Pourquoi et comment les collectivités peuvent-elles aider à l’adoption du libre à l’école ? Table ronde - Journée du Libre Éducatif

Louis Derrac : Vous voyez que par rapport à notre première table ronde, les intervenants se sont multipliés et malheureusement le nombre de femmes a baissé. Nous incarnons la problématique qui a été évoquée juste avant. Alexis Kauffmann, en introduisant la journée, l’avait aussi rappelé puisque, je crois, qu’il disait qu’il y a un tiers de public féminin dans les 4000 participants. Là aussi on voit que « La route est longue mais la voie est libre », si on reprend le credo.
Je vais commencer avec une introduction très rapide, très cash. Quand on reprend les valeurs du Libre, de l’open source, on se dit que c’est quand même très compatible, d’ailleurs ça a été validé ce matin par le directeur du numérique pour l’éducation, Audran Le Baron, il a dit lui-même [1], « 200 % en phase avec les valeurs du libre et de l’open source ». On se dit que le Libre a beaucoup d’atouts et on va y revenir. La question qu’on peut se poser c’est pourquoi, finalement, le Libre éducatif a autant de mal à rentrer dans les collectivités, quelles sont les choses qui coincent. On sait que dans le monde éducatif il n’y a pas que les collectivités, mais qu’elles en représentent un des jalons, un des partenaires très importants.

On a ici une table ronde très diversifiée. Je vais commencer par vous présenter. On a trois représentants de collectivités qui représentent les trois niveaux de collectivités avec Nicolas Vivant qui est directeur de la stratégie et de la culture numérique à la ville d’Échirolles donc plutôt côté écoles ; Thomas Graveleine, chef de projet numérique éducatif à la métropole de Lyon, notamment en charge de l’ENT open source Laclasse.com [2] ; Stéphane Cabanis, responsable de l’unité numérique éducatif à la région Auvergne-Rhône-Alpes, donc côté lycées ; François Élie, enseignant de philosophie et président de l’ADULLACT [3], une association qui milite – je le simplifie, je vous laisserai en reparler – pour qu’il y ait un peu plus voire beaucoup plus de Libre dans les collectivités et Nathalie Soetaert, enseignante et actuellement médiatrice et ingénieur de formation au réseau Canopé, également ambassadrice de PrimTux [4] dont on parlera, et ambassadrice du logiciel libre en général.
Merci à vous cinq d’être là.
Comme je le disais on va introduire et commencer l’échange à cinq autour de cette première question simple que je voudrais poser spécifiquement à Nicolas et Stéphane : vos deux collectivités, une commune pour Nicolas, une région pour Stéphane, ne sont pas du tout de même nature, d’ailleurs ça va être intéressant de nous rappeler en quoi ça joue aussi, et vous n’avez pas exactement les mêmes stratégies. En quoi votre stratégie est-elle liée à votre collectivité, à vos choix aussi ? Comment expliquez-vous, du point de vue de votre collectivité, qu’il soit à ce point difficile d’implémenter du logiciel libre alors qu’on a des exemples assez réussis dans le service public, je repensais par exemple à la Gendarmerie [5] qui a implémenté du logiciel libre et des systèmes d’exploitation largement sous GNU/Linux, etc. ? De votre point de vue, faire un mix de cette question : quels sont pour vous les points bloquants ? Comment réagissez-vous par rapport à votre collectivité, quels sont les points bloquants que vous avez par rapport à votre collectivité ? Quelle est la stratégie que vous commencez à opérer ? C’est pour démarrer la discussion, je vous laisse commencer par ça et ensuite on fera tourner la parole. Nicolas.

Nicolas Vivant : Bonjour. Je ne suis pas sûr qu’il y ait une énorme différence, finalement, que ce soit à l’échelle de la région ou à l’échelle d’une commune. Pourquoi je vous dis ça ? Je pense que ce qui est très important c’est la réflexion qu’on a autour du Libre et la stratégie de déploiement qu’on met en place et ça ne dépend pas de l’échelle. Ce qui me fait dire ça, tu as parlé de la Gendarmerie nationale, c’est que quand ma stratégie de déploiement a été mise en avant dans des articles de journaux, j’ai eu des réactions notamment de Stéphane Dumond [6] qui a géré le déploiement du Libre à la Gendarmerie nationale et on s’est rendu compte qu’on se rejoignait complètement sur la stratégie, sur la façon d’aborder la résistance au changement, les différentes étapes du déploiement et tout ça.
Je pense que ce qui est primordial c’est d’avoir une vraie réflexion, c’est-à dire que doit-on faire ?, et une vraie stratégie, comment va-t-on le faire ? Ce n’est pas la même chose de vouloir faire la promotion et une utilisation du logiciel libre et vouloir mettre GNU/Linux dans les écoles, ça peut être deux projets qui n’ont absolument rien à voir. On sait tout à fait faire un cahier des charges, faire appel à un prestataire, il déploie massivement GNU/Linux dans les écoles, c’est une catastrophe, mais bon !, on a déployé GNU/Linux dans les écoles et plus personne ne veut entendre parler d’open source ou de logiciel libre parce que c’est une catastrophe, mais bon !, on a déployé GNU/Linux dans les écoles. Ça nécessite un travail qui va bien au-delà de simplement déployer du logiciel libre dans les écoles. Une vraie réflexion globale doit avoir lieu. De cette réflexion et de la stratégie qu’on va mettre en place, en s’appuyant évidemment sur les exemples qu’on a de stratégies de déploiement réussies ou échouées, on va arriver, sur cette base-là, à faire un déploiement réussi. Je crois que c’est ça qui est important. Ce n’est pas déployer le logiciel libre dans les écoles, c’est déployer du logiciel libre dans les écoles et que tout le monde soit content. L’objectif, en fin de compte, ce n’est pas de mettre du Libre, c’est quand même que les gens puissent bosser ; les instituteurs ne sont pas là pour faire du Libre, ils sont là pour enseigner. Notre première préoccupation c’est que ce qu’on met en place doit permettre aux enseignants de travailler aussi bien qu’avant, voire, et c’est vraiment ce qu’on tente de faire, mieux qu’auparavant. En plus le logiciel libre permet d’être en accord avec les valeurs de l’Éducation nationale, du service public et tout ça, mais ce n’est pas un argument, c’est la cerise sur le gâteau on va dire. L’objectif c’est quand même que les gens puissent bosser.

Louis Derrac : Du coup, si on commence effectivement par ce point-là, peut-être qu’un des points bloquants c’est un manque de stratégie, de vision de la part de certaines collectivités qui n’ont pas tout à fait décidé ce qu’elles cherchent à faire et d’y avoir alloué les moyens.
Stéphane, on s’était dit quand on a préparé cette table ronde, que tu exprimais quand même une particularité de la région, peut-être qu’on peut commencer par ça.

Stéphane Cabanis : Plutôt que « particularité de la région », je dirais « particularité de l’enseignement secondaire/supérieur »..
Là on parle de difficultés à déployer le Libre. On peut quand même dire qu’on déploie du Libre aujourd’hui. Dans les lycées de la région et de la France entière, il y a énormément de logiciel libre.
En revanche, si on parle de systèmes d’exploitation libres, ce sera un peu plus compliqué. Dans les dizaines de milliers de logiciels qui sont utilisés dans les lycées de la région à ce jour, que nous gérons avec nos équipes et nos prestataires, il y a beaucoup de logiciels libres. Pourquoi des dizaines de milliers ? Parce que la difficulté est précisément là, c’est une spécificité des lycées : ce sont les filières technologiques et professionnelles qui requièrent des milliers de logiciels. On va trouver des bases SQL [Structured Query Language] de Microsoft parce qu’il faut celles-ci spécifiquement pour telle ou telle section, des progiciels de gestion. On va trouver SOLIDWORKS pour ne pas le nommer, on va trouver… Normalement la direction des programmes ne préconise pas officiellement des logiciels spécifiques, mais on sait bien que sous la pression tout le monde doit utiliser les mêmes. Ces logiciels-là, qui ne sont pas imposés par les programmes, ne sont pas compilés pour GNU/Linux. Donc forcément si on déploie du GNU/Linux dans tous les lycées, dans tous les PC, on aura un petit souci avec l’usage de ces logiciels qui sont préconisés pour les examens.
Ce sont des problèmes qu’on trouvera moins dans le primaire ou le secondaire au niveau du collège,, parce qu’il y a moins d’enseignement technologiques et professionnels avec tous les métiers représentées. Au niveau du lycée, c’est le premier problème lorsqu’on évoque le déploiement des systèmes d’exploitation libres. On aimerait faire ce déploiement pour proposer une alternative en matière d’expérience utilisateur. Cela demande des organisations techniques spécifiques pour répondre aux besoins de ces fameux logiciels liés aux filières d’enseignement technologique et professionnel.
Effectivement il n’y a pas de contraintes liées à l’échelle. Déployer du logiciel libre à une échelle réduite de quelques écoles ou à l’échelle de centaines d’établissements, finalement les problèmes sont les mêmes. Il peut y avoir un obstacle lié aux moyens. On est effectivement une trentaine de personnes avec nos prestataires, pour gérer un périmètre de 100 000 PC. Il est clair que si on déploie des technologies qui sont mal connues du milieu industriel et commercial ou qui ne disposent pas encore d’outil centralisé de gestion et de pilotage performant des postes de travail, ce sera plus difficile qu’avec des technologies un peu mieux maîtrisées par le milieu industriel et commercial.

Louis Derrac : On retrouve finalement quand même toujours, et on en parlait un peu aujourd’hui dans les temps off, une question de moyens, une question financière.
Il y a une question un peu de militantisme aussi, Nicolas pourrait répondre que quand on se dit que l’Éducation doit d’abord travailler avec des outils informatiques avant de se dire qu‘elle éduque, qu’elle enseigne une certaine culture ou une autre, peut-être que Nathalie pourra réagir.
Avant je continue mon petit tour des collectivités avec Thomas. À la métropole de Lyon vous développez, depuis de longues années maintenant, un ENT open source, Laclasse.com. Ce n’est pas le seul, mais c’est quand même une particularité de choix de développement, d’histoire aussi de déploiement. Est-ce que tu peux revenir pour nous sur l’historique, le modèle ? On en avait un petit peu parlé ensemble, comment vous vous inscrivez : est-ce que c’est un choix pragmatique, économique, militant ? Comment vous situez-vous aujourd’hui là-dessus ?

Thomas Graveleine : Nous gérons un ENT qui est entièrement open source depuis l’origine. C’est effectivement un peu une particularité sur le territoire national, ce n’est pas le seul. On a vu Toutatice [7] ce matin, mais nous ne sommes pas nombreux à faire ça.
Notre ENT est très vieux, c’est un des premiers ENT en France. Ça a démarré en 1998 je crois. Le conseil général du Rhône, à l’époque, s’est doté d’un laboratoire d’innovation ouverte qui s’appelle Erasme [8], qui existe toujours aujourd’hui à la métropole de Lyon. Tout ce qui est produit dans ce laboratoire d’innovation est en fait produit, développé de façon libre et open source. L’ENT a démarré comme ça. À l’époque c’était une expérimentation avec des enseignants qui étaient détachés de l’académie. Cette expérimentation s’est enrichie, elle s’est structurée, elle a été labellisée ENT quand le concept a été défini. Elle a toujours perduré depuis jusqu’à aujourd’hui. On est très contents, du coup, de porter ces valeurs-là aujourd’hui parce qu’on est un peu une figure d’exception. On utilise du Libre un peu à tous les niveaux, à la fois dans la gestion du projet, dans l’architecture, dans les services qu’on propose, parce qu’on intègre une messagerie Roundcube [9], LibreOffice [10], du WordPress [11] pour le CMS [Content Management System] ou de la visio avec des serveurs Janus. Tous nos services sont développés de cette façon.
Ça nous impose d’avoir une veille un peu technique pour savoir ce qui se fait, des difficultés pour agréger toutes ces briques et les intégrer, les maintenir dans le temps, mais ça nous ouvre aussi des opportunités, beaucoup d’opportunités et d’avantages. D’abord sur la question de la continuité parce que, effectivement, pour le renouvellement des marchés publics, c’est plus simple d’avoir un ENT comme ça qui perdure dans le temps. Et puis il y a aussi une question de souveraineté qui fait qu’on peut l’expérimenter avec tous les acteurs de la communauté éducative. Dernièrement on l’a ouvert aux conservatoires de musique pour voir si ça pouvait leur faciliter la vie face aux contraintes sanitaires.

Louis Derrac : Oui et je crois que, mine de rien, vous et Toutatice avez eu la particularité, dans l’écosystème, de pouvoir très vite réagir à la pandémie et ouvrir aux écoles, alors que le Grand Lyon est une métropole ; pour ceux qui ne connaissent pas, Lyon est une métropole qui a les compétences d’un département. Le Grand Lyon gère les collèges et là vous avez pu assez facilement, ou pas, redimensionner pour offrir l’accès aux écoles du Grand Lyon qui en faisaient la demande, je crois.

Thomas Graveleine : C’est ça. Depuis 2018 on propose aux communes de la métropole de bénéficier de l’ENT pour leurs écoles du premier degré. Quand il y a eu le premier confinement il y a eu un afflux, tout le monde cherchait des solutions et effectivement on a pu générer, ouvrir des comptes à tous les établissements qui en faisaient la demande. C’était un peu l’anarchie, c’était chaotique, mais ça permettait de répondre rapidement. L’année dernière pareil, quand les collèges ont été fermés, à nouveau on a pu doubler l’architecture en deux jours parce qu’on avait la main pour le faire. On a eu des difficultés, tout n’était pas idéal, mais on a pu réagir très vite. C’est le genre d’avantage qu’on a d’avoir un ENT.

Louis Derrac : Du coup, peut-être pour compléter cette première partie côté collectivités et aussi bien vous faire découvrir les raisonnements qui sont derrière, on s’est dit, quand on a préparé, que vous aviez, à priori, je te laisserai préciser, pas un militantisme open source, que c’était un socle technique que vous aviez implémenté historiquement, mais que ce n’était pas militant dans le sens où vous ne promouvez pas une certaine culture du Libre en ayant cet ENT. On pourrait imaginer « notre ENT est libre, on communique aussi sur ça, ça fait partie d’une vision, etc. ». C’est la première chose sur laquelle je veux bien que vous reveniez. On se disait aussi qu’il y avait peut-etre une marge de progression par rapport à la culture. Pour le moment vous ne contribuez pas beaucoup, c’est-à-dire qu’il y a un rapport aux communautés open source qui reste à perfectionner.

Thomas Graveleine : Tout à fait. Ce sont justement des questions qui sont en train d’évoluer chez nous notamment de par nos nouveaux élus qui sont beaucoup plus engagés sur ces questions-là aujourd’hui. Tout à l’heure on parlait d’Erasme qui porte une philosophie particulière, mais globalement, à la métropole de Lyon, dans les collèges on ne met pas du GNU/Linux. En ce moment, c’est la migration vers Windows 10. Il n’y a pas de volonté particulière. Mais, actuellement à l’intérieur de la métropole, le Libre se répand de plus en plus au-delà du domaine éducatif et ces questions émergent. Savoir aussi comment on contribue à ces briques libres qu’on intègre, puisqu’on est très utilisateurs. Actuellement on ne contribue pas directement ni financièrement au-delà des aspects techniques. Ce sont des réflexions qui prennent de l’ampleur chez nous et nos élus souhaitent qu’on avance aussi là-dessus.

Louis Derrac : C’est intéressant parce qu’on revient sur le fait sur du retour du politique sur ces questions technologiques. C’est l’occasion de rappeler que la technologie n’est pas neutre et que c’est bien un sujet et un objet politique.
On a eu un premier tour de table de trois collectivités. François, ton association, l’ADULLACT, a précisément pour objectif de soutenir et de coordonner l’action des collectivités territoriales pour promouvoir, développer et maintenir un patrimoine de logiciels libres. Comment réagis-tu à ce premier tour ? Comment vois-tu la situation à l’échelle nationale ? Est-ce qu’on est plutôt en progrès ? Est-ce qu’on est plutôt en stabilité ? On voit qu’on a aujourd’hui une journée qui marque un temps fort, le directeur du numérique pour l’éducation a rappelé les états généraux du numérique [12] qui ont gravé, quelque part dans le marbre, une promotion et un soutien au logiciel libre. Quel est le bilan que tu fais à date des évolutions des dernières années ?

François Élie : Je suis à cheval sur les deux mondes puisque je suis professeur de philosophie, je suis aussi élu depuis 2001 et c’est au titre d’élu que j’ai créé l’ADULLACT, une association, dans la suite de la proposition du sénateur Laffitte [13], du rapport Carcenac [14], quelques lectures que vous pourriez faire. J’ai l’impression de revenir en arrière. On se posait la question « pourquoi faire du logiciel libre ? ». La messe est dite. La question c’est comment, ce n’est pas pourquoi. Et vous avez à faire à un militant. Je n’ai pas de problème avec ça et je vous confirme que sur toutes les écoles de France il y a marqué Liberté, égalité, fraternité [Prononcé avec l’accent américain de Richard Stallman, NdT]. Vous vous souvenez que Richard Stallman [15] peut expliquer ce qu’est le logiciel libre en trois mots. Clairement la question n’est pas de savoir pourquoi, la question est surtout comment.
L’état des lieux.
D’abord, si on regarde le rapport entre l’institution scolaire et les collectivités, l’institution prescrit et les collectivités paient et elles paient en ordre dispersé. Je vais prendre un exemple. J’ai essayé de me battre avec quelques-uns pour que les ENT ne soient pas livrés à la concurrence et qu’il y ait un seul ENT pour qu’il soit un ENT public. Aujourd’hui on a un Pronote privé et plein d’ENT en ordre dispersé.

Louis Derrac : Je précise que Pronote a été acheté en majorité par Docaposte, filiale de la Poste donc un peu nationalisé, en tout cas une technique qui permet que ce ne soit plus totalement une société privée. C’est moins privé qu’avant.

François Élie : Je préfère ne pas commenter la capacité à développer de certaines entreprises.

Louis Derrac : Il y a aussi la Banque des territoires, c’est Docaposte et la Banque des territoires.

François Élie : Oui ! Oui ! Je pourrais aussi développer sur ce point, je les ai eus aussi comme concurrents, ils avaient créé Fast on a créé S2LOW [16], ce qui nous a fait faire des économies de publicité.
Revenons à l’état des lieux.
Le ministère prescrit et les collectivités paient, mais elles paient en ordre dispersé. Si on voulait dire, en trois mots, la situation, je dirais que le déploiement est disparate, discontinu et fragile.
Disparate parce qu’il y en a un petit partout et c’est mité. Il y a eu des époques où c’était massif. À la grande époque du Centre de ressources informatiques de Haute-Savoie, on avait des gens qui faisaient tous les collèges en Libre, partout, avec des infrastructures solides, il n’y avait pas de problème. Aujourd’hui c’est un peu partout, un petit peu. Disparate.
Ensuite discontinu. Il suffit qu’un DSI [Directeur des systèmes d’information] parte, il suffit que quelqu’un, dans une inspection académique, ne soutienne plus, il suffit qu’un recteur change, il suffit qu’élu change et tout bascule. Sans compter qu’il y a des accords-cadres qui sont signés par l’Éducation nationale et puis la politique change, un directeur change. Dans un contexte local et un contexte global qui sont en perpétuelle évolution, on est sur du discontinu.
Et puis c’est très fragile, parce que ça repose sur des individus, sur des convictions.
Non seulement cet état des lieux mais, en plus, regardons quelques freins qui sont liés aux collectivités. Il y a un frein qui est partout qui est la frilosité devant le changement. Watzlawick disait « Plus ça change, plus c’est la même chose » et il ajoute, cruel, « proverbe français ». En fait le changement c’est très cher. Il y a une frilosité de tout le monde, que ce soit au niveau des élus, des DSI, des citoyens, des enseignants. Ils sont prêts à dire plein de choses sur les GAFAM, contre les GAFAM, mais plutôt sous Word et sous Windows. Je leur cite Marx, « Les armes de la critique passent par la critique des armes ». On ne fait pas un exposé contre l’impérialisme américain avec Powerpoint [Prononcé « pauvre point », NdT]. Il faut choisir un autre outil. Donc le changement.
Ensuite je l’ai évoqué rapidement, le soutien local et le contexte global. Il faut que l’institution montre l’exemple et c’est b.a.-ba de l’éducation. L’exemple n’est pas une option, c’est la seule.
Et puis, enfin, les freins juridiques, le comment fait-on ? Comment fait-on pour obtenir, par exemple, du support, pour fabriquer des masters, etc. On rentre dans le détail. Comment fait-on pour financer, pour contribuer, pour upstream, pour essayer de faire remonter. Et là il y a un travail effectivement qu’on essaye de conduire avec l’association.
Je termine rapidement sur ce qu’il faudrait faire. Que faudrait-il faire ? Il faudrait une volonté continue et je crois que je l’ai entendu ce matin, le début d’une volonté continue, ça ne m’étonne pas. Je sais d’où vient ce directeur. Il s’occupait du projet Copernic. Cherchez ce qu’était le projet Copernic, c’était de l’open source du sol au plafond, c’est derrière, très loin. Le professeur de celui qui a développé le projet Copernic s’appelait Roberto Di Cosmo [17] ! Donc il y a une longue histoire et je pense qu’il y a une volonté qui commence.
Ensuite il faudra, je crois que la clef c‘est cela, des normes. Des normes précises pour forcer les intérêts particuliers qui peuvent être financiers, politiques, en termes de communication, à aller dans le sens du bien commun. Des API [Interface de programmation] pour les ENT, essayer de mettre des normes et puis tout ira bien. Et progressivement tout le monde va converger pour faire des économies, pour être plus célèbre, pour faire mieux, pour rendre service aux enseignants, il faut mesurer et puis ça ira.

Louis Derrac : Merci beaucoup. C’est très clair et concis. On a quasiment épuisé ton temps de parole. Je laisserai réagir les collectivités après. Avant ça Nathalie.
Jusqu’à maintenant on a eu pas mal d’échanges sur la question d’une stratégie qui serait plutôt descendante, on sait que c’est un de nos travers en France, d’ailleurs ailleurs aussi, je ne pense que pas que ce soit un phénomène strictement français, en tout cas on a une logique très souvent descendante. Toi, comme on le disait, tu es, entre autres. ambassadrice de PrimTux qui, pour le coup, part un petit peu plus du terrain. J’aimerais que tu nous dises un peu comment tu vis la situation du terrain. Comment PrimTux avance, s’opère, à quelles résistances il fait face. Je trouverais très intéressant que tu nous dises comment tu fais face à ce dont on a parlé déjà deux fois qui est cette résistance au changement et en quoi la formation peut aider, donc peut-être reprendre aussi la casquette Canopé [Réseau de création et d’accompagnement pédagogiques] qui, on le sait, s’investit fortement dans la formation. Et enfin nous dire aussi comment on peut imaginer – peut-être que là ce sera la transition entre toi et les collectivités – d’aller vers plus de choix pour l’enseignant. Si on ne se dit pas qu’on met du Libre pour tout le monde, juste pour mettre du Libre comme disait Nicolas, en allant vers la catastrophe puisqu’il y aura trop de gens à convaincre, à former, etc., comment fait-on en sorte, peut-être, comme solution, que les enseignants aient peut-être le choix ? Est-ce que c’est possible ? Nathalie, ça fait plein de questions. Comme vous êtes très nombreux, je regroupe, vous avez compris, parce qu’après c’est difficile de faire trop circuler.

Nathalie Soetaert : Je vais essayer de les prendre dans l’ordre. On va partir par la première déjà, PrimTux.
En fait PrimTux est parti d’un besoin. Stéphane Deudon, que vous avez vu ce matin, est directeur d’établissement à Calais, il gère une école primaire. Un matin il s’est levé, il n’avait pas son outil. Il est allé voir ce qui existait, il n’a pas trouvé son bonheur. Il faut savoir qu’il n’est ni libriste, ni programmeur, c’est un enseignant. Il s’est dit « là je n’ai pas ce dont j’ai besoin, mais ça, ça existe, ça, ça existe ». Il les a compilés, il a fait quelque chose et ça donné quelque chose de très bien. Là on est à la version 7.
Au début il était un peu seul dans son coin. Il est venu taper à la porte de deux associations libristes à côté de chez lui, il a trouvé deux paires de bras, donc ils sont passés à trois et actuellement ce sont six personnes. Pour ceux qui étaient à la démonstration, il faut savoir que ce sont six personnes qui sont derrière et après c’est toute une communauté de gens, comme moi, qui ont rencontré l’outil, qui ont des besoins soit auprès d’enseignants soit auprès de familles soit auprès d’institutions, des fois des petits bouts de collectivités sur des choses très précises comme la mairie de Creil, par exemple, qui gère toute l’aide aux devoirs et qui a besoin d’outils simples, accessibles, peu volumineux et peu chers. Ce n’est pas fait pour un déploiement en masse actuellement. On pourrait le faire, ça peut se faire, mais ce n’est pas fait pour ça. La solution est vraiment née d’un besoin et elle répond donc a un besoin de terrain. Est-ce qu’elle est la seule ? Non. Est-ce qu’elle est parfaite ? Non. Elle convient à bon de nombre de gens et dans bon nombre de situations. L’avantage c’est que comme ce sont de paquets on peut la modifier. C’est du Libre, c’est-à-dire que si quelque chose ne vous convient pas ou quelque chose vous manque vous pouvez très simplement aller chercher une bibliothèque, la rajouter, agréger le paquet. Si vous n’y arrivez pas il y a des gens qui pourront éventuellement vous aider, bien sûr, parce que pour l’instant ça se fait à petite échelle.
Et là tous ceux qui travaillent en collectivité, qui déploient sur des millions et des millions de machines sourient doucement en se disant « elle est gentille la dame, mais ça ne va pas se faire comme ça ». L’idée est là. C’est vraiment né d’un besoin et c’est à ce besoin qu’on répond.
Ensuite, pour ce qui est de la formation, vous pouvez avoir le meilleur outil du monde, si on ne vous montre pas comment on s’en sert et si vous n’avez pas quelqu’un qui vous explique ce qu’il en fait, ce qu’il en est devenu et vous le présente ! Et de ces journées, de ces échanges, on crée des protocoles pédagogiques. Il y a des capsules pédagogiques qui sont en création, qui vont être diffusées sur plusieurs médias, entre autres le site de PrimTux et puis d’autres endroits encore, pour que les enseignants puissent se documenter simplement et clairement. Une capsule c’est trois minutes. Quand un enseignant a sa classe à gérer, qu’il a toutes ses choses à faire, il ne va pas faire un webinaire d’une heure quand il rentre chez lui le soir pour un outil qu’il découvre, parce qu’il n’a pas le temps. Donc on va essayer de simplifier les choses au maximum et c’est comme ça qu’on répond à la problématique de comment on forme les gens.
Ça mis à part, je n’ai pas de recette magique.
On parlait de logiciel libre. Je vis dans l‘Oise depuis 2009 maintenant, le département a installé sur tous les collèges de l’Oise, sous distribution Windows, des logiciels libres. Donc les élèves sont totalement acculturés au logiciel libre dans l’environnement Windows. Est-ce que ça me pose problème ? Non. C’est fonctionnant, l’acculturation se fait. Est-ce que tout le monde doit passer sur GNU/Linux ? À titre personnel je suis sous GNU/Linux, ça me convient, c’est ma solution. Est-ce que c’est la solution de tout le monde ? Je n’en suis pas sûre. Maintenant est-ce qu’il est souhaitable qu’on ait la main sur nos outils et qu’on soit souverain, je le souhaiterais, mais c’est une décision qui est très personnelle.

Louis Derrac : Merci. D’ailleurs ça me fait penser à une étude que j’avais vu passer sur la question de la transférabilité des compétences et aussi sur l’importance de voir différentes applications.

Nathalie Soetaert : Si. Ça ne pose pas de problèmes aux enfants, quand tu les mets sur PrimTux qui n’est pas un environnement Windows.

Louis Derrac : Si c’est à cet âge-là, parce que sinon on se retrouve apparemment beaucoup trop souvent avec des personnes qu’on dit souvent biberonnées à une suite bureautique très connue, pour ne pas la nommer et parfois avec des difficultés de transfert des compétences sur d’autres suites. C’est quand même quelque chose d’important, aussi à l’école, de faire en sorte qu’il y ait une acculturation, comme tu le disais, à différents outils pour un même usage.

Nathalie Soetaert : La liberté c‘est une question d’éducation. Et tu ne peux savoir que tu es libre que quand tu as comparé avec autre chose. Il est peut-être là le vrai travail à faire. Il n’est pas dans une solution tout l’un ou tout l’autre. Pour moi il est dans la possibilité de choisir et pour choisir il faut connaître, il faut voir et il faut expérimenter.

Louis Derrac : Comme toujours le temps passe super vite et là on a cinq intervenants. Très rapidement, Stéphane et Nicolas, si vous voulez réagir à ce que nous a dit François. Après pareil, cher public, vous pouvez préparer vos questions, on va faire circuler un micro.

Stéphane Cabanis : Deux mots que j’ai percutés, qui ont été prononcés notamment par François. La notion de choix et la notion de discontinuité.
Sur la notion de choix, c’était « ne faudrait-il pas donner plus de choix aux enseignants ? » Le constat qu’on fait aujourd’hui c‘est que les enseignants ne manquent pas de choix sinon on n’aurait pas 47 000 logiciels mastérisés sur les lycées de la région. Ce que nous essayons de protéger, justement, c’est la capacité de l’enseignant à choisir ses logiciels tout en sécurisant nos responsabilités, nos compétences de gestion et de pilotage du bazar, pour que ça marche tous les matins.
Il y a des lycées dans cette académie qui ont 10 000 logiciels rien que sur leurs 1 000 PC. 10 000 logiciels ! Ce sont des choses qu’on ne trouve pas dans la vraie vie. Il y a une grosse partie de logiciels libres là-dedans.
Je dirais aujourd’hui que c’est moins une question de choix que de donner la capacité aux enseignants à choisir. Comme il a été dit. les gens qui ont été biberonnés sur un outil, auxquels on a prescrit un outil, auront effectivement du mal à s’en détacher. Je considère qu’aujourd’hui, techniquement, on sait donner le choix aux enseignants, ils peuvent choisir leurs logiciels, en tout cas, je dirais, dans cette région, ça nous pose du souci, mais ils peuvent le faire. Par contre, ils choisissent finalement tous la même chose. Il faudrait peut-être aussi éduquer les enseignants pour qu’ils puissent choisir autre chose.
Sur la notion de discontinuité, qui reprend celle d’inégalité, la plus grande discontinuité que je vois, François, c’est moins celle entre collectivités, ce n’est pas non plus celle entre académies, on en a parlé au moment du covid parce qu’il y a eu pas de conférences avec des élus qui demandaient justement comment réduire les inégalités dès les premiers jours du covid. Au quotidien, dans les lycées, la première inégalité qu’on voit c’est d’abord entre les salles de classe avec des enseignants qui sont justement acculturés – j’ai entendu plusieurs fois le mot « initiative individuelle » et ça revient souvent dans le milieu du Libre –, des enseignants qui sont sur l’initiative individuelle, qui sont sur l’innovation, sur l’expérience alternative, etc., et d’autres qui sont beaucoup plus frileux.
On essaye de déployer un master GNU/Linux pour les NSI [Numérique et sciences informatiques], qui permet en plus aux élèves et aux professeurs de retrouver leur contexte de données personnelles, c’est-à-dire qu’ils soient sur Windows ou GNU/Linux, ils retrouvent tous leurs contextes de données personnelles. On ne le fait pas de manière massive, on laisse les établissements venir. Aujourd’hui il y a trois établissements dans cette académie qui ont fait ce choix-là pour les salles de NSI, ils peuvent rebasculer vers Windows quand ils le veulent. Dans quelques semaines il y en aura cinq de plus. On aura huit établissements. L’information se diffuse, mais on est à huit établissements sur 300, ça va se diffuser petit à petit. Ce qui me plaît c’est que dans les cinq lycées qui vont arriver, le déploiement pourrait aller au-delà du NSI : des centres de documentation, on va avoir des salles d’histoire/géo, etc., qui vont commencer à y passer.
Sur la notion de choix, je pense que les enseignants l’ont mais est-ce qu‘ils ont une capacité à exercer cette capacité à choisir.
La première discontinuité sur laquelle il faut lutter c’est celle entre les enseignants, entre les établissements. Je crois que ça passe par un dialogue à l’échelle de chaque établissement. Que les enseignants entre eux travaillent en équipe, qu’ils discutent entre eux pour faire des choix communs et des compromis.

Louis Derrac : Merci beaucoup.
Très rapidement Nicolas. Je vais reprendre le micro comme ça je vais déjà le passer en prévision.

Nicolas Vivant : Je n’aurai pas le temps de dire grand-chose. Simplement dire, puisqu’on parlait de continuité, qu’il y a effectivement cette continuité temporelle. Il y a aussi, j’allais dire, une espèce de continuité verticale qui doit exister pour que les projets de déploiement de logiciel libre soient des succès. Il faut évidemment qu’il y ait une volonté politique, sans volonté politique on ne va nulle part, mais il faut aussi qu’il y ait un soutien de la direction générale de chacune des collectivités. Si on n’a pas ce soutien de la direction générale on ne va nulle part. Il faut aussi qu’il y ait un boulot réalisé, donc des compétences au sein des services pour pouvoir ensuite gérer, dérouler. C’est un projet qui va bien au-delà, encore une fois, du petit bout de la lorgnette qui est le déploiement dans une école. Ça doit être un soutien de l’ensemble de la chaîne et une grande partie de la discontinuité, comme l’exprimait François, vient de là. C’est-à-dire que c’est un DSI, c’est un élu, quelqu’un dans la chaîne ; à un moment il y a une correspondance, un alignement de planètes qui fait qui les choses se font et puis, parfois, cet alignement n’existe plus et là on a des marches arrière assez spectaculaires, y compris sur des trucs qui étaient exemplaires, des collectivités en France et ailleurs qu’on prenait tous en exemple comme déploiement réussi de logiciel libre.
D’où, dès le départ, ce travail qu’on doit faire pour inscrire les choses dans la durée malgré nous j’ai envie de dire. En fait il faut mettre en place quelque chose qui fonctionne tellement bien que personne n’a envie de changer. J’ai été longtemps directeur d’un service informatique d’une commune, si dès que je tourne le dos les instituteurs disent « c’est bon il est parti, on va aller voir l’élu . C’est bon, l’autre fou est parti, remettez-nous vite Windows », c’est un échec terrible. Ce n’est pas ce qui s’est produit. Penser ça dès le départ, très important !
Pour revenir sur la taille. J’ai déployé GNU/Linux dans des associations où il y avait cinq PC, on m’a dit « eh bien oui, cinq PC c’est facile, nous on en a 200 ! ». J‘ai déployé 300 PC à la mairie de Fontaine, on m’a dit « c’est une petite commune, vous êtes combien ? 25 000. C’est une petite commune. Nous, tu comprends, des PC, on en a 1500 ! ». Et puis, à la Gendarmerie, ils ont déployé 80 000 PC sous Linux. À un moment il faut arrêter de se dire que c’est une question de nombre. Effectivement ça nécessité de mettre en œuvre plus de moyens, mais on a plus de moyens ! Une petite commune sous-traite tout, elle n’a rien en moyens pour son informatique, elle a effectivement trois PC, mais elle n’a pas une DSI pour s’en occuper. Je crois vraiment qu’il y a une réflexion et je pense qu’on est assez peu aidés. Que ce soit au niveau de l’Éducation nationale, au niveau des ministères, on est assez peu aidés et il y a assez peu de réflexion en interne sur concrètement comment on fait, comment on démarre, comment on avance, comment on rencontre les différentes étapes d’un projet. Il y a assez peu de ça, très peu, je le vois. C’est ce qui me passionne et c’est pour ça que j‘en parle avec autant d’énergie, mais ça se fait assez peu, or je crois que c’est vraiment une des raisons du succès. Je me tais, pardon j’ai été trop long !

Louis Derrac : Mais très intéressant.
st-ce qu‘on a déjà des questions un petit peu dans la salle ? Oui ,il y en a une en haut. Merci à Thierry qui n‘est pas du tout de l’équipe, qui, vraiment très généreusement, accepte de passer le micro. Thierry, tu as le droit de poser une question aussi ou de faire une remarque d’ailleurs. Thierry Joffredo développe Toutatice.

Public : Bonjour. Je ne sais pas si c’est une question ou une réaction que je vais formuler, justement sur le balbutiement et les retours en arrière successifs. Je vais donner l’exemple de la région stéphanoise où je suis. On était sur des serveurs développés par EOLE [18], des serveurs Scribe [19], depuis deux ans on est passé sur des serveurs Windows. Jusqu’à présent, avec un serveur Scribe, on pouvait avoir des machines GNU/Linux. En tant que référent numérique j’ai pris l’initiative de faire un double-boot pour laisser le choix à chaque enseignant de faire soit du Windows soit de l’Ubuntu. Serveur Windows, donc Windows 10. L’authentification Linux ne passe plus à moins de passer par un portail captif ce qui fait que élèves et enseignants qui veulent stocker leurs données personnelles sur le serveur ne peuvent plus. Ils peuvent le faire sous Windows, ils ne peuvent plus le faire sous GNU/Linux. Donc retour en arrière. Comment fait-on pour discuter avec les collectivités locales pour remettre du choix ?

Stéphane Cabanis : S’agit-il d’un collège ou d’un lycée de l’agglomération stéphanoise ?

Public : Un collège.

Stéphane Cabanis : OK. Pour le coup je ne connais pas le projet du département de la Loire. On a eu ces débats-là, notamment avec certains qui sont dans la salle ou pas loin, sur la disparition des serveurs Scribe dans les lycées de la région. Scribe ne permettait pas à l’époque, dans mon souvenir, de gérer des clients GNU/Linux, à ce moment-là ce n’était pas le cas, par contre il avait toutes sortes de qualités. Il avait par contre un défaut : sur les trois académies de la région il n’y avait pas que des serveurs Scribe, il y avait de serveurs Windows dans les lycées de deux académies sur trois.
Quand nous avons repris cette compétence d’assistance informatique, on a d’abord réalisé un effort de convergence, de remise à plat, pour industrialiser tout le bazar sur l’ensemble des 300 lycées et c’est maintenant, depuis quelques mois, parce qu’on voulait remettre sur du client GNU/Linux sur les PC, qu’on a mis en place cette fameuse image GNU/Linux pour les sections de NSI qui le souhaitent. Vous seriez dans un lycée, je suis désolé, vous auriez depuis quelques mois la possibilité de déployer effectivement de l’OS GNU/Linux sur les PC de votre établissement et ce serait géré de manière industrialisée, c’est-à-dire simplement en bootant en PXE [Pre-boot eXecution Environment], etc.
Ce que je peux dire par contre sur les OS GNU/Linux, parce que c’est un sujet qu’on a eu à plusieurs reprises notamment dans certains établissements, je reviens sur la notion d’initiative individuelle et pourquoi il s’agit bien de gérer ces questions-là à l’échelle de l’établissement. C’est bien d’avoir des systèmes d’exploitation qui soient différents, mais on se retrouve toujours, à l’échelle d’un établissement, confronté à un accord avec tous les enseignants qui vont être multi-utilisateurs d’une même salle. Je dis souvent qu’à l’échelle de la région il y a à peu près 24 000 enseignants dans les lycées publics et on ne pourra pas adresser individuellement 24 000 enseignants pour leur donner leur salle informatique. Il y a quand même cette question de dialogue à l’échelle de l’établissement qui doit être mené. Peut-être que vous pourrez trouver un compromis avec votre collectivité si c’est l’ensemble de l’établissement qui se tourne vers elle et qui lui dit « on s’est mis d’accord, on a besoin d’une salle, deux salles, etc. ». Et là vous aurez peut-être une écoute plus attentive de la collectivité.

Louis Derrac : François tu veux réagir ausi ? Est-ce qu’il y a une autre question pendant ce temps-là ?

François Élie : Je disais en plaisantant qu’il faudrait que je demande une formation sur Windows, je ne connais pas !

Louis Derrac : Quelqu’un là-bas, Thierry.

Public : Bonjour. J’ai une question à propos du fait que la conscience sur les problèmes écologiques grandit manifestement. J’aimerais savoir si, d’après vous, le fait que les systèmes d’exploitation type GNU/Linux sont moins consommateurs de ressources et permettent une longévité à priori plus grande des équipements informatiques, va être un argument pour les collectivités ou est-ce que ça reste trop éloigné, même si on en parle de plus en plus ?

François Élie : Vous serez surpris. Ça paraîtrait très évident. On pourrait se dire que normalement la frugalité devrait aller dans ce sens. Si vous observez bien, je ne vais pas dénoncer, mais cet argument est souvent utilisé pour ne pas parler de logiciel libre. Vous avez des associations et des collectivités qui vont parler seulement d’écologie : « On va faire durer plus les machines, on va garder le matériel ». Et puis, bizarrement, personne ne parle de ces logiciels extrêmement gourmands, de plus en plus mal écrits, qui infestent nos machines. Vous avez raison, ça devrait être évident, malheureusement ça ne l’est pas !

Louis Derrac : Coté collectivités, est-ce qu’il y en a qui peuvent ou veulent répondre ? C’est vrai que c’est une très bonne question.

Nicolas Vivant : Juste rebondir sur votre question pour dire qu’il y a un travers dans lequel il ne faut surtout pas tomber, c‘est « GNU/Linux est moins gourmand, on va installer GNU/Linux dans les écoles comme ça leurs PC vont durer 12 ans. Par contre ceux de la mairie on va les changer tous les six ans parce qu’après six ans un PC c’est insupportable, ça rame. Mais les écoles on va les mettre sous GNU/Linux. Ils tiendront 12 ans et tout ira bien ». Je vous dis ça parce que j’ai des exemples de collectivités qui ont cessé d’investir dans le remplacement du matériel et pour qui GNU/Linux représentait une opportunité. C’est un des secrets pour que, dans les écoles, tout le monde soit convaincu que GNU/Linux c’est moins bien, quand on ne sait pas faire du Windows, on met du GNU/Linux, et pour dégoûter absolument tout le monde du Libre et de l’open source. Donc surtout ne pas laisser nos décideurs, aussi bien dans les services que parmi les élus, utiliser le Libre comme un argument pour ne pas changer le matériel dans vos établissements scolaires.

Louis Derrac : On a le temps pour une dernière question rapide, si vous voulez, s’il y en a une. Je ne crois pas qu’il y en ait une. OK. Merci beaucoup à vous tous et toutes.

[Applaudissements]