Matthieu Faure : Bonjour. Je suis Matthieu, de l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales] [1], très content d’être là.
Nicolas Vivant : Et je suis Nicolas Vivant, de la ville d’Échirolles.
Matthieu Faure : Nous allons vous parler de France Numérique Libre [2]. C’est un collectif, nous allons vous dire ce que ça fait, comment cette affaire-là est née, ce qui s’est passé en vrai.
Nicolas Vivant : Comment ça a démarré ? En fait, c’est parti d’un collectif de DSI [Directeur des Systèmes d’Information] de collectivités, autour des logiciels libres, qui est né dans la région grenobloise. C’est un collectif qui un, fonctionnait très bien et deux, qui a participé d’une véritable dynamique sur le territoire avec des collectivités qui, par exemple, n’étaient pas du tout investies dans le logiciel libre et qui y sont à fond maintenant. Nous étions très contents et puis des communes, en dehors du territoire, ont entendu parler de ce collectif et nous avons commencé à avoir des contacts avec des gens qui disaient « certes, je suis en Picardie, ce que vous faites est très intéressant, est-ce que je pourrais vous rejoindre ? ». On s’appelle Alpes Numérique Libre [3] et, pour les gens qui ne sont pas très forts en géographie, les Alpes ne vont pas jusqu’en Picardie. Du coup, on avait tendance à dire « créez des collectifs locaux ». Les retours qu’on avait c’était « j’aimerais bien, sauf que je suis tout seul dans mon coin, donc je n’ai pas de moyen, je ne vois pas avec qui je pourrais créer un collectif comme celui-là ». C’est la première chose et c’était quelques semaines avant un salon parisien, qui s’appelle Open Source Experience [4], dans lequel je me pointe, quelques semaines plus tard, et là je croise Samuel Paccoud de la DINUM [Direction interministérielle du Numérique] qui me dit : « Alors, Échirolles, qu’est-ce que vous faites pour les autres communes ? – La réponse est dans la question : on s’appelle Échirolles, donc le périmètre c’est Échirolles, ce n’est pas la France, la France c’est toi, Direction interministérielle du Numérique, nous c’est Échirolles. » Mais quand même, ça me trotte dans la tête et je me dis qu’il y a un vrai problème, il y a quelque chose qui manque. C’est là que j’ai le déclic et je me dis « et si on tentait de faire ce même collectif, qu’on a fait dans la région grenobloise, au niveau national ? ». Je croise Matthieu Faure et je lui demande « qu’est-ce que tu en penses, Matthieu ? – Je pense que c’est une très bonne idée. » Je retourne voir Samuel Paccoud et je lui demande « qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que tu soutiendrais ? – Je pense que c’est une très bonne idée. » Et puis je croise l’ANCT [Agence nationale de la cohésion des territoires]. Bref ! C’est là que germe l’idée de créer un collectif.
Matthieu Faure : Et là on s’est dit « c’est bien joli tout ça, mais il va falloir créer du lien entre les gens », parce que c’est ce qui se passait dans Alpes Numérique Libre : les gens se retrouvaient à l’échelle locale et, fort de ce que vient d’expliquer Nicolas, il fallait recréer du lien entre différentes personnes qui ne sont pas du tout à l’échelle locale. Recréer du lien, OK, à l’ADULLACT on a un petit peu d’expérience, mais il va falloir qu’on mette en place des outils. On s’est dit « de quoi a-t-on besoin ? On va reprendre ce qu’il y a déjà eu de fait dans ANL, Alpes Numérique Libre. » De quoi a-t-on besoin ?
- On a besoin de discuter ? OK, très bien, on a des outils pour, libres, bien évidemment, ils sont là.
- On a besoin de se partager des documents ? OK, très bien, mettons en place le nécessaire.
- On a besoin de se rencontrer, de se voir, de faire des visios. OK, super. On a utilisé les outils libres disponibles, ça tombait bien, ils étaient déjà disponibles à l’ADULLACT.
- Se localiser aussi, uMAP [5], pour savoir où nous sommes les uns les autres sur la carte de la France.
- Et puis, un point spécifique : il y avait besoin de communiquer vers l’extérieur, c’est-à-dire avoir un site web pour expliquer ce qu’est cette démarche, avoir une présence sur les réseaux, et c’est une différence qu’il y a entre France Numérique Libre et Alpes Numérique Libre. Les gens d’Alpes Numérique Libre se connaissent déjà tous, en plus ils se croisent le dimanche au marché, ils n’ont donc pas besoin de ce genre de chose, alors qu’à l’échelle de la France il y avait besoin de cela. C’est un des points qu’on a identifiés.
Nicolas Vivant : Et puis il y avait une autre problématique dans cette phase préparatoire pour la création de France Numérique Libre qui est comment on assure la pérennité de ce collectif. On sait qu’il y a des communes ou des collectivités qui sont très porteuses d’une vision du numérique libre et puis une élection, changement de majorité – il y a une élection dans un an pour les communes – et hop, marche arrière. On s’est dit que si l’outil dépend d’une collectivité membre du collectif ou si l’administrateur de la page du compte Mastodon [6] dépend d’une collectivité et qu’il y a une marche arrière, il y a un vrai risque, du coup, qu’on perde la main sur un de nos outils, donc de mettre en danger la pérennité de l’initiative. On s’est donc demandé « qui est à la fois extérieur au collectif et, en même temps, complètement dans le périmètre ? ». La réponse c’était l’ADULLACT, c’est-à-dire que l’ADULLACT c’est logiciels libres et collectivités territoriales, très bien, comme France Numérique Libre, mais, en même temps, ce n’est pas une collectivité, ils ne sont donc pas soumis aux aléas de la vie politique qui font qu’il peut y avoir des marches arrière avec une vision politique ou une autre.
Nous nous sommes donc tournés vers l’ADULLACT, on a dit « bonjour, on est un collectif, on n’a pas d’argent, on ne sait pas combien on va être, mais on a besoin d’outils, est-ce que vous acceptez d’héberger l’ensemble de ces outils pour nous, gratuitement, et de les mettre à disposition du collectif ? ». Matthieu, ici présent, et Pascal [Kuczynski] qui n’est pas présent mais qui était présent dans les discussions, qui ont eu lieu en janvier, ont dit « c’est complètement notre rôle » et se sont mis à notre disposition pour créer ces outils, avec l’objectif de construire quelque chose d’un peu pérenne pour le 1er avril, date qu’on s’était fixée pour l’inauguration du collectif.
Matthieu Faure : Est-ce que tu nous dis un mot sur le calendrier de tout cela ?
Nicolas Vivant : Les premiers échanges, le déclic c’est décembre 2024. Les premiers échanges entre nous ça doit être fin d’année, un peu avant Noël. Je commence à travailler dessus en janvier, le 1er avril nous sommes prêts.
Matthieu Faure : Je voulais dire que tout cela s’est fait très vite sur un calendrier : les premières discussions ont commencé en décembre et le lancement le 4 avril, ça s’est opéré très vite.
Le lien avec l’État, tu nous expliques le sens de cela ?
Nicolas Vivant : Il y a un enjeu. L’objectif c’était à la fois de faire un collectif qui nous permette d’échanger entre nous, responsables de collectivités, mais nous ne voulions pas être isolés au milieu de l’écosystème, nous voulions être un collectif dans un écosystème. Donc, très rapidement, la question de la participation d’autres acteurs, qui ne sont pas des collectivités, mais avec qui on échange très régulièrement, s’est posée.
C’est le cas de la DINUM qui développe une suite d’outils qui s’appelle La Suite numérique [7], qui la met à disposition des collectivités, c’est donc un acteur important. La DINUM était très intéressée d’avoir un accès direct à un certain nombre de collectivités pour avoir des retours, recueillir des besoins et tout ça.
C’est le cas de l’ANCT qui a aussi une solution qui s’appelle La Suite territoriale [8], qui est mise à disposition des collectivités, donc c’était important qu’elle soit là et l’ANCT finance, par exemple, les postes de conseillers numériques dans les collectivités, donc c’était très important qu’elle soit là.
Et puis, évidemment, le ministère de l’Éducation nationale, puisque les communes équipent les écoles maternelles et les écoles primaires, les conseils départementaux les collèges et les conseils régionaux équipent les lycées. Il faut savoir que pour chacune de ces collectivités ça peut représenter jusqu’à 50 % de notre parc informatique, c’est donc un acteur très important avec qui on interagit.
On a donc contacté tous ces gens, on a demandé « qu’est-ce que vous pensez de l’initiative ? ». Ils nous avaient déjà dit, à Open Source Experience, que c’était une bonne idée. « Voilà comment on envisage de faire les choses, qu’est-ce ce que vous en pensez ? Est-ce que vous souhaitez contribuer ? », tout le monde a dit oui et c’est parti !
Matthieu Faure : Donc OK, vous avez la création. Qu’est-ce qu’il y a ? Qui y a-t-il ? Maintenant de quoi parle-t-on ? Globalement, on parle de pas mal de choses qui vont concerner les DSI, à savoir les logiciels et les prestataires.
Avant de dire de quoi on parle, on va donner un petit ordre de grandeur de la volumétrie. Il y a un point qui m’a surpris, c’est la vivacité des échanges qu’il y a sur la liste de discussion où on a, selon les journées, entre 25 et 50 messages par jour, on a intérêt à filtrer tout ça dans un dossier. Il y a une réelle dynamique, un enthousiasme des gens à partager entre eux tout un tas de solutions. Une myriade de sujets sont abordés, je vous en livre quelques-uns ou plutôt je vais vous donner une anecdote, un point d’étonnement pour moi.
Vous n’êtes pas sans savoir que vous avez des flottes de mobiles à gérer et, à un moment, il y a des logiciels qui s’appellent des MDM, mobile device management, pour gérer votre flotte de téléphones mobiles. Pour moi il n’existait pas, du moins je n’avais pas trouvé, de MDM libre. Le sujet a été lancé par une personne et, dans la journée, deux noms de logiciels libres, de MDM libres sont sortis. C’est assez génial de voir cela. Quelqu’un nous a dit : « Ça fait deux ans que je cherchais une solution de MDM libre, là je l’ai, c’est super ! »
Dans les petits points qui, à l’ADULLACT, nous font particulièrement plaisir, il y a le fait que dans la journée ces deux noms de logiciels libres sont sortis et, le soir, la fiche de ces deux logiciels était créée sur le Comptoir du Libre [9], avec des collectivités qui viennent déjà témoigner. C’est génial ! Ce sont des gens qui ont compris tout l’intérêt de l’écosystème et du partage entre collectivités.
Là c’est sur les logiciels.
Plein d’autres sujets sont abordés : comment on gère la partie RGPD [Règlement général sur la protection des données], quel logiciel utiliser quand on est DPO [Délégué à la protection des données], ce sont des points un petit peu plus juridiques, un petit peu plus élevés ; des choses plus techniques sur des sujets de virtualisation ; d’autres sujets sur la bureautique libre en ligne. Bref ! Il y a un éventail assez grand de sujets. Aujourd’hui, on parle de recrutement, rien à voir, en attendant c’est le genre de point qui est abordé dans cette liste de discussion.
Et ça parle aussi de prestataires. Une caractéristique remarquable, c’est qu’il n’y a que des collectivités sur cette liste. Le fait qu’il n’y ait que des collectivités, un niveau de confiance est là qui leur permet de se parler entre elles et de pouvoir dire « moi j’utilise tel prestataire sur tel sujet et j’en suis très content ou, à l’inverse, je ne suis pas content du tout. » Cet aspect confiance entre elles marque beaucoup de points.
Nicolas Vivant : Pour montrer la façon dont tout cela s’inscrit dans l’écosystème, je vais prendre un exemple très concret. L’année dernière ici aux RPLL [Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre], au même endroit, dans les stands des entreprises, nous croisons une société qui s’appelle Akretion [10] qui propose des services autour d’une solution qui s’appelle Odoo [11]. Or nous, à Échirolles, et pas seulement nous, Fontaine et aussi un certain nombre d’autres communes, nous utilisons Odoo pour gérer notre processus de recrutement. Nous avions une vieille version d’Odoo, bref, nous avions un besoin de prestation autour de ça. On prend la carte de la société, chacun retourne dans sa commune et puis on met en place un projet de migration d’Odoo avec la société qui se retrouve avec un bon de commande conséquent, génial, merci les RPLL.
Cette année je reviens, je retourne voir la société et je lui dis « pas mal, on a payé votre stand de l’année dernière, c’est cool et je pense aussi celui de cette année, vu le montant, super. » Ce type d’événement est évidemment fait pour ça, pour rencontrer des prestataires, échanger avec les collectivités et tout ça. On parle du collectif et je dis que le sujet du logiciel de gestion du recrutement n’est jamais sorti, mais, s’il sort, on dira bien évidemment qu’on utilise Odoo et on parlera du prestataire. En tout cas, si quelqu’un demande un prestataire, on nommera évidemment le prestataire avec qui on a bossé. Résultat : aujourd’hui à 11 heures 38, sur France Numérique Libre, la ville de Clichy-sous-Bois « est-ce que quelqu’un connaît un logiciel de gestion de recrutement libre ? ». Olivier Luthier, DSI de Fontaine, présent ici dans la salle, répond en disant « coucou, on utilise Odoo. » Voilà typiquement comment France Numérique Libre s’inscrit parfaitement dans l’écosystème, y compris dans les interactions avec les acteurs économiques, par ce partage d’expériences qu’on peut avoir et vous voyez que dans l’exemple que je vous donne il y a du RPLL, il y a du prestataire, il y a de la collectivité et il y a le collectif au milieu de tout ça.
Matthieu Faure : Il nous reste moins de deux minutes pour terminer, donc avançons. Quelques chiffres. À toi de jouer.
Nicolas Vivant : Il y a des gens qui s’inscrivent tous les jours donc évidemment, quand on a fait cette présentation avec Matthieu, c’étaient ces chiffres-là. Aujourd’hui nous sommes 200 collectivités et 270 membres. Et si on refait la présentation demain, ce sera de nouveau faux : 200 collectivités, 270 membres. Ce qui est intéressant c’est que ça va de la commune de 200 habitants à l’Eurométropole de Strasbourg, en passant par des SDIS [Services départementaux d’incendie et de secours], des parcs naturels régionaux ou nationaux d’ailleurs, des communautés de communes, des conseils départementaux, des conseils régionaux. C’est à la fois très varié en termes de types de collectivités, en termes de tailles de collectivités et cela est aussi une richesse pour le collectif.
Matthieu Faure : Très bien. Vous avez vu la carte. On avance parce qu’il nous reste moins d’une minute.
Un point sur les valeurs, c’est un point important pour nous : qu’est-ce qui fait que ça marche bien ? On retrouve pas mal d’éléments dans pas mal de collectifs, mais là il y a une véritable spécificité, c’est la convivialité. Ça peut paraître tout bête, mais c’est l’apprentissage de Alpes Numérique Libre, tout cela ne fonctionne que parce qu’il y a de la convivialité, cet aspect-là est important.
Pour terminer, un autre aspect : l’écosystème. Tout cela s’inscrit dans un écosystème.
Il y a déjà le Comptoir du Libre qui est l’annuaire des logiciels libres métiers pour les collectivités, super, les collectivités s’en servent.
Il y a aussi Territoire Numérique Libre [12], le label pour mettre en avant les collectivités qui ont fait des démarches, pour mettre en avant ce qu’elles ont fait, pour le partager à d’autres.
Il manquait quelque chose, c’était ce France Numérique Libre, ce qui nous amène à la diapo de la fin et, avec du recul, qu’est-ce qu’on en retire ? On se dit qu’on aurait dû faire ça plus tôt !
Nicolas Vivant : Je ne suis pas d’accord, on n’aurait pas dû faire ça plus tôt et je vais vous dire pourquoi. C’est parce que, en janvier, Trump a pété un câble. C’est évidemment un hasard complet, quand on travaille dessus en décembre ce n’est pas encore le cas, mais, quelques mois plus tard, bim ! On lance France Numérique Libre à un moment où plus personne ne dit du mal des logiciels libres et où tout le monde est convaincu qu’il faut absolument travailler son autonomie stratégique, sa souveraineté, etc. Donc merci Donald, peut-être que ça a aussi aidé à ce lancement réussi et assez rapide puisque ça fait un mois et demi de ce collectif et peut-être, je ne sais pas, des gens qui ne se posaient pas la question se la sont posée à ce moment-là. Je pense que c’était vraiment le bon moment pour lancer ce collectif et, il y a deux ans, ça n’aurait peut-être pas été la même.
Merci à vous.
Matthieu Faure : Merci.
[Applaudissements]