Émission Libre à vous ! diffusée mardi 7 décembre 2021 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Téléphonie mobile et libertés informatiques, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Nous avions reçu, le 12 octobre dernier, Agnès Crepet, de Fairphone qui propose des téléphones durables, et Gaël Duval de /e/, un système d’exploitation libre pour mobile. Un bel échange qui ouvre des perspectives sur un enjeu complexe et essentiel, réduire l’impact environnemental de nos équipements informatiques. Nous vous en proposons aujourd’hui la rediffusion.
Nous retrouverons également Jean-Christophe Becquet, en début d’émission, pour une nouvelle « Pépite libre » et Laurent et Lorette Costy continuent à explorer « la voie du Libre » et vous parlerons des moteurs de recherche.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, en charge des affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes le 7 décembre 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission ma collègue Isa. Salut Isa.

Isabella Vanni : Salut.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, sur la formation Culture générale des données de Datactivist

Étienne Gonnu : Pour commencer cette émission, Jean-Christophe Becquet nous fait le plaisir d’une nouvelle « pépite libre ».
Salut Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour à tous. Bonjour à toutes.

Étienne Gonnu : Quelle nouvelle pépite as-tu trouvé pour nous ce mois-ci ?

Jean-Christophe Becquet : Je vais vous parler aujourd’hui de la formation Culture générale des données de Datactivist.
En effet, il y a 14 ans, le 7 décembre 2007, s’ouvrait la rencontre de Sebastopol. Pendant 2 jours, des personnalités du Libre dont Tim O’Reilly, Aaron Swartz et Lawrence Lessig ont travaillé ensemble pour définir le concept de données publiques ouvertes. Un peu comme celui du logiciel libre, le mouvement de l’open data a mis beaucoup temps à se propager au-delà du cercle des premiers activistes. Mais, depuis quelques années, on peut observer que cette dynamique d’ouverture s’accélère et se propage à de nombreux aspects des politiques publiques. On peut citer, en France, la loi pour une République numérique en 2016, la loi d’orientation des mobilités qui a élargi, en 2019, les obligations d’ouverture de données relatives aux services de transport ou encore l’adoption, début 2021, de la licence ouverte pour les grandes bases de données géographiques gérées par l’IGN. J’en parlais dans ma chronique « Pépites libres » du mois de mars intitulée « IGN et OpenStreetMap, des données géographiques libres pour les territoires ».

La prise de conscience de la place des données dans tous les aspects de nos vies, fait naître des besoins de formation et de sensibilisation. C’est là qu’intervient la pépite du jour : une formation à la culture générale des données. Cette ressource est partagée sous licence libre Creative Commons By-SA par Datactivist, une SCOP qui a bâti son activité sur l’open data.

La formation Culture générale des données a été construite, au départ, pour des étudiants de Sciences Po. J’ai la conviction qu’elle concerne aujourd’hui un auditoire beaucoup plus large, qu’il s’agisse des élus et des personnes travaillant à tous les échelons du secteur public, mais aussi des responsables associatifs, des salariés d’entreprises et j’irai même plus loin, chacun et chacune d’entre nous tant les enjeux citoyens autour de l’open data sont actuels et importants.

La formation interroge la notion de donnée depuis la première tablette mésopotamienne jusqu’aux tableurs en passant par les cartes perforées. Elle met en lumière la mise en données du monde. Elle décrit les différents types de données selon leur nature, qualitatives ou structurées et leur source, capturées, dérivées ou produites en commun à travers des projets comme OpenStreetMap ou Open Food Facts. Elle présente l’écosystème des sources de données publiques. Elle donne des conseils pour la manipulation et la représentation de données. Elle rappelle les huit principes de l’open data issus de la rencontre de Sebastopol. Elle documente les modèles économiques autour des données. Elle précise le cadre juridique. Elle aborde enfin la science des données et la question des algorithmes. Bref, vous l’aurez compris, un programme très riche !

Sur le site du Plan d’action logiciels libres et communs numériques lancé le mois dernier par Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, lors du salon Open Source Experience 2021 à Paris, les administrations sont encouragées à « recourir et contribuer aux communs numériques » tels que Wikipédia, OpenStreetMap et Open Food Facts. Je vois là un signal très réjouissant, mais il faut bien comprendre que rien ne se passera sans un véritable développement des compétences sur le terrain. C’est pourquoi la formation Culture générale des données me semble si essentielle.
On peut citer aussi le « Challenge Data », une initiative lancée par Sciences Po Saint-Germain, en partenariat avec Datactivist, pour accompagner des structures publiques dans leur démarche open data. Je pense que plus nous serons nombreux à partager nos expertises et plus la maîtrise de la donnée et les enjeux de son ouverture progresseront. Le monde proposé par le mouvement de l’open data, c’est plus de données ouvertes et une culture des données largement partagée. C’est un monde plus libre, par les données, pour les humains.

Étienne Gonnu : Très intéressant. Merci beaucoup Jean-Christophe pour cette pépite et pour ton analyse sur l’importance de ce savoir sur les données qui sont effectivement, on va dire, structurantes de notre société actuelle.
Je te dis au mois prochain.

Jean-Christophe Becquet : Absolument. Au mois prochain, à l’année prochaine. Bonne fin d’émission pour aujourd’hui. Merci à bientôt.

Étienne Gonnu : Merci. Salut. À l’année prochaine.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Pour cette première pause musicale, je vous propose d’écouter Side effects par Foglake. On se retrouve dans deux minutes. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Side effects par Foglake.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Side effects par Foglake, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By. Un morceau que j’aime beaucoup, personnellement, et que Valentin, des Joyeux Pingouins en famille, avait commenté pour nous lors d’une émission spéciale Playlist de Libre à vous ! le 16 mars 2021. Il disait notamment, je vais le citer : « Il y a quelque chose qui nous emporte. Il y a une espèce de discrétion, de subtilité qui est très agréable, qu’on retrouve aussi dans la voix, la voix qui est androgyne, mais qui est assez en retrait finalement, qui est aussi traitée avec un effet qui donne l’impression que la chanteuse chante un peu sous un haut-parleur. Malgré le fait qu’elle soit en retrait, on sent une vraie intensité dans sa voix, une vraie chaleur qui emporte encore plus. » Avis que je partage pleinement.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Nous allons passer à notre sujet principal.

[Virgule musicale]

Téléphonie mobile et libertés avec Agnès Crepet de Fairphone (responsable de l’équipe informatique et de la longévité logicielle) et Gaël Duval fondateur de /e/. Rediffusion du sujet long de l’émission Libre à vous ! du 12 octobre 2021

Étienne Gonnu : Pour notre sujet principal nous vous proposons une rediffusion.
Le 12 octobre 2021 nous recevions Agnès Crepet, de Fairphone, et Gaël Duval, de /e/, deux projets et entreprises qui inscrivent leur modèle dans celui d’une informatique qui se veut plus durable et plus libre et, quoi qu’il en soit, ont une approche diamétralement opposée au fonctionnement en silo des technologies privatrices de Google et Apple pour ne citer qu’eux. Un échange très intéressant animé par mon collègue Frédéric Couchet. On se retrouve juste après dans un peu moins d’une heure. Belle écoute sur Cause Commune, la voix des possibles

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter aujourd’hui sur la téléphonie mobile et les libertés informatiques avec nos invités Agrès Crepet de Fairphone ; Agnès est responsable de l’équipe informatique et de la longévité logicielle, elle nous expliquera ça tout à l’heure et Gaël Duval fondateur de /e/ ou « i », on verra comment ça se prononce, il nous expliquera ça évidemment en détail.
N’hésitez pas à participer à notre conversation, par exemple sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon#libreavous.
On va vérifier que nos deux invités sont avec nous à distance. Ils interviennent via l’outil d’audioconférence libre Mumble. Agnès est-ce que tu es avec nous ? Gaël est-ce que tu es avec nous ?

Gaël Duval : Je suis avec vous, je vous entends.

Agrès Crepet : Oui.

Frédéric Couchet : Très bien. On va commencer par une petite présentation personnelle rapide de chacun et chacune d’entre vous. On va commencer par Agnès Crepet.

Agnès Crepet : Déjà merci pour l’invitation. Je suis très honorée de participer à votre émission que j’écoute quelquefois en mode podcast. Je m’appelle Agnès. Je travaille chez Fairphone depuis un peu plus de trois ans. Je suis ingénieure, j’étais plutôt développeuse back-end, mais depuis que je suis chez Fairphone je bosse plus sur la Stack Android. Chez Fairphone je m’occupe à la fois de la partie IT très classique, donc le développement qu’on peut retrouver dans n’importe quelle entreprise, logistique, etc., mais aussi du département longévité logicielle, donc comment faire des mises à jour logicielles, dans le temps, sur un produit qui n’a plus deux ou trois ans mais plutôt cinq, six, sept ans. C’est pour ça que mon titre c’est « en charge de la longévité logicielle ».

Frédéric Couchet : D’accord. Merci Agnès. On va préciser que l’IT c’est, en gros, l’informatique. Je sais que tu as plus l’habitude d’intervenir en anglais. On va préciser les termes techniques s’il y a besoin.
Maintenant Gaël Duval, une petite présentation.

Gaël Duval : Bonjour à tous et merci pour l’invitation également.
Je m’appelle Gaël, je suis informaticien à la base, mais très vite je suis devenu aussi entrepreneur puisque j’ai été à l’origine de la distribution Mandrake Linux à la fin des années 90. Je suis aussi un fervent partisan et supporter des logiciels libres depuis les années 90. Plus récemment, il y a trois/quatre ans, je me suis penché sur la question des smartphones et sur les fuites de données. J’ai donc lancé un projet qui s’appelle « i » ou « e » selon qu’on est Anglais ou Français et qui a comme objectif de fournir, pour les smartphones, un système d’exploitation qui soit complètement « dégooglisé » et beaucoup plus respectueux des données personnelles des utilisateurs.

Frédéric Couchet : Merci Gaël.
On va commencer par la première thématique, on va avoir quatre/cinq thématiques aujourd’hui. La première thématique c’est, finalement, un petit peu lister et expliquer aux gens les problèmes que vous proposez de résoudre et, en gros, quels sont les problèmes que pose la téléphonie mobile actuelle, telle qu’elle est utilisée par une grande majorité des gens ? Le premier point que vous souhaitiez aborder, qui est évidemment très important, c’est la protection des données personnelles et la protection de la vie privée. Peut-être que Gaël veut commencer ?

Gaël Duval : Pour faire très rapidement, le sujet sur le smartphone c’est qu’aujourd’hui on est dans une situation où 100 % du marché, quasiment 99 % du marché du smartphone est dominé par deux acteurs : on a Apple avec iOS d’une part et on a Google avec Android d’autre part. Globalement, à quelques nuances près, tout ceci repose sur un modèle d’affaires qui est lié à l’exploitation des données personnelles et, in fine, à un modèle d’affaires publicitaire. Donc on arrive à une situation où, aujourd’hui, on a plusieurs milliards de personnes dans le monde qui voient leurs données personnelles captées de manière assez industrielle et systématique, tous les jours, et envoyées vers les serveurs de ces grosses boîtes pour, justement, leur permettre, à la fin, de pouvoir vendre de la publicité plus chère que s’ils ne le faisaient pas.
Pour donner quelques chiffres, des études récentes ont montré que sur un smartphone qui utilise Android vous avez environ, en moyenne en tout cas, 12 mégaoctets de données personnelles qui sortent de votre poche tous les jours. Quand on dit données personnelles, qu’est-ce que c’est ? C’est, par exemple, votre géolocalisation en temps réel, l’endroit où vous êtes, si vous êtes dans un magasin, si vous êtes chez vous, ce sont vos habitudes de consommation, ce sont les recherches que vous faites sur Internet. Tout un ensemble de choses qui leur permettent à peu près de tout connaître de votre vie personnelle. Nous pensons que ce n’est pas acceptable, qu’il y a des enjeux énormes, des impacts énormes sur nos vies, sur l’économie, sur l’emploi et aussi, peut-être, une menace pour la démocratie. On a vu récemment que des détournements sont possibles, on peut faire beaucoup de choses avec les données personnelles, on peut influencer sur les réseaux sociaux de manière pas sympathique du tout. Voilà pour résumer un peu l’enjeu sur les données personnelles aujourd’hui et ça se passe dans les smartphones, ça se passe dans notre poche tous les jours et on ne s’en aperçoit pas tellement parce que c’est dans l’air, il n’y a pas un fil, il n’y a pas un truc physique qui passe. Malheureusement on ne le sait pas assez, je pense que les gens ne sont pas assez informés de ces problématiques-là.

Frédéric Couchet : Est-ce qu’il existe un site ou un moyen pour quelqu’un qui voudrait savoir quelles sont les données personnelles qui sont, justement, partagées avec les GAFAM, Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, les géants du Net et notamment les deux gros sur la téléphonie ? Est-ce qu’il y a moyen de savoir un peu ? Par exemple, sur son téléphone, est-ce qu’il y a des applications ou des sites qui permettent de savoir quelles sont les données qui sont partagées quand on utilise une application ?

Gaël Duval : Je réponds très vite et après je laisse la parole à Agnès, excuse-moi Agnès. Il faut juste différencier la partie système d’exploitation, qui est le moteur du téléphone, qui déjà, par défaut, sans qu’on n’utilise d’application spécifique, envoie de la donnée en permanence, en particulier la position géographique. Effectivement, après il y a le problème des applications. Pour ça, aujourd’hui, nous sommes en train de développer des outils – on n’est pas les seuls, mais on essaye de les intégrer dans notre système – qui permettent à la fois de détecter un certain nombre de connexions vers des serveurs de telle ou telle application et, après, on va permettre aussi aux utilisateurs de couper, au besoin, ces accès s’ils souhaitent passer sous les radars.

Frédéric Couchet : D’accord. Agnès, est-ce que tu veux compléter sur cette partie ?

Agnès Crepet : C’est moins ma spécialité, parce que je travaille moins là-dessus. J’avais entendu parler d’un outil qui s’appelle Pithus [https://beta.pithus.org/], qui est utilisé pour essayer de gérer, avoir une connaissance de ces informations-là. Exodus Privacy. Je sais que ce sont des choses qui sont assez utilisées aujourd’hui.

Frédéric Couchet : Effectivement, sur le salon web Marie-Odile nous précise Exodus Privacy qui est, en fait, une plateforme d’analyse des applications Android, qui liste notamment les trackers. Je crois qu’il y a eu aussi une récente émission de Cash Investigation, ou je ne sais plus quelle émission sur France 2, qui était consacrée justement à cette problématique.
Pour poursuivre sur cette question-là, tout à l’heure en introduction, Gaël, tu as parlé des deux grands que sont Google et Apple. Est-ce que la situation est la même ? Est-ce que c’est similaire sur Android ou sur iOS ? Ce que les gens disent, notamment sur iOS, c’est qu’il n’y a pas cet aspect, ou il est moins présent, de récupération des données personnelles.

Gaël Duval : Il y a un mythe autour de l’iPhone et je pense, d’ailleurs, qu’il est entretenu par Apple qui essaie de laisser penser aux gens qu’avoir un iPhone ça les protège. La réalité est tout à fait différente. Aujourd’hui j’ai parlé de 12 mégaoctets de données personnelles pour un Android. Pour un iPhone ce n’est pas zéro, c’est moins, certes, c’est un peu moins, c’est la moitié moins, c’est 6 mégaoctets de données personnelles, mais c’est quand même colossal et il y a quelque chose qui n’est pas très connu, qui est que Google paye un gros chèque à Apple pour que Google soit le moteur de recherche par défaut sur les iPhones. Quand je dis un gros chèque, ce sont quand même plusieurs dizaines de milliards de dollars par an. Au final, Apple est aussi partie prenante de tout ce système de captation des données personnelles, il n’y a pas de doute là-dessus et c’est vraiment un souci. Après, on ne sait pas vraiment non plus ce que fait Apple de vos données personnelles. Aujourd’hui Apple est une boîte noire qui affirme beaucoup de choses, qui fait beaucoup de marketing autour de ça, mais on ne connaît pas la réalité puisqu’il n’y a pas le code source, il n’y a rien du tout, donc on les croit ou pas, c’est une histoire de croyance, on est plus dans une histoire de religion qu’autre chose pour moi.

Frédéric Couchet : D’accord. Avant de poser une prochaine question je vais juste préciser que le Cash Investigation dont je parlais était intitulé « Nos données personnelles valent de l’or ! », il a été diffusé en mai dernier et il est disponible en replay sur france.tv. Je précise aux personnes qui ne veulent pas se créer de compte sur france.tv qu’à priori, avec youtube-dl, on peut le récupérer très facilement. Vas-y Agnès, si tu veux ajouter quelque chose.

Agnès Crepet : Je voulais juste rajouter quelque chose si c’est possible Frédéric. J’ai lu récemment un article que je mentionnerai dans tes release notes, que j’indiquerai, je l’ai lu cette semaine, un article qui est paru justement sur la comparaison entre Apple et Android et qui montre qu’il y a effectivement très peu de différences. Je le mettrai dans les liens de l’émission, c’est sorti assez récemment, un article scientifique qui a été fait par un chercheur qui s’appelle Kollnig et d’autres personnes. Je vous l’indiquerai dans les notes.

Frédéric Couchet : D’accord. Merci Agnès.
Je poserai ma question après la partie impact environnemental.
Là on a parlé du premier problème qui existe en tout cas avec la téléphonie mobile actuelle, qui est donc la partie données personnelles, protection de la vie privée. D’ailleurs Gaël, en préparant l’émission, tu voulais faire une différence entre protection de la vie privée et sécurité. C’est peut-être l’occasion de la faire.

Gaël Duval : Dans les médias et chez certaines personnes, il y a souvent une confusion entre la sécurité et la confidentialité des données personnelles, comme si avoir un téléphone ou un système d’exploitation extrêmement sûr, extrêmement robuste au niveau de la sécurité, ça offrait des garanties sur la protection des données personnelles. La réalité c’est que la sécurité est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. On peut avoir un téléphone très sécurisé qui va, de manière très sécurisée, envoyer toutes vos infos chez Google. D’ailleurs, aujourd’hui Google essaie de développer un discours marketing justement autour de la sécurité : « Vous allez pouvoir acheminer de manière très sécurisée vos données personnelles chez nous ». Nous, nous ne sommes pas du tout sur cet axe-là. On préfère avoir, à la limite, un système qui va être d’une sécurité classique du marché, état de l’art, par contre on fait un très gros effort, derrière, pour voir ce qui envoie des données personnelles chez tel ou tel acteur pour pouvoir résoudre ces cas-là.
Je tiens à préciser que sécurité et protection des données personnelles sont deux sujets qui sont connectés mais qui ne sont forcément identiques.

Frédéric Couchet : D’accord. On va dire que c’est le premier problème posé par la téléphonie, données personnelles, protection de la vie privée et évidemment, au-delà des logiciels, téléphone ça veut dire aussi du matériel, des métaux rares, plein de choses, des gens pour construire ces matériels qu’on tente de nous forcer à racheter régulièrement à des prix incroyables. Donc la question de l’impact environnemental, développement durable, je dirais que vous êtes notamment sur ces questions-là au niveau du Fairphone. Agnès, quels sont les problèmes posés sur ces domaines-là par la téléphonie mobile actuelle ?

Agnès Crepet : Comme tu l’as dit, Frédéric, il y a vraiment ce premier aspect des métaux, qu’est-ce qu’on inclut comme métaux ? La plupart des métaux posent beaucoup problèmes et environnementaux et sociaux. Problème environnemental parce que ça crée énormément de pollution même si ce n’est pas chez nous, bien souvent, parce qu’on n’a plus de mines dans les pays européens ou aux États-Unis, etc., en tout cas plus beaucoup par rapport à il y a 100 ans, mais aussi beaucoup de problèmes sociétaux parce qu’on retrouve beaucoup d’enfants dans les mines et beaucoup de financements des conflits armés. Initialement, le projet de Fairphone c’était vraiment de lutter contre les minerais dits de conflit que sont l’étain, l’or, le tungstène et le tantale, donc essayer soit de chercher des alternatives à ces métaux – c’est ce qu’on fait avec le Fairphone 3 où on a essayé d’enlever le tantale –, mais aussi, quand on doit les utiliser, comme l’or, faire en sorte d’utiliser des mines fair trade, comme le chocolat mais pour les mines, pour garantir à la fois des bonnes conditions pour les gens et child free, conflict free, donc essayer d’éviter respectivement le travail des enfants et les financements des conflits armés.
Ce sont des choses dont on entend parler, mais c’est vrai que, pragmatiquement parlant, il n’y a pas beaucoup de choses qui se font sur le terrain. En tout cas il y a dix ans il n’y avait quasiment rien et aujourd’hui il y a quelques initiatives que je trouve intéressantes. En août dernier, la Fair Cobalt Alliance, l’Alliance du Cobalt Equitable qui est un consortium de plein d’entreprises, d’ONG, s’est montée et son objectif est d’arriver à financer, à aider des mines fair trade.

Frédéric Couchet : Je précise que fair trade c’est le commerce équitable.

Agnès Crepet : Commerce équitable oui. Il y a plein de boîtes qui ont rejoint le truc comme Tesla, Volvo, etc. Des gens peuvent dire que ça ne fait pas rêver que ces gros groupes rejoignent des initiatives comme ça. En même temps, Tesla et Volvo achètent dix fois plus de cobalt que Fairphone. Donc, en termes de volume, heureusement qu’il y a des boîtes automobiles qui rejoignent ce genre d’initiative ; le nerf de la guerre c’est un peu le volume. Fairphone bosse depuis des années par exemple au Congo et quand vous arrivez sur place en disant « ça serait super cool de lancer une mine de commerce équitable autour du cobalt », les gens, sur place, vont vous dire « oui, mais tu en achètes combien ? Est-ce que tu en achètes 10 kg par mois ou trois tonnes ? »
Tout démarre de l’extraction des minerais et ce n’est jamais vraiment évident, c’est vraiment un combat pas évident. Moi je dis souvent qu’à FairPhone les vrais héros et héroïnes sont vraiment celles et ceux qui bossent sur ces problématiques de minerai parce qu’on est vraiment face à des gouvernements corrompus, à des entreprises qui se cachent un peu les yeux, le marché noir est hallucinant. Beaucoup de mines industrielles embauchent beaucoup de mineurs artisanaux donc des familles de mineurs, enfants compris, sans que ça se sache. Voilà ! Énormément de problèmes sociétaux et environnementaux.
Donc le nerf de la guerre c’est d’arriver à faire des solutions qui durent pour éviter d’avoir trop de téléphones sur le marché. Aujourd’hui, la durée de vie d’un téléphone est à peu près de deux ans, ce qui n’est quand même pas terrible. Si on revient sur la partie software, logicielle, qui nous intéresse un peu plus aujourd’hui, un rapport de la Commission européenne est sorti l’année dernière, qui montre que dans 20 % des cas les gens changent leur téléphone alors que, matériellement, leur appareil est absolument parfait, donc à cause d’un problème software, ce qui est beaucoup. C’est-à-dire que vous cassez votre téléphone, l’écran est cassé, c’est une chose, ça serait bien de pouvoir le réparer, c’est ce qu’on essaye aussi de faire avec Fairphone. Mais imaginez que votre téléphone va très bien, il n’a aucun problème matériel, eh bien quand il y a un problème de software, les gens sont bloqués. Si jamais vous êtes fan de TikTok, mais que vous ne pouvez pas utiliser TikTok – je fais exprès de prendre cet exemple parce que je suis sûre qu’il y a beaucoup de fans de TikTok ici –, vous prenez une personne qui est fan d’une app qui ne tourne plus sur son téléphone aujourd’hui, la personne va arrêter d’utiliser son téléphone. Donc le problème software, logiciel, est quand même vachement important, et c’est le boulot que je fais à Fairphone, on en parlera plus tard.
Donc il faut vraiment arriver à faire des téléphones qui durent et, pour que le téléphone dure, il faut qu’il soit et réparable et qu’il ait un support logiciel long terme. Donc des solutions comme /e/ c’est aussi super pour ça. LineageOS, /e/, beaucoup de solutions open source permettent à des utilisatrices et utilisateurs de pouvoir garder leur téléphone longtemps. Là-dessus, on va dire que Fairphone ne fait rien de complètement exotique si ce n’est de pousser des versions Android qui durent longtemps, qui durent dans le temps.

Frédéric Couchet : D’accord. En préparant l’émission, on parlait du poids des monopoles, on a parlé tout à l’heure de Google et Apple, tu voulais peut-être parler des fabricants de puces. Très rapidement, quelle est la problématique des fabricants de puces informatiques ?

Agnès Crepet : La transition est bonne, je viens juste de dire qu’on ne fait rien d’exceptionnel si ce n’est de faire des mises à jour d’Android dans le temps. Eh bien faire ces mises à jour d’Android c’est super dur à cause des monopoles que sont les fabricants de puces et Google, donc Google pour Android et les fabricants de puces ; nous travaillons avec Qualcomm mais ça pourrait être aussi MediaTek. En fait, on est entre deux chaises et les deux chaises ne font rien pour faire de la longévité logicielle, pour faire durer les produits dans le temps.
Qu’est-ce qui se passe avec Qualcomm ? et, encore une fois, ce ne sont pas les seuls, Samsung et MediaTek font pareil.
Vous achetez une puce en tant que fabricant de téléphones, vous la mettez dans votre téléphone. D’une, vous avez une opacité complète sur le modèle de licence. C’est-à-dire qu’une fois que vous avez acheté la puce, vous payez une licence et vous ne savez pas exactement combien de temps le support va exister, ça peut-être une, deux ou trois versions d’Android ; une ce n’est pas vrai, c’est plutôt deux ou trois, mais le fabricant de puces peut, tout à coup, décider de droper, d’arrêter le support, ce qui est problématique pour vous. Si le fabricant de puces ne fournit pas les briques logicielles nécessaires aux nouvelles mises à jour de sécurité de votre OS Android par exemple, eh bien ça va être problématique, vous ne pourrez plus faire facilement ces mises à jour de sécurité logicielle. Donc vous allez être bloqué, par exemple sur Android 6 ou 7.
Et, de l’autre côté, Google, qui est derrière Android, va vous dire « oui, mais moi j’arrête de maintenir Android 6 ou 7. Je vais garder la version Android 8 trois ans, je vais fournir des mises à jour de sécurité pendant trois ans et après j’arrête. »
Donc vous avez d’un côté Google qui pousse à se mettre à jour vers de nouvelles versions d’Android et Qualcomm qui, de l’autre côté, dit « oui, mais moi pour des puces qui ont cinq ans, je ne supporte plus les nouvelles versions d’Android ! ». Je donne l’exemple de Fairphone 2 qui est un téléphone qui est sorti en 2015, fin 2015, aujourd’hui Qualcomm n’est plus impliqué dans la mise à jour des briques logicielles nécessaires depuis trois ans. Donc depuis trois ans, on fait les mises à jour sans eux et c’est compliqué !
Pourquoi je parlais des monopoles ? Parce que quand vous voulez faire en sorte de faire des mises à jour logicielles dans le temps vous devez faire face à ces monopoles-là et, du côté de Google, c’est compliqué. Je crois, Frédéric, qu’une des questions que tu voulais me poser c’est qu’est-ce que vous faites chez Fairphone ? Est-ce que vous livrez une version d’Android avec les Google Apps ? Eh bien oui, je t’en parlerai plus, mais oui, je t’expliquerai pourquoi on fait ça, parce qu’on a un Android certifié, bref ! Donc pour ce faire, il faut que tu passes une Google Certification, une certification Android. Il y a 477 000 tests à passer et si tu en rates un, tu échoues la certification Android. Ça veut dire que Google ne te donne pas ta certification, tu ne peux pas livrer ton Android à tes utilisateurs.
Admettons qu’à la fin d’un an de travail où tu as essayé d’implémenter un Android 10 sur ton téléphone qui a cinq ans tu as deux tests qui ne marchent pas sur 477 000, tu pourrais dire que ce n’est pas grave, ce n’est rien par rapport au total. Mais non, c’est quelque chose ! Pour chaque test, tu dois faire un processus d’exception auprès de Google et ça dure parfois des mois avant que Google te donne la validation du truc. Ce sont beaucoup d’échanges techniques, on parle de dossiers techniques. On a beau faire notre pitch Fairphone, si tu veux on est loin, je ne dis pas qu’ils s’en foutent, mais on est loin de ça. Pour eux Bluetooth ne marche pas, Bluetooth ne marche pas. Tu te débrouilles pour qu’il marche.
C’est en ce sens que je veux dire que ces monopoles-là ne font absolument rien pour faire en sorte que les produits, les devices, les téléphones sur le marché durent.

Frédéric Couchet : OK. D’accord. Là on a bien compris les principaux problèmes, on pourrait évidemment faire des heures là-dessus, mais le temps passe très vite à la radio. On va passer à vos propositions de solutions, donc de solutions qui durent, pour reprendre l’expression que tu as employée Agnès, notamment sur l’évolution logicielle, logiciel libre, réparabilité. On va peut-être commencer par Gaël qui est donc le fondateur de /e/. Tout à l’heure tu as expliqué un petit peu d’où vient cette idée. En fait, qu’est-ce que c’est que « i » ou « e » en fonction de la façon dont on le prononce ?

Gaël Duval : « i » ou « e », comme on veut, dans d’autres pays ils ont d’autres prononciations aussi, peu importe, on aura vraisemblablement un nouveau nom, petite parenthèse.
Nous, on reprend la base d’Android. Il faut savoir qu’à la base Android est un logiciel libre qui a été racheté, plus ou moins absorbé par Google. Cela dit, tout le cœur du système reste libre, donc on a le droit de le forker, comme on dit, de le dériver pour en faire un autre système d’exploitation. D’ailleurs, au cœur de l’Android il y a le noyau Linux qui tourne, qui est un logiciel libre, c’est intéressant, ce qui nous permet de faire des modifications dedans, tout simplement, de la manière la plus légale possible.
On commence par lister, on repère les traces qui passent sur le réseau de tout ce qui est envoyé comme données personnelles, par exemple les appels sur la géolocalisation, tout ce qui peut être lié aux DNS, donc la recherche des noms de domaine – c’est un peu technique – ou le fait que quand on démarre le téléphone il y a une requête réseau qui va directement sur les serveurs de Google, qui informe Google que le smartphone vient de démarrer. On repère tout ça et on le modifie, c’est-à-dire que, tout simplement, on le coupe et on le remplace soit avec nos propres services soit avec des services équivalents. Typiquement, pour la géolocalisation, on utilise un service de Mozilla qui permet d’affiner la géolocalisation quand on n’est pas à l’extérieur. Et puis on remplace toutes les applications par défaut qui pourraient potentiellement aussi envoyer des données chez Google et on les remplace par des applications qu’on sélectionne. Parfois on les modifie, principalement pour améliorer un petit peu leur interface utilisateur, leur ergonomie quand on pense qu’elle n’est pas d’un niveau acceptable pour quelqu’un qui n’y connaît rien, qui a l’habitude d’un produit tout fini.
On a aussi toute la partie applicative. On reste compatible avec les applications mobiles existantes, donc on peut très bien utiliser, je ne le recommande pas, Facebook sur /e/OS, ça marche très bien. Moi je ne le fais pas, je pense qu’il y a d’autres réseaux sociaux qui sont un petit peu plus vertueux, mais, grosso modo, on peut utiliser toutes les applications qu’on connaît, qu’on a l’habitude d’utiliser, sur /e/OS.
En fait, on offre un truc tout intégré qui permet d’avoir une vie numérique normale, j’allais dire, sans avoir besoin de bidouiller ou sans avoir besoin, non plus, de renoncer à certains usages, mais d’une manière beaucoup plus vertueuse et aussi plus informée. Par exemple, dans notre store d’applicatifs, on donne une note à chaque application de, on va dire, qualité de la vie privée, on appelle ça privacy en anglais, qui est un truc un petit peu arbitraire, mais qui donne déjà une idée de ce qu’il y a dans l’application. Typiquement on regarde le nombre de trackers qu’il y a dans l’application. Les trackers c’est comme les cookies mais pour les applications, ça informe plein d’autres boîtes. Par exemple, si vous utilisez l’application du Nouvel Obs ou Le Monde, en fait vous pensez que vous envoyez des données éventuellement chez Le Monde ou le Nouvel Obs, eh bien oui, mais aussi à 25 autres boîtes, des régies publicitaires, des boîtes qui font de l’analyse de données, etc. On combat tous ces transferts-là de données qui ne nous semblent pas utiles et pas opportuns, donc on va donner ces notes de privacy, de protection de la vie privée. D’ailleurs pour ça, sur la partie trackers on utilise l’outil qu’a cité Agnès, Exodus Privacy, qui est très bien, qui est un outil libre, d’ailleurs développé en France à l’origine, et on fournit un système d’exploitation le plus simple possible à utiliser, quelque chose que n’importe qui peut utiliser en très peu de temps, sans apprentissage spécifique, sans avoir besoin de faire des réglages spécifiques, et qui offre déjà un minimum de garanties sur la protection de la vie privée.
Petite anecdote, il y a une étude de recherche qui vient de sortir hier, d’une université à Dublin. Le chercheur a comparé ce qui était envoyé par défaut sur différents smartphones donc de chez Huawei, Xiaomi, Samsung et /e/OS. Dans tous ceux qu’il a testés, le seul OS à ne pas envoyer de données chez Google et chez d’autres GAFAM c’était /e/OS.
On fait vraiment un gros boulot de nettoyage et d’intégration sur le /e/OS mobile et on bosse avec des gens comme Fairphone et c’est là que c’est intéressant aussi. Je te laisse peut-être répondre.

Frédéric Couchet : Là on a bien compris le but de /e/OS. Mais si je me place d’un point de vue grand public – dans ton historique, tu as notamment cité Mandrake, tu vises évidemment le grand public et tu as beaucoup contribué au niveau des distributions GNU/Linux à ça –, la personne qui écoute se dit ça a l’air bien mais comment je l’installe ? Est-ce qu’il faut que je l’installe sur un téléphone que j’ai chez moi ? Est-ce que vous vendez des téléphones ? Est-ce qu’il faut que j’achète un Fairphone et que j’installe /e/OS ? Comment ça se passe pour les gens qui voudraient utiliser ton système ?

Gaël Duval : On propose différentes manières de l’obtenir. Comme c’est un logiciel libre et que nous-mêmes dérivons d’Android, de LineageOS, etc., on reverse tout ce qu’on fait, toutes nos modifications, avec les mêmes licences, donc n’importe qui peut installer ce qu’on développe et même le modifier ; on a commencé à voir des forks de /e/OS, c’est assez rigolo. Chaque utilisateur peut l’installer lui-même sur un téléphone qu’il possède, un vieux téléphone par exemple. C’est marrant parce que Agnès parlait du support, de la longévité des téléphones, et c’est clairement un sujet qu’on a aussi. On a constaté que sur des téléphones qui pouvaient avoir jusqu’à huit ans, typiquement un S4 mini qui nous a peu bluffé : on a installé /e/OS dessus et on a vu que le truc était totalement utilisable alors que c’est un truc qui a huit ans. Ça pose aussi la question de : faut-il en permanence racheter un nouveau téléphone ? Moi je pense que la réponse est non.
Donc on peut l’installer soi-même. C’est un peu compliqué, il faut reconnaître qu’aujourd’hui le processus n’est pas simple, il faut connecter le téléphone à son ordinateur, taper des lignes de commande. On a aussi, sur demande de nos utilisateurs, lancé des modèles pré-installés avec /e/OS qu’on peut acheter sur notre store dont Fairphone, aujourd’hui Fairphone 3, Fairphone 3+, et, je l’espère bientôt, sur le Fairphone 4 qui vient de sortir, et puis, aussi, sur des téléphones reconditionnés, on bosse avec l’e-commerce en France sur le reconditionné. On va dire que c’est un mélange assez vertueux entre le développement durable et la protection des données personnelles et puis aussi avec d’autres acteurs, Gigaset en Allemagne et plus récemment Teracube aux États-Unis.
C’est d’ailleurs assez rigolo, au passage, de voir que tous ces sujets, aussi bien sur la protection des données personnelles avec le RGPD [Réglement général sur la protection des données], sur le développement durable, sont pris à bras-le-corps par l’Europe, initialement, et après ça traverse l’Atlantique et les Américains commencent à se dire que ce serait peut-être une bonne idée et on a de plus en plus de demandes des US. C’est quelque chose d’assez nouveau et je pense que c’est une opportunité. On voit qu’il y a beaucoup d’initiatives, aujourd’hui, qui sont liées à une informatique, une vie numérique plus vertueuse d’une manière générale, liées au développement durable, qui sont surtout des initiatives européennes. Je trouve ça aussi assez intéressant et assez excitant pour la suite.

Frédéric Couchet : D’accord. Avant de passer la parole à Agnès sur le Fairphone et faire des allers-retours, je précise aux personnes qui posent des questions sur le salon web que je les vois, que je vais les poser aux invités, mais ce sera après la pause musicale.
Nous allons faire une pause musicale. Nous allons écouter Pop3 par Labogalak. Je vous parlerai de l’artiste juste après. On se retrouve dans 2 minutes 20. Belle journée à l‘écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Pop3 par Labogalak.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Pop3 par Labogalak, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous sommes de retour avec Agnès Crepet et Gaël Duval. Gaël, je crois que tu connais Labogalak.

Gaël Duval : Ah ! Ah ! J’ai trouvé ça assez amusant vu le thème de l’émission. Il se trouve que je faisais beaucoup de musique avant et que ça, c’est moi en fait. C’est un truc que j’ai enregistré vers 2003/2004. Le titre relate un peu mes premières aventures internets des années 90, pas mal de souvenirs, les premières communautés virtuelles et tout ça. C’est un petit clin d’œil et j’ai trouvé que c’était assez rigolo de vous proposer ce titre.

Frédéric Couchet : En tout cas j’ai beaucoup apprécié. Effectivement, on a toujours plaisir que l’un des invités soit aussi artiste libriste. D’ailleurs, j’en profite pour dire que nos pensées vont aussi aujourd’hui à Laurent Seguin qui était un libriste et qui était aussi artiste sous le nom de CyberSDF. La musique de deux des jingles de l’émission est Dolling de CyberSDF. On pense bien à Laurent et à sa famille.
Nous allons poursuivre notre discussion sur téléphonie mobile et libertés informatiques. Je préviens mes deux invités que, comme il y a pas mal de questions sur le salon web, on va un petit peu bousculer le programme qu’on avait prévu, en tout cas on va prendre les questions. J’ai bien noté qu’il y a des questions sur le modèle commercial, on y viendra tout à l’heure.
Agnès, est-ce que tu peux nous expliquer ce que propose Fairphone en termes de matériel et aussi, éventuellement, de logiciel. Il y a une question sur le nombre de personnes qui travaillent chez Fairphone pour résoudre les soucis dont tu parlais tout à l’heure.

Agnès Crepet : Dans mon équipe on est cinq ingénieurs, ce n’est pas beaucoup, on est une boîte où on est à peu près 80. On est cinq dédiés à la longévité. Évidemment, il y en a d’autres qui travaillent sur la partie nouveaux produits, en tout cas produits, toujours avec le support nécessaire de Qualcomm, ce que j’expliquais tout à l’heure.
En tout cas Fairphone est une petite entreprise vis-à-vis des mastodontes que sont Samsung, Apple, etc. Mais, à 80, c’est possible de faire un téléphone différemment. L’objectif de Fairphone, de toute façon, ce n’est pas de faire un super téléphone, c’est vraiment d’arriver, à travers ce téléphone, de montrer que c’est possible et d’influencer les autres. Notre rêve ultime c’est de faire en sorte, qu’un jour, les autres fabricants de téléphones essayent de construire un téléphone différemment en respectant à la fois la planète et les gens qui le fabriquent.
C’est pour réponde à la question des personnes.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Sinon, au niveau matériel et logiciel, qu’est-ce que propose Fairphone ?

Agnès Crepet : Le gros focus de Fairphone c’est quand même la partie hardware, le matériel. Comme je le disais tout à l’heure on a toute une action sur les minerais, donc essayer d’extraire des minerais en faisant en sorte qu’il n’y ait pas d’enfants, pas de financement des conflits armés, en respectant les mineurs, donc en les payant de manière convenable. On fait la même chose sur la partie usines en Chine. Il faut savoir qu’aujourd’hui 95 % de la production, l’assemblage des téléphones, a lieu en Chine. Notre idée ce n’est pas de se rapatrier en Europe, c’est vraiment d’être là où ça se passe mal, pour essayer d’améliorer les conditions de travail des gens. Ce qu’on fait différemment c’est aussi être dans l’usine pour essayer d’être là, d’aider les négociations avec les salariés pour qu’ils et elles aient de meilleures conditions de travail, parce que la notion d’union, de syndicat, n’existe pas vraiment en Chine, je pense que ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Le Smic, le revenu minimum en Chine c’est 260 euros. Après avoir beaucoup discuté avec nos employés de la chaîne de production, la chaîne d’assemblage des téléphones, on a identifié, pour qu’ils et elles aient un revenu dit décent, ce qu’on appelle un living wage, qu’il fallait à peu près 653 euros, donc entre 260 et 650 il y a un gap. Le truc un peu drôle, enfin pas très drôle, mais on l’a fait : en payant convenablement aux gens ce qu’ils demandaient ça nous coûtait 1,85 euro par téléphone. On a aussi beaucoup communiqué là-dessus pour montrer que ce n’est finalement pas une prouesse, que plein d’autres peuvent le faire, que si nous l’avons fait d’autres peuvent le faire.
Donc on a tout ce travail sur le respect des gens derrière la fabrication du téléphone, impliqué sur la partie matérielle notamment, et le téléphone lui-même a un design tout à fait spécifique puisque vous pouvez le réparer vous-même. Sur le site web de Fairphone vous pouvez acheter un écran, la batterie, les différents modules si jamais ils cassent. Il faut savoir qu’il y a des parties du téléphone qui cassent très peu comme la machine à vibrations, quand le téléphone vibre, et des parties du téléphone, je ne vous l’apprends pas, qui cassent beaucoup comme l’écran, etc. Donc on propose ce qui casse beaucoup en pièces détachées, mais il ne faut pas être quelqu’un de très technique pour pouvoir faire le changement. L’objectif c’est que mon père, ma tante, puissent faire la même chose chez eux : tu achètes la pièce et tu la changes facilement. Donc il y a un design qui est fait pour être réparé. Il faut savoir que quand on a un design qui est fait pour être réparé, la recyclabilité du téléphone est aussi facilitée puisqu’il est plus facilement démontable. C’est un cercle vertueux où on essaye d’aller, donc le design du téléphone est différent. Quand vous avez un FairPhone dans les mains vous voyez que vous pouvez facilement le démonter. On a évidemment tout un tas de tutoriaux en ligne pour montrer aux gens comment faire ça facilement.

Sur la partie logicielle, quand je dis qu’on ne fait pas grand-chose d’exotique je casse un peu mon équipe, parce que c’est moi qui fais ça, la partie longévité, donc on fait ces upgrades logiciels d’Android dans le temps. Personne d’autre le fait, on aimerait bien que d’autres le fassent, je parle bien d’Android.
Là je peux me permettre, Frédéric, de répondre à ta question de tout à l’heure, que tu ne m’as pas vraiment posée, mais que j’ai abordée tout à l’heure : qu’est-ce que vous livrez par défaut comme système d’exploitation ? Nous livrons un Android certifié. Un Android certifié ça veut dire un Android qui possède les Google Apps, donc Gmail, Google Maps, etc., non pas qu’on soit fans de Google, mais on a toujours eu, dans l’histoire de Fairphone, un OS alternatif disponible, soit on le faisait nous-mêmes soit on a laissé la place à d’autres. Tout à l’heure, Gaël, tu mentionnais le partnership qu’on a. Effectivement, aujourd’hui vous pouvez acheter un Fairphone 3 avec /e/ préinstallé et c’est très bien. Mais pour la plupart des utilisateurs et utilisatrices finaux, aujourd’hui on a fait le choix de rester sur un Stock Android, ce qu’on appelle un Stock Android c’est un Android certifié, un Android classique, parce qu’on ne veut pas se couper de cette base utilisateurs et utilisatrices qui sont parfois réticents à avoir une version alternative d’un OS, donc on propose les deux alternatives.
Pour pouvoir avoir un Android qui dure dans le temps, certifié, il faut passer ces fameuses certifications dont je parlais tout à l’heure et c’est compliqué parce que personne, dans l’industrie, n’est là pour faire en sorte que ce soit facilité.
Encore une fois, je reviens au but premier de Fairphone, le but premier de Fairphone ce n’est pas de faire un super Fairphone. Même le fondateur de Fairphone, qui s’appelle Bas Van Abel, dit souvent que si Fairphone n’existe plus dans dix ans on s’en fout ; l’objectif c’est qu’on ait eu un impact dans l’industrie. D’où l’importance, aussi, de continuer à faire des upgrades du Stock Android, donc d’arriver à convaincre. J’ai passé les 15 derniers jours au milieu des process d’exception de Google, je vous garantis que ce n’est pas très drôle, mais si ça peut participer soit à aider d’autres fabricants de téléphones, soit à convaincre Google qu’il faut faire quelque chose ce serait bien, et je ne parle même pas de Qualcomm. Qualcomm c’est encore une autre opacité. Sur Google on est sur de l’Android dont une partie est open source, etc., pour Qualcomm, il y a des choses qui sont publiées mais beaucoup ne le sont pas. Là c’est pareil, tout ce qu’on peut faire pour convaincre les fabricants de puces à fournir un support logiciel long terme, on pense que ça vaut le coup pour les autres acteurs autour de nous.

Frédéric Couchet : OK. Je vais relayer une question sur IRC qui va compléter une des miennes. La mienne c’est combien coûte aujourd’hui un Fairphone et la question est comment Fairphone a pu baisser le prix de ses téléphones s’il y a une démarche équitable ?

Agnès Crepet : On n’a pas vraiment baissé. On baisse le prix de nos téléphones quand ils commencent à prendre un peu d’âge. Quand on achète une barre de chocolat équitable, on paye deux euros de plus, mais on ne se rend pas bien compte que c’est potentiellement 30 % plus cher parce que ce ne sont que deux euros de plus ou 1,50 euro. Alors qu’acheter un téléphone équitable, oui c’est plus cher, mais ça se sent vite quand on passe la barre des 30 ou 40 %. Quand leur téléphone vieillit, si on veut faire en sorte que les gens continuent de l’acheter, il faut qu’on s’aligne un peu sur une politique tarifaire. Fairphone 3 est sorti il y a deux ans, Fairphone 3+ est sorti il y a un an et demi, on va dire un an, et on était sur des prix à plus de 400 euros, plutôt 450. Le Fairphone 3 est tombé, depuis quelques mois, à 370/380, je ne suis pas du tout dans le pricing, dans tout ce qui est fixation de prix, mais je pense que c’est une bonne chose pour arriver à convaincre les gens d’acheter Fairphone. Le dernier né, tout à l’heure tu l’as mentionné, je n’en ai pas encore parlé moi-même, le Fairphone 4 est à 579 sur la version la plus petite avec 128 Gigas et 16 Gigas de RAM et à 649 avec une version un peu plus forte. On est sur des prix moyenne gamme, on n’est pas sur du téléphone bas de gamme. Vous ne pouvez pas comparer. On ne sera jamais sur des prix d’entrée à 200 euros, vu ce qu’on fait ce n’est pas vraiment possible. On a essayé d’augmenter un peu la qualité technique du Fairphone 4 pour arriver plus dans les prémiums, mais on ne sera jamais sur des téléphones d’entrée de gamme à 200 euros.

Frédéric Couchet : Comme tu l’as dit, ce sont des téléphones qui vont durer donc on ne va pas en changer tout le temps. Jean-Christophe Becquet, qui est intervenu tout à l’heure pour sa chronique, a un Fairphone 2, moi j’ai un Fairphone 3 et on en est très contents.

Agnès Crepet : C’est cool d’entendre qu’il y a des gens qui ont encore un Fairphone 2. C’était mon job pendant longtemps. On a encore 40 000 utilisateurs.

Frédéric Couchet : Exactement, il en a encore un et il en est très content.
Je regarde l’heure. Le temps file très vite. Par rapport au prix, comme le disait tout à l’heure Gaël, il y a aussi la possibilité d’installer des OS comme /e/OS sur des téléphones reconditionnés. Je précise juste que quand tu dis « /e/OS », Gaël, sur le salon web il y a un encouragement à changer de nom parce qu’on pourrait confondre avec « iOS » d’Apple. Donc on vous encourage à trouver un autre nom, même si je connais un peu l’historique de ce choix-là.
Par contre, je relaie une question sur les applications qui ne vont pas passer sur /e/ versus Android, notamment la question des applications bancaires, d’ailleurs la question peut être valable aussi pour le Fairphone : est-ce que quelqu’un qui va installer /e/ va pouvoir utiliser notamment ses applications bancaires ?

Gaël Duval : C’est une super bonne question. Ça fait partie des points qu’on doit améliorer. Aujourd’hui certaines banques ont commencé à prendre de mauvaises habitudes qui consistent un peu à sous-traiter la sécurité de leurs applications mobiles à Google. C’est-à-dire que, grosso modo, sur un certain nombre d’aspects, Google fournit des outils qui, prétendument, donnent plus de garanties que le truc bête, sécurisé, et, en particulier, il y a une partie qui s’appelle SafetyNet. Sans rentrer dans les détails, en gros l’application mobile peut l’interroger pour savoir si elle n’est pas en train de tourner sur un smartphone qui ne serait pas un smartphone officiel, Google, avec le tampon, etc. Pour résumer, Google ne nous facilite pas la vie sur un certain nombre de sujets et, en particulier, sur les applications bancaires qui sont quand même des applications un petit peu sensibles par rapport à la sécurité. Il y a des applications bancaires qui vont refuser de tourner sur /e/OS.
Aujourd’hui c’est la situation qu’on connaît, ce ne sont pas toutes applications bancaires. Personnellement, celle perso et celle professionnelle tournent parfaitement, mais il y a d’autres banques où ça ne tourne pas ou ça tourne parfois de manière un petit peu bancale.
Cela dit, on est en train de travailler sur ces sujets-là et ça fait un petit moment déjà qu’on y travaille. On travaille avec la personne qui s’occupe de la couche de comptabilité avec les services Google Play, un Allemand qui fait un truc super depuis cinq/six ans, qui s’appelle MicroG, et je pense qu’on pourra bientôt annoncer de bonnes nouvelles à ce sujet-là.

Frédéric Couchet : C’est super. Je précise que sur mon Fairphone il n’y a pas FairphoneOs, il y a LineageOS MicroG, comme quoi on peut mixer le meilleur de toutes les solutions. Je précise qu’il va nous rester à peu près une dizaine de minutes comme ça vous le savez.
Aujourd’hui il y a pas mal de questions sur le salon web. Il y a des questions sur l’argent. On va les faire tout de suite même si c’était l’un des points finaux, le modèle de financement. Rapidement, le modèle de financement de /e/ et du Fairphone. Gaël, comme tu avais la parole tu peux continuer. Votre modèle de financement et le chiffre d’affaires. On nous demande carrément les détails et vous répondez ce que vous voulez. Au moins le modèle de financement.

Gaël Duval : Carrément ! En fait c’est un mix. Moi j’ai commencé par Kickstarter fin 2017, une campagne de financement participatif qui a super bien marché ; c’était à la fois pour trouver de l’argent pour avancer le projet et aussi pour tester l’idée. Clairement ça ne suffisait pas. Après on a deux entités. On a une entité qui est une association qui est le cœur du projet, qui donne la garantie que le cœur du projet soit impossible à racheter. Cette entité-là vit avec des dons récurrents, on a plusieurs systèmes, des gens qui donnent, soit qui font des virements, soit qui passent par Patreon, il y a toutes sortes de trucs. Donc on a un petit budget qui nous permet de payer des serveurs, qui nous permet de payer deux ou trois salaires, c’est quand même intéressant. À côté on a une entité qui est dédiée à la commercialisation des téléphones et des services en ligne premium parce qu’on vend aussi des services en ligne basés sur Nextcloud, qui sont synchronisés avec /e/OS.

Frédéric Couchet : Explique rapidement ce qu’est Nextcloud pour les personnes qui ne savent pas.

Gaël Duval : Nextcloud c’est comme Google Docs ou comme Microsoft 365 pour donner une image qui, je pense, va parler à beaucoup de monde. C’est un service en ligne qui permet de retrouver ses données, de stocker ses photos, d’éditer des documents, d’avoir ses mails, de retrouver ses mails. Aujourd’hui on opère ça pour 35 000 comptes utilisateurs et c’est synchronisé avec /e/OS. C’est-à-dire que vous allez retrouver vos mails si vous vous connectez dans votre espace web et vous allez retrouver vos photos, vos documents, vos vidéos, etc.
Donc on a du stockage gratuit jusqu’à 5 gigas et si on veut plus on peut prendre un plan premium, donc payant, parce que, évidemment, tout a un prix, y compris la location des serveurs. Par ailleurs on vend aussi des téléphones, on en a déjà un petit peu parlé, donc on vend des smartphones sur du reconditionné avec Fairphone OS, etc.
L’ensemble fait qu’on a des revenus qui sont en croissance relativement forte puisque, l’année dernière, on a fait plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires et on est bien partis pour faire probablement le double cette année. Ça nous permet de nous financer partiellement puisque, évidemment, je ne vais l’apprendre à personne, on est aussi dans une phase d’investissement, donc il faut aussi embaucher beaucoup de monde pour travailler sur les produits, pour les faire connaître, etc., donc on a aussi levé des fonds sur la partie dédiée au commerce, donc des téléphones et des services en ligne, avec des investisseurs privés aujourd’hui.
Pour nous le financement est un très grand mix qui a comme objectif de rendre le truc pérenne et de fournir le meilleur produit.
Je tiens quand même à préciser que tout ce qu’on fait c’est du logiciel libre, donc on le propose aussi gratuitement. Pour ceux qui le souhaitent c’est sur nos serveurs avec tout le code source qui va avec.

Frédéric Couchet : OK. Merci Gaël. Même question, Agnès, sur le modèle économique de Fairphone et après on va s’approcher de la fin de l’émission.

Agnès Crepet : On est aussi partis par une campagne de crowdfunding à l’origine, on en a fait deux en huit ans. On a aussi des investisseurs, pas beaucoup, l’objectif de Fairphone c’est d’avoir peu d’investisseurs et plutôt de faire du prêt bancaire pour garder un peu le contrôle. Vu ce qu’on fait, on se dit que si on fait rentrer trop d’investisseurs c’est toujours compliqué après pour garder le contrôle sur des choses comme les prix, les minerais, etc. On en a quelques-uns.
Évidemment que notre objectif c’est aussi d’être rentables en vendant nos propres téléphones. Sur 2020 on a vendu un peu plus de 100 000 Fairphone 3, ça aide à être à l’équilibre. 2020 est la première année de notre vie, en huit ans, où on était à l’équilibre financier donc c’est plutôt cool. On est sur un chiffre d’affaires de 36 millions, un petit peu moins de 36 millions, c‘est encore un petit chiffre d’affaires par rapport aux autres, en tout cas c’est la première année qu’on est rentables depuis 2013. On s’est accrochés, on est toujours là. Notre objectif c’est vraiment que l’argent qu’on a, les marges qu’on a sur notre téléphone nous permettent de vivre.
On publie notre cost breakdown. Le cost breakdown c’est où passe l’argent. Quand vous mettez 500 euros dans un FairPhone où est-ce que l’argent passe. C’est publié pour Fairphone 2, Fairphone 3, Fairphone 1 aussi d’ailleurs. On vous dit qu’on passe tant de pourcentage sur la fabrication du produit, tant de pourcentage sur les coûts logistiques, et sur le Fairphone 2, de mémoire, sur 549 euros, il était sorti à 549 euros, il y avait 9 euros qui étaient notre marge.
J’ai beaucoup de questions, parfois, de journalistes qui me disent « c’est quoi par rapport à Apple ? » Évidemment qu’Apple ne va jamais fournir ce genre de chiffres. Demandez à Apple quelle est sa marge sur son téléphone, je ne peux pas vous répondre, mais je peux vous promettre que ce n’est pas 9 euros, que ce n’est pas moins de 10 %.

Frédéric Couchet : OK. D’accord. Je précise aux gens qui sont sur le salon web que je ne peux pas prendre toutes les questions sinon on va dépasser l’heure prévue. Je renverrai les questions non posées à nos invités et ils auront la gentillesse de nous répondre par courriel. Avant-dernière question, rapidement la réponse si vous avez une idée : que peuvent faire les publics aujourd’hui, que ce soit sur la partie logicielle ou sur la partie matérielle, en France ou en Europe ? Est-ce que vous avez, par exemple, une demande particulière ou une idée ? On va commencer par Gaël.

Gaël Duval : C’est une très grande question. Aujourd’hui les pouvoirs publics ne s’intéressent pas beaucoup, malheureusement, et ce n’est pas nouveau, au logiciel libre. Je regrette vraiment de voir s’afficher en permanence certains ministres avec les GAFAM, comme si c’était cool. Il y a beaucoup de questions qui se posent à ce sujet-là, mais il y a quand même quelques petites lueurs d’optimisme puisque, notamment au niveau de l’Europe et de l’Union européenne, il y a quand même aujourd’hui ce sujet de l’indépendance technologique dans bien des domaines, y compris dans le numérique, qui est sur la table et qui est en train de remonter fortement et à grande vitesse dans les dossiers. On a aussi la question de la régulation. On a pu voir quand même depuis quelques années qu’il y a eu un certain nombre de procédures qui ont été lancées, d’enquêtes, etc., et parfois il suffit d’amendes assez importantes. Je pense qu’on n’est qu’au début puisqu’il y a encore des procédures qui viennent de s’ouvrir, notamment sur l’abus de position dominante, etc.
Je reste plutôt optimiste, mais régulièrement déçu par nos pouvoirs publics, en particulier français, sur ces sujets.

Frédéric Couchet : D’accord. Agnès, en quelques mots.

Agnès Crepet : C’est compliqué comme sujet.

Frédéric Couchet : Si tu n’as pas de réponse en tête pas de souci.

Agnès Crepet : Je trouve qu’il y a quand même des choses, le mouvement Right to Repair, ce genre de choses.

Frédéric Couchet : Le droit à la réparation.

Agnès Crepet : Oui. Le droit à la réparation. Ça s’est principalement lancé sur l’Angleterre mais c’est allé aussi ailleurs et je pense que ça a beaucoup d’impacts au niveau de la Commission européenne et c’est plutôt pas mal. On dépasse la téléphonie mobile, ça touchait aussi, principalement, les fabricants d’appareils électroniques, pousser ces fabricants-là à faire des appareils qui durent et capables d’être réparés, je trouve ça pas mal.

Frédéric Couchet : D’accord. Je précise juste, pour les gens qui sont en France, qu’il y a bientôt au Sénat le projet de loi, de mémoire c’est « Réduire l’empreinte environnementale du numérique en France », qui arrive en seconde lecture. Si des gens veulent se mobiliser auprès des sénateurs et sénatrices, n’hésitez pas.
On arrive au bout de ce sujet mais on en reparlera, je pense, dans une autre émission, avec mes deux dernières questions : si vous avez des besoins, des annonces à faire et surtout la question finale, en moins de deux minutes, pour conclure, quels sont les éléments clefs que vous souhaiteriez que les auditeurs et auditrices retiennent de cette émission ? On va commencer par Gaël. On laissera le mot de la fin à Agnès. Gaël.

Gaël Duval : En combien de temps ?

Frédéric Couchet : Moins de deux minutes, c’est pour ça que je l’avais envoyée avant.

Gaël Duval : C’est vrai en plus. Je pense que ce qui est le plus important, à mon sens, c’est de parler de ces sujets, c’est important d’en parler autour de soi, c’est important de se renseigner : qu’est-ce qui se passe dans le smartphone, aussi bien dans la partie logicielle ? Quels sont les modèles d’affaires qui vont autour ? Qu’est-ce qui finance le smartphone, le système d’exploitation ? Où vont les flux marchands aussi ? Est-ce que ça profite à notre collectivité, à nos communs ou est-ce que ça part dans d’autres boîtes à l’étranger ?
Et puis, au niveau matériel évidemment, avec le sujet de l’obsolescence programmée, du fait que, à mon sens, il n’y a pas vraiment de bonne raison qu’un smartphone ne puisse s’utiliser que pendant deux ans.
Donc faire des téléphones dans lesquels on puisse changer la batterie, qu’on puisse réparer, ça me semble super important.
Faire en sorte que les téléphones puissent avoir une deuxième vie, une troisième vie me semble aussi assez important, qu’ils puissent être maintenus dans la durée.
Mais je pense que le plus important aujourd’hui c’est vraiment qu’il faut en parler, il faut que les médias en parlent, il faut que les pouvoirs publics, les politiques s’emparent de ces questions-là. Aujourd’hui ce sont des questions qui sont sous-estimées parce que c’est du soft et que, malheureusement, c’est aussi souvent très complexe, mais les impacts derrière sont colossaux en termes de société, économie, environnement, développement durable, etc.

Frédéric Couchet : Merci Gaël. Agnès.

Agnès Crepet : Je serai très courte : essayez de ne plus changer vos téléphones, en tout cas de les changer beaucoup moins souvent ! Toute la responsabilité n’est pas à rejeter sur les personnes utilisatrices, mais on a vraiment à s’interroger là-dessus.
Pensez aux personnes qui fabriquent ça.
Achetez un Fairphone si jamais vous voulez, mais la meilleure des choses c’est de garder le téléphone que vous avez déjà et essayez de prolonger sa durée de vie.
Ce sont les clefs.

Frédéric Couchet : Merci à vous deux. Je me joins aux remerciements que je vois sur le salon web, je cite le dernier : « Merci aux deux personnes qui sont intervenues pour leur absence de langue de bois et pour la qualité de leurs interventions ». J’ai bien conscience, les gens qui êtes sur le salon, que vous aviez plein d’autres questions. On réinvitera Gaël et Agnès si possible peut-être sur place.
Il y a un petit remerciement personnel pour Gaël : « Mandrake est devenu mon système d’exploitation principal depuis le début des années 2000 », c’est tuxakadjseb qui nous dit ça sur le salon web. Effectivement, je pense qu’il y a encore beaucoup de gens qui utilisent des versions dérivées ou, peut-être encore, des versions de Mandrake sur un ordinateur.
En tout cas merci à tous les deux.
Je vais répondre à la question, au quiz, avant de passer à la pause musicale. D’ailleurs est-ce que vous aviez une idée de la réponse ? Je vais redonner la question : quel est le nom de la personne considérée comme ayant écrit le premier programme informatique. Est-ce que, Agnès ou Gaël, vous aviez une idée de la réponse ? Je suis désolé pour la question piège.

Agnès Crepet : Je pense que c’est Ada Lovelace ?

Gaël Duval : Moi aussi, c’est ce que j’ai répondu.

Frédéric Couchet : Exactement. La réponse est Ada Lovelace de son nom complet Augusta Ada King, qui est une pionnière de la science informatique. Elle est principalement connue pour avoir réalisé le premier véritable programme informatique lors de son travail sur un ancêtre de l’ordinateur, la machine analytique de Charles Babbage. Et pourquoi ai-je posé cette question aujourd’hui ? Tout simplement parce que ce mardi c’est le Ada Lovelace Day, une initiative lancée en 2009 qui vise à présenter les réussites de femmes actives dans les domaines technologiques ou scientifiques afin d’augmenter la visibilité de modèles positifs féminins. C’est un grand plaisir d’avoir Agnès qui est, évidemment, un modèle à suivre et qui, en plus, par différentes actions associatives, participe effectivement au développement de modèles féminins dans l’informatique, je pense notamment à Duchess France. J’avais d’ailleurs eu l’occasion d’inviter, il y a quelques mois, Katia Aresti qui, je crois, fait aussi partie de Duchess France.
C’était un grand plaisir de vous avoir tous les deux. J’espère vous voir bientôt un jour, sur place au studio, pour compléter cette émission.
Je vous souhaite de passer une bonne fin de journée.

Agnès Crepet : Merci Frédéric. Merci pour l’invitation. Au revoir.

Gaël Duval : Merci beaucoup. Bonne fin de journée au revoir.

Frédéric Couchet : À bientôt. Au revoir.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter une rediffusion de notre sujet principal enregistré le 12 octobre 2021.
Nous sommes de retour en direct et vous retrouverez d’ores et déjà la transcription et le podcast de cette émission, transcription réalisée par la géniale Marie-Odile, j’en profite pour la saluer.
Peut-être que cet échange vous aura donné quelques idées pour un beau voire un très beau cadeau, à faire seul ou à plusieurs, cette fin d’années approchant.
Je vous propose maintenant de faire une courte pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons parler d’écologie. La chanson à venir se penche sur la place des voitures et en particulier des 4X4 dans notre société. Je vous propose donc d’écouter 4x4 par Jean Bleu. On se retrouve juste après, toujours sur Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : 4x4 par Jean Bleu.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter 4x4 par Jean Bleu, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu. Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre », de Laurent et Lorette Costy, sur le thème des moteurs de recherche

Étienne Gonnu : Pour notre dernier sujet, Laurent et Lorette Costy nous ont fait parvenir le dernier épisode de leur chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » aujourd’hui sur le thème des moteurs de recherche. On les écoute et on se retrouve juste après, toujours sur Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

Laurent Costy : Hello Lorette, aujourd’hui, on va parler moteurs !

Lorette Costy : Papi en a plein son garage ! Il lui reste aussi une boîte de vitesse de 4L. C’est sûr, elle est ancienne parce qu’il n’y avait que qautre rapports à cette époque ! Ça c’était de la vraie mécanique ! Pas comme ces abrutis de constructeurs qui sont capables d’installer des haut-parleurs pour augmenter le bruit des pots d’échappement et faire croire qu’on en a une plus grosse…

Laurent Costy : …de voiture. Oui, j’ai lu ça aussi dans les CheckNews du journal Libération. J’ai ressenti un effroi profond et, à la fin de l’article, j’ai même perdu un bout de cerveau et un jour de ma vie. Une preuve absolument magnifique que la connerie est infinie contrairement à nos ressources terrestres !

Lorette Costy : Eh oui ! Du coup, si on inventait tous les deux une centrale alimentée par la connerie, crois-moi, on résoudrait les problèmes énergétiques pour la Planète pendant très longtemps !

Laurent Costy : Mais en voilà une bonne idée ! Je m’attelle à la tâche dès la fin de cette chronique. Et si on trouve quelque chose, on fait comme Didier Pittet, médecin suisse, qui a développé la formule du gel hydroalcoolique dans les années 90. On fait don de l’invention pour qu’elle puisse se diffuser librement. En l’occurrence, il a donné la formule à l’Organisation mondiale de la santé. Merci à lui !

Lorette Costy : Oui, merci à lui ! Ça sauve des vies que de partager ! Mais je suppose que ce n’était pas pour me parler de santé et de mécanique automobile que tu m’as convoquée ! Ce n’est pas plutôt la mécanique de recherche sur le Web dont on doit parler ?

Laurent Costy : Effectivement, ne nous éparpillons pas et revenons à nos cheurnilles ! Papillons – Cheurnilles !

Lorette Costy : Ouais. Il ne manque pas d’« r » ce jeu de mot. Par contre, je suis contente qu’il soit dans ta réplique !

Laurent Costy : Donc on va causer moteurs de recherche et essayer d’identifier ceux qui sont les moins pire quand on souhaite préserver sa vie privée sur le Web.

Lorette Costy : D’accord, je te propose un plan en quatre parties : comment ça marche, petit panorama des moteurs principaux, les trucs invisibles sur le Web qu’on dirait qu’ils n’y sont pas mais qui existent quand même et, pour conclure, quelques choix à opérer pour reprendre le contrôle.

Laurent Costy : J’adore les gens organisés comme toi ! Allons-y sur le comment qu’ça marche. Les structures qui offrent un service de recherche utilisent des programmes appelés crawlers, user agents, bots ou encore spiders. Ces logiciels sont conçus pour visiter des pages Web et copier les informations qui s’y trouvent pour consolider et mettre à jour un index, autrement dit un gros catalogue. Ces user agents que, à titre personnel, j’aurais bien appelé « arpenteurs » si on m’avait posé la question, se déplacent de lien hypertexte en lien hypertexte et cartographient les liens qui existent entre les pages.

Lorette Costy : C’est donc cet index, ce catalogue, qui est interrogé lorsque je fais une recherche ? Et, si je comprends bien, plus de liens renvoient vers une page, plus cette page sera suggérée comme réponse sur un thème donné ?

Laurent Costy : Oui, c’est ce que Google appelle le PageRank. Mais, pour bien répondre à une question, il est important de connaître le contexte sinon, on répond « moteur de 4L » au lieu de « moteur de recherche ». Outre ce classement, Google utilise aussi ce qu’il sait de toi et continue, au passage, évidemment, à collecter des données pour en savoir toujours plus sur ta vie privée.

Lorette Costy : Bisque-gauffrette ! C’est donc pour ça que les moteurs de recherche qui respectent vraiment la vie privée sont bien moins efficaces !, parce qu’ils s’interdisent de contextualiser la recherche au-delà des seuls termes mentionnés !

Laurent Costy : Exactement. C’est donc à toi de choisir si tu veux continuer à alimenter un ogre déjà trop puissant qui te fera gagner un peu de temps ou si tu préfères en dissiper un peu pour préserver ta vie privée. Stéphane Bortzmeyer m’a même rapporté cette phrase entendue dans une réunion rassemblant des écologistes : « Quand je veux planter un arbre, je vais sur Ecosia, quand je veux une réponse, je vais sur Google ! »

Lorette Costy : Glups-yaourt ! C’est vraiment pas facile de se passer de ce moteur hyper-puissant et dominant ! Et les autres moteurs de recherche ?

Laurent Costy : Listons d’abord les plus connus et ceux qu’il vaut mieux éviter.

Lorette Costy : Je vais te les réciter parce que, suite à ta demande insistante mais néanmoins rémunérée, je les ai appris par cœur. Il y a Baidu en Chine, Yandex en Russie ou même Bing, le moteur de recherche de Microsoft qui date de 2009.

Laurent Costy : Malgré ce que l’on pense en général, Bing a quand même du trafic, très probablement parce qu’il est le moteur de recherche par défaut du navigateur Internet Explorer ou Edge dans sa dénomination la plus récente. Bref ! Bravo pour les principaux moteurs à éviter ! Et les alternatives qu’il vaut mieux privilégier du coup ?

Lorette Costy : Il y a par exemple, CC Search un métamoteur de recherche d’images libres. Il propose actuellement près de 300 millions d’images en licence Creative Commons.
Il y a Qwant et Qwant Junior adapté pour les plus jeunes.
Lilo, lui, est un moteur français solidaire et se dit aussi respectueux de la vie privée.
Et enfin, pour clore cette liste non exhaustive, Brave search et Ecosia que j’utilise moi-même, qui est un moteur de recherche solidaire, allemand, qui reverse 80 % de ses bénéfices pour un programme de reforestation.

Laurent Costy : Bah dis donc, heureusement que moi, je ne te reverse pas tout ce que je dis te devoir en argent de poche dans cette chronique car, à cette heure, je serais ruiné !
Pour préciser la différence entre moteur et métamoteur de recherche, disons qu’un métamoteur puise ses informations à travers plusieurs moteurs de recherche généralistes. En le choisissant bien, c’est aussi un moyen de faire un premier écran vis-à-vis des moteurs dominants qui pompent les données.

Lorette Costy : Ces méta-moteurs peuvent être spécialisés comme CC Search, déjà évoqué tout à l’heure, ou généralistes comme Searx, qui se qualifie lui-même de « méta-moteur de recherche hackable et respectueux de la vie privée ». Il y a aussi Startpage ou DuckDuckGo pour les plus connus.

Laurent Costy : Bouloulou !, mais tu en sais presque plus que moi ! Tu vas donc pouvoir expliquer ma fausse indignation : « Mais c’est pas juste ! c’est Google qui fait majoritairement le boulot, et ce sont les métamoteurs qui se font vraisemblablement de l’argent au passage ! » [Prononcé avec une voix légèrement indignée, NdT]

Lorette Costy : Ah bah non, là je sais pas, pour le coup !

Laurent Costy : Mince, ça m’aurait enlevé une épine de la couronne des lauriers de César que, des fois, c’est du fenouil.
Chacun doit trouver sa réponse mais, en ce qui me concerne, le respect de la vie privée passe devant les modèles économiques, donc je n’ai aucun scrupule à utiliser des métamoteurs. Quand Google sera réellement transparent, je reconsidérerai peut-être cette fausse indignation. Et puis, ne nous y trompons pas, si les métamoteurs devenaient plus utilisés, il y a fort à parier que les moteurs tels que Google ou Bing imposeraient de nouvelles contraintes pour rendre plus difficiles les recherches par l’intermédiaire de métamoteurs.

Lorette Costy : Tant qu’il n’y a que quelques barbus comme moi qui les utilisent, ça reste supportable pour les géants du Web, mais, je déduis qu’il n’y a guère de solutions qui se passeraient réellement de Google.

Laurent Costy : Il nous tient par la barbichette et sait très bien que c’est toi qui riras en premier puisqu’il te connaît bien !

Lorette Costy : Tiens, en parlant de ça, sur le site de l’académie de Paris, on trouve un article très explicite de Benjamin Martin qui explique que le nombre de critères pris en compte par Google pour apparier une requête et des contenus, est compris entre 200 et 300 ! Il y a par exemple l’historique du taux de clics, la fraîcheur des documents, la fréquence de publication, la fréquence des mises à jour aussi. Mais bien sûr, un grand nombre de ces critères et leur pondération sont gardés secrets.

Laurent Costy : Le secret industriel est invoqué, bien sûr. Il s’agit de garder une avance stratégique sur la concurrence pour rester dominant et imposer les règles, mais il n’y a pas que ça. L’incroyable popularité potentielle d’une page attire les margoulins élevés au biberon de cette société de consommation et de compétition qui voudraient pouvoir propulser leur page dans les premiers résultats pour vendre toujours plus. Le secret sur l’algorithme limite ces effets.

Lorette Costy : Tiens, j’y pense. Que se passe-t-il si une page ou un site ne contient pas de liens qui pourraient attirer les « arpenteurs » à lui ?

Laurent Costy : C’est une excellente question ! Je me sens obligé de faire une excellente réponse ! Il existe plein de raisons qui peuvent expliquer pourquoi une page n’est pas référencée. Le format de fichier, le poids ou le choix assumé « d’invisibiliser » le contenu sont autant de raisons qui peuvent expliquer ce non référencement.

Lorette Costy : Comment fait-on alors pour atteindre ces pages non accessibles par les voies habituelles que sont les moteurs de recherche ?

Laurent Costy : Ton mécanisme de pensée tourne comme un moteur de 4L bien réglé. Pour atteindre une page non référencée il faut alors avoir une adresse précise ou un lien qu’une personne t’aura donné.

Lorette Costy : On m’a dit aussi que l’on pouvait utiliser des oignons pour rechercher sur le Web invisible. Une telle recette pourrait faire pleurer les chercheurs néophytes.

Laurent Costy : Il existe effectivement des moteurs adaptés tels Onion.City ou Grams. Dans une prochaine chronique on cherchera ensemble, père et fille, main dans la main, de la drogue et des faux-papiers sur Internet. Euh, en fait non !, on ne fera pas ça. Mon oreillette me dit que l’éducation par la pratique a ses limites.

Lorette Costy : Oui, et puis j’ai déjà tout ce qu’il faut. J’ai des plantes homéopathiques pour m’endormir le soir et j’ai aussi récupéré le pass sanitaire de Bob l’éponge.
Pour en revenir à la partie invisible, que deviennent les sites internet obsolètes, non mis à jour ou effacés ? Ils rejoignent le Wahalala de Schrödinger ou le cimetière des mèmes oubliés avec genre la marmotte qui crie ?

Laurent Costy : Eh bien figure-toi qu’une association s’est créée pour répondre à cette crainte de voir une mémoire colossale se perdre dans les limbes infinis du virtuel. Si tu vas sur le site web.archive.org, tu vas pouvoir retrouver certains sites ou des contenus à différentes époques. À titre indicatif, la Bibliothèque nationale de France scanne aussi le Web et possède à cette heure plus d’un pétaoctet de données ; on vous mettra tous les 0 qui vont bien du pétaoctet dans la page de la chronique.

Lorette Costy : Excellent ! Je viens de taper april.org dans la recherche proposée sur web.archive.org et j’ai affiché la page principale du site du 9 octobre 1997. Qu’est-ce qu’il était seyant ce logo April rouge concaténé sur bandeau vert à gauche ! Et puis, ce GNU bleu, blanc, rouge ou le rectangle arc-en-ciel, témoignent d’une certaine recherche graphique caractéristique de l’époque.

Laurent Costy : Merci déesse en critique d’art, je transmettrai à Frédéric Couchet ! Manquerait plus que tu critiques les gens qui mettent des bermudas orange ! Bon, on va en reste là pour aujourd’hui, on se donne rendez-vous à la prochaine chronique où je te promets que l’on va bien s’amuser avec les moteurs de recherche ! La bise ma puce au silicium !

Lorette Costy : Bisous Papa Potam !

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter la chronique de Laurent et Lorette Costy « À cœur vaillant la voie est libre ». Ils faisaient référence à un projet absolument fondamental pour notre mémoire commune, archive.net, que je vous invite à découvrir si vous ne le connaissez pas, notamment pour voir à quoi ressemblait le site de l’April il y a plus de 20 ans.
Nous retrouverons Laurent et Lorette Costy en 2022 pour un nouvel épisode.

Nous approchons de la fin de notre émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Pour connaître les organisations libristes et les événements relatifs au logiciel libre près de chez vous, rendez-vous sur agendadulibre.org, un site assez indispensable.
Par exemple je vois notamment que mardi 14 décembre, l’association Guilde, basée à Grenoble, organise une install-partie c’est-à-dire un événement pour aider à l’installation de systèmes libres sur son ordinateur ainsi qu’une rencontre entre des utilisateurs et utilisatrices de Fairphone.
Je constate également que plusieurs permanences GNU/Linux auront lieu cette semaine, à Montpellier le 9 ou à Juvisy-sur-Orge le 11 décembre.
D’autres événements sur différents thèmes comme la vie privée, la monnaie libre ou les jeux vidéo par exemple à retrouver sur le site agendadulibre.org.
C’est aussi l’occasion de vous rappeler, en cette fin d’émission, que l’April continue à participer à cette très belle aventure que représente Cause Commune, c’est notre cinquième saison à présent. La radio Cause Commune est une radio associative et elle a besoin de soutiens financiers notamment pour payer les frais matériels – loyer du studio, diffusion sur la bande FM, les serveurs et ainsi de suite. Nous vous encourageons vraiment à aider la radio par exemple en faisant en un don. Vous pouvez aussi contribuer par d’autres manières, sur le site de la radio vous trouverez des manières de faire, en proposant du contenu, en proposant par exemple des musiques libres pour que nous puissions les diffuser dans notre émission. Retrouvez les infos sur le site causecommune.fm.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Jean-Christophe Becquet, Agnès Crepet, Gaël Duval, Frédéric Couchet, Laurent et Lorette Costy.
Aux manettes de la régie aujourd’hui ma collègue Isabella Vanni.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, tous bénévoles à l’April, ainsi que Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet. Si vous êtes intéressé par une manière simple de contribuer je suis sûr que Quentin serait ravi d’avoir de l’aide pour découper ces podcasts, ça ne lui pas prend pas forcément beaucoup de temps toutes les semaines, mais toutes les semaines ça lui prend du temps. C’est un exemple de manière par laquelle vous pouvez contribuer à Libre à vous !. N’hésitez pas à nous contacter si ça peut vous intéresser, je crois qu’il n’y a pas forcément besoin de grandes compétences techniques et que ça peut s’apprendre relativement facilement.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question, nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous. Faites connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 14 décembre 2021 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur le Plan d’action logiciels libres du Gouvernement et du rôle de la Direction ministérielle du numérique, la DINUM.

Nous vous souhaitons de passer une très belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 30 novembre et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh tone par Realaze.