Nextcloud contre Microsoft, comme une impression de déjà-vu Décryptualité du 6 décembre 2021

Luc : Décryptualité. Semaine 48. Salut Manu.

Manu : Salut Mag.

Mag : Salut Luc.

Luc : Sommaire.

Mag : Un petit sommaire de cinq articles. On va commencer par ZDNet France, « Les meilleures distributions Linux pour les pros (€) », par Steven J. Vaughan-Nichols.

Manu : L’article n’est pas super intéressant, il ne parle même pas de Debian !

Mag : Il doit parler d’autre chose quand même !

Manu : Je ne sais pas ! Je propose qu’on passe à autre chose !

Luc : Manu boude !

Manu : Voilà, exactement !

Mag : 20minutes.fr, « Transition écologique : Comment l’open data et l’open source permettent aux citoyens d’agir sur l’environnement ? », par Martin Régner.

Manu : Il travaille avec The Conversation qui est un site que je suis pas mal, j’aime beaucoup. Donc oui, les données, les logiciels libres, ce sont des choses qui sont plutôt pas mal, qui nous aident à travailler, à améliorer l’environnement. Allez jeter un œil, c’est plutôt intéressant.

Mag : ZDNet France, « Libre et open source express : Europe, radio April, Vecam, agriculteurs, concours Acteurs du Libre », par Thierry Noisette.

Manu : C’est un auteur qu’on voit régulièrement. Cette semaine il ne nous a pas fait plein d’articles, non, il a fait un gros article où il regroupe pas mal de choses. Il parle de l’April et de l’émission [1] de radio qu’on fait toutes les semaines. C’est plutôt sympa, ça fait partie des choses qui font plaisir.

Mag : RFI, « Participer à cartographier le monde pour mieux prévenir les crises humanitaires », par Aurore Lartigue.

Manu : Ça se base sur OpenStreetMap, largement, sur le projet Missing Maps [2], les cartes manquantes. On en a déjà parlé, on a déjà abordé ce sujet, c’est vraiment une question de travailler ensemble pour essayer, avec les cartos, de faciliter l’intervention d’équipes humanitaires, la gestion des crises qui vont nécessairement advenir. Dans le passé on sait que ce travail-là participatif, de cartographie, a aidé dans différents cas. Après des ouragans, après des tremblements de terre, c’est très compliqué de mettre en place des stratégies d’intervention, donc c’est vraiment un travail qui sauve des vies. Je vous enjoins à aller jeter un œil parce que, effectivement, vous pourriez aider à améliorer la planète mais là de manière très forte parce qu’il y a peut-être des gens qui seront sauvés grâce à ça au moment du prochain de tremblement de terre.

Mag : Le dernier article. ZDNet France, « Antitrust : des entreprises européennes portent plainte contre Microsoft », par Steven J. Vaughan-Nichols.

Luc : Cet article me fait douter parce que nous commençons à nous faire vieux, tous autant que nous sommes, et ça fait des années que nous faisons de la radio sur les questions d’informatique et tout ça. Je me demande si nous ne sommes pas un peu dépassés, l’informatique est un domaine qui change tout le temps, nous sommes des dinosaures, non ?

Manu : Pas tout à fait. Là on est à un retour vers le futur. On revit ce qu’on a vécu dans les années 90 ou les années 2000 parce que Microsoft a déjà eu des problèmes d’abus de position dominante. Il s’était fait taper sur les doigts à l’époque, mais il semblerait que ce n’est pas suffisant.

Mag : Ce n’est pas retour vers le futur, dans ce cas-là c’est retour vers le passé !

Manu : Ça marche aussi, c’est le jour sans fin, le jour de la marmotte. Effectivement, là dans 20 ans…

Luc : Je pense qu’il doit y avoir une boucle temporelle quelque part, un truc comme ça.

Manu : On sait déjà ce qui va se passer. En attendant on est au début d’une procédure qui est en train de se lancer. Il y a des petits gars intéressants qui sentent qu’ils sont un petit peu en train de se faire enfumer par Microsoft, parce que Microsoft, avec son système d’exploitation, la position dominante de son système d’exploitation, a des moyens de casser la concurrence. Là, la concurrence, ce sont les solutions de cloud. Ceci dit il n’y a pas que ça qui est concerné dans l’article, mais c’est Nextcloud [3] et une trentaine d’autres sociétés européennes qui se sont liguées et qui vont essayer de revendiquer un petit peu de défense auprès de l’Union européenne.

Mag : Ils nous avaient déjà fait ça pour Internet Explorer. Là ils recommencent pour leur cloud ! Tu as raison c’est du déjà-vu.

Manu : Eh oui ! Parce que dans les années 90, années 2000, chers auditeurs vous ne vous souvenez peut-être pas, mais il y avait Internet Explorer, le navigateur qui était intégré au système d’exploitation. D’après Microsoft c’était nécessaire techniquement parce qu’on ne pouvait pas se passer de cette intégration, on ne pouvait pas retirer ce qui était, pour eux, une brique cœur du mécanisme. Effectivement on a vu et on a su après que, finalement on pouvait une fois que les institutions tapent du poing sur la table. En attendant, à l’époque, ils avaient mis des équipes techniques, ils avaient développé un navigateur plutôt performant par rapport à la concurrence et ça leur avait permis de s’asseoir sur cette dite concurrence. Ils avaient notamment écrasé Netscape.

Luc : Même si le navigateur n’était pas mauvais techniquement, ce qu’on leur reprochait ce n’est pas d’avoir fait un bon navigateur, c’était d’avoir utilisé la position dominante de Windows pour faire que les gens le prennent et ne se posent pas de questions.

Mag : On avait la chance d’avoir un autre navigateur, Firefox [4], qui était apparu, après il y en a eu d’autres, mais on avait le choix.

Luc : Ça a été quand même long à se mettre en place. C’est dit dans l’article. Dans les citations de cette boîte qui fait le procès évidemment ils font le parallèle avec cette affaire en disant qu’à l’époque la stratégie de Microsoft avait endormi toute innovation sur les navigateurs pendant dix ans. On rappelle aussi que Microsoft avait mis en place des technos qui n’étaient pas standardisées, donc avec des fonctionnalités liées au langage HTML, pour faire des pages web, mais qui n’étaient pas dans le standard. Ce qui fait que tout un paquet de gens s’étaient mis à faire des sites web en utilisant ces fonctions qui ne marchaient que sur Internet Explorer. Quand on ne voulait pas utiliser Internet Explorer on était puni avec des sites qui marchaient mal, des fonctions inaccessibles et, en gros, ils avaient cassé la logique même d’Internet où tout système de communication doit être standardisé, homogène, et où tout fonctionne pareil, en faisant du spécifique. Ça nous a quand même bien pourri la vie pendant des années et des années.

Manu : Moi, en tant que développeur, j’ai encore des sueurs froides quand je pense à « optimiser pour IE6 », parce qu’on s’est tapé ce IE6 effectivement pendant des années. Les clients demandaient, parce qu’il y avait des parts de marchés importantes sur ce navigateur, à ce qu’on supporte IE6 et même bien plus tard, quand il était largement obsolète au niveau technique, on devait encore continuer à supporter. C’était insupportable en l’occurrence, ça m’énervait vraiment vivement ! Sachant qu’un plus ce n’était pas la meilleure des solutions finalement avec le temps. Comme il était intégré au cœur de Windows, ils l’avaient fait exprès, il y avait des technologies comme ActiveX, à l’époque, qui permettaient d’accéder à des fonctions assez bas niveau, eh bien ce n’était pas si compliqué pour les méchants, on va dire, d’installer sur votre poste un spyware, un logiciel espion, ou un adware, un logiciel de publicité. Aujourd’hui on dirait un mineur, un mineur de bitcoin qui va utiliser votre microprocesseur pour faire du minage.

Luc : Heureusement, 20 ans après on n’a plus du tout ce problème-là, maintenant on a fait des tas de progrès et les Windows ne sont plus pourris par des trucs de pub !

Mag : Ou pas !

Luc : J’ai vu ça ce week-end, comme quoi, effectivement, le temps passe mais les choses ne changent pas tant que ça.

Manu : Qu’est-ce que tu as vu ce week-end ? Tu as installé un adware sur ton ordinateur ?

Luc : Je n’ai rien installé du tout, mais j’ai une amie qui a un Windows sur lequel il y a des popups qui lui disent qu’il faut absolument mettre à jour tous les antivirus de la planète et toute une série de pubs et c’est intempestif, c’est tout le temps. Comme quoi on a effectivement un peu cette impression de faire du sur place.
Ce que je trouve intéressant dans ce truc-là c’est que c’est un groupe d’entreprises qui s’attaque à Microsoft. Je pense que c’est hyper-positif qu’il y ait une organisation, que les acteurs puissent s’organiser pour faire face à une société qui est dans cette position dominante.
Nextcloud c’est du cloud personnel, c’est utilisé dans des organisations aussi, pour le coup. On peut l’utiliser en passant pas les chatons il y a pas mal de chatons [5] qui donnent accès à du Nextcloud ; je l’utilise, c’est très pratique. Ils attaquent non pas le navigateur, mais le fait que les services cloud de Microsoft sont complètement intégrés dans Windows et qu’il les met en avant ; ils attaquent le fait que Microsoft met cette solution en avant. Les autres entreprises n’attaquent pas que cette question cloud.

Manu : Il y a aussi une autre brique qui s’appelle Teams, qui se fait attaquer. Teams est intégré ou s’intègre de plus en plus – je ne connais pas bien parce que je ne l’utilise pas – dans Windows et c’est alors difficile, pour des concurrents, de s’installer. L’un de vous deux connaît-il par hasard ?

Luc : Moi pas par hasard. On l’utilise au travail. Je suis dans une boîte qui roule pour Microsoft à fond. D’une façon générale, je ne suis pas hyper-emballé par tous ces systèmes-là, notamment parce que quand tu as des problèmes de réseau avec tous ces trucs, ces clouds dans tous les sens,eh bien tu pleures. Même si j’ai changé de travail il n’y a pas très longtemps, j’ai déjà perdu quelques heures de boulot parce que ça n’est pas synchronisé. On va dire que c’est peut-être l’implémentation qu’on a, mais, dans teams, il y a des trucs qui sont mal foutus. Teams sert à la fois à communiquer, mais, en même temps, ça sert d’organisation de fichiers ce qui fait que quand on parle avec des gens et qu’on veut montrer, partager des fichiers en même temps, ce n’est pas possible, en tout cas c’est compliqué. Il y a plein de petits trucs merdiques comme ça qui sont mal foutus. Après ça marche et la qualité de son est très bonne, mais, au prix que ça coûte, je pense que c’est le minima.

Mag : Non, ne me regardez pas, je ne connais pas Teams. Je ne fais que du logiciel libre

Manu : Notamment, oui, on va encourager les gens à utiliser Jitsi [6], c’est quand même plus sympa.

Mag : Ou BigBlueButton [7] aussi.

Manu : Qui est plutôt pas mal.
Cerise sur le gâteau des bêtises faites par Microsoft, on va dire qu’ils se sont fait attraper, ils ont aussi mis en place une stratégie pour essayer d’imposer à nouveau leur navigateur. C’est sale parce que, effectivement, c’est à nouveau une solution pour empêcher les autres navigateurs pas exactement de s’installer, mais d’être appelés quand on clique sur un lien. Quand on clique sur un lien dans Windows 10, dans Windows 11 – je crois que ce n’est pas encore exactement mis à jour, ça doit dépendre des versions et on va voir comment ça évolue – en tout cas il y a des petits gars intelligents qui ont développé une application spécifique dont l’idée est que, quand on clique sur un lien, on puisse ouvrir le navigateur de son choix, pour que le navigateur par défaut puisse être Mozilla ou Chrome, je ne sais plus ce qu’il y a d’autre, Brave, il y a d’autres navigateurs qui existent. Ils ont développé tout un petit outil et Microsoft, qui contrôle le système d’exploitation, va empêcher que cet outil puisse fonctionner et va imposer que le navigateur par défaut soit le sien. Là effectivement, eh bien oui, on est bien retour à la version initiale, son navigateur et rien d’autre, mais en plus, même si vous installez un concurrent, il ne pourra pas s’ouvrir quand vous cliquez sur quoi que ce soit.

Mag : C’est moche !

Luc : Ce qui est fou c’est qu’ils ont été condamnés, il y a longtemps, mais ils ont été condamnés donc ils savent qu’il ne faut pas le faire. Tu vois ! À un moment tu peux jouer au con et dire « on ne savait pas, on pensait que c’était bon », parce qu’ils ont argumenté en disant que techniquement Internet Explorer faisait partie du système d’exploitation qui ne pouvait pas tourner sans. Aujourd’hui, quand ils font ce choix d’imposer leur navigateur, ils le font parfaitement sciemment en sachant que c’est illégal.

Mag : Oui, mais ça finira bien par passer dans certains pays !

Luc : Oui !

Manu : Ceci dit, ça ne passe pas vraiment, il y a un retour de bâton médiatique. Pour l’instant c’est confiné aux milieux techniques, on va dire, mais clairement ça va leur retomber dessus s’ils le mettent bien en place. Je ne sais pas à quel niveau de déploiement ils en sont. On peut supposer qu’ils ne vont pas aller au bout de la démarche, parce que oui, comme tu dis, ils ont dû payer des centaines de millions d’euros à la Commission européenne, c’est sale.

Luc : Je pense que si ça les inquiétait, ils n’auraient même pas essayé le truc au début. Ils ont tenté le coup en disant peut-être que ça passera à l’as, discret, etc.

Manu : Moi j’en appelle à la schizophrénie. Je pense que la boîte a un petit problème interne. C’est Satya Nadella le patron, qui est plutôt libriste, en tout cas il a imposé une stratégie libriste sur pas mal de points, mais il faut croire qu’il y a encore des gars à l’ancienne, genre Steve Ballmer, qui était anti-libre à fond et que ces gars sont encore là et que, de temps en temps, ils proposent des trucs où ils essayent des choses anti-libres. C’est sale. On peut imaginer que non, ce sont des petits gars les gens de Microsoft, ils font plein de Libre !

Mag : Tu veux dire une rechute propriétaire de temps en temps ?

Manu : Plus que de temps en temps, en tout cas, oui, une rechute, ce n’est pas mal, c’est bien vu.

Luc : Manu, moi je pense que tu mérites le bûcher, rien de moins.
Pour moi cette affaire c’est la bonne illustration de la différence entre Libre et open source. Effectivement, Microsoft a fait son tournant open source en disant « on adore ça, nous sommes des bons petits gars ». Ces deux affaires mises l’une à côté de l’autre montrent qu’ils peuvent effectivement s’appuyer sur des technos open source, ils peuvent avoir mis des langages et des trucs en open source parce que c’est intéressant techniquement et économiquement, de la même manière que les GAFAM s’appuient aussi massivement sur de l’open source parce que ça va dans leur intérêt. Mais dès qu’il s’agit de liberté des utilisateurs et des acteurs autour, eh bien là on arrête de rigoler et tout se referme. S’ils peuvent bloquer les utilisateurs et les enfermer dans leur système ils le font. On avait parlé ces derniers temps des vertus prétendues de Microsoft, on a une belle démonstration supplémentaire, si jamais quelqu’un avait un doute, que c’est du pipeau.

Mag : Personne n’avait de doute !

Manu : Moi, j’espère ! Vous êtes durs quand même. On peut espérer qu’une des plus grosses boîtes d’informatique au monde fasse des choses bien. Voyons !

Mag : Naïf !

Luc : Moi je trouve qu’elles font une chose de bien quand même : grâce à elles j’ai l’impression d’avoir 20 ans de moins et ça, ce n’est quand même pas mal !

Mag : Ne t’inquiète pas ! Tu es toujours jeune et beau pour nous !

Manu : Sur ces belles paroles de jeune qui retrouve des années, je vous propose de nous retrouver la semaine prochaine.

Mag : OK. Salut.

Luc : Salut.