La grande interview : Paul Midy, député Smart Tech

Député Renaissance de l’Essonne, Paul Midy vient tout juste d’être nommé rapporteur général du projet de loi pour sécuriser et réguler l’espace numérique porté par le ministre Jean-Noël Barrot.

Delphine Sabattier : Grande interview aujourd’hui avec le rapporteur général. Vous venez d’être élu, désigné par vos pairs, comme le rapporteur général de la loi dite Barrot, la loi qui doit réguler, sécuriser Internet, l’espace numérique [1]. Bonjour Paul Midy.

Paul Midy : Bonjour. Merci de me recevoir.

Delphine Sabattier : Avec grand plaisir. Vous êtes le député Renaissance de Paris-Saclay, pour le dire simplement, de la cinquième circonscription de l’Essonne. Vous succédez à Cédric Villani qu’on reçoit aussi sur ce plateau, vous le savez. Vous êtes également membre du Conseil national du numérique [2], également membre de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. On va parler de votre mission de rapporteur, puisque c’est la grande actualité du moment. Les débats vont commencer sous peu à l’Assemblée nationale.

Paul Midy : Il y a trois étapes. On commence d’abord par les auditions de tous les experts sur les sujets, ça nous prend deux à trois semaines, on auditionne à peu près une cinquantaine d’experts, on fait des tables rondes. Ensuite on arrive au ravail en commission, une commission spéciale [3] a été désignée pour travailler sur ce projet de loi de sécurisation et de régulation de l’espace numérique, ça sera dans la deuxième de septembre et on arrivera début octobre, en séance, à l’Assemblée nationale.

Delphine Sabattier : Et votre rôle alors ? J’ai regardé votre petite vidéo sur YouTube, la mission du rapporteur général, vous dites que c’est un peu un chef de projet.

Paul Midy : Oui, c’est un chef de projet sur la loi. Le rôle du rapporteur général c’est de faire en sorte que la loi atterrisse bien, qu’elle soit votée, qu’elle garde sa cohérence politique. Très concrètement, c’est le rapporteur général qui va donner à ses collègues son avis sur les articles, sur les amendements qui sont proposés pour dire s’il faut les voter ou s’il ne faut pas les voter. En fait, nous sommes un peu deux à le faire : du côté du gouvernement c’est le ministre en charge, on dit que c’est le ministre au banc, c’est Jean-Noël barrot, le ministre du Numérique et, du côté de l’Assemblée nationale, c’est le rapporteur général qui fait ça. Je ne le fais pas tout seul, je suis avec une équipe de rapporteurs thématiques qui se focalisent sur les différentes thématiques du projet de loi. C’est un peu ça, pour faire très simple, rapporteur général c’est le chef de projet

Delphine Sabattier : C’est un des sujets de prédilection, pour vous, de parler de cette régulation et de cette sécurisation. Dans une tribune au Figaro vous avez écrit qu’Internet c’est un peu le Far West [4].

Paul Midy : Je crois, oui, c’est même un peu chaos. En fait, on passe déjà aujourd’hui plus de temps dans l’espace numérique, sur Internet, que dans l’espace public. On y passe en moyenne, en France, deux heures par jour. Vous ne passez pas deux heures par jour dans l’espace public. Nos jeunes entre 15 et 24 ans passent quatre heures par jour en moyenne. On passe donc beaucoup plus de temps dans l’espace numérique que dans l’espace public.

Delphine Sabattier : Ça ne veut pas dire, pour autant, que c’est un Far West.

Paul Midy : Non. Maintenant je fais le constat : 50 % des arnaques ont lieu en ligne aujourd’hui ; 18 millions de Français se font arnaquer chaque année en ligne ; 9 millions d’entre eux perdent de l’argent dans ces arnaques ; 50 % de nos jeunes se sont déjà fait par cyber-harceler en ligne ; 80 % de nos enfants ont eu accès à la pornographie en ligne. Si vous utilisez les réseaux sociaux comme moi, vous étiez sur YouTube pour voir ma vidéo, c’est racisme, misogynie, homophobie, LGBT-phobie, islamophobie et j’en passe et des meilleurs, c’est à tous les étages.

Delphine Sabattier : Pourtant la loi s’applique aussi dans l’espace numérique, déjà aujourd’hui.

Paul Midy : Vous avez raison, mais il faut y faire des adaptations. En fait, si on regarde, ça fait quelques milliers d’années que nous nous sommes donnés des règles autour de cette planète, dans tous les pays du monde, pour que le monde physique soit le plus civilisé possible. L’idée n’est pas d’inventer le fil à couper le beurre. Il faut qu’on transpose ces règles du monde physique à l’espace numérique et à toutes ses spécificités.

Delphine Sabattier : Quels sont les points importants, qui vous semblent importants dans ce texte qui va être débattu à l’Assemblée nationale ?

Paul Midy : J’en citerai trois, mais il y en a beaucoup plus.
Le premier, c’est qu’on va mettre en place un filtre anti-arnaque. C’est très simple, je suis sûr que vous avez déjà reçu un texto qui vous obligeait ou vous proposait de payer une amende que vous étiez censée avoir reçue, vous êtes en retard de paiement, tout cela est faux. Malheureusement beaucoup de Français, de bonne foi, cliquent, payent des fausses amendes. Donc à la place, quand vous cliquerez sur ces liens-là, vous aurez un filtre, le filtre anti-arnaque du gouvernement qui vous dira « attention, vous êtes en train d’aller sur une arnaque ».

Delphine Sabattier : À condition que ce site ou ce SMS aient déjà été repéré, recensé comme étant malveillant, parce que vous dites « c’est simple », ce filtre anti-arnaque n’est pas si simple à mettre en œuvre !

Paul Midy : Techniquement c’est un objet complexe, mais on n’a pas besoin de faire rentrer les Français là-dedans. Tous les Français pourront aller signaler des arnaques et en fait, très rapidement parce que nous sommes très nombreux, les arnaques reviennent très vite à l’administration. Maintenant le pas qu’il faut pouvoir franchir, et c’est ce qu’on va faire avec cette loi, c’est de pouvoir mettre tout de suite, dans une liste, les informations que l’administration a sur le caractère frauduleux d’un site, une forme de liste noire, exactement. Quand les Français vont essayer de cliquer pour y aller, on va leur donner l’information « attention, c’est une arnaque ». Ce sont des millions de Français qui se font avoir.

Delphine Sabattier : Avec les risques de dérapage, de prendre en considération d’autres choses que des sites malveillants, parce qu’on a vu quelques ratés au printemps.

Paul Midy : Ça sera très encadré, donné à une administration qui sera évidemment très compétente pour le faire. Je pense qu’il n’y aura pas de dérapage, je suis vraiment très serein là-dessus. L’idée c’est vraiment d’aller chercher 80 % des arnaques. On ne pourra pas, bien sûr, prévenir toutes les arnaques, les voleurs vont toujours plus vite que les policiers. Mais si, pour 80 % des cas, on peut éviter que des millions de Français perdent de l’argent dans ces arnaques en ligne, ça change franchement la vie.

Autre sujet c’est celui du cyberharcèlement. Je vous l’ai dit en début d’émission : plus de 50 % de nos jeunes se sont déjà fait cyber-harceler. Les femmes, en particulier, sont 10 à 20 fois plus cyber-harcelées que les hommes dans l’espace numérique. Il faut qu’on arrive à avancer sur ce sujet.
Dans ce projet de loi, deux mesures sont importantes.
Il y a d’abord le fait qu’on va donner des devoirs beaucoup plus importants aux plateformes de réseaux sociaux pour se battre contre ce harcèlement et contre toutes les formes de contenus illicites qu’il y a en ligne. On va les obliger à avoir un système de modération beaucoup plus efficace et surtout, si elles ne le font pas, on va taper au portefeuille. On sera capable, avec l’Union européenne, d’aller taper les grandes plateformes jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial. C’est le premier élément.
Le deuxième élément, c’est qu’on va créer une peine de bannissement des réseaux sociaux. Aujourd’hui le juge peut donner des mesures d’éloignement physique à un ex-mari ou à un ex-conjoint qui bat sa femme, qui bat son ex-conjointe, cette personne n’a plus le droit d’aller telle ville ou dans tel département pour telle période. Quand je vous disais qu’il faut transposer les règles de la vie physique à la vie numérique, c’est exactement ça. De la même façon, quelqu’un qui a cyber-harcelé des personnes sur un réseau social doit pouvoir être banni de ce réseau social, pour une durée limitée bien sûr.

Delphine Sabattier : Il y a quand même eu une alerte de la CNIL qui dit « attention, à vouloir trop réguler, sécuriser, on risque aussi de marcher sur nos libertés dans cet espace numérique ».

Paul Midy : Bien sûr. On est évidemment toujours dans l’équilibre entre la sécurité publique, l’ordre public, et la liberté d’expression et la liberté de pouvoir s’informer parce que, avoir accès à un réseau social, c’est aussi une façon de s’informer.

Delphine Sabattier : Au début du mois de juillet, pendant les émeutes, on a vu la réaction d’un côté des décideurs politiques qui ont dit « il faut resserrer encore plus la vis sur les réseaux sociaux » et, de l’autre, les citoyens qui disaient « attention, c’est un espace d’expression ».

Paul Midy : Je ne suis pas sûr que le débat était si tranché entre les citoyens d’un côté et les responsables politiques. Dans ma circonscription, beaucoup de concitoyens ont été effarés par le nombre de messages, d’appels à la violence, d’ailleurs dans les villes de ma circonscription, au moment de ces violences urbaines. C’est inacceptable. Dans le monde physique, quelqu’un qui appellerait en criant ou en placardant des affiches disant « on va aller brûler la mairie », ça tomberait sous le sens que la police puisse l’interpeller ou qu’elle arrache, sans aucune difficulté, cette affiche. C’est pareil dans le monde numérique : on n’a pas le droit d’appeler au meurtre, on n’a pas le droit d’avoir des propos racistes, on n’a pas le droit de harceler quelqu’un et on n’a pas le droit, non plus, d’aller encourager la violence ou encourager à aller brûler sa mairie.

Delphine Sabattier : Jusqu’où autorise-t-on, justement, l’intervention du politique sur ce qui se passe sur ces plateformes numériques ?

Paul Midy : Le politique est là pour mettre des règles. Je suis parlementaire, je fais la loi. On dit ce qui est légal et ce qui n’est pas légal. Après, dans la majorité des cas, quand il y a des questions de liberté publique, quand il y a un doute, le juge intervient. On a le système judiciaire pour dire, après, si la personne était dans un cas d’illégalité ou si la personne est dans un cas de légalité. C’est d’ailleurs pour cela que sur un certain nombre de messages qu’on peut avoir sur les réseaux sociaux, parfois ce n’est pas évident de comprendre si c’est un appel à la violence, si c’est une dénonciation de la violence, si c’est une plaisanterie, si c’est de l’ironie. Il faut donc qu’on soit capable de traiter 95 % des cas évidents ; c’est le juge qui va traiter les 5 % de cas restants, bien sûr. C’est comme dans la vie réelle, comme dans la vie physique.

Delphine Sabattier : Davantage automatiser cette modération.

Paul Midy : Si je vous agresse dans la rue, la police ne va pas attendre en se demandant « est-ce que c’est une agression ?, est-ce que je fais quelque chose ? ». Quand la chose est évidente, la police va nous arrêter, elle va peut-être même nous priver de notre liberté jusqu’à 48 heures en nous mettant en garde à vue et c’est évidemment la police qui a les compétences pour faire ça. Si le cas est compliqué, que ce n’est pas évident, c’est le juge qui va décider.
Toutes ces règles, qui sont évidentes pour tout le monde dans le monde physique, il faut qu’on arrive à les transposer dans la vie numérique.

Delphine Sabattier : J’imagine que c’est le genre de débat que vous aurez à l’Assemblée nationale, ces questions de liberté, réguler, sécuriser.

Paul Midy : Exactement et c’est très important qu’on les ait.

Delphine Sabattier : Si on regarde votre parcours, vous êtes polytechnicien, vous avez d’abord exploré le champ entrepreneurial avant d’entrer en politique, notamment en Afrique, puisque vous avez intégré la première licorne africaine et puis, en France, vous avez été CIO [Chief Information Officer] de Frichti, la startup de livraison de courses et de repas. Tout cela vous permet de bien comprendre cet écosystème tech auquel vous vous intéressez. Élisabeth Borne vous a confié une mission pour le développement et le soutien à l’investissement de cette tech nationale française. Vous avez publié un rapport de croissance que vous avez d’ailleurs dévoilé à l’occasion de VivaTech, ce grand événement de la tech en France. Quelles en sont les grandes mesures et quand aura-t-on les premières applications de ces mesures ?

Paul Midy : Si je peux me permettre un peu de pub, ce rapport est disponible en ligne sur mission-midy.fr [5]. J’encourage tout le monde à aller le lire. Maintenant je vous fais la version de synthèse. Avec ce rapport, on a identifié une trentaine de mesures très concrètes pour aller chercher trois milliards d’euros de levée de fonds supplémentaires par an pour nos startups, nos PME innovantes, nos PME en croissance.

Delphine Sabattier : Par an.

Paul Midy : Par an, exactement. Trois milliards d’euros supplémentaires par an. Quel est l’impact de ces trois milliards d’euros supplémentaires par an ? C’est la création de 200 000 emplois d’ici 2027. C’est un peu plus de 10 % de notre objectif de plein emploi, du nombre d’emplois qu’il faut créer pour arriver au plein emploi, 5 % d’ici 2027.
Dans cette trentaine de mesures, il y a à la fois une mesure phare qui s’appelle la mesure « Jeunes entreprises ». C’est une incitation des particuliers à aller investir dans nos startups et dans nos PME innovantes. Il y a plein de formes d’incitation fiscale pour aller investir qui dans l’immobilier, qui dans telle enveloppe financière, etc. Je veux que le plus possible des particuliers investissent dans notre innovation, dans notre emploi et dans la transition écologique et ça se passe dans nos startups et dans nos PME innovantes.

Delphine Sabattier : On pourra voir émerger cette mesure à quel moment ?

Paul Midy : J’espère que cette mesure sera mise en place l’année prochaine. Il y a plusieurs étapes. D’abord, le président de la République a annoncé la mise à en place de cette mesure à l’occasion de VivaTech. Ensuite, c’est une mesure qui doit passer par le projet de loi de finances qui doit être voté dans le budget de l’année prochaine, ça sera en octobre et en novembre à l’Assemblée nationale. Je compte bien sur mes collègues députés, évidemment, pour voter cette mesure.

Delphine Sabattier : Pour appuyer cette mesure. Très bien.
Paul Midy, je propose qu’on passe à l’interview express.

Paul Midy : C’est parti.

Delphine Sabattier : Oui ou non, vous dites qu’Internet est un Far West, est-ce qu’on devrait davantage réguler, sécuriser encore plus que ce qu’on le fait aujourd’hui ?

Paul Midy : Oui bien sûr. Je pense qu’on est au tout début de l’aventure du numérique.

Delphine Sabattier : Pour on contre : est-ce qu’il faut freiner le développement de l’intelligence artificielle, Paul Midy ?

Paul Midy : Surtout pas. Il faut au contraire l’accélérer et il faut que nous soyons les leaders mondiaux, en Europe et en France, de l’intelligence artificielle.

Delphine Sabattier : J’y crois ou je n’y crois pas aux 100 licornes d’ici à 2030.

Paul Midy : J’y crois à fond, j’espère qu’on fera même mieux.

Delphine Sabattier : Y compris dans ce contexte, de baisse de levée de fonds ?

Paul Midy : Oui. Ce contexte de levée de fonds est très important et c‘est pour cela qu’on se bat et qu’on va aller essayer de chercher des milliards supplémentaires, j’espère que ce sera temporaire. Évidemment, si on devait garder ce contexte pendant les dix prochaines années, ça n’arrivera pas. Je suis beaucoup plus optimiste que ça. On est un peu, je dirais, dans un fond, dans un bas, mais on va évidemment remonter.

Delphine Sabattier : J’aime ou je n’aime pas sur Internet. Qu’est-ce que vous aimez et que vous n’aimez pas sur Internet ?

Paul Midy : J’adore énormément de choses. J’adore les réseaux sociaux.

Delphine Sabattier : Vous êtes actif sur les réseaux sociaux.

Paul Midy : Je crois que je suis le premier député à avoir été sur Facebook. Je me suis inscrit sur Facebook quand j’étais étudiant à l’Université de Colombia à New-York où c’était, au départ, réservé aux universités américaines. C’est fantastique ! J’adore la capacité à communiquer, à échanger, la capacité à aller voir beaucoup de contenus, à aller voir des séries, à passer du temps sur YouTube. Je fais du sport tous les matins en regardant des vidéo sur YouTube, c’est quand même fantastique !

Delphine Sabattier : Vrai ou faux votre engagement pour la diversité dans la tech ?

Paul Midy : Vrai à fond.

Delphine Sabattier : Comment ?

Paul Midy : Je pense que c’est très important. Je rappelle un constat : sur les 40 CIO du Next40, c’est-à-dire nos 40 plus belles pépites en termes de startups et de PME innovantes, il y a une femme ; 39 hommes, une femme ! Il faut déjà poser ce constat-là. Je pense que la prise de conscience commence à arriver, mais, en fait, elle ne s’est pas faite dans toutes les têtes. Ça n’est pas possible de faire l’innovation, de faire nos startups avec seulement la moitié de l’humanité. Il faut qu’on change, qu’on renverse la table.

Delphine Sabattier : Comment imaginez-vous le futur ?

Paul Midy : Bien. Je suis un grand optimiste.

Delphine Sabattier : Dans cinq ans où serez-vous, Paul Midy ?

Paul Midy : On verra. Peut-être à l’Assemblée, peut-être en train de créer une nouvelle startup.

Delphine Sabattier : Merci beaucoup.
C’était la grande interview de Paul Midy, député Paris-Saclay, membre du Conseil national du numérique et le rapporteur général du projet de loi pour sécuriser et réguler Internet. Merci encore.

Paul Midy : Merci infiniment.

Delphine Sabattier : À suivre. On part dans la nature pour notre rendez-vous avec le biomimétisme.