Émission Libre à vous ! diffusée mardi 18 avril 2023 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous ! l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’information et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.

Vous en avez peut-être marre des médias ou réseaux sociaux centralisés et privateurs, eh bien ça va être l’occasion aujourd’hui de découvrir le Fediverse, un ensemble de médias sociaux libres, administrés de façon autonome et connectés entre eux. C’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique de Gee sur le technosolutionnisme et, en fin d’émission, la chronique de Laurent et Lorette Costy « Forensique des JDLL 2023 ».
Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 18 avril 2023. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui, d’ailleurs pour une première sur les interventions à distance, donc il est un petit peu stressé, on va l’encourager, c’est Thierry Holleville. Bonjour Thierry.

Thierry : Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Les humeurs de Gee » sur le technosolutionnisme

Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique « Les humeurs de Gee ». Gee, auteur du blog BD Grise Bouille, nous expose son humeur du jour. Des frasques des GAFAM aux modes numériques en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.
Bonjour Gee. Je te laisse la parole.

Gee : Bonjour Fred. OK. Merci.
Salut à toi, public de Libre à vous !
Pour commencer, je vais te faire une petite confidence, attention, c’est secret ! Allez, on est entre nous, je te le dis : j’aime bien l’informatique ! Ça va, ne fais pas semblant d’être surpris. OK, c’est vrai qu’on est dans une émission de radio de l’April, association de défense et de promotion du logiciel libre, et, si tous les gens passionnés d’informatique ne sont pas libristes, il faut admettre que la plupart des libristes sont des passionnés d’informatique.

D’ailleurs moi, si j’aime bien l’informatique, ce n’est pas juste pour le logiciel libre ! J’ai développé une passion pour l’informatique bien avant de découvrir le logiciel libre. Une passion qui est venue, je pense, en découvrant que ce petit outil qu’était l’ordinateur me permettait de faire une foule de trucs chouettes. Si aujourd’hui je fais beaucoup de dessin, de musique, d’écriture, si je développe même un jeu vidéo, c’est certes parce que j’ai eu la chance de grandir dans une famille de profs. L’ambiance était plus Télérama/vacances culturelles que Télé 7 Jours et vacances dans la cour du HLM.
Mais bon !, au-delà du déterminisme social, c’est aussi parce que j’ai eu la possibilité technique de faire des choses inimaginables sans informatique : du dessin animé avec Inkscape et quelques scripts Python, des musiques d’orchestre symphonique avec MuseScore ou Ardour, des livres auto-édités avec LaTeX, avec Pandoc, etc.

Je pense qu’on est pas mal à avoir développé cette passion pour l’informatique d’une manière ou d’une autre, notamment dans le milieu du logiciel libre. Les expériences diffèrent, le résultat est souvent le même : on aime ça !

Être passionné, c’est très chouette !, sauf si votre passion c’est d’exploser la tronche de vos semblables, mais on n’est pas là pour parler du ministre de l’Intérieur ! Non ! Être passionné, c’est chouette, mais ça peut amener un certain nombre d’angles morts. Par exemple, les libristes sont en général proches des milieux militants pour l’écologie et la justice sociale, mais ont parfois du mal à prendre la mesure de l’impact environnemental du numérique qui, s’il est faible comparé au transport, au chômage ou à l’alimentation carnée, est quand même loin d’être négligeable, qu’il soit basé sur du logiciel libre ou non.

Évidemment, on imagine aisément qu’un numérique soutenable serait nécessairement low tech, c’est-à-dire qu’on arrêterait la course à l’échalote de la puissance de calcul, qu’on minimiserait le nombre d’appareils numériques et qu’on les ferait durer le plus longtemps possible. Un état d’esprit assez incompatible avec le modèle économique des industries du logiciel propriétaire, ou privateur, industries qui pratiquent l’obsolescence programmée à tout-va et pour qui l’augmentation de la consommation énergétique du numérique est une excellente nouvelle. Et vas-y que je te construis un nouveau datacenter, et vas-y que je te remets une couche de 4G, 5G, 6G, avec l’explosion de la bande passante, les nouveaux téléphones qui vont avec et les anciens qu’on peut jeter ! Merci la fuite en avant !

Le logiciel libre, en revanche, permet souvent de donner une deuxième vie à de vieux appareils, avec des distributions GNU/Linux légères pour remplacer votre vieux Windows plus maintenu par Microsoft, etc. En général, le modèle économique du logiciel libre n’est pas basé sur la publicité ou la recherche de croissance infinie, mais sur la recherche d’un certain équilibre, ce qui serait déjà plus compatible avec une société sobre et décroissante.

Reste le problème principal et vous connaissez la devise : Quand on a une tête de marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous. Je parle évidemment du technosolutionnisme. Certes, les libristes ont en général un peu de recul et ne se vautrent pas dans le technosolutionnisme le plus crasse comme le premier startupeur cocaïné venu, mais on n’est pas là pour parler du président de la République ! En gros, nous ne sommes pas les pires, mais ce serait mentir à nous-mêmes que de croire que nous sommes immunisés contre le technosolutionnisme.

Le technosolutionnisme, c’est considérer qu’à tout problème il existe une réponse technologique, donc, dans notre monde moderne, c’est très souvent une réponse numérique.
Par exemple, au début de la pandémie de Covid 19 en 2020, on nous a sorti cette fameuse application pour smartphone, StopCovid puis TousAntiCovid, comme une sorte de Saint Graal qui allait tout résoudre ! Évidemment, cette appli posait des problèmes de vie privé et de flicage, problèmes contre lesquels nous autres libristes nous nous sommes évidemment élevés.
Au-delà de cela, pourtant, c’était l’intérêt même de faire une app qui posait question : quelques semaines après son lancement, on vantait les quelque 10 000 cas contacts notifiés par l’application depuis son lancement, quand la Caisse nationale de l’assurance maladie en notifiait 120 000 par jour ! Visiblement, la sécu fait un super boulot malgré des moyens toujours en baisse, mais, technosolutionnisme oblige, on ne va certainement pas investir dans un truc aussi has-been que du personnel quand on peut se la jouer Start-up Nation avec une app qui ne marche pas, certes, mais qui donne bien l’impression qu’on a fait des trucs modernes.
Notez : l’appli en question était publiée sous licence libre. Comme quoi ce n’est pas le problème. Entendons-nous bien : quitte à avoir un outil numérique, alors oui, il faut qu’il soit sous licence libre. C’est une condition nécessaire, mais certainement pas suffisante.

Et là, je ne peux pas ne pas vous citer le blog de mon camarade Louis Derrac – blog que je vous conseille au passage –, dans lequel il propose trois points essentiels pour un numérique dit acceptable.

  • Premier point : un numérique acceptable doit être émancipateur et non aliénant. Bon, OK, on voit facilement en quoi le logiciel libre convient largement mieux que le privateur sur ce point. Exemple : le privateur YouTube nous aliène avec ses pubs et son algo qui vise à nous garder scotchés devant l’écran, le libre PeerTube nous émancipe en nous permettant d’auto-organiser des plateformes de vidéo indépendantes et non soumises aux diktats de la pub et de l’audience. Simple ! Non ! Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas faire une parodie d’Oreslan, mais c’est simple.
  • Deuxième point : un numérique acceptable doit être choisi et non subi. Eh oui ! J’en avais déjà parlé il y a quelque temps dans ma chronique sur la fracture numérique, où j’évoquais les gens laissés de côté par la numérisation à marche forcée des services publics. Même si le site web pour consulter ses droits au chômage, à la retraite, tout ça – outil émancipateur s’il en est – était sous licence libre, ça ne suffirait pas. Un site web, c’est bien pour les gugusses comme moi qui ont un clavier collé aux paluches en permanence, mais, pour ton cousin qui se trimbale le même Nokia depuis 25 ans et qui se fout autant de l’informatique que moi je me fous du patinage artistique, un guichet, c’est bien aussi.
  • Troisième et dernier point, et pas des moindres : un numérique acceptable doit être soutenable humainement et environnementalement. Ouais ! Alors, on n’y est pas, je vous le dis. Environnementalement, entre l’épuisement des ressources et évidement l’impact carbone des technologies numériques, on a un sacré boulot à faire pour espérer créer un low-tech soutenable avant qu’un effondrement environnemental ne nous force au no-tech tout court.
    Et humainement, comment vous dire ! Si la compagnie Fairphone, qui fabrique des téléphones dit « équitables », communique autant sur le fait que ses minerais ne viennent pas de mines qui font travailler des enfants, je vous laisse deviner ce qu’il en est du reste de l’industrie ! Et puis tiens, il y a quelques années, on avait aussi découvert que les joyeuses usines d’Apple, en Chine, étaient équipées de filets anti-suicide tellement trop de salariés se foutaient littéralement par la fenêtre pour échapper à leurs conditions de travail. Voilà à peu près où on en est ! Bref !, pour faire simple, forcer les gens qui veulent consulter leur compte en banque à avoir un smartphone non désiré, construit par des esclaves, obsolète au bout de deux ans et non réparable, même si on a mis une variante d’Android libre dessus, c’est quand même de la merde !
    Évidemment, je vais pas prôner la technophobie non plus, ce serait assez hypocrite de ma part. De toute façon, des secteurs de nos vies modernes qui sont soutenables humainement et environnementalement, honnêtement il n’y en a pas des masses, donc on fait comme pour le reste, on fait au mieux, chacun selon ses moyens et son énergie, en essayant de toujours se poser la question : au-delà du logiciel libre, quel numérique nous semble acceptable et bien sûr, au-delà de ça, quel monde nous semblerait acceptable. Oui, je sais, ça fait large !

Pour conclure, des fois – pas toujours, mais des fois – la bonne réponse à un numérique privateur, ce n’est pas un numérique libre, c’est juste pas de numérique du tout.
D’ailleurs, je vais appliquer le principe immédiatement en me déconnectant de cette émission, même si, bien sûr, je vous retrouve le mois prochain et, en attendant, je vous dis : salut !

Frédéric Couchet : Merci Gee.
Tu as parlé de low-tech, je vais en profiter pour préciser que ce sera le sujet principal de l’émission du 9 mai 2023. Tu as parlé du Fairphone, j’aurai le plaisir d’accueillir Agnès Crépet le 23 mai 2023 pour parler de son parcours et notamment de son passage à Fairphone. Sur le salon web et ici au studio, je crois que nous avons particulièrement les deux références à l’actualité que tu as faites de façon tout à fait discrète.
Je te souhaite une bonne fin de journée et surtout une bonne déconnexion. Donc au mois prochain.

Gee : Au mois prochain, Salut Fred.

Frédéric Couchet : Salut. Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlerons donc du Fediverse. La pause musicale a d’ailleurs été choisie par l’une de nos invités, Audrey Guélou. Nous allons écouter Her Song par David Matias. On se retrouve dans deux minutes quarante cinq. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Her Song par David Matias.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Her Song par David Matias, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC BY, qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation, y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Le Fediverse avec Audrey Guélou et Thomas Citharel

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur le Fediverse. Je ne vais pas définir, pour le moment, ce qu’est le Fediverse, même si j’en ai donné une définition au tout début de l’émission, je vais évidemment laisser nos invités en parler largement. Nos invités : au studio, en face de moi, Audrey Guélou, Bonjour Audrey.

Audrey Guélou : Bonjour Frédéric.

Frédéric Couchet : Et normalement, avec nous à distance, Thomas Citharel. Bonjour Thomas.

Thomas Citharel : Bonjour Fred. Bonjour tout le monde.

Frédéric Couchet : J’en profite pour féliciter le réalisateur de l’émission, Thierry, parce que tout fonctionne nickel, alors que c’est une première : pour l’intervention à distance, on utilise un nouvel outil.
N’hésitez pas à participer, si vous le voulez, à notre conversation, si vous voulez utiliser un outil supplémentaire qui est le téléphone au 72 51 55 46 ou alors sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous.

On va parler du Fediverse et avant de poser la question pour définir un petit peu ce qu’est le Fediverse, on va commencer par la question traditionnelle de présentation des deux personnes invitées. On va commencer par Audrey Guélou.

Audrey Guélou : Je suis membre de l’association Picasoft qui fait de l’éducation populaire au numérique autour de Compiègne et qui propose des services web libres et gratuits. Je suis doctorante en Sciences de l’information et la communication à l’Université de technologie de Compiègne et je suis très contente de pouvoir parler du Fediverse aujourd’hui avec toi, avec Thomas aussi, donc merci Fred, merci Thierry, merci l’April d’ouvrir cette discussion et de m’inviter à y participer.

Frédéric Couchet : C’est avec grand plaisir. Petite présentation aussi de ta part, Thomas Citharel.

Thomas Citharel : Bonjour. Je suis membre salarié de l’association Framasoft que les auditeurs de cette émission doivent probablement connaître. Je suis principalement développeur et également administrateur systèmes pour tous les logiciels développés, améliorés ou modifiés par Framasoft et proposés comme services au grand public. J’ai développé, en particulier, un logiciel qui s’appelle Mobilizon, porté par Framasoft et faisant partie du Fediverse. Voilà le lien avec l’émission d’aujourd’hui.

Frédéric Couchet : On parlera effectivement de Mobilizon tout à l’heure. Je vais préciser les URL des deux structures qui ont été citées : picasoft.net et framasoft.net. Si on cite des logiciels, des documents, toutes les références seront sur le site de l’émission, libreavous.org, soit elles le sont déjà, soit elles le seront après l’émission.
Le Fediverse. On a déjà cité ce mot dans l’émission consacrée à Mastodon, le réseau social libre de microblogging qui existe depuis pas mal d’années, qui a eu beaucoup de succès avec récemment un pic d’audience suite, notamment, au rachat de Twitter par Elon Musk, mais nous n’étions pas rentrés dans les détails, donc on s’est dit qu’on allait inviter deux personnes expertes du sujet pour nous expliquer ce qu’est le Fediverse. C’est probablement une première émission, il y en aura peut-être d’autres, parce qu’on va voir que c’est très large. Première question, on va commencer par Audrey : comment définirais-tu le Fediverse ?

Audrey Guélou : On peut commencer par dire que le Fediverse est un ensemble de médias sociaux qui vont être connectés entre eux, on dira fédérés, on peut en rester là pour l’instant. Ce sont des médias sociaux qui vont être répartis sur des milliers de serveurs, des milliers de sites différents dans le monde entier.
On peut être familier du Fediverse au sens où les fonctionnalités sont communes à celles des médias sociaux qu’on a peut-être plus l’habitude d’utiliser, les médias sociaux qui permettent d’échanger des textes courts, des photos, des vidéos, d’interagir avec des utilisateurs, de publier du contenu, etc. Mais c’est vrai qu’il y a une différence entre des médias sociaux centralisés – type Twitter, Facebook, YouTube –, une différence structurelle qui est que les médias sociaux du Fediverse sont décentralisés. On peut se figurer cette structure-là par un archipel, on peut se dire que les médias sociaux du Fediverse sont comme les îles d’un archipel où chaque média social est une des îles de l’archipel qui va être gérée par une communauté ou par un particulier, de façon autonome, et les îles ne sont pas isolées, c’est-à-dire que tous ces médias sociaux-là communiquent aussi entre eux.

Frédéric Couchet : Thomas, est-ce que tu souhaites compléter cette introduction ?

Thomas Citharel : On a parlé de média social. Il ne faut pas s’arrêter forcément à la comparaison Twitter/Mastodon, le Fediverse peut avoir une portée un peu plus grande. On ne mettrait pas forcément YouTube dans la catégorie de média social, même s’il y a un système de commentaires ; l’alternative que propose Framasoft, qui s’appelle PeerTube, permet notamment d’échanger, de visionner des vidéos et d’interagir avec de manière fédérée. On va expliquer juste après comment ça fonctionne. Ce sont un peu plus des questions d’outils. Il y a aussi des alternatives à Spotify, des plateformes de podcasts, par exemple, qui sont fédérées.
C’est plus une manière de faire fonctionner un outil informatique qui ne soit pas centralisé et, du coup, entre les mains d’une seule entité, plutôt qu’un système d’alternatives dans le cadre des médias sociaux uniquement.

Frédéric Couchet : D’accord. J’ai une petite question. Vous avez utilisé l’expression « médias sociaux » tous les deux, alors qu’on parle souvent de « réseaux sociaux ». Est-ce que vous faites une différence entre les deux ? Si oui, laquelle ? Est-ce que ça a un impact au niveau du Fediverse ? Audrey.

Audrey Guélou : C’est une bonne question ! C’est vrai qu’on parle maintenant de médias sociaux en faisant effectivement la différence entre réseau social et média social. Un média social c’est ce qui va permettre de créer, de maintenir, de développer des réseaux sociaux, c’est-à-dire des liens entre les gens, en échangeant des médias, en interagissant autour de médias. En fait, le média social va plutôt être, on va dire, la technologie, l’outil, le dispositif numérique autour duquel se créent des réseaux sociaux, c’est-à-dire des liens entre les personnes. C’est comme ça que je le vois.

Frédéric Couchet : D’accord. Fais-tu la même différence, Thomas ?

Thomas Citharel : Je ne l’utilise pas sémantiquement, mais je suis tout à fait d’accord avec l’interprétation d’Audrey.

Frédéric Couchet : OK. Comme tu es à distance, Thomas, si tu veux intervenir n’hésite pas, comme Audrey est en face de moi, c’est beaucoup plus simple.
Vous avez employé les termes « fédéré », « fédération ». Dans l’imaginaire des gens, fédération peut vouloir dire beaucoup de choses. Que veut dire la fédération dans ce concept de médias sociaux ? Audrey ou Thomas.

Thomas Citharel : La fédération que vous connaissez peut-être ce sont typiquement des associations par exemple de sport. La Fédération française de football, par exemple, fait en sorte de fédérer des structures plus petites en ayant une entité un peu au-dessus. Dans le cadre du Fediverse, il n’y a pas d’entité qui régit ces différentes sous-entités, mais le fonctionnement du réseau fait que les entités peuvent se parler avec un vocabulaire commun, avec des méthodes communes, et ça fait en sorte que chaque entité du réseau, quelle que soit sa taille, a les mêmes droits à la base, a la même capacité à échanger avec chaque entité et, potentiellement, chaque entité se connaît.

Frédéric Couchet : D’accord. Audrey.

Audrey Guélou : Je peux peut-être rajouter qu’on peut voir la fédération à la fois sous l’angle technique et social, politique. Il y a la fédération technique, ce que disait Thomas sur le fait qu’on va avoir des médias sociaux différents, par exemple un média social type PeerTube qui va permettre de partager des vidéos, un média social comme Mastodon qui permet de s’échanger des messages courts en particulier. Ces médias sociaux ont des fonctions différentes mais, grâce à la fédération technique, en fait grâce au fait que ces logiciels-là vont utiliser un même protocole de communication, c’est-à-dire les mêmes règles, les mêmes normes pour communiquer, pour s’échanger de l’information, on va pouvoir faire communiquer des utilisateurs de médias sociaux qui sont répartis sur plein de serveurs différents. La partie technique c’est le terme d’interopérabilité.

Frédéric Couchet : Hou là ! Il va falloir l’expliquer.

Audrey Guélou : On l’aime bien celui-là ! C’est ce que décrivait Thomas. C’est le fait de faire communiquer des entités hétérogènes, des entités différentes. Par exemple, j’ai mon média social qui permet du partage de photos ; Thomas a son média social qui permet du partage de vidéos ; ce sont des logiciels qui fonctionnent différemment, mais, comme ils utilisent le même langage, on va pouvoir communiquer, on va pouvoir interagir, même si on fait des choses différentes ; c’est cette notion de protocole commun.
Après, ce que je voulais peut-être ajouter, c’est la partie gouvernance de la fédération, le fait que contrairement à une configuration centralisée où on a effectivement une personne, une organisation qui va contrôler l’ensemble du réseau, qui va définir les règles de communication pour tout le monde, eh bien là, dans une fédération, chaque personne qui possède une partie du réseau, qui possède un média social du Fediverse, va gérer ce média social-là de façon indépendante, de façon autonome, sans pour autant être isolée. On a sa portion du Fediverse où on va pouvoir définir une ligne éditoriale, définir des règles d’utilisation, mais, pour autant, on n’est pas isolé sur son île, on va aussi pouvoir communiquer avec d’autres îles ; c’est l’intérêt de la fédération.

Frédéric Couchet : On va évidemment revenir sur cette notion de gouvernance, de règles d’utilisation, de modération, etc.
Juste un point de vue technique, vous avez parlé un petit peu de technique, allons un peu plus loin sans rentrer trop dans les détails : un mot clef revient souvent quand on parle de Fediverse, c’est « instance ». Qu’est-ce qu’une instance ? Thomas.

Thomas Citharel : Instance n’est pas forcément le vocabulaire le plus évident pour les néophytes, mais c’est celui qui est souvent utilisé. Globalement il s’agit de serveurs, finalement. De la même manière que vous avez différents fournisseurs de services pour échanger des mails, vous pouvez choisir d’avoir un e-mail hébergé chez un géant du Web, comme Microsoft, ou chez votre fournisseur d’accès à Internet, local ou pas, qui vous fourniront une adresse mail. Ces fournisseurs de services ont des serveurs. De la même manière, vous allez avoir des fournisseurs de services qui vont vous fournir un accès au Fediverse avec des logiciels : Mastodon qui permet d’échanger des messages, PeerTube qui permet d’échanger des vidéos, Pixelfed qui permet d’échanger des images ; ces logiciels sont mis à disposition des utilisateurs sur un serveur. Du coup, de la même manière que si je veux envoyer un e-mail, je vais me connecter avec les identifiants que m’a donnés mon fournisseur d’accès, cette fois je vais me connecter à mon instance et, même si quelqu’un n’est pas sur la même instance que moi, nous pouvons communiquer, de la même manière que si je suis sur Hotmail je peux envoyer un e-mail à quelqu’un qui est chez SFR.

Frédéric Couchet : D’accord. Ça me paraît très clair. Thierry, qui est en régie, a l’air de dire, je pense, qu’il a quand même saisi l’essentiel. Ce sont des choses qui ne sont pas très simples alors qu’en fait c’est quelque chose qui, historiquement, existe dans l’Internet.
Avant d’enchaîner, j’ai une question : est-ce que ces logiciels dont on parle sont forcément libres dans le Fediverse ?

Audrey Guélou : Il me semble qu’il doit y avoir deux/trois exceptions, Thomas en sait peut-être plus que moi, mais la grande majorité est libre. J’ai un petit doute là-dessus. Thomas, je ne sais pas si tu en sais plus.

Thomas Citharel : Il me semble qu’il y a une exception d’un logiciel, effectivement, mais je ne m’avancerai pas davantage.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est la question que je me suis posée hier soir, ça me paraissait en fait tellement évident.

Audrey Guélou : Ceux-là, on les cache !

Frédéric Couchet : On a effectivement fait une émission sur Mastodon récemment. Mastodon est un logiciel libre, développé par une communauté depuis maintenant plusieurs années. Je vais poser la question : qui sont ces gens qui prennent ce logiciel libre, l’installent sur un de leurs serveurs qui va devenir une instance ? Quand on fait l’émission sur Mastodon on a cité piaille.fr qui est une instance Mastodon, Framasoft a son instance Mastodon qui est framapiaf.org, derrière c’est le même logiciel libre, en l’occurrence Mastodon, mais ce sont deux instances différentes, donc deux serveurs différents mais qui vont communiquer entre eux. Ma question : qui sont ces personnes qui installent et proposent ces instances ? On voit bien que les médias sociaux privateurs sont des entreprises qui se financent par la pub et par la captation de données personnelles, mais qui sont les structures qui proposent ce genre d’instance dans le Fediverse ? Audrey.

Audrey Guélou : Des associations proposent des instances, des particuliers aussi, des personnes qui vont mettre en place leur propre instance. Ça peut être des instances avec quelques dizaines d’utilisateurs, par exemple un groupe d’amis, ou bien des instances avec 500 ou plusieurs milliers d’utilisateurs et utilisatrices. Il me semble que ça va être surtout des associations, quelques entreprises aussi. Il y a des associations du Collectif CHATONS, le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, qui sont maintenant une centaine en France, qui proposent des services libres. Je pense surtout beaucoup d’associations, des groupes de personnes ou des personnes seules qui vont chercher à contribuer au Fediverse, à ouvrir un espace de communication où on va pouvoir définir des règles d’utilisation et offrir un espace pour interagir.

Frédéric Couchet : D’accord. Thomas.

Thomas Citharel : Dans le cadre de leur communication, il peut y avoir des structures diverses qui vont aussi ouvrir des services fédérés. Très dernièrement, on a vu des médias ouvrir une instance sur Mastodon et proposer des comptes, par exemple, à tous leurs journalistes. On a vu, dans le cadre de PeerTube, certaines structures lancer leurs propres instances pour diffuser leurs vidéos et dans le cadre de Mobilizon, qui est une plateforme de diffusion d’évènements, des structures de collectifs, comme Extinction Rebellion, diffuser leurs événements par ce biais.

Frédéric Couchet : D’accord. Audrey, tu voulais compléter.

Audrey Guélou : Effectivement. Tu as raison, Thomas, tu as lancé des exemples plus précis de collectifs. Par exemple, une instance qui s’appelle colter.social a été ouverte récemment sur Mastodon pour les collectivités territoriales. Il y a des instances à thème, des instances aussi pour les personnes qui sont intéressées plutôt pour partager des discussions scientifiques, par exemple sciences.re ; des instances vont être dédiées à certaines langues : occitania.social pour parler occitan ; il y a aussi une instance bretonne : mastodon.fedi.bzh ; une instance qui va chercher à parler, à avoir des discussions sur l’imaginaire, des discussions de fiction, etc.
Des associations ouvrent des instances généralistes, sans thème particulier, ou bien d’autres sont ouvertes pour parler de thèmes que l’on va plutôt choisir.

Frédéric Couchet : Des thèmes que l’on va choisir et aussi, comme tu le disais tout à l’heure, des conditions générales d’utilisation ou des règles qui vont être choisies par la structure ou le groupe qui crée cette instance, éventuellement discutées avec les utilisateurs et les utilisatrices, finalement l’opposé complet d’un système centralisé où les mêmes règles s’appliquent à des millions de personnes et, du jour à au lendemain, peuvent changer sur la décision d’une seule personne. Comment ces règles sont-elles mises en œuvre ? Est-ce qu’il y a des règles types ? Quels sont les sujets qui sont abordés dans ces règles d’utilisation des instances du Fediverse ?

Audrey Guélou : Tu as parlé de Mastodon, tu as lancé Mastodon, je prends la balle au bond, je vais là-dessus parce que c’est là-dessus que j’aurais peut-être le plus d’exemples précis pour les règles. On va généralement retrouver certaines règles sur plusieurs instances du type, bien sûr, ne pas poster de contenus illégaux, ne pas poster des contenus violents, d’appels à la haine, ne pas faire de harcèlement, des choses comme ça, des règles qui sont explicitées dans les règles de l’instance. Après, selon les thèmes, on va avoir aussi des instances qui vont refuser d’aborder certains thèmes, refuser certains termes.
Au niveau de la décision de ces règles-là, si c’est une personne seule ça va être assez simple : si on décide de mettre en place une instance, on décide des règles pour son instance.
Après, si on est une association, un collectif, l’enjeu, effectivement, va être de se décider pour mettre en place un ensemble de règles à priori et, ensuite, pour décider des décisions à prendre à posteriori sur les cas à modérer. C’est un enjeu de gouvernance où on va vraiment redonner plus de pouvoirs aux utilisateurs et aux utilisatrices du Fediverse : si on s’implique dans la modération d’une instance, on n’est effectivement plus dans la posture d’un utilisateur qui va subir des règles sans pouvoir les discuter, on peut contribuer à faire évoluer les règles de l’espace dans lequel on communique.

Frédéric Couchet : Avant de passer la parole à Thomas, comme tu parles de modération, on a déjà consacré un sujet sur la modération dans Libre à vous !, je n’ai pas le numéro en tête [émission 104], vous pouvez utiliser le moteur de recherche et on consacrera à nouveau un sujet justement sur la modération sur le Fediverse, peut-être pas sur cette saison-là, peut-être à la reprise de septembre, en tout cas c’est prévu au programme.
Thomas, du côté de Mobilizon, est-ce pareil ? Dans les instances, il y a des règles de fonctionnement qui sont adaptées à Mobilizon ?

Thomas Citharel : Dans le cadre de Mobilizon, comme il s’agit d’une plateforme de diffusion d’évènements et de gestion de groupes, on a moins ces sensibilités puisque, contrairement à Mastodon qui était l’exemple pris par défaut, l’audience visée n’est pas sur le monde entier et la discussion ouverte est plus faible, donc il y a moins de problèmes d’accroche. On n’a pas trop d’occasions, on ne l’a pas encore évoqué, de faire du blocage d’instances entières, par exemple si jamais une instance autorisait des contenus complètement illégaux dans notre pays. Les questions de modération au sein de Mobilizon sont assez limitées, ce sont plutôt des questions de spam ou de ce qui est acceptable comme contenu ; c’est plus simple à modérer que des cas pas forcément évidents qu’on a souvent dans Mastodon.

Frédéric Couchet : Le partage de photos, par exemple ? J’imagine que pour les instances de partage de photos ça doit être un peu plus compliqué à gérer.

Thomas Citharel : Ça peut être un plus compliqué mais c’est aussi l’occasion de définir plus précisément une politique de ce qui est acceptable ou non, plutôt que, par exemple, Facebook qui va censurer dès qu’il y a un peu de nu sur une image ; savoir ce qui est acceptable : est-ce qu’on met derrière un avertissement, est-ce qu’on dit que l’instance est uniquement accessible aux gens de plus de 18 ans, par exemple. On peut faire évoluer ces règles, ainsi les utilisateurs peuvent trouver une instance qui correspond à ce qu’ils cherchent.

Frédéric Couchet : D’accord. Tu as évoqué le blocage d’instances, peut-être juste parler rapidement que sur ces instances-là on peut bloquer des personnes, mais une instance peut aussi choisir de bloquer une instance toute entière. Thomas, peux-tu préciser quelle serait la motivation qui pourrait bloquer une instance tout entière ?

Thomas Citharel : Je prenais l’exemple d’une instance qui autoriserait du contenu qui n’est pas légal en France. Le Japon, par exemple, a une politique un peu différente sur la représentation graphique de mineurs, j’entends de dessin : ce qui est à priori toléré au Japon tombe plutôt sous le coup de la pédopornographie en France ; je ne m’avancerai pas par rapport aux juristes. Ça peut être un point pour lequel on va décider qu’on ne peut pas surveiller l’ensemble des contenus envoyés par les utilisateurs de l’autre instance et, pour ne pas prendre le risque que des médias qui seraient illégaux en France arrivent sur notre serveur, on préfère les bloquer préventivement. Ça peut être aussi du contenu beaucoup plus évident parce que certains n’appliquent pas des règles assez basiques, donc néonazi et compagnie.

Frédéric Couchet : D’accord. OK, c’est très clair.
On va faire une petite pause musicale avant de se poser la question de pourquoi cela vaut-il la peine de s’intéresser au Fediverse et pas que les geeks, la question de départ.
On va faire une pause musicale. Cette deuxième pause musicale a encore été choisie par Audrey Guélou. Nous allons écouter Everything’s Gonna Be Alright par Alpha Brutal. On se retrouve dans quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Everything’s Gonna Be Alright par Alpha Brutal.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Everything’s Gonna Be Alright par Alpha Brutal disponible sous licence libre CC BY SA, Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre discussion sur le Fediverse, cet ensemble de médias sociaux libres, fédérés entre eux, qui nous occupe aujourd’hui et qui nous occupera sans doute dans d’autres émissions.
Je rappelle que vous pouvez participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission en allant sur causecommune.fm, bouton « chat » et salon #libreavous et éventuellement par téléphone au 09 72 51 55 46, Thierry attend vos appels avec impatience.
Je suis toujours avec Audey Guélou, de Picasoft et de l’Université de technologie de Compiègne, et Thomas Citharel de Framasoft.
Juste avant la pause on parlait un petit peu de ce qu’est le Fediverse et je disais finalement pourquoi faut-il s’y intéresser ? Est-ce que c’est un truc que de geeks ? Première question : pourquoi faut-il s’y intéresser ?

Audrey Guélou : Pourquoi s’y intéresser ? Pour aller explorer ce qu’il s’y passe ! On parlait du fait que le Fediverse est un ensemble de médias sociaux différents : du partage de musique, de vidéos, de messages, de photos ; d’organisation d’évènements, de billets de blogs, de podcasts, etc. ; il y a une diversité de formats de médias partagés dans le Fediverse et aussi et surtout une diversité de façons de faire. C’est-à-dire que pour un média social comme Mastodon, du microblogging, il y a effectivement une diversité d’instances Mastodon différentes, on va donc pouvoir échanger sur des thèmes ou selon des habitudes qui sont diversifiées dans le Fediverse. C’est chouette d’avoir une multiplicité d’alternatives pour communiquer grâce à des médias sociaux et de l’explorer.
Ensuite, deuxième chose à dire, c’est le fait de se donner choix, ça va avec, d’avoir la liberté de choisir : dans quel espace ai-je envie de communiquer, de publier des choses ? Qui va décider des règles qui détermineront ce que je peux dire, comment je peux le dire, etc. ? Se redonner le choix et se réapproprier un petit peu ces technologies-là et éventuellement ensuite, si on le souhaite, contribuer au Fediverse en mettant sa pierre, en mettant en place sa propre instance, c’est aussi possible.

Frédéric Couchet : Thomas, sur cette question, déjà en tant que personne utilisatrice et après en tant que personne contributrice, puisque tu contribues ?

Thomas Citharel : Il y a la question de l’alternative. Clairement, on peut rejoindre le Fediverse en tant que rejet, typiquement, de Twitter, c’est ce qui passe beaucoup en ce moment, mais d’autres médiaux sociaux centralisés pourraient aussi être utilisés comme exemples, ce n’est pas forcément lié à la fédération. On peut faire un usage de ces outils-là qui ne soit pas influencé uniquement par la culture américaine puisque tous les médias sociaux qu’on utilise sont faits soit en Californie soit, maintenant, un peu en Chine et ont un modèle économique assez semblable. C’est donc aussi par rapport à un rejet de ce modèle-là qui fait qu’on est encouragé à passer le plus de temps possible sur les applications, de voir du contenu qui est engageant, qui va nous pousser à réagir.
À travers le Fediverse, il y a aussi, dans les logiciels qui sont proposés, des manières différentes de consommer du contenu qui ne soit pas uniquement alimenté par un algorithme qui peut être opaque, une course aux statistiques et, du coup, la bonne idée d’un milliardaire qui viendrait racheter votre outil de communication préféré.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est important de le préciser. On a expliqué, dans notre émission sur Mastodon, que Mastodon a notamment un fil chronologique et qu’il n’y a pas un algorithme – je ne sais pas ce qu’il y a aujourd’hui sur Twitter, je crois qu’il y a « Abonnements » et « Pour vous » dans les fils ; c’est effectivement cette absence d’algorithme qui change radicalement les choses. Je prends encore l’exemple de Mastodon, l’équipe de devs refuse d’implémenter une fonctionnalité qui est la citation ; je renvoie encore à l’émission sur Mastodon avec Benjamin Sonntag et Cécile Duflot, une utilisatrice de Twitter et de Mastodon. Ça change effectivement les choses. Tu voulais ajouter quelque chose, Audrey ?

Audrey Guélou : Simplement pour continuer sur ce que tu dis. C’est vrai que sur Mastodon on va retrouver beaucoup plus cette notion de préservation des utilisateurs et utilisatrices, plutôt que d’avoir des mécaniques qui vont renforcer les phénomènes d’addiction, la course à la popularité, ces mesures-là. Les indicateurs de popularité – les « J’aime », les « Partage », etc. – vont être présents mais moins mis en valeur, ne vont pas nourrir un algorithme.
Sur Mastodon il y a eu aussi beaucoup la notion de consentement qui est, j’ai l’impression, plus importante. Sur Twitter, par exemple, et c’est aussi ce qui va alimenter tous les phénomènes d’addiction et le modèle économique : dès qu’il va se passer quelque chose on va chercher à capter l’attention ; s’il y a un profil qu’on suit, qu’on aime bien, si cette personne-là aime un contenu, il va nous être affiché ; la personne qui avait mis un contenu ne souhaite pas forcément que tout ce qu’elle fait soit propagé à toutes les personnes qui vont la suivre, mais ce n’est pas dans l’intérêt de Twitter d’essayer de préserver la vie privée de certaines personnes. Sur Mastodon on ne va pas avoir ce phénomène-là, on va plutôt chercher à ce que les utilisateurs gardent vraiment le contrôle de ce qu’ils font en publiant des contenus.
Donc une approche tout à fait différente, qui va avec ce que disait Thomas, le fait que le modèle économique de Twitter n’est pas du tout reproduit dans le Fediverse.

Frédéric Couchet : Je suppose que ce que vous décrivez concernant Mastodon est valable aussi, par exemple, pour le partage de photos. Si on compare Instagram ou autre avec Pixelfed côté Fediverse, il y a aussi cette absence d’algorithme par rapport à Instagram. Je suppose que c’est le même type de fonctionnement. Thomas.

Thomas Citharel : C’est effectivement un algorithme uniquement chronologique. Quand bien même il y aurait un algorithme, le fait est que la plupart des logiciels sont des logiciels libres et on peut avoir plusieurs logiciels qui communiquent entre eux, on peut donc avoir plusieurs expériences utilisateur et on pourrait avoir plusieurs algorithmes ; ça pourrait être pertinent, par exemple, de ne pas se limiter à un système de timeline chronologique, mais que ce soit choisi par l’utilisateur et que les critères de recommandation du contenu soient transparents.

Frédéric Couchet : Tu as raison de préciser. Je laissais sous-entendre que j’employais le terme « algorithme » de façon négative, mais ce n’est pas forcément toujours le cas.
Thomas, tu es aussi contributeur à travers Mobilizon, en tant que chef de projet, développeur salarié chez Framasoft. Qu’est-ce qui te motives et qu’est-ce qui motive Framasoft plus généralement, à proposer ce genre d’outil, en l’occurrence Mobilizon mais ce n’est pas le seul, il y a… j’ai un trou de mémoire.

Thomas Citharel : Gancio [Logiciel similaire à Mobilizon ; l’autre logiciel fédéré développé par Framasoft est PeerTube, Note de l’intervenant].

Frédéric Couchet : En tout cas sur Mobilizon, quel est ton intérêt propre et quel est l’intérêt de Framasoft, la motivation ?

Thomas Citharel : En tant que salarié de Framasoft, je n’ai pas forcément un intérêt direct, même si j’aime tout à fait ce que je fais.
Dans le cadre de Framasoft, on voulait un système d’alternatives à des plateformes comme Meetup et notamment Facebook Events qui est beaucoup utilisé uniquement pour les évènements Facebook. Beaucoup de gens ont un compte Facebook et c’est encore un des meilleurs endroits pour diffuser de l’information, vérifier le nombre d’inscrits et ainsi de suite.
On a une plateforme qui permet de publier des évènements. Si Framasoft avait fait une plateforme centralisée classique, c’est-à-dire de la même manière que le reste de nos Framaservices, du coup, on aurait dû laisser le service accessible à la terre entière. On aurait dû modérer ce service avec des contenus qui sont publics, qui ne sont pas forcément dans les langues que les membres de Framasoft comprennent, du coup, ça aurait été très compliqué de garder le service ouvert si jamais il y avait eu du contenu problématique. À travers l’aspect fédéré du logiciel, on permet à d’autres organisations d’héberger ce logiciel et de le proposer à des publics différents.
Nous-mêmes, à Framasoft, nous hébergeons une instance qui s’appelle mobilizon.fr qui est ouverte aux francophones. Par contre, on va trouver des instances germanophones, italophones ou d’autres qui sont plus thématiques, j’ai donné l’exemple d’Extinction Rebellion au début. Elles sont modérées et gérées de la manière dont ces organismes ou des particuliers le souhaitent, ce qui fait en sorte qu’on n’a pas la responsabilité de l’intégralité de ces contenus. Du coup, on peut proposer une alternative à des plateformes comme Meetup et Facebook Events, sans avoir déjà la charge technique de proposer un service de cette taille-là et la charge humaine, donc tout ce que sont les questions de communication et les questions de modération.

Frédéric Couchet : D’accord. Tu as parlé d’Extinction Rebellion et autres, ça me permet de rebondir sur la seconde partie de ma question : est-ce que le Fediverse n’est encore qu’un repère de geeks ou, suite au rachat de Twitter par Elon Musk et d’autres évènements, est-ce que finalement, aujourd’hui, des gens qui ne sont pas geeks rejoignent le Fediverse ? Thomas a cité Extinction Rebellion pour Mobilizon. Est-ce qu’on retrouve des gens qu’on retrouve ailleurs, qui ont l’habitude d’utiliser d’autres réseaux ?

Thomas Citharel : On va retrouver des gens dont les réseaux ont des ponts avec des geeks, potentiellement des activistes, des gens engagés, des gens qui pourraient se trouver en marge des réseaux centralisés classiques, mais aussi des gens qui essayent de temps en temps de migrer soit eux-mêmes, soit en faisant partie d’une communauté. Comme Audrey l’a dit, pas mal de communautés scientifiques se sont installées sur Mastodon. On a vu aussi quelques artistes ou artisans qui sont arrivés, de manière intéressante ; même s’ils n’ont pas le même nombre d’abonnés que sur d’autres médias sociaux, ils ont, je ne sais pas s’il y a un terme français plus adapté, un engagement plus efficace, finalement, sur Mastodon car, du coup, le nombre d’utilisateurs actifs est plus important au final. Ils ne sont peut-être pas privilégiés dans l’algorithme de Twitter, mais, au sein des partages et de l’activité sur Mastodon, ils ont eu plus de visibilité au final.
Donc des gens tentent et s’installent. Il y en a qui créent des comptes et qui ne restent pas. C’est quand même intéressant de trouver une communauté un peu différente. Quand bien même ce ne serait pas des médias sociaux fédérés, c’est toujours un peu compliqué de se lancer dans un nouveau réseau social puisque, même si via les applications qui synchronisent la liste des contacts on peut essayer de se recréer un réseau rapidement, on explore quand même. Au début on est un peu perdu puis on découvre des gens, on trouve des intérêts communs, on suit plus de gens, en tout cas pour les plateformes qui ont ce concept-là, on explore du contenu, on s’y trouve bien. Certaines personnes font l’effort, que ça soit sur Mastodon, sur PeerTube ou Mobilizon, et trouvent leur place.

Frédéric Couchet : Je précise juste que PeerTube est le nom du second logiciel dont je cherchais le nom tout à l’heure, développé par Framasoft.
Thomas a employé le terme d’exploration, cette exploration de l’archipel du Fediverse dont tu parlais, Audrey. Quels conseils donneriez-vous à des personnes qui écoutent l’émission et qui se diraient « j’ai envie de commencer ». Par quoi commencer ? Quelles sont les bonnes pratiques ou les pièges à éviter ? Je ne sais pas.

Audrey Guélou : Ce qui s’est passé avec cette migration en octobre/novembre quand plein de nouvelles personnes sont arrivées sur Mastodon suite au rachat de Twitter par Elon musk, il y a eu aussi beaucoup de contributions, de documentation, d’aides ; il y a eu une espèce de forme d’accompagnement généralisé qui s’est mise en place. Il y a donc du contenu à trouver, à aller chercher par une recherche web simplement : aller rechercher des tutoriels, un petit peu de documentation pour avoir une vision d’ensemble de la façon dont ça fonctionne.
Ensuite, une bonne chose à faire c’est de passer par exemple par des portails qui vont nous guider dans le choix d’une instance. Effectivement, pour rentrer dans le Fediverse, il faut commencer par choisir une instance. On peut en essayer une, se tromper, en essayer une autre, ouvrir trois comptes si on veut, c’est évidemment libre, mais c’est une bonne pratique de passer par un de ces portails.
Pour Mastodon en particulier il y a joinmastodon.org ; pour Peertube, pareil, joinpeertube.org ; pour Mobilizon c’est pareil, joinmobilizon.org.
Il y a des sites web qui vont être un peu plus généralistes, généralisés : fediverse.info, fedi.directory permettent de retrouver certains comptes et de trouver les instances par thème.
Depuis quelques années et, plus récemment, depuis octobre/novembre 2022, un effort a été fait justement pour essayer de rendre un petit peu plus facile cette première approche, cette première entrée dans le Fediverse. Tu parlais d’un repère de geeks, c’est vrai qu’en 2017/2018 c’était plus le cas ; on peut dire que c’est plus sympa maintenant d’entrer dans le Fediverse.

Frédéric Couchet : À ce sujet, sur la page consacrée à l’émission on a mis des références qu’on va compléter, il y a notamment un blog collaboratif qui est dédié, de mémoire, à Mastodon et qui a été fait justement notamment par des personnes qui se sont créé des comptes sur Mastodon.

Audrey Guélou : Maintenant que j’y pense, c’est vrai qu’il y avait quelque chose qui manquait c’est l’usage sur les téléphones : beaucoup de personnes utilisent les médias sociaux sur leur téléphone, c’est donc quelque chose qui pouvait manquer parce que c’est une habitude qu’on peut avoir. Depuis, des applications ont été développées sur Android, envoyées sur les boutiques F-Droid ou iOS ; il y a des applications, des clients web aussi qui permettent d’avoir un usage peut-être plus habituel, plus familier du Fediverse.

Frédéric Couchet : Je vais relayer une remarque sur le salon web et ça me servira de question pour nos invités en commençant par Thomas. Une remarque sur Mastodon : je ne retrouve pas facilement les personnes que je recherche, quand j’utilise l’onglet « recherche », qui sont peut-être sur une autre instance.
On a bien compris qu’il y a différentes instances, des comptes qui sont créés sur différentes instances. Ma question : contrairement à un service centralisé où, finalement, on retrouve assez facilement les personnes, est-ce qu’on arrive à retrouver ses amis, ses potes ? Est-ce qu’un annuaire des comptes sur les différentes instances de Mastodon existe ? Comment fait-on pour retrouver ses potes ? Thomas.

Thomas Citharel : Des personnes ont mis en place des annuaires, notamment thématiques, au moment de la grande vague d’exode de Twitter il y a quelques mois.
Après on est limité. Comme ce n’est pas un service centralisé, tant qu’il n’y a pas eu d’interaction entre les utilisateurs de chaque serveur, on ne sait pas quels utilisateurs existent ailleurs. En effet, si je recherche une personne sur Mastodon juste avec son nom, je n’ai pas la garantie de pouvoir la trouver. Du coup, on a une solution qui est ce qu’on appelle les identifiants fédérés, qui ressemblent, finalement, exactement à un e-mail, c’est l’identifiant de la personne @ le nom de domaine du serveur, de l’instance sur laquelle elle est. Cette personne peut vous donner cet identifiant et, à ce moment-là, vous pouvez la chercher avec cet identifiant et vous la retrouverez. Mais, effectivement, ça souffre de cette limitation qui n’est pas un avantage. Encore une fois, pour comparer ça à l’e-mail, de la même manière vous ne pouvez pas envoyer un e-mail à quelqu’un si vous ne connaissez pas son e-mail ou si vous ne l’avez pas déjà dans votre carnet d’adresses.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Le temps passe très vite et je vous rappelle qu’il y a la dernière question, le résumé. Avant ça, j’ai envie de vous poser une question sur les défis du Fediverse – question un peu piège parce qu’elle n’était pas du tout prévue – ou sur l’avenir du Fediverse pour qu’il bénéficie toujours aux personnes utilisatrices. Quels sont les enjeux ? Sans forcément entrer dans le détail, que voyez-vous comme enjeux principaux aujourd’hui ? Thomas.

Thomas Citharel : J’allais dire faire en sorte que le Fediverse, en tout cas les plateformes du Fediverse ne soient pas uniquement des alternatives sur lesquelles les utilisateurs se ruent dès que les plateformes centralisées, classiques, font des bêtises.
Potentiellement, revenir au mode de fonctionnement par défaut d’Internet. Au niveau de l’Union européenne des lois vont être mises en place pour faire en sorte que les géants du Net aient davantage d’interopérabilité et que de nouveaux entrants sur le marché soient plus aptes, ne soient pas empêchés par le fait que Facebook ou WhatsApp ne sont pas opérables avec d’autres réseaux. Il y a potentiellement un coup à jouer aussi à ce niveau-là.
Selon moi, réussir à faire en sorte de convaincre davantage d’organisations — potentiellement au niveau local, potentiellement au niveau thématique — d’ouvrir des instances parce que c’est compliqué de maintenir des instances généralistes, notamment pour des questions de modération, comme je l’ai dit, ou des questions techniques. Pour avoir des instances très grosses, avec un grand nombre d’utilisateurs, il faut avoir des fonds et c’est compliqué, aujourd’hui, de demander aux gens de payer quand on a un modèle économique différent de celui des géants du Net.
C’est à peu près ça mon point.

Frédéric Couchet : Merci Thomas. Audrey, sur la même question ?

Audrey Guélou : Il y a effectivement cet enjeu-là et puis, peut-être, la lutte contre la centralisation du Fediverse, un phénomène qu’on peut observer : quand on arrive sur le Fediverse, et c’est bien normal, on veut être là où il y a du monde et le premier réflexe qu’on peut avoir c’est de rendre, de s’inscrire sur les plus grandes instances. Il y a des instances avec plusieurs milliers d’utilisateurs et d’utilisatrices et ça peut reposer le problème de la centralisation : on se retrouve de nouveau dans une situation où on a quelques personnes qui ont la responsabilité et le contrôle sur des centaines de milliers de personnes, alors que l’idée, dans la fédération et le Fediverse, c’est plutôt d’avoir une grande décentralisation avec un rapport entre personnes qui vont contribuer, qui vont mettre en place, gérer des instances dans le Fediverse et puis les utilisateurs et utilisatrices d’instances.
Pour cela, pour qu’il y ait une grande diversité d’instances, pour qu’on ait tout plein d’instances avec pas seulement quelques grandes instances, ça veut dire qu’il faut travailler à ce qu’il y ait une appropriation du Fediverse par davantage de personnes. Que ce soit davantage accessible, qu’on ait envie de s’y pencher, qu’on ait envie d’y contribuer, qu’on ait envie de changer un petit peu sa position, et pouvoir contribuer à mettre en place des espaces qu’on pourrait plus considérer comme des espaces publics de communication plutôt que devoir communiquer dans quelques espaces privés.
Je dirais l’appropriation du Fediverse par davantage de personnes et, comme disait Thomas, revenir aux valeurs initiales du Web, dire qu’on essaye d’avoir un espace numérique dans lequel on peut communiquer en choisissant comment on communique, comment on le fait, sans dépendre de quelques acteurs. C’est bien là le défi du Fediverse et, peut-être, se démocratiser un petit peu plus.

Frédéric Couchet : Merci. On va passer à la dernière question traditionnelle : en moins de deux minutes chacune et chacun, quels sont pour vous les éléments clefs que vous aimeriez faire passer ? Qui veut commencer ? Thomas.

Thomas Citharel : Le fonctionnement du Fediverse permet de redistribuer du pouvoir au sein des plateformes internet.
Plein de logiciels fonctionnent comme ça pour faire, notamment, des médias sociaux ou de la communication de contenus quelle qu’elle soit.
On appelle les différents nœuds du réseau instances. On peut s’inscrire sur la plupart d’entre elles en vérifiant quelle est leur politique de modération, leurs conditions d’utilisation, qui les offre et pourquoi.
Si on s’y intéresse, c’est pour essayer de voir comment l’utilisation de ces plateformes peut se faire autrement, avec davantage de possibilités et potentiellement plus de liberté qu’avec les plateformes centralisées.
Je suggère d’aller sur les liens qu’on a mis en description pour s’inscrire, voir un peu comment ça fonctionne ; si on est à l’aise, installer des applications mobiles si on a envie et demander de l’aide parce qu’il y a une grosse communauté très sympathique sur ces plateformes.

Frédéric Couchet : Merci Thomas. Audrey.

Audrey Guélou : Je crois que Thomas a dit le plus important.
Même si on peut avoir tendance à critiquer les médias sociaux énormément, à dire qu’ils peuvent être des vecteurs d’addiction, de pratiques nocives en général, arder en tête qu’ils peuvent aussi être des outils numériques où on peut avoir des discussions riches, apprendre beaucoup de choses.
Dans le Fediverse en particulier se donner la possibilité de choisir un espace de communication qui nous convient, dans lequel on se sent bien, dans lequel on se sent à l’aise pour publier du contenu, en partager ; changer un petit peu, essayer, aller voir ce qui se passe là-bas.
Éventuellement contribuer aussi à la maintenance d’une instance, à sa modération. En contribuant au Fediverse de façon générale, on se met dans une position dans laquelle on va être un acteur, une actrice de la possibilité qu’il existe des espaces en ligne dans lesquels on peut échanger sans dépendre d’acteurs privés et c’est quand une belle possibilité à saisir. C‘est important de disposer de ces outils numériques dont on peut se servir de façon autonome.

Frédéric Couchet : Merci à vous deux. Je rappelle que nos invités étaient Audrey Guélou qui est membre de l’association Picasoft, picasoft.net, et doctorante en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de technologie de Compiègne ; à distance nous avions Thomas Citharel qui est chef de projet et développeur salarié de l’association Framasoft, framasoft.org.
Sur le site libreavous.org, vous avez de nombreuses références qu’on a déjà mises et on va sans doute en rajouter après l’émission pour vous permettre de découvrir le Fediverse dont on reparlera dans Libre à vous ! sans aucun doute, à partir de la rentrée de septembre, avec d’autres personnes, peut-être pour parler plus de technique.
En tout cas c’était un grand plaisir. Je remercie Audrey et Thomas pour leur intervention. Merci à vous et belle journée.

Audrey Guélou : Merci beaucoup Fred. Merci à tout le monde et bonne journée aussi.

Thomas Citharel : Merci beaucoup.

Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Cette pause musicale n’a pas été choisie par Audrey, cette fois c’est moi qui l’ai choisie. Il s’agit de Bem Vindo par Madame Rrose Sélavy. On se retrouve dans deux minutes trente. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Bem Vindo par Madame Rrose Sélavy.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Bem Vindo par Madame Rrose Sélavy, disponible sous licence libre CC BY, Creative Commons Attribution.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy, « Forensique des JDLL 2023 »

Frédéric Couchet : Comprendre Internet et ses techniques pour mieux l’utiliser, en particulier avec des logiciels libres et des services respectueux des utilisatrices et utilisateurs, pour son propre bien-être en particulier et celui de la société en général, c’est la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent Costy, administrateur de l’April, et de sa fille Lorette. Le thème du jour « Forensique des Journées du Logiciel Libre 2023 ».

[Virgule sonore]

Laurent Costy : Hello Lorette ! Il faut que je te cause de mon week-end à Lyon. Je suis allé aux JDLL le week-end du 1er et 2 avril et j’ai trop de trucs à te raconter !

Lorette Costy : Waouh ! Déjà, pour commencer, je vais faire comme tu m’as toujours appris, expliquer aux gens qui nous écoutent les acronymes : JDLL, ça veut dire Journées du Logiciel Libre. Ils auraient même pu mettre un 3ᵉ « L » pour Lyon, d’ailleurs. Laisse-moi deviner, c’est clairement un événement avec tout plein de gens comme toi qui passent leur temps à bubuler sur des logiciels libres genre blbblblblb.

Laurent Costy : Ce n’est pas faux. D’ailleurs, ils auraient pu mettre « MPT » à la fin, puisque ça se passe à la Maison Pour Tous des Rancy. Ça aurait donné JDLLLMPT.

Lorette Costy : Journée du Logiciel Libre de Lyon à la Maison Pour Tous. Mais ils ne l’ont pas fait ! Pouf pouf !, revenons à nos moutons numériques je te prie.

Laurent Costy : Tu ne crois pas si bien dire, il faudra que je te parle aussi un jour de ce collectif qui se qualifie lui-même de techno-critique : ils ont des ressources intéressantes pour appréhender les impacts du numérique sur la société.

Lorette Costy : Bêêêê, c’est quand tu veux ! Tu me rends chèvre avec tes dialogues... La prochaine fois, si tu peux t’attribuer ce type de réplique, ça m’arrangerait, je suis preneuse, merci [Prononcé en chuchotant, NdT]. Et sinon, les « JD3LMPT » ?

Laurent Costy : D’abord, j’ai commencé par intervenir avec Clailou : elle témoignait de l’usage de Zourit pour l’association Risomes qui veut dire Réseau d’initiatives solidaires, mutuelles et écologiques Ils agissent sur le territoire autour de Mâlain près de Dijon. Ils ont un projet de foufou les baloufs pour lequel on trouve les détails sur le site alternatives-agriculturelles.fr.

Lorette Costy : Vous kiffez vraiment les acronymes ! Sinon, ils ont même un projet de sécurité sociale de l’alimentation à ce que je vois ! Franchement respect ! Donc, Clailou présentait l’usage de Zourit au sein de la structure pendant que tu expliquais ce que c’est, c’est bien ça ? D’ailleurs, juste en passant, tu sais que Zourit, ça veut dire la pieuvre en créole réunionnais ?

Laurent Costy : Après l’anglais, l’espagnol et le russe, tu te mets au créole maintenant ! Tu n’as pas mieux à faire de ta jeunesse ? Aller en boîte ? Jouer aux jeux vidéos ? Mais je me le note, ça pourra peut-être me servir dans mon boulot. En échange, je te propose « Forensique » comme terme, ça te parle ?

Lorette Costy : Bien sûr ! C’est l’analyse scientifique de cas, appelée par importation du terme anglais, science forensique ou la forensique. Ça regroupe l’ensemble des méthodes d’analyse scientifique qui servent pour un travail d’investigation.

Laurent Costy : Bon, bien sûr, moi je savais aussi. Heureusement, parce ça a été un terme utilisé à plusieurs reprises dans la conférence d’Esther intitulée « PiRogue tool suite : analyse forensique et analyse réseau de terminaux mobiles ». Tu me crois, tu ne me crois pas, je connaissais le projet PiRogue.

Lorette Costy : Je ne te crois pas ! Mais, d’un autre côté, je doute qu’il s’agisse d’un projet mêlant habilement la faible densité du bois et la poussée d’Archimède pour descendre un fleuve entre le Suriname et la Guyane française.

Laurent Costy : Tout juste Leblanc ! Et puisqu’on est dans une chronique culturelle, donnons le nom du fleuve : le Maroni ! Le projet PiRogue, dont il est question, permet ainsi d’alimenter la base de données d’Exodus Privacy dont nous avons déjà parlé.

Lorette Costy : Qui simplifie l’analyse de traceurs des applications de smartphone Android et iOS pour les utilisateurs et utilisatrices qui n’ont pas de compétences avancées. C’est une sage pratique que de scanner de temps en temps son smartphone ! Ça permet de se poser la question de l’utilité des applis installées et d’en chercher d’autres plus safes pour nos données personnelles.

Laurent Costy : Bref, merci à Esther ! Ses compétences techniques sont impressionnantes ! Merci aussi à toutes celles et ceux qui contribuent au projet Exodus Privacy. Salutations à Bakan et Xakaniko avec qui il était fort sympathique de boire un coup. D’ailleurs, pardon, j’ai séché l’apéro CHATONS pour cet apéro off !

Lorette Costy : Bon, d’accord, mais tu ne vas pas nous raconter tes beuveries quand même ! Est-ce que je raconte mes nuits alcoolisées en boîte de nuit ?

Laurent Costy : Oui. Souvent même. Et moi, c’était du jus de pommes en plus. Je me suis arrêté à un verre, parce que ça commençait déjà un peu à tourner. Sinon, j’ai aussi joué au Jeu du Gnou qu’Isabella Vanni animait dans une version bêta test. C’est un jeu de l’oie élaboré dans le cadre du groupe de travail Sensibilisation de l’April qui permet, en douceur, d’appréhender l’importance des libertés numériques et du logiciel libre.

Lorette Costy : Waouh !, c’est quoi le logiciel libre ? J’en ai déjà vite fait entendu parler, mais je ne me souviens plus des quatre libertés qui sont de pouvoir utiliser, étudier, modifier et distribuer le code.

Laurent Costy : Ce sont des programmes dont la licence précise les quatre libertés du logiciel libre : pouvoir utiliser, étudier, modifier et distribuer le code.

Lorette Costy : Merci, ton savoir m’est précieux pour avancer dans la vie car la route est longue mais la voie est libre comme disait le fameux FramaPlaton ou FramaLovelace, je sais plus. Au-delà du Jeu du Gnou... Tiens, ça me fait penser à une chanson du style : « Têêête épaule, guenou, guenou pied, guenou pied » [Comptine enfantine chantée en duo, NdT]. Sinon rien d’autre à déclarer ?

Laurent Costy : Justement, par rapport à cette route longue, ce genre d’événement permet de voir que le numérique alternatif touche de plus en plus de monde et de structures. Il y a 20 ans, promouvoir les logiciels libres, ce n’était pas simple : tu vois le rocher de Sisyphe ? Tu vois le tonneau des Danaïdes ? Tu vois Jupiter, la géante gazeuse ?

Lorette Costy : Waouh !, la culture générale ! Sinon, oui, la gravité sur Jupiter est 2,5 fois plus forte que sur la Terre.

Laurent Costy : Eh bien, tu mets le rocher de Sisyphe dans le tonneau des Danaïdes et tu essayes de remonter le tout sur une colline gazeuse de Jupiter. C’est assez fatiguant.

Lorette Costy : Faut avoir foi et ne pas se le faire dévorer !

Laurent Costy : Eh bien les JDLL, tout comme la Journée du Libre Éducatif qui s’est déroulée à Rennes le 7 avril, montrent que le Libre et les communs numériques font leur chemin et aussi dans l’Éducation nationale ! Tout cela permet de se dire que tout n’est pas vain. Il y a vraiment de belles personnes qui naviguent dans cet univers, « ça met les poils », comme dirait mon François Audirac préféré.

Lorette Costy : As-tu fini avec les poils des JDLL ou as-tu encore des trucs de maboul à raconter ? On dirait que tes deux jours ça a duré deux mois !

Laurent Costy : Je n’ai pas fini en plus ! J’ai assisté aussi à une conférence sur Yunohost, un système qui se veut plus simple pour s’auto-héberger. Bien sûr, le néophyte en serveurs et systèmes GNU/Linux reste démuni, mais ça démocratise l’administration serveur et la rend plus simple pour des personnes un peu sensibilisées. Encore un projet remarquable !

Lorette Costy : Oui, c’est ce qui tourne sur La Brique Internet que propose l’association Neutrinet en Belgique. Finalement, après plusieurs mois, ça tourne d’ailleurs pas mal tout ça quand on fait régulièrement les mises à jour ! Je reçois plutôt bien mes mails gérés par La Brique !

Laurent Costy : Encore une fois, c’est grâce à l’aide des cool gens de Neutrinet et du projet Yunohost qui aident patiemment en cas de souci. Et un big up de plus dans cette chronique dédiée aux remerciements. Et coucou, en passant, à Hgo et à Célo et je n’ai toujours pas fini. Il faut que je te cause aussi de deux députés européens qui ont bien voulu participer à l’atelier le dimanche.

Lorette Costy : Waouh !, tu as des relations dis donc ! Tu ne pourrais pas en profiter pour suggérer à tes connaissances de faire passer une loi européenne pour que Lorette Marie Alice Costy ait son BUT GACO [Bachelor universitaire de technologie gestion administrative et commerciale des organisations] à la fin de son cursus par exemple ?

Laurent Costy : Je vais voir ce que je peux faire. Sinon, Loïc Dayot et Stéphane Bortzmeyer, mes deux députés européens de circonstance, ont assisté et commenté les échanges entre deux groupes. L’un représentait les intérêts d’un développement rapide de l’IA en Europe et l’autre la société civile, qui préconisait une prudence et des réflexions partagées préalables. Le logiciel libre et la transparence devaient faire partie des arguments.

Lorette Costy : Pour ma part, je pense qu’il faut prendre le temps de réfléchir. Mon pote Alexis a donné des consignes à TchatGPT pour écrire une chronique humoristique avec un père et sa fille qui parlerait de numérique et de logiciel libre. J’ai un peu le regret de t’annoncer qu’on va sûrement bientôt être au chômage mon paparobase même si, ne t’en fais, pour l’instant la subtilité de ton humour reste inégalée.

Laurent Costy : J’aime quand tu me dis de si jolies choses, même si c’est moi qui les écris !

Lorette Costy : Pour en revenir au débat des JDLL, y a-t-il eu des suggestions pour changer le nom de ChatGPT pour éviter les « dans l’eau ça fait des bulles c’est rigolo » ? C’est à cause de ça le moratoire demandé sur l’IA par certains de la Big Tech ?

Laurent Costy : Non ! En tout cas tout le monde a joué le jeu. Je remercie donc tous les participants et les participantes. En particulier, bien sûr, Loïc Dayot et Stéphane Bortzmeyer qui, d’ailleurs, pourraient très bien être de vrais députés européens. Pareil, Clailou n’a pas pu rejoindre l’assemblée, mais elle aurait fait aussi une super députée, j’en suis sûr !

Lorette Costy : Du coup, par pure curiosité, quel a été le résultat de ce jeu de rôles ?

Laurent Costy : C’est sûr, les GAFAM ont les moyens de convaincre, mais je ne dévoilerai rien ici. J’invite les gens qui nous écoutent à venir aux JDLL 2024 et à regarder et écouter les conférences sur le PeerTube des JDLL !

Lorette Costy : Ton habileté à promouvoir cet événement et les gens qui participent n’a d’égal que la subtilité avec laquelle ta fille parvient à te complimenter !

Laurent Costy : Et spontanés les compliments ! Spontanés ! Bon, pour conclure, je dirais que l’ambiance est vraiment chouette, se veut inclusive et y réussit plutôt bien. De ce que j’en ai vu, l’esprit est bienveillant et, du coup, je pousse encore un remerciement à toutes et tous les bénévoles qui organisent cet événement important pour le logiciel libre !

Lorette Costy : On va en rester là ! Je pense qu’on a eu assez de compliments, ça me semble pas mal. Allez, zou, je contrefais la super blague d’Alexis qui a essayé de nourrir ChatGPT : à tantôt mon délécieux Papannacotta !

Laurent Costy : Mais comment veux-tu renchérir là-dessus sur le thème du numérique ? Tant pis, je te donne rendez-vous à la prochaine chronique où je te raconterai mon vécu aux intestinales 2022, monde insoupçonné et manifestation organisée par le Réseau de l’Assainissement Écologique ! La bise ma puce au Nacotta !

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent Costy, administrateur de l’April, et de sa fille Lorette.
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : Notre chère présidente, Magali Garnero alias Bookynette, continue son tour de France des Groupes d’Utilisateurs et d’Utilisatrices de Logiciels Libres. Après Rennes, Beauvais elle sera à Nantes ce samedi 22 avril 2023. Il y aura également un apéro le soir. Donc, dans l’après-midi, une rencontre avec la présidente et le soir un apéro.
Côté Paris, le prochain apéro au local de l’April aura lieu le vendredi 28 avril 2023, dans le 14e. Vous trouvez toutes les informations sur le site april.org.
Beaucoup d’évènements libristes ont lieu actuellement, que vous retrouvez sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org

J’ai une petite minute d’avance, j’en profite pour vous signaler que vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, pour réagir à l’un des sujets de l’émission, nous poser une question ou simplement nous laisser un message. N’hésitez pas à nous faire des retours. Le numéro du répondeur : 09 72 51 55 46.

L’April participe à cette belle aventure que représente Cause Commune, radio associative. La radio a toujours besoin de soutiens financiers, notamment pour payer les frais matériels, le loyer du studio, la diffusion sur la bande FM, serveurs. Nous vous encourageons à aider la radio en faisant un don. Toutes les informations sont sur le site causecommune.fm. Vous pouvez aussi aider en consacrant du temps. Je rappelle que la radio a couvert, je crois, la quasi-totalité des manifestations récentes et sans doute des manifestations à venir. Tout le monde sait ce dont je parle, évidemment, et Gee en a parlé dans la première chronique.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Gee, Audrey Guélou, Thomas Citharel, Laurent et Lorette Costy.
Aux manettes de la régie l’extraordinaire Thierry Holleville qui a improvisé, aujourd’hui, la gestion avec un nouvel outil. Bravo et merci Thierry.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous retrouverez sur notre site web, libereavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio causecommune.fm. N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question, nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 25 avril 2023 à 15 h 30. Je ne sais pas de quoi on parlera dans le sujet principal, ce sera la surprise.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 25 avril et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.