Formations et métiers du numérique, trop peu connus ? Smart Tech

Le 4 décembre 2023 marque le premier jour de la Semaine du numérique et des sciences informatiques. Au programme : plus de 3000 événements organisés en France pour promouvoir les formations et débouchés possibles dans ce secteur auprès des collégiens et lycéens. Un secteur qui manque d’attractivité, notamment auprès des jeunes filles, et qui, pourtant, recrute massivement.

Delphine Sabattier : 2023, c’est la première édition de la Semaine du numérique et des sciences informatiques [1], ça se déroule tout début décembre, plein d’événements sont organisés à travers la France avec l’objectif de promouvoir ces filières, ces métiers, pour répondre à la demande, à la recherche de talents, de profils spécialisés dans le secteur de la tech et du numérique.
Je vais répondre, évidemment, à quelques-unes des questions des téléspectateurs mais ce sont surtout mes experts qui vont nous apporter les éclairages nécessaires sur cette semaine.
Rémi Ferrand est en plateau avec nous. Bonjour.

Rémi Ferrand : Bonjour.

Delphine Sabattier : Directeur général de l’association Talents du numérique [2], vous œuvrez pour l’attractivité des formations et des métiers dans ce domaine. Vous êtes également, depuis 2022, le représentant de la Fédération Syntec [3] en Pays de la Loire. Un petit mot, peut-être, sur Talents du numérique : 70 établissements d’enseignement supérieur font partie de votre association ainsi que 2850 entreprises. C’est ça ?

Rémi Ferrand : Exactement. C’est la particularité de notre association de réunir les établissements de formation et les entreprises du numérique sur le sujet de l’attractivité, puisque tous les métiers techniques et scientifiques du numérique sont en pénurie. Le monde professionnel et le monde de l’enseignement supérieur se sont unis pour créer notre association, il y a une quinzaine d’années maintenant. On œuvre, justement, pour permettre la rencontre entre les professionnels et les collégiens, les lycéens, pour leur faire connaître les parcours, la diversité des métiers. Nous sommes donc à l’initiative de cette Semaine du numérique et des sciences informatiques.

Delphine Sabattier : Cette implication n’est pas nouvelle, en revanche les besoins sont croissants, toujours plus présents.
On va présenter quand même notre autre invitée, Peggy Vicomte, directrice générale du collectif Femmes@Numérique [4]. Bonjour.

Peggy Vicomte : Bonjour.

Delphine Sabattier : Femmes@Numérique, initiative en faveur d’une meilleure représentation des femmes dans ces filières et métiers du numérique, née en juin 2018 à l’initiative de six associations. Là auss, on voit la représentativité autour de ces sujets. On peut citer le Cigref, Numeum, Talents du numérique évidemment, l’AFMD, la CGE, Social Builder, plein d’acteurs publics, privés, associatifs.
Je voulais qu’on commence quand même par une question de contexte : on parle de combien de postes à pourvoir là, aujourd’hui, dans ces métiers du numérique ?

Peggy Vicomte : Aujourd’hui, on est sur un besoin de plus de 200 000 emplois à horizon 2027 et le sujet c’est qu’on parle de guerre des talents, on a un manque de ressources tous secteurs confondus. On sait que huit métiers sur dix vont être impactés, sont déjà impactés par le numérique. La baseline de Femmes@Numérique c’est pourquoi se priver de 50 % de ces talents ? On pourrait régler une partie du problème si on embauchait les jeunes femmes qui souhaitent travailler sur ces filières.

Delphine Sabattier : Et beaucoup de créations d’emplois sont prévues dans ce secteur.

Rémi Ferrand : Exactement. Un rapport important de France Stratégie, de la Dares [Direction de l’animation de la recherche, des études et des Statistiques], sur les métiers en 2030 [5] et le premier métier en 2030, en termes de recrutement, c’est l’ingénieur en informatique, devant les métiers de la santé, du service à la personne. Le premier emploi, c’est l’ingénieur en informatique. On estime qu’il manque, en gros, 10 000 diplômés par an, dans le numérique, chaque année cela s’accumule, bien évidemment, d’où le fait qu’on soit tous et toutes mobilisés pour faire en sorte que ces métiers trouvent leur public.

Delphine Sabattier : Je disais que cette journée était la première édition, mais, en fait, c’est un peu un renommage de ce qui se faisait par le passé, la Journée nationale NSI. Pourquoi est-ce que ça a changé ? Est-ce qu’une nouvelle impulsion est donnée par rapport à la Journée nationale NSI ?

Rémi Ferrand : Ça changé, notamment puisqu’il fallait donner un peu plus de temps et de plus amples créneaux pour les entreprises, les établissements de formation, les centres de recherche, pour s’organiser, pour faire ces fameux événements et faciliter la rencontre. Ça nous permet aussi d’avoir des temps extrascolaires, le mercredi et le samedi, pour permettre, encore une fois, de toucher pas uniquement les collégiens et les lycéens mais aussi, parfois, leurs proches qui sont, on le sait, des prescripteurs en matière d’orientation.

Delphine Sabattier : Donc une journée ne suffisait pas.

Rémi Ferrand : Ça ne suffisait pas. Ça permet aussi de démultiplier le nombre d’événements. On avait une centaine d’événements l’année dernière, on a 400 dates prévues entre le 4 et le 9 décembre, donc ça permet aussi une explosion des événements et on peut s’en réjouir.

Delphine Sabattier : Quand on parle des métiers du numérique, on parle de quels métiers exactement ? On a eu une citation, un ingénieur en informatique, d’accord, on n’a pas que ça ?

Peggy Vicomte : Non. Les métiers du numérique ce sont différents métiers : il y a 15 métiers phares, mais, en fait, il y en a beaucoup plus. On peut travailler dans le numérique dans l’agriculture, par exemple, aujourd’hui on sait qu’un agriculteur ou une agricultrice peut utiliser des capteurs et un programme pendant la mise bas pour aller se reposer et surveiller la mise bas à distance. On parle aussi de numérique dans la santé pour, peut-être, détecter des cancers de manière non invasive. En fait, il y a toute une catégorie de métiers.

Delphine Sabattier : Est-ce que ce sont des métiers derrière ? Par exemple le métier d’agriculteur reste un métier d’agriculteur, il faut une formation spécifique et non pas en numérique. Il faut savoir utiliser, bien sûr, ces nouveaux outils, mais ça ne demande pas une formation, une filière.

Peggy Vicomte : Non, ça ne demande pas une filière. Par contre, ça demande de bien comprendre le sujet et de bien maîtriser les nouvelles technologies et c’est tout le sens qu’on souhaite aussi donner à ce type de visite. Réduire le numérique uniquement à de la programmation informatique serait leurrer les jeunes générations qui doivent résoudre les problèmes de santé, de transition énergétique, d’alimentation plus locale et plus directe.

Delphine Sabattier : Et puis, là, on apporte aussi du sens.

Rémi Ferrand : C’est tout l’intérêt de ce travail sur la communication sur le numérique, qui fait qu’on n’a peut-être pas su parler à certains publics, notamment le public féminin, c’est porter la question du sens, le sens du numérique, à quoi ça sert. On le sait, le public féminin, notamment, est très attiré par les métiers de la santé, puisque, évidemment, on guérit, on soigne et on améliore le quotidien et, en fait, la santé sans numérique sera quand même très compliquée à l’avenir. Donc rappeler en quoi le numérique change la vie, change le monde, est innovant, a plein de sens en soi en parlant d’agriculture, en parlant d’agro-alimentaire, en parlant de santé, tous ces secteurs étant impliqués de plus en plus.

Delphine Sabattier : On a besoin de nouvelles compétences. Est-ce qu’on a vraiment un problème d’attractivité dans le numérique ? On a quand même l’impression avec cette Start-up Nation, la French Tech, on se dit que tout le monde veut monter sa boîte aujourd’hui. Est-ce qu’on a vraiment un problème d’attractivité ?

Peggy Vicomte : On a vraiment un problème d’attractivité. Il y a une désaffection des jeunes vers ces métiers. On a parlé de l’agriculture, de la santé.

Delphine Sabattier : Due à quoi ?

Peggy Vicomte : À une méconnaissance des métiers et puis, on pense qu’ils sont digital natives donc qu’ils savent l’utiliser, mais ils ne comprennent pas la conception, ils n’ont pas envie de s’impliquer dans la conception et dans l’amélioration de nos systèmes d’information. On a parlé de métiers un peu connexes, il y a évidemment les métiers de direction de systèmes d’information, de cybersécurité, qui sont au cœur du numérique et là on a une désinfection complète des jeunes et, tout particulièrement, des filles qui ne se dirigent pas vers ces métiers.

Rémi Ferrand : Pour rebondir, c’est vraiment pour faire en sorte que les jeunes ne soient plus seulement consommateurs, mais acteurs. Ils sont évidemment consommateurs du numérique au quotidien, face à leurs écrans, mais ils ne se posent pas la question de ce qu’il y a derrière, comment ces outils ont été développés, quels sont les services associés. C’est donc ce basculement entre la consommation, l’action et la réflexion aussi, parce qu’il faut penser le numérique, qu’on porte tous collectivement.

Delphine Sabattier : Pourquoi ce défaut d’attractivité ? Pourquoi attire-t-on moins nos jeunes, aujourd’hui, dans ces filières, dans ces métiers ?

Rémi Ferrand : Il faut aussi dire, déjà, que le numérique est en croissance, voire en hyper-croissance, donc nos besoins ont explosé dernièrement.

Delphine Sabattier : C’est pour cela. Est-ce que ce n’est pas un miroir déformant ? Est-ce que c’est l’accroissement du numérique qui fait qu’on manque de talents ? Est-ce qu’on a vraiment un problème d’attractivité ? Vous allez me dire un peu des deux, c’est ça ?

Peggy Vicomte : Oui. On voit qu’il y a un peu moins de candidatures dans les écoles d’ingénieurs ces deux dernières années. Pour parler plus particulièrement des filles, on voit, par exemple, que 2000 ont choisis la spécialité NSI [Numérique et Sciences informatiques] en terminale et une sur deux qui l’abandonne entre la première et la terminale. En fait, il y a un gap à passer entre la partie technique du numérique, l’explication des usages et ce que ça peut apporter dans notre projet de société.

Delphine Sabattier : C’est un levier intéressant.
Donnez-nous quelques exemples de ce qui va se passer pendant cette semaine.

Rémi Ferrand : Très concrètement, on a demandé à nos entreprises, à nos établissements de formation et aux centres de recherche d’aller à la rencontre des collèges et des lycées déjà pour exposer effectivement la réalité des parcours, avoir aussi ce rôle de rôles modèles pour rendre palpable et tangible ce qu’est un parcours professionnel du numérique. Et, réciproquement, on a demandé à ces organisations d’ouvrir leurs portes aux collégiens et aux lycéens pour, encore une fois, rendre concrète ce qu’est la vie d’un professionnel du numérique, puisque, finalement, l’objet c’est quand même de déconstruire les représentations fausses ou négatives que les jeunes peuvent avoir. En facilitant la rencontre entre ces professionnels et ces jeunes, en disant à ces jeunes « il y a des professionnels du numérique proches de chez vous, c’est concret et vous pouvez vous identifier, vous pouvez avancer », c’est quand même cela l’objectif de cette semaine-là, c’est cette rencontre et rendre concrets, palpables ces parcours.

Delphine Sabattier : Du côté de Femmes@Numérique ?

Peggy Vicomte : On a mené un partenariat entre les Women in Big Data Paris et l’Académie de Paris. Des lycées ont levé la main pour aller visiter des entreprises, plutôt des grandes entreprises sur l’Académie de Paris en l’occurrence cette année. On espère, évidemment, le faire dans l’ensemble des académies. Il y a aussi des Girls Tech Day qui vont se passer en Guadeloupe. L’idée c’est de ne pas rester, d’éviter le parisianisme, de démultiplier les actions sur le territoire et de ne pas oublier les territoires ultramarins sur lesquels ce n’est pas le plus facile d’agir sur ce sujet-là.

Delphine Sabattier : On a une question d’une téléspectatrice, Anne, qui nous demande : comment faire en sorte que les élèves soient réellement intéressés par ces événements ? Eh oui, il ne suffit pas de mettre en place des événements !

Rémi Ferrand : Il y a des obligations au sein l’Éducation nationale en matière d’orientation. Il y a évidemment des heures dédiées, 54 heures dédiées notamment à partir du lycée. La découverte des métiers c’est quand même un grand enjeu de l’État, du Gouvernement, du ministère de l’Éducation nationale. On sait qu’il y a, dès la cinquième maintenant, une volonté de faire découvrir les métiers, il y a aussi le stage de troisième, le stage de seconde. En fait, les rencontres sont déjà planifiées.
L’idée de cette semaine, c’est quand même de faire en sorte qu’il y ait beaucoup d’événements, pour massifier, pour avoir une communication spécifique dédiée, pour, au-delà des rencontres, toucher, encore une fois, d’autres médias tels que vous, faire passer la petite musique du numérique pour toucher aussi les parents, les proches, les enseignants et ainsi de suite, puisqu’on sait très bien que, dans le choix d’orientation, il y a des prescripteurs. Au-delà de la rencontre, au-delà de la petite graine qu’on peut déposer, il faut que la petite graine puisse pousser, donc il faut l’arroser, faire en sorte que l’environnement soit bon et ça passe par toucher les proches de ces jeunes.

Delphine Sabattier : Même question : comment va-t-on motiver les jeunes filles à s’intéresser à cette semaine, aux événements et puis à pousser un petit peu plus loin leur curiosité ?

Peggy Vicomte : C’est vrai. Il y a une vraie volonté, du côté de Femmes@Numérique, de travailler avec les académies pour sensibiliser les équipes encadrantes, les équipes enseignantes, aux enjeux de nos métiers. On ne peut pas leur demander de tout faire, de tout connaître sur tout. Il y a aussi, évidemment, une approche pédagogique. Nous-mêmes, entreprises et associations, devons faire acte de pédagogie pour expliquer ce qu’est le numérique aux équipes enseignantes et encadrantes.

Delphine Sabattier : Donc ça passe déjà, je dirais, par le corps professoral qui doit être impliqué dans cette semaine et transmettre son envie de participer à ces événements.

Rémi Ferrand : Je me permets d’ajouter qu’on a le soutien de trois ministères : le ministère de l’Éducation nationale, le ministère de l’Enseignement supérieur et le ministère de l’Économie et des Finances. On voit bien que ce sujet est un enjeu sociétal mais également économique, donc les trois aussi mobilisent leurs troupes et ça nous fait des relais localement, donc merci à eux.

Delphine Sabattier : Enjeu économique, sociétal, social aussi.

Peggy Vicomte : C’est la question de l’émancipation des femmes, de l’autonomie financière. Est-ce que ces jeunes filles qui ont appétence, une compétence pour le numérique, peuvent y trouver des métiers où il y a des emplois bien rémunérateurs, stables ? C’est donc, aussi, la question de l’émancipation de ces jeunes filles.

Delphine Sabattier : J’ai quand même envie de vous poser cette question un peu piège : comment fait-on pour préparer des jeunes générations, dans des écoles, à travers des formations, à des métiers dont on ne connaît pas encore l’existence ? Ça va tellement vite dans le numérique !

Rémi Ferrand : C’est le fameux « apprendre à apprendre ». Ça veut dire qu’au-delà, effectivement, de l’apprentissage d’une technique ou d’une science à un moment donné, on leur apprend comment apprendre. On sait très bien, et Peggy le disait fort justement, que c’est un engagement sur le long terme : il y a la formation professionnelle, ils devront certainement se former sur le long cours pour rester bons dans leur métier ou dans leur futur métier. C’est ce fameux apprendre à apprendre qu’on a dans ces formations. Les compétences peuvent effectivement devenir caduques, il est donc bon d’être toujours vigilant et de toujours se former.

Delphine Sabattier : Et cette semaine est dédiée aussi à la formation continue, pas seulement à des jeunes filles mais aussi à des femmes ?

Peggy Vicomte : La partie reconversion n’est pas forcément intégrée dans la Semaine NSI qui est vraiment une action faite en direction des établissements scolaires.
Je me permets de revenir sur la question des soft skills, c’est-à-dire l’approche par compétences qui est une approche très utilisée, aujourd’hui, dans l’Éducation nationale pour, justement, essayer d’aller au-delà de l’apprentissage des disciplines et des techniques sur le comportement et l’adaptabilité de nos jeunes.

Delphine Sabattier : Pour les actions de reconversion, de formation continue et tout ça, il faut suivre vos associations et vos initiatives tout au long de l’année.
Merci beaucoup, Peggy vicomte, déléguée générale de Femmes@Numérique et Rémi Ferrand, directeur général de Talents du numérique. Je vous souhaite une excellente semaine prolifique.
On termine avec notre rendez-vous avec David Lacombled qui va chroniquer « X, la fuite en avant ».