3 ans ⅔ de « Dégooglisation » : bilan, impact et perspectives - Pierre-Yves Gosset

Titre :
Dégooglisons internet : 3 ans de campagne ou 3 ans ⅔ de « Dégooglisation » : bilan, impact et perspectives.
Intervenant :
Pierre-Yves Gosset
Lieu :
Rencontres mondiales du logiciel libre 2018 - Strasbourg
Date :
juillet 2018
Durée :
1 h 01 min 12
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Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
diapositive du diaporama support de la présentation
transcription réalisée par nos soins.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l’April.

Description

On fait le bilan, calmement.
Aux RMLL 2014, Framasoft annonçait sa volonté de vouloir agir contre les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). D’octobre 2014 à octobre 2017, l’association a donc menée la campagne "Dégooglisons Internet". Cela s’est traduit par une sorte d’escalade de l’Himalaya, mais en tongs. Quels étaient les enjeux essentiels ? Comment s’y prendre ? Quelle(s) route(s) suivre ? Comment sortir 10 services grands publics par an ? Comment financer une telle expédition ? Avec quels moyens humains ? Et si on atteignait le sommet… comment redescendre ?
Cette conférence, qui prendra le temps de rappeler les enjeux, s’attachera à lever un coin de voile sur une campagne plutôt réussie, mais menée de façon très empirique. Enfin, nous essaierons, ensemble, d’en faire le bilan.

Transcription

Bonjour à tous et à toutes. Je m’appelle Pierre-Yves Gosset, je suis directeur et délégué général d’une association qui s’appelle Framasoft [1].
Cette conférence est la première partie d’une conférence qui, en fait, tient en deux heures. Donc je l’ai coupée en deux, un petit peu au milieu, puisqu’à 17 heures je commence ici même la deuxième conférence qui, elle, sera beaucoup plus politique et sur le bilan post-dégooglisons. Mais puisqu’on avait une campagne qui s’appelait, qui s’appelle toujours « Dégooglisons Internet », on voulait au moins marquer le coup de finir cette campagne et de célébrer cette petite victoire avec vous et puis, peut-être, interroger ce que vous vous en pensez, quels ont été les ratés, etc. Ensuite, à 17 heures, on fera une deuxième partie un petit peu plus complexe, un petit peu plus politique derrière.

Titre chiant (mais qui fait sérieux ;-) )

Je ne savais comment l’appeler donc j’ai pris un titre un peu chiant qui s’appelle 3 ans ⅔ de « Dégooglisation » : bilan, impact et perspectives.

C’est quoi « Dégooglisons Internet » ?

Je vais essayer peut-être de rappeler avant tout c’est quoi « Dégooglisons Internet » [2]. Donc là vous m’avez moi en photo, c’était aux RMLL 2014, avec probablement une trentaine de kilos de moins et qui présentais le projet qui n’existait pas encore, vu qu’on l’a sorti en octobre 2014. Un projet qui allait s’appeler « Dégooglisons Internet ». Et c’est quoi « Dégooglisons Internet » ? L’objectif était triple :

  • il était de sensibiliser le public à la centralisation du web ;
  • il était de démontrer que le logiciel libre était une solution ;
  • et dès le départ, on ne l’a pas rajouté en cours de route même si ça nous aurait beaucoup ressemblé, on avait dans l’idée d’essaimer notre démarche.

Donc pour un petit peu mieux comprendre ce à quoi visait « Dégooglisons Internet », on avait fait une petite carte inspirée de la carte d’Astérix avec le petit village gaulois qui résiste en face à tous les camps romains qui sont Google docs, Trello, Slack, Facebook, Google Books, etc.
Je vais aller assez vite sur ce qui nous a motivés à lancer ça. Le facteur déclenchant c’était très probablement les révélations d’Edward Snowden, lanceur d’alerte américain, qui annonce et montre la collusion entre les États et non seulement les GAFAM, enfin neuf entreprises : les services de renseignement américain d’un côté, donc la NSA et d’autres, et neuf entreprises du numérique américaines à savoir Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Cisco, Yahoo et quelques autres. Ça nous met une certaine claque et on se dit que, effectivement, il faut trouver une parade à cette problématique-là.
À côté de ça on voyait bien qu’il y avait un véritable problème avec la centralisation d’Internet, ce qu’on a plus ou moins résumé dans ce qu’on appelle la tripe domination :

  • une domination technique avec ces GAFAM, donc Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ; la domination technique ne s’exerce pas uniquement sur Internet, elle s’exerce aussi dans l’intelligence artificielle, dans les voitures autonomes, dans les objets connectés, dans vos téléphones, etc. Donc ça c’était quelque chose d’assez évident. Ce sur quoi on voulait mettre la lumière c’était deux autres types de domination ;
  • une domination économique que les gens ne percevaient pas forcément en 2014 et ensuite encore plus en 2016. Là vous avez un graphique qui représente les cinq plus grosses capitalisations boursières mondiales. On voit bien – vous ne voyez peut-être pas forcément l’écran –, mais en 2001 il n’y avait que Microsoft qui faisait partie du Top 5 ; en 2016, les cinq plus grosses capitalisations boursières mondiales sont Apple, Alphabet donc Google, Microsoft, Amazon et Facebook ;
  • l’autre type de domination sur lequel on est intervenus un petit peu plus tard, là aussi on a un petit peu creusé les argumentaires, c’était la domination culturelle et politique ; c’est, en gros, comment ces entreprises ont réinventé un post-capitalisme qui s’appelle le capitalisme de surveillance, qui est assez bien décrit par une économiste germano-américaine qui s’appelle Shoshana Zuboff. Ce capitalisme de surveillance joue sur différentes choses. Il joue évidemment sur le fait qu’on est surveillés en permanence, que l’extraction des données se fait en permanence, mais aussi sur des changements, des disruptions nous dirait notre président ! Typiquement Uber qui arrive, donc la désintermédiation, mais c’est aussi le fait qu’aujourd’hui, en travaillant notamment ce qu’on appelle l’économie de l’attention, le fait que vous « scrolliez » pendant une demi-heure, avant de vous coucher, sur des vidéos de chats plutôt que de lire un bon bouquin, c’est quelque chose qui est pensé, c’est quelque chose qui est souhaité, c’est quelque chose qui est voulu et c’est quelque chose qui veut être entretenu. Et donc qu’est-ce que ça pose comme problématiques à moyen et à long terme ?

Bilan « Démonstration »

Là je ne reviens pas parce que j’ai fait cette conférence sur la triple domination des dizaines et des dizaines de fois ; l’objectif, là, c’était plutôt de faire un bilan sur ce qu’on a fait, finalement, ces dernières années.
Le bilan de cet aspect démonstration c’est que, d’abord, on a sorti une trentaine de services qui sont libres, éthiques, décentralisés et solidaires, je pourrai revenir dessus si vous voulez. Là je vais les passer rapidement en revue, mais j’ai voulu tous les mettre tout simplement parce que je voulais qu’on prenne conscience du travail qui avait été effectué. Donc c’est un peu du frottage de ventre, mais il faut quand même célébrer un petit peu ça. Et donc c’est parti. Vous retrouverez la liste évidemment sur degooglisons-internet.org/fr/list/ :

  • Framapad alternative à Google docs ;
  • Framacalc alternative, toute pourrie mais malgré tout existante, à Google Spreadsheet ;
  • Farmabag alternative à Pocket, Pocket racheté par Mozilla aujourd’hui mais le fait est que là on a un produit qui est 100 % libre alors que Pocket ne l’est toujours pas ;
  • Framadate alternative à Doodle, plus d’un million de sondages aujourd’hui ;
  • Framindmap alternative à Mindmaps ;
  • Framanews alternative au défunt Google Reader ;
  • Framasphère alternative, là encore plutôt à la ramasse mais on fait ce qu’on peut, à Facebook et Twitter. Quand je dis « on » ce sont les communautés du Libre, ce n’est pas nous Framasoft ;
  • Framabin alternative à Pastebin ;
  • Huit.re ou Frama.link alternative à bit.ly, au futur défunt Goo.gl, eh oui !
  • Framapic alternative img.ur ;
  • git.framasoft.org ou Framagit alternative à Github ou au défunt Google Code. Vous noterez le nombre de défunts quand même en quelques années ;
  • Framabee alternative, là encore un peu pourrie, alias Tonton Roger pour ceux qui préfèrent, à Google Search ;
  • Framabookin alternative, là aussi à la ramasse mais il y a plein d’idées à travailler dessus, à Google Books ;
  • Framagames, pas vraiment d’alternative, mais il faut bien rigoler de temps en temps ;
  • Framadrive alternative à Dropbox ;
  • Mypads qui a été un logiciel qu’on a développé pour améliorer Etherpad donc on va dire alternative, encore une fois, plutôt côté Google Docs ;
  • Framaboard alternative un peu pourrie, plus puissante mais moins jolie, à Trello ;
  • Framadrop alternative à WeTransfer ;
  • Framacarte alternative à Google Maps, on va dire au fait de mettre des points sur Google Maps, L’alternative à Google Maps, en tant que telle, c’est plutôt OpenStreeMap. Framacarte est basé sur uMap qui est une surcouche à OpenStreetMap, qui permet de faire des tracés et autres ;
  • Framateam alternative au groupe Facebook ou à Slack ;
  • Framavox prise de décision ;
  • Framinetest alternative à Minecraft Edu ; là aussi c’était plutôt pour rigoler mais ça marche plutôt bien ;
  • Framalistes alternative à Google Groups, qui envoie plus de 100 000 mails par jour ;
  • Framanotes alternative à Evernotes, là aussi pourrie, mais les communautés du Libre travaillent autant qu’elles le peuvent et aussi vite qu’elles le peuvent ;
  • Framagenda alternative à Google Agenda ;
  • Framaform alternative à Google Forms ;
  • Framatalk alternative à Skype ;
  • MyFrama alternative à del.icio.us ;
  • Framaestro alternative à rien du tout puisque ça n’existait pas et ça reste bien trop méconnu à mon goût ;
  • Framaslides alternative à Google Slides ;
  • et, en 2018, on a sorti aussi Frama.site et Framatube qui va arriver au mois d’octobre.

Voilà ! Hou ! Je peux reprendre ma respiration.
Donc on a commencé en octobre 2014 et, si je reprends la carte de tout à l’heure, eh bien on peut dire qu’on est arrivés quasiment au bout. Là la carte date d’octobre 2016 mais depuis on a fait Google Slides enfin alternative à Google Slides, alternative à Blogger et alternative à YouTube qui est en cours ; des alternatives à Change, à Scribd et Meetup sont aussi en cours pour les années ou les mois, même, à venir.
On l’avait mis sur la Corse ; il n’y aurait pas d’alternative à Gmail chez Framasoft. Je reviendrai dessus tout à l’heure.

Évaluation

L’évaluation, finalement, qu’on peut faire de tout ça ? Qu’est-ce qu’on peut dire ?
Déjà que le Libre ça marche. Aujourd’hui même la DINSIC, je m’en suis aperçu relativement récemment, donc la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État, recommande, par exemple, l’utilisation de Framagit, ce qui fait qu’on se retrouve avec Parcoursup hébergé chez nous. Évidemment, projet dont on ne partage pas les valeurs et les objectifs mais au moins, voilà une forme de reconnaissance ! Donc le Libre ça marche.
On peut dire, ce qui n’était pas du tout notre cas avant qu’on lance cette initiative « Dégooglisons Internet », que Framasoft est devenu un petit peu éditeur et mainteneur de logiciels, sachant que sur les 34 existants, il y en avait 12 sans réelle alternative libre donc qu’on a développés en interne et il y en a 7 qui ne sont pas des logiciels Framasoft mais sur lesquels Framasoft est devenu quasiment mainteneur principal ou, en tout cas, un des plus gros contributeurs, je pense notamment à Ethercalc. Vous allez rire parce que forcément Ethercalc est un peu pourri. Pour ceux qui ne voient pas, Framacalc, notre alternative à Google Spreadsheet, le fait est que la développeuse initiale a complètement lâché l’affaire et, du coup, c’est Luc, qui intervenait juste avant dans cette même salle, qui se retrouve mainteneur, enfin admin sur le dépôt de Ethercalc aujourd’hui.
Donc on a des logiciels comme ça sur lesquels on se retrouve à faire du développement upstream c’est-à-dire à faire du développement sur le logiciel qu’on avait juste copié au départ mais, en fait, on y apporte des améliorations et, du coup, on se retrouve un petit peu en interaction forte avec ces logiciels-là.
Je rebois un coup.Dommage, il n’y a pas de Gewurzt !
Du coup on est devenus plus ou moins sans le vouloir, enfin surtout sans le vouloir, pas plus ou moins jusqu’à preuve du contraire, jusqu’à ce que vous me disiez qu’il y en a d’autres qui font plus, la plus grosse offre mondiale de services libres, éthiques, décentralisés, et solidaires, accessibles en tout cas gratuitement. Il y a probablement des entreprises qui en proposent plus, mais, du coup, ce n’était pas notre objectif de devenir le plus gros, en tout cas pas en trois ans.
Aujourd’hui, ça c’est sur l’ensemble de Framasoft, ce n’est pas uniquement sur « Dégooglisons Internet », mais ce sont 103 noms de domaines, 28 serveurs physiques et, en gros, une cinquantaine, soixantaine de VM, donc de machines virtuelles qui font tourner l’ensemble de ces services. Le tout géré par une équipe ridiculement restreinte. Encore une fois je crois que Luc est parti vendre sa bière, mais il est le seul adminsys salarié de Framasoft, épaulé par entre deux et trois développeurs qui viennent lui prêter main forte quand, par exemple, il est en train de vendre de la bière aux RMLL pour s’assurer que les serveurs continuent de tourner chez nous.
Mais globalement on l’a fait avec trois fois rien comme moyens.
Le résultat aujourd’hui – c’est une évaluation – entre 300 et 500 000 personnes par mois qui viennent utiliser les services Framasoft. Là aussi, on n’avait pas du tout prévu autant. Je suis assez flou sur ce chiffre-là parce que, tout simplement, on ne garde pas les adresses IP ; on « stat » qui vient : à chaque fois qu’il y a quelqu’un qui vient sur nos sites on sait – on utilise Matomo, anciennement Piwik, je crois qu’il y a des gens de Piwik qui sont aux Rencontres mondiales – pour faire nos statistiques, par contre on l’utilise en mode anonymat maximum ; ça veut dire qu’on ne garde pas les adresses IP de chaque personne qui vient sur notre site, ce qui fait que c’est compliqué pour nous de savoir, de faire la différence entre qui est une personne, est-ce qu’elle vient elle fait une visite ? Ou est-ce qu’elle en fait dix ? Ou est-ce qu’elle en fait cent ? Pour nous, très concrètement, on ne le sait pas, à la limite on s’en fout, mais en appliquant une bonne vieille règle de trois par rapport aux chiffres qu’on avait quand on utilisait Google Analytics – parce qu’on a utilisé Google Analytics chez Framasoft jusqu’en 2013 – en appliquant les mêmes ratios, du coup j’estime à la louche entre 300 et 500 000 le nombre de personnes qui viennent chaque mois utiliser nos services.
Évidemment il faut maintenir tout le bordel !

Vous validez ?

Donc je ne sais pas si vous vous validez, mais pour nous le contrat et l’engagement sont remplis.

Bilan « Sensibilisation »

Le côté maintenant sensibilisation.

Framapartout

Donc on a vu du Frama partout : Next Inpact, l’Humanité, Le Figaro, Next INpact, Le Monde, Next INpact, Les Échos, Next INpact, non je déconne, TV5 Monde, France 3, tout ça ; je dis ça pour David [Legrand] ! Mais du coup, effectivement, on est passé sur à peu près tous les grands canaux possibles et imaginables sauf qu’on a refusé, je crois, quelques télés. Ce n’est pas hyper-simple parce qu’on n’a pas fait de média training ; ce n’est pas hyper-simple de se dire « tiens je vais passer pendant 45 secondes sur TF1 » et de ne pas passer pour un rigolo, etc., sachant que ça ne soutient pas forcément le modèle que nous on défend. On ne court pas du tout après les aspects télévision grand public, mais on pourra discuter parce que le point de ce bilan c’est comment Framasoft se positionne un petit peu. Est-ce qu’on doit convaincre tout le monde ? Est-ce qu’on est une figure de proue du Libre ou est-ce qu’on est plutôt une bande de copains ? Et j’ai peur que la réponse vous déçoive.

Éducation populaire

Côté toujours sensibilisation on a fait beaucoup d’éducation populaire de différentes façons, notamment 300 conférences, ateliers, stands, etc., sur ces quatre dernières années. Framasoft, je n’ai pas précisé, mais on est plutôt une bande de copains, donc c’est 35 adhérents, 25 bénévoles et quelques salariés. C’est beaucoup 300 conférences ! Ça veut dire beaucoup de déplacements, etc., sachant qu’on intervient dans tous types de lieux qui vont de la MJC à la Commission européenne, au Parlement européen pour être plus exact.
On a fait beaucoup d’éducation populaire sur la question des argumentaires. C’est-à-dire qu’il fallait simplifier ce que je vous ai présenté en quelques secondes au départ, cette histoire de la triple domination de Google, cette partie sur le capitalisme de surveillance qu’on est encore en train de travailler. Pour moi le cœur de métier de Framasoft, il est là : comment est-ce qu’on sensibilise à ces questions qui sont un petit peu complexes ?
Donc on a beaucoup travaillé ces argumentaires et on a réussi à gagner un certain nombre de batailles sémantiques. Par exemple sur la bonne idée de Frédéric Couchet qui, je crois, est aux RMLL cette année aussi, donc délégué général de l’April — je ne sais pas s’il est là ; il n’est pas là ! tant pis pour lui ! Il a tort, il fait tellement bon dans ces amphis ! — qui, dès le départ, m’avait conseillé en disant « il ne faut pas parler de GAFA, il faut bien parler de GAFAM en rajoutant Microsoft ». Et je pense, du coup, en toute prétention, que Framasoft n’est pas pour rien dans le fait qu’on parle des GAFAM et non pas uniquement des GAFA et qu’on inclut Microsoft dans cette dénomination d’entreprises qui exercent cette triple domination, là où les journalistes, pour la plupart, préfèrent voir les GAFA, c’est-à-dire des entreprises plutôt récentes, en tout cas pour Google et Facebook qui sont arrivées beaucoup plus tardivement et ont des pratiques beaucoup plus disruptives que ne paraissent l’être celles de Microsoft.
Le terme « Dégoogliser ». Alors ça a été rigolo la première année, chaque fois qu’on intervenait à la radio, etc., le journaliste butait sur le mot parce que voilà, tant que vous n’avez pas essayé de prononcer le mot « dégoogliser » vous avez le cerveau qui bute, c’est normal. Du coup, aujourd’hui on voit des articles qui paraissent dans la presse, etc. où on parle de « Dégooglisation », terme qu’on a inventé un soir de beuverie.
Public : Ça c’est l’achievement !

Vous validez ?

Pierre-Yves : Ouais. Je n’ai pas dit ce qu’on avait bu. Notez bien, pas forcément de l’alcool ! Du coup, côté sensibilisation, vu la taille de l’asso je ne sais pas si vous vous validez mais moi je « checke ». Je peux dire qu’on a bossé correctement.

Bilan « Essaimage »

Sur le côté essaimage.

« CHATONS »

Assez rapidement, dès la fin de la première année de « Dégoooglisons Internet », on savait qu’il fallait monter quelque chose. On souhaitait monter un collectif. On a regardé comment on pouvait activer un réseau de personnes qui partageaient nos valeurs, etc., sachant que, dans toutes ces associations préexistantes, il y en avait qui étaient là depuis bien longtemps avant nous. Je pense à Infini — j’étais à Brest toute la semaine dernière —, je pense à Marsnet, je pense à lautre.net, qui étaient là souvent depuis 10 ans ou 20 ans, par exemple pour Infini, et qui faisaient ce travail-là un petit peu de sensibilisation au logiciel libre.

On a souhaité proposer de monter un collectif de façon à rassembler et à donner une visibilité et, quelque part, une forme de labellisation à toutes les structures qui souhaitaient participer à la « Dégooglisation ». C’est donc le collectif CHATONS [3] – collectif des hébergeurs alternatifs, transparents, ouverts, neutres et solidaires – là aussi terme trouvé un soir de beuverie. Aujourd’hui, ce collectif regroupe en gros une soixantaine de structures qui peuvent être des particuliers, des associations, des entreprises, des SCOP [société coopérative et participative], etc., essentiellement en France mais aussi au Québec, au Portugal, en Belgique et puis ça arrive en Suisse et dans d’autres pays. Le collectif est relativement récent, il a 18 mois, ce n’est quand même pas très vieux ! Un collectif de 18 mois qui a soixante structures, on peut trouver que ça ne va pas assez vite mais, là aussi, on peut se dire que c’est quand même assez rapide.

Internationalisation

Sur les aspects internalisation et essaimage des processus qu’a mis en route Framasoft, sur les traductions notamment en anglais, allemand, espagnol, etc., des différentes pages d’accueil des différents services, c’est en cours. Après, on freine un peu des quatre fers parce qu’on a déjà largement assez de monde et on se dit : si demain on doit récupérer les Allemands, les Anglais, les Italiens, etc., on va juste s’effondrer, nous, sous la masse de travail. Pourtant, on fait ce travail de façon à ce que si jamais nos services sont traduits et les pages d’accueil sont traduites dans un maximum de langues, le fait de diffuser ces services-là et de les remettre en place sera évidemment beaucoup plus simple.
Côté essaimage mondial donc hors CHATONS, il y a aussi beaucoup de pays qui s’inspirent, finalement, de la démarche qu’on a eue avec « Dégooglisons Internet » et on commence à voir — alors ça frémit, mais ça se met en place petit à petit — par exemple X-net en Espagne — X-net, on va dire, c’est assez proche en termes d’objectifs et de modèle d’action de ce que fait La Quadrature du Net [4] en France ; Autistici et d’autres, il y a d’autres collectifs et associations italiennes qui commencent à monter leurs propres structures de « Dégooglisation » ; Weho.st et Disroot aux Pays-bas qui sont déjà plutôt efficaces ; Allmende.io en Allemagne, etc.

Presque « Check ! »

Donc là-dessus, on y est… presque ! Raté ! Ouais, bon ! Ce n’est pas tout à fait ça. Moi je pense qu’on a péché sur le côté essaimage ; honnêtement on se rate un petit peu. Comme on est des vrais chatons on retombe sur nos pattes au final, mais voilà ! Ça a plutôt bien fonctionné.

Impacts sur l’association

Les impacts sur l’association en tant que telle.

Modèle éco

Au niveau des recettes de l’association, le modèle économique reste basé exclusivement sur le don ; on est passé de 158 000 euros de recettes en 2013 à 415 000 en 2017. Vous allez me dire mais qu’est-ce qu’ils font de tout ce pognon ? Encore une fois ce n’est quasiment que du don. Sur les 6 %, ils viennent d’où les 6 % ? J’adore la confiance des gens des gens ! Ils viennent d’où les 6 % qui manquent ? C’est essentiellement de la vente de goodies donc de tee-shirts, etc., ou de bière — allez donc acheter de la bière à Luc ; enfin je pense qu’il a quasi tout vendu ! Et puis un tout petit peu de prestation : par exemple, on met à disposition des instances privées d’Etherpad à Wikimedia France ou à Sésamath et on se fait rémunérer pour ça. Mais globalement ce sont des dons, essentiellement d’ailleurs des dons de particuliers : 5000 donateurs et donatrices dont, en gros, 1000 nous font des dons chaque mois.
Ce modèle, par contre — et on s’en rend bien compte nous sommes à Framasoft des privilégiés — il n’est pas facilement reproductible. On ne peut pas dire « eh bien laissez tomber les subventions, demandez des dons ! » C’est beaucoup plus compliqué que ça ! Ne serait-ce que parce que, pour demander des dons, il faut réussir à faire une certaine forme de communication très active, etc., qui nécessite beaucoup de temps et, à moins que vous ayez des bénévoles qui soient bons en com’, malheureusement il faut payer des gens pour faire ça et, du coup, ce n’est pas quelque chose sur lequel moi je pourrais dire « c’est simple ! Laisse tomber tes subventions, laisser tomber tes partenariats avec les collectivités ; tu n’as qu’à faire une page de dons. » Le modèle est quand même beaucoup plus difficilement reproductible que ça !
Du coup, pour ne pas rester enfermés sur ce modèle-là et expérimenter pour les autres, on est en train de mener aujourd’hui des expérimentations sur des modèles économiques un petit peu différents, qui sortiraient du don, alors pas tant pour Framasoft — Framasoft va rester une association, son modèle économique va rester basé sur le don —, mais puisqu’on a aujourd’hui de l’argent, on va essayer d’expérimenter d’autres modèles qui sont beaucoup plus difficiles à impulser quand on n’a pas un petit peu de trésorerie en amont.
On en discutait avec David à l’instant, il y a plein de gens qui souhaiteraient donner de l’argent à Framasoft pour des services payants ; ça n’est toujours pas à l’ordre du jour, je pense que ça fera partie des questions.

Développement de l’asso

Pour les adhérents, sur l’ensemble de la campagne, pendant ces quatre dernières années, on est resté à peu près à effectif constant, c’est-à-dire 35 adhérents ; il y a un tiers de l’asso qui s’est renouvelé ; globalement ça n’a pas beaucoup changé, les profils se sont diversifiés. 30 % de renouvellement en quatre ans sur une petite asso, c’est le renouvellement qu’on avait déjà avant à peu de choses près, je ne pense pas que la campagne ait beaucoup joué là-dessus.
Principal changement, notamment pour moi qui suis directeur de l’asso, on est passé de deux à huit à salariés ; concrètement je suis passé d’un collègue à sept, bientôt huit. Forcément ça change et, là-dessus, si jamais vous vous retrouvez dans cette situation-là, vous pouvez venir en discuter avec nous parce que ça change les rapports entre salariés et bénévoles ; ça change les rapports entre salariés ; ça change les rapports structurels. Qu’est-ce qu’on fait ? Tiens, est-ce qu’on ne demanderait pas des tickets restaurant, etc. ? Je ne vous cache pas qu’en 2014 il restait 2000 euros sur le compte, fin 2014, donc on ne se posait pas du tout ce type de questions. Donc si jamais vous êtes dans une association à forte croissance on peut en discuter.
J’en profite, le petit cœur c’est évidemment pour remercier tous mes collègues sans qui je pense que Framasoft, aujourd’hui, n’existerait plus.
On a transformé tous nos processus comptables puisque, évidemment, on fait beaucoup plus de collecte de dons qu’auparavant ; concrètement ça veut dire qu’à partir de 153 000 euros de collecte de dons votre association est obligée de prendre un commissaire aux comptes ; ce commissaire aux comptes va regarder dans le détail, quasiment à l’euro près, ce que vous faites de cet argent ; est-ce que vous l’utilisez bien ou pas ? Est-ce que vous en abusez ou pas ? Donc nos comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes indépendant mais, pour arriver là, je ne vous cache l’état de la compta en 2013 ! On n’était pas sur du tableur Calc mais pas loin ! Donc ça veut dire qu’il faut complètement transformer tous ses processus comptables.
On a embauché une personne qui, aujourd’hui, fait essentiellement de la saisie parce que 5000 donateurs plus 1000 donateurs récurrents, on n’est pas loin des 10 000 entrées. Évidemment ça s’automatise mais ça fait quand même beaucoup d’entrées et d’écritures comptables.
En plus on embauche, enfin on embauche, on a en prestataire quelqu’un qui est expert-comptable qui vient nous aider à mettre nos comptes au propre et qui, ensuite, transmet ces comptes au commissaire aux comptes. Concrètement ça veut dire qu’en quatre ans à la fois la professionnalisation et, j’allais dire, presque l’industrialisation même si, évidemment, je n’assume pas tout à fait le mot, l’industrialisation de nos processus, comptable et financier, a été totalement transformée.
On a aussi adapté nos statuts. Moi j’ai monté un certain nombre d’assos avant Framasoft et pendant Framasoft — ça fait dix ans maintenant que je suis salarié de l’association et j’étais bénévole auparavant dans cette asso, donc j’ai monté un certain nombre d’associations — et moi je suis toujours partisan, au départ, des statuts les plus courts possibles : en gros, si ça tient sur une page A4, de préférence sur un recto, c’est très bien et après on adapte. Là on s’est retrouvés à un moment donné où il fallait adapter nos statuts. Aujourd’hui ils doivent être sur trois-quatre pages.

Tout est public nos comptes, nos statuts, etc., tout est en ligne sur soutenir.framasoft.org et, notamment, on a revu nos statuts sous la forme d’une gouvernance collégiale.

Concrètement on travaille avec des comités qui sont, en quelque sorte, des groupes de travail et des groupes de responsabilité. On n’a plus de bureau en tant que tel ; on a toujours des coprésidents et des coprésidentes. Il y a deux coprésidents et deux coprésidentes à Framasoft, qui ont essentiellement un rôle de représentation légale mais qui n’ont strictement aucun pouvoir. Donc quand vous voyez quelqu’un qui dit « je suis coprésident de Framasoft », vous pouvez lui serrer la main parce que c’est lui qui prend les risques, lui ou elle, qui prend les risques légaux d’aller en taule si jamais moi, demain, je me casse aux Bahamas avec le pognon et, d’un autre côté, il ou elle n’a strictement aucun pouvoir supplémentaire.
On a aussi transformé nos statuts pour obtenir un agrément « jeunesse et éducation populaire ». On pourra en discuter si vous voulez.

Les évolutions internes

Du coup non, ce n’est pas interne, si interne ! J’ai fini les conférences, celle-là à 14 heures 39 tout à l’heure, donc ça sent encore le frais.
On s’est beaucoup ouverts sur les milieux notamment de l’éducation populaire, de l’économie sociale, solidaire et écologique, etc. ; ça fera plutôt l’objet de la deuxième conférence qui va suivre tout à l’heure. On leur a donné à voir. Quand je dis « donné à voir », ça veut dire qu’on a fait un gros travail en dehors même des 300 interventions dont je parlais tout à l’heure, moi notamment, certains de mes collègues et des bénévoles aussi, mais enfin ça a été essentiellement mon travail de prendre des rendez-vous auprès des structures et des réseaux d’éducation populaire existants pour leur expliquer ce que c’était que le Libre, si jamais ils avaient des doutes ou des mécompréhensions, mais aussi pour leur dire comment on travaillait, pourquoi on faisait « Dégooglisons Internet », etc. Concrètement ça a été, je pense, le changement le plus radical, et cette ouverture qu’on a eue a été probablement le plus gros impact qu’a causé sur la structure la campagne « Dégooglisons Internet ». C’est le fait que Framasoft s’est déplacée d’une structure – Frama c’était français-mathématiques, on venait plutôt du milieu de l’Éducation, mais on était quand même très libristes ; ça ne veut pas dire qu’on l’est moins aujourd’hui, mais on est beaucoup plus à la frontière de ce que j’appellerai tout à l’heure la société de contribution. Donc on a beaucoup discuté avec eux pour voir comment on pouvait essayer de travailler ensemble et non pas les libristes d’un côté, l’éducation populaire de l’autre, etc.
On a aussi fermé quelques portes, notamment celles des institutions publiques, ministères ou entreprises, qui n’avaient pas d’engagement clair envers le Libre. C’est-à-dire que concrètement on a écrit un billet qui avait fait un peu de bruit qui s’appelle « Pourquoi Framasoft n’ira plus boire le thé au ministère de l’Éducation nationale » [5]. Moi j’ai fait ça pendant des années, aller à des réunions, etc. ; on vous invite — c’est très chouette le ministère de l’Éducation nationale à Paris, la moquette est épaisse, le café et le thé y sont fort bons —, mais on perdait du temps et, comme on est une toute petite structure, on a décidé d’arrêter de perdre notre temps et de se concentrer, finalement, sur des actions concrètes et arrêté surtout de travailler avec des gens qui nous appellent aujourd’hui.
Je vais prendre le cas d’un candidat à la présidentielle France insoumise, je vous laisse imaginer qui c’est, qui nous envoie gentiment un courrier disant « il faudrait qu’on discute du Libre » ; OK, pas de problème lui ou un autre, pourquoi pas ! « Vous êtes convoqué tel jour par monsieur X, candidat à la présidentielle France insoumise, à Paris, machin, à 10 heures. » Non ! En fait on a répondu non ! On ne répond pas à des convocations ; on répond à des gens qui veulent prendre un engagement clair. Enfin très honnêtement, on a répondu « si vous venez nous voir on discute ». Mais je ne vois pas pourquoi je quitterais – j’habite à Lyon –, pourquoi je me taperais les trois heures de trajet porte à porte pour aller à tel endroit, pour discuter avec qui que ce soit pour, ensuite, repartir, alors que cette personne-là, à aucun moment, n’a exprimé le désir de venir réellement discuter avec nous. Ça ne veut pas dire qu’on ne discute pas avec les gens de cette représentation-là, de ces institutions-là. Par contre, on le fait sur un niveau d’égalité : vous voulez discuter, vous passez un coup de fil, on discute, on peut aller boire un coup ensemble, etc.,mais on n’est pas « convoqués ».
Si le ministère de l’Éducation nationale nous dit « on voudrait monter un observatoire du Libre dans l’Éducation nationale » ; un observatoire, ça ne nous intéresse pas. Ce qu’on veut c’est que l’Éducation nationale puisse dire « OK, suivant les résultats de cet observatoire, pourront être mises en place telle et telle action en faveur du logiciel libre » ; mais discuter pour discuter ! Et ça nous a fait gagner un temps fou. Si vous vous sentez débordé parce que vous rencontrez des élus, des machins, etc. — je ne dis pas qu’il faut arrêter de les rencontrer —, mais posez-leur la question avant : « OK ! Très bien, mais moi je vais pas venir pour boire le thé. Qu’est-ce que vous proposez ? »
Public : Est-ce que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche c’est mieux ?
Pierre-Yves Gosset : J’ai bossé dix ans pour les universités, pour le CNRS. Je suis parti du CNRS parce que le service valorisation du CNRS voulait mettre en place des espèces de DRM [Digital Rights Management]sur les logiciels libres. Bon ! Voilà !
Public : Et aujourd’hui, ils poussent au brevetage des logiciels.
Pierre-Yves Gosset : Le problème de ces ministères c’est qu’ils sont complètement schizophrènes et complètement enfermés ; ils sont persuadés d’être à chaque fois les ministères les plus importants. Je ne sais pas ! On a discuté avec le CNRS très rapidement quand ils ont lancé des chaînes YouTube ; je ne sais pas répondre ; il n’y a pas une réponse à ta question, elle serait forcément caricaturale. Je vais répéter ta question, du coup, qui était : « Est-ce que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche c’est mieux que l’Éducation nationale ? » C’est compliqué. Par exemple Inria [Institut national de recherche en informatique et en automatique ] est au top sur la question du logiciel libre et, à la fois, tu vas avoir d’autres labos qui ne vont pas l’être du tout. Donc on ne peut pas mettre tout le monde dans le même sac. Ce qui est sûr c’est qu’il y a encore beaucoup de gens qui n’ont pas compris que le modèle du logiciel libre n’était pas un modèle de la vente, n’était pas un modèle de la rente, n’était pas un modèle de « on arrive avec une offre sur étagère ». Donc c’est extrêmement compliqué d’aller discuter avec ces gens-là. La dernière fois que j’ai discuté avec quelqu’un de haut placé à l’Éducation nationale, son discours c’était « il faut mettre en tension le logiciel libre et le logiciel propriétaire ». Mettre en tension ça veut dire mettre en concurrence. On va reparler des chiffres et un petit peu de combien ça a coûté :là on parle d’une boîte qui vaut 600 milliards de dollars et là on parle d’une asso qui collecte sur des fonds de volontaires, globalement on peut dire sur la charité publique, l’équivalent de 400 000 euros. C’est juste ridicule ! On ne parle pas du tout de la même chose et non, on ne va pas nous, Framasoft, proposer une offre sur étagère. « Par contre allez voir telle entreprise, telle entreprise, etc. » « Ah oui, mais nous on veut travailler avec vous. » Merde ! Ce n’est pas notre boulot. C’était la question qu’on avait juste avant, je pense qu’on reviendra dessus.
Je reviens sur la question des prises de conscience. Ça aussi c’est quelque chose d’assez fort. Ce n’est pas forcément partagé par toute l’association, c’est toujours parce qu’on avance tous à nos propres rythmes, mais la prise de conscience que, finalement, le Libre était une île dans un archipel, avec d’autres îles autour, je ne sais pas : les communs, le journalisme indépendant, le syndicalisme, les mouvements coopératifs, etc. Et finalement on partage quand même beaucoup de valeurs communes et il faut discuter et boire du Gewurzt ensemble.
L’aspect indigence du Libre ; ça va être plutôt l’objet de la conférence d’après, mais c’est aussi une prise de conscience qu’on ne prend pas soin des infrastructures numériques et notamment, quand Framasoft vous propose des logiciels — là on vient de finir une conférence sur PeerTube [6], juste avant Luc présentait PeerTube et il y avait plein de questions sur : pourquoi est-ce que vous ne faites pas ça ? Juste on n’a pas de tunes. Eh bien non, tu nous dis de la merde ! Tu viens de dire que vous aviez fait 415 000 euros de collecte. Ouais, mais déjà quand vous payez huit personnes, ça fait quand même beaucoup d’argent qui sort et derrière il y a les prestas et puis les interventions. Encore une fois, moi là j’ai fait un Lyon-Brest, une semaine à Brest, et puis un Brest-Strasbourg, une semaine à Strasbourg, et puis je retourne à Lyon, tout ça, ça a un coup non négligeable ; il faut payer chambre d’hôtel, transports, etc. On essaye de ne pas faire peser ces coûts-là sur l’organisation des RMLL qui n’a déjà pas beaucoup de moyens.

Donc le Libre communautaire est, pour moi, financièrement plutôt indigent.
Autre prise de conscience, mais ça on en avait conscience avant « Dégooglisons Internet », c’est que nous sommes une communauté extrêmement élitiste. Comme toutes les communautés nous avons notre propre culture, etc. J’ai toujours été membre, depuis maintenant plus de 15 ans, de différents groupes d’utilisateurs de logiciels libres, etc., et je trouve qu’on n’est pas bons dans l’accueil ; je trouve qu’on n’est pas bons dans la façon de présenter les choses et ça, pour moi, ce sont des choses sur lesquelles nous devons collectivement travailler, en tout cas sur lesquelles Framasoft va travailler. Ça va être aussi, en partie, l’objet de la conférence d’après. Je la tease un peu parce qu’il faut bien que vous restiez.
« Dégooglisons Internet » nous a permis aussi de prendre de la hauteur en travaillant des choses qui sont beaucoup plus politiques ou économiques, telle le capitalisme de surveillance, qui sont des choses qui ne sont pas encore très bien perçues par le grand public parce qu’on est en plein dedans. Concrètement, quand la révolution numérique est arrivée, les gens ne l’ont pas forcément perçue comme une révolution et aujourd’hui, plusieurs dizaines d’années après, on se dit « ah mais en fait, si, il se passe un truc vraiment important là ; ça change notre rapport au monde, ça change notre rapport aux autres personnes, ça change les impacts sur notre vie privée, etc. » On travaille en ce moment cette question-là et on essaye de prendre de la hauteur vu qu’on vient de passer des années à regarder de près ce que faisait Google, ce que faisait Facebook, etc., sur ces questions qui ne sont pas techniques.
Et enfin on s’est un petit peu auto-radicalisés, donc la conférence qui suit va peut-être un peu vous étonner, mais je voudrais parler ensuite de radicalisation et de repolitisation du logiciel libre qui ne s’est pas complètement dépolitisé ; ça fait des années que ça existe, ça fait des années qu’il y a plein de conférences aux RMLL sur « le logiciel libre est un mouvement social et politique », donc ce n’est pas quelque chose de nouveau que dit Framasoft. Par contre, on veut utiliser le poids qu’on a aujourd’hui à la fois dans les communautés du Libre et maintenant dans les autres communautés, donc économie sociale et solidaire, éducation populaire, mouvements associatifs, etc., pour porter cette parole-là et dire que le Libre n’est pas qu’un mouvement technique et donc il faudra arrêter qu’on soit considéré uniquement comme un mouvement technique.
Concrètement l’association s’est quand même plutôt transformée tout en restant la même – je n’ai pas trouvé mieux que ce magnifique petit Transformer, j’ai cherché pendant des heures des GIF de chatons qui se transforment ; je n’ai pas trouvé ; j’ai pris un gamer. C’est un peu comme un chaton en moins poilu.

Les « satisfactions »

Les satisfactions, du coup, ou en tout cas les points forts, les satisfactions qu’on a.

Sur cette campagne, on a bien pris conscience du pouvoir de la communication : réutiliser l’imagerie d’Astérix c’était pertinent, sur le moment ; travailler les flyers, les stickers, etc., ça marche bien ; avoir une communication qui est un petit peu carrée ; travailler les infographies, on a travaillé par exemple avec Geoffrey Dorne, le frère de Korben – pour ceux qui ne voient pas qui est Geoffrey Dorne je vous encourage à aller voir graphism.fr, c’est son site, « graphism » sans « e » ; travailler nos punchlines un petit peu parce que quand vous vous retrouvez à la télé ou à la radio et que vous avez à peu près 25 secondes pour expliquer ce que vous faites eh bien voilà ! Comment est-ce qu’on le dit ? Comment est-ce qu’on le présente ? On se rend bien compte que la communication est un vrai pouvoir.
Deuxième satisfaction, j’en parle d’autant plus facilement que je suis salarié, mais rémunérer correctement les salariés, les prestataires, ça aussi c’est une satisfaction. Faire du Libre avec des bouts de ficelle, moi ça me va très bien et, personnellement, je veux bien continuer comme ça, par contre je ne veux pas le faire en perdant mes vacances, je ne veux pas le faire en n’ayant pas de quoi me nourrir, je ne veux pas le faire en n’ayant pas de quoi remplir mon frigo ; sinon, évidemment, quand on rémunère moins bien les gens, eh bien qu’est-ce qu’ils font ? Ils se sentent plus ou moins obligés parce qu’on a des enfants, parce qu’on a des projets de vie, etc., qui peuvent être différents. On se retrouve à devoir, finalement, travailler pour le grand capital alors qu’intérieurement ce n’est pas ça qu’on veut. Donc on a décidé de rémunérer correctement nos salariés, nos prestataires, au tarif, tout simplement, de combien ça coûte dans le privé et non pas combien ça coûte dans le milieu associatif.
La bataille sémantique, j’en ai déjà parlé, je ne reviens pas dessus, mais c’est quand même une satisfaction qui peut paraître ridicule, mais je pense sérieusement que la bataille des mots, des termes, de la novlangue et de la sémantique fait partie des batailles les plus importantes.
Et on a aussi diversifié un petit peu le profil des membres qui ne sont pas que des techniciens dans l’association.
Dans les autres satisfactions, plutôt extérieures, on a requestionné qui nous voulons être au monde. Ça paraît très philosophique, mais, du coup, on s’est requestionnés sur est-ce que oui ou non on se transforme en entreprise ou en coopérative ou en société coopérative d’intérêt collectif pour proposer du service, etc. ? Il y a une forte demande, tous les gens nous demandent ça ; ils veulent du Framamail, ils veulent… Eh bien non ! On a fait le choix, en tout cas aujourd’hui – ça peut changer dans un an, dans deux ans, en assemblée générale –, mais on a fait le choix de rester sur le modèle bande de copains, AMAP [Association pour le maintien d’une agriculture paysanne] du logiciel libre et qui outille la société de contribution avec ses petits bras.

Si vous voulez une entreprise qui outillerait et qui vendrait du service libre, eh bien vous pouvez tout simplement vous servir chez nous et, en plus, on est même capables de vous aider, de vous expliquer, de discuter avec vous. Donc montez votre propre business vous n’avez pas besoin de nous !
Autre satisfaction : créer des alliances, là je vais beaucoup revenir dessus dans la deuxième conférence donc 16 heures 45 ; j’avance.
Dernier point, on a plutôt bien rigolé, ce qui était quand même un point essentiel ; on s’est plutôt bien marrés à faire cette campagne et j’espère que vous avez bien rigolé aussi, mais comme toute blague il faut un début, un point de tension et une chute. Aujourd’hui, pour nous, « Dégooglisons Internet » on continue à en parler, etc., mais c’est derrière nous.
Concrètement, autre satisfaction, le coût total de « Dégooglisons » c’est en gros 80 mètres d’autoroute. J’ai fait le calcul parce que j’ai appris parce que le GCO, donc le grand contournement ouest de Strasbourg, enfin l’autoroute qui est censée contourner Strasbourg, coûterait aux alentours de 500 millions, ce qui faisait 24 millions le mètre, pour 24 kilomètres, etc. Et donc ça fait même 30 mètres de contournement de l’autoroute de Strasbourg, c’est-à-dire d’ici jusqu’au fond. Voilà, le coût des trois années, même des quatre quasiment de « Dégooglisons Internet », ça vaut un bout d’autoroute qui va d’ici jusqu’au fond de la salle. Quand on a l’impression, comme ça, que c’est énorme, je voulais juste mettre en perspective le fait que ce n’est quand même pas grand-chose et que si, à un moment donné, il y avait une décision de l’État de dire on va faire 100 mètres d’autoroute en moins et on va faire un projet qui permet de développer l’émancipation numérique, ils auraient pu le faire !

Point Gandhi

Un petit point Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ». Là aussi autosatisfaction ; on a été le changement qu’on voulait voir dans le monde. On ne peut pas dire ça tous les matins mais, du coup, on l’a fait.

Trop forts

Vous allez dire c’est bon, il est gentil, mais ça fait 47 minutes qu’il se la pète, est-ce qu’ils sont si forts que ça, etc. ? Non, non, on s’est bien foirés sur un certain nombre de trucs et il ne faut pas hésiter à le dire. On n’avait pas d’obligation à tout réussir mais du coup tant mieux !

Les ratés

Premier raté ou dans les points faibles : l’épuisement. Épuisement physique ; je rappelle qu’on est une toute petite association, on n’a pas vocation à avoir, je ne sais pas, 5000 membres comme l’April, etc., enfin nous ce n’est pas notre objectif. Donc épuisement physique. Je disais que j’ai pris 30 kilos ; 30 services ! Je ne sais pas s’il n’y a pas quelque chose ! Il faudrait que je commence à réfléchir ; ça fait peut-être partie des choses ; je me dis tiens il faudrait peut-être lever le pied.
Épuisement mental. C’est compliqué de gérer autant de services, parce que là c’est « Dégooglisons Internet », mais Framasoft c’est aussi une maison d’édition [7], c’est un site comme Framalibre [8] qui a plus de 15 ans d’existence aujourd’hui, ce sont différents projets, etc. et donc c’est énormément de projets à gérer ; enfin un front de combats, de luttes, qui est extrêmement large et tous ces onglets mentaux, toute cette charge mentale qu’il y a, elle n’est pas forcément facile à gérer.
Troisième point, l’épuisement vient aussi du fait que nos messages… Enfin moi, pendant trois ans, j’ai répété « attention vous allez mourir, vous ne voyez pas Google arriver ? Il va y avoir des affaires comme Facebook qui va faire de la merde et qui va orienter des élections ! » On me répondait : « Non, non, non » et puis là arrive Cambridge Analytica ! « Ah, je vous l’avais dit ! » Mais tout ça c’est épuisant d’avoir un discours qui est anxiogène.
CHATONS, pour moi on a raté dans la gouvernance le fait, pour l’instant en tout cas, d’y mettre ce qu’on appelle des « touilleurs » et des « touilleuses », c’est-à-dire des personnes qui vont venir animer la communauté. CHATONS est un projet qui a été impulsé par Framasoft, mais sur lequel on voudrait bien que ça marche plus tout seul. Le problème c’est que moi je suis un psychopathe du projet et qu’un projet, si on ne se dit pas « à tel moment il faut refaire le site » et si on ne dit pas « à tel moment il faut faire ça », etc., qui le fait ? Et pour quand ? Et si ce n’est pas fait on fait quoi ? etc., là-dessus on n’a pas suffisamment avancé. Ça tombe bien, il y a une réunion Chatons qui est prévue mercredi après-midi aux RMLL 2018 ; je ne sais même pas si c’est réservé aux Chatons ou pas ; en tout cas on va beaucoup y discuter de Chatons, mais voilà, il faut qu’on travaille ces questions-là dans les mois et les années à venir, assez rapidement.
Autre raté. On a pris conscience que la société de consommation avait, malheureusement pour l’instant, gagné, alors définitivement peut-être pas, mais toutes les questions que j’entendais tout à l’heure sur PeerTube relèvent de réflexes de consommateurs. Je ne vous jette pas la pierre, je fonctionne comme ça ; je n’ai pas fait mes fringues, je suis venu dans un train qui avait été construit par des gens, etc., donc je suis consommateur moi-même de cette société capitaliste, mais le problème c’est qu’on applique ces réflexes-là au logiciel libre. Et, du coup, ça me pose un certain nombre de problèmes parce que les gens nous demandent des choses comme s’ils étaient clients de Framasoft ; vous n’êtes pas clients ! Vous êtes au mieux donatrices ou donateurs et je vous en remercie ! Et si vous êtes juste utilisatrices ou utilisateurs je vous en remercie aussi, mais vous n’êtes pas clients ! Ça pique ! Eh bien oui ! Et du coup, vous pouvez toujours venir demander des trucs, mais venir nous dire en permanence… Si moi je gagnais un euro à chaque fois que quelqu’un disait « oui, mais il ne fallait pas faire comme ça et qu’ils refont le match ! » Putain ! Ce ne sont pas 415 000 qu’on aurait ! On serait largement au-dessus.
La tragédie du développeur c’est qu’on se retrouve seul à gérer, finalement, un petit peu tous les logiciels dont je vous parlais tout à l’heure. On est en train de mettre en place d’autres choses, mais sur les années de campagne, pour moi c’était une tragédie de voir qu’on était un peu coincés là-dedans.
Autre raté : le message « Dégooglisons Internet » ; il était un peu belliqueux, Astérix, David contre Goliath, on employait un vocabulaire très guerrier, très franchouillard, donc ça explique que ça ait mis un petit peu de temps, même si Astérix est connu à l’étranger, ça a mis quand même un petit peu de temps à se faire reconnaître. Et puis surtout c’était « Ah, la, la ! Ces Frenchies qui font encore quelque chose ! »
C’était très clickbait, on ne va pas se mentir, clickbait c’est « ah vous allez voir ce qu’on va leur mettre dans la gueule, on va faire des alternatives à machin, etc. », et c’était un peu prétentieux, il ne faut pas se voiler la face. Moi j’ai clairement dit dès le départ : faire « Dégooglisons Internet », en 2014, tiens ! c’est un petit peu comme si on allait escalader l’Himalaya en tongs. Vous pouvez appeler ça de la naïveté, de la prétention, appelez ça comme vous voulez, mais on avait vraiment cette problématique-là de dire « suivez-nous ça va marcher ! » Le fait est que ça a marché, mais on ne peut pas rester, ce n’est juste pas notre identité, ce n’est pas ce que nous sommes et donc on voulait changer de discours à la fin de la campagne.
Dans les ratés, on n’a pas du tout assez fait appel à des designers et quand je dis designers ce ne sont pas des graphistes, ce n’est pas juste du graphisme, ce n’est pas juste de l’UX Design, c’est : on n’a pas fait de réunions en prenant des utilisateurs pour voir quels étaient leurs besoins ; on n’a pas réfléchi en amont à « qu’est-ce qu’on veut transmettre comme valeurs », etc. C’est quelque chose qu’on est en train de faire beaucoup plus maintenant, mais on y est allés YOLO style et La Rache© style ; ça a plutôt bien marché. Mais bon ! Malgré tout pour moi c’est un raté.
Les alliances sont venues tardivement ; l’internationalisation est venue tardivement.
On s’est parfois plantés sur les choix d’outils ; forcément, vous sortez 34 outils ! Par exemple Ethercalc, j’y reviens, est-ce qu’on aurait dû proposer Ethercalc ou pas ? Pour nous c’est une plaie à maintenir, mais, d’un autre côté, si on ne vous propose pas Framacalc vous allez utiliser quoi comme Calc en ligne partagé ? Spreadsheet ! Bon voilà ! Donc, à un moment donné, il faut proposer quelque chose.
Le raté, évidemment aussi, c’est pas de Framamail. Clairement c’est juste trop cher et c’est trop engageant. C’est-à-dire qu’on peut se permettre d’avoir une panne de deux heures sur Framacalc, vous allez survivre. Si on vous met dix minutes de panne sur vos mails vous allez nous tomber dessus et, encore une fois, on est un asso, on n’a pas envie de se faire engueuler pour quelque chose qu’on propose gratuitement et sur une force qui reste quand même essentiellement bénévole.
Donc on s’est beaucoup adaptés en fait. Je serais de la Start-up Nation je vous dirais qu’on a beaucoup pivoté, parce que machin et tout ! Non ! En fait on a essayé de retomber sur nos pattes à chaque fois qu’on se plantait, mais finalement ça n’a pas si mal marché.

Les perspectives

J’en arrive aux perspectives. Donc les points de vigilance qu’on a.

Premier point de vigilance c’est qu’on ne veut pas exploser donc on travaille en ce moment sur ce que pourraient être les maillons faibles de l’association. Un des maillons faible, typiquement, c’est moi ; c’est Luc qui faisait la conférence PeerTube. Voilà ! Quand on n’a qu’un seul adminsys qu’est-ce qui se passe s’il se casse un bras ? Ou s’il gagne au loto et qu’il se casse aux Bahamas ? C’est arrêter de prendre du poids aussi ; vous comprenez le clin d’œil maintenant ? C’est, à un moment donné, qui est-ce que nous sommes, qui est-ce que nous voulons être et non pas qu’est-ce que les gens nous demandent d’être. Encore une fois ça paraît très philosophique, mais il fallait se poser cette question.
Autre point de vigilance : ne pas devenir qu’un éditeur du Libre avec « eh pourquoi vous ne développez une alternative à machin ? » Eh bien non, ce n’est pas notre boulot.
Ne pas devenir un porte-parole du Libre. Quelque part, un peu de facto, puisque Framasoft a eu des sous, Framasoft a pu embaucher des gens ; puisque Framasoft a pu embaucher, concrètement il y a des choses qui se sont organisées d’une façon beaucoup plus solide que quand on travaille uniquement sur le bénévolat — et pourtant je suis militant associatif et j’ai été et je suis toujours bénévole dans pas mal d’assos —, mais, du coup, on ne demande pas à être porte-parole du Libre. Que ça soit clair !
Par contre on veut pouvoir utiliser notre liberté de parole, que ça soit dans le milieu de la communauté du Libre ou à l’extérieur. Et ça, le fait d’être indépendants financièrement aussi, ça aide.
On veut, dans les points de vigilance, garder en tête qu’il faut qu’on explique ce qu’on fait de cet argent, parce que là vous devez avoir l’impression qu’on est pétés de tune. Ce n’est pas le cas ! Vraiment je répète, quand il faut sortir neuf ou dix salaires plus 300 interventions, concrètement le pognon il part ! 80 mètres d’autoroute ça se fait vite !
Et enfin, dernier point de vigilance, garder l’humour et l’humain au cœur du projet ; ça paraît un peu bull-shit mais ça fait partie vraiment des choses qu’on s’est dites lors de la dernière AG [Assemblée générale], lors du dernier Framacamp où on s’est réunis, on s’est dit : en fait, on veut continuer à se marrer !

Mais dans les faits…

J’en arrive quasiment à la conclusion.

Dans les faits on a quand mème bossé comme des dingues mais, en fait, on n’a rien résolu. Ça fait mal hein ! Oui, c’est le coup du chat qui remonte les bébés chatons [au sujet de la vidéo, NdT]. En fait, le problème est systémique et c’est un petit peu ce que je vais redire dans la conférence d’après, mais je le dis. [Rires du public provoqués par la vidéo du chat qui remonte inlassablement ses chatons sur un toboggan]. Je repense au discours d’une psychiatre qui disait : « Ah oui, moi on m’envoie des gens qui sont en burn-out, mais moi j’en ai ras-le-bol de traiter les gens qui sont en burn-out. Les gens qui sont en burn-out, moi je peux les soigner, mais le problème ce n’est pas qu’ils soient malades, le problème c’est le travail ». Et pour moi, on a échoué, on a vraiment échoué là-dessus. Dans tous les ratés que je viens de vous décrire, c’est que OK, on a écopé, on a écopé, mais, en fait, on n’a pas réussi grand-chose. On a fait plein de choses, on est contents, mais on n’a pas du tout changé le système. Donc la question ça va être comment est-ce qu’on change le système ?
On a sorti, fin 2017, cette nouvelle feuille de route qui s’appelle Contributopia, qui essaye de tirer justement à partir du bilan que là je viens de vous faire, des pistes d’action sur comment est-ce qu’on peut résoudre, un petit peu, toutes ces problématiques-là.

Est-ce qu’on y est arrivé ?

D’habitude je finis mes conférences en disant est-ce qu’on va y arriver ? Et la réponse est non, en tout cas pas sans vous. Et celle-là, j’avais envie de la finir en disant est-ce qu’on y est arrivé ? En tout cas oui et c’est vraiment grâce aux donateurs et donatrices et tous les types de soutiens qu’on a pu avoir pendant ces quatre années que, finalement, on a pu faire tout ça.

Merci !

Il est 16 heures 58 et je vous remercie.
[Applaudissements]
L’avantage c’est que je fais la conférence d’après. Je ne vais même pas avoir à bouger. Je vais prendre une ou deux questions mais vraiment sur le bilan de « Dégooglisons Internet » et je vous propose de passer tout de suite à la conférence d’après. Je suis là au moins jusqu’à mercredi soir, donc si vous avez des questions n’hésitez pas, on se retrouve dehors et on discute. C’est toujours un petit peu compliqué ce format-là où chacun pose sa question. Donc allez ! Eh bien Madame, ça tombe bien !
Public : Inaudible, car sans micro.
Public : Il faut prendre le micro sinon on ne comprend rien.
Pierre-Yves Gosset : Ah oui, pardon ! Excusez-moi j’avais oublié, tu me l’avais dit avant.
Public : Je disais que j’ai découvert le Libre il n’y a pas très longtemps. Je l’ai expliqué à mon neveu qui a 12 ans, qui est très intéressé par l’informatique et il y a des questions que je n’arrivais pas à lui expliquer de façon claire et simple donc je l’ai guidé vers vos vidéos, vos conférences et là il a compris les choses de manière limpide ; il est devenu vraiment très enthousiaste et il veut faire des conférences pour ses copains de classe, en parler devant sa classe, etc. Donc le message passe, je pense, vers les enfants aussi et c’est un relais. Moi je pense que vous avez gagné votre pari au point de vue pédagogique. Donc un grand merci.
Pierre-Yves Gosset : Merci à vous. Vous n’imaginez pas à quel point ça peut être touchant à la fois pour moi, mais je pense pour toute l’équipe derrière, de se dire que ce qu’on fait a permis d’être entendu et d’être repris par d’autres. Ça n’avait aucun sens qu’on soit les seuls à le faire. Donc merci.
[Applaudissements]
Public : Autre chose. Moi je pense vraiment que l’univers a peur du vide et donc on a toujours cherché à remplir quelque chose. Le fait que vous ne proposiez pas d’e-mail, de solution d’e-mail, moi j’ai dû aller ailleurs et, du coup, j’ai pris un e-mail localement chez moi à Bruxelles et donc je crois que c’est l’idée des Chatons aussi.
Pierre-Yves Gosset : Tout à fait !
Public : Donc c’était un bon plan.
Pierre-Yves Gosset : Super ! Merci. Est-ce que ça vous va ou est-ce que je frustre quelqu’un si je passe tout de suite à la deuxième conférence ? Là, déjà, c’était intense mais vous allez voir, ça ne va pas être mieux sur la suite !