Petits secrets de la redevance copie privée - Marc Rees

NB : Pour des raisons techniques, il n’y a pas eu de reprise de son pendant les cinq premières minutes.

On est en 2001, on a une directive, donc c’est un texte supranational qui est plus fort que la loi et qui s’impose aux États, on a une directive qui nous a dit que la copie privée pouvait être introduite dans les États membres et pour les copies réalisées par des particuliers dans leur usage privé. Voila le cadre théorique. Donc on est dans un système où les particuliers, pour leur usage privé, peuvent copier des œuvres, chez eux, sans avoir à demander à demander l’autorisation de Pascal Nègre [Président-directeur général d’Universal Music France de 199+8 à 2016, NdT] lorsqu’il était aux manettes et en échange de quoi ils payent une petite compensation lors de l’achat des supports vierges. C’est bon pour tout le monde ?
Quand on parle de redevance, eh bien il y a forcément des barèmes. Lorsqu’on vous dit qu’il y a des barèmes, eh bien ces barèmes sont extrêmement compliqués, parce qu’ils diffèrent selon les supports : vous avez des barèmes qui sont propres aux disques durs, aux clefs USB, aux tablettes, etc. Et le calcul même de la redevance pour chacun de ces barèmes est propre aussi à chaque support. On a des calculs par taux, on a des calculs par frais fixes, on a des calculs par giga, par seconde, par minute, par heure, etc. Et quand vous regardez le barème que vous trouvez sur le site du ministère de la Culture, celui-ci fait six pages. Il y a six pages de données, comme ça, qui vous détaillent un petit peu ce que vous, vous allez payer lorsque vous allez acheter des supports vierges. Et cette notion de six pages, gardez-la en mémoire, parce que je vais y revenir après. Ça va être assez intéressant.
Le résultat c’est quoi ? C’est qu’en 90 la redevance copie privée permettait aux bénéficiaires — parce qu’il y a une particularité —, lorsque je vous ai dit que ce n’était pas une taxe, c’est que cette redevance est aspirée par une société civile qui s’appelle Copie France [1], qui est une société qui appartient aux sociétés de gestion collective, type SACEM, SACD, etc., et c’est elle qui va aspirer l’ensemble de ces sommes. OK ? Et après, ces sommes-là vont se répartir en deux groupes : il y a un groupe qui va être conservé par les sociétés de gestion collective et il y a un autre groupe qui va être réparti en fonction des titulaires de droit, les chanteurs, etc.
Dans les années 90, c’était quelques dizaines de millions d’euros. En 2000, avec l’explosion du numérique, on est passé à 160 millions d’euros par an, et aujourd’hui, dans les années 2010, derniers chiffres en 2017 qu’on a obtenus, on en est à une moyenne de 230 millions d’euros qui sont prélevés par ce dispositif. Donc 230 millions d’euros qui sont prélevés par les sociétés de gestion collective grâce à vous. Je ne sais pas si elles vous ont déjà dit merci ? Non ? Mais pourquoi ?

Pourquoi

J’ai une photo de chat. Grégoire, tout à l’heure, disait on n’a pas mis de photo de chat. Moi je n’ai pas mis de photo de Jean-Vincent Placé, mais j’ai mis une photo de chat.
Pourquoi on est arrivé à ce mécanisme-là ? Il y a plein de raisons qui expliquent l’explosion de cette manne financière. Je vais essayer de vous les détailler et de chapitrer.

Raison n°1 - Représentativité et poids de chaque collège au sein de la commission copie privée

La première raison, c’est que la redevance copie privée, les barèmes et l’assiette, c’est-à-dire quels sont les supports qui vont être assujettis à ce mécanisme-là, est décidée dans une commission administrative qui est rattachée au ministère de la Culture, au hasard, et dans cette commission administrative, on a deux collèges. Il y a trois morceaux dans le camembert, mais en fait il y a deux collèges. Il y a le collège des bénéficiaires, ce sont les sociétés de gestion collective qui siègent dans cette commission administrative et, de l’autre côté, on a des redevables. Mais il y a un principe qui est de diviser pour mieux régner. Le collège des redevables est divisé en deux. C’est hasardeux. Donc on a 12 ayants droit, 12 sociétés de gestion collective. On a 6 représentants des consommateurs et 6 représentants des industriels. Évidemment, l’intérêt des industriels n’est absolument pas le même que celui des consommateurs. Et même entre les industriels, ceux-ci n’arrivent pas toujours à s’entendre parce qu’ils ont des intérêts qui sont, eux-mêmes, très spécifiques ; dedans on a des distributeurs, des fabricants, des importateurs, etc. Résultat des courses, on a donc 12 voix qui sont unies, qui parlent la même langue et, en plus de ça, on a des personnes qui sont archi-spécialisées dans la perception de cette somme, qui font face à 6 voix de consommateurs et 6 voix d’industriels qui ne parlent pas la même langue. En plus de ça l’histoire récente a montré que parmi les 6 et 6 il y avait des voix qui étaient très sensibles aux intérêts des ayants droit. C’est le hasard des nominations qui sont décidées au fil des ministères de la Culture.
Conclusion, qu’est-ce qui se passe dans ce cadre-là ? Eh bien les sociétés de gestion collective ont finalement une majorité : on est dans le cas d’une démocratie un petit peu contrariée où les sociétés de gestion collective sont quasiment assurées de faire voter tout ce qu’elles veulent, donc aussi bien les barèmes que les supports qui seront assujettis à la redevance copie privée. Et dans la mesure où ce sont elles qui vont percevoir les sommes sur lesquelles elles vont travailler, par darwinisme, elles ont plutôt tendance à demander beaucoup que moins. C’est un peu comme vous : si vous étiez maître de votre salaire en tant que salarié et si vous étiez comptable en même temps et gérant de la société qui vous emploie, vous auriez plutôt tendance à demander plus que moins. Voilà ! Elles, c’est un petit peu le constat qu’on peut faire. Après je ne sais pas si c’est leur volonté, c’est peut-être accidentel, mais en tout cas c’est ce qui se passe !

Raison n°2 - Copie privée et sources illicites

Pourquoi ça a augmenté, pourquoi les barèmes ont explosé comme ça avec le numérique ?
Évidemment, ça a été aussi lié à l’explosion du numérique, mais pourquoi ça a explosé ? Tout à l’heure je vous ai dit que dans le droit européen la copie privée est intimement liée à ces copies réalisées par des particuliers pour leur usage privé. Mais quand on dit ça, on ne comprend dans le spectre de la copie privée que les copies licites. Pourquoi je vous dis ça ? Parce que pour établir les barèmes, c’est là où il y a une alchimie qui est un petit peu compliquée à comprendre — moi-même je n’ai toujours pas comprise alors que j’ai beaucoup travaillé la chose — c’est que pour établir des barèmes, d’abord ce que va faire la commission privée, c’est qu’elle va lancer une étude d’usage. En fait, ils font un sondage auprès d’un cheptel de consommateurs, de personnes, et ils vont mettre comme ça un thermomètre au bout d’un micro et ils vont mesurer les pratiques de copie, chez mille personnes on va dire. Et de là, ils vont savoir que Mme Michu a copié, je ne sais, cinq MP3, trois films, etc. OK ! Sauf que jusqu’à présent, jusqu’en 2007-2008, les sociétés de gestion collective, lorsqu’elles lançaient ces études d’usage — parce qu’elles participaient intimement au financement de ces études d’usage — les sociétés de gestion collective avaient oublié dans leur questionnaire que la question des sources illicites soit exclue du périmètre des études d’usage.
J’explique.
Si, par exemple, je vous dis qu’est-ce que vous avez copié ce mois-ci ? Vous allez me dire j’ai copié 300 MP3. Bon ! Maintenant si je vous dis qu’est-ce que vous avez copié de manière licite, c’est-à-dire des fichiers que vous avez achetés à gauche et puis copiés à droite ? Ça pourrait être, peut-être éventuellement moins ; je ne vous traite pas de pirates, mais ça pourrait être éventuellement moins. D’accord ?
Cet oubli, là, ces questions qui étaient mal posées, eh bien c’était le lieu commun jusqu’à 2007-2008, en commission copie privée. Et à l’époque c’était l’époque DADVSI, loi DADVSI, la loi HADOPI aussi, où tous les politiques nous disaient que le piratage caracolait en tête et effectivement beaucoup de personnes peut-être, je n’ai pas fait d’études sociologiques là-dessus, mais beaucoup de personnes copiaient des œuvres récupérées sur Napster, eMule ou ce que vous voulez et ensuite les copiaient partout. Donc lorsqu’on interrogeait une personne pour savoir si elle copiait beaucoup elle disait : « Eh bien oui » et puis point barre.
Résultat des courses, on a eu des pratiques de copie comme ça qui ont été maximisées lors des études de sondage, en commission copie privée, ce qui a fait monter, si vous voulez, les aiguilles de tous les côtés. Et conclusion ? Les sociétés de gestion collective ont pu demander des barèmes nettement plus élevés que si on s’était limité à la seule copie de sources licites. Vous avez compris ?
Par ce biais-là, elles ont pu gagner des cents et des mille. Je n’ai pas pu faire le calcul parce que je ne sais pas quelle était la part d’illicite dans les études d’usage pour savoir quelles étaient les sommes qui étaient prélevées en trop.
Après il y a eu autre chose qui est arrivé, c’est le paiement de la redevance copie privée par les professionnels qui ne réalisent pas de copie privée. Alors qu’est-ce que j’entends par là ? J’ai dit que c’est un sujet compliqué, mais on va essayer de le simplifier.
En France, la copie privée, donc on a une commission administrative qui va élaborer assiettes et barèmes et ensuite, on va appliquer ces assiettes et barèmes qui vont être publiés au Journal officiel et l’ensemble des distributeurs, des Rue du Commerce, des Apple, ce que vous voulez, des Surcouf si ça existe encore, Auchan, tel ou tel magasin de la rue Montgallet, c’est une rue parisienne où il y a beaucoup de magasins informatiques, va devoir normalement prélever la copie privée et déclarer cette sortie de stock auprès des ayants droit et ils doivent payer en fonction des barèmes.

Raison n°3 - Le paiement de la redevance copie privée par les professionnels qui ne réalisent pas de copie privée

Le seul souci c’est qu’en France on a fait le choix de prélever la copie privée au plus haut de la chaîne commerciale, grosso modo en sortie de paquebot. Vous avez un paquebot qui arrive, qui va déverser des palettes de disques durs, de tablettes, venues de Taïwan ou autre pour inonder le marché français et c’est à ce niveau-là, c’est lors de l’introduction en France, qu’on va prélever la copie privée. Le problème, évidemment, en sortie de paquebot ou de camions qui franchissent la frontière, on ne sait pas si telle palette va aller chez un professionnel ou va aller chez un particulier. Et bizarrement, on a fait le choix de faire payer tout le monde. Donc tout le monde paye et ensuite, il revient aux professionnels de réclamer le remboursement de cette somme-là.
S’ajoutent à cela des contraintes administratives pour obtenir le remboursement. C’est-à-dire que lorsque je ne sais pas moi, vous passez une IRM, vous avez déjà passé une IRM ? Je ne sais pas, ou une radio, le cabinet de radiologie va vous filer un DVD avec dessus la copie de l’image numérique de votre IRM. Eh bien sur le DVD, vous avez de grandes chances d’avoir 90 centimes de redevance copie privée. Alors que c’est un cabinet de radiologie, il n’est pas censé graver l’intégrale de je ne sais pas quel chanteur de base, il est plutôt censé faire un travail professionnel et pas de copie privée. Ce n’est pas un particulier, il ne fait pas de copie privée. Donc on est hors des clous des conditions de la directive européenne de 2001 que je présentais tout à l’heure et, malgré tout, il a eu à payer la redevance copie privée.
Ce mécanisme-là s’explique par le fait qu’on prélève la copie privée au plus haut de la chaîne commerciale et ensuite, lorsque les cartons vont arriver partout et dans les magasins et dans les cabinets de radiologie et dans les églises et chez les avocats et dans les hôpitaux, etc., enfin toutes les boîtes, toutes les entreprises, toutes les églises, les assos, eh bien ceux-ci vont devoir supporter de la redevance copie privée alors même qu’ils vont graver dessus des radios, des IRM, des bilans, des mémoires pour des procédures en cours, etc. Donc c’est totalement illogique, totalement absurde ! On est totalement à l’écart de ce que nous dit la directive de 2001 présentée tout à l’heure, mais malgré tout, c’est comme ça que ça marche.
En France, depuis 2011, ces professionnels ont la possibilité de se faire rembourser la redevance copie privée. C’est-à-dire qu’ils ont à payer et ensuite à aller réclamer le remboursement auprès des ayants droit. Le souci c’est que — je vais montrer une facture, voilà —, le souci c’est que lorsque la loi a été mise à jour pour permettre à ces entreprises de demander remboursement de ces flux, eh bien le ministère de la Culture a publié un arrêté d’application qui a conditionné le remboursement des professionnels à la fourniture d’une facture indiquant le montant de la redevance copie privée payée.
Là je vais vous demander un travail cérébral assez puissant, je vais vous demander de vous rappeler ce que je vous ai dit tout à l’heure, c’est que les barèmes faisaient six pages, avec des barèmes très compliqués par taux, par assiette, par échelon, par heure, etc. Ça signifie donc que lorsque vous achetez des supports vierges dans une boutique, c’est que la boutique en question — là on va parler de la vraie vie — elle a mis à jour son système de paiement, sa caisse enregistreuse, avec l’ensemble du barème des ayants droit. Et je peux vous garantir qu’il y a très peu de distributeurs qui font ça. Résultat des courses : on se trouve avec des avocats, des églises, des cabinets de radiologie, des associations qui achètent des supports vierges ; ils vont payer la copie privée, mais ils ne peuvent pas fournir une facture. Là, par exemple, j’ai une facture d’Office DEPOT [distributeur de fournitures de bureau, NdT] qui date de 2013, où on n’a pas le montant de la RCP. On a la TVA, on a le montant TTC, etc., on n’a rien du tout quoi ! Moi, quand je me récupère une telle facture, il y a pour 246 euros de supports vierges, dessus il y a plus d’une centaine d’euros de copie privée qui ont été prélevés, quelque part ; donc moi je grave ça, j’ai acheté dans un cadre professionnel, je ne peux pas réclamer remboursement parce que je ne suis pas dans les clous des textes.
Si vous voulez, dans un système comme ça qui permet d’assujettir la quasi-totalité de la population française, dont les entreprises et les associations, et si, en plus de ça, vous créez un formulaire qui empêche ceux-là d’obtenir remboursement, eh bien l’argent qui est récolté par la SACEM et ses amis n’est pas remboursé ! Parce que eux ne sont pas censés savoir que telle église, tel hôpital a acheté des supports vierges.
Est-ce que quelqu’un a acheté un bundle de 100 DVD récemment ? Personne ! Il y a deux ans, trois ans, quatre ans ? Ah ! Deux. Il y a longtemps. Moi je ne m’en souviens plus non plus. Là, en l’occurrence, on arrive à une étrangeté où on a des pratiques de consommation culturelle qui ont basculé sur le stream, sur YouTube, Dailymotion, ce que voulez, et pour autant la copie privée monte chaque année, chaque année !

Public : Inaudible.

Marc : Tout à l’heure. J’en parle tout à l’heure. L’une de mes explications c’est qu’il y a justement le fait que les professionnels participent à ce pot commun alors qu’ils n’ont pas à le faire. Juridiquement ils n’ont pas à le faire. Mais la France a fait le choix, a fait un choix qui est extrêmement généreux, de maximaliser, de maximiser, de sécuriser l’ensemble de ces flux pour que la SACEM puisse ne manquer de rien.
Et ce qui est rigolo c’est qu’il y a eu pas mal de barèmes qui ont été annulés. Un barème, lorsque vous avez une commission administrative qui produit un barème, un barème c’est une décision administrative, c’est un acte administratif. Et si jamais cet acte administratif n’est pas conforme à la loi, eh bien il est possible de l’attaquer devant le Conseil d’État. Et c’est ce qui a été fait plusieurs fois. Notamment, il y a eu des industriels qui ont attaqué les barèmes de la commission copie privée parce que, justement, ils avaient oublié d’exclure les sources illicites des études d’usage qui permettaient de justifier les montants et parce qu’aussi on avait oublié d’exclure les copies de sources professionnelles, les copies professionnelles des études usages aussi. Donc ces barèmes ont été annulés. Et le truc drôle là-dedans — enfin drôle je ne sais pas, mais il faut mieux en rire parce que la vie est courte — c’est que le Conseil d’État se retrouve dans une situation où il a annulé, effectivement, l’acte administratif qui servait de socle à la ponction, mais il n’a pas pu exiger le remboursement des sommes de la part de la SACEM.
Si vous avez un acte administratif qui est annulé, pour lequel vous avez touché de l’argent, si l’acte administratif est annulé, il n’a jamais existé, donc l’argent que vous avez touché grâce à cet acte administratif, en toute logique vous devez rembourser ce que vous n’auriez pas dû percevoir. Sauf qu’en matière de copie privée ça ne marche pas comme ça. Parce que les sommes qui ont été prélevées, ont été prélevées sur une très longue période ; les sommes ont été consommées, elles ont été réparties auprès de l’ensemble des titulaires de droits — Johnny, Céline Dion, ce que vous voulez — et finalement, le Conseil d’État s’est retrouvé avec un os c’est qu’il n’a pas pu demander le remboursement de ces sommes-là. Et les sommes en question, on n’est pas dans le neutre ; quand je vous dis ça, on peut avoisiner le demi-milliard d’euros depuis 2001, voire plus même. On est entre un demi-milliard d’euros et un milliard d’euros aspirés en trop depuis 2001, de part ces pratiques illicites.
Le Conseil d’État n’a annulé que pour l’avenir l’acte administratif qui était vicié. Ce n’est pas mal ! Je rappelle juste que ce sont les ayants droit qui siègent en commission copie privée et qui décident, quasiment, par la puissance de cette répartition en trois parties avec 12 ayants droit, 6 consommateurs et 6 industriels, ce sont eux qui décident, finalement, des barèmes qu’ils vont percevoir eux-mêmes. Et en plus de ça, lorsqu’ils font absolument n’importe quoi, évidemment pas en conscience, eh bien ils sont assurés d’avoir un parapluie : c’est le Conseil d’État qui ne peut pas leur exiger de rembourser ces sommes-là. Ce n’est pas mal comme système, non ? Je me dis moi j’aurais du être ayant droit dans la vie, mais j’ai raté !
Donc ce que je vous disais, il y a eu une non-rétroactivité des annulations. Malgré le fait que ce soit illégal, ils ont pu garder le blé !

Raison n°4 - Les études d’usage

Tout à l’heure je vous ai parlé des études d’usage. Tout à l’heure je vous disais que pour établir les barèmes de commission copie privée on prend un cheptel de 1000 consommateurs et on va leur demander ce qu’ils font comme pratique de copie. Combien tu as copié de musiques ? Combien tu as copié de films ? Combien tu as copié d’œuvres, de livres, par exemple d’e-books, tout ça. Et de ces études-là, après on en arrive à ébaucher un taux.
Ce qui est rigolo, c’est qu’il faut imager la scène. Vous êtes chez vous, vous vous appelez Mme Michu ou M. Michu, vous êtes chez vous, il y a une personne qui vient pour vous sonder, pour réaliser une étude d’usage. Ce qui est rigolo c’est que dans le questionnaire des études d’usage qui, évidemment, n’est pas public — moi j’en ai eu copie par accident, mais le questionnaire n’est pas public — c’est que parmi les questions il est demandé à Mme Michu, Mme ou M. Michu, d’abord de bien vouloir accepter d’ouvrir son disque dur aux yeux curieux de cet agent qui vient chez eux pour les besoins de la commission copie privée, l’agent qui vient avec une carte tricolore, ministère de la Culture et tout ça. Il demande s’ils acceptent d’ouvrir le disque dur ; beaucoup acceptent. Il fouille, il compte le nombre de fichiers mp3, par exemple, donc il fait « *.mp3 enter » ; il fait peut-être ça pour les films, pareillement, et cinq ou six pages après on va demander à la personne si elle télécharge sur les réseaux illicites. À votre avis quel est le biais, quel est le risque de biais ici ?
Moi j’ai un agent comme ça, je ny connais rien, j’ai un agent comme ça qui vient chez moi, qui fouille mon disque dur, qui, trois ou quatre minutes après me pose une question, me demande est-ce que je télécharge sur je ne sais pas eMule, Napster ou autres qui sont considérés comme des zones à risque aux yeux des SPRD, des sociétés de perception. Eh bien j’ai plutôt tendance à travestir la réalité en disant « non, non, c’est bon ! J’ai acheté ça sur iTunes. J’ai 10 000 mp3, ça m’a coûté un bras, mais j’ai tout acheté ! » Donc je me protège. Mais le problème c’est qu’en mentant sur cette réalité-là, finalement je baisse les pratiques de sources illicites et j’augmente les pratiques de sources licites. Et en faisant ça, ça justifie aux yeux des sociétés de gestion collective la possibilité de demander des barèmes très élevés. C’est malin !
Après il y a un gap, il y a un saut, il y a une technique que je n’ai toujours pas comprise, c’est le passage d’une quantité de fichiers copiés à 90 centimes d’euros de redevance sur un DVD. Je ne comprends pas ça ; je ne comprends pas le mécanisme. Je ne sais pas comment techniquement c’est fait et sur quelle justification. Si vous avez une explication, je veux bien.
Petite précision aussi parce qu’il y a plein de charmes dans ce système-là. C’est que lorsque la redevance copie privée est appliquée sur les supports que vous allez acheter, eh bien c’est une redevance qui va s’appliquer sur le chiffre hors taxe. Ça veut dire par là-dessus, dans une logique de chat perché, Bercy va arriver avec sa TVA et vous avez, sur les 90 centimes qui visent les DVD, vous avez en plus 20 % de TVA qui va s’appliquer sur la redevance que vous allez payer. Ça fait beaucoup ! Sachant que, je rappelle les derniers chiffres, 236 millions d’euros. Quand je vous ai dit que les sociétés de gestion collective ont aspiré 236 millions d’euros, là-dessus il faut rajouter 20 % de TVA qui sont, cette fois-ci, allés dans les poches de Bercy. Donc autour de 50 millions quoi !

Raison n°5 - Un droit dans l’œil

Ce n’est pas fini. Si je recommence, si je reprends cette logique de copie privée, donc vous avez une redevance qui est décidée par une commission administrative, avec des barèmes qui sont décidés démocratiquement dans cette instance, sous des formules assez magiques et des doigts tout mouillés, les sommes qui sont prélevées, je vous ai dit tout à l’heure qu’il y a une partie qui va dans les poches des créateurs, ceux qui sont derrière les micros, derrière les caméras ou devant les caméras, ceux qui sont derrière les guitares, enfin les artistes et les créateurs, mais il y a aussi une partie qui est gardée par les sociétés de gestion collective et cette partie n’est pas neutre : c’est 25 %. Donc il a un quart de 230 millions d’euros qui est gardé par la SACEM, par la SACD, par toutes les autres, par la force de la loi. C’est-à-dire que le code de la propriété intellectuelle leur dit : « Gardez 25 %. » Et ces 25 % leur servent à eux, à financer, d’ailleurs ils doivent le faire, à financer le spectacle vivant, les manifestations culturelles, mais aussi les défenses d’intérêts catégoriels, pourquoi pas les actions de lobbying. Tout ça, ils peuvent le faire avec la copie privée ; ils doivent même le faire avec la copie privée. Et ces 25 %, en fait, c’est une manière très vicieuse d’entretenir un lien avec des élus locaux.
On va rebasculer dans la vraie vie. Je suis société de gestion collective, je vais balancer, je ne sais pas moi, 500 000 euros sur l’organisation d’un festival, à Cannes par exemple. Je peux vous garantir que le député-maire de la ville de Cannes ou de Pétaouchnok, peu importe, eh bien il va être bien content d’avoir cette somme-là. Et donc, quand moi je suis député-maire — parfois je suis maire, mais parfois je suis député — j’aurai peut-être une certaine attention lorsque les sociétés de gestion collective vont venir dans mon bureau faire une action de lobbying — le lobbying ce n’est pas sale, ça arrive, tout le monde le fait —, donc j’aurai en tout cas une certaine attention, une attention peut-être plus aiguisée à écouter leurs arguments, sachant que ceux qui sont en face de moi, pour me vendre leur soupe, eh bien ils ont balancé 500 000 euros dans l’organisation d’un festival que moi je n’ai pas eu à payer. Donc ça crée un lien fort.
Ce que je dis là, vous pouvez considérer ça comme une espèce de concurrence déloyale avec l’économie sicilienne, mais n’en rigolez pas ! En fait, c’est Jean-Noël Tronc qui l’a ouvertement dit lors d’une rencontre que j’ai filmée. Il ne savait pas que j’étais là, mais bon j’ai pu le filmer, filmer de manière honorable, c’est-à-dire qu’il était sur scène, devant du public et il a ouvertement dit — Jean-Noël Tronc c’est le numéro un de la SACEM —, il a ouvertement dit que grâce aux lobbies de la copie privée on pouvait entretenir, comme ça, un lien de solidarité avec les élus.
Il y a autre chose. C’est un droit qui arrange aussi le ministère de la Culture. Pourquoi ? Toujours pareil. Quand le ministère de la Culture voit que la SACEM and Co va arroser tel ou tel festival avec des sommes qui sont prélevées grâce à vous et grâce aux cabinets de radiologie, c’est autant d’argent que la SACEM [le ministère de la Culture, NdT] ne va pas balancer. Donc la SACEM [le ministère de la Culture, NdT] a tout intérêt à protéger aussi cette manne parce que son budget n’est pas extensible, malheureusement, à l’infini.
Et en plus de quoi, c’est que tous les textes qui concernent la propriété intellectuelle, je peux vous garantir qu’ils sont passés entre les mains de sociétés de gestion collective ; je ne dis pas que ce sont leurs textes mais, en tout cas, ils étaient dans le lit le jour où ça a été conçu. Si, si je vous assure !
Donc les 25 % copie privée ça sert à arroser pas mal de festivals, Cannes, Avoriaz, les festivals de BD, etc. Il y a 1500 manifestations, c’est le chiffre qui revient à chaque fois, culturelles qui sont comme ça arrosées par ces 25 % de la redevance copie privée et qui donnent comme ça un pouvoir d’influence extrêmement fort au secteur culturel. C’est bien pour eux, moi je suis content pour eux, franchement je suis très content pour eux ! Mais en tout cas, ça peut expliquer aussi qu’on obtienne des résultats, des bons résultats, lors des votes de textes « cultureux » à l’Assemblée nationale ou au Sénat, où on peut obtenir 103 % de résultats positifs et 0 voix contre. Ce n’est pas arrivé, mais on a eu des textes qui ont été votés par l’unanimité des députés sauf un, qui n’était pas député-maire. Je ne dis pas que ces 25 % ont permis ça, mais en tout cas ça crée une attention chez les parlementaires.

Transparence de papier des 25% de copie privée

Pourquoi je vous mets ce machin-là [photo de chemises cartonnées contenant des documents, NdT]. Moi il y a un truc que j’aime bien aussi parce que je suis un journaliste un petit peu hargneux, militant, j’aime bien la transparence et il y a une procédure que j’utilise beaucoup, ce sont les procédures CADA. Les procédures CADA, ce sont les procédures qui se réalisent devant une commission administrative, encore une autre, et qui s’appelle la Commission d’accès aux documents administratifs et qui est là pour décider de la communicabilité d’un document administratif auprès d’un administré. Ce qui est intéressant c’est que dans le code de la propriété intellectuelle il est dit que chaque année les sociétés de gestion collective doivent fournir au ministère de la Culture un rapport détaillant toutes les manifestations culturelles qui ont été arrosées avec les 25 % de la copie privée et on a le montant à chaque fois.
Et moi, ce que je me suis amusé à faire, tout bêtement : « Bonjour madame la ministre, est-ce qu’il serait possible d’avoir copie de ces rapports d’affectation ? » Je n’ai demandé pas une année, j’ai demandé sept ou huit ans. Je suis un peu gourmand, voilà, donc j’ai demandé huit ans de copies. Je m’attendais à avoir, dans le cadre de cette procédure CADA, je m’attendais à avoir, je ne sais pas, huit fois le nombre de sociétés de gestion collective PDF par mail, donc un gros mail tout rond, comme ça. Et en fait, le ministère de la Culture, au terme de cette procédure, m’a dit que les rapports d’affectation qui sont envoyés chaque année par les sociétés de gestion collective étaient effectivement communicables, donc ce n’est pas secret Défense, ouf ! Ce n’est pas un secret Défense. Par contre il y a une toute petite problématique c’est que, dans la mesure où ils n’ont qu’une version papier, c’est à moi de me déplacer au ministère de la Culture pour aller consulter ces documents.
Là j’avais en tête la musique de Brazil, et quand on me demande de jouer au con, j’y arrive très bien. C’est un truc, j’y arrive très bien. Donc j’ai dit « OK ! Bingo », sachant que le ministère de la Culture savait que moi je n’habite pas Paris, j’habite au milieu des vaches et des champs, et donc j’ai dit : « Bingo, je vais venir, tant pis quoi ! » Eh bien j’y ai été. Donc j’ai été au ministère de la Culture avec ma lettre disant que j’avais accès à ce document. J’ai sonné, tout ça. Il y a un gentil vigile qui m’a ouvert et j’ai été reçu par un juriste, directeur du cabinet du ministère de la Culture ou de la DGMIC [direction générale des médias et des industries culturelles], je ne sais plus, peu importe, et une archiviste, donc trois personnes et moi j’étais, voilà ! Et ils m’ont amené dans une pièce quasiment ronde, entourée de grandes vitres, avec un lot de tables en plein milieu. Et puis ça [photo de chemises cartonnées contenant des documents] ; voilà l’open data version ministère de la Culture !
Si vous allez sur le ministère de la Culture, vous tapez open data, vous allez voir ils parlent d’open data, ça existe. Mais ça existe, ça aussi ! Ils m’ont dit : « Vous avez trois heures. » Et pendant trois heures, j’ai commencé par l’année numéro un, les premières sociétés de gestion collective et j’avais mon téléphone, appareil photo tout ça, et je prenais des photos. Mais c’était absurde quoi ! Mais là-dessus j’avais cette gentille archiviste qui était assise à un mètre de moi et qui, pendant trois heures, n’a pas pu bouger. À un moment donné, les nécessités de la nature ont fait que… Je vous passe les détails, elle a dû bouger, mais pendant trois heures elle est restée à côté de moi et c’était assez rigolo. Donc j’ai fait une actu sur Next INpact où j’ai expliqué « On a testé la transparence de la copie privée » [2].
Ce qui est rigolo c’est que cette procédure-là, qui était complètement délirante et absurde, eh bien finalement elle a eu un écho puisque Aurélie Filippetti qui alors était ministre de la Culture m’a dit que dans sa loi création — parce qu’elle était en phase de rédaction de la loi création — m’a dit qu’il y avait un article qui portait mon nom, suite à cette procédure CADA, parce qu’elle trouvait ça exécrable. Peu après, ce n’est pas à cause de moi évidemment, mais peu après Filippetti est partie, elle a été remplacée par Fleur Pellerin et lorsque Fleur Pellerin a repris le bébé de son projet de loi création, de son avant-projet de loi création, lorsque l’avant-projet est devenu projet de loi création et déposé sur le site du Sénat ou de l’Assemblée nationale, eh bien l’article en question que j’attendais, mon petit bébé, eh bien pouf ! Il a disparu. Bizarre ! Finalement j’ai fait des pieds et des mains et il y a un amendement qui a été adopté au fil des débats qui impose, cette fois-ci, l’open data dans un format ouvert, interopérable, tout ce que vous voulez, sur une plate-forme, identique, etc., de toutes les données. Voilà !

[Applaudissements]

Non, non, attendez ! Parce qu’il n’y a pas de sanction s’ils ne le font pas ! Voilà !

[Rires]

Eh ben oui, ce n’est pas drôle sinon ! Donc il n’y a pas de sanction s’ils ne le font pas. Il y aura peut-être une procédure qui sera envisageable, mais pour l’instant ça n’y est pas, cette plateforme n’existe pas.
Et ce qui était rigolo, en plus, c’est que chaque société gestion collective a sa façon à elle de présenter les choses. Et un budget vous le présentez de 1000 façons différentes si vous avez une certaine dextérité comptable, enfin moi ce n’est pas mon cas, et donc c’était difficilement exploitable.
En tout cas voilà, le texte existe aujourd’hui ; j’attends sa mise en œuvre.

Transparence en béton - Commission copie privée

Je vous parle aussi de la question de transparence. Je parle d’une transparence en béton de la commission copie privée, parce que cette commission copie privée, évidemment les débats ne sont pas en direct, il ne faut quand même pas déconner, et on a des comptes-rendus qui sont rédigés et qui sont diffusés sur le site du ministère de la Culture.
Tous les compte-rendus antérieurs à 2007 n’existent pas, pourtant la commission avait une activité, mais ces compte-rendus on ne peut pas les avoir ; enfin il faut faire une procédure CADA. Donc ils n’existent pas. Donc tous les compte-rendus, toutes les discussions qui ont permis l’extension de la redevance copie privés à tous les supports numériques, eh bien on n’a pas les rouages du comment, du pourquoi. De même, les débats qui ont lieu dans cette commission ne sont pas retranscrits en temps réel. Sur le site de l’Assemblée nationale et du Sénat, vous avez une retranscription en temps réel, quasiment en temps réel : c’est-à-dire que le lendemain vous savez exactement, par écrit, tout ce qui a été dit au micro. Là, il faut attendre des semaines et des semaines, voire des mois, pour qu’on ait une connaissance de ce qui a été dit.

Transparence robotisée du site Copie France

Alors qu’est-ce que je raconte ? Copie France, donc, c’est une société de gestion collective ; c’est elle qui est chargée d’aspirer la redevance copie privée auprès de tout le monde. Donc c’est elle qui palpe les 230 millions avant d’envoyer dans le pipe-line ces flux en fonction des intérêts de chaque société de gestion collective.
Vous êtes professionnel, vous dites « tiens, il y a un mec qui s’appelle Marc Ris ou Rees, je ne sais même pas dire son nom, qui m’a parlé de professionnels qui peuvent se faire rembourser, eh bien je vais me renseigner. » Vous prenez votre moteur de recherche Google, Qwant, Yahoo, ce que vous voulez, je m’en fiche et vous tapez : « copie privée remboursement ; copie France remboursement ». Voilà. « Remboursement site Copie France ». Sur le site de Copie France effectivement, quand vous y allez a mano, quand vous tapez copiefrance.fr dans la barre de navigation, vous avez une procédure qui est assez bien expliquée. C’est assez bien expliqué. Mais le problème c’est qu’il faut avoir le réflexe ; il faut que ça fasse bing dans votre tête, même chez Google, pour que vous puissiez aller voir ce site-là. Sinon vous utilisez un moteur de recherche.
Le problème c’est que Copie France a utilisé un robot.txt. Robot.txt c’est un petit fichier que vous mettez à la racine de votre site pour autoriser ou interdire les moteurs à aller fouiller ce que vous avez. Voilà. Eh bien ils ont mis un robot.txt, qui dit à Google, Qwant, Yahoo, tous les moteurs, d’aller référencer ailleurs, mais pas chez eux ! Donc c’est à vous d’avoir cette connaissance de cette possibilité de remboursement si vous êtes une entreprise, sinon vous l’ignorez donc vous payez bêtement. D’autant plus que votre facture chez le distributeur ne mentionne pas la copie privée. Donc ! Je vous dis c’est…

Le marché gris, le marché crie

Il y a un charme en France c’est que, avec le système que je vous ai décrit un peu rapidement ici, la France, on est médaille d’or. Là vous pouvez applaudir ! Donc on est médaille d’or, donc 226 millions d’euros prélevés en 2015. C’est 39 % des prélèvements réalisés dans toute l’Europe, dans tous les pays où il y a de la redevance copie privée. Le total européen c’est 581 millions ; en France, grâce à ce mécanisme-là, c’est 226 millions. Je ne sais pas si vous réalisez : la France dépasse tous les États membres européens. C’est un parmi d’autres. Mais le mécanisme est tellement bien taillé qu’on en arrive à des sommes de ce type-là.

Et Internet ?

Vous me disiez et Internet ? Oui ! Lors du projet de loi création qui avait été préparé par Aurélie Filippetti et, finalement, pris sous la main par Fleur Pellerin, il y a un amendement qui a été porté par le gouvernement — je ne sais plus si c’était le gouvernement, non ce n’était pas le gouvernement c’était un député socialiste — qui visait à étendre la redevance copie privée à Internet. Et ça, jusqu’alors ça n’existait pas. Je vous ai parlé de support, de clef USB, de carte mémoire, de tablette, d’appareil photo — vous achetez un appareil photo avec une carte mémoire par exemple, les ayants droit estiment que vous allez faire des copies de MP3 sur votre carte mémoire qui est livrée avec l’appareil photo —, les box, tout ça, c’étaient des supports tangibles sur lesquels la copie privée s’appliquait.
Et Internet, il y a une brèche qui est apparue — grâce à la loi ou à cause de la loi création, tout dépend de votre sensibilité — et qui a permis d’étendre cette logique-là, cette logique de redevance au cloud, en tout cas à un certain service cloud et bizarrement, l’amendement qui a été adopté par les députés et sénateurs, il correspond pile-poil au business modèle de Molotov de Pierre Lescure [service de distribution de programmes de télévision, NdT] qui est le président de Cannes. Et cet amendement-là, en fait, c’est une révolution parce que c’était la première fois où, finalement, vous allez devoir payer pour un support que vous ne détenez pas. Et c’est une première brèche qui est à la fois peut-être super, extraordinaire même, pour ceux qui sont pro-copie privée ou alors dangereuse pour ceux qui préfèrent qu’on laisse Internet tranquille.

Les prochains supports assujettis

Il y a d’autres supports qui seront possiblement assujettis, ce sont les disques durs d’ordinateurs, en tout cas de certains ordinateurs. Parce que traditionnellement, la France a toujours laissé tranquille les PC. En 85, on ne voulait pas, en tout cas en 2000 plutôt, on ne voulait pas assujettir les ordinateurs parce qu’on voulait que le marché puisse se développer et on ne taxe pas un truc qui commence à naître.
Aujourd’hui, maintenant, on a une ébauche d’étude d’usage qui est en train d’être mise à jour, comme ça, en commission copie privée, sur laquelle j’ai eu des infos, où on voit apparaître des questions qui interrogent sur des pratiques de copie sur les PC hybrides. PC hybride c’est un PC dont le clavier et l’écran sont détachables. L’argument c’est : dans la mesure où la tablette est assujettie, un machin qui se visse ou qui se dévisse comme ça, voilà ! Donc ils vont commencer à poser des questions là-dessus, et je peux vous garantir, on en reparle dans quelques mois, c’est que si jamais des pratiques de copie se vérifiaient sur les PC hybrides, je peux vous garantir qu’ils vont tomber dedans. Et l’étape d’après ça sera quoi ? Ça sera les PC portables et les PC fixes. Sachant que dans ce cadre-là, les disques durs, parfois ce n’est pas juste 200 gigas ou 300 gigas, ça peut monter très haut. Et les montants peuvent exploser aussi.
Et les imprimantes 3D, il y a eu différentes tentatives. Il y a eu un amendement socialiste qui avait été porté il y a quelques mois pour, justement, étendre la logique de la redevance copie privée à l’impression 3D. Ils ne savent pas très bien comment faire, que taxer. Est-ce qu’on taxe le matériel ? Est-ce qu’on taxe cette espèce de machin gloubi-boulga qui va couler de manière hasardeuse sur une forme ? Est-ce qu’on va taxer juste le support, laissant ce carburant qu’on va balancer dans l’impression 3D ? Qu’est-ce qu’on fait ? On ne sait pas, mais en tout cas, ils voulaient lancer cette brèche-là de l’impression 3D.
Donc il y a un appétit, il y a une appétence comme ça sur les supports et sur ce mécanisme de collectivisation du financement de la culture de tous les côtés. Et ils n’arrêtent pas ! Ils n’arrêtent pas pourquoi ? Parce qu’ils ont une forme d’inventivité qui est complètement folle, parce qu’aussi ils savent bien que les gens, aujourd’hui, eh bien ils consomment nettement plus de musique sur YouTube ou Dailymotion, ce que vous voulez, plutôt qu’en allant acheter, je ne sais pas, sur la plateforme Fnac ou autre.
Qu’est-ce que je peux vous dire d’autre encore ? Il y avait merci. Voilà. Je ne sais pas si je suis resté dans les temps, mais je voulais garder un petit peu de temps pour vous laisser l’occasion de poser des questions. Jérémie ? Je ne sais pas si vous avez des questions à poser. Je ne sais pas.

[Applaudissements]

Il arrive le micro. Il arrive.

Organisatrice : Il y a des questions ?

Marc : Oui. là-bas. Short bleu bizarre.

Public : En fait ce n’était pas une question, c’était un remerciement, parce que Marc Rees, on ne se connaît pas, est une personne qui nous a, qui m’a, en tout cas, réconcilié avec le journalisme. Le journalisme c’est fait pour faire de l’information et, au niveau de Marc, c’est de l’éducation. Donc merci Marc pour tout ce travail fait à l’Assemblée, les comptes rendus précis sur tous les articles, etc. Il passe ses heures du soir à squatter les couloirs de l’Assemblée pour nous tenir informés de toutes ces évolutions, de toutes ces lois. Vous voyez ce qu’il a été capable de faire sur la copie privée ! Comment tu as été fouiller ! Mais il le fait sur des choses bien plus importantes encore, sur nos libertés, etc. Donc merci beaucoup Marc. Voilà !

[Applaudissements]

Marc : Eh bien merci pour cette question. Une autre question ?

Public : À la limite oui, pour rebondir sur ce qui vient d’être dit, effectivement c’est super. Et où est-ce que c’est relayé ? Où est-ce que tu relaies ce genre de question ? Est-ce qu’il y a des gens qui relaient ce genre de question ? Moi, la copie privée j’en ai entendu parler quand elle a été mise en place il y a…

Marc : Elle s’est mise en place sur les CD.

Public : Ouais. J’en ai entendu parler et puis ça a disparu des médias.

Marc : C’est juste un constat. Je suis le seul à en parler autant. Les autres n’en parlent que… Prenez un moteur de recherche, faites un comparatif : le sujet est totalement méconnu, est totalement délaissé parce que c’est trop compliqué, c’est trop juridique, ce n’est pas fun. Ce n’est pas deux présidents qui vont se serrer la main avec des doigts blancs ; ça c’est le gros truc du jour. C’est moins croustillant, c’est moins sexy mais pour autant, derrière, vous avez 226 millions d’euros qui sont prélevés. Les 25 %, je vous disais bien, ils servent à arroser les manifestations culturelles ; mais si vous regardez bien le code de la propriété intellectuelle, vous avez une disposition réglementaire qui nous dit que les 25 % peuvent également servir aux actions de défense des intérêts catégoriels. C’est-à-dire quand le monsieur chevelu avec une drôle de chemise, le mec super louche, cache-toi je t’ai vu [Jérémie Zimmermann, NdT], s’étripait avec ses gus sur tous les dossiers ACTA, et on a passé quelque temps là-bas à Strasbourg, Bruxelles, et à se crever la santé, comme il pouvait, eh bien derrière, ce sont aussi des personnes qui se sont mobilisées pour faire du lobbying pour ce texte-là, grâce au financement de la copie privée et grâce à vous donc. Donc grâce à vous, Jérémie s’en est pris plein la gueule ! Merci.

[Applaudissements]

Jérémie Zimmermann : Du coup j’ai une question pour rebondir sur le rebondissement, parce que tu es le seul à en parler. Les gens, en face, ils ont des millions de milliards de machins. Est-ce qu’on peut soutenir ton action, par exemple en s’abonnant à Next INpact ou un truc comme ça ? Et comment on fait ? Et pourquoi il faudrait s’abonner à Next INpact ?

Marc : Je vous présente notre nouveau VRP.

Jérémie Zimmermann : Tu es trop modeste pour le dire toi-même.

Marc : Effectivement, Next INpact est un des rares sites totalement indépendants, encore indépendants. On est dépendants juste d’une chose, c’est de l’argent qui rentre. Mais, par contre, on n’appartient qu’à nous-mêmes. On est une toute petite équipe. On fait un travail qui n’est pas facile parce qu’on travaille tous en télétravail, on est répartis dans toute la France, donc on se voit peu, en plus. Moi je travaille depuis 98 en télétravail donc chez moi, donc en pantoufles et en slip derrière un écran. Ne rigole pas ! Toi aussi tu portes un slip !

Jérémie Zimmermann : Je ne pourrai plus m’enlever l’image de la tête.

Marc : Donc on a un site que est autofinancé, on fait ce qu’on peut et on essaie d’avoir des caméras un peu partout sur les textes qui sont, pour nous, importants. Là c’est sûr, je vous parle de la copie privée parce que c’est un sujet qui est…

Jérémie Zimmermann : Non, non, ne change pas de sujet. Comment on s’abonne ? Pourquoi il faut s’abonner ?

Marc : Vous allez sur nextinpact, N, E, X, T, I, N, P, A, C, T, .com [3] il y a « abonnement » et vous cliquez sur « abonnement » .

Jérémie Zimmermann : Et ça donne quoi ? Ça donne droit à quoi ? Qu’est-ce qui se passe quand tu es abonné ? Concrètement ? Imagine, je m’abonne maintenant, ça fait quoi ?
Marc : Ça te fait, toi, de l’argent en moins ; nous de l’argent en plus ! Là j’ai une logique SPRD. Ça donne quoi ? Eh bien tu auras accès à plein d’articles qui sont réservés, pour l’instant, aux abonnés. C’est-à-dire qu’on essaye d’avoir une pratique un petit peu éthique sur l’accès aux documents, c’est-à-dire l’accès à l’information. Récemment on a basculé sur une formule presque intégralement payante, on a encore des actus qui sont totalement gratuites. Mais quand l’actualité est payante, on a la possibilité de réserver cet accès limité sur une période de temps, c’est entre une semaine et un mois. Et les actualités qui sont juste cruciales, on les libère totalement, tout de suite. Voilà ! On fait ce qu’on peut. C’est un choix qui a aussi été poussé par la prolifération d’adblocks. On avait des jours avec 70 % d’adblockeurs. Quand on est financé par la pub ou ce genre de chose, si vous avez 70 % d’adblockeurs, aors qu’on a une approche éthique de ces contenus-là ! Il n’y a pas de pubs en 800 par 600, en vidéos, avec le son à fond, etc. ; ça on refuse. Il n’y a pas de publi-rédactionnel chez nous. Ça on refuse. On essaye, comme ça, d’avoir une démarche ; il n’y a pas de trackeurs non plus ; on refuse. On est un peu suicidaires là-dessus, mais on fait le pari ; on se dit qu’en étant un petit peu éthiques ça peut jouer à notre avantage et puis à l’avantage d’une information qui soit en tout cas libre, et voilà. Je ne sais pas ce que je peux rajouter. Il n’y a pas de questions sur la copie privée parce que sinon…

Public : Justement je vais prendre la main.

Marc : Où tu es ?

Public : Là, ici juste devant toi. Concernant justement toutes ces lois, tout ce comité copie privée ou autres, c’est défini par la loi, commission c’est défini par une loi. Qu’est-ce qui permettrait de changer, de modifier cette répartition, ce fonctionnement, et comment le modifier justement ?

Marc : Eh bien c’est une question que tu pourras adresser à un député comme Lionel Tardy qui a plusieurs fois essayé, Isabelle Attard aussi, quelques députés, comme ça, qui ont une certaine sensibilité sur ces questions qui se sont dit « tiens il y a peut-être des choses à modifier ». Ils ont essayé, ils ont déposé plein d’amendements et il n’y en a aucun qui est passé ! Parce qu’il y a un bloc ; il y a un mur. Pour moi, c’est un truc qui est inchangeable. C’est inchangeable, sauf révolution. Mais je ne suis pas certain qu’avec le mécanisme « En Marche » actuel, il y ait une modification quelconque là-dessus ! Oui ?

Public : Au risque de vous faire répéter des trucs que vous avez dits plus tôt. Vous parliez des 25 % immobilisés par…

Marc : Les sociétés de gestion collective.

Public : Quand on prend un truc comme la SACEM qui a un fond actions culturelles qui est je crois 25 millions ou un truc comme ça, ces 25 millions-là sont alimentés en majeure partie par la copie privée. Ils viennent des 25 % immobilisés, où ils viennent des autres 75 ?

Marc : 25 %. 25 % sont fléchés par ce système-là. Je vous dis c’est un système qui est pour moi je ne le trouve pas, ce n’est pas condamnable en théorie. On prélève un petit peu et finalement ça fait une grosse rivière et après on va financer la culture et on va financer ceux qui sont derrière les micros. Ce n’est pas mal !

Public : C’est ce que j’allais vous dire. La plupart des sociétés de droit ont un système de redistribution auprès des créateurs, des artistes, des ayants droit et tout ça, qui est alimenté essentiellement par la copie privée.

Marc : Oui. Tout à fait. C’est un beau système, sauf que lorsque vous mettez les bénéficiaires aux places prépondérantes des barèmes, des taux, etc.

Public : Le problème est là. D’accord !

Marc : Eh bien on peut considérer qu’éventuellement il y a tout petit risque d’abus qui se constate avec le chiffre que je vous ai indiqué tout à l’heure, c’est que la France, le flux c’est 226 millions d’euros en 2015 et ce flux-là représentent 39 % du montant de la redevance copie privée prélevée en Europe. Pour moi ça s’explique par ça.

Public : Les 75 % qui restent, ils servent à quoi ?

Marc : Dedans il y a effectivement des frais de gestion qui tournent entre 7 et 11 % en fonction des sociétés de gestion collective. Mais après ils vont tomber dans la poche des créateurs, des personnes qui sont sociétaires de ces sociétés de gestion collective.

Public : Les sociétaires.

Marc : Après, la répartition se fait en fonction des œuvres de l’écrit, de l’audiovisuel et de la musique, je n’ai pas voulu complexifier. Évidemment, tout dépend aussi ; c’est-à-dire que le gus qui a déposé une vague partition et tout ça, il va toucher environ 0,001 centime alors que la pop-star, elle, va toucher plein pot. Eh bien voilà. Je ne sais pas s’il y a d’autres questions. Oui ?

Public : Les 25 % qui sont évoqués aujourd’hui, ils vont avoir plutôt tendance à augmenter dans les années à venir ou c’est plutôt quelque chose qui va se réduire ?

Marc : Il n’est pas prévu de modifications de ce taux de 25 %. Et dans la mesure où les flux de perception augmentent année après année, eh bien ce qui est récolté grâce aux 25 % ça augmente aussi. D’autant plus que maintenant s’il y a des visées sur Internet et c’est le cas, il y a des visées maintenant sur les PC fixes, PC portables ou fixes, on peut s’attendre à des montants… En fait, ce qu’il y a, c’est que les sociétés de gestion collective ont pris pour habitude de vivre avec ces 230 millions d’euros chaque année. Et moi, si je touchais 230 millions chaque année, c’est-à-dire le salaire de Jérémie à La Quadrature [4], ouais on sait, eh bien quand on bascule à 220, 210, c’est douloureux, on ne se sent pas bien, parce qu’un jour dans l’année on est obligé de manger une portion de caviar un peu plus réduite !
Ce que je veux dire c’est qu’on s’habitue à un fort niveau, à un niveau à 230 millions d’euros, on fait des investissements économiques, etc., et après c’est difficile de réduire la voilure. Dans la mesure où on a une position un petit peu privilégiée dans cette commission administrative, on a plutôt tendance à réclamer toujours plus. Il n’y a pas d’autres questions ? Oui ? Il y en a deux, trois. Il y a un interrupteur sur le côté [du micro].
Public : Je te remercie Marc pour cette conférence. C’est plutôt une remarque que je vais faire, ce n’est pas trop une question. Parmi les sociétés qui perçoivent l’argent on a, entre autres, la SACEM et il y a un point intéressant à développer là-dessus. Je pense que tu connais un petit peu l’histoire Newsoo. Donc c’était l’histoire de quelqu’un qui crée un réseau de newsgroups en France, qui a été condamné.

Marc : Ah Newsoo ! Oui.

Public : Oui. Quand on regarde, grosso modo, les enquêtes au sens large du terme, les enquêtes sur les sites entre guillemets « pirates » réalisés par la SACEM et par leurs pseudos agents assermentés.

Marc : Ils ne sont pas pseudos, ils sont agents assermentés.

Public : Pseudos spécialistes du moins, parce que quand on regarde vraiment les enquêtes et les PV c’est assez drôle et je voulais faire part un petit peu aux gens de deux-trois découvertes qu’on a trouvées dans des dossiers judiciaires soit sur Internet ; le cas des agents assermentés soi-disant spécialistes est assez intéressant.
Par exemple on a monsieur Anthony Sitbon, on va le citer, qui est agent assermenté de la SACEM, qui confond sur un site de téléchargement soi-disant illégal, qui confond, en fait, les signatures de membres avec de la publicité. Ça c’était en 2008. En fait ça date un peu, c’est l’affaire torrentnews.info.
Et concernant l’affaire Newsoo qui est assez bien documentée sur Next INpact, vous avez différents articles qui en parlent, je vous invite à lire les articles, on a le même monsieur Sitbon qui arrive à trouver des millions de MP3 alors que ce n’est techniquement pas faisable au niveau de la capacité des disques durs. Et on a également un collègue de monsieur Sitbon, j’ai oublié son nom, qui envoie des notifications de demandes des suppressions aux administrateurs de sites internet, de BoardWarrez en l’occurrence, et qui arrive à se tromper dans l’URL de notification par exemple. Moi qui suis proche d’un administrateur de sites en question, il m’a filé la notification de la SACEM. En fait l’URL qui pointait vers le soi-disant contenu problématique, ce n’était pas le bon. Donc on a des grands spécialistes à la SACEM aussi ; il ne faut pas oublier que l’argent de la répartition sert également à financer ces grands spécialistes de l’Internet.

Marc : En tout cas à une période antérieure, toutes ces copies illicites qui circulaient sur les réseaux et qui étaient copiées par les internautes, c’est en tout cas ce qu’ils n’arrêtaient pas de jacqueter lors des débats HADOPI et DADVSI, eh bien ça permettait de maximiser les études d’usage en commission copie privée et donc de faire réclamer des barèmes plus élevés. Tu voulais dire quelque chose ?

Public : Oui. C’était juste une question sur un détail que tu as soulevé. Tu as dit que des gens venaient, pouvaient interroger des personnes pour faire des statistiques sur les copies privées qu’elles avaient chez eux en fouillant leur disque dur. Est-ce qu’elles peuvent refuser parce que je trouve que c’est assez inquisitoire comme approche ? Est-ce qu’elles risquaient quelque chose si elles refusaient ?

Marc : Non non, parce que ce sont des enquêtes privées. Ce sont les grandes sociétés habituelles, telle la Sofres, ce genre de choses, on peut refuser. On est dans une démocratie encore assez libre, donc on peut refuser cette inquisition.

Public : Inaudible.

Marc : Je ne sais pas. En tout cas, je n’ai jamais connu de personne interrogée là-dessus, donc je ne sais pas comment ils les choisissent exactement, mais j’imagine très sérieusement ! Voilà. Je pense qu’on va laisser la parole à Jérémie. Rien à dire ! En plus il n’a rien à dire donc vous allez vous régaler. Voilà. En tout cas je voulais vous remercier.

[Applaudissements]