Internet et ses débuts - Les femmes dans l’informatique Pas Sage en Steïr

On pense souvent Internet comme étant exclusivement l’apanage des hommes et pourtant les femmes y ont une place importante.

Brigitte : Rebonjour puisqu’il y a des gens nouveaux.
Maintenant, je vais donner le micro à Isabella, qui est de l’April, à qui j’avais demandé : est-ce que tu pourrais nous faire une petite conférence sur Internet et la place des femmes, sur l’histoire et sur le numérique en général, toutes ces choses. Quand on utilise Internet, quand on est sur Internet, on s’aperçoit qu’on ne voit pas beaucoup les femmes. Qu’est ce qu’il se passe ? Est-ce que ça a toujours été le cas ?

Isabella Vanni : Merci Brigitte, au Centre des Abeilles, qui nous ont invités.
Comme Brigitte vient de vous dire, je suis de l’association April. Comme Brigitte je ne suis pas informaticienne, je suis plutôt une utilisatrice d’Internet, d’informatique, de numérique. Dans l’association April, je m’occupe notamment de promotion du logiciel libre, de promotion de ses principes, de son éthique. L’association est très complémentaire d’autres associations, par exemple Framasoft [1], qui produit des outils, même si l’April aussi met à disposition des services en ligne. On peut faire plein de choses ensemble et nos actions sont complémentaires, comme je le disais.

Les femmes dans l’informatique

Dans l’informatique, dans le numérique, dans l’histoire de l’informatique, quand on pense à l’histoire de l’informatique, ce ne sont pas des visages de femmes qui surgissent tout de suite, ce sont plutôt des visages d’hommes. Est-ce que ça a toujours été le cas et pourquoi est-ce comme ça ? Est-ce que parce qu’il n’y en a pas ou est-ce juste parce qu’on ne les voit pas ? Elles ne sont pas là ou peut-être ont-elles été oubliées ? En fait, il faut aller chercher un peu plus loin pour les trouver. C’est un peu le but de cette petite présentation : vous montrer qu’elles étaient bien là, qu’elles ont même été des pionnières, voire des visionnaires de l’informatique et d’Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui, mais quelles ont été effectivement oubliées.
Pour que notre action soit reconnue et visible, pour qu’on se souvienne de nous, il faut déjà avoir fait une action dans l’espace public, il faut être crédité pour cette action et il faut aussi que cette action soit médiatisée, c’est-à-dire qu’on parle de nous, et les femmes ont de grandes difficultés à franchir ces trois étapes. Ça ne concerne pas que l’informatique, ça concerne plein de domaines, la science en général.

Rosalind Franklin

Par exemple, si je montre cette image, avez-vous une idée de qui est cette femme ? J’ai deux réponses positives, quand même, trois/quatre, parce qu’on en a parlé. Cette dame extraordinaire a fourni la preuve de la double hélice de l’ADN. Elle s’appelait, parce qu’elle est décédée, Rosalind Franklin, et son travail, la première photographie de l’ADN, lui a été dérobé à son insu et trois hommes ont obtenu le Nobel pour la médecine, en s’appuyant sur ses travaux, alors qu’elle était décédée. Elle aurait pu recevoir le Nobel après sa mort parce que c’était possible de le décerner après la mort de la personne [ À l’époque, il était encore possible de l’obtenir à titre posthume, aujourd’hui ce n’est plus possible, NdT].

Public : Inaudible.

Isabella Vanni : Ah bon ! De son vivant ? Il y avait une information erronée sur Wikipédia ? Incroyable ! En tout cas, un seul des trois l’a remerciée lors de la cérémonie, un a même nié l’importance de son travail. Tout cela pour vous dire qu’il faut déjà être crédité pour son travail et ce n’est pas évident.

ENIAC six

J’ai dû faire une sélection des sujets dont je vais parler aujourd’hui parce que le temps n’est pas énorme.
Là vous voyez en photo des femmes qui travaillent sur l’un des premiers ordinateurs, l’ENIAC, qui était censé calculer la trajectoire de projectiles, c’étaient des calculs balistiques, on est en pleine Deuxième Guerre mondiale. Comme vous le voyez, les ordinateurs de l’époque ne rassemblent pas du tout à ce qu’on utilise aujourd’hui. C’étaient d’énormes machins qui remplissaient des pièces énormes aussi.
Ces deux femmes sont en train de programmer cette énorme machine et, comme il s’agit d’un projet militaire, elles n’ont même pas le droit d’accéder au manuel, parce que ça reste secret, et elles ne peuvent pas utiliser un langage de programmation parce que cela n’existait pas encore à l’époque – un langage de programmation ça permet de donner des instructions aux machines. La possibilité qu’elles avaient pour le programmer, c’était de le faire manuellement, comment on voit ici, en branchant et en débranchant sur la machine et, ce faisant, elles sont devenues expertes de la machine, elles savaient même la réparer. Elles avaient inventé des techniques de programmation, elles avaient appris à corriger des bogues. On les appelle les ENIAC six [2], parce quelles étaient six femmes programmatrices qui permettaient à cet ordinateur de calculer en quelques instants ce qui, avant, nécessitait plusieurs heures, on parlait même de jours, de calculs. Et qui faisait ces calculs ? C’étaient des femmes. En fait, avant d’avoir des ordinateurs, on avait des calculatrices, c’est-à-dire qu’avec les deux guerres mondiales, on s’est « rabattu », entre guillemets, parce que c’est un peu cela qui s’est passé dans la tête des recruteurs, on a recruté plein de femmes pour faire ces calculs qui étaient très minutieux, très fastidieux et très importants aussi.
En fait, les ENIAC six ont permis d’éviter de se passer de ce travail de calculs et permettre que la machine le fasse en quelques instants, mais leur travail n’a pas été du tout valorisé, c’était considéré comme un sous-produit. Ce qui était important c’était la machine, le matériel qui avait été conçu par des hommes, mais tout ce travail incroyable, toutes ces compétences de mathématiciennes et d’expertes, n’était pas reconnu au point que les deux femmes qui ont présenté le premier calcul lors du lancement officiel de l’ENIAC n’ont même pas été invitées à la soirée de gala et les journaux n’ont pas parlé de tout ce travail de programmation, ils ont parlé juste des concepteurs.
C’est donc comme cela qu’on invisibilise le travail des femmes, en le réduisant à un sous-produit, en le marginalisant.
C’est l’une des premières raisons pour lesquelles on fatigue à les trouver. Mais après, fort heureusement, leur travail a été redécouvert, un documentaire est sorti en 2014 [The Computers : The Remarkable Story of the ENIAC Programmers], qui montre toute l’importance de leur travail.

Ada Lovelace

Je disais qu’elles ont programmé cet ordinateur, elles peuvent en effet être considérées les toutes premières programmatrices matérielles d’un ordinateur, quoique la toute première programmatrice en réalité a vécu un siècle plus tôt, il s’agit de Ada Lovelace [3]. Je pose la même question : connaissez-vous un petit peu Ada Lovelace ? Cette fois, il y a plus de mains qui se lèvent.
Je ne vais pas faire toute l’histoire parce qu’on n’a pas beaucoup de temps. Elle a vécu au 19e et en 1842, je crois, elle a publié un mémoire, en fait la traduction d’un travail fait par un mathématicien italien à propos de la machine à calculer de Babbage, et elle a mis tellement de notes que sa traduction faisait le double du traité du mathématicien italien et c’est dans cette publication qu’on trouve le premier programme exécutable par une machine. C’est vraiment Ada Lovelace la toute première personne qui a écrit un programme informatique et c’est une femme. Elle était tombée dans l’oubli, elle aussi bien sûr, mais fort heureusement elle a été redécouverte avec l’essor de l’informatique dans les années 70, il y a même un langage informatique qui porte son nom, Ada, et il y a même un Ada Lovelace Day qui a été institué en 2009, qui a lieu le deuxième mardi d’octobre de chaque année, qui a pour but de rendre hommage aux femmes qui ont accompli des faits importants dans le champ de l’informatique, mais aussi des sciences, de la technologie, etc.

Hedy Lamarr

Je sais pas si cette image en noir et blanc vous dit quelque chose. C’est une actrice [Hedy Lamarr] [4] qui était très connue dans les années 40. Il se trouve que cette personne n’était pas seulement une actrice mais que c’était aussi une inventrice, quelqu’un de génial qui était passionné par les machines, passionné par les armes aussi, et qui brouillonnait des inventions incroyables, qui les couchait sur le papier. L’une de ses inventions était assez d’ailleurs exceptionnelle, c’était un système qui permettait, en gros, de guider les torpilles sans se faire détecter. C’était donc une invention assez géniale que la marine n’a pas voulu mettre en pratique parce qu’elle se disait que c’était irréalisable. Je ne sais pas s’ils se sont dit « c’est irréalisable, inconcevable, parce que c’est une femme qui l’a produit », mais c’est une invention incroyable qui n’a pas du tout été prise en considération. C’est sur la base de cette technologie qu’elle avait imaginée, qu’elle avait inventée, que d’autres technologies se sont appuyées et qui ont porté, par exemple, à l’invention du wifi.
On lit sur les sites ce raccourci « Hedy Lamarr a inventé le wifi », non pas du tout. Elle a inventé une technologie sur laquelle on a pu se baser. Son travail d’inventrice est passé en deuxième plan, et c’est bien dommage, par rapport à son travail d’actrice.

Grace Hopper

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a quand même des femmes qui ont réussi à être honorées et célébrées de leur vivant. L’une de ces femmes est Grace Hopper [5]. Sur les photos, on la voit souvent habillée en officier de marine parce qu’elle était dans la marine américaine. Elle a joué un rôle fondamental dans l’histoire de l’informatique parce qu’elle a eu l’intuition géniale du compilateur.
Qu’est-ce qu’un compilateur ? Qu’est-ce que la compilation ? Il faut donner des instructions aux machines pour qu’elles puissent donner les résultats qu’on attend, mais les machines ne comprennent que les zéros et les uns, ce n’est pas du tout le langage humain, ça n’y rassemble pas du tout. Avant qu’elle invente le compilateur, la notion de compilation, les machines interprétaient les lignes d’instructions une par une et ensuite donnaient le résultat. Elle invente un logiciel qui permet de traduire directement, dans le langage de la machine, toutes les instructions et d’en faire un fichier exécutable, donc la machine peut le lire tout de suite. C’est donc grâce à elle qu’on a pu l’avoir et ce n’est pas rien. En plus, en réalisant le compilateur pour le langage Cobol, écrit sur la feuille qu’elle tient dans la main, donc un langage informatique, elle a permis aussi, si on veut, la démocratisation de la programmation parce qu’avant c’était juste l’apanage de quelques spécialistes en mathématiques très pointues et aujourd’hui on peut plus facilement apprendre des langages informatiques qui ressemblent finalement beaucoup au langage humain. Ce n’est pas exactement du langage humain, si on essaye de le lire, on ne comprend pas grand-chose, mais on peut voir pas mal de mots en anglais, par exemple, etc., en tout cas c’est beaucoup plus simple de donner des instructions en passant par ça. Du coup, elle a vraiment été importante pour cette démocratisation.

Margaret Hamilton

Et cette photo que j’adore, cette photo magnifique, je ne sais pas si vous l’avez déjà vue, il y a quelques mains qui se lèvent quand même, je vous présente Margaret Hamilton [6]. Sur cette photo magnifique, elle est photographiée à côté du code de navigation de l’Apollo 11, ce qui a permis au premier homme d’arriver sur la lune en 1969. Elle dirigeait l’équipe qui a développé les logiciels embarqués dans le vaisseau spatial, qui a permis le départ, déjà, la navigation et l’alunissage. Fort heureusement, elle a pu être honorée pour sa contribution à la programmation.

Alice Recoque

Jusqu’à présent, je vous ai parlé de femmes américaines ou anglaises, c’est le cas Ada Lovelace. Et en France, y a-t-il eu des femmes importantes dans l’histoire d’informatique ? S’en souvient-on ? Non ! Pas trop !
En fait oui. Une femme française a été pionnière dans l’informatique française et internationale et même visionnaire, elle s’appelle Alice Recoque [7]. Je n’ai pas pu vous mettre de photo d’elle, même sur Wikipédia où normalement on trouve plein de photos sous licence libre, je n’en ai pas trouvé, j’ai donc mis la couverture de la première biographie qui lui a été consacrée en 2024, par une autre femme, Marion Carré [8], entrepreneuse et experte notamment en intelligence artificielle. Je vous ai mis cette couverture. Je vous disais qu’Alice Recoque est pionnière, elle aussi, dans la démocratisation dans l’informatique. Elle a travaillé à l’un des tout premiers micro-ordinateurs et c’est très important quand vous voulez démocratiser l’informatique. Je vous ai montré à quoi ressemblaient les ordinateurs à l’époque, si on veut faire entrer un ordinateur chez soi il faudra, à un moment, le miniaturiser. Elle a travaillé au premier micro-ordinateur et en plus elle s’est aussi penchée sur la façon de rendre l’ordinateur le plus convivial possible pour que ce soit justement accessible au plus grand nombre, c’est pour cela que je parle de démocratisation. Elle n’utilisait pas l’adjectif « convivial ». Elle a été interviewée sur Radio France à la fin des années 90, elle utilise l’adjectif « conversationnel » que je trouve très marrant, très rigolo, ce qui veut dire comment faire pour que ce soit plus accessible. Par exemple, ce qui est très intéressant, ce sont les périphériques : un clavier, un écran, ce qui permet d’interagir de manière plus simple et plus accessible et ça ne s’arrête pas là. Déjà, rien que cela c’est très important, mais en plus, elle a travaillé aussi sur un autre ordinateur qui avait pour but de répondre le plus rapidement possible à un signal. Je ne descends pas dans les aspects techniques, de toute façon moi non plus je ne les ai pas compris. Ce qui est important c’est que ce projet, qui s’appelait Mitra 15 [9], a été fondamental pour la mise en réseau d’ordinateurs, notamment le réseau Cyclades [10] qui était un réseau français concurrent et partenaire d’Arpanet, l’ancêtre d’Internet, plutôt côté États-Unis, donc super important, et ce même projet a été utilisé pour le projet de lancement de la fusée Ariane, donc pour le lancement des satellites.
Vous vous rendez compte de tout ce qu’elle a fait, d’hyper important, et pourtant cette dame, cette femme incroyable, a risqué d’être effacée de Wikipédia. Pourquoi ? L’argument était que pour être affiché, pour avoir une page sur Wikipédia, il faut avoir suffisamment de sources secondaires, c’est-à-dire qu’on ne peut pas se baser uniquement sur des sources primaires, par exemple le sujet qui parle de ses inventions, mais sur des travaux de personnes qui ont fait une analyse ou des commentaires sur les travaux, sur le sujet en question, par exemple des articles, des films, des monographies, des podcasts pourquoi pas. Il y a donc eu une discussion sur Wikipédia, parce qu’un mec, un homme, disait « comme il n’y a pas de sources secondaires, on ne peut pas l’admettre. » Finalement la page a été maintenue avec absence de consensus, mais Marion Carré s’est dit « le fait que la page soit maintenue juste pour cet argument-là, absence de consensus, ce n’est pas l’idéal. » En écrivant une monographie sur elle, un livre-enquête même, Qui a voulu effacer Alice Recoque ? [11] c’est fait exprès, désormais il sera impossible de l’effacer de Wikipédia parce qu’on a une source secondaire importante et en plus Marion Carré a même pu aller lire ses mémoires parce que la famille de Alice Recoque lui a fourni ses notes et tout. D’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle n’avait pas été médiatisée, c’est parce que quand elle travaillait, notamment dans les années 60, l’informatique n’avait pas encore le rôle qu’elle a aujourd’hui et en plus elle donnait la priorité à son travail donc elle ne répondait pas trop aux sollicitations. Je vous ai dit que l’interview qu’on connaît d’elle date seulement de la fin des années 90. Grâce à ce livre, elle ne sera jamais plus oubliée.

Les sans pagEs

C’est l’occasion pour moi de remercier le travail d’une association incroyable, les sans pagEs [12] qui justement se donne pour but d’écrire des pages, de consacrer des pages à des femmes, parce que aujourd’hui, sur Wikipédia, la majorité des pages biographiques, qui traitent d’une personne, sont consacrées aux hommes. Cette association fait un travail incroyable. Depuis huit/neuf ans, moment où elle a commencé, ce nombre de pages a augmenté : je crois qu’en huit ans, pas toute seule, grâce aux contributeurs et contributrices de Wikipédia bien sûr, il y a des milliers des milliers de pages ont été crées. En 2024, c’est la dernière donnée à disposition, une page sur cinq des pages biographiques était consacrée à une femme, alors que huit ans plus tôt ce n’était que 14 %. Cela veut dire que les femmes qui ont fait l’histoire, dans tous les domaines, existent bel et bien, il faut avoir envie de les chercher, de s’intéresser à elles. D’ailleurs Les sans pagEs appelle les journalistes, les chercheuses et chercheurs et toutes les personnes qui produisent de la connaissance à étudier, faire des recherches sur les femmes qui sont un peu moins connues parce que, sur les femmes très connues, on a déjà beaucoup de matériel, mais il faut réussir à mettre en valeur aussi celles qui, jusqu’à présent, n’ont pas été célébrées.

Sciences, un métier de femmes

Là vous avez une illustration d’une journée d’une initiative très belle, qui s’appelle « Sciences, un métier de femmes » [13], c’est l’édition 2024. Le but c’est de consacrer une journée, dans des lycées, avec des femmes scientifiques qui se présentent, qui présentent leur parcours, il y a des ateliers, il y a même des speed meetings, c’est-à-dire la possibilité, pour les étudiantes, de parler avec ces femmes scientifiques, de poser des questions, etc. Tout cela est fait pour montrer que oui, même si on ne les voit pas trop, oui c’est un métier aussi pour les femmes, c’est possible et c’est important de rendre visibles des femmes pour avoir des rôles modèles, en tout cas c’est le but, même si, parfois, on se dit « oh là, là, si on me met comme rôle modèle Rosalind Franklin qui a photographié l’ADN, c’est quand même un peu écrasant. » Les rôles modèles peuvent être aussi des modèles de proximité, ça peut être une professeure de maths qui nous encourage, ça peut être une femme scientifique qui présente son parcours et qui répond à nos questions lors de ces journées. Ce qui est important ce ne sont pas seulement les rôles modèles mais c’est aussi l’accompagnement – c’est un mot clé pour ces trois journées à Quimper –, l’accompagnement et le mentorat, c’est-à-dire encourager la personne, la soutenir, l’orienter et ce ne sont pas que les femmes qui peuvent faire cela, les hommes peuvent être aussi d’excellents mentors, donc n’hésitez pas à le faire si vous en avez la possibilité.

Là je vous ai mis le logo de l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, institut français, parce que, en 2021/2022, ils ont fait une énorme enquête pour voir le nombre de femmes qui travaillent dans l’informatique [14] et c’est très peu. À l’époque c’était entre 8 et 9 %. Quand je parle d’informatique, je parle des métiers vraiment techniques : programmer, s’occuper des systèmes d’information. Après, d’autres femmes travaillaient dans le numérique plus en général, ça pouvait être le graphisme, la communication, la gestion de projet, mais, en ce qui concerne le travail vraiment purement technique, on est sur ces statistiques-là en 2021/2022. Aujourd’hui je ne sais pas, je n’ai pas trouvé de sources. En tout cas, c’est assez marrant parce que 8 % c’est exactement le nombre de membres qui se déclarent femmes à l’April.
Notre association fait la promotion et la défense du logiciel libre, d’une informatique, qui nous respecte, basée sur une vision solidaire de l’informatique où il y a pas de hiérarchie entre les personnes qui programment et les personnes qui utilisent le logiciel, donc il n’y a pas de pouvoir de domination. On s’adresse à tout le monde, on s’adresse potentiellement à toutes les personnes qui utilisent l’informatique et pas qu’aux hommes. Comment se fait-il qu’on n’a que 8 % de membres qui se déclarent femmes ? Je précise que ce n’est pas une obligation de dire si on est femme ou homme, on peut mettre aussi « autre », « non précisé », etc., mais il se trouve qu’on a ce pourcentage-là. On imagine donc que c’est un peu le reflet de ce qui se passe aussi dans la profession, nous sommes très désolés de cette situation, mais c’est assez marrant que les statistiques coïncident comme ça.

Au départ, comme je disais, la programmation était considérée comme un sous-produit, ce qui était important c’était concevoir les machines, après, tout ce qui était calculs, trucs fastidieux, c’étaient des opératrices, elles n’étaient pas payées comme des hommes, comme des concepteurs.
L’informatique, dans les années 70 et encore plus dans les années 80, a commencé à avoir la place qu’on lui connaît aujourd’hui. Le métier s’est extrêmement valorisé. Les instituts où on peut apprendre à programmer ont ouvert parce qu’avant ce n’était pas le cas, avant il n’y avait pas d’écoles spécifiques pour l’informatique, c’est arrivé avec l’essor de l’informatique. Et chaque fois qu’un métier se valorise, les hommes s’engouffrent dedans. Les femmes n’ont pas arrêté de faire de l’informatique, mais une masse énorme d’hommes est arrivée et ils les ont pratiquement poussées dehors.
Mais ça n’arrive pas partout !
Savez-vous ce qu’est ce pays ? Je ne vous pose pas une colle, c’est vraiment pour la présentation, c’est une carte de la Malaisie. Une étude a été faite début des années 2000 parce qu’on a vu que plein de femmes faisaient de l’informatique en Malaisie. En fait, ce phénomène dont je vous parle, la minorité de femmes dans le monde informatique, c’est un phénomène qui concerne la France, l’Occident, les États-Unis mais pas forcément tous les pays, pas les pays de l’Asie du Sud-Est, pas les pays de l’Afrique du Nord. En Malaisie, les femmes font un choix genré, c’est-à-dire qu’en Malaisie l’informatique est considérée comme un métier de femme, donc complètement l’inverse de ce qui se passe en France. Pourquoi ? Parce que c’est un travail qui ne demande pas de force physique, ce n’est pas salissant, on peut télétravailler, on peut s’occuper des enfants et des personnes âgées en même temps. Ce qui est rigolo c’est qu’il y a plus de femmes programmatrices que de femmes qui font des métiers annexes, par exemple la communication, parce que quand on fait la communication on fait des déplacements, donc on se met plus en danger, une notion que les hommes n’ont peut-être pas trop en tête, mais une femme, dans l’espace public, court un risque permanent d’agressions sexistes et sexuelles. Le fait de faire un travail qui permet de télétravailler, de rester chez soi, ça les protège. C’est une notion avec laquelle les femmes vivent leur vie tout le temps.

Isabelle Collet

Pour compléter ma présentation, je voulais remercier Isabelle Collet. Isabelle Collet est informaticienne et aussi sociologue, elle est chercheuse à Genève et elle a réalisé, tout au début des années 2000, quand ça n’intéressait personne, une recherche très importante sur la place des femmes dans l’informatique, heureusement qu’elle était soutenue par un réseau de femmes, qui s’appelle « Femmes et mathématiques », et aujourd’hui ce n’est plus le cas, aujourd’hui elle est invitée partout [15]. C’est arrivé notamment après le phénomène #MeToo de 2017. Je vous ai mis le livre qu’elle a sorti en 2025, au début de l’année, Le numérique est l’affaire de toutes , qui reprend ce sujet de façon plus pédagogique, pour que ce soit compréhensible partout le monde, ce n’est pas un livre pour les chercheurs et chercheuses, c’est vraiment un livre d’accès très facile. Elle parle de ses recherches et elle donne aussi des idées, des prospectives : comment faire pour abattre les plafonds de verre, les murs et redonner aux femmes la place qu’elles méritent parce que c’est quand même la moitié de la population, ce serait dommage de se priver de la moitié des talents. Je la remercie parce que c’est en grande partie sur ce livre que j’ai basé la présentation.

Je vous remercie beaucoup pour votre attention et j’espère que, s’il y a des questions, toutes les personnes expertes ici dans la salle me donneront un coup de main. Aujourd’hui j’ai fait juste de la divulgation, je ne suis pas forcément spécialiste des sujets dont je vous ai parlé, j’espère que c’était compréhensible. Je vous invite, si ce sujet vous intéresse, que vous avez envie d’en parler autour de vous, sachez qu’on va publier cette présentation avec les notes sur le site de l’April et que c’est une présentation sous licence libre. Donc vous pouvez la récupérer, l’adapter, l’améliorer bien sûr, la partager autour de vous. Et si vous faites des présentations ou si vous faites des ressources et des documents, je vous invite vraiment à les publier sous licence libre, vous aiderez plein de gens à faire de la promotion autour de vous, parce que si vous ne publiez pas sous licence libre, par défaut c’est le droit d’auteur classique qui s’applique, il faut donc vous demander l’autorisation pour l’utiliser.
Merci beaucoup pour votre attention.

[Applaudissements]

Questions du public et réponses

Public : Je suis allée voir l’histoire du prix Nobel. En fait, quand ils ont eu le Nobel pour l’ADN, il était encore possible qu’une personne décédée obtienne le Nobel, la règle a changé quelques années après. Par contre, une règle qui était là à l’époque et qui est toujours d’actualité : pour un sujet, il ne peut y avoir que trois récipiendaires d’un prix. Ils étaient trois, peut-être ont-ils volontairement voulu choisir trois hommes ?

Isabella Vanni : Déjà, elle était morte. Merci beaucoup pour cette précision, on avait donc raison toutes les deux et surtout Wikipédia avait raison.

Public : Petite précision, parce que je ne connais pas trop mal l’histoire justement de Rosalind Franklin et la découverte de la double hélice d’ADN de par ma formation. Si je me souviens bien, à l’époque Rosalind était technicienne. C’est moins le cas maintenant, mais, à ce moment-là les techniciens été très rarement cités dans les publications. Que son travail ait été volé de cette façon ça ne m’étonne absolument pas ! Ce n’est pas pour autant que ce n’est pas scandaleux !

Isabella Vanni : Merci beaucoup pour cette précision importante.

Public : Je vous remercie d’avoir évoqué Alice Recoque que j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois à la SEMS [Société européenne de mini-informatique et systèmes] dans le cadre de la gamme Mitra sur laquelle j’ai aussi travaillé, je suis un vieux croûton de l’époque des ordinosaures. Ce n’est pas fini pour les femmes. Il n’y a pas très longtemps j’ai essayé sur Linkedin, ce n’est pas un gros mot, de faire la promotion du bouquin et j’ai été agressé par moult chercheurs qui ont dit sur Linkedin qu’elle n’avait qu’un rôle secondaire dans l’élaboration notamment du Mitra 15, c’étaient donc des ordinateurs temps réel avec une mémoire à tores de ferrite, des choses qu’on a complètement oubliées, du langage, et aussi des débuts de l’IA, parce qu’elle faisait un petit peu partie des pionnières, donc merci pour elle.

Isabella Vanni : Merci à vous pour ce témoignage, ça fait plaisir.

Public, Stéphane Bortzmeyer : J’ai suivi plusieurs exposés et conférences sur la place des femmes dans l’informatique. Tu as parlé de l’aspect médiatisation après, il y a des gens qui sont médiatisés d’autres pas, ça joue à tous les niveaux et je suis toujours un peu surpris qu’on cite toujours les mêmes exemples, ce sont toujours les mêmes ! C’est l’occasion de rappeler que l’informatique c’est quand même un peu plus varié que ça. Par exemple, on ne cite jamais Adele Goldberg [16], par exemple, l’inventeur du langage Smalltalt, langage qui a été très peu utilisé mais les idées qui étaient derrière, en matière d’interface utilisateur, d’interface de développement, programmation objet, tout ça, ont eu une grosse importance. De même, on ne cite jamais Radia Perlman [17].

Isabella Vanni : Elle était appelée « La mère de l’Internet ».

Public : Le terme est complètement faux, sa spécialité c’était le routage.
C’est un peu dommage que ce soit un peu toujours les mêmes.
Cet effet qu’il y a des gens qui sont mis en avant, qui sont médiatisés et d’autres pas, dépend du genre, dépend du classement social, comme technicienne versus scientifique, mais il y a aussi une bonne part d’arbitraire qui fait qu’il y en a d’autres, qu’il y en a beaucoup qui sont complètement oubliés.
Je comprends ton exposé, mais quand on a suivi plusieurs exposés comme ça – ce n’est pas forcément le cas de tout le monde –, c’est un peu lassant que ce soit toujours les trois ou quatre mêmes exemples qui soient cités.

Isabella Vanni : Comme j’ai dit au début, je n’ai pas cité les noms de toutes les personnes, j’ai voulu vraiment faire une sélection. Je n’étais pas experte forcément de ces sujets. Effectivement, si vous cherchez, vous en trouvez énormément. Merci pour cette précision. J’aurais effectivement pu mettre d’autres personnes, mais je me suis dit « grand public, on va déjà commencer par ça. » Pour une prochaine conférence, je vais les ajouter. Merci beaucoup.

Public : Merci beaucoup pour l’intervention. Pour cette conférence, j’avoue que sur les débuts d’Internet, par exemple dans les personnes invisibilisées, ce matin on a commencé par des remerciements à Tim Berners-Lee, dans les personnes qui ont écrit les premiers navigateurs web. Au tout début du World Wide Web, on a une certaine Nicola Pellow [18] qui, à priori, a écrit le navigateur qui a commencé à diffuser l’usage d’Internet au tout début, puisqu’il était plus facile, plus utilisable sur des machines différentes que le prototype initial, mais on parle de Tim Berners-Lee. Cela étant, de mémoire, elle est citée au musée du CERN, je n’ai pas sorti l’information de du néant.

Isabella Vanni : Merci pour cette information complémentaire.

Public, Stéphane Bortzmeyer : Le coup du navigateur plus facile, non, au contraire ! Tim Berners-Lee avait écrit un navigateur graphique relativement proche des navigateurs qu’on utilise aujourd’hui, mais qui ne tournait que sur NeXT, une plateforme pas très répandue. Nicola Pellow avait écrit le premier qui tournait sur Unix, un truc en ligne de commande, genre lynx mais en pire, ce n’était pas plus facile. Par contre, ça tournait sur des plateformes différentes, donc ça pouvait potentiellement avoir une diffusion plus large. En pratique, ça a vite capoté, elle n’est pas restée très longtemps dans le projet, il n’y a donc pas eu de suite à ce logiciel.

Isabella Vanni : Merci.

Public : J’ai beaucoup aimé la citation sur le livre d’Isabelle Collet : « on laisse 80 % de l’informatique à des hommes blancs, privilégiés », si je ne dis pas de bêtise.

Isabella Vanni : Je la lis pour l’enregistrement : « Comment peut-on admettre une transition numérique imaginée, construite et gérée par une population homogène à 80 % d’hommes blancs de milieux favorisés ? »

Public : J’ai des amis hommes, ne vous vexez pas, mais après on a des trucs comme l’IA et compagnie et cette situation où les mecs font n’importe quoi est vraiment très énervante. Bref ! À l’opposé, tu disais que tu avais peut-être d’autres exemples en tête que tu n’avais pas cités. Je me demandais si on a des exemples de personnes racisées, de meufs racisées, qui ne sont pas blanches de peau, qui ont fait date dans l’histoire de l’informatique. Ou ont-elles été complètement invisibilisées, ce qui ne serait pas hyper étonnant non plus ?

Isabella Vanni : C’est une bonne question à laquelle je ne sais pas répondre. Je suis sûre que dans la salle il y a peut-être des personnes… J’espère que dans la salle, j’aimerais. C’est une bonne question. Merci.

Public : Ce n’est pas forcément sur l’informatique. Isabella, tu as parlé des calculatrices. Il y a des calculatrices noires pour tout ce qui était calculs pour la NASA, d’ailleurs il y a un film là-dessus, Les Figures de l’ombre. Ce n’est pas en informatique.

Isabella Vanni : Merci. C’est une présentation coconstruite, c’était le but parce que je ne suis pas experte de ces sujets, donc merci beaucoup pour vos contributions.

Public : Pour ajouter, il y a aussi, effectivement, ce côté syndrome de l’imposteur des femmes par rapport aux métiers scientifiques, notamment aux métiers informatiques. Je ne suis pas informaticienne, je suis designer, mais je connais quand même pas mal l’informatique, je suis freelance pour les projets de beta.gouv [19], qui sont les startups d’État dans tous les projets numériques novateurs. Aujourd’hui 1400 personnes bossent sur beta.gouv avec différents métiers, évidemment le métier de développeur. Je dirais que 90 % ce sont des hommes, très peu de femmes postulent. Pendant pas mal de temps, j’ai eu accès aux offres sur Welcome to the Jungle [20] et je voyais qui postulait : sur les offres de développeurs, il n’y avait quasiment jamais de femmes.
Pour les postes de designers, sur lequel je suis, qui est effectivement moins technique, il y avait plutôt une grosse proportion de femmes qui, globalement, demandaient un salaire journalier moindre que celui des garçons.
J’ai deux exemples probants : une fois il y avait un poste de Lead UX designer, donc quelqu’un qui allait gérer une équipe, là le nombre de candidatures femmes a baissé et une fois il y a eu un poste d’UX designer pour l’ANSSI, l’Agence nationale de sécurité des systèmes de sécurité informatique du gouvernement, et là bizarrement, je ne sais pas pourquoi, sur 40 candidats je crois qu’il y a eu deux femmes. Comme si le fait que c’était un environnement technique elles s’étaient toutes auto-censurées, elles se sont dit « non, on ne va pas y aller. »
Il y a le côté des environnements peut-être un peu plus techniques qui leur font peur et puis le côté TJM [Taux journalier moyen], salaire, « je vais demander moins, je ne me sens pas apte à demander autant que les hommes. »

Isabella Vanni : Merci beaucoup pour ce témoignage, en plus un retour d’expérience. Un livre est sorti il y a plusieurs années en Amérique qui s’appelait Women Don’t Ask : The High Cost of Avoiding Negotiation—and Positive Strategies for Change, pourquoi pas, intéressant, pourquoi elles n’osent pas ? En fait, si vous lisez les travaux d’Isabelle Collet, elle va vous dire « mais pourquoi vous mettez toujours la responsabilité sur les épaules des femmes : "ce sont les femmes qui n’osent pas, ce sont les femmes qui ont peur…". » Il y en a qui parlent aussi d’autocensure des femmes. Est-ce que c’est de l’autocensure ou est-ce que c’est de la lucidité ? Quand on voit, dans le monde, que le pouvoir politique, économique, religieux ce sont des hommes blancs, les plus médiatisés sont des hommes blancs, milieux favorisés, etc., forcément, au un bout d’un moment on est conditionnée et on se dit « ce n’est peut-être pas là ma place, je ne suis pas légitime », c’est-à-dire que ce n’est pas un lieu accueillant quand même, ça ne donne pas envie. Ou alors il faut travailler le double pour y arriver, il faut mettre beaucoup d’énergie, beaucoup de volonté, il faut vraiment avoir un tempérament pour arriver jusqu’au bout. En fait, il faut faire plus que les hommes pour arriver jusqu’au bout.
Isabelle Collet dit bien sûr que le coaching, toutes ces choses-là, c’est très bien, mais en fait c’est un travail systémique qu’il faut faire pour vraiment abattre ces murs. Si cela vous intéresse, il y a plein de perspectives, plein d’idées qu’elle décrit dans ce livre. D’ailleurs elle a été formatrice d’enseignants et enseignantes parce que c’est important que les enseignants et enseignantes facilitent cette imagination, facilitent le fait, pour les femmes, de s’imaginer dans ces places-là.
D’autres femmes font des conférences hyper intéressantes. Par exemple Florence Chabanois [21] , informaticienne, recrutait pour une entreprise et elle disait « non seulement que c’est difficile de recruter parce que les femmes, syndrome de l’imposture, hésitent à postuler parce qu’elles attendent d’avoir 80 % des cases cochées pour postuler alors que les hommes y vont à 50 % ; et en plus, c’est difficile de les garder. Une fois recrutées, elles décrochent plus vite, plus fréquemment que les hommes. » On peut aussi se poser des questions : quel est l’environnement dans lequel on les accueille ? Comment sont-elles accueillies ? Est-ce que leurs compétences sont mises en valeur ? Est-ce qu’elles sont reconnues pour leur travail ? Dans des événements libristes, j’ai parlé avec des femmes qui me disaient qu’elles utilisaient des pseudos neutres, voire masculins, pour pouvoir contribuer à des logiciels libres – parce que c’est possible de le faire en ligne, c’est participatif – de peur que leurs contributions ne soient pas prises au sérieux, parce qu’il y a un pseudo féminin derrière. On en est là !
C’est très bien de donner des billes, de faire du coaching aux femmes, « osez le faire ! », mais au bout d’un moment on n’a pas toutes un caractère, une énergie, une volonté de fer, nous sommes des personnes normales et on a envie de s’épanouir normalement, d’accéder normalement à des métiers sans devoir trimer deux/trois/quatre fois plus qu’un homme ! C’est donc le système qui doit changer aussi.
Est-ce qu’il a d’autres questions, remarques ou commentaires.

Public : Nous étions plusieurs, de la salle, à la même présentation du livre d’Isabelle Collet. Tu m’a fait penser à d’autres choses intéressantes qu’elle a dites. On débattait des modèles de femmes qu’on donnait. Elle reprochait aussi qu’on donnait toujours les mêmes modèles de femmes parce que c’étaient un peu des modèles inaccessibles et qu’il fallait essayer de trouver des modèles plus proches du quotidien, tu l’as évoqué dans ta présentation. Atteindre des femmes comme Ada Lovelace qui était probablement surdouée, etc., et tous les autres exemples, pour la plupart des femmes, c’est comme montrer Einstein à un homme.

Isabella Vanni : Ça met la barre très haut.

Public : Ça met la barre très haut. Sur l’environnement professionnel, elle donnait un exemple : quand une femme arrive dans un service informatique où elle va être la seule femme dans une majorité d’hommes, s’il y a des blagues sexistes qui circulent, il ne faut pas s’étonner qu’elles n’aient pas envie de postuler dans cette filière-là parce qu’elles savent où elles vont arriver. Ça rejoint ce qu’on disait sur l’accueil qui se fait aussi sur la reconnaissance des compétences mais aussi sur l’ambiance de travail. Vous l’avez peut-être entendu, c’est aussi valable dans le monde des jeux vidéo, plein de femmes prennent des pseudos neutres pour ne pas se faire harceler et pour que leurs performances aux jeux vidéo soient prises au sérieux. On retrouve la même chose.

Isabella Vanni : Merci.

Public : Juste une observation. J’ai eu deux vies d’informaticien. Une vie où quand on arrivait pour travailler on ne savait pas trop quand on ressortait vu la fiabilité des machines, donc ça excluait souvent, de fait, la gente féminine, parce que la femme ce sont les enfants, etc. Il faut que la société évolue.
La deuxième époque, c’est dans la fonction publique hospitalière où il n’y a pas de problème de rémunération, c’est statutaire, ce n’est pas le show-biz, mais les recruteurs, quand c’était une femme « on va avoir des congés maternité, on va avoir les enfants malades », disons que ça modérait les candidatures féminines qui arrivaient à obtenir un poste. Elles étaient éventuellement dactylos/codeuses, perforatrices/vérificatrices à l’époque, tout un tas de métiers, parce que ça ressemblait au secrétariat, à la sténo-dactylo, ça n’allait pas plus loin, donc pas de responsabilités. J’ai même entendu, pendant ma carrière, qu’on demandait à des femmes « soit c’est ta carrière, soit les enfants ». L’idée générale c’est qu’on les charge, il faut que les femmes soient… Je crois que ce sont les hommes doivent évoluer, qu’ils commencent à prendre des congés paternité, des disponibilités, je pense c’est ça qui va faire évoluer.

Isabella Vanni : On a besoin d’alliés, on a besoin de vous. Vous avez complètement raison.

Public : À moins de virer sur les parités réglementaires, mais j’y crois moyen.

Isabella Vanni : Vous parlez des quotas ? J’aime bien l’expression d’Isabelle Collet qui dit que c’est intellectuellement insatisfaisant, décevant même, mais ça marche très bien, c’est très efficace.
En fait, pour se simplifier la vie, notre cerveau voit des choses et il les classe très bêtement. Si, dans une salle, il ne voit que des hommes qui font de l’informatique, il va automatiquement penser « l’informatique est un métier d’homme. » C’est comme cela qu’il raisonne et c’est comme cela que naissent les stéréotypes. Parfois, on a des stéréotypes dont on ne voudrait pas, mais ils naissent très naturellement. Le cerveau se facilite la vie pour pouvoir se créer un monde cohérent, ce sont les neurosciences qui étudient cela.
En fait, si on arrive à mettre plus de femmes, déjà on les voit plus, du coup on va casser ce cercle vicieux. Après, on ne cherche pas que des femmes, on cherche des femmes compétentes. S’il y a des quotas, on va essayer quand même de prendre des femmes compétentes. Comme dit toujours très bien Isabelle Collet, j’adore son livre, sa façon d’écrire, parce qu’elle a des phrases très percutantes : « Il vaut mieux qu’une femme soit prise parce que femme plutôt qu’une femme soit écartée parce que femme. » Intellectuellement, je comprends qu’on ne soit pas content de cette solution mais ça marche très bien, c’est très efficace.
Pour reprendre ce que tu disais tout à l’heure, Stéphane, Isabelle Collet avait parlé avec un chef, un directeur qui voulait recruter des femmes en informatique et qui disait : « C’est bien parce que, comme cela, elles vont aussi materner les hommes. » C’est-à-dire qu’en plus de faire le métier d’informaticienne, il prétendait qu’elles s’occupent aussi ! Donc double fonction, mais je ne pense pas que c’était double salaire ; c’est double métier, mais un seul salaire. Arrêtons ! Nous ne sommes pas là pour assumer des compétences complémentaires en plus, c’est informaticienne, point barre.
Est-ce qu’il y a d’autres commentaires ou questions ?

Public : Pour compléter par rapport à la parité. Effectivement ça fonctionne et personne ne se pose la question sur le pourcentage de personnes handicapées dans les entreprises, on ne se dit pas « ça ne va pas marcher ». Il est très faible, malheureusement, mais ça joue, c’est une bonne première marche.

Isabella Vanni : Il y en a qui appellent les quotas « de la discrimination positive ». Isabelle Collet dit « je préfère parler d’action affirmative », parce que la discrimination c’est celle qu’on vit aujourd’hui. Ce n’est pas normal qu’il n’y ait pas de mixité dans tous les domaines, dans tous les métiers. Comment se fait-il qu’il y ait, entre guillemets, « de métiers d’hommes » et » des métiers de femmes » ? Logiquement ça n’a pas de sens ! Il n’y a pas de déterminisme biologique, il n’y a pas des choses naturelles qui se passent chez les hommes et les femmes pour lesquelles on ferait un métier ou pas. On l’a vu avec la Malaisie. Comment se fait-il qu’en France il y en a très peu et qu’en Malaisie c’est plus que la moitié ? Au bout d’un moment, il faut prendre acte que la situation discriminatoire c’est celle qu’on vit aujourd’hui et qu’on essaye d’apporter des corrections à cette situation.

Public : Je viens juste de repenser, réflexion juste avant de manger. Avec toute la casse des politiques de diversité, inclusion, équité aux États-Unis avec Trump qui dit « hop, poubelle », on voit peut-être qu’il commence à y avoir des impacts. En tout cas aux États-Unis ils ont dit « poubelle ». En Europe ou en France il y a de la résistance, il y a des trucs qui disent « non, on s’en fout, on va garder. » J’ai l’impression que d’autres boîtes se sont dit « pourquoi pas », parce qu’en plus il y a les pressions : « Si vous voulez faire du business chez nous il faut effectivement virer votre politique de vie » donc la question à toi, à toute la salle c’est : avez-vous déjà vu des impacts un petit peu négatifs par rapport à ça ?

Isabella Vanni : Pas moi, mais peut-être qu’il y a d’autres témoignages. En tout cas, comme tu dis, ce qui se passe est assez affolant. On peut se dire que maintenant l’ennemi est encore plus visible, c’est plus facile de faire converger les luttes, mais c’est vrai que ce que tu évoques est assez flippant.
On a peut-être terminé cette présentation.

Public : Je suppose que tout le monde a faim.

Isabella Vanni : On va gentiment penser à manger.
Merci à vous.

[Applaudissements]