Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l’émission du 2 octobre 2018

Titre :
Émission Libre à vous ! diffusée mardi 2 octobre 2018 sur radio Cause Commune
Intervenants :
Frédéric Couchet - Xavier Berne - Tangui Morlier - Laurence Comparat - Étienne Gonnu - Béatrice jean-Jean
Lieu :
Radio Cause commune
Date :
2 octobre 2018
Durée :
1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustrations :
Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l’accord de Olivier Grieco
transcription réalisée par nos soins.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l’April.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site cause-commune.fm. La radio dispose d’un salon de discussion web, donc utilisez votre navigateur web et rendez-vous sur chat.libre-a-toi.org ou sur le site de la radio et cliquez sur « chat ».
Nous sommes mardi 2 octobre 2018, il est 15 heures 30, nous diffusons en direct et vous écouterez peut-être un podcast dans le futur.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle émission, la cinquième, de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April et j’ai mon collègue Étienne Gonnu qui est évidemment avec moi. Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Bonjour Fred.
Frédéric Couchet : Je présenterai après nos autres invités pour l’émission du jour.
Le site web de l’April c’est april.org, donc a, p, r, i, l point org, et vous y retrouverez une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration et je vous souhaite, nous vous souhaitons, une excellente écoute.
On va passer au programme du jour. Nous avons le plaisir d’avoir par téléphone Laurence Comparat qui est adjointe accès à l’information et libération des données publiques, utilisation et diffusion des logiciels libres, Administration générale à la ville de Grenoble et qui est également présidente de l’association OpenData France. Bonjour Laurence.
Laurence Comparat : Bonjour.
Frédéric Couchet : Nous avons également en studio Xavier Berne, journaliste au célèbre site d’actualité et d’enquêtes Next INpact qui traite à la fois d’informatique mais aussi de l’actualité politique et juridique liée à l’informatique. Bonjour Xavier.
Xavier Berne : Bonjour.
Frédéric Couchet : Nous avons enfin Tangui Morlier, membre du collectif Regards Citoyens dont le but est de proposer un accès simplifié au fonctionnement de nos institutions démocratiques à partir des informations publiques. Tangui est également un ancien président de l’April et toujours membre de l’April. Bonjour Tangui.
Tangui Morlier : Bonjour.
Frédéric Couchet : Ensuite nous aurons par téléphone Béatrice Jean-Jean qui est chargée de communication à l’Adullact, Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales. Elle nous parlera du label Territoire Numérique Libre ; ce sera aux alentours de 16 heures 15, 16 heures 30. Et ensuite, après ça, mon collègue Étienne Gonnu fera un point bine sûr sur la directive droit d’auteur, l’actualité suite au vote au Parlement européen qui a eu lieu le 12 septembre dernier.
Étienne Gonnu : Tout à fait.
Frédéric Couchet : Mais tout de suite place au premier sujet, collectivités et données publiques ouvertes et ce, à quelques jours de l’entrée en vigueur de nouvelles obligations concernant les données publiques pour les administrations et les collectivités.
Je vais faire une courte introduction et, évidemment après, je vais passer la parole aux experts et aux expertes que nous avons invité·e·s.
L’open data, pour données ouvertes, est une démarche qui vise à rendre les données numériques accessibles et utilisables par tous et toutes. Un cadre juridique définit les informations qui peuvent être rendues publiques et celles qui ne le peuvent pas. Une donnée ouverte peut être produite par une collectivité, une administration ou même une entreprise. Elle est diffusée selon une méthodologie et une licence ouverte garantissant son libre accès, sa réutilisation par tout le monde, sans restriction technique, juridique ou financière.
Pour préparer cette émission, j’ai lu un petit peu le Manuel de l’Open Data – la référence sera sur le site de l’April – et ce manuel commence ainsi :
« Savez-vous quelle proportion exacte de vos impôts est dépensée pour l’éclairage extérieur ou pour la recherche sur le cancer ? Connaissez-vous le chemin le plus court, le plus sûr et le plus pittoresque pour rentrer chez vous à vélo ? Savez-vous ce que contient l’air que vous allez respirer sur ce chemin ? Où pouvez-vous trouver les meilleures opportunités d’emploi dans votre région ou le nombre le plus important d’arbres fruitiers par personne ? À quel moment possible est-il d’influencer des décisions sur des sujets qui vous intéressent et à qui s’adresser ?
Les nouvelles technologies rendent possible la mise en place de services répondant à ces questions. La plupart des données nécessaires pour répondre à ces questions sont générées par des entités publiques. Cependant, ces données nécessaires ne sont pas souvent disponibles dans un format simple à utiliser. La démarche open data vise à libérer le potentiel de ces informations, de source officielle ou non, afin de permettre le développement de nouveaux services, d’améliorer la vie des citoyens et citoyennes et de faire en sorte que la société fonctionne mieux.
La notion de données ouvertes et, plus spécifiquement, de données publiques ouvertes, existe depuis plusieurs années déjà. L’open data a commencé à gagner en visibilité en 2009, avec les initiatives de plusieurs gouvernements (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Nouvelle-Zélande) pour ouvrir leurs propres données publiques. »
Et comme le précise le site Regards Citoyens, la France entre progressivement dans la danse, notamment grâce à des initiatives de citoyens, de citoyennes et de localités.
Nous n’allons pas entrer dans le détail de tous les points, notamment peut-être les aspects juridiques et techniques ; nous allons principalement parler de l’intérêt de la mise à disposition de données publiques ouvertes, de la démarche de collectivités et de personnes, du droit à l’open data et des possibles difficultés de mise en œuvre pour les citoyennes, chercheurs, journalistes. Pour cela, je vais passer la parole à nos invités que je remercie encore une fois d’avoir accepté notre invitation et, en premier, je vais passer la parole à Xavier Berne qui est journaliste au site d’enquête et d’actualité Next INpact, qui a produit un certain nombre d’analyses et d’articles récemment, notamment sur les données publiques et le droit d’accès aux documents administratifs. Est-ce que tu peux nous faire une petite introduction sur ce droit d’accès aux documents administratifs et aux données publiques ?
Xavier Berne : Oui. Bien sûr. Effectivement, ce mouvement de l’open data prend sa source dans ce qu’on appelle le droit d’accès aux documents administratifs ; c’est un petit peu pompeux, peut-être, comme nom, mais c’est quelque chose qui est, en fait, ancien, parce que la loi dite CADA sur l’accès aux documents administratifs date de 1978, donc elle a fêté ses 40 ans cette année.
En fait, ce droit d’accès aux documents administratifs c’est quelque chose qui est très concret. C’est-à-dire que c’est le droit pour le citoyen de connaître les informations publiques parce que détenues ou produites par des administrations. Concrètement, en tant que citoyen, vous avez donc le droit d’aller demander par exemple à votre maire ses éventuelles notes de frais ; vous pouvez aller demander à Bercy, au ministère des Finances, le code source du logiciel qui permet de calculer, par exemple, les impôts sur le revenu ou la taxe d’habitation ; vous avez aussi le droit d’aller demander à l’Élysée certains éléments du dossier d’Alexandre Benalla ou le menu qui a été servi le 14 juillet 2017, je crois, quand Donald Trump a déjeuné à l’Élysée ; c’est un document administratif qui est communicable au citoyen qui en fait la demande.
Donc voilà, j’ai pris quelques exemples un petit peu parlants pour que tout le monde ait une idée de ce que c’est, mais c’est un droit qui est, en fait, très vaste, qui concerne des rapports, des délibérations, des instructions ; ça peut être aussi des statistiques et là, on fait le lien avec les données publiques ; ça peut aussi être des correspondances et puis, dans d’autres sphères, ça peut aussi être le dossier médical, par exemple, on peut demander à un hôpital à avoir accès à son dossier médical même si là ce sera uniquement par la personne qui est concernée par le dossier médical en question.
Bien entendu il y a des exceptions qui visent à protéger, par exemple, les données personnelles, le secret industriel et commercial, des choses de type secret Défense.
Ce qu’il faut retenir, à mon avis, c’est que, pour faire valoir ce droit, c’est extrêmement simple ; c’est aussi gratuit, c’est-à-dire qu’il n’y a pas besoin forcément de faire un recommandé auprès de l’administration auprès de laquelle vous faites une demande ; il suffit d’une simple demande écrite à votre mairie, à l’école dans laquelle sont scolarisés vos enfants.
Là où ça peut se corser c’est quand l’administration, en face, fait un petit peu la sourde oreille ou refuse de vous transmettre le fameux document en question ; mais ça, peut-être qu’on en reparlera un petit peu plus tard dans l’émission.
Frédéric Couchet : Tout à fait, nous en reparlerons. En fait, ce que tu expliques, c’est clairement que ce droit d’accès aux documents administratifs est un droit très ancien. Ce n’est pas nouveau même si, effectivement, le mouvement [ouverture des] données publiques est relativement « récent » entre guillemets, sous la terminologie open data, et que c’est un droit qui est activable par toute personne qui peut être intéressée. Tu as cité un certain nombre d’exemples.
Je vais passer la parole à Tangui Morlier du collectif Regards Citoyens. Tu peux peut-être apporter quelques précisions ou quelques exemples concrets sur les données publiques et sur l’importance, effectivement pour les personnes, d’avoir accès à ces données publiques.
Tangui Morlier : Oui, absolument. Effectivement ce droit existe depuis 1978 alors que lorsqu’on parle d’open data on a l’impression que c’est quelque chose d’extrêmement récent et, malgré le fait que ça existe depuis 1978, c’est toujours une surprise pour les citoyens de découvrir que tout document qui est produit par l’administration lui est communicable. N’importe quelle production, à condition qu’elle ne viole pas les secrets dont a parlé Xavier, notamment le secret logique de la vie privée, eh bien ce document est accessible. Donc on peut connaître plein de choses des administrations dès 1978 et il se trouve qu’en 2005 il y eu une rénovation de cette loi qui vise à l’actualiser avec l’usage du numérique et de l’informatique.
En 1978 on est dans une démocratie du papier où, pour qu’un acte soit reconnu légal, eh bien il faut avoir la signature de la personne en charge, le directeur de service, le maire ou l’élu, mais il se trouve que cette démocratie du papier a un petit peu évolué avec l’avènement de l’informatique et notamment de l’Internet. De plus en plus les gens s’échangent des documents numériques donc la loi s’est activée en 2005, s’est mise à jour, pour permettre non seulement la communication du papier, mais également la communication des documents numériques.
Un simple e-mail à une administration peut vous permettre d’obtenir des documents numériques et notamment des tableurs, ce qui peut permettre de découvrir plus en détail le fonctionnement d’une collectivité territoriale. Pour quelqu’un qui s’intéresse, par exemple, aux finances d’une collectivité territoriale, il a deux choix : aller consulter en mairie, ou sous la forme d’un PDF, un rapport de plusieurs centaines de pages avec de très beaux camemberts qui permettent de connaître l’usage des deniers publics, ou demander le tableur de l’ensemble des dépenses de la commune pour pouvoir connaître tout le détail et la finesse de l’exécution des budgets des différentes communes.
Donc c’est ce que permet cette rénovation de la loi de 1978 en 2005 et ce qui a permis de pouvoir lancer le mouvement de l’open data, c’est-à-dire que des citoyens qui, découvrant des données numériques sous la forme de tableurs notamment, eh bien vont penser ou vont avoir l’idée de réutilisations qui soient utiles pour leur vie ou utiles pour leur connaissance de la vie publique.
C’est le cas par exemple dans l’association Regards Citoyens que je représente où on s’est passionnés pour la vie parlementaire et, grâce à l’extraction de données issues du site de l’Assemblée nationale, on a pu faire un site qui s’appelle NosDéputés.fr, qui permet de savoir ce que font les parlementaires à l’Assemblée nationale et on a également fait un site qui s’appelle NosFinancesLocales.fr qui présente sous forme graphique des données comptables des différentes collectivités.
Il y a beaucoup de militants qui ont utilisé le droit de 1978 ; je pense à un Grenoblois qui s’appelle Raymond Avrillier qui a découvert quelques scandales, dans les années 90, liés à l’usage des deniers publiques à Grenoble. Un plus récemment, il avait demandé les marchés publics des sondages de l’Élysée ce qui lui a permis de découvrir ce scandale qu’on appelle aujourd’hui les scandales des sondages de l’Élysée, en s’étant aperçu qu’il y avait de la surfacturation sur ces sondages.
D’ailleurs assez souvent lorsqu’on s’intéresse à ces problématiques-là, un certain nombre de scandales de la vie publique sont découverts grâce à cette loi qui donne énormément de pouvoirs aux citoyens.
Frédéric Couchet : Merci Tangui. En plus tu nous fais les enchaînements en parlant de Grenoble. Mais juste avant de passer la parole à Laurence Comparat, pour montrer que nous sommes vraiment en direct, nous sommes en interaction avec les personnes qui nous écoutent. Marie-Odile, sur le salon web de la radio, nous fait remarquer qu’il ne faut pas employer le mot « camembert » mais il faut plutôt parler de graphique en secteurs sinon les Italiens diront des « Parmesans ». Il faut savoir que Marie-Odile habite en Italie donc voilà !
Tangui Morlier : Ah d’accord ! Merci Marie-Odile parce que, effectivement, j’ai cet abus de langage.
Frédéric Couchet : Donc je fais remonter cette information. On va passer maintenant la parole à Laurence Comparat qui est en direct de Grenoble. Laurence Comparat vous êtes adjointe au maire de la ville de Grenoble, notamment en charge de la libération des données publiques. Il serait intéressant d’avoir le point de vue de la collectivité parce que là on a entendu le point de vue du journaliste qui recherche de l’information mais qui est aussi, évidemment, un citoyen, et le point de vue du collectif Regards Citoyens. Quel est le point de vue de la collectivité par rapport à cette démarche d’open data à la fois par rapport aux obligations légales, mais aussi, tout simplement, dans la dynamique de mettre à disposition des données publiques ouvertes à chacun et chacune ?
Laurence Comparat : C’est extrêmement intéressant sur le principe, même si ce n’est pas forcément simple à mettre en œuvre.
Ça a été rappelé en introduction, il y a une nouveauté maintenant réglementaire en France qui est l’obligation pour les villes de plus de 3500 habitants de rendre public l’ensemble des données dont elles disposent sous forme numérique. Inutile de dire que c’est assez énorme comme travail et que ça va demander un peu de temps pour que tout le monde se mette en ordre de marche. Mais, ce qu’il faut noter, c’est que par rapport à la loi CADA dont il a été question, on change complètement la perspective. La logique de la loi CADA c’est : moi, individu, j’ai le droit de demander à l’administration et celle-ci a l’obligation de me répondre et elle répond à moi, individuellement. Maintenant : moi, administration, j’ai l’obligation de mettre à disposition, sans attendre qu’on me le demande, et à tout le monde, les informations dont je dispose. Donc c’est un changement de perspective qui est extrêmement intéressant mais qui est de l’ordre du choc culturel pour nos institutions.
Il a été dit que dans la logique loi CADA ce n’était pas forcément toujours facile. Renverser complètement cette relation à la société et aux extérieurs – citoyens citoyennes, journalistes, chercheurs, etc. –, ce n’est pas anodin.
Là où c’est intéressant c’est que, du coup, c’est aussi un outil au service de la transformation de nos collectivités. Au-delà de l’intérêt dont il a été question sur la transparence de la vie publique, sur le fait que les données qu’on va rendre publiques peuvent servir aussi à développer des services sur nos territoires, il y a aussi cette idée que, aujourd’hui, on est sollicités, on nous demande des choses ; ça demande du temps de travail à nos services, à nos agentes, à nos agents. À partir du moment où c’est librement disponible et librement réutilisable, ce temps de travail dans nos institutions on peut le consacrer à autre chose. Donc il y a une phase de montée en puissance sur cette ouverture des données publiques, mais c’est, à terme, une meilleure qualité de service public pour tout le monde et une meilleure utilisation entre guillemets de « notre force de travail », des compétences de nos agentes et de nos agents qui peuvent se concentrer sur la qualité du service rendu avec un dispositif qui automatise, autant que faire se peut, le fait que les données qu’ils produisent dans le cadre de leur travail sont immédiatement et librement disponibles.
Donc un flux de données, en fait, automatisé qui est un plus pour tout le monde.
Frédéric Couchet : Donc c’est la démarche qui est mise en œuvre, je suppose, à Grenoble depuis 2014, si je me souviens bien.
Laurence Comparat : Tout à fait. Nous, nous avons souhaité politiquement en 2014 entrer dans ce régime de l’open data par défaut avant même que ça soit une obligation légale, puisque ça arrive dans les jours qui viennent : on rentre formellement, réglementairement, dans ce régime de l’open data par défaut – ce qu’il faut comprendre plus comme un point de départ que comme un point d’arrivée, je l’ai dit c’est un gros travail pour nos institutions.
Effectivement, on a eu une double démarche à Grenoble : d’une part ce régime de l’open data par défaut et, d’autre part, une démarche mutualisée entre la ville de Grenoble, la métropole grenobloise et son syndicat mixte des transports en commun avec cette idée que vu du territoire, vu des utilisateurs, des utilisatrices, que ce soit la ville, que ce soit la métropole, que ce soit une autorité de transport, que ce soit une autre commune, que ce soit l’État, que ce soit la région, etc., qui produise la donnée, finalement je m’en fiche un petit peu, ce qui m’intéresse c’est de l’avoir. Et si, non seulement OK, elle est disponible, mais je ne sais pas vraiment où, il faut que je fouille un peu de partout, il faut que je sache que les données de la météo c’est l’État, que les données des entrées aux musées c’est la ville mais que la maison de la culture c’est la métropole, ça devient quand même très compliqué. Donc cette idée d’avoir une démarche de territoire avec un point d’entrée unique sur lequel l’ensemble des données du territoire pourraient être disponibles.
Ça c’est la philosophie et là, on monte progressivement en puissance en récupérant des données que l’État collecte de tous côtés qui concernent notre territoire, en élargissant la démarche à d’autres communes du territoire, etc. Et la philosophie est vraiment celle d’avoir une démarche centrée vers les gens qui ont besoin de cette donnée-là, en n’oubliant pas que nos propres administrations peuvent faire partie des ré-utilisateurs des données. Quand je disais que c’est un outil au service de la transformation des administrations c’est aussi ça. Aujourd’hui il y a énormément de données qui passent d’administration en administration ; il y a énormément de données qui sont saisies trois, quatre, cinq fois au sein de nos administrations. Le fait de les avoir disponibles librement, ça sert à nous aussi.
Frédéric Couchet : Tout à fait. D’accord. Vous avez parlé du changement à venir, en tout cas de la date du 7 octobre 2018. Je vais peut-être repasser la parole à Xavier Berne pour qu’il explique un petit peu le contexte du 7 octobre 2018 qui fait suite à la loi République numérique du 7 octobre 2016. Xavier, est-ce que tu peux expliquer un petit peu cette notion d’open data par défaut qu’a évoquée Laurence Comparat.
Xavier Berne : Absolument. En fait, par rapport au droit CADA sur l’accès aux documents administratifs, historiquement le citoyen fait une demande ; en face l’administration répond à la demande en lui fournissant le document ou les données sollicitées. Là, avec la loi numérique qui a été votée il y deux ans, qui aura ses deux ans dimanche 7 octobre, l’administration a des obligations de mettre directement à la disposition des citoyens, sur Internet, certains documents administratifs. Donc c’est une obligation qui est progressivement entrée en vigueur et là, le 7 octobre, c’est donc la dernière pierre, un petit peu, de l’édifice qui sera construit et les administrations soit, pour les collectivités, à partir de 3500 habitants sinon, pour toutes les autres administrations, il faut qu’il y ait au moins 50 agents ou salariés, toutes ces administrations-là devront obligatoirement mettre en ligne leurs bases de données. C’est une notion qui est peut-être un peu imprécise ; je pense qu’on sera amené à rediscuter dans les mois à venir sur le périmètre de ce qu’est vraiment une base de données parce que je pense que des bases de données les administrations en possèdent énormément.
Donc il y a les bases de données et la deuxième chose qui devra être mise en ligne ce sont les données présentant un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental. Là aussi, c’est pareil, on ne sait pas exactement ce qu’il va y avoir derrière, très concrètement, comme types de données ; ce qui est peut-être à craindre c’est que, finalement, ce sont les administrations elles-mêmes qui vont définir ce que c’est et, du coup derrière, un petit peu, le citoyen va avoir du mal à rétorquer, à dire « moi j’aurais préféré ça ; ça, à mon avis, à mon sens, ce serait plutôt une donnée d’intérêt économique ou environnemental. »
Et il y a une dernière petite chose aussi qui devra être mise en ligne, ce sont les règles, en fait, qui composent les algorithmes qui servent à prendre des décisions individuelles. Par exemple la taxe d’habitation — on commence à la recevoir — est calculée à l’aide d’un algorithme ; théoriquement, à partir de dimanche, l’administration fiscale devrait mettre en ligne un document qui explique quelles sont les principales règles de fonctionnement de cet algorithme qui sert à calculer la taxe d’habitation.
Frédéric Couchet : Normalement !
Laurence Comparat : LES algorithmes, en l’occurrence, parce que ça dépend aussi de décisions locales. On est sur de la fiscalité locale dans cet exemple.
Frédéric Couchet : Les algorithmes.
Xavier Berne : Oui, c’est vrai.
Frédéric Couchet : Disons les algorithmes, effectivement. Tangui !
Tangui Morlier : Avec une carte qui est, en l’occurrence pour les finances locales, la carte qui définit la qualité d’un bâtiment, puisque cet impôt est basé sur la définition et l’âge du bâtiment dans lequel on habite. Il faut savoir que cette carte n’est pas accessible aux citoyens ; Bercy, pour l’instant, refuse de la rendre publique.
Xavier Berne : La valeur locative ?
Tangui Morlier : La valeur locative des bâtiments et que, sans doute, effectivement grâce à ces obligations, on va pouvoir faire avancer des thèmes qui, pour l’instant, sont assez obscurs en matière de données publiques.
Laurence Comparat : On sait quand même qu’elles ne sont pas du tout à jour. Elles datent des années 70, ces bases locatives, elles ne sont pas en accord du tout avec le quotidien actuel.
Tangui Morlier : Voilà.
Laurence Comparat : Donc ça peut être intéressant, effectivement, de le rendre un peu public et d’aller creuser un peu plus parce que c’est quelque chose qu’on a vraiment du mal à faire évoluer.
Tangui Morlier : D’ailleurs, ce qui est très intéressant quand on en discute avec des administrations c’est que, d’un point de vue de citoyen, c’est totalement anormal que cette information ne soit pas accessible. Et les administrations, sachant qu’il y a beaucoup de problèmes à l’intérieur, disent « ah ben non, je ne peux pas la rendre publique parce qu’on va découvrir qu’il y a des problèmes ». Or cette carte, tout le monde est d’accord qu’il y a des problèmes dessus et que justement, si on commence à la rendre publique et à montrer les détails de la vie administrative, je pense que les citoyens seront plus compréhensifs sur d’éventuelles erreurs ou incompréhensions que si on reste dans de l’obscurantisme à ne pas avoir du tout accès à l’information publique.
Cette carte est mise à jour localement donc il se trouve que, pour un certain nombre de citoyens français, cette carte correspond à une réalité territoriale même s’il est vrai que pour la majorité des citoyens, elle n’est pas du tout à jour.
Frédéric Couchet : Allez-y Laurence.
Laurence Comparat : Je voulais rebondir effectivement là-dessus et je crois que Regards Citoyens nous l’a bien rappelé tout à l’heure, il y a un moment, de toutes façons, où vouloir cacher la donnée comme on cache la poussière sous le tapis, ça ne fonctionne pas. Aujourd’hui les citoyennes et les citoyens se donnent les moyens d’aller la récupérer, de la consolider, de la rendre publique. Tout le travail qui a été fait sur NosDéputés.fr c’est typiquement ça : l’Assemblée nationale ne voulait pas fournir les détails des votes, pas de problème, on les reconstitue. À un moment il y a de la force de frappe. S’il y a de l’envie sur un territoire il y a aussi de la force de frappe et il y a un moment ça ne sert à rien ! La politique de l’autruche ne tient plus ; au-delà du fait qu’elle n’est pas acceptable sur le principe, elle n’est même plus efficace. Il y a un moment on arrête de mettre de l’énergie à essayer de cacher les choses, on les rend publiques et on en fait un véritable outil au service du pilotage des politiques publiques.
Tangui Morlier : Ce qui est sûr, sans doute, c’est que l’open data va dans son second temps : on vit un petit peu le second temps de l’open data. On a eu des communes qui se sont prévalues d’être un peu pionnières, comme Rennes et sa métropole, mais qui ont, en fait, plutôt utilisé l’open data comme un gage de modernité sur le plan de la communication sans vraiment changer les usages. Les responsables de la communication de Rennes refusaient de rendre publiques des données à forte valeur politique, par exemple, parce que eux voulaient simplement des trucs qui brillent. On rentre sans doute dans un deuxième temps maintenant et notamment avec l’entrée en vigueur de l’open data par défaut – j’ai entendu dire que maintenant ça s’appelait open data par principe ; visiblement ce serait plus apprécié des administrations ce nouveau terme – dans une ère de la contribution où les citoyens et l’administration vont pouvoir, ensemble, gérer un bien commun, un service public. Je pense au projet OpenStreetMap que nos auditeurs connaissent peut-être.
Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux présenter OpenStreetMap pour ceux qui ne connaissent pas ?
Tangui Morlier : Eh bien ouais, je peux faire ça ! Absolument ! OpenStreetMap c’est un super projet, c’est le Wikipédia de la cartographie.
Il se trouve qu’il y a des gens qui sont passionnés par leur territoire et qui dessinent des cartes pour expliquer là où ils vivent. Les initiateurs du projet OpenStreetMap se sont dit : pourquoi ne pas faire une base de données mondiale de l’ensemble des cartes que chacun peut dessiner chez soi. Il y a un logiciel qui est accessible à tout le monde sur le site openstreetmap.org ; on n’a même pas besoin d’installer quelque chose : depuis l’interface web on est capable de cartographier la rue à côté de chez soi, les commerces à côté de chez soi, les feux rouges, les passages piétons. Et une activité qui était, dans l’imaginaire collectif, réservée à l’IGN – et lorsqu’on connaît un petit peu le fonctionnement des collectivités territoriales, on s’aperçoit, en fait, qu’il y a des cartographes dans chacune des collectivités qui dupliquent l’IGN – et bien des citoyens se sont organisés. À défaut d’avoir accès librement,réutilisables aux données de l’IGN de l’IGN, eh bien ils ont décidé de cartographier eux-mêmes leur territoire. L’IGN progresse un petit peu. Il s’aperçoit qu’il y a des citoyens experts ; il y a également des agents publics de collectivités territoriales qui contribuent à OpenStreetMap et, collectivement, on voit émerger sur ce site une carte mondiale librement réutilisable ; c’est-à-dire que c’est une carte qui n’est pas là pour faire de l’argent avec de la publicité de Google ; lorsqu’on contribue, eh bien on contribue à un bien commun plutôt qu’à une capitalisation dans la Silicon Valley.
Frédéric Couchet : Donc en fait, ce que tu expliques, c’est qu’on en est au début – enfin au début, OpenStreetMap date depuis quelques années quand même –, au démarrage, finalement, d’une société de la contribution où les personnes, les citoyens et les citoyennes, ne sont pas simplement les usagers d’un service public ou autre mais peuvent contribuer. Et finalement, ce qui est faisable par des grandes entreprises peut être fait par un réseau de citoyens et de citoyennes, que c’est encore plus efficace et surtout que c’est pérenne et ça correspond aux besoins des gens.
Tangui Morlier : Voilà. Des citoyens eux-mêmes qui s’intéressent à leur territoire mais aussi des administrations. C’est, et Laurence va sans doute pouvoir nous en parler, la difficulté dans une administration : lorsqu’on a à faire seulement à des usagers, la relation avec les usagers est un peu explosive. C’est-à-dire que quand on voit un citoyen qui arrive dans son bureau on se dit : hou là, c’est parce qu’il y a un problème ! Parce qu’autrement le citoyen ne viendrait pas me voir. Donc il y a un système de défiance qui est en place dans un certain nombre d’administrations et toute la difficulté de faire migrer de l’usager au contributeur et donc de voir avec un regard bienveillant les citoyens qui viennent dans le bureau pour, éventuellement, pointer une petite erreur qu’on peut corriger collectivement, soit parce qu’ils s’intéressent, tout simplement, au travail des agents publics.
Frédéric Couchet : Merci encore Tangui pour ce nouvel enchaînement. Effectivement on va passer la parole à Laurence Comparat pour qu’elle nous parle un petit peu de l’association OpenData France et ensuite nous ferons une petite, courte, pause musicale, pour permettre de souffler. Donc Laurence Comparat, effectivement, vous êtes présidente de l’association OpenData France, qu’est-ce que c’est que cette association et que fait-elle par rapport à cette problématique, enfin à ces enjeux de données publiques et de collectivités ?
Laurence Comparat : OpenData France est une association qui accompagne, regroupe, représente les collectivités locales qui se lancent dans l’open data et qui participe, à son niveau, à favoriser cette émergence de l’ouverture des données publiques.
On a pu conduire des projets phares, notamment dans le cadre de la loi pour une République numérique. Donc il y avait cette nouvelle obligation qui est apparue dans la loi de l’open data par principe — qui est effectivement peut-être plus élégant —, on s’est dit : OK, très bien, mais maintenant il faut s’y mettre et comment est-ce que les communes vont s’y prendre ? Il y a eu tout un travail sur l’année 2017 qu’on a appelé open data locale, qui était du transfert d’expérience, en fait, entre les pionniers qui ont été évoqués, qui avaient déjà fait de l’open data, qui avaient un peu essuyé les plâtres, qui avaient pu tester aussi ce qui marchait, ce qui ne marchait pas, les difficultés internes, les difficultés de relation avec le territoire éventuellement, comment ils pouvaient faire bénéficier de leur expérience des acteurs de leur territoire avec l’aide d’OpenData France qui a un petit peu formalisé des méthodologies de travail, des outils de formation.
Et puis on a également réfléchi, et ça peut répondre à une problématique qui a été rapidement évoquée tout à l’heure, à, finalement, quelles sont les données que j’ai et quelles sont les données qu’il faut que j’ouvre ? Par quoi est-ce que je démarre ? OK, il faut que je fasse de l’open data, j’ai plein de choses en stock, lesquelles je prends ? On a fait une petite liste qu’on appelle « le socle commun des données locales », qui liste une dizaine de jeux de données ; on va retrouver là-dedans les marchés publics, les délibérations, les subventions, mais aussi la liste des prénoms qui ont été attribués par l’état-civil dans l’année écoulée. Voilà, on a listé un petit peu comme ça des données que toute commune manipule et on a essayé de les normaliser en fonction des retours d’expérience des territoires, à la fois dans le cadre réglementaire qui peut nous être imposé comme les marchés publics, mais aussi, sur mon territoire, quand je veux rendre publics les prénoms, voilà les difficultés que j’ai rencontrées, voilà le fichier type auquel je suis arrivé ; donc une expertise des gens qui font sur le terrain et ça fait un petit kit de démarrage en quelque sorte. Vous voulez démarrer, eh bien écoutez, ne vous prenez pas trop la tête, piochez dans cette liste de données et démarrez par ça et puis retournez-vous vers vos voisins sur votre territoire, qui ont déjà fait de l’open data et qui peuvent vous aider.
Ça c’était le gros travail de l’année dernière et qui doit continuer. Et puis il y en a un autre qui est intéressant également c’est l’observatoire de l’open data territoriale qui justement essaie de regarder un petit peu : OK, on a cette obligation, mais à quel point est-ce que les territoires arrivent à la remplir ? Donc on a mis en place un observatoire qui est à la fois quantitatif et qualitatif, c’est-à-dire qu’il va compter les communes, les régions, les départements, les communautés d’agglomérations, les métropoles, qui font de l’open data par rapport au nombre qui sont censés en faire d’après la loi ; combien de données elles ont libéré, quelles sont les données qu’elles ont libérées, etc. ? Et puis des choses un petit peu plus qualitatives avec des questionnaires en direction de ces collectivités : quelles sont les difficultés que vous avez ? Est-ce que la question des données personnelles est quelque chose auquel vous êtes confronté régulièrement ? Comment j’anonymise un fichier ? Enfin ce genre de remontées pour avoir un peu une vue consolidée de l’état de l’open data en France.
Frédéric Couchet : D’accord.
Laurence Comparat : Là on parle uniquement de l’open data dans les collectivités locales ; c’est la mission Etalab du gouvernement qui accompagne les services de l’État, donc les grandes administrations, les ministères et les décentralisations régionales et départementales dans les territoires.
Frédéric Couchet : Tout à fait.
Laurence Comparat : Voilà tout ce travail d’OpenData France pour une meilleure dynamique collective à l’échelle nationale.
Frédéric Couchet : Merci Laurence Comparat. Effectivement, vous parlez d’Etalab qu’on aura sans doute l’occasion d’inviter prochainement pour parler aussi de logiciel libre, pas simplement de données publiques.
On va faire une petite pause musicale, vraiment courte. C’est Under the sky of Jah, l’album c’est « Exorciste de style » par notre ami Rico da Halvarez.
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Pause musicale : Under the sky of Jah par Rico da Halvarez.
Voix off : Cause commune – cause-commune-fm 93.1
Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site cause-commune.fm. Vous venez d’entendre Under the sky of Jah par Rico da Halvarez.
Nous sommes toujours mardi 2 octobre 2018, il est 16 heures 02 et nous parlons de données publiques ouvertes avec Laurence Comparat de la ville de Grenoble, Xavier Berne du journal d’investigation et d’actualité Next INpact, Tangui Morlier du collectif Regards Citoyens et mon collègue Étienne Gonnu en charge des affaires publiques de l’April qui est toujours là.
Juste avant la pause nous faisions un petit état des lieux et une présentation des données publiques ouvertes ; ça semblait un petit peu magnifique, tout semblait être très beau ! Il y a des collectivités qui ont une démarche effectivement proactive sur le sujet, il y a aussi des administrations, mais est-ce que, finalement, c’est la majorité ? Ou est-ce que, au contraire pour l’instant, il y a des difficultés pour la mise en œuvre de l’accès à ces documents administratifs et la diffusion de ces données publiques ? J’ai envie de donner la parole à Xavier puis à Tangui, justement sur ces difficultés et les manières d’agir pour une personne qui voudrait accéder à un document administratif qui l’intéresse. Xavier Berne.
Xavier Berne : Effectivement, moi aussi j’ai bien écouté Laurence Comparat on a l’impression que tout fonctionne bien mais, en fait, en réalité, il y a quand même parfois de grandes difficultés pour obtenir certains documents et j’ai même envie de dire plus c’est sensible plus c’est difficile de les obtenir.
Dans le cadre de nos enquêtes c’est vrai qu’on fait très souvent des demandes de communication de documents administratifs, notamment des rapports. L’année dernière je pense que j’ai dû en faire quasiment près d’une centaine et, ce qu’on remarque, c’est que dans de très nombreux cas, en fait l’administration ne répond même pas à la demande. C’est-à-dire qu’on n’a pas de retour. Donc qu’est-ce qui se passe quand c’est comme ça ?
Au bout d’un mois, on a le droit de saisir ce qu’on appelle la Commission d’accès aux documents administratifs, la fameuse CADA, d’où vient le nom de la loi CADA de 1978. La CADA est une autorité publique indépendante ; c’est un petit peu comme un médiateur. C’est-à-dire qu’à partir du moment où une administration ne communique pas un document ou refuse clairement de le communiquer, on peut demander à cette commission de se prononcer pour savoir si oui on non l’administration refuse à bon droit de communiquer le document.
Les administrations, bien souvent, ne répondent pas ; il faut saisir la fameuse CADA. Le problème c’est que la CADA a visiblement énormément de travail et met très longtemps avant de rendre ses avis. Aujourd’hui, on va dire que le délai moyen est à peu près de l’ordre de six mois avant d’avoir un avis de la CADA. Donc vous imaginez le temps qu’il faut entre le moment où on saisit l’administration, on attend un mois, après il faut attendre à nouveau six mois supplémentaires pour que la CADA se prononce.
Frédéric Couchet : Le délai de réponse de la CADA normalement c’est combien ?
Tangui Morlier : C’est un mois le délai légal.
Frédéric Couchet : C’est un mois !
Tangui Morlier : C’est ça qui est incroyable.
Frédéric Couchet : Il faut préciser que le délai légal c’est un mois. Donc là, la moyenne c’est six mois.
Xavier Berne : Oui ; à peu près. Moi c’est ce que je constate personnellement. Après il faudrait des recherches, retrouver les chiffres exacts dans le dernier rapport d’activité de la CADA pour ne pas dire de bêtises.
Tangui Morlier : Je ne suis même pas sûr qu’ils soient vraiment réels.
Xavier Berne : Vraiment fiables ! D’accord !
Frédéric Couchet : Ça correspond à une certaine expérience de l’April aussi.
Xavier Berne : Mais même une fois qu’on a l’avis de la CADA, des fois même si la CADA dit « l’administration a tort de ne pas communiquer le document », l’administration peut encore traîner des pieds et parfois ça met du temps avant que l’administration s’y plie puisque, en fait, les avis de la CADA ne sont pas contraignants, c’est-à-dire que c’est juste un avis. Après, l’administration en fait un petit peu ce qu’elle veut : si elle a envie de décourager le citoyen non seulement elle ne répond pas à la base, ensuite elle fait traîner les choses devant la CADA, ensuite elle ne communique pas le document. Le citoyen derrière, après qu’est-ce qu’il peut faire ? Il ne lui reste plus qu’à saisir le juge administratif et là, on est sur une procédure qui est encore plus longue, qui est bien plus coûteuse, vu que saisir la CADA, par contre, c’est gratuit.
Je pense que c’est assez compliqué et, sur l’open data par défaut, malheureusement on constate qu’il y a le même genre de difficultés c’est-à-dire que vu qu’il n’y a pas de sanctions, les administrations font un petit peu ce qu’elles ont envie de faire, même si je pense qu’il y en a beaucoup qui font des efforts.
Frédéric Couchet : Ou ce qu’elles peuvent faire.
Xavier Berne : Oui, voilà, OK !
Laurence Comparat : C’est beaucoup ce qu’elles peuvent faire [ce qu’elles ne peuvent pas faire, Note de l’orateur].
Xavier Berne : Vous êtes là, je ne veux pas…
Laurence Comparat : Après, je ne dis pas qu’il n’y a pas de la mauvaise volonté ou quoi que ce soit, mais le cœur du problème c’est une question de moyens, clairement !
Frédéric Couchet : Quand on parle de moyens…
Laurence Comparat : Sur l’open data par principe, je ne parle de l’accès aux documents administratifs plus classiques ; de toutes façons l’absence de réponse, que ce soit une demande de document administratif ou tout autre contact avec la collectivité, ce n’est pas acceptable dans la pratique.
Xavier Berne : Vous pensez vraiment que c’est uniquement une question de moyens que ce n’est pas aussi une question d’organisation, parce que moi, personnellement, j’ai quand même l’impression que cette histoire d’open data par défaut c’est aussi un problème d’organisation. Parce que si des documents administratifs, quand ils sont créés, ils étaient conçus pour être mis en ligne un jour, on n’aurait pas les difficultés qu’on a aujourd’hui. Aujourd’hui, on voit bien que quand on fait une demande de document administratif ça arrive à un service, la secrétaire, qui doit transmettre au service juridique, qui après va voir le service qui a produit le document ; le temps que ça remonte ! C’est pour ça aussi que ça met énormément de temps ; ce n’est pas seulement une question de moyens, c’est aussi une question d’organisation.
Laurence Comparat : Je mets l’organisation dans les moyens, personnellement.
Xavier Berne : D’accord. OK.
Laurence Comparat : Mais oui, clairement. Quand je dis que c’est un choc culturel cette ouverture par principe, c’est vraiment l’expression. Aujourd’hui nos services ne sont pas conçus, ne sont pas organisés pour que l’information…
Tangui Morlier : Soit partagée !
Laurence Comparat : Automatiquement, systématiquement sorte de l’institution. Ils ne sont même pas organisés pour qu’elle circule au sein de l’institution. Donc on part de très loin.
Tangui Morlier : Il ne faut quand même pas omettre une des problématiques que touche le partage des données publiques, c’est que le partage de l’information, de la connaissance, c’est le partage du pouvoir. Il se trouve qu’un certain nombre de collectivités territoriales ne sont pas du tout équipées et il n’y a aucune volonté politique de partager le pouvoir. Lorsqu’on voit un certain nombre d’alternances politiques où les bureaux sont vidés, les tiroirs et tous les dossiers disparaissent lorsqu’une nouvelle majorité apparaît dans les institutions, c’est qu’il n’y a pas seulement un problème de moyens. Le problème de moyens c’est un argument classique de la part de toute administration pour excuser le fait qu’elle ne puisse pas faire. Mais dans la réalité des faits, s’il y avait une culture de la transparence démocratique et s’il y avait une culture du partage du pouvoir au sein des administrations et notamment au sein des élus des collectivités territoriales, il n’y aurait pas vraiment besoin de moyens pour pouvoir mettre en place…
Laurence Comparat : Je ne suis absolument pas d’accord avec cette analyse !
Tangui Morlier : Quand on regarde, par exemple, la culture du logiciel libre ou la culture du partage de la connaissance comme Wikipédia. Créer une encyclopédie mondiale, à l’échelle mondiale, si c’est fait par des gens qui veulent centraliser le pouvoir comme des gens de Microsoft, ça coûte extrêmement cher. Mais si c’est fait par des citoyens qui prévoient le partage du pouvoir à la base, ça ne coûte pas si cher.
Frédéric Couchet : On va laisser répondre Laurence.
Laurence Comparat : Ce n’est pas qu’un problème financier. Le temps que passent ces citoyennes et ces citoyens, il est loin d’être anodin. OK, ce n’est pas financé. OK, ce n’est pas un retour sur investissement classique mais il y a une mobilisation de moyens qui est extrêmement conséquente, qui est beaucoup plus intéressante qu’une centralisation microsoftienne, je suis 100 % d’accord. Mais qu’on ne vienne pas me dire que ça ne demande pas de moyens !
Tangui Morlier : On n’a pas dit que ça ne demandait pas de moyens ! On dit que l’administration a des moyens et qu’elle n’oriente pas ses moyens vers un partage du pouvoir et un partage de la connaissance. La majorité ! Je ne dis pas que, à Grenoble, il ne se passe pas des choses intéressantes. Mais quand on voit, par exemple, l’association des maires de France qui fait du lobbying, qui va voir tous les ministres, tous les sénateurs, tous les députés, pour leur dire qu’il ne faut absolument pas d’open data par principe, c’est qu’il y a quand même une résistance assez forte à faire confiance aux citoyens et à leur dire qu’on peut coconstruire la connaissance autour d’un territoire.
Laurence Comparat : Complètement. Il y a trois problèmes différents. Il y a un, est-ce que l’administration est en état de marche ? La réponse est non, clairement, et ça je n’ai jamais prétendu le contraire. Il y a un gros travail d’évolution de nos institutions rien qu’en termes d’organisation, je ne parle même pas de la culture, etc.
Tangui Morlier : Oui, je suis d’accord.
Laurence Comparat : Est-ce que les élus sont prêts à le faire, là j’ai envie de dire ça peut dépendre des courants politiques.

Et est-ce que notre démocratie, d’une manière générale, est suffisamment adulte pour se dire qu’on entre dans une ère du partage, de la co-construction de manière systématique, là aussi, clairement la réponse est non pour l’instant. Par contre, tout aussi clairement, et en tout cas mes collègues et moi à Grenoble on le ressent très fortement sur le terrain, la plupart des élus, beaucoup des institutions sont très en retard par rapport aux citoyennes et aux citoyens sur ces questions-là. Excusez-moi l’expression, mais on se fait « pousser au cul » là-dessus, et c’est très bien !
Effectivement ce côté « il y a l’institution qui surplombe et il y a les citoyens qui reçoivent ce qu’elle veut bien leur donner sans trop leur expliquer comment ça marche », c’est complètement has been. Ce n’est plus acceptable aujourd’hui. On est complètement d’accord.
Par contre, réorganiser l’administration et réorganiser la place des élus là-dedans pour renverser cette pyramide-là, c’est un sacré boulot. Il faut le faire, on s’y emploie à notre niveau, mais il ne faut pas minimiser le travail titanesque que c’est.
Tangui Morlier : On est d’accord. Je crois que ce n’était pas du tout l’objet. Je pense que Xavier et moi on était un petit peu piqués sur l’aspect des moyens. On est d’accord qu’on est dans une révolution. On passe d’une démocratie du papier dans laquelle les échanges étaient longs, où l’administration pouvait se protéger, à une démocratie du numérique dans laquelle les échanges sont plus fluides, on peut coconstruire des politiques publiques, mais c’est clair que cette migration n’a pas encore lieu.
Par contre, on ne peut pas se cacher derrière l’excuse de « on manque de moyens ». Ce n’est pas vrai. La démocratie du papier ça coûte extrêmement cher. Envoyer le JO [Journal officiel] au début du 19e siècle…
Laurence Comparat : Ah mais attendez ! Je n’ai pas dit que l’organisation actuelle était parfaite. J’ai dit qu’il fallait qu’on change et changer ça demande du temps ; ça demande effectivement d’utiliser les moyens qu’on a différemment, mais ça ne se fait pas d’un claquement de doigts.
Tangui Morlier : On est d’accord.
Laurence Comparat : Particulièrement quand il n’y a aucune culture numérique au sein de nos institutions. Aucune ! C’est déplorable. Et ce n’est évidemment pas une critique des femmes et des hommes qui y travaillent. Ils n’ont jamais été formés sur ces questions, la formation des agents territoriaux de la catégorie C à la catégorie A, les écoles de cadres ne proposent rien de valable sur ces questions-là. Il y a un retard de culture numérique, en particulier dans la fonction publique territoriale, globalement, qui n’est la faute à personne et à tout le monde, mais qu’on constate au quotidien dans nos institutions, qui fait que ça demande de former, ça demande de changer les organisations, ça demande de dématérialiser, ça demande de sortir de cette culture du papier que vous dénoncez fort justement. On tape dans le dur ! Il faut ! Mais ça va demander du temps.
Frédéric Couchet : Je crois que vous êtes effectivement d’accord et que vous vous battez à deux niveaux différents pour la même chose. Je pense que la prochaine émission qu’on consacrera aux données publiques si on réinvite Regards Citoyens, on invitera aussi, sans doute, le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense, parce que eux, leur culture de l’ouverture !
Tangui Morlier : Bercy, Bercy ! C’est bien Bercy !
Frédéric Couchet : Bercy, effectivement, notamment pour l’ouverture du code source des impôts : la personne qui avait demandé l’accès a dû aller jusqu’au tribunal administratif ! On invitera ces gens-là qui ne sont pas du tout dans cette culture-là, mais là on est entre personnes qui sont dans cette dynamique-là. Je vois le temps qui file ; Xavier Berne va devoir bientôt nous quitter et nous avons également d’autres sujets ensuite. Est-ce que, Xavier, tu voulais réagir là-dessus ou ajouter quelque chose avant que tu partes tout à l’heure ou sur un autre sujet.
Xavier Berne : Je ne sais pas. Parler peut-être un petit peu de l’histoire de l’open data par défaut puisque, effectivement, c’était quelque chose dont j’ai dit que c’était en plusieurs mouvements. En fait, l’open data par défaut ou par principe est une première pierre qui a été posée puisque c’est en vigueur depuis le mois d’avril 2017. Et là, tous les documents qui sont communiqués individuellement au titre de procédures CADA, en fait quand le citoyen demande un document, s’il lui est donné par voie électronique, par mail, l’administration est tenue également de le mettre en ligne. Ça c’est depuis avril 2017. Et on voit que même ça c’est déjà trop difficile, alors que le document est déjà numérisé, le document a été envoyé par e-mail au citoyen, il y a déjà eu les occultations sur les données personnelles, il ne reste plus qu’une chose à faire c’est le mettre en ligne sur un site internet. Ce n’est quand même pas très compliqué et on voit que même sur ça, ça ne fonctionne pas ! Du coup c’est pour ça que via Next INpact on a décidé de porter ça devant le tribunal administratif, pour la simple et bonne raison qu’en fait, à notre sens, ce dispositif-là est bien plus intéressant que ceux qui vont entrer en vigueur ce week-end. Pourquoi ? Parce qu’ils font intervenir le citoyen.
Si des citoyens demandent un document administratif, il y a de fortes chances pour qu’il intéresse d’autres citoyens et certains journalistes et c’est pour ça qu’on a décidé de porter ça devant le tribunal administratif ; en l’occurrence, c’était pour un document du ministère de l’Intérieur, un rapport que j’avais moi-même sollicité mais juste au titre d’une communication individuelle et qui n’a toujours pas été mis en ligne par le ministère de l’Intérieur ; c’était un rapport tout simple sur l’utilisation des caméras-piétons qui faisait quatre pages, un fichier de un méga-octet. Plutôt que de le mettre en ligne, le ministère de l’Intérieur a préféré répondre à notre requête devant le tribunal en expliquant, au fil de sept pages, pourquoi il refusait de se plier à cette nouvelle obligation et, en l’occurrence, ils ont évoqué des questions de forme, des vices de procédure, l’absence d’intérêt à agir de notre part.
Ça montre quand même aussi que les réticences ce n’est pas non plus qu’une question de moyens ; vraiment, il y a bien une question de culture. On en a parlé. J’ai bien compris que vous aviez englobé tout ça derrière, mais je voulais quand même y revenir parce qu’effectivement « moyens » c’est peut-être un petit peu restrictif comme terme.
Laurence Comparat : D’accord.
Tangui Morlier : Les plus grandes avancées sur la loi numérique en matière de données publiques sont sans doute de donner les capacités aux citoyens de faire bouger les administrations parce que, malgré tout, l’administration a un rythme qui ne mesure pas forcément l’importance des données publiques. Et le fait qu’on donne la capacité à des journalistes, à de simples citoyens, d’exiger la publication en open data sur le site des collectivités et sur le site des administrations, c’est sans doute la plus grande avancée. ça va prendre un petit peu de temps puisque, visiblement, les administrations ne sont vraiment pas prêtes. Elles sont prêtes à dépenser des moyens incroyables pour répondre devant le tribunal administratif à des journalistes ou des citoyens plutôt que de mettre un méga sur le site web du ministère de l’Intérieur, alors qu’il y a quand même énormément de place sur le site web du ministère de l’Intérieur pour pouvoir héberger ce document !
Ça va prendre un petit peu de temps, mais si chacun de nos auditeurs pense à un rapport qu’il aimerait pouvoir voir sur le site du ministère de l’Intérieur ou sur le site de Bercy ou sur le site de la mairie de Paris ou de la région Île-de-France pour nos auditeurs franciliens, eh bien il ne faut pas qu’ils hésitent ; il suffit d’écrire un e-mail à contact@l’institution pour lui demander, exiger qu’elle mette en ligne le rapport sur les caméras-piétons, sur les dépenses des collectivités territoriales, etc. ; ça suffit à faire avancer les choses.
Frédéric Couchet : Juste avant de vous repasser la parole Laurence, on va dire au revoir à Xavier Berne, car il a un train à prendre donc il va devoir nous quitter.
Xavier Berne : Absolument. Et pour ceux qui voudraient faire une demande CADA, j’avais quand même écrit un petit article l’année dernière : « Comment faire une demande CADA » ; si ça peut être utile à certains, c’était fait pour ça.
Tangui Morlier : C’est un super article ; en plus il est en libre accès sur Next INpact, donc il ne faut pas hésiter.
Xavier Berne : Absolument. C’était logique.
Frédéric Couchet : On va rajouter le lien sur la page de références, sur le site de l’April, pour trouver ce document qui permet d’expliquer comment on fait concrètement une demande CADA. Merci en tout cas Xavier et puis à bientôt.
Xavier Berne : Merci. À bientôt. Au revoir.
Laurence Comparat : Merci.
Frédéric Couchet : Laurence, on va faire le tour de table final parce qu’on va bientôt devoir changer de sujet. Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter sur ce thème-là ou sur un autre thème ?
Laurence Comparat : Je crois qu’effectivement on a quand même pas mal balayé les thématiques. On voit bien qu’il y a des choses qui sont assez enthousiasmantes au plan des principes mais qu’on est confronté à des difficultés de mise en œuvre qui sont réelles, clairement.
Moi je trouve extrêmement intéressant, justement, ce dialogue avec les territoires, avec les citoyennes et les citoyens dans le cadre qui nous occupe, parce qu’effectivement c’est aussi quelque chose qui peut bousculer l’administration et moi je le vois en tant qu’élue. Quand ce n’est pas uniquement l’élu qui enquiquine les agentes et les agents avec ses grands principes politiques, mais qu’il y a de la demande qui vient du territoire ça change complètement la perspective ; ça change complètement la perspective et ça peut même la rendre tout à fait positive. Il ne faut jamais oublier que rendre publiques des données, des rapports, etc., c’est rendre public le travail des agentes et des agents de la collectivité. On a 4000 agents et agentes dans une ville comme Grenoble et son centre communal d’action sociale ; il y a de la force de travail, il y a du travail qui est fourni, il y a de la compétence ; le service public est fourni au quotidien par ces personnes-là et c’est aussi un moyen de rendre visible un travail qui est souvent caché, dans l’ombre en fait. Et c’est aussi ça qu’il faut qu’on ait en tête.
Frédéric Couchet : Merci Laurence. Tangui est-ce que tu voulais ajouter quelque chose ?
Tangui Morlier : Je suis tout à fait d’accord. Regards Citoyens est né de cette découverte du travail parlementaire où on a été extrêmement surpris de voir des parlementaires travailler sur des sujets aussi pointus que les DRM [Digital Restrictions Management] ou les brevets logiciels jusque extrêmement tard dans la nuit et c’est par cette découverte qu’on a voulu valoriser l’activité des parlementaires et qu’ensuite on s’est intéressé à tout un tas de sujets liés à l’activité parlementaire ou plus largement à la démocratie locale ou nationale.
Donc j’invite les élus ou les agents et les agentes publics qui nous écoutent à bien prendre la dimension de ça : oui le citoyen peut débarquer un petit peu fou, un petit peu énervé, mais si on arrive à rendre positive cette énergie au service des services publics et au service des institutions, eh bien notre démocratie s’en sentira grandie !
Laurence Comparat : Tout à fait !
Frédéric Couchet : Eh bien c’était une belle conclusion. Je remercie Laurence Comparat adjointe à la ville de Grenoble en charge notamment de la libération des données publiques et également présidente de l’association OpenData France. Merci Laurence.
Laurence Comparat : Merci à vous.
Frédéric Couchet : Et je remercie évidemment Tangui Morlier qui est intervenu au nom du collectif Regards Citoyens, qui aura sans doute l’occasion de revenir, en tout cas le collectif, sur un autre sujet.
Tangui Morlier : Merci.
Frédéric Couchet : Avant de changer de sujet, on va faire une petite pause musicale. Ça c’est une découverte de Macousine, qui est le pseudo d’une personne…
Tangui Morlier : Ah bon, ce n’est pas ta cousine !
Frédéric Couchet : Non, je n’ai pas de cousine ! C’est le pseudo d’une personne sur le salon de discussion web qui, de temps en temps, propose des playlists de musique et il y en avait une qui me plaisait particulièrement, qui fait aussi référence à la discussion qui a eu lieu tout à l’heure lors de Pause commune : entre midi et 14 heures ça parlait de migrants. C’est une chanson en hommage et en soutien aux migrants. Ça s’appelle Sin Papeles par Dieumba/Bass Culture Players et on se retrouve juste après.
Voix off : Toutes nos émissions en libre écoute – cause-commune.fm
Pause musicale : Sin Papeles par Dieumba / Bass Culture Player
Voix off : Cause-commune.fm – cause-commune.fm 93.1
Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Vous venez d’écouter Sin Papeles par Dieumba. La référence est évidemment sur la page du site de l’April qui donne toutes les références.
Nous allons changer de sujet, pas totalement d’ailleurs, après avoir parlé de données publiques et de collectivités, vu que nous allons parler maintenant d’un label qui s’appelle le label Territoire Numérique Libre et normalement nous avons depuis Montpellier Béatrice Jean-Jean par téléphone. Béatrice est-ce que tu es là ?
Béatrice Jean-Jean : Oui, bonjour, je suis là.
Frédéric Couchet : Béatrice, tu es chargée de communication à l’Adullact qui est l’Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales et tu t’occupes notamment du label Territoire Numérique Libre. Ma première question sera simple : qu’est-ce le label Territoire Numérique Libre ?
Béatrice Jean-Jean : Le label Territoire Numérique Libre est un label qui a été créé en 2016 pour récompenser les territoires qui utilisent ou qui privilégient les logiciels et licences libres dans leurs services. C’est vrai qu’à l’Adullact, tout au long de l’année, on côtoie des collectivités qui font des efforts en ce sens, qui ont des démarches pour s’affranchir de logiciels propriétaires, qui mettent, par exemple, du Ubuntu dans leurs écoles, qui mettent en commun leurs moyens financiers pour développer des outils libres, qui financent des événements autour du Libre comme des hackathons. On voulait vraiment récompenser les efforts de ces collectivités, montrer qu’utiliser du logiciel libre dans le service public c’est une démarche qui devrait être naturelle. Dans un monde parfait, il faudrait que tous les logiciels financés par l’argent public soient publiés sous licence libre. C’est un petit peu l’idée de l’Adullact et de nombreuses campagnes comme la campagne européenne « Argent public ? Code public ! ».
Tout à l’heure, dans l’émission, vous parliez des administrations, c’est vrai que les collectivités, actuellement, sont un petit peu dans le même processus. Il y a différents rapports et directives qui les poussent vers le sens du Libre, qui disent que le Libre c’est quelque chose vers lequel il faut aller, mais il n’y a pas d’obligation. Donc il est essentiel, pour nous, d’encourager toutes les volontés politiques qui vont dans le bon sens.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc pour une collectivité quels sont les intérêts à candidater à un tel label ?
Béatrice Jean-Jean : Le label on l’a conçu, en fait, pour répondre à trois objectifs : un objectif d’évaluation, de sensibilisation et de valorisation.
La partie évaluation : en fait c’est vrai que le dossier de candidature permet à la collectivité de faire un peu un état des lieux de ses usages numériques libres : quelle stratégie a été mise en place ? Où en est la migration ? Quelles sont les contributions de la collectivité à différents outils libres ?

Pour la partie sensibilisation, c’est vrai que l’usage des logiciels libres dans une collectivité concerne à la fois les élus, les agents, mais aussi les administrés. Parfois, la volonté vient du service informatique qui a un petit peu plus de mal à convaincre les élus qu’il a envie de sensibiliser sur le point. Et puis parfois, c’est au contraire la volonté d’un élu et il va falloir un petit peu faire la sensibilisation au niveau, justement, du service informatique ou des administrés pour leur montrer que l’argent public est bien employé.
Et la dernière mission c’est une mission de valorisation, c’est-à-dire qu’une collectivité qui va candidater, elle va le faire pour faire connaître et reconnaître ses actions en matière de logiciels libres, en matière d’open data dont on parlait tout à l’heure. C’est un label qui permet de se démarquer.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc il y a différents niveaux de label qui permettent justement de mesurer peut-être l’évolution de l’implication des démarches logiciel libre et données publiques dans la collectivité ?
Béatrice Jean-Jean : Tout à fait. Le label, comme de nombreux labels, est gradé de 1 à 5. Par exemple pour « ville fleurie » on va avoir des petites fleurs, là ce sont des copylefts, donc c’est gradé de 1 à 5 copylefts.
Les collectivités candidates qui ont entrepris une première démarche vers le Libre, ne serait-ce qu’en utilisant des premiers outils libres sur le poste de travail, il en existe de nombreux qui sont très accessibles, obtiennent à minima le niveau 1 ; c’est le niveau, en fait, de la première reconnaissance des efforts accomplis, de la découverte, et ça va jusqu’au niveau 5 donc le niveau d’excellence qui n’a encore pas été atteint !
Frédéric Couchet : Peut-être cette année, on verra !
Béatrice Jean-Jean : Peut-être cette année, on espère.
Frédéric Couchet : Ce label est organisé par l’Adullact. Mais est-ce qu’il est organisé en partenariat avec d’autres structures, avec le soutien de structures institutionnelles ?
Béatrice Jean-Jean : Tout à fait. En fait, il y a un comité d’orientation qui est en place avec la DINSIC, la Direction informatique de l’État, l’April, l’AFUL [Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres], qui sont toutes deux des associations de défense du Libre – on est tous dans le même créneau –, avec le pôle Aquinetic qui est un cluster d’entreprises du numérique libre et la ville de Saint-Martin d’Uriage qui représente entre guillemets la « vision élus », en fait, au sein du comité.
Frédéric Couchet : Aquinetic, le pôle, c’est de la région de Bordeaux si je me souviens bien.
Béatrice Jean-Jean : Tout à fait.
Frédéric Couchet : C’est la troisième édition cette année. Est-ce que tu peux dire combien il y a eu de collectivités labellisées les années précédentes, donc en 2016 et 2017, et est-ce qu’il y a des types de collectivités particulières ou des exemples marquants de collectivités qui ont reçu un label ?
Béatrice Jean-Jean : Oui. En 2016, pour la première édition, on a eu 16 candidatures et en 2017 on en a eu 23. On va dire qu’en comptant les collectivités qui ont re-candidaté d’une année sur l’autre, ça fait un total d’environ une trentaine de collectivités qui ont été labellisées en deux ans. C’est intéressant. Bien sûr, on a envie de dépasser ce chiffre cette année, on a envie de toucher de nouvelles collectivités.
Au niveau des types de collectivités, en fait, ça s’adresse vraiment à toutes les collectivités territoriales, c’est-à-dire villes, agglomérations, communautés de communes, départements, régions. On n’a pas encore eu de candidature de région, mais j’espère cette année, aussi. On a eu trois départements, la Gironde, les Côtes-d’Armor et le Rhône qui sont déjà tous labellisés. On a eu aussi un centre départemental d’incendie et secours en 2016. Et comme exemple marquant, l’an dernier on a eu une petite collectivité, Ladevèze-Rivière, avec 220 habitants qui a eu un niveau 3. C’est quand même un beau niveau et ça prouve qu’on peut faire du Libre même en étant dans une toute petite collectivité avec de petits moyens.
Frédéric Couchet : D’accord. Comme effectivement c’est un label qui est par année, une collectivité, d’ailleurs je crois que tu l’as dit, qui a déjà obtenu un label doit re-soumettre une candidature en 2018 pour pouvoir recevoir un nouveau label et éventuellement changer de niveau ?
Béatrice Jean-Jean : Oui. En fait, c’est vrai qu’une nouvelle candidature, bien sûr ce n’est pas une obligation, mais c’est intéressant parce que le questionnaire évolue d’une année sur l’autre. Cette année, par exemple, nous avons inauguré une nouvelle partie stratégie pour recenser les démarches de mutualisation en cours et à venir et, en fait, mieux cerner les intentions politiques derrière les choix, parce que derrière les choix matériels, etc., il y a toujours une intention ; c’était pour un petit peu mieux analyser cette stratégie mise en place sur les territoires.
Frédéric Couchet : D’accord.
Béatrice Jean-Jean : Donc c’est intéressant pour une collectivité de revenir, ne serait-ce aussi parce que c’est aussi une nouvelle occasion de communiquer sur les démarches qu’elle fait, de mettre à jour ses informations, de refaire un état des lieux.
Frédéric Couchet : OK. Et une collectivité qui doit candidater, tu as parlé d’un questionnaire. Est-ce que c’est un questionnaire papier, on a parlé de papier tout à l’heure, est-ce que c’est un formulaire en ligne ? Quels sont les sujets abordés ? Le nombre de questions ?
Béatrice Jean-Jean : La candidature est assez simple et facile. Quand je dis simple et facile c’est parce que je sais qu’il y a des labels où il faut des semaines de préparation pour constituer le dossier. Ici, on a estimé qu’il faut à peu près une demi-journée pour remplir le questionnaire ; c’est assez rapide.
Pour candidater, en fait, il faut que la collectivité mandate deux référents dont un élu. Et, bien sûr, il faut préparer en amont sa candidature en téléchargeant la liste des questions qui est disponible sur le site en version PDF et ensuite aller enregistrer sa candidature en ligne. On a un formulaire Framaforms qui est disponible.
Il y a environ une centaine de questions réparties en cinq parties : l’identification de la collectivité, la partie stratégie et mutualisation, les formats ouverts et les logiciels et systèmes libres bien entendu, c’est la partie la plus importante où on va vraiment là faire un état des lieux, une partie communication à l’écosystème pour voir si la ville contribue à l’écosystème au travers des entreprises, associations, sur son territoire et une partie open data, c’était le sujet tout à l’heure. Donc c’est relativement « aisé », entre guillemets, à remplir même pour une première candidature.
Frédéric Couchet : D’accord ! Quelle est la date limite pour candidater ? Je suppose que c’est prochainement !
Béatrice Jean-Jean : Tout à fait. Les candidatures se terminent le 15 octobre à minuit. Le délai effectivement de 15 jours est largement suffisant. Pour les collectivités qui découvriraient le label aujourd’hui, il y a encore le temps, tout à fait, de candidater.
Frédéric Couchet : D’accord ! Donc la date limite c’est le lundi 15 octobre. Quand est-ce que seront annoncés les résultats ? Et la remise des prix aura lieu où ? À Paris ou ailleurs ? À Montpellier peut-être ?
Béatrice Jean-Jean : Les premières remises de labels ont eu lieu à Paris, mais cette année on sort un petit peu du contexte et du cadre. En fait, on va annoncer les résultats en même temps qu’une remise des labels à Bordeaux le 6 novembre 2018 vers 17 heures 30 ; c’est dans le cadre de l’organisation de la première convention open source B-BOOST qui est organisée cette année à Bordeaux. C’est une convention professionnelle organisée notamment par pôle Aquinetic, par la région, etc. Il y aura, le même jour, une table ronde organisée avec des collectivités déjà labellisées qui vont venir faire part de leur expérience sur le terrain.
Donc le 6 novembre 2018 tous les résultats seront affichés et, dans la foulée, seront communiqués sur le site internet bien entendu.
Frédéric Couchet : Donc les collectivités qui vont candidater doivent déjà réserver leur déplacement à Bordeaux le 6 novembre pour recevoir leur label.
Béatrice Jean-Jean : Tout à fait.
Frédéric Couchet : Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ? J’ai l’impression qu’on a fait le tour de la présentation de ce label. Est-ce que tu veux ajouter une précision ?
Béatrice Jean-Jean : Simplement d’aller voir le site, de se renseigner. On a vraiment envie de toucher de nouvelles collectivités, surtout de montrer que, par des petits efforts, c’est simple de mettre un pied dedans et que la plupart des collectivités, finalement, utilisent déjà des logiciels libres sans forcément en avoir conscience. Peut-être que beaucoup plus de collectivités mériteraient ne serait-ce que d’entrer dans le palmarès niveau 1.
Frédéric Couchet : Le site web on va le donner, c’est territoire-numerique-libre.org ; il sera aussi sur le site de l’April dans la partie références. Les collectivités ont jusqu’au lundi 15 octobre 2018, 23 heures 59, pour candidater. L’autre date importante c’est la remise des labels mardi 6 novembre lors de la convention B-BOOST à Bordeaux ; le site de la convention B-BOOST c’est b-boost.fr, et le site de l’Adullact c’est adullact.org avec deux « l » comme logiciel libre.
Écoute Béatrice, merci de ton intervention. Je crois que c’est tout à fait clair et j’espère effectivement qu’il y aura de nouvelles collectivités qui vont candidater à ce label et que d’autres vont, évidemment, gagner des marches dans les niveaux de labels.
Béatrice Jean-Jean : Tout à fait. Merci de m’avoir reçue.
Frédéric Couchet : De rien. Au plaisir de se voir bientôt. Je te souhaite une bonne journée en tout cas.
Béatrice Jean-Jean : Merci beaucoup. Au revoir.
Frédéric Couchet : Au revoir.

1 h 09 16

J’encourage évidemment les collectivités à aller voir le site du Territoire Numérique Libre, mais également les autres personnes pour voir quelles collectivités sont labellisées ; peut-être que vous habitez dans une collectivité qui a été labellisée !
On va attaquer notre dernier sujet qui est un sujet un peu récurrent qui va nous occuper encore d’autres émissions je pense, on pourrait presque dire malheureusement. C’est le point sur la directive droit d’auteur suite au vote le 12 septembre 2018 au Parlement européen. Étienne est toujours là, il va pouvoir faire un petit point sur ce qui s’est passé lors de ce vote et puis ce qui va se passer dans les mois à venir. Étienne.
Étienne Gonnu : Oui, tu en parlais. Donc vote important qui a eu lieu le 12 septembre et dont le résultat nous a assez fortement déçus. Comme on le titrait dans notre communiqué de presse du 13 septembre, le lendemain de ce vote, mercredi 12 a été une journée noire pour les libertés sur Internet. Les parlementaires européens ont adopté la proposition de directive à 438 voix contre 226, donc quand même une majorité très large et, dans le texte qu’ils ont adopté, ils ont adopté la généralisation du filtrage automatisé de l’article 13 dont on vous a déjà largement parlé dans nos précédentes émissions.
Plus concrètement, ils ont voté la version de l’article 13 du rapporteur Axel Voss qui, si vous vous en souvenez bien, est le rapporteur à la commission JURI, « affaires légales », et le texte qui a été voté ce mercredi 12 correspond plus ou moins à la version qui avait été votée en juin et sur laquelle le mandat [du rapporteur, NdT] avait été rejeté en juillet. Ce rejet de juillet nous a conduits à ce vote du 12 septembre.
Cette version du texte qui a été votée, malheureusement, était une des pires qui étaient soumises aux parlementaires parce qu’elle contient les graves menaces que nous avions identifiées, notamment un filtrage généralisé qui s’ensuit d’un risque de censure.
On va noter quand même une bonne nouvelle, un lot de consolation, certes, mais qui a son importance : les plateformes de développement de logiciels libres ont bel et bien été exclues du champ d’application de l’article, sans distinction basée sur le but lucratif de la plateforme. Donc la version que portera le Parlement européen exclut bien les plateformes logicielles.
La suite, maintenant ce qui se passe : le Parlement européen a adopté ce texte et commence aujourd’hui ce qu’on appelle le « trilogue », qu’on avait déjà évoqué aussi ; c’est-à-dire que le Parlement européen va porter ce texte-là, sa version ; il va négocier avec les représentants du Conseil de l’Union européenne, donc les représentants des États membres, et avec la Commission européenne ; ils vont négocier entre eux un texte final qui sera, normalement début 2019, soumis au vote final des parlementaires européens.
Dans le communiqué de presse on avait un peu détaillé. Malheureusement on voit bien côté français, et sans grande surprise, qu’il y a eu un large soutien aux dispositions rétrogrades et liberticides de l’article 13.
Seuls dix parlementaires français ont voté contre l’article 13 ; ils étaient issus des groupes EFDD [Europe de la liberté et de la démocratie directe], donc plutôt les eurosceptiques, GU qui est le groupe unitaire de la gauche, plutôt front de gauche donc, et les Verts. Et sur ces six, seuls quatre ont rejeté complètement la directive et c’est ce que nous on défendait parce que c’était la seule manière de vraiment reprendre les débats et les réflexions à zéro sur des bases plus saines. Et ce sera tout l’enjeu : réussir à faire sauter la directive lors du prochain vote au Parlement afin de pouvoir mener des débats à peu près sereins sur la question.
On peut malheureusement constater que les deux principaux groupes français que sont donc le PPE [Parti populaire européen] qui correspond à peu près à Les Républicains et S&D [Alliance progressiste des socialistes et démocrates] qui correspond à peu près au PS, eux ont voté intégralement en faveur de ce texte.
Alors c’est un coup dur, mais, comme je vous disais, ce n’est pas fini. La directive en elle-même n’a pas été votée ; c’est juste une version, la version sur laquelle le Parlement européen va négocier avec les autres institutions. Le « trilogue » a commencé ; c’est une étape qui se passe beaucoup derrière des portes closes.
Frédéric Couchet : Elle a même commencé aujourd’hui.
Étienne Gonnu : Oui, elle a commencé aujourd’hui, tout à fait.
Frédéric Couchet : Nous sommes pile-poil dans l’actualité, à point !
Étienne Gonnu : S’ils nous écoutent !
Frédéric Couchet : D’ailleurs j’ai une petite question : tu dis que le Parlement européen va négocier avec le Conseil européen et la Commission, mais, en fait, ce n’est pas tout le Parlement qui va négocier ; ils vont peut-être mandater quelqu’un pour négocier en particulier.
Étienne Gonnu : Tout à fait. Ce serait le rapporteur Axel Voss.
Frédéric Couchet : Le fameux en faveur de tout ce qui est effectivement filtrage automatisé, etc.
Étienne Gonnu : Voilà. Dont la compétence nous montre qu’il y a certains éléments à l’intérieur même du texte dont il n’avait pas connaissance ou alors il avait mal mesuré les effets pervers du dit texte.
Frédéric Couchet : Oui, c’était sur les vidéos ou les photos prises dans les matches de sport par des fans. C’est ça ?
Étienne Gonnu : Voilà. Il avait lu rapidement le texte ; il pensait que c’était une manière de préserver, peut-être, les droits de diffusion des télés et donc d’empêcher, peut-être, les personnes de faire des flux non autorisés.
Frédéric Couchet : En direct.
Étienne Gonnu : Voilà. Du coup n’importe qui prenant des photos d’un match, où qu’il se situe, qui partagerait ça sur les réseaux, en fait se situerait dans l’illégalité ; donc avec le texte voté — il l’a dit lui-même, il n’avait pas vu, il n’avait pas fait gaffe — eh bien on serait dans l’illégalité en diffusant des photos sur les réseaux qu’on prendrait pendant un match de foot ou autre sport. On voit le niveau de compétence et surtout le sérieux donné à ce texte qui était assez dramatique, notamment quand on voit la mobilisation qu’il y a derrière.
C’est vrai que c’est une étape qui est un peu compliquée ; il y a assez peu d’actions directes à mener parce que c’est vraiment derrière des portes closes. On va quand même agir ne serait-ce que pour assurer l’exclusion vraiment ferme et définitive des plateformes de développement de logiciels libres. Le Parlement européen a bien validé qu’il n’y aurait pas de critères basés sur le but lucratif. Le Conseil de l’Union européenne, lui, avait un texte, la version de ce texte-là, et identiquement pour la version de la Commission européenne, contenait un critère qui n’excluait que les plateformes de développement de logiciels libres à but non lucratif. C’est une distinction qui est absurde !
Le gouvernement français, dans une réponse à une question écrite, semble dire « ne vous inquiétez pas, il n’y aura pas de souci » ; donc on va essayer de s’assurer que le gouvernent français, du moins le représentant de la France, traduise ces belles paroles en actes.
Frédéric Couchet : En fait, propose au Conseil de faire converger sa position, cette exclusion, vers la position du Parlement européen, donc de supprimer ce but non lucratif, de manière à ce que ça exclue toutes les plateformes, qu’elles soient à but lucratif ou non lucratives. Mais c’est juste un petit patch, on pourrait dire, qui ne remet pas en cause le fait que cette directive est d’une absurdité complète et qu’il faudra, de toutes façons, essayer de la faire rejeter lors du vote final au Parlement européen.
Étienne Gonnu : Tout à fait. C’est juste une précaution, en tout cas si on arrive au moins à enclencher pour minimiser les effets de bord. Mais bien sûr, il est hors de question de se satisfaire de cette exception. C’est pour ça que je parlais d’un lot de consolation qui est indispensable si jamais la directive finit pas passer. Donc il faut agir pour ça, pour préserver au moins cela, mais il est hors de question de s’en satisfaire ; on est bien d’accord.
Tu le disais, il y a un texte qui va sortir, qui va être le fruit de ces négociations interinstitutionnelles, de ce « trilogue ». Il y a des votes qui devraient arriver, le vote des parlementaires européens qui se profile [les élections européennes en mai 2019, NdT], donc selon toute vraisemblance, début 2019, les parlementaires vont voter pour adopter ou rejeter le texte qui va sortir de ces négociations.
Bien sûr, inutile de dire que ce ne sera pas facile, les cotes ne sont pas avec nous, mais renverser la table reste tout à fait possible. Et le fait que les élections se profilent va faire que c’est une période où les élus vont se montrer particulièrement attentifs à l’opinion publique, c’est assez classique, et c’est à nous de profiter de la caisse de résonance que ça va nous offrir pour vraiment faire entendre nos voix, pour réaffirmer que nous refusons que soit inscrit dans la directive, dans la loi en général, le principe de filtrage automatisé des contenus, de ce que nous partageons. Ils ont beau avoir empilé des exceptions, ils ont beau avoir mis des critères qui, soi-disant, limiteraient l’impact de la directive aux seuls GAFAM, ça ne suffit pas ; on sait très bien qu’une fois qu’un principe est inscrit dans la loi ce n’est qu’une question de temps avant qu’il soit généralisé. Moi j’imagine très bien les industries culturelles revenant nous voir dans dix ans plus tard en disant « l’article 13 fonctionne très bien sur YouTube, mais regardez les vilains contrevenants, ceux qui violent le droit d’auteur utilisent les plus petites plateformes, donc il faut régler ce trou-là il, faut étendre le dispositif ». C’est quelque chose d’assez classique ; ça m’évoque l’allégorie de la grenouille qui se laisse doucement ébouillantée. Il est hors de question que ce principe…
Frédéric Couchet : Surtout qu’ils n’attendront pas dix ans !
Étienne Gonnu : Ils n’attendront sans doute pas dix ans. Il est toujours temps de faire du bruit. C’est un coup dur mais le combat continue ; il ne faut surtout pas minimiser nos chances de réussir à renverser la table et, de toutes façons, on restera sur le créneau pour défendre les libertés informatiques, pour défendre nos libertés en ligne.
Frédéric Couchet : Ce qu’il faut retenir, effectivement, c’est que c’est un vote négatif parce que la directive est toujours là, elle a été donc été adoptée en sorte de première lecture, mais il sera encore possible d’agir quand ça va revenir pour le vote final, parce que, évidemment, le texte va évoluer : ils vont sans doute retirer quelque chose, peut-être rajouter des petits trucs et essayer de converger sur des points ; et ça sera à quelques mois des échéances européennes, il faut rappeler qu’il y a des élections européennes en 2019. Donc voilà ! La mobilisation n’est pas terminée, je pense qu’on aura l’occasion de reparler de ce sujet lors d’une prochaine émission. Je crois que sur le site saveyourinternet.eu il y un point de la situation. Est-ce que le texte final d’ailleurs, actuellement voté, texte final ! enfin le texte voté par le Parlement européen est disponible facilement ?
Étienne Gonnu : Facilement… ? C’est vrai que ça c’est une des difficultés quand on suit les affaires institutionnelles au niveau de l’Europe : ils ont tendance à mettre leurs textes un peu partout ; je ne sais pas comment ça fonctionne, mais on vous a mis le lien, le lien sera disponible sur april.org. De la même manière, quand on lit ce texte, en fait ça vous propose d’un côté la version originale qui est celle de la Commission et la version amendée, puisqu’en réalité c’est ça, du Parlement européen ; ça permet déjà de voir une évolution. La manière de le lire aussi : une directive européenne commence d’abord pas une liste de considérants ; ça montre un peu l’intention du législateur en faisant sa loi, ça a son importance, notamment pour les interprétations des juges quand elles vont avoir lieu, suivi ensuite des articles donc, on va dire, le dur du sujet. L’article 13 étant celui qui pose, même si le mot n’est pas écrit dedans, qui pose très clairement le principe d’un filtrage rendant responsables, en fait, des acteurs — on peut les appeler hébergeurs, plateformes, services, appelons-les comme on veut —, mais qu’ils veulent rendre responsables de contenus dont ils n’ont pas vocation à avoir connaissance, ce qui pousse à un filtrage, ce qui pousse à une surveillance de ce qu’on met en ligne. L’article 2, lui, contient l’exception pour les plateformes de développement de logiciels libres. Le lien sera sur le site. C’est une bonne manière aussi de s’approprier un peu le sujet ; même si ce ne sont pas des textes qui sont évidents à lire, ils sont assez parlants.
Donc il sera temps, début 2019, de prendre contact avec les parlementaires, de leur dire « écoutez ce qu’on a à dire », de montrer qu’il y a une mobilisation, de faire du bruit, de leur faire peut-être peur par rapport aux élections à venir sur le fait qu’il y a une mobilisation citoyenne réelle et engagée sur ces questions.
Frédéric Couchet : Écoute merci Étienne. De toutes façons on reparlera de ce sujet bientôt.
L’émission ne se termine pas tout de suite. Il reste encore un petit peu de temps. Comme on est un tout petit poil en avance, je vais en profiter pour signaler une action qu’a menée le groupe de travail Libre Association de l’April récemment.
Ce groupe de travail Libre Association est un groupe que n’importe qui peut rejoindre — il y a une liste de discussion — qui vise à sensibiliser les associations autour du logiciel libre et de les accompagner à prendre de bonnes pratiques et faciliter leurs échanges.
Récemment, ce groupe s’est rendu compte que pour poser des demandes de subvention — sur le site officiel de l’administration française vous avez les formulaires dits Cerfa — eh bien les associations étaient invitées à télécharger et à remplir un canevas au format PDF, mais ce document n’était pas du tout utilisable sur un système libre ; il nécessitait un outil privateur. Malgré les demandes du mouvement associatif de Bourgogne Franche-Comté qui avait signalé ce problème en juin 2018, aucune réponse officielle n’avait été apportée.
Le groupe de travail Libre Association a décidé d’agir et donc de mettre à disposition une version accessible pour les structures et personnes ayant fait le choix d’utiliser des logiciels libres. Donc ils ont refait ce formulaire dans un format ODT, OpenDocument. On l’a mis en ligne sur le site du groupe de travail Libre Association, c’est libreassociation.info, et, ce qui est intéressant, c’est que, assez rapidement, quelques jours plus tard je crois, ce document a été rajouté sur le site officiel du service public. Maintenant, quand vous allez sur le site officiel du service public dans lequel vous pouvez télécharger ce fameux PDF non accessible, en dessous il y a la version OpenDocument.
Je voulais féliciter les membres du groupe de travail Libre Association et aussi la réactivité de l’administration d’avoir mis en ligne ce texte, même s’il aurait été évidemment mieux de mettre directement un formulaire accessible.
C’est un exemple de petite action — petite action non ! une action très importante — qui prend du temps et qui a un effet positif immédiatement.
Le temps passe vite, je vois qu’Olivier en régie va bientôt lâcher la pause musicale donc on va passer aux actualités à venir pour l’April, notamment, et le monde du logiciel libre.
Pour les gens qui habitent en région parisienne, jeudi soir il y a la soirée de contribution au Libre, donc jeudi 4 octobre à la FPH dans le 11e arrondissement de Paris. Si vous voulez contribuer au logiciel libre, en fonction de vos compétences, vous êtes les bienvenus.
Samedi, Premier samedi à la Cité des sciences et de l’industrie à partir de 14 heures. Là c’est principalement si vous voulez suivre des conférences, vous faire aider à installer un système libre.
Ce week-end c’est à Marseille, un événement important pour l’April, c’est un April Camp que nous organisons les 6 et 7 octobre. Un April Camp, simplement, on a pris un lieu, c’est en l’occurrence un bar associatif qui s’appelle le Foyer du Peuple, et pendant deux jours on va être présents, moi je serai présent, et on sera disponibles pour échanger, pour travailler sur des projets de l’April, pour lancer de nouveaux projets. Toutes les personnes sont les bienvenues, toutes les compétences sont les bienvenues. Si vous voulez simplement discuter, vous pouvez passer. Il y aura un apéro le samedi soir donc le samedi 6 à partir de 19 heures. N’hésitez surtout pas à nous rejoindre.
Comme j’en suis à parler d’apéro, le prochain apéro de l’April à Paris c’est le vendredi 19 octobre, dans le 14e arrondissement.
Il y a un apéro April à Montpellier le jeudi 18 octobre.
Tous ces événements que je vous annonce évidemment vous les retrouvez sur l’Agenda du Libre, agendadulibre.org., et bien d’autres événements. D’autres événements qui sont à venir à Paris et ailleurs. Si Olive avait été en régie j’aurais parlé de l’événement des 8 et 9 décembre à la Cité des sciences et de l’industrie parce qu’il parait qu’il faut citer l’Ubuntu Party à chaque émission, j’ai entendu parler de ça lors de Pause commune [autre émission de la radio Cause commune, NdT]. Enfin c’est fait ! Des occasions de nous voir soit à Paris, soit à Marseille, soit à Montpellier. Venez ! Avec plaisir.
Je vais par finir par rappeler qu’une radio ça a besoin d’aide financière pour payer notamment le matériel, donc n’hésitez pas à faire un petit don sur le site cause-commune.fm.
La prochaine émission sera diffusée mardi 6 novembre 2018 de 15 heures 30 à 17 heures.
Notre émission se termine. Vous retrouverez sur notre site web april.org toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio Cause commune. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée ; on se retrouve le 6 novembre. D’ici là portez-vous bien. Et nous nous quittons en musique avec Wesh Tone de Realaze.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.