Logiciel libre et environnement : greenwashing ou réalité ?

Peut-on vraiment conjuguer logiciel libre et environnement ? Cela va-t-il de soit ? Dans cette session interactive nous nous interrogerons sur le rôle des logiciels libres, et ainsi notre propre contribution, dans cette transformation vers une informatique plus durable. Notre réflexion portera sur deux axes : d’un point de vue technologique pure et celui du modèle de développement.

Je suis Jonathan Le Lous. Je suis directeur technique dans une ESN, Capgemini [1].
Mon parcours : ça fait 18 ans que je travaille dans l’informatique. Je suis tombé amoureux de Linux il y a environ 18 ans de ça, ce qui fait que j’ai eu une double casquette, je travaille dans le logiciel libre à titre professionnel mais aussi au niveau associatif. J’ai été, par exemple, membre du conseil d’administration de l’April et vice-président de l’April [2], côté militant et, à titre personnel, je n’ai toujours travaillé que sur des logiciels libres, en tout cas essayé. Maintenant, chez Cap Gemini, je m’occupe de l’activité qu’on appelle chez nous Cloud Native Infrastructure [3], qui est en charge de tous les sujets autour de monter les infras notamment sur Kubernetes [4], pour ceux qui connaissent. C’est moins le sujet. Aujourd’hui, je voulais essayer de donner une sorte de vision un peu technique sur un sujet autour du green IT [5] donc de l’environnement durable et des logiciels libres. En fait, ça vient d’une vraie question que je me suis posée : est-ce qu’on est dans un vrai sujet ? Parce que, des fois, il y a les valeurs. On peut confondre les valeurs qui font que les gens ont pu se rapprocher. À titre personnel, quand j’étais jeune je me suis énormément engagé par exemple au niveau des Verts. Je pense que j’ai retrouvé dans le logiciel libre quelque chose que j’aimais bien dans l’environnement. Après, je me suis demandé si c’est juste une proximité culturelle ou est-ce que ça veut dire concrètement que le logiciel libre aura un impact positif sur l’environnement ou sur la gestion du green IT, et ce n’est pas si évident que ça. On va en parler de façon globale et après sur les couches techniques plus concrètement.

Pas si évident que ça, ce n’est pas à vous que je vais le dire, le logiciel libre tel que l’a défini Stallman [6] et après l’Open Source Initiative [7], ce sont avant tout des licences, c’est une façon de partager le savoir, c’est une façon de partager la connaissance, c’est une façon de partager le logiciel sans obligatoirement avoir une destination commerciale dessus. Pas que ça soit mal, à titre personnel je suis payé pour faire mon travail, j’en suis très content. C’est vraiment important de comprendre qu’aujourd’hui, quand on regarde les licences libres, même les Creative Commons [8], il n’y a pas de référence à quelque chose qui pourrait être environnemental en tant que tel, c’est-à-dire qu’on ne dit pas « je mets mon logiciel sous licence libre parce que j’estime qu’il va durer dans le temps, que ça va sauver la planète, qu’on va diminuer… » Non ! Je mets mon logiciel sous licence libre parce que j’estime que c’est un modèle avec lequel je voudrais partager, simplement, parce que, un, on veut partager le savoir comme dans l’idée de Stallman ou d’autres dans l’open source, parce qu’ils estiment que c’est un business, un modèle économique pour permettre de faire ça.
D’ailleurs, j’ai mis exprès mes deux polos pour me la raconter un peu. Ça c’est LibrePlanet, c’est la Free Software Foundation [9], c’est « je distribue parce que je crois au bien commun et j’estime qu’il y a un intérêt du logiciel au-delà de la simple activité » ; de l’autre côté, je suis membre du comité de programme à la Fondation Linux [10] où là, il y a une approche beaucoup plus américaine, beaucoup plus pragmatique. En gros, quand vous entendez « Linux » ou « Fondation Linux » c’est souvent très orienté vers les entreprises et c’est important de voir ça.

Juste pour qu’on comprenne bien le contexte. En fait, je vais juste montrer et découper les stacks techniques dont on parle, parce qu’on est quand même dans la technique, on est dans l’informatique et on va regarder, par rapport à ça, dans quelle mesure le logiciel libre c’est du greenwashing ou si ça a un vrai intérêt sur ces stacks-là.

Déjà un élément hyper-important. Une étude a été faite par la Direction interministérielle du numérique de l’État, la DINUM [11], sur un projet : 80 % de la consommation carbone de l’IT des Français, c’est le matériel. 80 % de votre impact carbone, ce que je n’ai pas aujourd’hui c’est-à-dire mon laptop sur la table, c’est lui qui fait 80 % de la consommation énergétique. C’est énorme, on est sur ce qu’on va appeler la partie infra, ça veut dire qu’en fait, quoi qu’on fasse, on a une sorte de coûts fixes en termes d’impact carbone de l’infrastructure, c‘est-à-dire des serveurs, des ordinateurs et tout ça. Ce sont eux qui ont un impact, directement, parce qu’ils utilisent des ressources rares, des ressources limitées. Aujourd’hui, on est à une échelle 6, on devrait être à une échelle 4, je vous donnerai les éléments, mais on devrait être à une échelle 4 pour arriver non pas à la neutralité carbone, parce que la neutralité carbone, comme vous le savez, ne peut exister ni au niveau d’un État ni d’une industrie, elle ne peut exister qu’au nouveau global. Je ne suis pas spécialiste du sujet, si vous avez des questions sur ce sujet-là, je vous enverrai aussi les liens. Dès le moment où on va faire de l’informatique, on va se baser sur du hardware et c’est le hardware le gros impact carbone de notre activité.

À partir de là, première question, la longévité : combien de temps j’utilise le même hardware, quelle est sa durée de vie ? La deuxième question c’est la mutualisation, c‘est-à-dire à quel point je peux faire de choses sur la même quantité de ressources ? Ce sont les deux sujets qu’on va voir aujourd’hui.

Quand on va parler d’infrastructure, on pourrait aussi parler de hardware pour votre smartphone, c’est le même sujet. C’est vraiment un travail.

La partie qu’on va appeler la longévité va dépendre principalement de la capacité, un, des matériaux qu’on utilise de pouvoir durer dans le temps et il n’y a pas photo. On prend n’importe quel serveur, j’en ai avec des laptops extrêmement vieux à la maison, une fois qu’il est construit on peut le garder extrêmement longtemps. Ce n’est pas un problème du fait que votre ordinateur ou votre laptop se dégrade dans le temps : si vous le laissez à un endroit, il ne va pas disparaître, il ne va pas se décomposer, il va durer extrêmement longtemps. Donc d’un point de vue longévité du matériel on est bons.
Sur la partie hardware on va être très bons. Je vous rappelle que tous les composants à base de silicium sont des trucs dont on sait tous que quand on les recycle ça met peut-être des centaines voire des milliers d’années à disparaître, donc il n’y a pas de raison que ça disparaisse.

On a une autre partie, la partie logicielle : on est sur de l’embarqué, on est sur du bas niveau, on va parler des drivers sur les cartes graphiques, on va parler des drivers au niveau des CPU, de tous les processeurs, on va parler de tout ce qui est comme ça. C’est là où on va retrouver le logiciel libre, mais pas que, et tout ce que sont les initiatives. Et aujourd’hui la plus grande limite qu’on a en termes de gestion de la longévité sur les infrastructures ou sur tous les matériels, c’est la partie logicielle. Aujourd’hui, en fonction de qui pilote les cartes graphiques, en fonction de qui pilote les processeurs, de comment on va le faire, ces personnes-là ont des rythmes de production, ont des chiffres d’affaires, ont des engagements, ont une vision qui est celle du marché avec toujours une opposition entre sobriété et innovation, c’est toujours la question. Si je mets un pilote qui va être hyper-stable dans le temps, en échange il va me limiter énormément dans ma capacité de créer de nouvelles offres ou de déployer de nouvelles technologies, comme Facebook avec son métavers ou des choses comme ça et il y a toujours cet arbitrage. Or, l’arbitrage entre impact sobriété et business, c’est vrai que dans la partie du logiciel libre ou dans la partie de l’open source il est moins vrai. C’est-à-dire que la question qu’il y aura principalement sera de se demander : est-ce que ce que je fais c’est bien ? Est-ce que ce que je fais satisfait mon besoin aujourd’hui ? Après il y a des disputes entre tous ceux qui font partie du comité, les quatre contributeurs, les cinq ou les dix entre plus ou moins à long terme, comment on envisage.

Je ne sais pas si vous connaissez le Fairphone [12], un téléphone Android qui est complètement démontable, ils ont exactement ce côté-là. Dans le Fairphone, d’un point de vue longévité hardware vous pouvez tout démonter et tout refaire. Par contre, d’un point de vue longévité software, ils sont dépendants d’Android et des enjeux qu’a Android, notamment le chipset de tous les processeurs, parce qu’ils sont obligés de respecter le cycle de vie des processeurs imposé par Google dans son rythme de versions d’Android. Ça veut dire qu’actuellement Google va dire « le nouvel Android ne va tourner que sur ce type de chipset parce qu’on a favorisé l’innovation, la 5G et tout ça », qu’est-ce que ça a comme impacts ? Eh bien les fabricants comme eux vont être obligés de changer le chipset, ça veut dire que vous perdez en longévité, tout simplement. Un téléphone qui, techniquement, aurait pu durer 25 ans, mais, à cause de l’application qui va tourner dessus…

Est-ce que vous savez qui est le premier contributeur au noyau Linux ? non, un des quatre premiers contributeurs au noyau Linux, c’est évident, on va peut-être passer, une société qui est hyper-connue pour ses chipsets, dans les quatre premiers contributeurs au noyau Linux, vous trouverez toujours Intel, en fait les créateurs de chipsets ou les créateurs de processeurs et tout ça. Pourquoi ? Ce n’est pas parce qu’ils pensent que Linux..., il n’y a pas de côté militant, c’est simplement qu’ils doivent s’assurer que tous leurs matériels soient en permanence compatibles avec Linux, tout simplement. Ceux qui ne contribuent pas à Linux ce sont, par exemple, tous ceux qui font des cartes Linux de son. Si vous avez tous Linux à la maison, vous savez que le son sur le laptop c’est le point faible, parce que si vous faites des cartes de son, même Nvidia, même tout ça, ils n’en ont rien à foutre des quatre utilisateurs de Linux, ils se focalisent sur leur grosse part de marché, c’est ce genre d’arbitrage-là qui est fait.

Maintenant la question : est-ce que le logiciel libre améliore ça ? Eh bien non. On vient de parler d’Android : qu’on le veuille on non et que Linus Torvalds [13] soit pour ou contre, Android est basé sur Linux, à part une sur-couche, on est quand même sur des licences open source, de mémoire Apache [14] et, pour autant, si la gouvernance ne le permet pas, ça reste quand même Google, ça reste quand même le premier contributeur, ça reste en gros les cinq à dix contributeurs de la technologie qui vont imposer le rythme d’innovation et le rythme d’avancée.

Encore une fois la question qu’on se pose, c’est vraiment : est-ce que le logiciel libre favorise ? Il favorise une vision à long terme, mais dès le moment où il va être dans une structure — on appelle ça du consortium — qui va permettre à certaines compagnies d’influencer la roadmap, eh bien mécaniquement on peut perdre l’avantage que peut offrir le logiciel libre.
Pour beaucoup d’industries aujourd’hui le logiciel libre est considéré comme un accord de consortium. Avant, quand on faisait de l’innovation, on faisait des accords de consortium. C’est comme ça qu’on a fait le moteur Diesel, beaucoup de technologies sont nées comme ça : les compagnies se mettaient ensemble, signaient des papiers, faisaient des réunions à ne plus savoir qu’en faire pour expliquer qui va faire quoi, qui va gagner de l’argent. Il y a une dizaine d’années, 15 ans, il y a eu un gros basculement au niveau de l’industrie des technologies au travers du travail de Linux et des fondations, autour d’OpenStack [15] aussi. Les industriels de l’informatique se sont aperçus que c’était beaucoup plus simple de faire une licence open source ou libre parce que, au final, l’accord de consortium c’est la licence Apache, par exemple. Dès le moment où on avait un problème entre nous, on regardait ce que la licence permet de faire et on réglait juridiquement les conflits de cette façon-là. C’est comme ça qu’il faut le voir. Il y a toute une partie au niveau industriel, notamment sur les infrastructures. Ça représente jusqu’à 80 % de la consommation, ça représente aussi des milliards en termes de chiffre d’affaires pour beaucoup de compagnies, c’est assez important.

Après, sur l’infra, je ne vais pas rentrer sur le côté IaaS [Infrastructure en tant que service], on a la question de la mutualisation, ce qu’on appellerait « dans le cloud », pour ceux qui connaissent le IaaS. En fait on va rajouter une couche applicative pour pouvoir partager les mêmes infrastructures à tout le monde ; le plus connu c’est le cloud, le miracle du cloud, ce qui est vendu par le cloud c’est « vous mutualisez ». En fait, en gros, on a d’autres technologies. Je suis spécialiste de Kubernetes [3], on peut rajouter dessus des technologies de cloud par exemple. On va rajouter de l’orchestration.
En fait, qu’est-ce qu’on va retrouver dans la mouvance autour de l’automatisation des Kubernetes [3], des trucs comme ça, c’est de dire « on va essayer d’optimiser la consommation de nos infras ». On ne le fait pas obligatoirement parce qu’on estime qu’on veut sauver le monde, encore une fois on est dans une logique purement industrielle, en disant « en diminuant le nombre de machines, je diminue mes coûts, je mutualise et, à partir de là je suis plus efficace ». Vous allez avoir beaucoup de termes, comme FinOps [Finance et Opérations] en ce moment ; les industriels, les entreprises s’y intéressent.

Dans la partie IaaS, on a Azure [Microsoft], on a AWS [Amazon Web Services] et tout ça. Ce qui est intéressant dans cette partie-là c’est que l’open source dans ce domaine-là est ultra-présent, c’est-à-dire que tout est aujourd’hui open source. Vous prenez le noyau Linux qui est le premier noyau déployé au niveau des cloud providers ; vous prenez les outils d’automatisation, pour ceux qui connaissent, c’est du Terraform [16], c’est du Ansible [17], ce ne sont que des technologies open source ; vous prenez Kubernetes, ce ne sont que des technologies open source. Pourquoi ? Parce que la volonté principale, là, c’est la standardisation. c’est-à-dire qu’on est dans une logique de standardisation. En gros, encore une fois, soit on réinvente la roue dans son coin et on invente une techno, soit on utilise un truc qui est standard, que tout le monde peut utiliser, et tout le monde l’utilise. Encore une fois l’arbitrage qu’on va avoir là c’est un arbitrage technique : combien y a-t-il de gens dans le monde qui sont capables d’utiliser Ansible [15] ? Sans doute plus que de gens qui sont capables d’utiliser la petite technique que j’ai développée dans mon coin. Donc l’arbitrage va faire ça à chaque fois.

Là, on est dans une logique où il y a un vrai alignement entre le logiciel libre, open source, et le green IT, dans le sens où les solutions pour permettre de faire de l’environnement et du green IT se retrouvent dans les solutions open source. C’est-à-dire qu’aujourd’hui les personnes, les compagnies comme VMWare, plutôt old school, n’ont surtout pas envie que vous mutualisiez. Les vendeurs de hardware ne veulent pas que vous mutualisiez, ils proposent mais ce n’est pas leur intérêt, ils vont vendre moins de matériel, simplement, donc à moins d’augmenter les prix ! En gros vous dites à ces compagnies « tu vas diminuer en deux ton chiffre d’affaires dans deux/trois ans. » Ce ne sont pas des personnes qui ont tendance à vouloir, ça veut dire que si on comptait sur elles — dans l’environnement, on a l’exemple tous les jours. Vous avez vu quand il a fallu déployer la 5G, en un an c’était plié, tout le monde montait au créneau et tout ça — et on leur dit « il faut diminuer les effets », c’est-à-dire qu’il faut juste faire quelques trucs, il n’y a personne qui bouge ! On est capable de déployer des antennes 5G en France tous les 500 mètres en un an, un truc qui techniquement, vous le savez, ne sert à rien, on a été capables de le faire extrêmement rapidement, par contre, un truc qui est utile, si les industriels n’ont pas un intérêt financier, ils ne vont pas bouger. On leur aurait dit la 5G va diminuer par 3 votre chiffre d’affaires, je peux vous dire qu’on ne l’aurait pas ! La 5G a des avantages technologiques, mais, par exemple, dans la logique de longévité du hardware, les puces 5G sur les téléphones portables c’est une aberration, ça ne sert à rien, ça consomme plus d’énergie et l’utilisateur final n’en a pas la nécessité. Maintenant, que vous ayez une puce 5G sur un vidéoprojecteur, sur du matériel embarqué, là ça peut avoir un intérêt, mais sur votre téléphone ça n’a en a aucun, à part consommer plus d’énergie, ça a moins d’intérêt. Ou alors, ça devrait être fait pour des gens dont c’est le travail. Peu importe, ça vous donne juste une idée.

Ça veut dire que dans cette logique là, qu’est-ce qui s’est passé ? On va se retrouver avec notamment les containérisations, des solutions de virtualisation, d’automatisation, qui vont être poussées et qui sont clairement poussées par les utilisateurs au travers de l’open source. En fait, le logiciel libre donne des moyens techniques concrets aux gens qui veulent aller dans une notion de sobriété, on leur donne un moyen technique. Comme ce sont des utilisateurs qui le développent, du moment qu’ils sont assez nombreux pour faire marcher la machine, les autres ne peuvent pas l’arrêter. On se retrouve par exemple avec des AWS, des Azur - Google c’est différent -, qui vont déployer, par exemple, des outils comme Kubernetes, mais pas trop. Ceux qui connaissent ça, pas trop ! On ne va pas trop l’avancer parce qu’on ne veut pas non plus que les gens deviennent trop dépendants de notre plateforme. On est toujours dans une sorte d’entre deux.

Si on regarde de ce point de vue-là, on se rend bien compte que oui, quand on va faire de l’open source dans une logique d’utilisateur, pas obligatoirement d’industriel, là on a une logique où on peut dire que l’open source et le green IT vont ensemble.

C’est comme le fait de recycler dans les entreprises et tout ça : ce n’est pas obligatoirement l’objectif premier, mais les objectifs convergent. Et parce que les principaux utilisateurs de ces technologies-là sont ceux qui ont un intérêt non pas à vendre mais à optimiser, là on va se retrouver devant une fusion.

La dernière partie, parce que je vais vous laisser quand même un peu de temps, c’est la partie applicative. La partie applicative ce n’est pas si important que ça, j’ai été étonné dans l’étude, on est entre 5 et 12 % de la consommation. Là on est à 80 % ça donne une idée d’où on se situe. Après c’est faux de dire ça, c’est un peu comme dire qu’en France on pollue moins que les Chinois, c’est sûr, ce sont les Chinois qui produisent tout pour nous, on pollue moins qu’eux ! C’est un peu ça l’idée !

Par contre, la partie apps, on a un peu une contradiction. Si on regarde les licences open source ou les technologies, on peut y aller : PHP, Python, j’allais presque dire, quel est le langage de programmation qui n’est pas open source ? Il y a quelques uns, .NET, Go, des choses comme ça. On va arriver à une certaine logique. On va dire « c’est vrai » et, d’un seul coup ,je vais vous mettre ça, je vous mets Java [18], pour ceux qui sont un peu informaticiens. Ça, d’un point de vue environnemental, d’un point de vue consommation d’énergie, de ressources, de CPU sur les machines, c’est une aberration. Aujourd’hui, je pense qu’encore 60 à 70 % des applications d’entreprise tournent sous Java, surtout dans les milieux financiers, c’est parce qu’ils ont développé et quand tu as développé sur Java il y a 20 ans tu ne sors pas du truc tout de suite. D’un point de vue environnemental on est vraiment devant un projet open source avec toute la partie que vous connaissez, serveur, je ne vais pas rentrer dans les détails techniques, mais on est devant un langage qui est purement open source, qui est purement un logiciel libre, mais qui n’a aucune vertu environnementale. Pour le coup c’est l’inverse. C’est même un langage qui est beaucoup trop lourd, beaucoup trop consommateur. Encore une fois pourquoi ? Parce que l’utilisateur final de ce langage c’était le développeur et l’objectif du développeur, au moment où il l’a créé, c’était de réaliser les fonctionnalités qu’on lui demandait, son objectif c’était de faire son travail. À ce moment-là, ce n’était pas d’aller dans le sens de plus de sobriété et tout ça, ça n’a pas été son objectif.

Si on regarde les langages comme Python, PHP, on peut faire la liste, on s’aperçoit que c’est partout pareil. La seule différence qu’on va avoir pour certains langages, pour ceux qui connaissent, c’est qu’il y a des langages qui sont naturellement du low-code, c’est-à-dire des langages qui vont naturellement très peu consommer de ressources et être optimisés.

Les seuls endroits où on consomme et on développe vraiment avec des langages très simples, très optimaux, il y a une entreprise à Toulouse qui est connue pour ça, Airbus, où tout ce qui est spatial et tout ça, parce que zéro fault tolerance. Tous ceux qui font du développement électronique connaissent ça, on n’a pas droit à une seule erreur sur sa chaîne de développement, il ne peut pas y avoir un bug et, surtout, on doit maintenir le code pendant 20 ou 30 ans. Une fois que l’avion est en vol, on ne va pas arrêter un avion, on ne va pas changer le datacenter qui est dedans sous prétexte qu’on a changé de version d’Android il y a deux mois ou qu’on sort Windows 11. Il doit voler et vous avez aujourd’hui des avions qui volent depuis 20 ou 30 ans avec du code qui a été développé à ce moment-là et, au moment où il a été développé, il est propre. Par contre, innovation zéro ! Tu as de l’imagination tu changes de service !, tu n’es pas là. Pour ceux qui travaillent chez Airbus, la sécurité est tout le temps là. Comme il y a zéro fault tolerance, comme vous n’avez pas le droit à l’erreur, chaque ligne de code doit être optimale.
Par contre, on comprend bien que ce n’était ni dans la logique du logiciel libre, ni dans la licence qui le porte d’aller dans le sens de la sobriété. Ça n’est pas porté.

Parallèlement à ça, on découvre des mouvements autour du logiciel libre, par exemple tout ce qui est micro-services, je suis désolé pour ceux qui connaissent moins, tout ce qui est nouveaux modèles de développement, le plus classique c’est Netflix. Quand vous ouvrez une page Netflix j’aime bien dire que vous avez 700 micros services qui s’ouvrent. D’un seul coup, on revient toujours appuyer dans cette logique-là : on a eu, pendant longtemps, une contrainte matérielle au niveau du téléphone et des ordinateurs qui a obligé d’essayer de consommer le moins de ressources possibles sur le terminal. C’est d’ailleurs pour ça que le résultat est là à mon avis. Mon téléphone est aussi puissant que mon ordinateur d’il y a dix ans, d’un point de vue RAM, CPU, c’est la même puissance. Avant qu’on en arrive là, Netflix et les autres compagnies comme ça ont quand même dû continuer à déployer leurs solutions pour un téléphone qui ne vaut pas un kopeck et sur des ordinateurs qui sont vieux. On a donc eu cette tendance-là qui est une tendance à faire ça.
Elle a été contrecarrée par une autre tendance que vous connaissez tous : le streaming. D’un point de vue légèreté, je peux vous dire que d’un point de vue consommation ressources, vous consommez moins en ouvrant une page Netflix pure qu’en allant sur le site de Pôle emploi par exemple et pourtant vous êtes devant un site où il y a plein d’images, plein de trucs ; c’est la façon dont ça a été pensé.

Par contre, dès le moment où vous cliquez pour que la vidéo vienne chez vous, là vous êtes reparti. C’est un peu, pour ceux qui connaissent Groland, le sketch où le gars a une belle maison, 100 % durable, toute la semaine il ne mange que des trucs bio, locaux et tout ça, et le week-end il décide de partir à Marrakech en avion. Tout d’un coup, là en streaming, vous venez de prendre l’avion pour Marrakech, donc vous venez de casser votre impact environnemental d’un coup.

Encore une fois, on peut dire que de ce point de vue, il n’y a pas de convergence. Il n’y a pas originellement de convergence entre l’open source et le green IT. Par contre la montée des usages, les mêmes qu’ici, ont tendance à dire que oui, dans les langages open source on a une tendance à aller vers le green IT. Encore une fois pourquoi ? Parce qu’à ce niveau-là, simplement, le modèle de l’open source a gagné d’un point de vue purement technologique, ce qui veut dire que tout le monde se pose la même question. Dans les contributeurs de ces langages-là ou de ces technos-là vous avez Microsoft, Google, Oracle, vous avez des sociétés qui, à la base, n’en ont un peu rien à faire du modèle.

Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, par rapport au greenwashing, à ce que je disais, si, d’un point de vue pour moi culturel, la pratique du logiciel libre est proche des valeurs qu’on peut retrouver dans l’environnement, dans le green, comme ce sont avant tout des solutions technologiques qui ont été développées, elles suivent tout simplement les tendances de l’ensemble du marché. C’est-à-dire qu’aujourd’hui il n’y a pas un avantage particulier du logiciel libre par rapport à ça. Vous pouvez très bien avoir un logiciel propriétaire qui arrive et qui dit : moi je suis en low-code [19]. Je ne sais pas si vous connaissez le low-code, le truc le plus fiable, il peut avoir un avantage par rapport au reste.

Par contre, la question qu’on peut se poser plus globalement : est-ce qu’on aurait tout intérêt à intégrer dans les approches du logiciel libre, de rajouter à la fameuse licence GNU une composante environnementale, sustainability ? Et à quel moment, dans notre gouvernance de projets logiciels libres, sommes-nous capables d’intégrer la compétence green IT, sustainability, comme une composante majeure de l’arbitrage de la roadmap de nos technos ?

Sur ça, on est mieux placés, mais, pour moi, on n’est pas plus avantagés. On a à faire nos devoirs comme les autres, j’ose dire ça. Et honnêtement, allez dans les événements du logiciel libre, regardez le nombre de conférences que vous avez sur le green IT, ça vous donne un peu une idée.

Il reste deux minutes pour poser des questions. Est-ce que vous avez des questions sur mon superbe « Économie d’énergie » ? [Notes sur une grande feuille blanche, NdT].

Public : Sur le fait de dire que c’est 80 % pour le matériel. Pour la partie logicielle, est-ce que le fait de remonter comme ça se fait un petit peu, ne peut-on pas dire que si les programmes sont optimisés ça va consommer moins de ressources, donc ça va faire diminuer cette part-là ?

Jonathan Le Lous : Tout à fait. C’est pour ça qu’on a la valeur de la mutualisation qu’on a aujourd’hui, parce que la partie limitée de l’environnement c’est cette partie-là ; après il y a le réseau, je n’ai pas parlé de la communication par le réseau entre ça, c’est le réseau qui consomme beaucoup. Aujourd’hui l’idée c’est exactement ce que tu as dit : en faisant des efforts d’amélioration des langages, en travaillant sur des architectures, d’ailleurs à la mode, un peu plus légères, en fait sur une même infrastructures on va être capables de déployer trois /quatre/cinq/six fois plus de logiciel. De fait on va consommer moins de ressources.
Par contre chez vous, à la maison, la loi de Moore, que vous connaissez, s’est heureusement arrêtée, il faut aussi que les gens acceptent qu’il n’y a plus besoin — d’ailleurs vous le voyez sur les ordinateurs depuis deux ans — que votre ordinateur soit plus puissant que ce qu’il était il y a deux ans, vous n’en avez plus besoin. Autant Apple l’a compris – pourtant Dieu sait que je ne les aime pas – Google peut l’avoir compris, autant Windows 11 ne l’a pas compris. Windows 11 est resté dans le trip on va consommer plus de ressources.

Public : [Inaudible]

Jonathan Le Lous : Low-code. Oui.

Public : [Inaudible] Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour les pousser ?

Jonathan Le Lous : Les gouvernements. J’ai vécu un temps en Amérique du Nord, du coup j’ai moins la vision que j’ai ici. Ici on l’a l’impression que c’est toujours le gouvernement, à un moment il faut toujours que ce soit le gouvernement, alors que là-bas on voit que ce n’est pas tout à fait pareil. En Amérique, le gouvernement met juste de l’argent sur la table et le premier qui se jette dessus, qui l’attrape, c’est bon. C’est toujours le gouvernement chez eux, on le sait aussi.
En fait, on est un peu comme dans les modèles, c’est une sorte de croisée. Les industriels, pas les fabricants de matériel, mais les industriels, c’est-à-dire toutes les personnes pour qui vous travaillez, toutes les compagnies, tout ça, c’est leur intérêt d’aller vers ça. Ça veut dire qu’au niveau de l’industrie, des entreprises, des organisations, des associations et tout ça, il va y avoir une tendance naturelle à aller vers ça, parce qu’ils payent de grosses factures d’électricité, ils veulent juste moins payer. Encore une fois, il n’y a pas de vertu, ce n’est pas la main sur le cœur en disant « je te jure, je sauve le monde ! », c’est un pragmatisme qu’ils sont obligés d’avoir. Avec l’augmentation du prix de l’énergie, je peux vous dire qu’ils vont accélérer, l’année prochaine ça va y aller !
Par contre, ce qui arrive, c’est qu’au niveau de nos usages on a besoin d’échanger. Pourquoi veut-on toujours acheter le téléphone le plus puissant ? Pourquoi veut-on toujours aller vers le plus puissant ? C’est comme chez Décathlon quand tu fais du sport : tu as la chaussure dont tu as besoin, tu as la chaussure qui a l’air un peu mieux et ils arrivent à te faire acheter la chaussure à 150 euros, ils sont très forts, alors que toi tu as besoin de la première paire. Au final, tu peux te l’avouer, tu cours une fois par semaine, par contre tu vas acheter celle du mec qui court tous les jours. C’est un peu ça, ce sont un peu nos modèles de consommation et c’est un peu plus difficile des fois.
Un exemple tout bête : quand vous regardez des films, ne regardez pas les films en streaming ou n’écoutez pas obligatoirement la musique en streaming, téléchargez-la. Si vous voulez passer sur Netflix, pour moi c’est difficile d’aller changer les organisations, par contrer téléchargez, installez, ne consommez pas en permanence du réseau. En fait, pour que vous puissiez faire des allers-retours en permanence, écouter votre Deezer ou votre Spotify, il faut des infras beaucoup plus élastiques, il en faut beaucoup plus, il faut plus de réseau. Une fois que vous avez téléchargé, que vous avez fini, le lien est coupé, vous basculez sur votre matériel. En plus, un téléphone portable, d’un point de vue énergétique, ce n’est pas un ordinateur, c’est un peu moins consommateur.

D’autres questions. Je pense que j’ai dépassé le temps de deux minutes. Je suis devant, au pire, si vous voulez discuter plus sur les détails. Merci beaucoup d’être venus.

[Applaudissements]