec les réflexions de droite, c’est promis !

Quand on a besoin de thunes, on peut, comme je le disais, y aller en mode optimiste, on montre qu’on a fait des trucs cool avec les thunes de l’année passée en promettant de faire d’autres trucs cool avec les thunes de l’année prochaine.
On a aussi le mode moraliste qui appuie bien sur le fait que c’est une minorité qui donne, et que toi, toi là, tu n’en fais pas partie. Ouh !, ce n’est pas bien ! C’est le mode qu’avait choisi Wikipédia il y a quelques années, avec son fameux « c’est peut-être gênant, mais s’il vous plaît, n’ignorez pas ce message. 99 % de nos lecteurs nous ignorent quand nous leur demandons de faire un don. Si Wikipédia vous a transmis l’équivalent de deux euros de connaissance cette année, prenez, vous aussi, un instant pour faire un don. » Le principe se tient, mais c’est quand même un poil agressif.
Parfois, quand ça commence à sentir le sapin, on est un peu obligé de sortir le mode alarmiste. Alors finis les bilans choupinous et les joyeux appels aux dons. On prend un ton grave, on lance la marche funèbre et on annonce : « L’asso va mourir. La situation est dramatique, et nous sommes à deux doigts du dépôt de bilan. Cette belle aventure sera bientôt terminée, sauf !, si vous donnez un peu de pognon ! » Ça rassure, parce que moi, au début, j’ai presque eu peur. Le problème, avec le mode alarmiste, c’est que quand tu le fais tous les ans, au bout d’un moment, c’est comme crier au loup, tu perds en crédibilité.
Après, quel que soit le mode choisit, on a aussi de la latitude sur le niveau d’affichage de la campagne de dons : en général c’est quand même, aussi, un peu corrélé au niveau d’urgence dans le besoin de pognon. Si tu es large, tu peux te contenter d’un petit message sur ton blog et d’une petite ligne en haut de ta page d’accueil, tranquille ; si la situation est normale/moyenne, tu vas plutôt mettre un message visible partout et communiquer régulièrement dessus, que ce soit avec des billets de blog, des messages sur les médias sociaux, tout ça ; et quand c’est la dèche, tu vas sortir les grands moyens. C’est le mode qu’avait choisi… Wikipédia il y a quelques années. Non, pardon, je ne veux pas toujours taper sur les mêmes, j’aime beaucoup Wikipédia, ce n’est pas le problème, mais quand même ! L’énorme bandeau bleu fluo qui prend les 3/4 de la page en haut de chaque article. Bon ! Et puis, je passe sur les deux seules réponses possibles à l’appel aux dons : « oui » ou « plus tard ». C’est moi ou il manque une réponse ? Le coup du « c’est oui » ou « c’est oui plus tard », je vous déconseille de le tenter dans votre vie privée, ça peut vite finir au pénal, cette histoire.
Ceci étant dit, en termes de forçage, on ne fera jamais pire que les assos qui envoient leurs bénévoles se cailler les miches directement dans les rues pour accoster le chaland. Il faut être honnête, ce n’est pas le sommet des relations humaines que, d’un côté, aller emmerder des gens qui ne font que passer, qui n’ont rien demandé, qui voudraient peut-être juste pouvoir se balader tranquille ; et de l’autre, de zigzaguer en marchant le plus vite possible quand on aperçoit un groupe avec des vestes au logo d’une asso connue et des prospectus à la main. Ça me rappelle cette scène très drôle de Brooklyn Nine-Nine, une série humoristique sur la police de New York : une équipe cherche une couverture discrète pour pouvoir surveiller un lieu où des activités criminelles sont suspectées et décide, donc, de se déguiser en activistes cherchant à alpaguer les gens dans la rue, parce que là, clairement, il n’y a aucune chance pour que qui que ce soit les regarde dans les yeux ou ne fasse pas tout son possible pour les ignorer. Au passage, une petite pensée pour Andre Braugher, l’acteur qui jouait le Capitaine Holt dans Brooklyn Nine-Nine, et qui est malheureusement décédé la semaine dernière à seulement 61 ans.

Sur ce, je ne peux que vous inviter à donner aux assos que vous trouvez utiles à la société, même si elles forcent parfois un peu trop sur les campagnes de dons. Le monde associatif, en France, est un truc précieux qui est de plus en plus attaqué par le modèle néolibéral parce que ça se place en dehors du marché, et il faut le protéger. Et, si vous n’en avez pas les moyens, comme d’hab parlez-en autour de vous, envoyez-nous des mots gentils, bref, faites ce que vous pouvez.
Je vous souhaite de joyeuses fêtes de fin d’année, et on se retrouve en janvier avec, on l’espère, une visibilité financière confortable pour nos assos. Allez salut !

Étienne Gonnu : Merci beaucoup Gee. Tu vas rester avec nous pour le sujet principal. Comme tu l’as dit, tu es membre de Framasoft et, puisqu’on va parler de Framasoft, on va en profiter pour en discuter ensemble.
En t’écoutant, ça m’a rappelé les propos tenus par Philippe Aigrain qui a été un activiste infatigable, un défenseur des libertés informatiques, qui nous a malheureusement en 2021. Lors d’une audition devant l’Assemblée nationale, je ne sais plus à quel sujet, il disait que Framasoft avait fait plus pour les libertés informatiques que l’ensemble des pouvoirs publics, il disait cela il y a quelques années, par rapport à tes réflexions sur l’impôt, l’usage de l’argent et comment on s’organise collectivement par rapport à tout ça.
En tout cas, merci beaucoup pour cette chronique.
Je vous propose de faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, comme je le disais, nous échangerons avec Framasoft pour discuter de ses bilans et de ses perspectives après une année de sa campagne coin coin.
Avant cela, nous allons écouter Riverside II par Le Chaos Entre Deux Chaises. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Riverside II par Le Chaos Entre Deux Chaises.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Riverside II par Le Chaos Entre Deux Chaises, disponible sous licence Creative Commons Attribution, CC By. Je ne peux que saluer le super nom de ce groupe. Vous trouverez une présentation de ce groupe, Le Chaos Entre Deux Chaises, sur le site auboutdufil.com.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

Framasoft, un an de coin coin. Bilan et perspectives un an après le début de sa campagne « Collectivisons Internet, Convivialisons Internet »

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal, « Framasoft un an de coin coin », avec Gee qui est resté avec nous et qui a donc enfilé sa casquette de membre de Framasoft et Pouhiou, codirecteur de l’association. Nous allons discuter avec eux de leur bilan et des perspectives, un an après le début de leur campagne « Collectivisons Internet, Convivialisons Internet » ou coin coin. Je précise que Pouhiou, qui suit de beaucoup plus près cette campagne, interviendra principalement, mais Gee n’hésitera pas à partager son point de vue, soyez rassurés.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm bouton « chat ».
Pouhiou, Gee, je vous propose de commencer par la base, est-ce que vous pourriez chacun vous présenter de manière assez sommaire et en profiter pour présenter, peut-être, Framasoft en quelques mots.

Pouhiou : Je suis Pouhiou, je ne suis pas du tout développeur ou informaticien à la base. Je suis arrivé dans le Libre en écrivant des pièces de théâtre et des romans que j’ai mis sous licence libre pour les partager librement. Ces romans ont été édités par une maison d’édition qui s’appelle Framabook, de l’association Framasoft, et c’est comme cela que je suis rentré dans cette association il y a quelques années maintenant et, aujourd’hui, je suis donc codirecteur de l’association Framasoft.
Framasoft c’est, je peux faire le truc « Association d’éducation populaire aux enjeux du numérique et des communs culturels », très bien, mais le principe c’est de faire un peu une espèce de chaînon manquant entre ce monde parfois très spécialisé du numérique libre et les gens, quelque forme que puisse prendre « les gens », parce que « les gens » n’existe pas, ce sont des humains et nous sommes tous et toutes très différents, donc donner des trucs très concrets, des outils très concrets pour améliorer les libertés numériques dans sa vie. Ça peut être une fois un MOOC Massive Open Online Course] ça peut être une fois développer un logiciel alternatif et, une autre fois, mettre sur des serveurs un outil en ligne pour remplacer Google Docs ou Google Forms.

Étienne Gonnu : Tu peux peut-être nous préciser, pour les personnes qui ne connaissent pas, ce qu’est un MOOC.

Pouhiou : Un MOCC, c’est un cours massivement ouvert et en ligne, on vient d’en sortir un ce matin sur le milieu associatif et comment proposer des outils pour se libérer. Une première partie, un premier module de ce MOOC était « Internet, pourquoi et comment reprendre le contrôle ? ». D’ores et déjà, on peut aller suivre ce cours et se former sur toutes ces questions-là. C’est un cours en ligne.

Étienne Gonnu : J’ajouterai le lien et je rappelle que toutes les références qui seront citées seront sur la page de l’émission, je rajouterai ce lien-là. Gee.

Gee : C’est rigolo parce que moi, pour le coup, je viens bien du milieu de l’informatique, j’ai fait des études, j’ai une thèse de géométrie algorithmique, un truc un peu voilà, quoi ! Pourtant, je suis rentré à Framasoft un peu comme Pouhiou pour le côté artistique, parce que je faisais des petites BD sur Internet, un truc qui s’appelait le Geektionnaire à l’époque, et j’avais été invité à en poster sur le Framablog, le blog de Framasoft. Ça fait un petit moment maintenant, c’était même juste avant que Pouhiou n’arrive, c’était en 2011, je crois.

Pouhiou : Je suis arrivé en 2012, je crois.

Gee : C’est ça. Et je suis resté, j’ai fait pas mal de postes différents, j’ai été secrétaire, j’ai même été coprésident à un moment, ça je l’assume moins !
Pour moi, c’est effectivement une des spécificités de Framasoft. Déjà, quand tu vois que nous sommes arrivés par la BD, par le roman, c’est un truc qui peut surprendre. Je pense que dans le milieu numérique/logiciel libre, il n’y a pas énormément d’associations dans lesquelles on peut arriver par ce biais. En général, ce n’est pas une tare, c’est le petit geek qui aime bien développer qui arrive, « qui aime bien les ordinateurs Windows 98 », du coup non, pas à Windows 98. Je pense d’ailleurs que l’association a plutôt évolué en poussant encore plus dans ce sens, plus qu’il y a dix ans.
Nous y sommes restés tous les deux et nous y sommes bien.

Pouhiou : Framasoft a bientôt 20 ans.

Étienne Gonnu : Je précise d’ailleurs, Pouhiou, que tu es salarié de l’association et toi, Gee, tu en es un membre bénévole.

On a à peine commencé, mais j’ai immédiatement envie d’ouvrir une parenthèse avec vous, je pense que ça reste complètement lié à notre sujet, qui est donc Framasoft, puisque ça concerne nos valeurs, plutôt notre éthique partagée. En préparant cette émission — je tiens à signaler qu’avec Pouhiou nous avions échangé directement, comme c’est notre habitude à chaque émission —, pour préciser notre attachement à la question de la représentativité de la diversité de genre, de la parité plus précisément, nous avons demandé, comme on demande à chaque structure, de privilégier la participation d’une femme, dans la mesure du possible ; une parenthèse dans la parenthèse, on a fait une conférence à ce sujet lors du salon Open Source Expérience et les diapos et références sont à retrouver sur notre site. Bref ! Vous avez parfaitement accueilli cette demande, pour des raisons de disponibilité c’est Pouhiou et Gee qui représentent aujourd’hui Framasoft.

Gee : C’était surtout Pouhiou à la base. Il se trouve que je faisais ma chronique avant, donc nous nous sommes dit autant que je sois là, mais, de base, je n’étais pas spécialement prévu.

Étienne Gonnu : Tout à fait, merci de le préciser.
J’évoque cette question parce que, quand on a signalé notre attachement à la diversité, Pouhiou, en plus d’accepter, de le comprendre, tu as partagé avec nous tes réflexions à ce sujet et je trouve intéressant de profiter de ce temps d’échange, entre deux structures qui partagent une éthique commune sur les libertés informatiques, pour mettre en lumière ces réflexions communes dans nos pratiques.

Pouhiou : C’est vrai que c’est rare de pouvoir parler de ces questions-là qui ne sont pas le cœur de notre militance, mais qui, pourtant, nous tiennent à cœur. Nous sommes d’accord sur l’importance de la représentativité, de la représentation et de l’inclusivité, mais, du coup, comment être à la hauteur du sujet et comment être à la hauteur du sujet en sortant de la bête comptabilité : combien y a-t-il de vagins, combien y a-t-il de pénis ? De toute façon, on ne regarde pas dans la culotte des gens qui viennent à la radio !

Étienne Gonnu : Parce que c’est cela qui distingue un homme et une femme.

Pouhiou : Bien sûr ! Le sexe, le genre, et tout ça, et je trouve cela très important. J’ai des collègues identifiées socialement comme femmes qui me disent « j’en ai un peu marre de me demander, à chaque fois qu’on m’invite, si on m’invite parce que je suis perçue comme une femme ou si on m’invite parce que j’ai une expertise, parce que je bosse, parce que je fais des trucs bien. De même, d’autres vont me dire « tout le temps qu’on va passer à faire du tutoring d’autres femmes, à faire de la représentation, etc., on ne le passe pas à bosser, à faire avancer notre expertise, notre carrière, donc, c’est une double charge ». Il y a déjà cette première partie-là.
La question homme-femme est intéressante, mais elle continue de souscrire à la question de la binarité. Personnellement, je suis en train de ne plus du tout me définir comme homme cis, cette définition ne me va plus du tout. Du coup, il faudrait inviter plutôt des femmes que des hommes ! OK, du coup, je suis où moi, là-dedans ? Bien sûr, tout cela n’est pas un reproche, mais il y a tellement de questions ! Comment le faire bien ? C’est important de le faire, ce n’est même pas à remettre en question, mais comment faire les choses bien, en sortant du bête prétexte de « je compte un, une », etc., on fait des tokens et c’est nul !

Étienne Gonnu : Un token, un jeton de présence, en gros, pour participer. C’est vrai que j’ai trouvé ça très intéressant quand tu l’as soulevé parce que, de fait, je pense, d’ailleurs je pense que c’est aussi ton propos, me semble-t-il, que mener cette action reste pertinent et nécessaire, ne serait-ce que pour avoir à peu près de la parité. Mais forcément, de fait, on s’appuie sur des stéréotypes de genre : la nature de la voix, le patronyme, là nous sommes à la radio, mais certaines caractéristiques physiques.

Pouhiou : C’est ce qu’on appelle l’expression de genre, qui est différente encore du genre et qui est différente du sexe. Je trouve que tout cela est extrêmement intéressant à travailler, parce que, en plus, on hérite d’une culture patriarcale qui est installée et on est dans un milieu où le patriarcat ayant fait son effet il y a statistiquement moins de personnes s’identifiant comme femmes. Ça veut donc dire que si on veut réussir une parité et leur imposer du 50/50, il va falloir qu’elles bossent plus dans la représentation. On est dans une période de transition et on essaie de faire avancer les choses pour qu’on ne soit plus, demain et après-demain, dans un milieu où il y a une surreprésentation des personnes identifiées comme hommes et une sous-représentation des personnes identifiées comme femmes. Comment fait-on, dans cette période de transition, pour ne pas créer des problèmes en voulant en résoudre d’autres ?

Étienne Gonnu : D’où la nécessité, aussi, d’en discuter ouvertement.

Pouhiou : Je n’ai pas de réponse, par contre j’ai plein de questions et parlons-en.

Étienne Gonnu : En fait, la réponse vient aussi de ces échanges
Gee, tu voulais revenir sur ce sujet ou on ferme la parenthèse ?

Gee : On va fermer la parenthèse, je ne suis pas sûr d’avoir quelque chose de plus intéressant à dire que ce que Pouhiou vient de faire !

Étienne Gonnu : Fermons cette parenthèse, revenons à nos moutons ou, plutôt, à nos canards, puisque, comme je le disais, ça fait un an de Framasoft fait coin coin. Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que Framasoft s’est lancée dans l’élevage aviaire ? Je précise qu’on vous avait reçus, d’ailleurs tous les deux, il y a un an, le 6 décembre 2022, dans Libre à vous ! 161, si vous voulez retrouver la référence, pour, justement, parler de cette campagne, ça fait donc un an.

Pouhiou : « Collectivisons Internet, Convivialisons Internet », ça semble hyper-sérieux comme ça, du coup on dit « coin coin », au passage parce que ça nous fait marrer, qu’on peut faire des blagues.

Gee : C’est super long à dire, même Étienne a galéré tout à l’heure ! Coin coin, c’est quand même mieux !

Étienne Gonnu : Je me suis entraîné.

Pouhiou : On est d’accord ! L’idée c’est de se dire OK, il y a un coup à jouer. Il y a eu pas mal de travail dans le milieu du logiciel libre, Framasoft ayant fait sa part, pour essayer de convaincre des plus grosses structures, des assez grosses structures, de faire en sorte que les communautés s’émancipent et fassent des transitions vers du numérique éthique ; il y a eu aussi un travail vers les individus, mais, du coup, il y a une espèce de public entre les deux, des petits collectifs pour lesquels, finalement, il y a très peu de possibilités d’offres. Donc, qu’est-ce qu’on peut faire pour améliorer ça ? La plupart des projets qu’on porte au sein de cette campagne, qui s’ajoutent à tout ce que continue de faire Framasoft, parce qu’on ne va pas s’arrêter pour autant, la plupart des nouveaux projets de cette feuille de route, c’est vraiment de se dire qu’on va essayer de compter sur ces petits collectifs, parce que, en plus, au sein de ces petits collectifs, il y a une vraie capacité à s’entraider et, du coup, à se former. Et s’il y a une volonté de se dire on va avoir des outils numériques à la hauteur de nos valeurs, qui correspondent vraiment à nos valeurs et pas à celles de Google et de Microsoft, du coup il y a moyen qu’il y ait de l’entraide et que ces personnes-là se forment entre elles si on leur donne des outils et des clés. C’est à peu près ça le principe de base.

Étienne Gonnu : On va échanger, on va pouvoir rentrer dans le détail. Je vais en profiter pour dire que Framasoft a déjà fait un gros travail d’explication sur le Framablog où un premier billet a été publié début novembre, de mémoire, qui précise un petit peu cette feuille de route et qui évoque ses bilans et ses perspectives. Il y a eu plusieurs articles tout au long de ces deux mois, novembre et décembre, sur les différents projets, on va rentrer dans certains détails, en particulier sur PeerTube. Si vous voulez creuser et relire ça à tête reposée, je vous invite vraiment à aller les lire sur le Famablog, c’est très agréable à lire et très joliment illustré. On va profiter : est-ce qu’on peut quand même dire un mot sur l’esthétique magnifique autour de cette campagne avec les illustrations réalisées par David Revoy ?

Pouhiou : Tout à fait. C’est un boulot de dingue fait par David sur cette campagne et, du coup, sur le site soutenir.framasoft.org où vous avez accès à toutes les thématiques et à tous les articles, etc. On bosse avec lui depuis 2017. C’est un bonheur de bosser avec lui et, en effet, toute l’idée c’est de montrer à la fois le combat parfaitement inégal de petites associations et de petites communautés du Libre face aux plus grandes puissances économiques, culturelles et politiques aujourd’hui, les géants du Web c’est à peu près ça ! Donc montrer ce combat inégal et montrer qu’on va quand même le faire et montrer que ce n’est pas pour faire mal, pour dominer ou pour machin, mais juste pour regagner l’espace, pour repousser l’espace. David a mis ça parfaitement en illustration. Je vous invite vraiment à aller sur « Soutenir » pour voir les petites mascottes, les monstres représentant les GAFAM, les géants du Web, qui représentent très bien leur manière de nous attaquer, nous, citoyennes et citoyens. C’est magique, j’adore bosser avec cette personne !

Gee : Un truc que j’aime aussi beaucoup avec cette esthétique, qui rejoint ce que je disais dans ma chronique sur le fait qu’on essaye de faire des bilans assez positifs, par exemple, c’est que quand on lutte comme ça pour des causes, que ce soit les libertés informatiques, ça pourrait être d’autres choses – le féminisme, l’antiracisme –, on lutte contre des trucs qui ne sont quand même pas jojos, contre un monde qui est quand même assez pourri et, souvent, ce sont des choses qui t’atteignent, en fait, d’une manière ou d’une autre. C’est éprouvant de lutter contre des trucs assez violents et assez forts. Quand on a la grosse machine des GAFAM, par exemple, qui est toute puissante, et que tu es tout petit, avoir cet imaginaire extrêmement positif – je n’irais pas jusqu’à dire que les GAFAM sont mignons –, mais les monstres que nous a faits David c’est une manière de les voir, on peut s’en moquer et c’est moins anxiogène. Il y a vraiment un côté « on va y aller en mode — OK, c’est très manichéen —, nous sommes les gentils, eux sont les méchants, et on va le faire d’une manière optimiste. »

Étienne Gonnu : On va mettre de la joie dans la lutte !

Gee : C’est ça, totalement.

Étienne Gonnu : On sait combien la conquête des imaginaires est importante. D’ailleurs, en face, ils ont très bien compris aussi l’importance de créer un imaginaire où l’informatique c’est Google, où l’informatique c’est Microsoft, et c’est aussi cela qu’il faut déconstruire.

Pouhiou : Et proposer une autre esthétique, parce que, finalement, on n’a pas les mêmes valeurs. Et si on faisait une esthétique à la Apple, lisse, épurée, avec de la photo, du machin, etc., ça parle à une certaine communauté, je vais prendre le cliché du cadre sup avec son SUV et son abonnement à Canal — maintenant ce n’est plus Canal —, et ses multiples abonnements à OnlyFans, c’est cool, mais ce ne sont pas les personnes à qui on s’adresse en premier. Nous nous adressons à des personnes qui, justement, cherchent une certaine éthique, une certaine valeur dans leurs pratiques et dans leur pratique numérique. Finalement, quel est l’imaginaire de ces personnes ? Quel est le visuel qu’on peut proposer à ces personnes pour leur dire « c’est plus toi, c’est plus ton monde que le monde qu’on voit déjà partout, dès qu’on ouvre un média de Bolloré ? »

Gee : Je pense que le côté fun est aussi important. La barre de dons, en gros, de notre côté, ce sont des personnages choupy qui poussent contre un mur et, derrière, il y a les monstres des GAFAM qui essayent de le retenir. Je me souviens d’une discussion qu’on avait eue, il y a quelques années, avant que David fasse ce truc, c’était la campagne « Dégooglisons Internet » avec une parodie de la carte d’Astérix, faite par un autre dessinateur talentueux, dont le nom m’échappe aujourd’hui !

Pouhiou : Gee peut-être !

Gee : Bref ! C’était moi qui avais fait cette carte et je me souviens qu’à l’époque on avait eu pas mal de discussions sur la façon de mettre en forme ce « Dégooglisons Internet », la façon dont on résiste aux GAFAM, tout ça. Je me souviens qu’on avait eu deux idées : l’idée sur laquelle on est parti, donc faire cette parodie d’Astérix, et une autre idée, quelque part, qui était assez évidente aussi, finalement, le côté résistance contre les nazis par exemple, la résistance contre l’envahisseur. En fait, on s’était dit que ce n’était pas un bon plan. Ça marchait très bien parce qu’on peut voir les GAFAM comme une entité totalitaire, tout ce qu’on veut !

Pouhiou : Colonisante.

Gee : Même si on met de côté le point Godwin, allons-y, juste autre chose, mais, ce qui est bien avec Astérix, c’était le côté ridiculisant, c’est-à-dire les méchants Romains. Je pense que là c’est pareil pour les monstres ; ce sont des méchants, ils sont clairement identifiés comme tels, mais ça fait référence à des trucs rigolos : on met un pain dans le menton du méchant Romain, il gicle à 200 mètres et on rigole. Faire ça avec des résistants et des nazis, c’est moins fun, même si l’image était bien aussi. Avec ce que David a fait, je trouve qu’on reste toujours dans cet effet : ramener du fun et de la joie dans la lutte !

Pouhiou : À chaque fois, avec David, on se pose la question : dans le langage graphique comment représenter les outils, les valeurs, les choses numériques sans mettre un clavier, un écran, du vert Matrix et du terminal noir ? Ce n’est pas qu’on n’aime pas cette esthétique, je la vis quand même tous les jours, il n’y a pas de problème, mais c’est bien de sortir de ça, de sortir de cette bulle-là.

Étienne Gonnu : Ça fait écho à l’idée qu’on peut défendre : le logiciel libre n’est pas juste un combat d’informaticiens et d’informaticiennes, il concerne tout le monde ! Comment fait-on collectivité, comment collectiviser et comment convivialiser Internet ? Je trouve ça très intéressant et je trouve que souvent, quand on lit Framasoft et vos actions, il y a cette idée de remettre l’humain au centre et c’est extrêmement important. On sait pourquoi on fait les choses.
Peut-être juste mentionner que « Dégooglisons » c’était la campagne d’avant. Je pense que coin coin est la continuité. Je pense important de redire qu’à Framasoft vous avez lancé quelque chose, vous avez commencé à proposer des outils alternatifs à ceux des GAFAM, mais votre propos, et tu pourras justement le définir, c’est que vous ne vouliez pas devenir un nouveau Google, on en est à des kilomètres et des kilomètres dans ce qu’est Framasoft. Vous ne vouliez pas être un nouveau nœud sur le réseau. En fait, on défend des systèmes a-centrés, des systèmes collectifs, justement.

Pouhiou : Tout à fait. Le principe c’est vraiment de dire comment on abaisse la marche d’entrée, comment on ouvre un peu plus grand la porte à plus de monde. En 2014, on disait « tu veux une alternative à Google Docs ? Pas de soucis ! Tu loues ton serveur, tu prends ton nom de domaine, tu fais « sudo apt get install etherpad » et là j’ai perdu 99,99999 % des gens dont moi ! J’ai dû apprendre cette phrase par cœur ! Je ne comprends rien à ce que je dis. Ce n’est plus vrai, mais bon !, je vais faire semblant, on est à la radio !
Tout ça pour dire que l’idée c’était « on va le mettre en place », mais il y a plein de monde qui vient chez nous ! En fait, vous n’êtes pas obligés de venir chez nous, c’est la première étape, c’est pour commencer, voir si ça vous va, si ça ne vous va pas et c’est OK que l’outil ne corresponde pas encore à vos besoins et que vous ne puissiez pas encore vous libérer. C’est hyper OK ! C’est une porte d’entrée et, une fois que vous êtes là, vous pouvez continuer à avancer et aller chez d’autres ou vous auto-héberger ou mettre en commun les besoins et créer un hébergement pour votre communauté, etc.
De toute façon, ce qu’on propose à chaque fois c’est ça, c’est vraiment essayer d’abaisser techniquement et pratiquement la marche d’entrée pour faciliter l’adoption d’outils numériques éthiques.

Gee : Après, ça reste quand même un choix. Tu disais qu’on était loin de devenir un nouveau Google, qu’on ne voulait pas grossir plus. On était effectivement loin de devenir nouveau Google, mais on a fait quand même un choix ! Pas mal de gens attendaient de nous de continuer de grossir, de mettre, par exemple, une identification unique sur tous nos services pour qu’on ait une espèce de truc unifié comme Google peut avoir et, pourquoi pas, faire un peu payer les comptes, même pas cher, deux/trois euros, pour que les gens puissent avoir leur truc éthique et tout, et ça aurait peut-être très bien marché, par ailleurs ! Mais, en fait, non ! C’était vraiment une volonté de dire que ce n’est pas le modèle qu’on veut ; on ne veut pas faire des champions, des licornes, les termes qu’on utilise dans la Startup Nation française, cocorico, youpi, on a réussi, même si c’est éthique. On défend le modèle des petits trucs décentralisés ! On comparait souvent les chatons, les hébergeurs alternatifs comme Framasoft avait commencé à faire, aux AMAP [Association pour le maintien de l’agriculture paysanne], les AMAP du numérique, par opposition aux gros supermarchés et c’est exactement ça en fait. On peut dire qu’on va faire une ligne de supermarchés éthiques, qui va bien payer ses gens – il y en a qui le font, qui essaient de faire des trucs comme ça, je ne vais pas citer de marque – mais non ! Notre modèle c’était plutôt le modèle AMAP !
C’est aussi un choix et, de fait, entre « Dégooglisons » et coin coin, parce que « Convivialisons » c’est trop long, il y a eu aussi « Contributopia » qui était un peu une phase de transition, après il y a eu le Covid, on va pas refaire tout l’historique mais voilà !

Étienne Gonnu : Coin coin, effectivement et Contributopia, je repense aux superbes dessins qu’il y avait à l’époque. Bref ! Avançons.
Campagne coin coin lancée il y a un an, avant qu’on rentre dans les exemples précis, peut-être faire un bilan général, une année après, qu’est-ce que vous en avez tiré ?

Pouhiou : D’une part, que le besoin est juste. En tout cas, les retours qu’on a eus, c’est qu’il y a vraiment, clairement, besoin de s’adresser encore plus aux petits collectifs. Il y a tellement de petits collectifs qui disent « on est chauds, on est prêts, on veut se sortir de Google, de Microsoft 365 et de tout ça, mais on ne sait pas comment, on a besoin de chaleur humaine, on a besoin d’aide, on a besoin d’outils, on a besoin de choses comme ça. » C’est quand même déjà hyper-rassurant. Ça a été vraiment compris comme le numérique qui sert d’action politique, politique parce qu’on essaie d’améliorer et de changer la façon dont la société fonctionne à notre tout petit niveau, mais on essaie. C’est du boulot, mais on avance, mine de rien.
Framaspace, par exemple, est un des services. On dit à un petit collectif, de moins de 50 membres, on peut vous offrir un espace de 40 gigas en ligne, de cloud avec de l’agenda, de la prise de notes collaborative, de l’espace de stockage, etc. Il y a déjà plus de 700 espaces, on doit même être peut-être 800, on était à 750 au moins. Ça marche, un forum commence à se mettre en place, il y a énormément besoin de « comment est-ce qu’on fait ci, j’aimerais bien un tutoriel pour ça, etc. » On voit bien que le besoin est là, que ça commence à marcher, qu’il va falloir continuer à avancer pour accompagner et offrir encore plus d’outils et passer à la vitesse supérieure.

Étienne Gonnu : Parfait ! Je vous propose de faire une pause musicale avant de rentrer dans les détails et montrer effectivement, quand on lit ce bilan, qu’on voit clairement que ça a beaucoup avancé en un an. On a du mal à se dire que ça ne fait qu’un an et que tout ceci a déjà été fait. Bref !
Je vous propose d’écouter On reviendra par Chicken’s Call. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : On reviendra par Chicken’s Call.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter On reviendra par Chicken’s Call, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.

Nous allons poursuivre notre discussion. Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous échangeons avec Gee et Pouhiou de Framasoft. Nous discutons de leur bilan et des perspectives un an après le début de leur campagne « Collectivisons Internet, Convivialisons Internet » ou coin coin pour faire court.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm bouton « chat ».
Avant la pause, vous avez présenté la campagne coin coin, tiré un premier bilan général. Je pense qu’il peut être intéressant de commencer à regarder plus précisément les différents outils que vous avez développés ou projets que vous avez menés pour participer à cette « convivialisation » d’Internet. Un des projets phares, que vous conduisez depuis six ans, est PeerTube. C’est quoi PeerTube ?

Pouhiou : Attention, ceci est un logiciel, d’accord, qu’en général des gens un peu spécialisés vont installer sur un serveur et ça permet de faire quoi ? Ça permet de faire une plateforme à la YouTube. Mais, si c’est votre PeerTube, votre place c’est que vous êtes Google, vous avez les pouvoirs de Google sur votre petit bout de YouTube, c’est-à-dire que vous pouvez décider de créer « BlueTube » et de dire « voilà la condition : les seules vidéos qui seront acceptées seront teintées en bleu ! », vous avez le droit, par exemple.
Du coup, l’idée c’était vraiment d’aider à s’émanciper les vidéastes sur YouTube et les streamers sur Twitch. Parmi elles et eux, il y en a qui ont besoin ou envie de s’émanciper, certains cas de figure, je ne parle pas forcément des plus connus, évidemment ! Du coup, comment peut-on les aider en abaissant, encore une fois, la marche pour rentrer, en ouvrant plus grand la porte d’entrée. L’idée a été de dire qu’il faut sortir de ce modèle avec une plateforme géante, avec une seule porte d’entrée, parce que, si on veut faire ça, il faut avoir la thune de Google et les serveurs d’Amazon sinon ça ne va pas marcher. Donc, va reprendre les bons vieux principes d’Internet : le réseau décentralisé. Donc, plutôt que créer un géant, on va créer toute une fédération de petits qui vont pouvoir installer PeerTube sur leurs serveurs et, plutôt, que d’être chacun dans son coin avec sa plateforme vidéo, on peut les faire communiquer ensemble et avoir, ensemble, un plus grand catalogue de vidéos ; ça permet déjà de répartir tout ça. En plus, au niveau technique, histoire de ne pas avoir besoin des tuyaux, de la fibre, de la bande passante de Google et compagnie : quand les gens regarderont une vidéo, s’il y a plein de personnes qui viennent la regarder en même temps, ça va la diffuser normalement, mais aussi la diffuser entre spectateurs et spectatrices simultanés. À la fois, grâce à ce pair-à-pair, au fait d’avoir un logiciel libre et au fait d’avoir de la fédération, on a trois choix techniques qui, en fait, sont des choix politiques qui permettent de dire qu’on va démocratiser les moyens de diffusion de la vidéo. C’est le principe qui est derrière PeerTube.

Étienne Gonnu : D’ailleurs, je pense que ce que tu as décrit aura sans doute paru familier aux personnes qui suivent Libre à vous ! ou, du moins, qui ont entendu notre émission sur Mastodon [libreavous.org/159], parce que c’est, en fait, le même principe. Je précise que Mastodon est une plateforme de microblogging basée sur un logiciel libre et sur un système décentralisé, chacun pouvant avoir son instance et puis on rentre par différentes portes.

Pouhiou : C’est ça. La difficulté, d’ailleurs, c’est souvent qu’on se demande par quelle porte entrer. Si, au fur et à mesure de l’émission, on parle d’instance, c’est, en fait, un serveur sur lequel PeerTube, Mastodon ou d’autres logiciels fédérés ont été installés.

Étienne Gonnu : Chacun peut l’installer, mais ça demande des compétences techniques, donc, si on n’a pas ces compétences techniques, on peut aller chercher des personnes qui les ont, on peut se renseigner, trouver une instance et, en fonction, de leur manière de faire, de ce qu’elles proposent, si elles mettent un filtre bleu dont, peut-être, on n’a pas envie, on va aller voir une autre instance, etc.
Il y a une page dédiée qui précise votre bilan et vos perspectives sur PeerTube, une chose que je trouve intéressante : vous distinguez la notion de concurrence ou de rivalité avec celle d’alternative, vous ne voulez pas être rivaux de YouTube, vous voulez être une alternative.
Je trouve intéressante la façon dont se pose la question des usages : il y a un usage réel qui est presque intrinsèque à ce que permet l’outil informatique et Internet, c’est le partage d’informations, là sous forme vidéo, et, en réalité, Google a, quelque part, préempté cet usage et a imposé sa vision du truc, transformant de fait avec son interprétation technique et politique – il y a évidemment des enjeux politiques sous-jacents. La même chose peut être dite du streaming que permet PeerTube, je pense qu’on pourrait y revenir, donc la diffusion en direct, et là c’est Twitch qui est un peu la référence privatrice.

Pouhiou : Twitch, c’est Amazon.

Étienne Gonnu : Twitch appartient à Amazon, on retombe sur les GAFAM. Ils ont donc imposé à tout le monde la façon dont doit fonctionner l’accès à la vidéo. Comment lutte-t-on contre ça ?

Pouhiou : Lentement mais sûrement. En fait, dès le départ, dès la première année où on a annoncé PeerTube, je ne sais pas si tu te souviens, à l’époque c’était la mode des killers, « Hello est le nouveau Facebook killer, machin est le nouveau Twitter killer, etc. » et, à chaque fois, une startup naissait et qui crevait dans les trois mois, tout le monde perdait son temps sur ces merdes-là.
En fait, nous, dès le départ nous avons dit « PeerTube n’est surtout pas le nouveau YouTube killer. Désolés, nous sommes une asso loi 1901, franchouillarde, qui va mettre 50 000 balles sur la table pour essayer d’arriver à une v.1 du logiciel, donc, à aucun moment, vous n’allez comparer nos moyens, nos objectifs, nos machins, avec Google ! On va se calmer deux secondes », et ça a été comme ça. Dès le départ, on a dit aussi qu’on allait commencer par s’adresser d’un public à un autre, en essayant d’agrandir le cercle. Au départ, on s’est adressé à un public très spécialisé parce que, avant que des vidéastes mettent des vidéos sur des plateformes PeerTube, il fallait qu’il y ait des plateformes PeerTube, donc des gens passionnés qui disent « OK, je vois l’intérêt de mettre ça sur mon serveur et je vais filer les clés à deux/trois copains pour créer des comptes. » On a donc commencé à voir quels étaient les besoins puis, au fur et à mesure, on a commencé à voir un peu plus les besoins des vidéastes et une prochaine étape a été de voir les besoins du public. On a vraiment fait petit à petit.
Juste pour donner un ordre de grandeur, ça fait six ans qu’on développe PeerTube, je vais exagérer le budget à mort, en comptant le moindre trombone, vraiment, je pense qu’un budget raisonnable sur ces six ans ce serait 500 000 euros, disons 600 000 ! D’accord ! J’ai fait les calculs, ces 600 000 euros c’est 22 millionièmes des revenus pub YouTube de l’an dernier ! On est bien d’accord que nous sommes face à des dragons et nous sommes armés de cure-dents ! C’est vous qui nous donnez les cure-dents et merci pour vos dons, on en a besoin, c’est cool et tout ça, mais on n’est pas dans la même cour !
Ceci étant dit, on arrive à faire des trucs. On a réalisé, grâce aux médias qui ont couvert la v.6 de PeerTube qui est sortie fin novembre, que PeerTube permette, en tant que spectateur et spectatrice, d’avoir des notifications et des abonnements sans trafiquage, sans avoir besoin de s’abonner, de mettre la cloche, cracher par terre et sauter trois fois à pieds joints autour. Ça permet, en tant que vidéaste, de remplacer sa vidéo quand on a fait une connerie, qu’on veut refaire le montage et le rectifier. Ça permet de pouvoir protéger ses vidéos par mot de passe – c’est interdit sur YouTube, c’est payant chez Vimeo.
On n’a pas fait toutes ces choses-là stratégiquement, pour faire mieux que Google et compagnie, on les a faites parce qu’il y en avait besoin ! Des vidéastes nous disaient « on veut ça », du coup on va le faire ! Et c’est assez intéressant de voir que, finalement, on est vachement plus libres que Google et Amazon parce qu’on n’est pas enfermés dans leur modèle de capter les données, ce qu’on appelle la captologie, il y a une page Wikipédia sur la captologie, je vous invite à la lire. On n’est pas enfermés dans le capitalisme de surveillance, on est vachement plus libres qu’eux parce qu’on n’est pas enfermés dans leur modèle économique.

Gee : Un truc m’a toujours frappé, d’ailleurs j’avais fait une chronique l’année dernière là-dessus, sur le fait que le logiciel libre est facile. En fait les gens, et nous aussi, nous avons tendance à voir tous les trucs que Google et compagnie font bien et à se dire « tiens, ça, ça manque. » Par contre, on ne voit pas tous les trucs qu’ils font super mal et qui nous emmerdent, notamment tous les trucs que YouTube et compagnie ne vont pas faire parce que ça va à l’encontre de leur modèle : la possibilité de mettre « pause » sur une vidéo, de ne pas mettre, par exemple, de lecture automatique. Je me souviens, je l’avais dit dans la chronique, mais ce n’est pas grave, je vais le redire : quand j’avais commencé à me dire « je vais essayer de faire des dessins en live, je vais aller sur Twitch » parce qu’à l’époque il n’y avait que ça. Finalement je ne l’avais pas fait parce que PeerTube Live allait sortir deux mois après, je me suis dit que j’allais attendre PeerTube Live. J’étais quand même allé faire un tour sur Twitch, j’étais allé dans l’interface pour essayer de commencer à faire un stream, commencer, du coup, à diffuser en direct, mais c’est un bordel ! Tu as des trucs partout, ça clignote de tous les côtés, parce que, en fait, il y a la monétisation Amazon, les machins, comment tu fais pour avoir des abonnements, des trucs. C’est une usine à gaz qui est incompréhensible. Les gens sont donc capables de passer à travers cette difficulté parce que cette difficulté est rendue naturelle par les GAFAM.
Quand PeerTube Live est sorti, j’ai voulu aller au direct, on m’a donné une clé, je l’ai mise dans mon navigateur, dans mon logiciel de direct, et c’est tout ! Ça c’est lancé je me suis dit « après, on va me dire que le logiciel libre c’est compliqué ! »

Étienne Gonnu : On revient sur la question des imaginaires.

Gee : C’est ça ! En fait, ils ont complètement naturalisé la complexité et tous les trucs qui te piquent, que ce soit même la pub, les tombereaux de pub que tu tapes c’est naturalisé, et on te dit « tu vas regarder des vidéos, ça ne va pas toujours être la même adresse ! ». C’est compliqué !

Pouhiou : Avec les retours qu’on reçoit autour de PeerTube, on se rend compte de la façon dont l’imaginaire a été manipulé, colonisé et dicté par les GAFAM. Typiquement, la plupart des gens nous disent : « Si vous voulez que votre truc marche, il va falloir mettre de la pub pour payer les peertubeurs. » Désolé, j’ai été youtubeur de 2014 à 2016, j’avais 42 000 abonnés et quand j’ai commencé, le « un euro pour 1000 vues » se cassait la gueule ! La pub, depuis plus de dix ans, ne paye pas les vidéastes à part une poignée de quelques élus happy few, mais la plupart ne se payent pas comme ça et clairement pas avec le modèle publicitaire ; ça va être le placement de produit, ça va être le marketing, la vidéo comme produit d’appel ou le don. Grosso modo ce sont les modèles économiques. Rien que ça. Du coup, pour les personnes, il était inimaginable de se dire « on ne peut pas avoir un logiciel de diffusion de vidéos ou de direct sans avoir une monétisation accolée, il faut absolument que les deux soient mêlés ensemble », parce que dès le départ, dans nos esprits, les deux ont été mêlés ensemble ; il n’est pas possible de penser autrement qu’en termes de plateformes.
On parle plateforme PeerTube, mais il n’y a pas une plateforme PeerTube, il y en a 1000, il y a 1000 instances aujourd’hui, du moins celles que l’on connaît, parce que bien des gens l’installent, ne nous le disent pas et ils ont bien raison. On ne peut pas penser autrement parce que, aujourd’hui, le seul modèle imaginaire que nous ayons, et ce n’est vraiment pas un reproche, c’est le modèle de YouTube, c’est le modèle de Twitch.
Donc, comment on fait-on pour déconstruire ces imaginaires ? Eh bien en disant qu’on peut être vachement plus libre que ça et qu’on peut faire autrement.

Étienne Gonnu : Pour synthétiser : pour les youtubeurs et les youtubeuses, le point de vue vidéaste, en fait, ce que je comprends de ce que tu dis, du fait de la publicité, une partie de leur rémunération sur YouTube est, en fait, assez minoritaire pour les personnes qui vivent de leurs créations et du contenu qu’elles vont diffuser sur YouTube, le reste des manières de monétiser que tu as décrites, notamment les pages de dons sont parfaitement compatibles avec PeerTube. Quelqu’un veut diffuser, il met sa vidéo en ligne, sur une instance PeerTube, tout le monde peut y accéder de n’importe quelle autre instance. Ça marche un peu comme YouTube de ce point de vue-là. On est d’accord ?

Pouhiou : Tout à fait. On peut y accéder depuis une autre instance, il faut juste qu’elles soient connectées entre elles, mais ça se fait assez rapidement.

Étienne Gonnu : Je me permets juste de préciser, le souci pour quelqu’un qui va mettre en ligne, quelle que soit la plateforme, c’est d’être aussi accessible que possible et de la manière la plus simple possible.

Pouhiou : Tout à fait et c’est ça le gros avantage : une vidéo c’est sur un disque dur, c’est un fichier sur un disque dur, ça prend de la place et, plutôt que d’avoir une méga-entreprise qui a besoin de tonnes de thunes pour héberger les vidéos du monde entier, on va partager l’espace disque entre plein de disques durs et ce n’est pas parce que les vidéos vont rester sur le disque dur de ton serveur, de ton instance Peertube, qu’elles ne peuvent pas être vues depuis mon serveur, depuis mon instance. Il suffit juste de partager le catalogue et que, à un moment donné, on aille chercher la vidéo sur ton serveur.

Étienne Gonnu : OK. Maintenant, si on bascule du côté des usagers, des personnes qui veulent regarder des vidéos, j’imagine que ça se fait de la même manière, de manière assez transparente. Du coup, on peut aller se connecter à différentes URL, Gee en a parlé, il y a différentes adresses possibles, en fait, comme pour Mastodon, il y a différentes instances sur lesquelles on peut s’inscrire, mais, à partir du moment où on arrive sur le site, avec le moteur de recherche on peut retrouver des vidéos qui ont été diffusées ailleurs, à partir du moment où les instances sont interconnectées.

Pouhiou : Tout à fait. Il y a un moteur de recherche fédéré, on peut aller sur search.join.peertube.org ou sepiasearch.org – Sepia, c’est la petite seiche, le poulpe mascotte de PeerTube –, c’est un moteur de recherche de contenus sur PeerTube, donc on va trouver des vidéos, des chaînes, des playlists.

Étienne Gonnu : Entendu. Puisqu’on parle de fonctionnalités, on les a déjà citées : on peut diffuser en ligne avec PeerTube, faire du streaming en live, c’est intéressant. Est-ce qu’il y a des fonctions à venir ? Je pense qu’elle est à venir, qu’elle n’est pas en place, tu vas le préciser : est-ce qu’on peut s’en servir sur mobile ? Est-ce qu’il y a une application ?

Pouhiou : Quand je te disais qu’on va commencer à s’intéresser encore plus aux besoins du public qui veut voir, eh bien, l’application mobile, c’est le gros morceau de l’année prochaine. Il y a plein de choses sur PeerTube aussi, mais on se rend compte qu’aujourd’hui la plupart des visualisations de vidéos se font sur mobile, c’est même pour cela qu’on a embauché un deuxième développeur, on a doublé notre équipe de devs, on passe de un à deux, mais pour nous c’est énorme parce que, encore une fois, Framasoft ne souhaite pas croître démesurément, souhaite maîtriser sa croissance. On a embauché un deuxième développeur et une de ses missions va être, justement, de travailler sur cette application. Une application qui, dans sa première version, prévue pour la fin de l’année prochaine, 2024, servira vraiment à rechercher des vidéos, à les consulter, à les regarder, à se connecter pour avoir ses abonnements, ses playlists, ses vidéos à regarder, etc., pouvoir « liker » et commenter, grosso modo.
L’idée c’est vraiment de se dire que ce serait bien, à un moment donné, si des gens cherchent PeerTube sur le Play Store ou, encore mieux, sur F-Droid, l’alternative libre au Play Store de Google, sur le Store de Apple iOS – on veut le faire, on va le faire –, modulo les caprices d’Apple qui refuse plein d’applications dans son store, notamment dans le fédivers parce qu’ils ne comprennent pas trop, ils ne maîtrisent pas. On va voir si ça passe ou pas.

Gee : Et puis il faut casquer 100 balles par an, quand même, pour être chez Apple, tranquillement !

Étienne Gonnu : C’est pour ça qu’il faut donner des sous à Framasoft, pour qu’ils puissent payer Apple !

Pouhiou : Ce n’est peut-être pas le meilleur argument au monde, mais bon !, je le prends quand même.
On espère pour fin 2024, peut-être un peu plus tard, aussi Android TV, parce que, aujourd’hui, va trouver une TV qui ne soit pas smart ! Du coup, le fait de pouvoir regarder des vidéos PeerTube aussi sur sa TV, de manière facilitée et pratique, semble important.

Étienne Gonnu : En termes de fonctionnalités, du coup, ça rejoint ce que disait Gee sur le fait qu’il y a des choses que le Libre permet, que les systèmes privateurs ne permettent pas.
Tu as parlé de fédivers, en fait tu l’as déjà décrit quand tu parlais du système fédéré. Le fédivers est basé sur un protocole. On parlait de Mastodon, je pense qu’il y a des ponts qui vont pouvoir se faire entre des outils que les GAFAM ne permettent pas : on ne peut pas poster des trucs sur YouTube de manière aussi simple et aussi maîtrisée. C’est vrai que c’est aussi une force de ce genre de système.

Pouhiou : Tout à fait ! Il y a une très grande résilience, donc fediverse, federated universe, univers fédéré, on parle le même langage, mais, d’ores et déjà, on peut pouetter sous une vidéo PeerTube, répondre à un pouet d’une vidéo PeerTube et faire des commentaires. Imagine que commenter une vidéo YouTube avec ton compte Twitter ! Aujourd’hui, c’est inimaginable, ils sont fermés entre eux ! Nous, on peut se l’autoriser parce qu’on n’a pas besoin de fermer, tout bêtement, c’est open, c’est libre.

Étienne Gonnu : C’est un exemple, finalement « très bas », entre guillemets, que tu proposes. La seule limite, en fait, c’est l’imagination humaine de ce que permettent les interactions entre différents outils.

Pouhiou : Imagination et mettre les développeurs autour de la table alors que ces développeurs, les nôtres les premiers, sont déjà submergés de travail, avec une feuille de route hyper-chargée.

Gee : C’est vrai qu’il y a aussi une question de délibération, c’est-à-dire que sur Mastodon, qui est une sorte d’alternative à Twitter – même si c’est très réducteur –, par défaut les messages font au maximum 500 caractères, je crois, mais ça se fédère avec, par exemple, Pleroma qui fait le même genre de truc, mais avec une limite beaucoup plus haute. Du coup, quand on est sur Mastodon et qu’on reçoit un message de cette autre version, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on affiche tous les caractères, mais, du coup, les gens sentent bien qu’ils ne voient pas exactement la même chose que le truc habituel ; est-ce qu’on coupe à 500 avec un petit bouton pour dire qu’il y a plus ? Ce sont des trucs qui sont complexes et plus on va mélanger d’applications ensemble plus on va avoir de questions de ce genre !

Étienne Gonnu : Ce sont des questions politiques, des questions politiques intéressantes : comment on décide, qui décide ?

Gee : De fait, ce sont des questions politiques où on est partie prenante. Alors que quand c’est Facebook qui choisit comment il va intégrer les vidéos YouTube, il fait comme il veut et on n’a rien à dire. Quand on est sur une instance, que ça peut être quelqu’un qu’on connaît qui la gère, ou, si ça n’est pas forcément quelqu’un qu’on connaît, mais une association, ce sont des gens qu’on peut atteindre. Essaye d’appeler le SAV de Google !

Pouhiou : Ce matin, nous étions en live sur PeerTube avec un journaliste, David Dufresne. Nous sommes passés de son Twitch à son PeerTube et il y a eu des bugs. En cinq minutes, il a eu au téléphone son hébergeur qui était en contact avec le développeur de PeerTube Chocobozzz — un des deux développeurs puisque, maintenant, Wicklow nous a rejoints — et on a réglé ça ! Va trouver ce service client chez Google ! C’est dingue.

Étienne Gonnu : Puisqu’on parle de communautés, de développement, je pense que le développement est ouvert, combien y a-t-il de contributions ? Des personnes qui nous écoutent ont peut-être des compétences qu’elles souhaiteraient partager sur PeerTube.

Pouhiou : Il y a beaucoup de contributeurs et contributrices, si tu as l’article devant les yeux, tu as peut-être le chiffre, ce sont des centaines de contributeurs et contributrices. PeerTube, aujourd’hui, est devenu un très gros logiciel, on est sur 275 000 lignes de code ! Tout le monde n’est pas prêt à se les fader et je l’entends, pas de souci ! Une première étape, si on veut contribuer au code, c’est plutôt d’essayer de faire un plugin. Un plugin, c’est un petit bout de logiciel qui va s’attacher au nôtre, et s’il y a besoin de trucs pour l’accrocher, pour pouvoir faire en sorte d’avoir des interactions qui, aujourd’hui, ne sont pas possibles, on les demande et nous les ouvrons, vraiment ! Je dis « accrocher » parce que ça s’appelle des hooks en anglais, la traduction de « crochets ».

Gee : La traduction de plugin en français je crois que c’est « greffon ». Je ne sais pas si c’est québécois ou si c’est l’Académie française ; je pense que c’est québécois puisque, en général, l’Académie française dit « n’imp ». « Greffon » c’est trop joli, je pense que c’est québécois.

Étienne Gonnu : Les chiffres : 400 contributeurs/contributrices, 4300 problèmes fermés en six ans, 1500 toujours ouverts, 12 400 contributions intégrées en amont. On est effectivement sur du volume conséquent, du gros volume.
Un dernier mot sur PeerTube ou vous voulez qu’on passe à autre chose ?

Pouhiou : Dernier mot. Outre l’application, plein d’autres choses sont prévues, notamment travailler des nouveaux outils de modération, travailler l’accessibilité. Quand on parle d’accessibilité logicielle, c’est vraiment faire en sorte que le logiciel soit utilisable par des personnes en situation de handicap de manière fluide. On a fait tout ce qu’on a pu dans la dernière version, selon notre niveau de connaissance, là on va demander à des pros de nous faire un audit pour nous dire tout ce qu’on ne fait pas bien, qu’il faut changer, et on va le changer. Avec, aussi, une énorme refonte de ce qu’on appelle l’UI [Interface Utilisateur] et l’UX [Expérience Utilisateur], en fait de l’interface de PeerTube qui n’avait pas forcément de designers et designeuses dès le départ pour travailler dessus, et là tout va être sur la table. J’ai un exemple tout bête : aujourd’hui, pour mettre la vignette de ta vidéo quand tu envoies une vidéo sur PeerTube, il faut aller dans les » Paramètres avancés » ; ça n’a aucune espèce de logique, c’est juste que lorsqu’on a rajouté les vignettes des vidéos, on a mis dans l’onglet « Paramètres avancés », ça n’est pas du tout intuitif et on va revoir tout ça.
Maintenant que PeerTube a un succès fou — la Commission européenne a PeerTube, le ministère l’Éducation nationale, l’Université des Philippines, je peux vous en citer plein —, il y a un vrai grand succès, c’est un succès naissant, mais c’est vraiment en train d’être adopté, et l’idée c’est qu’l faut vraiment qu’on travaille à faciliter l’utilisation, l’adoption, à ce que ça devienne beaucoup plus logique, intuitif, pratique et agréable. C’est donc ce qui nous attend pour 2024.

Étienne Gonnu : Aux personnes qui l’utilisent, que ce soit en visionnage ou pour diffuser PeerTube, je rappelle que c’est du logiciel libre : on peut remonter des bogues, on peut remonter des souhaits, ça sert à ça.

Pouhiou : On a même un site, c’est en anglais parce que la langue primaire du projet est en anglais : si vous allez sur joinpeertube.org, c’est la porte d’entrée de tout PeerTube, il y a un site qui s’appelle ideas.joinpeertube.org, ideas en anglais, donc idées, où vous pouvez suggérer des fonctionnalités. La plupart des fonctionnalités de la version 6, qu’on vient de sortir, et de la version future, 7, en 2024, sont tirées de là. Vous pouvez voter, vous pouvez commenter, et ce n’est pas un truc où il y a besoin d’être développeur pour comprendre comment le site marche.

Étienne Gonnu : OK. On a beaucoup parlé de PeerTube, je trouve que c’est déjà un super beau projet. Bravo ! Il fallait ! Vous attaquiez quand même une montagne et c’est très beau de montrer ce qu’on peut réaliser. On est dans l’éducation populaire, je pense que c’en est un bel exemple.

Pouhiou : La plupart de ces bravos vont à Chocobozzz qui a vraiment bossé dessus.

Étienne Gonnu : Saluons Chocobozzz. Six ans c’est, en fait, vraiment très peu par rapport à ce qui a été accompli. On souhaite vraiment une belle continuation à ce projet, mais il y a d’autres projets. Tu as déjà parlé de Framapace, tu as déjà parlé d’émancipation, on pourra en reparler, mais j’aimerais beaucoup vous entendre sur Mobilizon qui, je trouve, est un très beau projet. Je pense, en gros, que c’est l’alternative d’un service Facebook qui est la création de partage événements, je suis très caricatural et tu vas pouvoir préciser.

Pouhiou : Comment dire ! On voyait, à l’époque, des marches sur le climat s’organiser sur les événements Facebook et on était là « mais merde, on a loupé quelque chose ! Nous, communauté du Libre, on a loupé quelque chose », parce que c’est un problème, c’est un une bombe démocratique, c’est Olivier Ertzscheid qui dit ça sur son blog Affordance, mais quelles alternatives a-t-on à proposer ? Du coup, il y a quatre ans, on a demandé à des designers d’aller voir des militantes et des militants, que ce soit la grosse association écolo ou la petite association queer, pour leur demander « de quoi avez-vous besoin pour vos événements, pour vos groupes et tout ça ? ». Et puis on a essayé de le faire et c’est cela que fait Mobilizon. En fait, Mobilizon c’est Facebook Groups, événements, sans le côté social, sans le côté « c’est la foire à l’égo, je vais être liké, c’est moi qu’on va regarder . » C’est assez intéressant, c’est ce qui correspondait à leurs besoins.
On est heureuses et heureux parce que, en quatre ans, nous sommes arrivés au bout de la vision qu’on avait proposée en 2020. On va arrêter le développement actif sur Mobilizon, parce que, pour nous, c’est fait, c’est prêt. Ce qui est encore plus formidable, c’est qu’il y a déjà une autre équipe qui est prête à prendre le relais et à poursuivre le développement, qui a trouvé du financement, c’est trop cool.

Étienne Gonnu : Super ! Belle histoire encore ! Et, à nouveau, ça part d’un usage nécessaire : comment diffuser une information pour se retrouver à tel endroit, mener telle action, s’organiser ensemble, tout simplement.
OK, super ! Et comment fonctionne Mobilizon ? Il y a, pareil, des instances ?

Pouhiou : C’est exactement comme ce dont on vient de parler avec Peertube et Mastodon, c’est fédéré avec le même protocole, on parle la même langue, pour info le protocole s’appelle ActivityPub, vous pourrez chercher ça tranquillement sur Wikipédia. C’est la même chose.
Si vous voulez un hébergement, on en propose un, vous pouvez vous créer un compte. Par contre, la seule condition c’est que c’est en français parce que si c’est nous qui faisons la modération, va la faire dans la langue qu’on connaît ! Vous allez sur mobilizon.fr et vous pouvez vous ouvrir un compte pour publier vos événements, pour vous organiser dans votre groupe, avoir un outil d’organisation, etc. Encore une fois, vraiment, ça permettra de faire ça, ça ne permettra pas de promouvoir votre événement, etc. L’idée, c’est justement d’utiliser les réseaux propriétaires, où les gens sont enfermés, comme espaces de relais vers des espaces qui vous appartiennent, en tout cas sur lesquels vous avez plus de pouvoir.

Étienne Gonnu : Une porte pour laquelle on va avoir très peu de temps, j’ai quand même envie de l’ouvrir, mais on va avoir très peu de temps pour l’explorer : tu as parlé de modération. On sait que c’est un enjeu et j’imagine que ça prend beaucoup de temps à Framasoft. Pour Mobilizon, vous avez une instance Mastodon et on imagine bien les enjeux de modération. Comment abordez-vous cette question qui est très complexe ? D’ailleurs, on avait fait une émission et une personne de Framasoft était intervenue, je ne sais plus si elle l’avait fait sous anonymat, je vais pas la citer, en tout cas c’est une question qui paraît importante, comment y réfléchissez-vous ?

Pouhiou : Régulièrement. En fait, l’idée c’est de remettre l’humain au centre. C’est-à-dire que nos valeurs sont claires, ce qui nous va ou ce qui ne nous va pas dans la modération c’est plutôt clair. Après, ça va être comment on le met en place sans se cramer. Il y a des moments quand, par exemple, c’est tendancieux ou ne sait pas, etc., on se dit que nous ça nous demande trop de travail, trop de charge humaine, ce n’est pas possible et on va juste dire à la personne « coucou, ce n’est pas qu’on condamne votre comportement et tout ça, mais là, pour nous, c’est trop de boulot, on n’est pas l’espace adapté pour vous, pour votre expression. Il y a d’autres espaces adaptés pour votre expression, c’est peut-être mieux d’aller les trouver parce que ça ne va pas marcher. » Pour nous, c’est très clair que tout ce qui est infox et confusionnisme et tout ça, c’est non. Très bien ! Mais à quel moment parle-t-on de conspiracy quand une nouvelle pandémie éclate et qu’on a 15 jours de recul ? Il n’y a pas de science, il n’y a pas eu le temps d’avoir de la science sur quelque chose de nouveau. Du coup, comment fait-on ? On ne va pas faire le boulot des scientifiques à leur place, la science ça prend du temps, créer du savoir ça prend du temps, et on s’est dit, à un moment donné, utilisons juste le principe de précaution, parce qu’il y a quelque chose qui, potentiellement, peut blesser des humaines et des humains. Donner de fausses informations sur une maladie, c’est mortel, l’enjeu n’est pas anodin, à un moment donné on va plutôt agir dans le principe de précaution ; on ne va pas créer du savoir alors que des gens dont c’est le boulot vont le faire.

Étienne Gonnu : Je trouve cette manière intéressante : vous n’êtes pas la police, vous n’êtes pas là à appliquer justement le droit. C’est votre espace et vous gérez humblement la façon dont vous souhaitez que l’expression doit se partager, avec les difficultés que tu as pu évoquer.

Pouhiou : Le mot « hébergement » est essentiel là-dedans. Quand on parle des instances, quand on parle de plateformes, l’hébergement ! Pensez à propriétaire et locataire, d’accord ! Est-ce que vous faites confiance à Facebook pour être votre proprio, le proprio de votre appart, qui va aller voir dans votre frigo ce que vous faites, qui va choisir la couleur des papiers peints et afficher des pubs ? Est-ce que vous faites confiance à un petit hébergeur que vous pouvez appeler ? Est-ce que vous voulez vous héberger vous-même et devenir propriétaire, c’est vachement plus chaud de devenir propriétaire, il y a des démarches et tout ça. En fait, la version numérique c’est ça : on parle d’hébergement et, dans l’hébergement, vous êtes chez vous, si c’est votre serveur vous êtes chez vous !

Gee : Au ce sujet de la modération à Framasoft je voulais juste ajouter que notre camarade Maiwann a fait une conférence là-dessus au Capitole du Libre cette année, si je dis pas de bêtise, je ne sais pas si la vidéo est disponible. Je ne l’ai pas vue, mais, connaissant Maiwann, ça doit être très bien, donc je vous invite à aller la voir si la vidéo est disponible, sinon voir la prochaine fois que Maiwann fera cette conférence.

Étienne Gonnu : En général, le Capitole capte les conférences. Si ce n’est pas en ligne, ça le sera bientôt.
Il nous reste cinq minutes. J’aimerais quand même qu’on prenne le temps, d’ailleurs je crois que c’était ton souhait, qu’on parle de la campagne de dons, parce que Framasoft va mourir demain, je ne pense pas. Où en êtes-vous sur cette campagne de don ?

Pouhiou : Je n’ai pas regardé là, il y a cinq minutes, mais je pense qu’on doit être à peu près à 50 % de l’objectif qu’on a affiché de 200 000 euros sur soutenir.framasoft.org, objectif jusqu’au 31 décembre qui nous permettra d’avoir notre budget de fonctionnement 2024.
Ce dont on se rend compte, qui est assez intéressant : autant l’année dernière on a vraiment, à un moment donné, serré les fesses, parce que, je ne sais pas si vous vous souvenez, mais fin d’année dernière, on était en pleine guerre en Ukraine, crise énergétique, inflation, et on s’est dit « il y a plein de gens qui ne vont plus avoir une thune » et, clairement, les dons sont arrivés vachement plus tard, se resserrent vraiment sur la toute fin de l’année. OK. Cette année, où on est moins dans cet esprit mental-là, on a quand même l’impression que nous, société, on se prend un peu l’inflation dans les dents et on voit que le même appel aux dons, par exemple avec la newsletters qu’on envoie à mi-décembre en disant « coucou, le bilan est là, on a besoin de sous, si vous pouvez c’est cool » a fait un score qui semble moins grand. On a l’impression que c’est plus poussif, on a aussi l’impression qu’il y a plus d’associations qui font des appels aux dons aujourd’hui – clairement il n’y a pas de concurrence, qu’on soit bien d’accord, ça ne marche pas comme ça, ne réfléchissons pas en capitalistes s’il vous plaît ! Du coup, c’est aussi le signe que l’inflation ayant fait son affaire, il y a plein de sources de revenus pour des associations, des collectifs et des créateurs et créatrices qui n’ont pas été présents et qui vont se tourner vers l’économie du don, ce qu’elles ne faisaient pas forcément avant.
On va croiser les doigts, on espère atteindre l’objectif, on n’est pas en danger là, tout de suite, d’autant plus qu’on a eu la confirmation d’une bourse pour le développement de PeerTube, ça permet de modérer l’impact si on n’atteint pas l’objectif à la fin de l’année, mais clairement, oui, on a besoin de dons ! Et je rappelle vraiment que si j’enlève les bourses dont on parle, etc., et tout ça, les dons ce sont les gens, vous et moi, c’est 75 % du budget annuel de Framasoft : les 11 salaires qu’on sort, tous les mois, les serveurs qui servent 1,5 million de personnes chaque mois, etc. Ça compte vraiment ! On a besoin de vous, que vous en parliez, ou, si vous le pouvez, allez sur soutenir.framasoft.org.

Étienne Gonnu : Le lien sera en référence. Allez-y, déjà, ne serait-ce que pour voir, comme on l’a évoqué, les magnifiques illustrations qui accompagnent cette campagne, justement.

Pouhiou : Cliquez partout, vous allez voir, c’est vraiment amusant !

Étienne Gonnu : Il nous reste encore deux minutes. Est-ce qu’il y a un point sur lequel vous voulez vraiment insister ?

Pouhiou : J’ai beaucoup parlé Gee.

Gee : Oui. De toute façon, je pense qu’on a dit l’essentiel ; « Envoyer des sioux à l’arc ! »

Pouhiou : N’hésitez pas à aller sur le Framablog pour lire un peu plus en détail tout ça. Si vous voulez carrément lire tout en détail, sur le Framablog, on était en août ou septembre 2023, on a carrément publié le rapport d’activité. Je dis plus en détail et pourquoi publie-t-on le rapport d’activité 2022 neuf mois après ? C’est parce qu’il fait 98 pages ! Il est complet, il y a de la transparence ! Vous en voulez, il y en a, mais il y a 98 pages !
Sinon, je veux faire un gros merci. On prend rarement le temps de dire que ce qu’on a fait c’est chouette. Un gros merci à toutes les personnes de Framasoft, bénévoles comme salariés, pour tout le travail qui a été accompli cette année, et à toutes les personnes qui contribuent autour de nous, dans notre archipel de partenaires, des bénévoles, des contributeurs, des contributrices, etc. Qu’on soit bien d’accord, si on arrive à combattre des dragons avec des cure-dents et que ça marche un peu, c’est grâce à ces humaines et ces humains qui mouillent la chemise et c’est super beau à voir. J’ai cette place privilégiée, d’être témoin de ça, de le voir. Vraiment, un énorme merci et toute ma gratitude à ces personnes-là.

Étienne Gonnu : Très belles paroles de fin.
Merci encore. Pouhiou, tu es codirecteur de Framasoft, Gee, tu es membre bénévole de cette très belle association. Merci d’être intervenus aujourd’hui, d’avoir partagé ce bilan et ces perspectives avec nous.
Je vous propose à présent de faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous entendrons la nouvelle pituite de Luk. Avant cela, nous allons écouter Kings And Mothers par Sawtooth. On se retrouve juste après, belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Kings And Mothers par Sawtooth.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Kings And Mothers par Sawtooth, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By. Nous avions déjà diffusé deux morceaux de cet artiste,  Thrones Room et Lavender and Merlot que je vous invite chaudement à découvrir.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous allons passer à notre dernier sujet.

Chronique « La pituite de Luk » intitulée « Firefox, navigateur en voie d’extinction »

Étienne Gonnu : Pour finir l’année en beauté, avec le bon goût exemplaire qui la caractérise, nous allons poursuivre avec une nouvelle « Pituite de Luk » sur le cas de Firefox, navigateur en voie d’extinction, nous dit Luk.
On se retrouve en direct dans quatre minutes sur radio Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

Luk : En cette fin d’année, les assos appellent aux dons et c’est souvent une question de vie ou de mort. Si certaines ont, à l’occasion, donné plus l’impression de faire du chantage au suicide qu’autre chose, tous ces acteurs font quand même des trucs importants avec des moyens souvent dérisoires et généralement précaires. Il y a, au milieu tout cela, une exception, un projet libre, majeur, agonisant et qui ne manque pourtant pas d’argent. Cette situation paradoxale est celle de Firefox, édité par la Fondation Mozilla.
Je pense que l’origine du paradoxe réside dans sa double nature. Je cite mozilla.org : « Entreprise ou organisation à but non lucratif ? Les deux, en vérité ».

En relisant le très critique billet de blog de Cal Paterson de 2020, je me suis dit que l’organisation a trouvé le parfait équilibre entre le monde de l’entreprise et celui de l’organisation à but non lucratif. Ils ont tout simplement gardé le pire des deux mondes !

Dans la parfaite tradition des entreprises de l’informatique de la baie de San Francisco, Mozilla jongle avec les projets stratégiques fumeux, avec une telle adresse que personne ne comprend où elle veut aller.
Dans le même temps, dans la droite ligne des organisations à but non lucratif les plus anticapitalistes, elle n’a pas employé les centaines de millions qu’elle a collectés dans sa bonne période pour investir et se garantir une autonomie financière. Comme d’autres entreprises, Mozilla n’a pas hésité à virer un quart de ses salariés au début du Covid en voyant ses revenus se réduire. Suivant les meilleures traditions des associations caritatives, ses frais de gestion sont particulièrement élevés et ses responsables misent sur une communauté de bénévoles pour faire avancer les choses.
En tant que véritable entreprise de la tech, le top management de la Fondation a fait exploser sa rémunération de 400 % au fil des années, pour atteindre plusieurs millions par an. En tant qu’organisation à but non lucratif pour qui la recherche du profit est terriblement vulgaire, la rémunération stratosphérique des têtes pensantes de la structure se fait au mépris de toute performance. Cal Paterson a ainsi illustré son article de deux belles courbes en miroir où les parts de marché de Firefox et la rémunération du top management semblent inversement proportionnelles ; ça donnerait presque l’impression que ces gens, grassement payés par l’argent du concurrent Google, sont récompensés pour les piètres performances de Firefox.

Peut-être que quelques esprits aussi affûtés que le rasoir de Hanlon me rétorqueront qu’il ne faut « jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer ¢, mais là, contre-Kem’s, je leur opposerai le rasoir d’Ockham qui veut qu’on n’aille pas chercher une explication plus complexe tant que la plus simple n’a pas été disqualifiée. Or, à mon sens, l’idée que des gens travaillent pour ceux qui les paient me semble la plus simple.

Une chose est certaine, j’ai clairement déterminé une causalité implacable dans cette corrélation des courbes, à chaque fois que je l’observe ça me fait mal au cul !

Aujourd’hui, Mozilla annonce un nouveau projet, une IA digne de confiance, qui génère des sites web sans besoin de coder. Je veux bien croire que c’est une super idée, je ne connais rien au domaine du webdesign. Par contre, le problème est que trois ans ont passé depuis le billet de blog de Cal Paterson et que les parts de marché de Firefox ont encore baissé d’un tiers pour arriver à 2 % au global, 6 % sur les PC. Cela représente une menace sérieuse, car les agences américaines ne supportent pas les navigateurs dont la part de marché est inférieure à 2 %. Et cela risque bien de laisser la porte ouverte à Chrome pour faire n’importe quoi !

Ce qui m’échappe, c’est qu’à son époque glorieuse, Firefox avait planté Internet Explorer en bloquant les popups de pubs ; c’était une libération !
Aujourd’hui, seul Firefox permet d’installer des bloqueurs de pubs réellement efficaces au moment même où YouTube commence à les bannir et punit les utilisateurs de Firefox en leur imposant un délai de cinq secondes avant de lancer une vidéo.

J’ai discuté avec des power users Microsoft qui ignoraient complètement qu’on pouvait se libérer de la publicité avec du logiciel libre. Pour eux, Firefox est juste ringard et dépassé et la pub est une nuisance inévitable.
Les deux situations historiques me semblent pourtant analogues, mais quelque chose a manifestement changé.

L’avenir d’Internet sans navigateur libre, sans respect des normes et maîtrisé par des acteurs pour qui le profit vaut bien la diffusion de pubs partout, tout le temps, au contenu trompeur, malhonnête ou malsain, me semble bien sombre. Avec la Fondation Mozilla, qui me semble moins qu’incapable de faire face, je rêve d’une alternative. Je propose de l’appeler « Fireforks ».
Allez, maintenant qu’on a un nom, il ne reste plus qu’à trouver les centaines de millions, d’organiser tout ça et hop ! Trop facile !

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : De retour en direct sur Libre à vous !, l’émission de l’April qui vous raconte les libertés informatiques.
Nous venons d’écouter la dernière « Pituite de Luk ».
Nous allons finir par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Expolibre est une collection de panneaux d’affichage pour sensibiliser aux logiciels libres. Notre site, expolibre.org, a été migré sous SPIP, un langage, je cherche mes mots, Pouhiou va me tirer de ce mauvais pas !

Étienne Gonnu : En fait, SPIP est un outil pour créer des sites web, un peu comme WordPress qui en est un autre. C’est ce qu’on appelle un CMS, Content Management System.

Étienne Gonnu : Merci, j’étais en train de tourner autour de ce mot. Le site a été migré sous SPIP. Merci aux bénévoles qui ont contribué à cette migration : Marc, Vincent, Jean et Antoine. Pour en savoir plus sur SPIP, au-delà de la très bonne présentation que vient d’en faire Pouhiou, je vous invite à découvrir notre émission Libre à vous ! 123 qui était dédiée à ce sujet ou à en lire la transcription. Vous pourrez retrouver tout cela sur la page libreavous.org/123.

Bravo aux 22 collectivités récompensées par un label Territoire Numérique Libre.
Félicitations, en particulier, aux villes d’Abbeville et d’Échirolles qui confirment leur label niveau 5, le niveau maximum ainsi que Boé et le Syndicat Morbihan Énergies qui obtiennent également ce niveau 5.
Boé, en particulier, aura marqué cette édition en remportant le prix spécial « Coup de cœur du jury », vraiment une très belle candidature. J’espère que nous recevrons bientôt Boé dans Libre à vous, en tout cas l’invitation lui a été faite.
Félicitations également à Caluire-et-Cuire, « Meilleure première candidature », et à Claix, « Meilleure progression », passée du niveau 2 au niveau 4 en l’espace seulement d’une année !
Vraiment félicitations à l’ensemble de ces 22 collectivités.

Notre émission Libre à vous ! est diffusée, depuis 2018, sur les ondes de radio Cause Commune. Cette diffusion permet de toucher un très large public. La radio Cause Commune fonctionne grâce à l’engagement de bénévoles, sans aucune personne salariée, mais a, bien sûr, des frais de fonctionnement. La radio a fait face, récemment, à de gros soucis financiers.
Si vous avez entendu le début de l’émission, vous voyez où je vais.
Un appel aux dons avait été lancé. L’équipe de la radio tient à remercier les personnes qui ont fait un don. Cause Commune va pouvoir passer la fin d’année avec un peu plus de sérénité. En effet, l’objectif initial de 13 000 euros vient récemment d’être dépassé. Mais, l’équipe de la radio aimerait atteindre 120 %, voire 150 %, ce qui lui permettrait d’envisager des investissements, notamment l’achat de matériel et d’être peut-être encore plus sereine quant à l’avenir. Il est possible de faire des dons, comme pour Framasoft, jusqu’au 31 décembre 2023.
À nouveau, un très grand merci à toutes les personnes qui soutiennent Cause Commune et un grand merci à Cause Commune qui nous permet de vous proposer, toutes les semaines, notre émission Libre à vous !

Comme à chaque fois, je vous invite à consulter l’agendadulibre.org pour trouver des événements en lien avec le logiciel libre et la culture libre près de chez vous et puis de trouver où se situe l’ensemble des associations locales, les GULL, les Groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres, qui sont près de chez vous pour, justement, les rencontrer, rencontrer ces humains qui font vivre le logiciel libre.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Gee, Pouhiou et l’incroyable Luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Élise. Je crois que c’est sa première régie... non deuxième ! En tout cas, même si c’est la deuxième, elle a été parfaitement menée ! Je sais, pour le faire, que ce n’est pas si simple de faire une régie nickel de bout en bout, donc bravo à Élise épaulée par Fred aujourd’hui.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site web de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous aimez cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire également connaître la radio Cause Commune, la voix de possibles

C’était la dernière émission de l’année 2023. Nous allons faire une courte pause et on se retrouve l’année prochaine pour de nouvelles émissions. Je n’allais pas me priver de l’occasion de faire cette blague classique à la radio, désolé !
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 16 janvier 2024 à 15 heures 30. Notre sujet principal sera un nouveau « Parcours libriste », une personne viendra nous présenter son parcours et son rapport au logiciel libre.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée et une belle fin d’année. Plein d’amour et de paillettes à vous et à vos proches. On se retrouve en direct mardi 16 janvier et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission :Wesh Tone par Realaze.

Média d’origine

Titre :

Émission Libre à vous ! diffusée mardi 19 décembre 2023 sur radio Cause Commune

Personne⋅s :
- Étienne Gonnu - Gee - Luk - Pouhiou
Source :

Podcast

Lieu :

Radio Cause Commune

Date :
Durée :

1 h 30 min

Autres liens :

Page de présentation de l’émission

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure.
Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’aimable autorisation d’Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.