Émission Libre à vous ! diffusée mardi 30 mai 2023 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Le pôle ou la mission logiciel libre de la Direction interministérielle du numérique, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme « La jeune fille à la peurle » et aussi « La fonte des pôles ». Promis, ça parlera bien de libertés informatiques.
Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 30 mai. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, mon collègue Frédéric Couchet. Salut Fred.

Frédéric Couchet : Salut à vous. Bonne émission.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre », de Laurent et Lorette Costy, intitulée « La jeune fille à la peurle »

Étienne Gonnu : Nous allons commencer par la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy.
Comprendre Internet et ses techniques pour mieux l’utiliser, en particulier avec des logiciels libres et services respectueux des utilisatrices et utilisateurs pour son propre bien-être en particulier et celui de la société en général, Laurent Costy est administrateur de l’April, même vice-président, et fait cette chronique avec sa fille Lorette.
Aujourd’hui « La jeune fille à la peurle ».
Je vous laisse en leur compagnie pendant une petite dizaine de minutes et on se retrouve juste après, toujours en direct sur Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

Laurent Costy : Hello Lorette, je sais que tu n’as pas du tout le temps, mais est-ce que tu veux que je te raconte une aventure extraordinaire où des protagonistes échangent une plante et un iPhone, où l’une des personnes passe pour intègre, gentille, honnête, alors qu’elle n’est finalement qu’un peu renseignée techniquement et qu’elle ne veut pas faire de mal, même à ses pires ennemis ?

Lorette Costy : Oh, là, là ! Tu sais ménager le suspense et tu sais comment piquer ma curiosité. Tu pourrais presque écrire des séries golotes pour Netflix, toi, dis donc. Par contre moi, Papa, il aussi fallait que je te raconte un truc super important sur mon avenir ! Genre, tu te souviens que je cherchais une alternance et tout pour mon diplôme ?

Laurent Costy : Non ! J’avais commencé en premier ! En plus tu n’as pas le temps ! Je disais donc…

Lorette Costy : Bon, d’accord ! Je t’écoute alors mon super papattentif et attentionné. Une histoire de plante du coup ? Avec qui ?

Laurent Costy : D’abord, la personne a souhaité rester anonyme. On l’appellera Swuiden’ Scremeuldich.

Lorette Costy : Pour le cerner un peu mieux et éclairer les personnes qui nous écoutent, je suppose que ton ami Swuiden’ Scremeuldich est plutôt libriste. Autrement dit, c’est quelqu’un qui appréhende l’importance d’une informatique plus éthique et respectueuse des utilisateurs et utilisatrices et qui connaît les quatre libertés du logiciel libre.

Laurent Costy : C’est important de le préciser pour bien comprendre la suite ! Donc, Swuiden’ Scremeuldich, de retour de lointaines contrées de province de France, arrive gare de Lyon à Paris. Comme à son habitude, il prend un Vélib’ pour traverser Paris.

Lorette Costy : Il laisse d’ailleurs, en passant, de nouvelles traces dans la base de données de Vélib Métropole qui, en retour, le flatte pour tous ses kilomètres parcourus. C’est cool ! Ce n’est pas que ça lui fasse plaisir mais c’est difficile de faire autrement et, en connaissance de cause, il a fait le choix de ce service, écolo qui plus est.

Laurent Costy : Oui, sur ce plan, c’est un gars réfléchi à concession que ce Swuiden’ Scremeuldich.

Lorette Costy : Donc, puisque tu parlais de plante dans l’introduction, j’imagine qu’il se plante, qu’il se prend un arbre et il meure. C’était super cool et rapide comme émission aujourd’hui, papa Potame. À la prochaine !

Laurent Costy : La bise ma puce au silicium, à la prochaine !

[Croassements de corbeau]

Lorette Costy : Quelle bande de petits fifrelins facétieux fait-on quand même ! Bon, et donc ? On disait ?

Laurent Costy : Donc, pour ménager sa monture, Swuiden’ Scremeuldich change de Vélib’ à la station Jacques Bonsergent, au nord de République. V’là-t-y pas qu’il découvre sur son nouveau canasson, dans la pochette prévue à cet effet, un smartphone en fonctionnement affichant fièrement son positionnement.

Lorette Costy : Peut-être une manière pour lui d’appeler son ou sa propriétaire ? Mais, comme avec la grande majorité des appareils de notre époque merveilleuse, on pourrait dire aussi que cet iPhone, puisque c’en était un, appelait son esclave.

Laurent Costy : C’est une autre manière, tout aussi valable, de voir les choses, effectivement. Bref ! Swuiden’ Scremeuldich cherche alentour si l’esclave est encore dans les parages.

Lorette Costy : Mais non, il allait falloir se résigner à garder l’appareil. Y avait-il éventuellement une poubelle pour déchets électroniques dans le coin ?

Laurent Costy : Il se ravisa : peut-être que l’esclave avait encore besoin de cet appareil. Le cas échéant, malgré sa toxicité, il valait mieux que son usage soit poursuivi plutôt que de générer un nouvel achat.

Lorette Costy : Ah oui ! Ne jamais oublier toute l’énergie grise liée à la fabrication des appareils quand on parle de numérique et d’empreinte écologique.

Laurent Costy : Ni une, ni deux, il met l’appareil dans sa poche en attendant une prise de conscience et un appel téléphonique, à partir d’un autre appareil, évidemment, puisque celui-là était dans sa poche et que seul Apple et lui le savaient.

Lorette Costy : Bien sûr, en manipulant l’appareil, il fait très attention, car une prise d’empreintes digitales ou une reconnaissance faciale est si vite arrivée avec ces trucs-là !

Laurent Costy : Et puis, il s’était promis de ne jamais toucher à ces choses-là. C’est comme la première dose de drogue : on met le doigt dedans et après on suit la ligne tracée.

Lorette Costy : Il ramène donc l’appareil à son appartement avec la sensation similaire de Frodon lorsqu’il ressent le poids de l’anneau dans sa poche quand il approche de l’Orodruin, ce volcan qui domine le nord-ouest du Mordor et seul endroit susceptible de permettre la destruction de l’anneau !

Laurent Costy : Arrivé à son appartement, Swuiden’ Scremeuldich décide de prendre un bain. Il plonge son corps dans le liquide et vérifie à nouveau la théorie universelle : le téléphone sonne.

Lorette Costy : Bien sûr, prendre une douche consomme moins d’eau en général, mais Desproges et Archimède, ce couple comico-scientifique bien connu, pour les besoins respectifs de leurs sketchs et expériences utilisaient une baignoire. À leur décharge, quand même, ils réutilisaient ensuite l’eau pour arroser leurs tomates.

Laurent Costy : Au téléphone donc, c’était un collègue de Mme Ulbleue, Pile de son prénom. Après quelques échanges de banalités aux pensées respectives non exprimées du type : « Ah bon, vous êtes sûr que vous voulez vraiment récupérer cet objet aliénant ? » et « Il est con ce Swuiden’, il aurait pu revendre l’appareil et s’acheter plein de bonbons avec ! », rendez-vous est donné le soir pour rendre à Mme Ulbleue son appareil.

Lorette Costy : Là attention messieurs-dames, je vais faire le temps qui passe jusqu’au soir sous forme de bruitage, il va falloir être très concentrés : tic-tac, tic-tac.

Laurent Costy : Waouh, ça a marché. On est le soir ! Et voici, Swuiden’ Scremeuldich face à Mme Ulbleue, pour mémoire Pile de son prénom. Swuiden’ lui remet son appareil chéri. Pile est tellement heureuse qu’elle offre à Swuiden’ une plante en échange de son iPhone.

Lorette Costy : Et là c’est le lancement de l’opération « Échange un iPhone contre une plante et tout le monde sera heureux ». Qu’est-ce que c’est beau !

Laurent Costy : Oui, Swuiden’ est heureux. Il est rare qu’on lui offre des plantes, surtout pour une action aussi insignifiante à ses yeux que celle-ci. Il aurait sauvé un bébé des flammes comme les pompiers ou il aurait enduré, en tant que médecin, les urgences à l’hôpital Bichat au nord de Paris, je ne dis pas, mais là !

Lorette Costy : C’est vrai que si on réfléchit un peu, il est passé pour quelqu’un d’intègre et d’honnête, alors qu’il voulait juste se débarrasser de ce truc surcoté par les fans de la marque.

Laurent Costy : Si on convient que le matériel pourrait durer plus longtemps grâce à une conception réputée plus durable, et ça reste relatif, il n’y aurait pas un endroit dans l’Apple Store pour ramener son appareil si tout marchait bien, le marketing agressif de la marque à la pomme anéantit ces efforts.

Lorette Costy : Effectivement ! L’année dernière, par exemple, c’était le dernier iPhone vert sapin qu’il fallait acheter pour être à la mode ; cette année, c’était le jaune pisse qui s’affichait sur tous les panneaux publicitaires. À quoi ça sert de faire des appareils durables si on pousse les gens à les renouveler souvent pour être à la mode ? Je te le demande vraiment, Émile.

Laurent Costy : C’est rigolo ! Émile, c’est un pote à Swuiden’ Scremeuldich. Et en plus, on va te dire que ce n’est pas grave puisque ça alimente le marché des secondes mains. Mais au final, le nombre d’appareils ne cesse de croître et la guerre pour les matières qui les composent se durcit chaque jour. Il est urgent de ralentir notre consommation d’appareils !

Lorette Costy : Et d’ailleurs, sur le plan des données soi-disant jalousement gardées par Apple, il y a aussi des choses à dire, non ?

Laurent Costy : Mais carrément ! Tu lis dans mes pensées et accessoirement la chronique ! On peut citer ici l’article sur gnu.org intitulé « Malveillance des systèmes d’exploitation Apple » qui rassemble 88 sources classées par type de malveillance et démontre comment, au fil du temps, Apple façonne son monde numérique au détriment des utilisateurs et utilisatrices.

Lorette Costy : Il y a aussi un article d’un ami de Swuiden’ Scremeuldich sur le blog « Libérons-nous » des Ceméa. Cet article intitulé « Apple, une entreprise comme les autres » dépeint une autre réalité que la story idyllique que le marketing entretient. Il pointe plusieurs articles dont, par exemple, celui du 21 mars 2015 du Huffington Post : « iPhone : 5 choses qu’Apple sait sur votre vie privée (et partage parfois avec d’autres entreprises) ».

Laurent Costy : Bref, ce n’est donc pas aussi légendaire que la marque et ses fans veulent nous faire croire. Swuiden’ Scremeuldich aurait voulu lui dire à Pile, quand elle lui a donné la plante. Il aurait voulu lui dire que la prochaine fois qu’elle devra racheter un appareil, le plus tardivement possible donc, elle devrait éviter cette marque qui enferme et qui est peu respectueuse des utilisateurs et utilisatrices.

Lorette Costy : D’autant qu’il y a des solutions pour aller sur des voies plus propres et saines. On en a déjà causé, mais on peut acheter des appareils comme le Fairphone ou le Shiftphone. C’est encore un peu cher, mais on peut même louer ces appareils auprès de structures comme commown.coop.

Laurent Costy : Quant aux systèmes d’exploitations pour smartphone, il y a désormais des alternatives comme MurenaOS, Lineage OS, et, en attendant, on peut bien sûr analyser, avec Exodus Privacy, les applis que l’on utilise sur son smartphone pour voir tous les traceurs qu’elles contiennent et les données qu’elles transmettent.

Lorette Costy : On peut utiliser aussi F-Droid, on en avait déjà parlé, magasin alternatif au Play Store, proposant des applications généralement beaucoup moins corrosives pour notre vie privée.

Laurent Costy : Bon, c’était un peu difficile pour Swuiden’ Scremeuldich de dire tout ça à Mme Ulbleue après avoir reçu une plante. En plus, il ne lui a pas demandé son 06 pour ne pas l’embêter. Mais il y aura peut-être quelqu’un qui aura eu vent de cette histoire et qui, en écoutant notre chronique, pourra contacter l’équipe de Libre à vous ! pour que Mme Ulbleue soit remise en relation avec Swuiden’ Scremeuldich’ ! Ce serait rigolo.

Lorette Costy : Ah oui, ce serait drôle ! Elle était très belle ton histoire, papa ! J’ai une amie qui a plein de plantes chez elle. Tu crois que c’est parce qu’elle a rendu plein d’iPhones ? En tous cas moralité, rendez aux gens les appareils perdus : vous contribuez à limiter l’achat de nouveaux appareils et, en plus, vous gagnez une plante.

Laurent Costy : Pas mal comme morale. Ah attends ! J’ai un appel. C’est rigolo, c’est justement Swuiden’ qui m’appelle. Si ça se trouve, il a trouvé un MacBook Pro dans le métro et il va gagner un baobab ! La bise ma puce, je te laisse.

Lorette Costy : Bon ! La bise mon papa ami de Swuiden’ Scremeuldich. Passe-lui le bonjour et dis-lui qu’une bonne action et une plante, ça s’arrose !

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Sacré Swuiden’ Scremeuldich. J’espère que nous aurons davantage de ses nouvelles dans la 7e saison de Libre à vous ! D’ailleurs, je vous propose un petit quiz : comment écririez-vous Swuiden’ Scremeuldich ? Si vous nous suivez en direct, je vous invite à nous proposer votre interprétation sur le salon web de l’émission, cause-commune.fm, bouton « chat », salon #libreavous.
Nous allons à présent faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous parlerons du pôle logiciel libre de la Direction interministérielle du numérique. Avant cela nous allons écouter K For Kool par Kuromaru. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : K For Kool par Kuromaru.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter K For Kool par Kuromaru, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

Le pôle logiciel libre de la DINUM, la Direction interministérielle du numérique. Échange avec Bastien Guerry, chef du pôle, et Hélène Jonin, chargée de mission communautés et contributions

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur la mission logiciel libre de la DINUM, la Direction interministérielle du numérique. J’ai pour cela le plaisir de recevoir aujourd’hui, avec moi en studio, Bastien Guerry, chef du pôle de cette mission logiciel libre, et Hélène Jonin, développeuse et chargée de mission communautés et contributions.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site cause-commune.fm, bouton « chat ».

Bastien, Hélène bonjour.
Pour ne pas déroger aux usages en la matière et pour que toutes celles et tous ceux qui nous écoutent comprennent d’où vous parlez, pourriez-vous présenter, s’il vous plaît, en nous donnant une idée de votre parcours, de votre arrivée dans cette administration et peut-être, à travers tout cela, de votre rapport au logiciel libre. Qui veut commencer ? Bastien.

Bastien Guerry : Bonjour. Je suis Bastien Guerry. J’ai un passé de développeur. J’étais engagé dans le logiciel libre depuis assez longtemps, connaissant les associations de l’écosystème et puis, autour des années 2010/2012, je suis tombé sur ce livre de Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique : De la contre-culture à la cyberculture et ça a été un déclic. Je me suis dit que pour vraiment passer à l’échelle tous les efforts il fallait à tout prix soutenir le logiciel libre dans l’administration.
J’ai eu ensuite la chance, en tant que développeur, de rentrer dans un programme qui s’appelle Entrepreneurs d’intérêt général et de travailler pour le ministère de la Culture avec des logiciels libres et pour des logiciels libres et ensuite de rejoindre Etalab et la Direction interministérielle du numérique où je travaille, avec mes collègues, sur cette mission logiciels libres, à soutenir la transformation des ministères avec le numérique et des logiciels libres en particulier.

Étienne Gonnu : Je vais me permettre de la part de mon collègue. Je crois que tu contribues notamment à un logiciel libre qui s’appelle Org-mode et je sais que Fred en est un très grand fan, je pense qu’il n’est pas le seul. Je me permets de te saluer pour tes contributions importantes sur ce logiciel.

Hélène Jonin : Bonjour. Je suis Hélène, je suis aussi développeuse depuis un certain nombre d’années. J’ai commencé à travailler dans des entreprises privées où j’étais une simple utilisatrice de logiciels libres, mais ça m’a toujours un peu titillé. J’aimais bien le concept de logiciel libre et de participation. Je souhaitais pouvoir contribuer sans jamais avoir trouvé la porte d’entrée jusqu’à tomber sur le programme Entrepreneurs d’intérêt général qui m’a permis de rentrer dans l’administration et de contribuer à des logiciels libres via ce programme. À la fin de ce programme, j’ai rejoint la mission où j’ai été complètement immergée. Maintenant, grâce à ma présence dans la mission, j’ai même commencé à développer des petites briques libres qui sont encore, pour l’instant, de niche, mais c’est un début.

Étienne Gonnu : Je pense qu’on reparlera, si on y pense, de ce projet EIG, Entrepreneurs d’intérêt général, puisque vous êtes tous les deux rentrés à la DINUM par cette porte, que ça a produit des choses assez intéressantes et il y a des exemples concrets assez parlants de ce que ça a permis de produire.
Je pense que ça pourrait être intéressant, je vais vous proposer de faire une petite remise en place historique. La mission logiciel libre, le pôle logiciel libre – on reparlera peut-être de cette différence ou de cette évolution sémantique – s’inscrit dans un historique institutionnel au niveau de la Direction interministérielle du numérique, même si elle n’a pas toujours porté ce nom et plus globalement dans l’histoire de la place du logiciel libre dans les administrations.
Désolé d’avance pour cette longue tirade, mais ce contexte me paraît utile pour comprendre aussi ce qui se joue.
On pourrait remonter plus loin, mais je propose de commencer en 2012 avec la circulaire Ayrault du nom du Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, sur le bon usage des logiciels libres dans l’administration. C’est un document qui est important, qui a envoyé un signal politique fort, car il était signé par un premier ministre. Il propose des pistes intéressantes pour une meilleure et plus large utilisation du logiciel libre dans les administrations.
2016, la loi pour une République numérique pour laquelle il y a eu de longs et riches débats au Parlement sur des amendements poussés par l’April pour une priorité au logiciel libre, même si, malheureusement, ce n’est qu’un encouragement au logiciel libre qui a été retenu, qui a été adopté, qui est donc sans portée normative donc sans force de loi. On en reparlera un petit peu tout à l’heure.
Plus récemment, fin 2020, le député Éric Bothorel remettait son rapport sur la politique publique de la donnée, des algorithmes et des codes sources et il préconisait notamment, je cite « de développer l’utilisation des logiciels libres pour se donner les moyens de nos ambitions » ; je cite toujours le rapport, notamment le besoin « d’impulser le logiciel libre au niveau ministériel avec des moyens humains, voire de créer une agence ou mission interministérielle pour accompagner les administrations sur leur utilisation, la publication et la politique de contribution au logiciel libre ». Donc les prémisses de ce que deviendra le pôle ou la mission logiciel libre, même si l’idée d’une agence paraissait peut-être un peu plus ambitieuse.
Je précise aussi que dans le cadre des travaux préparatoires de ce rapport, une consultation publique avait été menée et la création d’une telle mission avait été une des propositions, entre autres, proposée par l’April.
Je précise également que nous avions reçu Éric Bothorel dans le Libre à vous ! 90 donc libreavous.org/90.
J’aimerais aussi citer ici le rapport Latombe de juillet 2021, d’un autre député, Philippe Latombe, sur la souveraineté numérique qui préconisait entre autres, de manière explicite et sans ambage, je cite « d’imposer au sein de l’administration le recours systématique au logiciel libre en faisant de l’utilisation de solutions propriétaires une exception ». Une prise de position que l’April a évidemment saluée et nous avions reçu Philippe Latombe dans Libre à vous ! 113.
Avril 2021, suite à la publication du rapport Bothorel que je mentionnais juste avant, une nouvelle circulaire d’un nouveau Premier ministre, en l’occurrence Jean Castex, sur la politique publique de la donnée, des algorithmes et des codes sources ; cette circulaire précise et je cite « que l’ambition de la politique publique implique un renforcement de l’ouverture des codes sources et des algorithmes publics ainsi que l’usage de logiciels libres et ouverts ». Une déclaration avec laquelle il est difficile d’être en désaccord, mais qui était déjà, en fait, l’ambition de la circulaire de 2012 dont j’ai parlé à l’instant, la circulaire Ayrault. Ceci dit, la circulaire ne s’arrête pas complètement au simple affichage, elle reprend une des principales propositions du rapport Bothorel sur le logiciel libre : la création d’une mission dédiée à l’animation et à la promotion interministérielle en matière de logiciel libre et de communs numériques. Une circulaire qui sera traduite en plan d’action, fin 2021, et qui annonçait vouloir faire de l’État et je cite « un utilisateur et contributeur du logiciel libre » et annonçait, je cite toujours, « un renforcement des moyens humains, notamment au niveau de la DINUM, l’ouverture de portails et un signal envoyé à l’écosystème du logiciel libre avec la création d’un conseil d’expertise qui réunit administrations et représentants de l’écosystème ».
C’est d’ailleurs dans le cadre de ce plan d’action qu’est né, à l’époque, le pôle logiciel libre qui a apparemment été rebaptisé en mission logiciel libre, qui a été créé il y a à peu près un an et demi. Bastien, d’ailleurs, tu étais venu nous parler de ce plan d’action en décembre 2021 dans l’émission numéro 126, si vous souhaitez la retrouver.

Désolé pour ce monologue, mais je pense que ça va remettre les bases et on n’a pas forcément besoin d’y revenir, cela dit je vous laisserai réagir, si vous le souhaitez, à cette proposition de contexte et nous pourrons discuter aussi, juste après, de l’évolution de contexte et des changements en cours de la DINUM, le contexte évolue beaucoup.
Est-ce que vous pourriez nous rappeler, dans un premier temps, quels étaient les objectifs de la création de ce pôle ou de cette mission. On précisera d’ailleurs par la suite, nous y reviendrons en détail puisque c’est le cœur de l’émission. Je vous propose cet exercice : si vous deviez expliquer en une ou deux minutes ce qu’est et ce que fait la mission logiciel libre, que diriez-vous ?

Bastien Guerry : Le plan d’action qui est publié en 2021, dans la foulée de la circulaire Castex d’avril, ce sont trois verbes : utiliser, publier, attirer. Utiliser plus de logiciels libres dans l’administration ; publier plus de codes sources pour leur donner de la visibilité et trouver les occasions de mutualiser entre les ministères ; et attirer des personnes qui ont ces compétences sur l’open source. C’est assez simple, c’est le plan d’action et je me souviens qu’en décembre 2021 je vous avais donné rendez-vous dans trois ans en disant d’ici là on aura l’occasion de faire un bilan.

Étienne Gonnu : On est donc à mi-chemin.

Bastien Guerry : On est à mi-chemin, c’est très bien.
Avec ces trois verbes et ces objectifs, pour être à la hauteur de nos ambitions, on construit une équipe avec plusieurs expertises. On a la stratégie, maintenant il faut l’équipe pour la mettre en œuvre. Notre stratégie a été d’aller chercher des gens avec des compétences complémentaires. Typiquement je suis développeur, mais j’ai des compétences limitées en développement ; mon collègue Joseph Garrone, qui est responsable du SILL et d’une implémentation React du système de design du gouvernement est développeur dans d’autres compétences.

Étienne Gonnu : Je précise que le SILL c’est le Socle interministériel des logiciels libres, c’est une sorte de catalogue des logiciels libres à disposition des administrations.

Bastien Guerry : Exactement, qu’on recommande à toutes les administrations.
Donc, déjà, construire une équipe avec des compétences pluridisciplinaires, où on a à la fois du technique, à la fois aussi des connaissances légales, à la fois des expériences dans des environnements administratifs ou entrepreneuriaux différents, pour être un endroit de référence pour toutes les autres administrations. Notre direction est interministérielle. On coordonne et on définit la stratégie de transformation du numérique de l’État et les ministères se tournent vers nous. On crée un réseau, dans ces ministères, de ceux qui veulent ouvrir des codes sources et de ceux qui s’intéressent à comment les utiliser mieux et plus. Soit on a les compétences dans notre petite équipe, j’ai cité trois personnes – avec Hélène et Joseph on a aussi Lamya et Louison qui nous ont rejoints récemment et qui sont au cœur de cette équipe de cinq personnes –, soit on a les compétences chez nous soit on va les chercher dans d’autres ministères qui ont aussi leurs propres compétences.

Si je peux dire un mot sur l’historique que tu as proposé, qui est très intéressant. En t’écoutant, je me rendais compte que si on retient quatre dates : 2012 circulaire Ayrault, 2016 loi Lemaire, 2020 le rapport Bothorel, en amont de ces événements-là, qui ne surgissent pas du néant, il y a la rencontre entre deux choses, il y a des gens dans les administrations qui ont déjà essayé des logiciels libres. 2012, ça fait six ans que le ministère de l’Économie et des Finances essaye LibreOffice, essaye PostgreSQL, essaye d’autres logiciels. Les gens ont des expériences de première main et ils partagent ces expériences-là, ils construisent un réseau, ils construisent une culture logiciel libre à l’intérieur de l’administration. C’est la rencontre entre cette culture et des gens de l’extérieur, typiquement les associations – l’AFUL [Association francophone des utilisateurs de logiciels libres], l’April –, qui va permettre de rédiger la circulaire Ayrault. Ce n’est pas Jean-Marc Ayrault qui s’est assis tout seul pour rédiger la circulaire Ayrault.
Donc culture interne dans l’administration plus ouverture à des communautés et à l’écosystème du logiciel libre, ça c’est pour 2012.
2016 pareil. La culture interne était celle d’Etalab, qui existe depuis quatre ans et demi en 2016, qui culmine avec l’organisation du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Etalab utilise des logiciels libres, a déjà accueilli Richard Stallman, je crois, à l’époque, et sait ce que c’est. Cette culture va ensuite rencontrer les communautés, en décembre 2016 c’est justement le moment où il y a ce débat avec la société civile sur ce qu’est un gouvernement ouvert. Si on veut vraiment ouvrir le gouvernement, qu’est-ce qu’on ouvre ? Est-ce que c’est juste la participation citoyenne ? Est-ce que ce sont aussi les logiciels libres de l’administration ? Donc culture et ouverture aux communautés.
Et 2020 pareil. 2020, ça fait deux ans que je travaille à Etalab sur le logiciel libre et que je cristallise un peu les bonnes volontés des uns et des autres du côté de beta.gouv.fr, du côté d’autres administrations sur le portage du sujet et c’est aussi via la consultation faite dans le cadre du rapport sur la donnée publique d’Éric Bothorel, la rencontre avec ce qui a été exprimé par l’April, par le CNLL [Conseil National du Logiciel Libre] et d’autres associations de l’écosystème pour dire qu’il faut une mission logiciel libre.

Voilà ! Pour dire que tous ces jalons très importants c’est vraiment, à chaque fois, une culture interne qui est prête à entendre des propositions externes et on aimerait préserver cette façon d’avancer sur deux jambes dans ce qu’on construit aujourd’hui qui est une équipe, une mission autour de plus utiliser, plus publier pour partager et attirer des personnes que ça intéresse dans l’administration.

Étienne Gonnu : Merci pour cette précision utile, je pense. Préciser aussi qu’Etalab que tu as mentionné plusieurs fois et on va en reparler, c’est un service, je ne sais plus quel est son statut, ça fait partie de la Direction interministérielle du numérique.

Bastien Guerry : C’est un département.

Étienne Gonnu : Merci. C’est un Département de cette DINUM.
J’évoquais tout ce contexte historique que tu as très pertinemment complété et ce n’était bien sûr pas gratuit car cela fait écho à l’actualité de la DINUM, donc de la mission logiciel libre puisqu’elle dépend de cette direction. Il y a, en effet, une réorganisation visiblement importante de la DINUM qui pose, de fait, la question du périmètre de vos actions, de vos moyens, de votre poids dans les arbitrages au sein de cette direction. Une réorganisation qui intervient, en plus, dans le contexte de l’arrivée d’une nouvelle directrice, Stéphanie Schaer, arrivée près d’un an après le départ de son prédécesseur, également dans le contexte d’un nouveau décret qui a été publié le 22 avril 2023.
Je vais également préciser, et c’est quelque chose d’important d’un point de vue extérieur, plus précisément du point de vue de l’April, qu’il y a eu des signes que nous avons jugés inquiétants, fondés ou non, on va pouvoir en discuter, qui nous ont amenés à nous demander s’il n’y avait pas un recul sur les ambitions affichées, notamment dans le plan d’action. On est dans le contexte d’un changement de gouvernement, même si c’est toujours la même majorité, d’une nouvelle direction. Est-ce que les ambitions affichées sont maintenues ? Est-ce que les moyens sont maintenus ?, on va pouvoir en discuter. Pour donner des exemples rapides qu’on peut qualifier, qui sont l’objet de nos inquiétudes : par exemple nous sommes membres du Conseil d’expertise du logiciel libre, qui faisait partie des propositions portées dans le plan d’action, deux réunions ont été annulées à deux reprises, ce qui n’est pas rien ; des offres de recrutement de la DINUM qui ne parlent plus de logiciel libre mais qui utilisent plutôt le vocable de « code ouvert », laissant penser que l’aspect contribution serait laissé un peu de côté pour simplement être dans une logique d’utilisation ; ou encore un article de presse sur le site de La Lettre A qui évoquait, en mars dernier, « une vague de départs de la DINUM autour de choix stratégiques contestés ».
Cette réorganisation intervient dans ce contexte. Je crois que le 1er juin il va y avoir des feuilles de route et de la communication autour des choix qui vont être opérés. Il pourrait être intéressant, dans le cadre de notre discussion, d’avoir un peu plus de visibilité, en particulier sur ce qui concerne la mission logiciel libre. Je vais donc poser la question très simplement : que pouvez-vous nous dire de cette réorganisation ? Y a-t-il une remise en cause de la mission logiciel libre ?

Bastien Guerry : Non. Il n’y a pas de remise en cause de la mission logiciel libre. Stéphanie Schaer, la nouvelle directrice, a été mentor dans le cadre du programme Entrepreneurs d’intérêt général dont on a parlé tout à l’heure. Les mentors de ce programme EIG sont les premiers formés sur ce que sont les logiciels libres et l’importance de l’open source, pour employer les deux vocables, comme vecteur de mutualisation dans l’administration. Ce que font les EIG, les designers, développeuses/développeurs, doit contribuer non seulement à la communauté des EIG, mais être ouvert au-delà et c’est l’un des endroits dans l’administration où on ouvre systématiquement.
Stéphanie Schaer connaît bien le sujet. Ensuite, elle a publié une feuille de route où vous trouverez, je crois, « logiciel libre » à toutes les pages parce qu’il y a un engagement très fort de la DINUM pour opérer des produits pour son compte et pour le reste des ministères, qui intégreront nativement cette dimension de l’open source, c’est-à-dire qui feront l’état des lieux : quand on propose du stockage de fichiers au ministère de l’Intérieur ou à tous les ministères, qu’est-ce qu’on utilise, sur quoi on s’appuie ? Est-ce qu’on s’appuie sur une solution libre ou non ? La DINUM veut s’appuyer sur de l’open source et elle veut le faire en connaissance des enjeux qu’il y a en termes de contribution, de discussion avec les éditeurs, de soulever les sujets délicats, difficiles, de gouvernance.
Je donne un exemple que les auditeurs connaissent peut-être, Nextcloud, qui est une solution de stockage de fichiers : l’éditeur allemand de Nextcloud n’accepte, dans les discussions autour de la feuille de route de son logiciel, que les clients payants. C’est un logiciel libre, mais la participation à sa feuille de route demande de payer, demande d’avoir un accès privilégié. Donc si l’État s’engage et engage les deniers publics pour aller vers du Nextcloud, il faut se poser calmement pour voir comment pérenniser la solution auprès des ministères et comment la pérenniser dans l’absolu en ayant un échange sain et franc avec l’éditeur en amont.
Cela a toujours été clair. L’April, aussi bien que tous les membres du Comité du logiciel libre est invitée à l’inauguration de la feuille de route le 1er juin, cette semaine, l’événement est organisé par la DINUM et on retrouvera ces éléments où il y a un différentiel très fort par rapport aux autres directions sur s’engager dans l’open source et on sait qu’on n’y va pas tout seuls.

Ce qui a flotté c’était la question de savoir s’il fallait maintenir un pôle d’expertise au sein de la DINUM. La crainte c’est que si on crée un pôle d’expertise avec une fonction transverse disant aux uns et aux autres, aux ministères et même à d’autres entités extérieures, aux collectivités par exemple, comment faire de l’open source, on peut avoir ce réflexe de crispation bureaucratique qui fait qu’on devient un passage obligé et, au lieu d’aider, on contrôle ; on va être un point bloquant, on va dire « ah non, ce n’est pas ça la licence qu’il faut mettre ; vous avez oublié ça, mais désolé, nous ne sommes que quatre, on ne peut pas vous aider ». On va juste signaler aux gens ce qu’ils font mal, on n’arrivera pas les aider pour de vrai. On a réussi à convaincre la direction en disant « regardez l’historique de ce qu’on fait, la mission logiciel libre essaie toujours d’être dans le fait d’aider, de choisir de l’aide à impact » ; on assume cet impact-là et c’est ce qu’on va faire pour la suite. On ne peut pas se permettre d’être un passage obligé, réglementaire, bureaucratique, bloquant, donc on maintient cette mission-là.

On ne sera plus dans le département Etalab, on sera dans un nouveau département qui a été affiché dans l’organigramme qui s’appelle « Appui, conseil et expertise », parce que c’est la fonction de la DINUM à l’égard des autres ministères. On les appuie dans leur lecture du catalogue des logiciels libres et savoir lesquels utiliser, on les appuie dans leur publication des codes sources.
Si je donne un exemple rapidement de projet à impact. On a donc ce système de design du gouvernement que tous les ministères et l’administration centrale doivent utiliser pour les nouveaux sites. C’est ce que les gens ont dans la tête en voyant Liberté, égalité, fraternité de façon verticale, c’est la marque de l’État, mais ça demande du code source, il faut le développer, techniquement il faut s’y mettre. Il est très possible que dans l’urgence de l’implémentation deux ministères fassent des développements similaires, en parallèle, sans le savoir. Notre fonction transverse c’est d’être au courant de ces problèmes, de cet argent dépensé en double, de mettre les gens autour de la table pour partager et dire « voilà la fonction d’ouverture ». Si on a dix sujets comme cela qui se présentent, se concentrer sur les trois qui auront le plus d’impact et qui permettront de rationaliser et d’économiser pour continuer à faire que notre mission aide tout le monde.

Étienne Gonnu : D’accord. Pour essayer de comprendre aussi comment pourrait impacter cette réorganisation, je pense que l’aspect organisationnel, tu as parlé de l’organigramme, n’est quand même pas anodin, notamment quand il s’agit de peser aussi en termes d’arbitrages politiques, dans les orientations. Il me semble que c’est aussi le rôle de la DINUM, dans le décret on parle aussi de piloter les stratégies de mutualisation, etc. Il me semble qu’avant cette réorganisation de la DINUM la directrice était deux crans hiérarchiques, donc n + 2, par rapport à toi en tant que chef de cette mission, ce qui est plutôt un rapport relativement direct, avec l’Etalab qui était finalement en référent direct par rapport à la direction. Etalab semble porter une certaine éthique par son histoire et par sa mission et le fait de sortir d’Etalab pourrait aussi vous inquiéter : passer, finalement, de quelque chose qui porte une certaine vision politique du logiciel libre pour, peut-être, aller vers une application plus pragmatique, open sourciste, je dis ça sans vouloir troller inutilement. Comment se situe maintenant la mission en termes hiérarchiques au sein de la DINUM ? Est-ce qu’il y a un changement dans les moyens qui vous sont alloués pour remplir vos missions ?

Bastien Guerry : S’il faut parler en n, on est toujours en n – 2, c’est-à-dire qu’il y aura une chef ou un chef de ce nouveau département « Appui, conseil, expertise », qui est en cours de recrutement, la directrice au-dessus de ce chef-là et nous, nous serons dans ce département. Là il n’y a pas de changement.
La naissance historique dans Etalab avait du sens parce que notre premier sujet c’était l’ouverture des codes sources, cette ouverture-là s’associait à l’ouverture des données. Ça n’a plus de sens de rester dans Etalab si, en plus de l’ouverture, on prend à bras-le-corps le fait d’aider les ministères à utiliser des logiciels libres et on ne va pas aider que les ministères, on va aussi aider la partie de la DINUM qui veut discuter avec Nextcloud. Donc on va aider tous les produits de l’opérateur à intégrer cette dimension de l’open source dès leur conception. Quand je dis tous les produits de l’opérateur, on peut en citer : on a Tchap qui est un outil de messagerie instantanée entre les agents, plus de 200 000 agents dans plein de ministères l’utilisent. Cela demande de s’asseoir pour bien discuter avec l’éditeur de ce logiciel, pour savoir si c’est utile que l’administration soutienne financièrement la fondation Matrix, Matrix étant le protocole qui permet cette fédération entre les serveurs. On peut citer comme autre produit le produit de visioconférence qui s’appuie sur BigBlueButton ; là on a l’Éducation nationale qui contribue, qui a une expertise très forte sur BigBlueButton, qui est remerciée par l’éditeur dans les releases de BigBlueButton. Comment nous, DINUM, on avance pour vraiment mettre l’open source au cœur de tous ces produits-là.
Notre mission, la mission logiciel libre, aidera en interne à la DINUM aussi bien qu’en externe. Ce qui nous motive c’est de se dire qu’il y a un défi de taille pour faire le pas définitif de l’open source, c’est un peu le dogfooding, c’est apprendre par nous-mêmes en nous confrontant aux défis les plus difficiles, sans nous abriter derrière « on n’est pas très nombreux, on peut simplement faire de la doctrine et aider ». Non, on ne va pas faire juste de la doctrine et on va résoudre des vrais problèmes ; on va échouer dans certains cas, réussir dans d’autres et c’est ça qui nous donnera de la légitimité pour parler avec tous les ministères. En termes de moyens, on aura les moyens propres de la mission logiciel libre qui seront, à mon avis, constants par rapport à ceux qu’on a eus par le passé, mais on aura tous les produits de l’opérateur qui auront aussi leurs propres moyens pour intégrer la dimension open source. C’est le reflet de l’engagement fort de la feuille de route vers le logiciel libre.

Étienne Gonnu : D’accord. Pour te citer, tu disais qu’en décembre 2021 tu nous proposais de se revoir dans trois ans. Là on est à mi-chemin, à t’écouter, tu sembles toujours confiant, on est, finalement, dans la bonne direction et, dans un an et demi maintenant, on pourra se redonner ce rendez-vous.

Bastien Guerry : Oui, parce qu’il n’y a pas que la DINUM. On est un ancrage fort, un lieu de référence. Il y a trois ans nous avons lancé la communauté BlueHats.

Étienne Gonnu : On va en reparler, c’est effectivement très intéressant.

Bastien Guerry : Ce sont des agents publics qui s’impliquent dans le logiciel libre à tous les niveaux : collectivités, administrations centrales, au niveau déconcentré. C’est un catalyseur de culture, ça diffuse. Ça veut dire que via ce réseau-là, des collectivités qui ont entendu parler un peu du logiciel libre soit nous trouvent, nous envoient un e-mail, on les met en contact avec les bonnes personnes, soit trouvent de l’expertise auprès d’un chaton qui propose des services professionnels. Il faut expliquer CHATONS.

Étienne Gonnu : Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, un projet porté notamment par Framasoft. C’est un collectif d’associations ou entreprises, qu’importe, qui proposent des services libres et loyaux autour d’une charte.

Bastien Guerry : C’est l’intérêt d’avoir code.gouv.fr, c’est l’intérêt d’avoir notre mission : on raccourcit le temps et l’espace entre les gens qui peuvent faire avancer le logiciel libre chez eux.

Étienne Gonnu : Je tiens à préciser, Hélène, et vous me l’aviez effectivement dit en préparant l’émission, que vous ne souhaitiez pas forcément réagir à ces questions plus politiques et qui relèvent plus de la fonction de responsable de la mission, de Bastien. Néanmoins, n’hésitez pas à prendre la parole. De toute façon on pourra discuter plus en amont de ce qui constitue le cœur de votre mission au sein de la mission logiciel libre dans la suite des échanges.
Avant justement de rentrer un peu plus dans le vif, concret du sujet, parallèlement à ce contexte organisationnel qui me semble rassurant – l’April va bien sûr garder un œil attentif sur les évolutions à venir, à l’annonce et aux précisions sur la feuille de route –, je pense qu’il peut aussi être intéressant de se poser rapidement la question plus globale et profiter un petit peu de ton regard sur l’état des lieux de l’usage du Libre par les administrations voire de leur contribution. Malgré des signes encourageants comme, à l’époque, le plan d’action, ce que tu nous décris également, aussi, en signe positif, les déclarations récentes de la Direction du numérique pour l’éducation, on continue quand même à constater une forte dépendance à Microsoft, que ce soit du ministère des Armées, de l’Éducation nationale, parfois aussi avec cette sensation que ça avance quand il y a des agents au sein de l’administration qui portent justement les sujets, du coup un sentiment que ça dépend beaucoup des individus, notamment en position hiérarchique, dans des positions d’autorité, et qu’en fonction de leur perception ou non des enjeux politiques sous-jacents ils vont plus ou moins soutenir le Libre dans les pratiques de leur direction, de leur service, etc. Donc, quelque part, sans cadre clair et contraignant, ça reste un peu à la carte. C’est d’ailleurs pour cela que l’April porte, défend la nécessité d’un principe normatif d’une priorité au logiciel libre pour donner cette impulsion en complément des évolutions culturelles internes que tu as très bien décrites.
Peut-être avoir ton regard là-dessus : quel est ton sentiment, ton regard sur un état des lieux de la place du Libre, son évolution ? Tu as peut-être déjà en grande partie évoqué des pistes. Peut-être l’occasion d’évoquer un aspect intéressant du plan d’action qui était le référent logiciel libre au sein des ministères, est-ce que ça porte un peu ses fruits ? Plusieurs questions en une, désolé.

Bastien Guerry : On a un réseau interministériel des responsables d’ouverture des codes sources qui sont les administrateurs ministériels des données, algorithmes et codes sources qui, eux, sont à la manœuvre pour définir une stratégie d’ouverture des codes sources dans leur administration. On sait qu’à moyens constants on ne peut pas vouloir tout ouvrir, donc nous les aidons à prioriser en disant qu’est-ce qui est le plus utile d’ouvrir en termes de réutilisation, d’économies d’argent, et qu’est-ce qu’il est obligatoire d’ouvrir en termes de transparence de l’action publique ? Ce réseau-là existe et ensuite on est en lien avec des ministères qui commencent à se structurer un peu. On n’a pas parlé de la notion, mais on s’identifie à ce qui s’appelle un OSPO, un Open Source Program Office, c’est-à-dire une entité, dans une structure, dédiée à l’open source. On voit des embryons d’OSPO émerger dans les ministères. Du côté de l’Enseignement supérieur et de la Recherche le Comité pour la science ouverte est aujourd’hui à la manœuvre pour intégrer l’ouverture des codes sources des chercheurs et on a là beaucoup de cerveaux mis à contribution pour dire ce qui doit être ouvert, comment, dans quelles conditions, qu’est-ce que le logiciel libre dans le supérieur.
Redis-moi un peu les questions, je suis perdu.

Étienne Gonnu : La question plus globale : quel est, selon toi, l’état des lieux de l’utilisation du Libre dans les ministères, dans les administrations centrales ? C’est en progression.

Bastien Guerry : Je citais les OSPO pour dire qu’on essaye d’être exemplaires et donner envie aux ministères de s’équiper de la même structure pour qu’ils portent eux-mêmes leur stratégie sur le logiciel libre.
L’autre réponse à ta question c’est de dire que c’est BlueHats qui compte, ce ne sont pas les postures politiques des uns et des autres qui, elles, vont changer tout le temps. Est-ce qu’on est sûr de savoir ce que disent les uns et les autres quand ils disent qu’il faut passer à l’open source ? C’est compliqué, c’est comme pour les communs numériques. Notre mission, et c’est aussi un peu la culture tech, développeur, qu’on défend, c’est croire ce que l’on voit et aider les gens qui font. Ce réseau BlueHats, ce sont des gens qui sont confrontés tous les jours à l’installation de logiciels, au fait de les mettre en production, de les améliorer avec des questions très concrètes : comment j’améliore ce logiciel sans passer 20 jours à discuter avec un éditeur dans une autre langue que la mienne ? Comment j’ai des garanties que ce logiciel libre existera dans cinq ans ? Eh bien, c’est compliqué ! Vous pouvez demander à Framasoft, je pense que la pérennité de tous les logiciels libres sur lesquels ils sont partis pour « Dégoogliser Internet », c’est compliqué.
La réponse : c’est à nous de ne pas trop nous concentrer sur les postures et les déclarations politiques, mais de faire avancer sur du concret, en apprenant beaucoup des différents écosystèmes et de leur façon d’aborder le logiciel libre. On sent une volonté collective, une maturité collective pour y aller. On n’est plus dans l’enjeu de la confiance. C’est un peu comme Wikipédia, il n’y a plus l’enjeu de la confiance dans Wikipédia, c’est l’enjeu de comment en avoir un usage vraiment utile.

Étienne Gonnu : Super. Je pense que dans la seconde partie de notre change on va se pencher sur les questions des leviers d’action, comment rendre ça concret.
Avant ça, je vous propose de faire une pause musicale. Nous allons écouter Stormdans par Ceili Moss. On se retrouve juste après sur Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Stormdans par Ceili Moss.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Stormdans par Ceili Moss disponible sous licence libre Creative Commons Attribution.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April et nous discutons avec Bastien Guerry, chef de la mission logiciel libre de la DINUM, et Hélène Jonin, développeuse et chargée de mission communautés et contributions.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».

Avant la pause, on a posé assez largement tout le contexte dans lequel évolue cette mission logiciel libre de la DINUM, notamment dans le cadre d’une réorganisation importante de cette direction. On a aussi posé cette question de où en est le Libre dans les administrations centrales et, évidemment, la question de comment continuer à progresser, à faire progresser cette situation, c’est en partie la mission de la mission logiciel libre. Il y a plein de leviers possibles. Un, qui a été évoqué par Bastien, c’est celui des BlueHats, c’est la question des communautés, de l’animation des communautés, me semble-t-il, au sein des administrations, en tout cas des personnes qui s’engagent pour le Libre. Vous pourrez, bien sûr, me corriger et compléter ce propos.
Hélène, je crois que c’est le cœur de votre activité au sein de la mission logiciel libre. Que pouvez-vous nous dire de ces BlueHats ?

Hélène Jonin : Quand je suis arrivée, en août dernier, la communauté était quand même déjà bien formée et elle connaissait déjà plusieurs initiatives bien ancrées. Il y a une lettre d’information régulière. Des rencontres sont également organisées, on est présent depuis plusieurs années au salon Open Source Experience, Open Source Summit avant.
Moi, en fait, je suis venue surtout pour renforcer l’animation du programme BlueHats Semester of Code, dont le nom fait référence au Google Summer of Code, qui était un partenariat avec l’école CentraleSupélec pour faire contribuer des étudiants à des projets libres dans le cadre de leur stage de fin d’études [stage de césure, Note de l’intervenante]. Ces étudiants étaient au nombre de six, ils ont pu choisir parmi je ne sais plus exactement combien de projets, je ne sais pas si tu te souviens ? Plein ? 40. Ces six étudiants ont donc choisi chacun un projet auquel ils ont contribué pendant six mois. Ils étaient en présentiel dans nos locaux. Ils avaient un mentor côté CentraleSupélec, donc leur école, et également un mentor côté logiciel.
Les six projets qui avaient été sélectionnés sont VLC, e-comBox, Open Food Facts, Onyxia et Sysma.

Étienne Gonnu : J’ajouterai les références de ces différents logiciels sur le site. Je pense que la plupart des gens connaissent VLC, ce lecteur multimédia libre très connu avec le petit cône orange, les autres peut-être un peu moins, on les mettra sur le site de l’émission.

Hélène Jonin : Tout à fait. J’en ai oublié un parce que j’ai compté cinq, j’ai oublié Environmental Sensing.
L’idée de l’animation de ce stage et de ces contributions c’était aussi d’accompagner les élèves d’un point de vue formation. Potentiellement ils n’étaient pas tous développeurs au départ, Centrale est quand même une école d’ingénieurs généralistes. Je les ai aidés à se former sur les technologies qui étaient utilisées à la fois pour le développement et pour le développement dans les logiciels libres, typiquement Git. On les a aussi formés à l’historique du logiciel libre, à tout ce qui est l’économie des logiciels libres, aux types de licences, à un peu de méthodologie logicielle et, à la fin, ça a fini par une belle présentation de leurs projets qui a été fructueuse, vraisemblablement, je n’y étais pas, malheureusement, mais je crois que ça s’est bien passé.

Étienne Gonnu : Pourquoi CentraleSupélec précisément ?

Bastien Guerry : C’est très conjoncturel. Ils ont simplement frappé à notre porte pour discuter de projets de data science au départ. Ils sont venus voir Etalab et, au fil des discussions, la motivation commune était plutôt d’essayer de contribuer à des logiciels libres. Côté CentraleSupélec, la personne connaissait aussi cet univers, voulait le porter en interne. On s’est dit qu’on aurait beaucoup à apprendre, tous ensemble, si on allait dans cette direction. Ce n’était pas évident à monter, mais on est vraiment très contents parce que, dans chaque cas, ça s’est vraiment converti en contribution réelle. Ce que l’on voit, en parlant de communs numériques, de logiciels libres, c’est que ces projets extérieurs n’ont pas besoin d’un petit coup de pouce par-ci par-là, ils ont besoin d’un engagement, j’allais dire, qui ne leur coûte rien.
Je donne l’exemple d’Open Food Facts, la communauté autour des bases de données libres sur l’étiquetage alimentaire, dans la même logique que Wikipédia ou que OpenStreetMap, pour elle c’était vraiment très utile d’avoir une personne à plein temps qui les aidait et c’est un engagement assez pérenne. Il faudrait évidemment aller bien au-delà : ces communautés demandent des engagements pérennes et pas des coups de pouce par-ci par-là, on n’est pas dans une logique de soutien ponctuel à une startup. Ça nous a permis de découvrir et de valider ce besoin-là et de réfléchir différemment pour la suite.

Étienne Gonnu : Et pourquoi le choix de ces six logiciels parce que, à première vue, ce ne sont pas forcément des logiciels dont va se servir la personne publique. Je trouve intéressant qu’il y ait des soutiens à des projets qui soient plus, peut-être, dans une perfective de communs numériques. Est-ce que c’était ça le critère ou est-ce que ça venait des propositions des étudiants ? Comment s’est faite cette sélection ?

Hélène Jonin : Je n’étais pas là au moment des sélections. Ce sont les étudiants qui ont choisi les six projets au final, mais pour la quarantaine de projets, je ne sais plus. Je pense qu’ils se sont eux-mêmes proposés. On avait sûrement aussi des critères pour que la possibilité d’un stage soit effective, qu’il y ait un projet autour.

Bastien Guerry : C’est ça, ce sont les étudiants qui ont choisi. On voulait une masse critique de propositions et l’écosystème a très bien répondu : des entreprises et des communautés nous ont proposé de prendre des étudiants en stage. Le choix définitif c’était d’avoir trois projets qui viennent de l’administration et trois projets qui viennent de la société civile, mais si ça avait été deux et quatre ça n’aurait pas été très grave, l’essentiel c’était a motivation des étudiants.

Étienne Gonnu : Un léger pas de côté, mais je pense qu’on pourra continuer un peu à parler des BlueHats qui est un projet assez emblématique et historique, porté notamment dans le cadre de cette mission. Je ne sais pas si elle indépendante, peut-être en partie, de la mission logiciel libre.

Bastien Guerry : Les BlueHats c’est une communauté dans toutes les administrations. Pour donner des ordres de grandeur, on a 3000 personnes qui lisent la Gazette, sur Tchap on a deux salons historiques de 1000 personnes pour chaque salon. C’est donc une communauté très large. La DINUM anime et accueille cette communauté avec des évènements et du contenu éditorial.

Étienne Gonnu : D’accord. On sait que le Libre, comme le reste de l’informatique, n’échappe évidemment pas aux différents systèmes d’oppression, de domination, ce qui se traduit, de fait, par une surreprésentation d’hommes blancs, pour dire les choses très simplement, dans ces métiers puis dans les communautés du Libre, je pense, notamment dans les communautés au sein des administrations. Est-ce que cet enjeu de diversité, d’un meilleur accueil des femmes et des minorités fait partie des interrogations sur la façon d’animer et faire vivre cette communauté ?

Hélène Jonin : Oui. Typiquement pour la suite de ce programme qu’on espère renouveler, on réfléchit à répondre à des problématiques de diversité, notamment, comme tu l’as dit, la représentativité des femmes dans ces métiers.
Je sais aussi que Lamya avait commencé un travail, mais je crois qu’il n’est pas encore abouti, sur des portraits de femmes dans le numérique. En tout cas, ce sont des questions auxquelles on s’intéresse et je pense aussi que ma présence dans le pôle n’est pas forcément anodine puisque, justement, ça permet de montrer qu’il y a quand même quelques femmes dans le développement et dans les logiciels libres et peut-être que ça en amènera d’autres.

Bastien Guerry : L’année dernière, en juillet, on a organisé une journée autour de la mutualisation avec la communauté BlueHats et on a eu le plaisir de se faire accompagner par une entreprise qui s’appelle La Dérivation avec, notamment, deux personnes qui sont très sensibles à ces questions et qui nous ont aidés à faire un évènement qui respecte des valeurs de sensibilité à la diversité. On essaye d’avancer dans cette direction-là. On va retravailler avec elles pour un hackathon qu’on organise à la rentrée.

Étienne Gonnu : N’hésitez pas à nous faire suivre l’information concernant cet hackathon, c’est aussi une manière de contribuer à la réussite de ce genre d’initiative.
Tu évoquais l’importance de la contribution et d’une contribution pérenne, le soutien que peut avoir la personne publique. Je pense que ça soulève un enjeu extrêmement important qu’on défend à l’April et je pense qu’énormément de libristes qui s’intéressent à l’usage du Libre dans les administrations perçoivent cet enjeu qui est celui que les pouvoirs publics ne doivent pas seulement être des utilisateurs passifs mais qu’ils doivent contribuer au logiciel libre, plutôt qu’ils doivent s’inscrire dans les communautés du logiciel libre. Et c’est tout cet enjeu de changement d’échelle, quelque part, de passer de simple utilisation à vraiment une contribution. J’aimerais avoir votre regard sur cette question : pourquoi y a-t-il un enjeu là-derrière ?

Bastien Guerry : Pour moi, la contribution est une responsabilité collective. Il n’y a pas que le secteur public et les logiciels libres permettent justement d’ouvrir cette responsabilité : si un éditeur fait le choix de mettre son logiciel en logiciel libre, même d’aller jusqu’à en faire un commun numérique en ouvrant la gouvernance, ça veut dire qu’il dit : « Venez m’aider à sécuriser ce logiciel, à l’améliorer, à discuter des fonctionnalités ». Le service public a sa part à faire, évidemment, mais il a sa part à faire comme le service privé. Dans le conseil logiciel libre qui est animé par la DINUM, on a une association qui s’appelle TOSIT et cette association regroupe des administrations et des grands comptes du privé – pour ne pas les citer Orange, SNCF –, parce que ces administrations et ces grands comptes savent que de temps en temps ils ont besoin de garanties sur des logiciels, ils ont besoin de pouvoir s’organiser pour financer des contributions à ces logiciels et financer, éventuellement, même la reprise de logiciels. C’est ce qui a eu lieu : un éditeur a fermé un logiciel qui était auparavant libre, l’administration, en discutant avec des grands comptes du privé, s’est organisée pour produire Trunk Data Platform, ce sont les Finances qui ont fait ça, et c’est aujourd’hui un logiciel libre candidat pour rejoindre la fondation Apache. C’est donc une belle réussite.
Derrière ça, on a aussi le marché de support logiciels libres, un marché qui existe depuis longtemps, que les administrations peuvent solliciter pour corriger des bugs. Depuis l’existence de la mission logiciel libre, on essaye de maintenir à jour la liste des commits qui sont faits dans ce marché-là. J’invite tout le monde à venir chercher cette liste sur les pages de code.gouv.fr, parce qu’on met en valeur ces engagements de l’argent public qui vient corriger des bugs et les commits qui vont avec.

Étienne Gonnu : Peut-être préciser en deux mots ce qu’est un commit pour les personnes pas familières de ce langage.

Bastien Guerry : Une correction apportée à un logiciel pour retirer un bug.

Étienne Gonnu : D’accord.
Tu as parlé de marché, ça m’évoque les marchés publics. On sait que la commande publique comme levier pour un meilleur et un plus large usage du Libre dans les administrations est un enjeu très important. Est-ce que vous percevez ce levier d’action ? Est-ce que la mission logiciel libre et la DINUM, plus largement, ont une action vers un usage de la commande publique comme levier ?

Bastien Guerry : Oui. On a une collaboration avec la Direction des achats de l’État, la Direction des affaires juridiques de Bercy sur un point assez précis qui est faire prendre conscience à l’acheteur public de ce qu’il achète quand il achète du logiciel. On ne s’en rend pas compte, mais c’est un environnement où on est surchargé de buzzwords, de marketing, pris de l’anglais. Tout se transforme à la vitesse grand « V » on parle Low-Code, No-Code depuis deux ans, on nous a parlé de SaaS [Software as a Service]. Tous ces mots-là viennent encombrer l’esprit des acheteurs qui, finalement, ne savent plus exactement ce qu’ils achètent et, surtout, c’est bien beau d’avoir une loi, un cadre juridique qui dit que ce qui est acheté par l’administration peut être reversé publiquement, le code source peut être publié, mais, en réalité, c’est très difficile, des fois, de savoir si on a acheté du paramétrage ou du code source ; quand on est sur des solutions Low-Code, No-Code, qu’est-ce qu’on achète pour de vrai ?
Aujourd’hui, et ça rejoint aussi la question de la contribution, on essaye de pousser, on travaille avec la DAE, la DAJ pour pousser des bonnes pratiques : demander aux gens qui répondent à des marchés publics de faire la liste de ce qu’ils vendent. S’ils ont construit une solution, propriétaire ou libre, sur une énorme pile de briques open source, d’autres logiciels, qu’ils déclarent tout cela. Cette déclaration vient rompre un peu l’asymétrie entre l’acheteur public et le futur titulaire du marché et ça donne à l’acheteur public le moyen de se dire « OK, je signe pour que telle personne me vende une solution propriétaire sur un framework libre et je le fais en connaissance de cause parce que j’ai des compétences internes sur ce framework libre qui me permettront de rester souverain dans les trois/quatre années à venir ». Sur la commande publique on avance là-dessus.

Étienne Gonnu : D’accord. Une question qui m’avait été remontée en amont de l’émission, peut-être que vous aurez, ou pas, une réponse : la DINUM peut-elle imposer ou conseiller les exigences d’accessibilité sur des marchés publics, parapublics ou privés ? Exemple : la prise de rendez-vous médicaux n’est pas interopérable entre les acteurs du marché. Dans le futur, un accès à un rendez-vous médical sera uniquement disponible via une application mobile, dit cet auditeur.

Bastien Guerry : Ce n’est pas la DINUM, c’est la loi. La loi le fait déjà. Les gens qui ne respectent pas l’accessibilité tombent sous le coup de la loi.

Étienne Gonnu : Il y a un Référentiel général d’accessibilité. Est-il respecté ?, c’est, peut-être effectivement, une autre question, mais ce n’est pas de votre ressort.

Bastien Guerry : Non, il n’est pas respecté assez. À la DINUM, on a une équipe sur l’accessibilité qui avance et qui travaille avec tous les ministères pour la faire respecter, et le cadre est un cadre légal qui s’applique au public comme au privé.

Étienne Gonnu : C’est très clair. Merci.
On a fait des détours, des détours sur des sujets intéressants, mais pour revenir, peut-être, à la question de cette contribution de communautés : Hélène Jonin, vous êtes chargée de mission contributions communautés, qu’est-ce que ça signifie au quotidien concrètement ? On aurait peut-être pu commencer par là.

Hélène Jonin : Je reste quand même développeuse avant tout. L’accompagnement des communautés, d’un point de vue de mes compétences techniques, ça va être plutôt de la formation, typiquement de la formation pour les étudiants qui étaient en stage. Ensuite, c’est aussi de l’animation autour du site code.gouv justement, la prise en main de ce site et le fait de le rendre beaucoup plus utile et utilisable pour que, effectivement, les codes qui sont publiés puissent être retrouvés et qu’on puisse favoriser leur réutilisation, et également trouver les codes qui ont un potentiel de contribution et de communauté autour. En fait, mon travail au quotidien, en tout cas depuis que je suis arrivée, c’est surtout de réfléchir à un format du site code.gouv.fr et code.gouv.fr/public actuellement pour réussir à mieux fédérer autour des codes sources qui, pour l’instant, sont simplement publiés.

Étienne Gonnu : Si je me souviens bien du fonctionnement de code.gouv, ça va lister les différents codes existants mais sans les héberger, ça ne va pas être des directions, ce qui m’amène à une proposition qui avait été portée par l’April, celle de la création d’une forge maintenue par les pouvoirs publics pour éviter toute forme de dépendance à une personne privée pour l’archivage du code, pour la mise en œuvre des outils de contribution. Quand je dis personne privée, je n’ai aucun jugement moral, ça va aussi bien des entreprises aux pratiques potentiellement discutables genre Microsoft que des associations engagées. L’April propose une forge dans le cadre du Chapril. On sait que l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales], qui est une association libriste concentrée sur les collectivités territoriales, propose une forge. Mais, pour des questions notamment d’indépendance, est-ce que l’enjeu d’une forge qui serait maintenue par la puissance publique est une chose à laquelle vous réfléchissez ?

Hélène Jonin : Oui, c’est en réflexion. Le Comité pour la science ouverte a notamment publié la semaine dernière un rapport sur les forges. Il préconise, en gros, que chaque université ait sa propre forge et, si l’université n’en a pas, avoir une forge pour pouvoir publier des codes le cas échéant. On pense qu’on suivrait la même démarche, c’est-à-dire qu’on encouragerait les administrations à avoir chacune sa forge comme c’est à peu près le cas actuellement, c’est pour cela que code.gouv moissonne toutes les forges existantes des administrations. On pourrait imaginer avoir notre forge de secours pour que les administrations qui n’ont pas de quoi maintenir une forge et qui voudraient publier du code, puissent se tourner vers nous.

Étienne Gonnu : Quels seraient les freins ? Pourquoi ce n’est pas encore mis en œuvre maintenant ?

Hélène Jonin : Pour l’instant, l’équipe est quand même encore petite et ça demande une certaine force pour la maintenir, pour la mettre en place. C’est encore en réflexion, justement pour calculer le coût que la mise en place, le déploiement et la maintenance nous prendraient.

Étienne Gonnu : D’accord. L’April, prenant acte de l’ambition libriste de la nouvelle feuille de route, pourra peut-être appuyer la DINUM pour mettre en œuvre les moyens pour permettre cette forge publique. C’est une histoire à suivre.
Je vois que le temps avance. En fait, il y a plein de sujets qu’on n’a pas encore évoqués, ce n’est pas grave, de toute façon le sujet est assez inépuisable. Il y a quand même un sujet qui a été mentionné, qui est le SILL, qui est quand même quelque chose d’assez emblématique, qui est ce catalogue, d’ailleurs le terme ne définit pas assez justement ce qu’est le SILL. Dernièrement le SILL a été remis en cause. Est-ce qu’il est pérennisé, notamment dans le cadre de cette réorganisation stratégique ? Peut-être rappeler, en quelques mots, ce qu’est le SILL et pourquoi il est si important.

Hélène Jonin : Je te laisse faire l’historique.

Bastien Guerry : C’est le catalogue des logiciels libres recommandés pour toutes les administrations, fonctions territoriales, hospitalières, fonctions d’État. Ce catalogue a évolué parce qu’au départ c’était vraiment conçu comme une liste des indispensables et avec les versions qui vont avec, qui sont la version minimale : PostgreSQL est indispensable à avoir dans votre système d’information ministériel et vous devez être au moins à la version 10.2.
Aujourd’hui, on s’est rendu compte que cette liste-là était tellement connue dans toute l’administration que les gens la prenaient comme une liste blanche en se disant « oh là, là, si tel logiciel n’est pas dans le SILL, je n’ai pas le droit de l’utiliser ». Pour éviter ce piège-là, on a complètement changé de braquet en disant : on va en faire un radar des usages des logiciels libres dans l’administration et un réseau social de gens qui peuvent s’entraider dessus. Grâce aux bouchées doubles et au travail titanesque de notre collège Joseph Garrone, qu’on salue au passage, il a fait peau neuve, il a été mis au système de design du gouvernement et on a rajouté des fonctionnalités qui facilitent l’ajout de logiciels et le référencement comme utilisateur de ces logiciels, comme référent, c’était le terme utilisé auparavant : je suis à l’université de Lille, j’ai déployé pour mon laboratoire tel logiciel libre, je souhaite aider d’autres laboratoires ou d’autres personnels, je me mets comme référent. On a aussi créé la notion d’utilisateur, ça va être une autre façon de se positionner.
Au total, on a aujourd’hui près d’un millier d’agents publics connectés et référencés et j’invite tous les agents publics à aller sur sill.code.gouv.fr pour le faire et aller enrichir la connaissance qu’on a de ces logiciels.
Il y a eu un flottement parce qu’a existé, à partir d’il y a trois ans, un autre catalogue qui était catalogue.numerique.gouv.fr qui est un catalogue ouvert à tout type de solution, libre et non libre, qui a permis de faire connaître des solutions dans l’administration. On va travailler, dans les mois qui viennent, pour que les logiciels libres référencés par des éditeurs sur catalogue.numerique.gouv.fr puissent exister dans le SILL et la condition pour qu’ils existent dans le SILL est qu’ils soient en usage effectif. On ne référence que des choses utilisées effectivement aujourd’hui dans l’administration.

Étienne Gonnu : Je vais relayer une autre question d’un auditeur : pourquoi ce SILL, ce Socle interministériel du logiciel libre, référence-t-il ce qu’il appelle un faux open source ? Il cite spécifiquement MongoDB qui, effectivement, n’est plus un logiciel libre.

Bastien Guerry : On a fait comme Wikipédia, on a franchi le pas de la modération à posteriori et je confirme que MongoDB ne devrait pas être dans le SILL ; on va corriger ce problème-là. On sait que la Server-side license n’est pas une licence libre. On a toujours été très clairs là-dessus. Il a fallu définir la liste des licences acceptées et cette liste est l’intersection, pas l’union, l’intersection entre les listes admises par la Free Software Foundation et l’Open Source Initiative et, à la discrétion de l’administration, d’exclure telle ou telle licence ou telle variante de licence si nous-mêmes pensons que cette variante-là n’est pas assez libre. Je pense à ces variantes de la GNU Affero Public License qui, si on tord un peu les choses avec un juriste complaisant, peuvent finir par aller contre l’esprit du logiciel libre. Nous sommes attentifs à cela.

Étienne Gonnu : D’accord. Le temps avance très vite. Il y a quand même un sujet qui me parait difficile, notamment parce que l’April participe au Conseil d’expertise du logiciel libre qu’on a mentionné, qui s’inscrit dans cette logique de communauté, j’imagine bien. Ça fait donc un an d’exercice de mémoire. En très peu de mots parce que vraiment le temps file, quel est le rôle de ce conseil et quel bilan peut-on en tirer ? Je pense que dans une perspective April on voit aussi le temps, mais c’est une grosse machine qui se met en place. On a eu un avis, c’est le seul résultat concret pour le moment : le conseil s’est prononcé quasi unanimement, à une exception près, sur le fait qu’on considère que l’installation, enfin la facilité d’installation de systèmes d’exploitation libres augmente la durabilité des ordinateurs et des smartphones. II y a un oui là-dessus. À quoi cela sert-il d’avoir simplement cet avis-là ? Quel est le rôle de ce conseil ? Quel bilan en tires-tu ? Une grosse question et très peu de temps de réponse. Désolé.

Bastien Guerry : Très rapidement. Le conseil réunit à la fois des agents publics qui portent le Libre dans leurs administrations et des acteurs de l’écosystème. Il est fait pour que la DINUM apprenne de cet écosystème, d’où ce système d’avis où un acteur — agent public ou membre de l’écosystème — peut se saisir d’un sujet, écrire une synthèse de cinq pages et poser une question au conseil qui émettra un avis. Cela nous sert à découvrir le sujet et à comprendre les enjeux.
On a effectivement posé la question : pourquoi est-ce que si important d’avoir la liberté technique d’installer un système d’exploitation libre sur tout type de terminal dans un cadre précis qui est celui de l’obsolescence matérielle et quel message nous, administration centrale interministérielle, pouvons-nous faire remonter aux entités côté transition écologique qui sont sur ces questions ? On a réfléchi et argumenté pour avoir l’avis qu’on a émis disant que oui, c’est important d’avoir cette liberté d’installation.
On devrait avoir un avis ensuite sur la question du Cyber Resilience Act, une régulation où l’Europe voudrait augmenter la sécurité des briques open source : est-ce que c’est la bonne façon de faire que ce Cyber Resilience Act ? Nous, DINUM, nous ne voulons pas avoir à réfléchir dans notre coin, en chambre, on demande les avis de ceux qui sont exposés et qui connaissent les choses de première main.

Étienne Gonnu : Pour donner simplement sa position, l’April a publié un communiqué sur ce Cyber Resilience Act le considérant comme une épée de Damoclès au-dessus du logiciel libre. On invite les personnes qui veulent creuser le sujet à lire notre communiqué.

Bastien Guerry : La prochaine séance du conseil c’est le 16 juin et il y aura un mot d’introduction de la directrice Stéphanie Schaer.

Étienne Gonnu : D’accord.
On arrive vraiment dans les derniers instants. Je vais quand même vous laisser une minute max chacun et chacune, Hélène et Bastien. Pour vous, quel est l’élément clef ou les éléments clefs que vous souhaiteriez que nos auditeurs et auditrices retiennent de notre échange ? Hélène.

Hélène Jonin : Que la mission logiciel libre fédère aussi autour d’une communauté, autour de ressources. Je suppose qu’on essaye aussi d’être un référentiel pour les personnes qui seraient un peu perdues sur tous ces sujets. Elles peuvent soit nous contacter directement soit venir sur notre site pour trouver l’information qu’elles recherchent.

Bastien Guerry : Nous sommes ouverts aux contributions. Envoyez-nous un mail à contact chez code.gouv.fr. Critiquez nos supports, nos contenus. Posez-nous des questions, on essaye de tenir une ligne éthique : répondre au moins dans la semaine.

Étienne Gonnu : Je trouve intéressant que vous ayez fait le choix de mettre des choses très concrètes dans la synthèse, c’est finalement très cohérent avec l’échange qu’on a pu avoir.
En tout cas, un grand merci d’avoir pris ce temps pour échanger avec nous. Je rappelle, Bastien Guerry, chef de la mission logiciel libre de la DINUM, et Hélène Jonin, développeuse et chargée de mission communautés et contributions de cette mission logiciel libre.
Je vous souhaite une excellente fin de journée.

Bastien Guerry : Merci beaucoup.

Hélène Jonin : Merci

Étienne Gonnu : Nous n’allons pas faire de pause musicale pour nous permettre d’écouter la dernière chronique. Nous allons donc passer à notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « La pituite de Luk » sur « La fonte des pôles »

Étienne Gonnu : La pituite de Luk est une chronique rafraîchissante, au bon goût exemplaire, qui éveille l’esprit et développe la libido. Il a été prouvé scientifiquement qu’écouter la pituite augmente le pouvoir de séduction, augmente le succès dans les affaires ou aux examens. Retour de l’être aimé, il reviendra manger dans votre main comme un petit chien, nous dit Luk.

Aujourd’hui, Luk nous parle de la fonte des pôles.

[Virgule sonore]

Luk : Alors quoi, j’apprends qu’on a parlé cette semaine du pôle logiciel libre de l’État dans Libre à vous ! ? Ça fait du bien, de nos jours, d’entendre parler d’un pôle qui n’est pas en train de fondre à grande vitesse. Quoique… ça se discute un poil !

Il est en effet établi que nos GAFAM et les autres boîtes du même acabit, qui ont généralement leurs sièges dans la baie de San Francisco, sont des génies sur qui il faut prendre exemple. Or, on le sait, ils virent à tour de bras depuis 2022 et s’ils le font, il faut bien se poser la question de pourquoi.
La maigreur de leurs bénéfices prouve bien qu’il fallait agir. Depuis toujours, ils ne paient quasiment pas d’impôts un peu partout dans le monde, ce qui signifie que ces sociétés vivent dans la précarité de longue date. Maintenant que le ménage est fait, j’ai hâte de les voir enfin gagner de l’argent et accéder au statut de contribuables responsables et soucieux du bien commun en payant leur part dans tous les pays où ils opèrent.

Un autre point significatif, pour comprendre le fond des choses, ce sont ambitions de Zuckerberg. Il a pelleté des milliards dans la réalité virtuelle, mais le seul résultat concret qu’il ait obtenu est une magnifique collection de moqueries. Mais Meta a annoncé récemment que la priorité était désormais l’intelligence artificielle, ChatGPT est passé par là, et chez Meta on a du flair. Mais une question demeure : comment la vision d’un génie comme Zuckerberg n’a pas pu aboutir en dépit de la fortune investie ? La vérité est que l’abondance de moyens a coulé le projet.
Je sais que c’est difficile à croire, mais d’autres informations prouvent que Meta a muté et a parfaitement compris que l’argent est sans intérêt. En continuant d’envoyer des données personnelles hors du territoire en toute illégalité, l’entreprise a décidé de faire un cadeau de 1,2 milliard à l’Europe en s’exposant à une énième amende record. Leur réaction à la prune est éclairante puisqu’elle a été qualifiée d’injustifiée et d’inutile. Inutile, c’est bien la preuve que posséder ou ne pas posséder la somme d’1,2 milliard est sans importance. C’est même un frein ! Je croyais que Meta avait pour objectif de transformer la santé mentale de ses utilisateurs en bénéfice, mais, manifestement, ils le font par pure passion. Plaisir de nuire, joie de décevoir devrait être leur nouvelle devise.

Ces fameux licenciements correspondent à un autre volet de cette baisse salutaire de moyens que j’évoque. Certains de ces employés, qui ont été remerciés dans les vagues de licenciements récentes, ont expliqué dans le détail en quoi consistait leur bullshit job. Ainsi Madelyn Machado, une recruteuse, s’est épanchée dans des vidéos TikTok sur ses six mois chez Meta où elle n’a jamais recruté personne. D’autres rapportent que les salariés ont été collectionnés comme des cartes Pokémon, en anticipation d’une reprise du business ou que sais-je encore.
J’ai interrogé mon expert du mois dernier, mais il n’en a pas entendu parler. La presse économique affirme que ces licenciements correspondraient à la nécessité de rassurer les investisseurs dans un contexte en berne. En gros, il faut dégraisser le mammouth !

Mais je n’y crois pas ! Ça voudrait dire que ces grosses boîtes sont mal gérées, qu’elles sont peuplées de gens incapables d’avancer dans le même sens. Il faudrait que, coincés entre les intérêts divergents de différents centres de pouvoir et le fonctionnement court-termiste propre à l’actionnariat, il n’y ait de place que pour le jeu des bonus annuels. Dans ce monde où l’argent est la mesure de toute chose, la seule stratégie viable serait de pipeauter autant que nécessaire pour maintenir l’illusion du mouvement et continuer à faire tomber la thune.

Impossible ! Il est établi que ce sont des génies. Il suffit de se refaire les keynotes de Saint Steve Jobs en binge-watching pour s’en convaincre. C’est une expérience mystique qui redonne la foi.
Dernière démonstration. Chez Google, un ingénieur du nom de Luke Sernau affirme que sur l’IA, l’open source est en train de les dépasser. Ils doivent donc s’adapter, lâcher du lest et copier le modèle qui fonctionne.

Ainsi donc, s’ils virent, c’est qu’ils ont compris que c’est la frugalité du logiciel libre qui lui a permis de s’imposer au fil des années. Ne pas bénéficier de milliards qui coulent à flot, ne pas pouvoir compter sur des ressources humaines sans limite est la clé. L’avenir, c’est de coder sur un PC vieux de 10 ans, dont la touche « J » ne fonctionne plus, au fond d’une grotte dans la montagne. Le développeur des GAFAM de demain n’aura à boire que l’eau de pluie qu’il pourra collecter et les baies trouvées aux alentours pour manger. S’il connaît le succès, il pourra quand même faire bombance avec les restes de sandwichs que les utilisateurs reconnaissants lui enverront par la poste.

À l’évidence, l’informatique propriétaire se met en ordre de bataille. Robe de bure, assis en tailleur sur une planche à clous, ils vont à nouveau mettre nos libertés informatiques en grand péril.
Face à ce nouveau danger qui pèse sur le logiciel libre, j’en appelle donc à Bastien Guerry : il faut urgemment moins de moyens pour le logiciel libre. Merci de faire fondre ce pôle, c’est une question de survie !

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : De retour en direct sur causecommune.fm, la voix des possibles. Nous venons d’entendre une nouvelle pituite de Luk intitulée « La fonte des pôles », notre rayon de soleil et de paillettes mensuel.
Bastien, vous avez bien entendu l’appel de Luk ?

Bastien Guerry : Oui. Appel bien reçu. On fera fondre le pôle qui n’est plus un pôle, qui est une mission logiciel libre et communs numériques.

Étienne Gonnu : Il faut effectivement préciser l’intégralité.
Nous approchons de la fin de l’émission et nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois à partir de 19 heures dans ses locaux à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. Une réunion d’équipe ouverte au public avec apéro participatif à la clef. Occasion de découvrir le studio et de rencontrer des personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée-rencontre aura lieu le vendredi 2 juin. Nous ne sommes pas sûrs d’avoir un membre de l’équipe Libne à vous ! disponible ce vendredi, mais n’hésitez surtout pas à passer. Tous les membres de la radio sont hyper-sympas.
Jeudi 1er</sup juin, à Grnoble, Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, et Nicolas Vivant, directeur de la stratégie et de la culture numériques de la ville d’Échirolles, animeront une discussion-débat après la projection du film LoL – Logiciel libre, une affaire sérieuse.
L’April sera présente avec un stand et l’affichage de l’Expolibre aux Geek Faëries, un festival consacré aux cultures de l’imaginaire, que ce soit SF, manga, jeux de rôle, le week-end des 2, 3 et 4 juin à Selles-sur-Cher dans le Loir-et-Cher.
Les Rencontres Scenari auront lieu les 15 et 16 juin 2023 au Conservatoire national des arts et métiers à Paris. Scenari ce sont des logiciels libres qui servent, entre autres, à créer des documentations, des guides d’utilisateur, des contenus pédagogiques.
Je vous invite à consulter le site agendadulibre.org pour retrouver tous les évènements en lien avec le logiciel libre et la culture libre près de chez vous, ainsi que les associations locales qui font vivre nos communautés.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Laurent et Lorette Costy, Hélène Jonin, Bastien Guerry, l’incroyable Luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Frédéric Couchet.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, tous et toutes bénévoles à l’April, ainsi qu’Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aux personnes qui découpent les podcasts complets de l’émission en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site web de la radio, causecommune.fm. N’hésitez à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons en direct ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez aussi nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

En raison de l’appel national à mobilisation par l’Intersyndicale contre la réforme des retraites mardi 6 juin, la semaine prochaine donc, il n’y aura pas d’émission. La prochaine émission aura donc lieu en direct mardi 13 juin à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les modèles d’entreprises du Libre.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 13 juin et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.