Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 février 2023 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous ! l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Isabella Vanni : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
La bande dessinée et la culture libre, c’est le sujet principal de l’émission du jour, avec également au programme deux chroniques, celle de Laurent et Lorette Costy ainsi que la Pituite de Luk qui, par coïncidence, traitent toutes les deux de ChatGPT. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion de défense du logiciel libre.

Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 28 février 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour, Étienne.

Étienne Gonnu : Salut. Bonne émission.

Isabella Vanni : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique de Laurent et Lorette Costy sur le thème « ChatGPT dans l’eau ça fait des bulles, c’est rigolo »

Isabella Vanni : Comprendre Internet et ses techniques pour mieux l’utiliser, en particulier avec des logiciels libres et des services respectueux des utilisatrices et utilisateurs, pour son propre bien-être en particulier et celui de la société en général, c’est la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent Costy, administrateur de l’April, et sa fille Lorette. Le thème d’aujourd’hui est « ChatGPT – ou GiPiTi, on verra comment il faut prononcer – dans l’eau ça fait des bulles, c’est rigolo ». La chronique a été enregistrée il y a quelques jours, nous allons l’écouter et on se retrouve juste après.

[Virgule sonore]

Laurent Costy : Coucou Lorette ! Serais-tu capable à brûle-pourpoint, là comme ça, de me donner un palindrome ?

Lorette Costy : Non !

Laurent Costy : Merci !

Lorette Costy : De rien ! Par contre, à brûle-pourpoint, on va le ranger dans la liste des mots jolis mais dont il faut limiter l’usage ici, sinon, ça peut kéblo les écoutants et les écoutantes.

Laurent Costy : J’enlève mon pourpoint et j’enfile mon tee-shirt Libre à vous ! que l’on trouve à un prix modique dans la boutique En vente Libre. Oh, qu’elle est habilement glissée cette réclame pour les goodies de l’April. Mes dividendes vont encore exploser ce mois-ci ! Continuons, je crois que tu n’as pas beaucoup de temps à m’accorder.

Lorette Costy : Sacrés dividendes ! Oui, justement, on va devoir s’arrêter là, car j’ai en effet un texte à rendre pour demain sur le thème « Quel rôle la connerie humaine, le capitalisme de surveillance et le libéralisme jouent-ils respectivement dans l’accélération du réchauffement climatique ? ». J’adore mes profs !

Laurent Costy : Waouh ! Vous avez des super sujets à la fac ! La réponse n’est pas facile, car ce sont des notions très intriquées et c’est difficile de savoir quelle est la pire des trois ! Du coup, il faut qu’on trouve une solution : si je ne rends pas la chronique en temps et en pleurs, je vais être banni du conseil d’administration de l’April !

Lorette Costy : On pourrait faire la chronique sur ce thème, mais je ne suis pas sûre que le prof accepte le travail sous forme de podcast.

Laurent Costy : J’ai une autre idée : on va torcher ton devoir en utilisant les moyens modernes. Je te propose « ChatGiPiTi » ; exceptionnellement, on va privilégier la prononciation anglaise pour éviter la tentation de rajouter à chaque fois après ChatGPT « dans l’eau ça fait des bulles, c’est rigolo » ; ChatGPT donc, pour celles et ceux qui ne connaissent pas, c’est cette intelligence artificielle qui défraie la chronique et attire le journaliste comme le pot de miel attire l’ours, l’abeille, le blaireau et le consommateur quand il y a des promos.

Lorette Costy : Oh, oui, je vois ! C’est vrai, je trouve, que Wikipédia définit bien cet outil : « C’est un prototype d’agent conversationnel qui utilise l’intelligence artificielle développée par OpenAI et spécialisée dans le dialogue. L’agent conversationnel est un modèle de langage affiné – comme le fromage – à l’aide de techniques d’apprentissage supervisé et d’apprentissage par renforcement ». Pour reformuler globalement la définition, on pourrait dire aussi que c’est un outil inventé pour libérer du temps et permettre au monde étudiant de faire plus la fête !

Laurent Costy : Si on en croit certains sites plus ou moins journalistiques, il semblerait que l’utilisation de ChatGPT chez les élèves se développe à la vitesse d’un cheval au galop qui tente d’échapper à la marée dans la baie du Mont Saint-Michel en Bretagne normande. Mais il faut aussi être prudent : si tu tapes « ChatGPT copie étudiant Lyon » dans un moteur de recherche, le nombre de sites mimétiques qui commencent par « 50 % des copies » ou « 50 % des étudiants » est impressionnant et ces articles relaient une triche qui se serait passée à l’université de Lyon.

Lorette Costy : C’est très journalistique en effet, bien putaclic : préférer afficher 50 % plutôt que 7 personnes sur 14 ! Oui, c’est carrément plus buzzifiant !

Laurent Costy : Surtout que l’information est loin d’être avérée si on en croit le site lesnumeriques.com qui fait un démenti sur son premier article. Bref, c’est toujours très tentant de relayer des articles autour d’une technologie qui émerge et qui attire tous les regards. On surfe sur la vague, ça fait moderne ! Mais, pour autant, penser que ChatGPT ne serait pas utilisé par des élèves, serait aussi d’une grande naïveté.

Lorette Costy : Oui, je le conçois. Du coup, juste pour être sûre : je crains quoi, moi, en utilisant ChatGPT pour répondre à une question de cours, notamment sur le plan légal ?

Laurent Costy : Le droit est rarement en avance sur des objets dont on évalue la pertinence et les défauts en avançant. C’est d’ailleurs le jeu des grandes plateformes de poser leurs règles en premier dans ce Far-West numérique et de regarder la puissance publique prendre beaucoup de temps pour réguler les problèmes qu’elles ont générés et ce temps est précieux pour accumuler du profit, donc du pouvoir. Pour les questions de plagiat et de sources, c’est effectivement un enjeu immédiat de l’enseignement que de considérer désormais les intelligences artificielles. Une des voies pourrait être une sorte de tatouage précisant l’origine du texte, mais ça reste facilement contournable.

Lorette Costy : Bon, d’accord ! Avançons sur mon devoir, je n’ai pas que ça à faire ! Allons donc sur le site de ChatGPT et faisons travailler l’IA à notre place. Ah !, ça commence mal, il faut donner une adresse mail ET un numéro de téléphone.

Laurent Costy : C’est fidèle au désormais célèbre syndrome du « en même temps » : en même temps on t’expliquerait que c’est pour protéger de sollicitations par des robots et, en même temps, on collecte tes données, mais ça, on te le dit moins !

Lorette Costy : Le « en même temps », c’est comme un caca posé derrière un conifère ou mettre un bulletin Le Pen/Macron dans la même enveloppe : ça sent le sapin mais pas que dans le premier cas, et 1 + 1 ne fait pas 2 dans l’autre cas.

Laurent Costy : Waouh !, je vois que tu as creusé le concept ! Dommage que ton devoir ne soit pas là-dessus ! Bon, je copie-colle la question : « Quel rôle la connerie humaine, le capitalisme de surveillance et le libéralisme jouent-ils respectivement dans l’accélération du réchauffement climatique ? » et on se répartit la lecture de la réponse de Chat GéPéTé !

Lorette Costy : « Dans l’eau ça fait des bulles c’est rigolo » ! T’as raison, c’est vachement tentant. Ça me va, c’est parti, voici la première partie de la réponse : « La connerie humaine peut contribuer au réchauffement climatique en ignorant les preuves scientifiques sur le changement climatique et en refusant de prendre des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. »

Laurent Costy : Je poursuis : « Le capitalisme de surveillance, qui met l’accent sur la croissance économique et le profit à tout prix, peut également contribuer en encourageant les pratiques industrielles polluantes et en réprimant les politiques visant à protéger l’environnement. » Ah !, on voit que le concept de capitalisme de surveillance n’est pas appréhendé par l’IA. Elle n’a pas eu le temps, visiblement, de lire le livre de Shoshana Zuboff ! Je te laisse finir la dernière partie de la réponse.

Lorette Costy : « Le libéralisme, qui met l’accent sur la liberté individuelle et la réglementation minimale, peut également contribuer en s’opposant à des politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. » Ce n’est vraiment pas mal tout ça quand même ! Comme on est chaud, on enchaîne avec la question : « Comment faire pour enrayer la connerie humaine, le capitalisme et le libéralisme ? ». Ah !, pas de bol : « An error occurred. If this issue persists please contact us through our help center at help.openai.com ».

Laurent Costy : Ah ! Ça bogue ! Normal, ça commençait à devenir intéressant. Ça ressemble encore à un outil con asservi au capitalisme et au libéralisme ce truc ! De toute façon, la question allait au-delà de ce dont tu avais besoin.

Lorette Costy : Oui, en effet. Par contre, ça me fait poser la question : quelles sont les limites de ChatGPT ? Quand on lit ce texte produit par l’IA, on est un peu obligé de se dire qu’on est quand même loin des réponses à côté de la plaque des robots conversationnels qu’on connaît, chatbots en anglais, censés nous aider sur les sites. Ça pourrait faire illusion avec une réponse formulée par un être humain ! Elle est vraiment intelligente ?

Laurent Costy : François Poulain, le trésorier de l’April, dit que c’est un peu la même chose que d’apprendre à nager à un sous-marin. Et puis, il y a les limites connues. D’abord, il faut savoir que les données qui ont nourri l’IA s’arrêtent en 2021. Elle n’est pas connectée à Internet et des interrogations sur des événements récents n’auront guère de réponses pertinentes.

Lorette Costy : Pas trop grave dans notre cas : la connerie humaine remonte quand même à plusieurs millénaires, on ne va pas se mito !

Laurent Costy : Oui, l’IA a l’air de bien savoir de quoi il s’agit. C’est plutôt bien documenté finalement !

Lorette Costy : Et puis les biais liés aux données qui ont nourri l’IA commencent à être connus : par exemple, une IA « projettera », si on peut dire ainsi, un PDG comme un homme blanc à cause de la grande quantité de données allant dans ce sens, qu’elle aura ingurgitées préalablement.

Laurent Costy : Protester contre les biais laisse entendre qu’il y aurait, quelque part, la possibilité d’une IA neutre, sans biais. Or, toute IA – d’ailleurs tout algorithme – fait des choix. Il ne s’agit donc pas de biais mais de simple restitution de ce qui a été programmé. Il y a aussi la problématique du réglage des « récompenses » qui améliorent les résultats de l’IA au fil du temps. On appuie trop sur la boucle de rétroaction de l’IA qui va alors logiquement survaloriser une probabilité. On n’est pas loin des préoccupations de Goodhart qui avait compris l’enjeu de la manipulation de critères et la potentielle influence néfaste sur les résultats.

Lorette Costy : Je connais Goodhart ! C’est un économiste qui, si je ne me trompe pas, en 1975 a formulé le fait que « lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure », parce qu’elle deviendrait sujette à des manipulations directes, comme des trucages des chiffres, ou indirectes.

Laurent Costy : Si je résume, la qualité des données va être une clé essentielle de la qualité du résultat produit par l’IA, c’est une évidence, mais l’équilibre et le poids qui leur seront attachés seront aussi déterminants. À cela, il faut aussi ajouter la quantité de données ingurgitées qui, avec l’avènement du big data, permet de renforcer encore la pertinence des réponses des IA.

Lorette Costy : L’épisode de Tay, robot conversationnel de Microsoft qui, en 2016 a viré facho en moins de 24 heures, montre l’efficacité « d’efforts coordonnés de quelques utilisateurs pour abuser des capacités de Tay afin de la pousser à répondre de façon inappropriée », selon les termes mêmes de Microsoft répondant au journal Le Monde à l’époque.

Laurent Costy : Et on frémit pour notre démocratie si on projette une IA qui aurait la capacité d’une personne à écrire des commentaires automatisés dans le but d’influencer un processus de décision ou une élection. Pour ChatGPT, ils essaient de tirer des leçons de l’épisode Tay et programment des garde-fous pour tenter de contrôler l’éventuelle dérive vers des zones marécageuses et fangeuses.

Lorette Costy : Le hic sur le plan social, si on en croit Wikipédia, c’est qu’OpenAI a fait appel à Sama, une entreprise qui a son siège à San Francisco mais qui emploie des travailleurs au Kenya. Ceux-ci doivent lire des textes sexistes et racistes ou décrivant automutilations, incestes, contenus pédopornographiques et les classer selon leur type pour apprendre à l’IA à les repérer. Sympa tout ça !

Laurent Costy : On retrouve toutes les sombres caractéristiques des travailleurs du clic. Le site www.welcometothejungle.com éclaire cette face très sombre de l’Internet et ce n’est pas drôle du tout !

Lorette Costy : Brrr ! Juste une question comme ça : c’est quoi le lien entre IA et logiciel libre ?

Laurent Costy : Excellente question ! Je te remercie de me l’avoir posée et je me remercie de l’avoir écrite dans le script. Tu en vois toi ?

Lorette Costy : J’ai surtout noté que l’entreprise qui était derrière a bien pris soin de mettre le terme open dans son nom : OpenAI ! J’imagine qu’invoquer « open » ne suffit pas pour être en phase avec la fameuse philosophie que porte le mouvement du logiciel libre ?

Laurent Costy : Oui, d’autant qu’OpenAI va devoir aussi trouver un modèle économique. Une des perspectives c’est de se maquer avec Microsoft pour intégrer cette IA dans Bing, Microsoft Office, Outlook. L’idée est de permettre, avec les données des utilisateurs et utilisatrices auxquelles il faudra avoir accès pour être pertinent, de proposer des modèles de mails personnalisés, des courriers de réponses prenant en compte l’historique des échanges, etc.

Lorette Costy : En même temps, Microsoft va être toujours plus intrusif et, en même temps, il va promouvoir un service en apparence performant. Dis donc, ça me rappelle une histoire de sapin et d’urne tout ça !

Laurent Costy : Pour répondre à ta question, oui, ça reste très important d’avoir une licence libre sur le moteur d’IA : c’est une condition nécessaire pour savoir au départ comment est « pensée » l’IA. Mais on voit bien que cette condition n’est pas suffisante en soi puisque la donnée fournie est déterminante et que c’est parfois très difficile d’expliquer comment telle IA est arrivée à tel résultat. Il va falloir cadrer les usages. La réglementation sera une voie déterminante pour ça. Expliquer ce que sont les IA, avoir des débats de société sur leur pertinence, leur utilité, en particulier lorsqu’elles impactent la vie privée, vont aussi être des étapes vitales pour garder la maîtrise de ces outils et de leur usage.

Lorette Costy : En tous cas, personnellement, je vois un avantage immédiat à ChatGPT : on a fait mon devoir et la chronique en même temps ! Je vais pouvoir te laisser, demander à ChatGPT de faire mon rapport de stage et aller en boîte pendant ce temps-là ! Let’s go ! La bise mon papa de géant qui me fait avancer dans la compréhension de ce monde numérique !

Laurent Costy : La bise ma puce à l’intelligence authentique !

[Bruits de bulles]

[Virgule sonore]

Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur Radio Cause Commune. Nous venons d’écouter la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy, enregistrée il y a quelques jours et consacrée à ChatGPT. Nous allons maintenant faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous parlerons de bande dessinée et culture libre, avec nos personnes invitées : David Revoy et Gee.
Nous allons écouter Bouquet d’Opinions par MoiJe et on se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Bouquet d’Opinions par MoiJe.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter bouquet d’opinion par MoiJe, disponible sous licence art libre.

[Jingle]

Isabella Vanni : Je me suis trompée en lisant le nom de l’artiste, c’est MoiJe, je l’ai lu à l’italienne, désolée. Passons maintenant au sujet suivant.

[Virgule musicale]

La bande dessinée et la culture libre, avec David Revoy et Gee

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur la bande dessinée et la culture libre, avec nos deux personnes invitées : David Revoy, auteur de BD, au téléphone et Gee, auteur multimédia, depuis le studio.

N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».

Le sujet principal d’aujourd’hui a été préparé par Laurent Costy, oui, encore lui !, mais cette fois en direct depuis le studio et avec sa casquette de chargé de mission Éducation et Communs numériques aux Ceméa. Laurent animera également l’échange avec nos deux personnes invitées, c’est pourquoi je lui passe la parole.
Bonjour Laurent.

Laurent Costy : Bonjour Isabella. Merci beaucoup pour cette parole. Nous avons effectivement invité Gee et David Revoy, respectivement auteur multimédia et auteur de BD, ils vont vous expliquer mieux que moi. Bonjour Gee.

Gee : Salut Laurent.

Laurent Costy : Bonjour David. Est-ce que tu nous entends ? Tu es au bout du téléphone.

David Revoy : Oui, je vous entends bien. Bonjour à tous.

Laurent Costy : Parfait. C’est impeccable. On va vite rentrer dans le sujet parce qu’on a préparé l’émission ensemble, vous avez énormément de choses à dire, on ne va pas épiloguer. Je vais vous demander de vous présenter chacun et expliquer peut-être votre parcours dans la foulée. Comment en êtes-vous arrivés à faire de la BD entre autres ? Gee.

Gee : J’avais dit « auteur multimédia ». C’est un terme un peu bizarre, c’est pour dire que je fais beaucoup de choses, je fais de la BD mais aussi des romans, de la musique, je travaille sur un jeu vidéo, je fais aussi des chroniques radio ici de temps en temps.
Pour mon parcours, je vais essayer d’aller vite parce que je sais que David a plein de trucs à dire. Je pense que tout le monde dit un peu ça, en gros je fais du dessin depuis que je suis tout petit. J’avais un peu arrêté à l’adolescence parce que c’était plus stylé de faire de la guitare, même si, en vrai, ça ne m’a jamais apporté beaucoup de popularité, peu importe !
J’ai fait une prépa scientifique après le bac, je ne me suis pas orienté vers l’art. Quand tu fais une prépa de ce style-là, tout le monde te dira que tu mets un peu les loisirs de côté, du coup j’avais un peu laissé tomber tout ce qui était dessin, musique, tout ça. Quand je me suis retrouvé en école d’ingénieur avec, finalement, beaucoup de temps libre, eh bien je me suis dit que j’allais reprendre et c’est un peu sur un coup de tête que j’ai ressorti une veille tablette graphique Wacom que j’avais et je me suis lancé dans un blog qui s’appelait Le Geektionnerd à l’époque, c’était en 2009, ça commence à faire !
J’ai fait une thèse d’informatique et j’ai travaillé comme développeur et, il y a un an et demi, à l’été 2021, je me suis dit que j’en avais un peu marre de faire de l’art juste sur le temps libre, du coup j’ai quitté mon boulot, j’ai tout plaqué pour devenir auteur à plein temps.

Laurent Costy : C’est courageux ! Tu vas nous expliquer tout à l’heure un peu la suite et ce que ça implique. David, à toi de te présenter.

David Revoy : Pour ma part, ça va prendre un peu plus de temps parce que je pense que je suis plus vieux que Gee.

Gee : Pas tant que ça !

David Revoy : Je pense que j’ai bien dix ans de plus que toi. Je suis un enfant des années 80 et pareil, tronc commun, je suis un enfant qui dessine beaucoup, qui a un des premiers ordinateurs à la maison. Je vais grandir là-dedans, je vais essayer de m’orienter vers le dessin. Le conseil d’orientation me propose un bac techno et c’est ce que je vais faire même si ce ne sont pas les choses que j’aime bien : on nous apprend plutôt à dessiner des pinces à linge, des croquis de mode ou des objets un peu design comme les premiers téléphones portables des années 2000. Ce n’est pas vraiment ce qui me branche !
Pour moi l’adolescence a été beaucoup sur l’indépendance, la rébellion et je vais quitter mes études juste après le bac. Je vais commencer à faire du portrait de rue, loin de chez mes parents, je voulais avoir un appartement très vite, je voulais être très indépendant. Je vais faire aussi de la peinture sur chevalet pour faire des expos, pour vendre des peintures.
On est au tout début des années 2000. Je reprends contact avec Internet parce qu’on me dit que ce serait bien d’avoir une galerie en ligne, à l’époque c’est le nec plus ultra pour les gens qui ont ça sur leur petite Wanadoo. C’est donc ce que je fais et là je découvre qu’il y a des gens qui dessinent sur tablette. Mes soirées vont être passées sur tablette à dessiner des illustrations où là il n’y a plus de problèmes de couleur, de toile, de trucs comme ça. Je vais apprendre en autodidacte un peu tout ce qui est le numérique, à dessiner numériquement avec des logiciels propriétaires, premièrement, et je vais commencer à avoir des demandes de boulot là-dedans pour faire de l’illustration. Je vais très vite abandonner mon métier de peintre et de portraitiste pour ne faire que de l’illustration de jeux de société, de couvertures de livres, j’ai tout un passé là-dedans.
À un moment donné, je vais avoir un gros crash dans mon parcours sur un foutage de gueule des logiciels propriétaires — on pourra peut-être en reparler plus tard — qui va me faire passer, encore sur le temps libre, au logiciel libre et c’est là que la Fondation Blender va avoir besoin de quelqu’un pour pouvoir faire les dessins préparatoires entre le scénario et les modèles 3D pour faire ses films d’animation. Comme je dessine avec des logiciels libres et qu’il n’y a vraiment pas beaucoup de personnes qui dessinent avec des logiciels libres parce que, dessiner sur Linux et avec les logiciels libres de l’époque, on est bien avant 2010, c’est un peu plus ardu. Ça va donc attirer la Fondation Blender qui va me dire « ça serait bien que tu fasses sur nos films ». J’ai donc travaillé sur quelques courts métrages avec la Fondation Blender en concept art, en direction artistique. En sortant de là, j’avais le virus du Libre qui était maintenant à fond pour le côté culturel, donc j’ai fait ma propre bande dessinée libre puisque, à la base, le rêve de l’adolescent, avant de faire tous ces trucs-là, c’était quand même de faire de la BD, mais c’était le truc inavouable, le truc qui n’était pas du tout adapté socialement.
En faisant un Webcomic, un peu sur un petit burn-out dans ma carrière de free-lance à ces moments-là, j’ai commencé à faire une BD sur le blog et voilà !, ça a pris. Ça fait maintenant neuf ans que je fais Pepper&Carrot, que j’en vis. Au fur et à mesure du temps je me suis aussi rapproché de ceux qui m’avaient mis le pied à l’étrier quand j’ai commencé le Libre, donc l’association Framasoft et maintenant je fais un peu les deux : je fais du Pepper&Carrot et l’illustration pour les campagnes de Framasoft.

Laurent Costy : Le dessin est effectivement assez reconnaissable. Quand on côtoie un peu Framasoft, on retrouve très vite tous tes dessins. C’est vrai que ça donne un cachet aux campagnes de Framasoft et une identité qui est remarquable.
Tu as un peu répondu à la question suivante, que je vais peut-être plus expliciter pour Gee et tu pourras compléter après éventuellement : expliquer comment vous avez cheminé pour arriver à mettre sous licence libre vos productions. La question est un peu longue, je ne sais pas faire des questions courtes : est-ce que l’on peut vous qualifier de masochistes quand on appréhende un peu toute la difficulté qu’il peut y avoir à réussir de vivre de son art quand on dessine ?, quand les gens connaissent un peu le monde la bande dessinée. Et qu’est-ce qui vous a amenés à aller à contre-courant et à vous ajouter encore une couche de difficulté ?

Gee : Sur le côté masochiste je ne sais pas trop. On va dire, par rapport au droit d’auteur classique, je ne suis pas sûr que ce soit lié au fait de publier sous licence libre qui rend les choses plus compliquées. Il y a des tas d’artistes qui publient sous copyright classique qui galèrent.
Pourquoi j’en suis venu là ? J’ai essayé de réfléchir et je pense que j’ai identifié trois responsables. Spoiler, le dernier c’est aussi Framasoft. Avant ça, il y a deux responsables qui sont Napster et Windows Vista.
Je fais partie des gens qui ont eu Internet assez tôt en France, c’était mes parents, du coup j’en ai profité, c’était aux alentours de 1998/99, je dirais, quelque chose comme ça. C’est vrai que très vite, à ce moment-là, on a découvert Napster.

Laurent Costy : Il va peut-être falloir expliquer aux plus jeunes écoutants et écoutantes ce que c’est.

Gee : Napster c’est un peu le tout premier logiciel, on va utiliser le mot, de piratage principalement de musique, je crois, à ce moment-là, je me demande si ce n’était même pas que ça. Ça a été l’avènement du MP3, du format de musique qui était plus léger que le format WAV qui était le format de l’époque, et qui a permis aux gens de s’échanger de la musique de manière « complètement libre », entre guillemets, sur Internet, sans payer, évidemment, les CD comme on les payait à l’époque.
Forcément, comme j’avais Internet à ce moment-là, c’est vrai que j’ai piraté pas mal de trucs. Après, quand il y a eu les campagnes anti-piratage, « pirater c’est du vol », c’est vrai que ça ne m’a jamais trop convaincu. J’avais la sensation que c’était quand même plutôt une bonne chose qu’il y ait cette possibilité de partager des œuvres. En plus, c’est vrai que j’ai découvert énormément de choses avec le piratage et j’ai écouté beaucoup de choses dont pas mal que je n’aurais jamais achetées, en vrai, déjà parce qu’en termes de volume c’était trop, je n’avais pas assez d’argent pour acheter tout ça. Du coup, le côté manque à gagner du piratage, oui, il y en a, mais il n’est pas si évident que ça, je ne vais pas faire toute l’émission sur le piratage. Peu importe ! Quelque part ça m’a déjà apporté l’idée que la culture devrait être quelque chose qui se partage assez librement et que les questions économiques c’est une autre question quelque part.

Ensuite je disais qu’il y a eu Widows Vista, c’est un peu plus tard, là j’étais en prépa. Au tout début de la prépa, en 2007, je venais d’avoir mon tout premier ordi personnel, d’habitude j’allais toujours sur celui de mes parents, là j’avais un petit ordinateur portable avec Windows XP dont j’étais très content par ailleurs. On commence à avoir les échos sur Windows Vista, tout le monde disait que c’était vraiment pourri. Du coup, je me disais mince ! Il y avait marqué « Windows Vista compatible » sur mon truc, du coup, je ne vais peut-être pas passer à Windows Vista. Là, un ami me parle de Linux et me dit « si tu veux, il y a un truc qui est sympa, c’est Ubuntu – en 2007 c’était la 7.4 – donc je me suis mis Ubuntu en dual-boot, je ne sais pas s’il faut expliquer dual-boot.

Laurent Costy : On a deux systèmes d’exploitation sur le même ordinateur, on peut choisir de démarrer soit Windows, soit GNU/Linux.

Gee : Un peu comme David qui parlait de Blender, je suis rentré dans les logiciels libres par Linux, je me suis mis à connaître un peu tout ça. Ce qui fait que quand j’ai lancé Le Geektionnerd, la BD sur mon blog, deux ans plus tard, en 2009, il y avait énormément de blagues anti-Windows : sur les écrans bleus de Windows, les bugs de Windows, tout ça, c’étaient forcément des trucs qui nous faisaient rire à l’époque et pas mal de trucs sur le fait que Linux c’est bien. Ce qui fait que très vite l’association Framasoft « m’a repéré », entre guillemets, et m’a demandé « est-ce que tu ne veux pas venir publier chez nous ? ». À l’époque, sur mon blog, il n’y avait pas de licence, je ne m’étais pas spécialement posé la question. Ils m’ont dit « si tu veux venir publier chez nous il faudrait que ce soit sous licence libre ». Du coup j’ai regardé les Creative Commons, je connaissais déjà un petit peu, et c’est vrai que le choix n’a pas été dur. Je reviens au début, ça aurait été un peu hypocrite de ma part de télécharger plein de musiques gratuitement comme ça et de dire « moi, par contre, mon art il faut le payer, il y a des barrières et tout ! ». On parlera du financement, je ne veux pas corréler complètement les deux, mais c’était l’idée : publier gratuitement et laisser les gens en faire un peu ce qu’ils veulent.

Laurent Costy : Merci pour cet éclairage. On pourrait effectivement développer la question du piratage. Dans l’éducation c’est aussi un sujet puisque c’est bien gentil de vouloir promouvoir des logiciels privateurs et de ne pas avoir les capacités financières de les utiliser ! À un moment donné, l’alternative GNU/Linux s’impose finalement d’elle-même : on fait de l’éducation, on accompagne les gens et on le fait en toute sécurité.
Est-ce que tu voulais rajouter quelque chose par rapport à ce point en particulier, David ?

David Revoy : Oui, si j’ai le temps !
Il y a deux points pour moi : logiciel libre et culture libre et l’un ne fait pas forcément l’autre.
Par exemple, c’est grâce à ma rigidité à ne pas vouloir pirater, en quelque sorte, que je suis arrivé au logiciel libre. Je suis tombé sur une machine sous Vista que j’ai mise à jour, elle était encore sous Vista, et là tous mes logiciels, tous ceux que je n’avais pas piratés – j’avais acheté les licences Photoshop, Painter et compagnie – ne sont pas compatibles avec cette nouvelle plateforme et je ne peux pas installer XP sur cette plateforme-là, que je viens d’acheter sur un coup de tête. Je dois donc acheter des services de mise à jour pour chaque logiciel, des packs qui coûtent très cher et ça n’avait pas beaucoup de fonctionnalités à part la compatibilité Vista. Là je me suis retrouvé un peu pris en otage, je sentais qu’on en voulait sérieusement à mon portefeuille. C’est ça qui m’a poussé, on va dire, à faire un crack et à dire « je n’irais pas dans cette voie-là. Qu’est-ce qu’il y a comme alternatives à long terme pour qu’on ne me fasse les poches, pour qu’il n’y ait pas une sorte de petite mafia autour de moi qui décide de mes usages ? » Oui, c’est ça l’angle.

Pour la culture libre, je suis passé par la Fondation Blender. Au début j’avais un peu peur de leur licence, la Creative Commons Attribution, je ne connaissais pas, je ne publiais pas comme ça mes dessins sur mon blog, c’était en copyright, tout simplement. J’ai vu, avec les concepts art de Sintel et compagnie, qu’il n’y avait pas de problèmes. Il y a eu une petite période où je me suis dit « elle va être reprise, ou le personnage, ou quelqu’un va copier mon style » ; il y avait vraiment, en fait, une sorte de paranoïa de ce qui pouvait se passer en mettant l’art en Libre. J’ai vu qu’il n’y avait que des effets bénéfiques de dérivation, de propagation. Cette peur-là s’est dissipée et c’est là où j’ai commencé à l’adopter pour mon blog.

Après, il y a eu une prise de conscience que la culture propriétaire était partout quand j’ai fait ma BD, c’est-à-dire que je ne pouvais pas reprendre les univers propriétaires qui étaient déjà en place. Tout était déjà verrouillé et, pour créer une sorte de nouvelle culture, c’est très difficile, il faut slalomer entre tout ce qui est fait et, à l’époque, énormément de choses étaient faites. Surtout quand je fais une sorcière, on me dit très vite « ça c’est Little Witch Academia. Ah non, ça c’est Kiki. Non, ça ce sont les sorcières de Pratchett ! ». C’est un slalom pour ne pas reprendre des références, pour pouvoir créer son propre truc. C’est là qu’on voit qu’il y a beaucoup de choses. Là je m’étale un petit peu, je suis désolé de rentrer dans les détails.

Laurent Costy : Pas du tout, c’est extrêmement intéressant et c’est aussi extrêmement intéressant de vous écouter sur ce qui a finalement déclenché votre passage à la culture libre ou au logiciel libre : c’est le fait de se sentir un peu, à un moment donné, prisonnier.
On me demande, dans le chat, d’expliquer rapidement ce qu’est Blender. Peux-tu expliquer ?

David Revoy : C’est un logiciel libre de 3D. On va pouvoir faire des objets en 3D, mais aussi leur mettre des squelettes d’animation, les animer, faire le rendu, donc faire un film et même, à une époque, c’était pour pouvoir faire des jeux vidéos de A à Z. Maintenant ça peut servir à faire des modèles de jeux vidéos. C’est toute une suite 3D libre. Ils font des projets. En 2010, ils ont fait des projets pour pouvoir améliorer le logiciel : ils faisaient un film libre en crowdfunding ; ils faisaient un appel de budget, toutes les personnes de la communauté Blender étaient réunies dans un studio à Amsterdam pour pouvoir faire un film. Il y a eu comme ça Cosmos Laundromat, Sintel, Big Buck Bunny, etc.

Laurent Costy : On les trouve facilement sur Internet puisqu’ils sont, en plus, sous licence libre, on peut en profiter. On voit bien que la qualité est remarquable, les animations sont juste incroyables ! Je trouve ça extraordinaire. Big Buck Bunny est un des premiers courts métrages qui a été promu auquel on associait Blender, moi j’avais trouvé très bluffant à l’époque, mais ça commence à dater ?

David Revoy : C’est vers 2008. J’arrive juste après, en 2009, pour Sintel pour lequel j’ai fait la direction artistique.

Laurent Costy : Très bien.
Une fois qu’on a mis le doigt dans la culture libre, dans les logiciels libres, on pousse même la logique à se confronter à des éditeurs de bande dessinée. Est-ce que tu peux nous raconter ? Tu as raconté l’histoire sur le Framablog, on mettra le lien sur la page de l’émission. J’ai trouvé l’histoire de Pepper&Carrot vis-à-vis de Glénat extraordinaire à lire. Je trouve que c’est un pied de nez au modèle imposé, au modèle économique qu’on veut nous imposer et qu’on n’a pas le droit d’interroger. Je trouve ça extraordinaire. Est-ce que tu peux nous raconter ?

David Revoy : Je vais essayer de faire court.

Laurent Costy : Oui, j’allais le dire, tu as 17 minutes pas plus !

David Revoy : Glénat m’a démarché par e-mail, comme ils le font sûrement pour beaucoup d’auteurs et d’autrices à l’époque, on est en 2014/2015. Ils ont une direction artistique qui recherche les talents du Web. En gros, ils regardent les webcomics pour faire une édition papier de ceux qu’ils trouvent sympas. Pepper&Carrot va tomber à peu près dans ce schéma-là. Je reçois un petit e-mail me demandant de faire un petit dossier, rapide, pour pouvoir faire une réunion. Je leur fais ça. Ils me disent « ça nous intéresse » et ils m’envoient directement tout pour l’éditer selon leur process, c’est-à-dire qu’ils ont leur contrat, tout est prêt. C’est là que je dis « non, ça ne va pas le faire, je ne suis pas d’accord avec ça », parce que dedans il y a directement marqué les mots d’exclusivité, de droit d’auteur, ce n’est vraiment pas du tout le délire derrière Pepper&Carrot et comment je le fais. On se rencontre par téléphone et là je leur explique tout le truc. Il va y avoir, à Glénat, un directeur artistique extrêmement ouvert qui m’a dit « c’est un super délire, on voudrait respecter les choses », c’est-à-dire l’audience est là autour, c’est une expérimentation, on va se mettre tout autour. Je leur dis « vous savez mon délire, ensemble on ne signe que la Creative Commons, c’est-à-dire qu’on ne soit pas liés du tout, que vous ne me donniez de l’argent que quand je publie un nouvel épisode, en fait comme les mécènes ». Mais bon ! Peut-être plus qu’un mécène normal, parce que vous avez une initiation industrielle. Ils vont dire que c’est intéressant, mais ça a d’autres implications, c’est-à-dire que si leurs concurrents d’une autre maison d’édition décident de faire Pepper&Carrot, ils peuvent le faire aussi, mais ils se disent « on va tenter le truc ». Ça s’est fait comme ça, on en est au tome 4 et ça se passe bien. À côté de ça il y a d’autres éditions, il y a l’édition norvégienne cette année, l’année dernière l’édition bulgare est sortie. Ça laisse, comme ça, tous les éditeurs faire leur version, la version bretonne, la version occitane qui va sortir cette année. Je suis très content de cette liberté, en tout cas de cette non-exclusivité que la Creative Commons me laisse.

Laurent Costy : Tu as dû passer beaucoup d’énergie pour essayer de les convaincre, parce que ça bousculait quand même leur logique, leur modèle. Ils ne devaient pas être habitués à ce que quelqu’un les interpelle en disant « ce n’est pas du tout comme ça que je vois les choses » et les pousser à aller jusqu’au bout ? C’est étonnant quand même ! Dans le monde de la BD, Glénat ça s’impose !

David Revoy : Je pense que je n’ai pas de mérite. Je pense que c’est vraiment le directeur artistique qui est là, qui, sur le coup, va voir un projet extra-terrestre et va se dire « c’est un délire ça fait un peu hedgy que Glénat se positionne sur quelque chose ». Il y a peut-être une logique marketing derrière ça, se dire « on essaye quelque chose de nouveau », il y a tout ça, et se dire « on va essayer de faire le délire total ». C’est sûr que ça a fait faire la gueule au département légal, j’en ai eu des petits échos, parce qu’eux ont leur process, ils ont leurs contrats, ils ont leurs trucs, donc avoir à lire toute la Creative Commons, savoir où est le loup là-dedans et ce qui va pouvoir se passer.

Laurent Costy : Mince ! Il ne pouvait pas utiliser les modèles qu’ils avaient préparés dans leur ordinateur ! Ils étaient obligés de réécrire quelque chose.

David Revoy : Chaque fois que je refais une couverture, il faut savoir que pour les quatre tomes, j’ai reçu à chaque fois le modèle de contrat d’exclusivité et c’est vrai qu’à chaque fois je le refuse : on met l’e-mail de l’auteur et hop !, ça renvoie directement toute la paperasse et tous les trucs ! Je continue de recevoir ces modèles-types. Ils ont vraiment une structure qui biberonne les auteurs. C’est vrai que je suis vraiment à part. Quand je vais faire de la dédicace pour Glénat, oui, je vais jouer à l’auteur parce que je ne gagne pas sur les ventes des albums. Je gagne de l’argent quand je fais un nouvel épisode.

Laurent Costy : On parlera tout à l’heure du modèle économique, tu nous en reparleras, c’est aussi extrêmement intéressant. En tout cas, ça montre qu’on peut avoir un partenariat avec Glénat qui est quand même, encore une fois, plutôt connu dans le monde de la BD, pour peu qu’on s’intéresse un peu à la BD. Je trouve ça extrêmement intéressant. Si vous voulez avoir le détail de tout ça, si vous voulez passer un peu de temps à la lecture, allez sur le Framablog où vous aurez un peu plus d’éléments pour comprendre les tenants et les aboutissants.
Je vais repasser la parole à Isabella.

Isabella Vanni : Tout à fait. Je pense que c’est le bon moment pour une pause musicale. Nous allons écouter By Force par Punch Deck.

Pause musicale : By Force par Punch Deck.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter By Force par Punch Deck, disponible sous licence libre Creative Commons, CC BY 3.0.

[Jingle]

Isabella Vanni : Je suis Isabella de l’April. L’émission Libre à vous ! d’aujourd’hui est consacrée à la bande dessinée et la culture libre. Laurent Costy, chargé de mission Éducation et Communs numériques aux Ceméa, anime l’échange sur ce sujet avec nos deux personnes invitées : David Revoy au téléphone et Gee depuis le studio.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Laurent.

Laurent Costy : Merci Isabella.
David nous racontait un peu son aventure avec Glénat. Je vais revenir un peu vers Gee, parce que moi, en tant qu’amateur de BD on va dire, j’ai découvert son générateur de Grise Bouille, je ne saurais même pas dater, mais il y a plus d’une dizaine d’années, j’espère que je ne dis pas de bêtises.

Gee : Je n’ai plus la date exacte en tête. À l’époque il s’appelait générateur de Geektionnerd puisque le blog a changé.

Laurent Costy : Le nom était très complexe à retenir, je galérais chaque fois pour retrouver le générateur.

Gee : C’est pour ça qu’on l’appelait GéGé. C’est un vieux logiciel d’autant plus que c’est un fork. C’est une adaptation d’un ancien logiciel qui était publié par Mozilla, me semble-t-il, dont j’ai complètement oublié le nom, je suis désolé, c’est quelque chose avec Comic dedans [Comicgen], si quelqu’un retrouve, j’aurais dû le noter. Ça a été adapté par un camarade de Framasoft qui s’appelle Cyrille [Largillier], qui s’était dit « je vais prendre les dessins de Gee, les mettre dedans ». On avait mis ça sur un petit site qui s’appelait Framalab, un petit site sur lequel on mettait les petits projets comme ça, sans trop de prétentions, mais qui était sympathique. Il est toujours là.
C’est marrant, je crois qu’il est pas mal utilisé quand même. Je vois assez régulièrement passer des dessins qui sont, entre guillemets, « de moi », c’est-à-dire que le dessin est de moi mais la mise en forme et le texte ne sont pas de moi.

Laurent Costy : Pour tout te dire, je travaille dans le milieu associatif, je l’utilise, par exemple, pour illustrer des compte-rendus d’activité. Pour un compte-rendu qui n’a que des textes ou éventuellement quelques photos, je trouve que ça donne un cachet supplémentaire et ça incite les gens à le parcourir de manière un peu plus avancée. C’est sûr.

Gee : Cyrille avait vraiment mis beaucoup de dessins dedans, d’ailleurs on en a rajouté au fil des années. Je publiais quand même assez régulièrement sur Le Geektionnerd et maintenant sur Grise Bouille, eh bien il y a de quoi faire ! D’ailleurs c’est rigolo, on en parlera peut-être après, je fais aussi du dessin à la commande : les gens peuvent me commander des dessins ou des choses comme ça. Il y a quelques mois, la CGT de l’Université Aix-Marseille m’a demandé une mascotte. Il se trouve que c’est un petit poulpe. C’est rigolo parce que je sais que David a fait un logo pour PeerTube qui est également un poulpe.

Laurent Costy : Zourit est aussi un poulpe aux Ceméa.

Gee : Mais ce ne sont pas les mêmes, ils n’ont pas la même tête !
Donc la CGT Université Aix-Marseille me dit « on aimerait bien pouvoir bouger un peu ce poulpe pour l’utiliser dans différents cas de figure, est-ce que tu pourrais nous faire des variantes, notamment dans la position des tentacules ou dans les yeux, en fait nous faire une adaptation de GéGé pour qu’on puisse le mettre sur un serveur et avoir le nôtre avec ce poulpe en plus ? ». C’est ce que j’ai fait parce que c’est un logiciel, pas très basique mais très simple à installer ; si on parle un peu de technique c’est du JavaScript, ça ne demande pas une installation compliquée sur un serveur, on met ça sur une page web et ça fonctionne tout seul. Du coup j’ai fait ça en plus.

Laurent Costy : D’accord. Encore une fois on décentralise, chacun a ses propres outils, chacun est responsable de ses outils. On est toujours dans des logiques pertinentes pour que les gens s’approprient les outils et les maîtrisent. Très bien.
Du coup, par contre, as-tu été confronté des fois à découvrir des utilisations de tes dessins que tu ne cautionnerais pas ?

Gee : Pour le moment non, mais je pense que ça arrivera sans doute, notamment si j’arrive à mon but qui est de me faire connaître un peu plus. Pour le moment non.
Par contre, quelque chose de similaire m’est arrivé, c’est-à-dire qu’on m’a déjà pingué, on m’a déjà notifié sur un média social, je crois que c’est sur Mastodon, pour me reprocher une BD qui avait été faite avec le générateur GéGé, le générateur de Grise Bouille disons, alors que clairement ce n’était pas moi qui avais écrit le texte. Quand on voit mes dessins, comme on me connaît, on situe qui je suis, c’est moi qu’on vient voir. J’ai dit « non, ce n’est pas moi qui ai écrit ça ». On m’a fait remarquer que ce serait bien que ce soit plus évident, mais ce sont les gens qui l’utilisent qui gèrent la façon dont ils mettent les crédits. Je trouverais bien qu’on précise que les dessins viennent de ce site, éventuellement en me citant parce que je suis l’auteur des dessins. C’est vrai que, même si c’est sous licence libre, petit point technique, on ne peut pas attribuer à quelqu’un d’autre une œuvre. Je fais le truc inverse : si je prends des dessins de David et que je mets des horreurs dans la bouche de ses personnages, je ne peux pas prétendre que c’est lui qui l’a fait.

David Revoy : Je ne permettrais pas !

Gee : On a déjà fait des trucs de ce style !

Laurent Costy : D’où l’importance de bien respecter la licence, finalement : on est obligé de citer l’auteur.

Gee : Ça marche dans les deux sens, c’est-à-dire que non seulement tu dois citer l’auteur et, si tu modifies des choses, tu dois aussi le dire, tu ne peux pas dire « c’est un truc de David ».

Laurent Costy : Si ça marche c’est moi, si ça ne marche pas c’est l’auteur ! C’est intéressant comme concept !

David Revoy : Il faudrait que Gee aille vraiment très loin pour que j’aille faire jouer mon droit moral contre lui !

Gee : D’autant plus que je pense que nous sommes quand même assez d’accord sur pas mal de trucs !

Laurent Costy : C’est intéressant d’avoir cette perception des choses. En tout cas je trouve cet outil extrêmement intéressant pour illustrer facilement des compte-rendus d’activité, des compte-rendus d’associations, des pages web, etc., même sur les réseaux sociaux. Étienne signale qu’il l’utilise parfois sur les réseaux sociaux. Encore un bel outil !

Je vais revenir vers David pour qu’il nous raconte un épisode pas très drôle qu’il a vécu aussi avec un générateur, son générateur d’avatars de chats. Il va nous refaire un peu l’histoire de ce générateur de chats que j’ai aussi utilisé à un moment donné, sans savoir, à l’époque, que c’était David Revoy qui avait fait les dessins. Il va nous raconter un petit peu ça et sa mésaventure avec la question des NFT. Ça posera peut-être la question, on pourra peut-être en discuter à trois, de la clause non-commercial qui, quand on l’ajoute à une licence Creative Commons, celle-ci n’est plus une licence libre, mais qui pourrait potentiellement protéger dans ces moments-là. Je vais laisser David développer et on reviendra sur ce sujet-là.

David Revoy : Dans une heure ! Je rigole !
C’est sûr qu’on enchaîne sur les mésaventures avec la licence libre et c’est vraiment un des points qui va illustrer. Sur Pepper&Carrot, par exemple, j’ai déjà eu beaucoup de mauvaises utilisations. J’ai déjà eu quelqu’un qui a prétendu être moi sur Kickstarter pour vendre du Pepper&Carrot et qui a presque réussi. Ça a été tout un bordel pour pouvoir prouver que ce n’était pas moi qui faisais ça. Après il y a des utilisations plus classiques comme les Rule 34, mais je laisse faire.

Laurent Costy : Peux-tu expliquer les Rule 34 parce que je ne connais pas ?

David Revoy : Non ! Je ne souhaite pas expliquer !

Gee : Tu veux que j’explique ?

David Revoy : Oui, je veux bien.

Gee : C’est une règle d’Internet qui dit que si quelque chose existe il y en a une version pornographique.

Laurent Costy : Oui, d’accord, ça me revient. Merci pour cette explication parce que je pense que je n’étais pas le seul à ne pas savoir.

David Revoy : Ça manquait de ce petit truc-là dans cette émission !
Il y a donc eu aussi une utilisation en NFT de mes travaux, même de planches de Pepper&Carrot, donc de ce générateur d’avatars de chats. J’ai fait ce générateur d’avatars de chats pour le blog, mon blog à l’époque, puisque j’utilisais Gravatar avant ça, un système qui permet, avec leur e-mail, de choper l’avatar que les personnes ont mis sur le site Gravatar. Quand la personne se connecte sur mon blog, met un commentaire, mon blog va aller demander à Gravatar son avatar en fonction de cet e-mail pour pouvoir l’afficher. À partir du moment où on va se connecter à un site et montrer qui lit quoi comme articles, il y a un gros problème de tracking. Je me suis dit « il va falloir que je fasse quelque chose », mais je ne voulais pas non plus retirer simplement les avatars de mon site. Je décide donc de faire un générateur d’avatars, j’en reprends un qui existe, qui a été fait par quelqu’un, son nom m’échappe, je modifie les PNG pour pouvoir faire des petits chats et ça fait des chats aléatoires qui changent de couleur, qui ont des fourrures différentes, qui ont des yeux différents.

Laurent Costy : Des monocles, des choses comme ça, tout à fait.

David Revoy : Voilà ! C’est ce qui va animer mon site web et j’en fais une petite version, on dit standalone, c’est-à-dire qui marche sur une page comme ça, parce que très vite j’ai vu que des personnes mettaient des commentaires simplement pour voir quel chat elles allaient avoir. Je fais ça et très vite je vais faire aussi celui d’oiseaux, etc., et, à un moment donné, cette passion des NFT arrive.

Laurent Costy : On va expliquer. Il faut peut-être qu’on réexplique pour les personnes qui ne connaissent pas. Je vais essayer de résumer et vous compléterez. Les NFT c’est basé sur la blockchain et l’idée c’est d’attacher une signature à une œuvre, on va dire comme ça et, finalement, ce qu’on vous vend c’est la signature, ce n’est pas forcément l’œuvre puisque l’œuvre peut être dupliquée à l’infini.

Gee : En fait, c’est une tentative de recréer de la rareté dans le numérique. C’est-à-dire que si tu peins un tableau, on ne peut pas copier le tableau, on peut faire une photo, mais ce n’est pas la même chose. Là, on se dit « tiens, pour quelqu’un comme David ou moi qui faisons des dessins numériques qui sont copiables, il faudrait qu’il y ait de la rareté ». Je ne suis pas forcément d’accord avec ce postulat de départ, mais admettons. Oui, effectivement, c’est basé sur la blockchain. NFT ça veut dire non-fungible token, en gros c’est un jeton que tu ne peux pas copier. L’idée c’est que chaque jeton va être attaché à une image et c’est censé te garantir la propriété de l’image. Sauf que, comme tu l’as dit, c’est du numérique, l’image reste copiable, le seul truc que tu ne peux pas copier c’est le jeton.
Pour moi, en fait, on est sur le cœur du problème qui n’est pas tant technique : la problématique du droit d’auteur et du droit tout court est un problème qui est principalement social ou culturel. En fait, il faut que tu aies une adhésion à l’autorité, il faut que tous ensemble on se dise que les NFT c’est bien, qu’on considère que c’est quelque chose qui a de la valeur, ce qui n’est pas le cas ; il y a plein de gens, moi compris, qui trouvent que ça n’a aucune valeur. Ensuite il faut avoir des moyens de coercition et des moyens de faire respecter. C’est-à-dire si quelqu’un copie l’image protégée par le NFT, il y ait une autorité, une police, je ne sais pas, qui aille faire respecter la loi. Là c’est pareil, pour le moment ce n’est pas reconnu ! Bref !

Laurent Costy : Sans compter tous les problèmes liés à la question énergique puisque la blockchain, etc., on ne va pas revenir sur ce sujet-là parce qu’on a d’autres choses à dire plus intéressantes, mais on peut résumer ce qui a été mis dans le chat : « NFT = caca ». Les gens autour de la table sont un peu convergents sur cet avis.

David Revoy : J’aime beaucoup ce résumé. J’adhère.
Très vite, ils voient que les gens qui mettent des NFT, donc qui mettent des dessins dans cette base de registre notariale 2.0, on va dire, se disent « on peut en mettre plein, il suffit d’avoir des choses pour générer ». On va mettre des têtes de gorille, on va mettre des je ne sais quoi, et un va se dire « je sais qu’il y a un petit générateur de chats sympas, qui est sous licence libre, donc je vais générer », je ne sais pas, je ne me souviens plus combien il en avait généré, 10 000 ou 20 000 chats.

Gee : David, j’ai oublié de préciser que, de fait, cet outil NFT est principalement un outil de spéculation aujourd’hui, c’est pour ça qu’il y a de la génération d’images dans tous les sens parce que ça permet de créer de la valeur artificiellement.

David Revoy : Sur le principe des cartes à collectionner. On va dire quel chat on va pouvoir réserver, ça sera mon chat soi-disant unique, avec sa plaque d’immatriculation dans cette base de registre notariale faite par cette blockchain. Un utilisateur a fait comme ça, je ne sais pas, 10 000 chats et il a commencé à avoir des ventes à droite à gauche et à avoir une petite somme d’argent. Sauf que c’était mis en mon nom et, quelque part, la licence libre Creative Commons Attribution lui permet. C’est ça le problème ! Après il n’y avait que mon droit moral pour dire « NFT = caca, moi caca je ne veux pas pour mon travail, donc droit moral ». Mais le droit moral est une règle qui est assez francophone et ça coûte beaucoup de temps de lancer un procès contre quelque chose comme ça, surtout contre quelqu’un qui n’est pas là. J’ai donc fait ce que ferait quelqu’un qui n’a pas beaucoup de recours et qui est un peu dans un coin, j’ai fait un bon gros blog sur lequel j’ai exprimé ma colère.

Laurent Costy : Ce sera aussi sur la page de l’émission, évidemment.

David Revoy : Un bon matin je me suis dit « là, il y a un gros foutage de gueule. Aujourd’hui je comptais dessiner des petites sorcières avec leurs chats et m’amuser à ça, mais là je ne peux pas, je suis pollué intérieurement, il faut que je vide ça sur le blog. » J’ai donc poussé ma gueulante en disant « surtout n’achetez aucun NFT qui est fait à mon nom ou à mon art ». Parce qu’il y avait aussi des pages de Pepper&Carrot, il avait aussi pas mal d’autres choses en NFT qui sont vues à l’époque.

Laurent Costy : N’achetez aucun NFT en fait !, de manière générale.

David Revoy : C’est vrai que j’aurais pu dire carrément ça. C’était plus pour dire « si vous respectez mon travail, c’est-à-dire si vous regardez au moins le blog, que vous le lisez, sachez que ça ne fait pas partie de la maison. »

Laurent Costy : C’était important que tu fasses cette page pour lutter contre la connerie humaine, puisqu’on a vu, dans la chronique précédente, que ça date de très longtemps et qu’on n’en est pas sortis, à priori.

David Revoy : La connerie humaine !

Laurent Costy : Oui, c’est ça, exploiter le travail des autres. Bref !
En tout cas merci pour cet éclairage. C’est vrai que ça ne résout pas, ces questions de licences ne sont jamais terminées, ça interroge toujours. La question de la licence est toujours un combat quotidien, quelle licence libre choisir selon les quatre libertés initiales, etc. On voit bien que ça ne protège pas de tout et que ça ne suit pas forcément le cours qu’on aurait souhaité. En tout cas, je trouve que tout le travail que vous faites est remarquable et la voie que vous tracez par rapport à tout ça.

David Revoy : C’est gentil, merci.

Laurent Costy : C’est bien qu’on ait un peu de temps et une audience pour le dire.
On approche doucement, tranquillement de la fin, on n’a pas encore abordé la question des finances. Je trouve qu’il faut que vous en parliez, ça me semble extrêmement important. Vous abordez justement la question du financement complètement à l’envers des façons qu’on veut nous imposer. Je veux bien que vous en parliez respectivement. Tu commences Gee.

Gee : Ça ne fait pas super longtemps que j’ai commencé à essayer vraiment d’en vivre, donc je n’en vis pas encore. Pour le moment, je vis surtout sur mon épargne qui vient du fait que j’avais plutôt un bon boulot, qu’il y a eu une crise Covid qui a fait que je ne suis pas parti en vacances, que je ne suis pas allé au resto pendant longtemps, beaucoup de monde est dans mon cas, il faut être honnête, mais petit à petit ça vient. En général, quand je veux le résumer, je le résume en trois points : il y a un financement du passé, un financement du présent et du futur.
Le financement du passé, c’est le fait que j’ai publié des bouquins, que ces bouquins existent, qu’ils continuent à être vendus régulièrement, c’est une rente. Ce n’est pas vraiment une rente parce que si je compte les heures de travail passées à ces bouquins, elles ne sont pas encore remboursées, même au Smic, mais c’est quand même un financement qui vient même s’il n’y a plus de travail à faire.
Le présent, le principal c’est le financement participatif et je crois que pour David c’est un peu la même chose. Ce sont des gens qui donnent volontairement des sous pour des œuvres qui sont gratuites, ce que je trouve vraiment chouette et assez incroyable. Je présente ça en disant que quand tu achètes un bouquin sous copyright classique tu l’achètes pour toi et quand tu fais un don à quelqu’un qui fait de l’art libre, en fait tu l’achètes pour tout le monde.
Très vite, le financement du futur, j’en parlais tout à l’heure, je le dis un peu entre guillemets, c’est quand quelqu’un me commande quelque chose. Dans ce cas-là, le gros avantage c’est que je peux facturer exactement les heures de travail que j’ai passées dessus, ce qui n’est pas le cas pour le reste où là c’est un petit peu au petit bonheur la chance.

Laurent Costy : D’accord. Merci pour cet éclairage. C’est sur la page ptilouk.net.

Gee : Sur ptilouk.net, il y a effectivement différents moyens de me faire des dons, ce sont principalement des questions de plateformes, c’est Tipeee, uTip, LiberaPay et PayPal.

Laurent Costy : Tu mets aussi une jauge qui permet aux gens de se situer.

Gee : C’est venu petit à petit. Je me suis rendu compte qu’on croit toujours qu’on communique assez et, en fait, c’est rarement vrai. Je me suis rendu compte que peu de gens savent exactement quelle est ma situation, ce que je fais. Du coup, je fais régulièrement des articles que j’appelle les « Quoi d’neuf » où je dis où j’en suis, ce que je fais, sur quoi je travaille et, à chaque fois, il y a un bilan sur les finances avec une petite jauge qui dit « j’en suis là, là j’ai atteint l’objectif que je me suis fixé. » Pour le moment l’objectif c’est 1 600 euros par mois et j’en suis encore relativement loin. Je me rends compte que le fait de communiquer là-dessus, mine de rien ça augmente un petit peu les dons, parce que beaucoup plus de gens se rendent compte qu’il y a besoin de donner.

Laurent Costy : C’est important. C’est vrai que ça demande du temps supplémentaire de communiquer, évidemment.
David, est-ce que tu peux nous raconter un peu comment ça se passe de ton côté ? J’ai vu la comparaison entre les premières pages de Pepper&Carrot avec l’appel aux dons avec PayPal et les dernières où il y a un peu plus de monde en fait.

David Revoy : Au tout début, je me suis lancé dans Pepper&Carrot en me disant que mon but, dans la vie, c’est maintenant de faire simplement de la BD parce que je suis en burn-out, donc je la fais comme ça sur mon blog et je vais continuer ma carrière free-lance à côté. La monétisation n’est entrée en compte qu’à partir de l’épisode 3 où j’ai dit aux personnes « là ça suffit, j’ai un boulot à côté, ça me prend beaucoup de temps, je ne peux pas faire ça comme ça, sur le temps des week-ends. » À ce moment-là est arrivé Patreon. C’est un outil fait pour les youtubeurs, à la base, qui commençaient à perdre un peu d’argent parce que les revenus publicitaires commençaient à baisser pour eux, donc ils font un outil de donation. Je trouve que c’est bien de l’avoir pour la bande dessinée aussi, donc je me l’approprie à ce moment-là. Très vite, il va y avoir d’autres plateformes qui vont copier un peu le principe, Tipeee puis LiberaPay aussi, l’alternative libre qui va arriver dedans.

Actuellement je vis de Pepper&Carrot depuis le moment où j’ai mis la monétisation. Ce n’est pas tout à fait vrai, parce que j’avais mis de l’argent de côté, je crois que j’avais mis 10 000 euros de côté que j’ai injectés au fur et à mesure quand j’étais malade, quand je n’arrivais pas à suivre le rythme, pour faire tampon. En fait, je touche une cagnotte quand je sors un épisode. Les premiers épisodes, quand il n’y avait que 500 euros qui tombaient pour un épisode, alors que j’y avais passé deux mois, on voit très vite qu’il fallait un tampon. Mais j’y croyais et, de toute façon, au niveau énergie, je n’étais capable de faire que ça, donc je me donnais à fond là-dedans.
On est quand même arrivé assez vite à une cagnotte qui me permettait de faire des épisodes, mais le niveau technique et puis tout ce qui est le système de traduction et compagnie a très vite fait que le projet a pris énormément d’ampleur au niveau de la somme de travail. Maintenant je suis obligé de prendre deux ou trois mois pour faire un épisode, la cagnotte va être à peu près de 3 000 euros actuellement quand je fais un épisode, mais si on divise sur les trois mois de boulot, voire plus, oui, actuellement je galère toujours plus ou moins.

À côté de ça, j’ai fait l’édition papier anglaise, ça fait une petite source de revenus passive, maintenant que c’est fait ce sont des albums qui se vendent ; il y a la petite boutique. Tout ça va être assez pour couvrir des frais genre serveurs, des frais d’abonnements de ci, de ça, ce ne sont pas non plus encore des gros fleuves, mais ça s’ajoute et ça aide.

C’est un peu la situation. Dernièrement, je fais aussi ces illustrations en commission pour Framasoft et ça m’aide beaucoup, justement entre les épisodes, à avoir aussi une petite source de revenus sur laquelle je peux compter, à ce moment-là, pour faire tampon entre les épisodes de Pepper&Carrot.

Laurent Costy : Si j’offre, par exemple, une BD marquée Glénat à ma nièce, tu touches au nombre d’albums ? Comment ça remonte finalement à l’auteur ?

David Revoy : Ça ne remonte pas, simplement !

Laurent Costy : Je voulais que ce soit clair.

David Revoy : Vous allez avoir, par exemple, un prix très intéressant en librairie sur les albums Pepper&Carrot, ils ne sont pas à 14 ou 13 euros, ils sont dans les 10 et quelques. Il y a justement la part qui devrait me revenir en tant qu’auteur qui est déjà amputée quelque part. Il y a déjà ça qui permet de faire l’album un peu moins cher. Glénat, eux, sont mécènes, comme je l’avais dit. Quand je vais sortir un nouvel épisode, ils sont mécènes à hauteur de 950 dollars actuellement, mais ils peuvent le retirer du jour au lendemain. Il y a eu une anecdote l’an dernier comme quoi ils n’avaient pas mis à jour leur carte bancaire, parce que je sors des épisodes très rarement et les cartes bancaires expirent beaucoup plus vite que mes épisodes ! Je me suis dit « ils se sont retirés, mince ! C’est un tiers du budget Pepper&Carrot qui part », j’étais un peu au fond du seau, et ils m’ont dit « non c’est simplement la carte bancaire qui a expiré ». Tout repose sur la confiance. Ils augmentent au fur et à mesure leurs ventes, mais c’est un peu à leur bon vouloir, je n’ai pas de regard sur les ventes. On m’a annoncé 15 000 exemplaires. Je ne sais pas combien de plus ça peut être vendu. On m’a annoncé ça il y a deux ans.

Laurent Costy : Il vaut mieux te soutenir directement sur le site ?

David Revoy : Oui, quand je fais des dédicaces, j’en parle aux personnes et je leur dis « si vous voulez soutenir la série, c’est bien d’acheter l’album parce que ça aide Glénat à m’aider », les 950 dollars ne sont pas magiques, ils ne sortent pas de rien. Ils prennent le temps, ils assurent aussi, peut-être qu’il y aura un tome 5 avec eux, tout ça. Ce n’est pas mal, mais c’est vrai que pour m’aider directement à faire ma vie quand j’ai le nez bouché comme maintenant parce que je suis malade ou des trucs comme ça, c’est sur Patreon, Tipeee. C’est surtout l’aide récurrente : par exemple, des personnes décident de donner de manière inconditionnelle sur le site LiberaPay quoi que je fasse, c’est-à-dire même quand je travaille pour autre chose, ça marche par mois.

Laurent Costy : Ça donne de la perspective, c’est extrêmement important.

David Revoy : Elles ne sont pas nombreuses, mais c’est un petit socle qui revient fréquemment et ça aussi c’est très important pour moi. C’est assez variable.

Laurent Costy : Merci pour cet éclairage. Je pense que c’est extrêmement important d’éclairer aussi la question financière quand on s’engage pour le Libre, comme ça les gens comprennent mieux, parce que, finalement, tous ces montages ne sont pas si simples que ça à comprendre.
Encore une fois on se rapproche de la fin, il ne nous reste même pas dix minutes.
Gee voulait nous parler d’un projet qui est en phase de finalisation, profites-en.

Gee : Tu voulais nous demander nos projets plus ou moins proches. En ce moment, j’ai un petit peu la tête dans ce truc, un jeu vidéo que je développe qui s’appelle Superflu Riteurnz, c’est volontairement mal prononcé, ça s’écrit en phonétique « Riteurnz ». Superflu est un super héros de bande dessinée que j’avais créé il y a quelques années. Au début j’ai dit que je fais beaucoup de choses, j’ai mis « artiste multimédia », parce que je fais du dessin, de l’écriture, de la musique, tout ça. Ce projet-là me tient vraiment à cœur parce que c’est la première fois que je peux mettre toutes mes compétences au service d’un seul truc. D’habitude, quand je fais de la musique, ça n’intéresse pas forcément les gens qui lisent mes BD, quand je fais de l’écriture pareil. Là, en fait, il y a tout, c’est-à-dire qu’il faut que je fasse des dessins et des animations pour le jeu, il va y avoir forcément des musiques, il y a énormément de développement et je suis développeur informatique de formation. Je me dis que c’est la première fois que tout ça sert à quelque chose, parce que, souvent, les choses ne te servent qu’au moment où tu t’en sers. Ça fait pas mal de temps que je bosse dessus, je suis un peu dans le sprint final. J’espère que ça va marcher, pour le moment je suis assez fier de ce que j’ai fait.

Laurent Costy : Tu vas nous donner une date à la radio, ce qui t’obligera à la tenir.

Gee : Je l’ai déjà repoussée plusieurs fois. Techniquement j’avais dit mai, probablement le 15 mai.

Laurent Costy : D’accord. On ne t’en voudra pas si c’est encore un peu décalé. On te souhaite de le sortir pour le 15 mai.
David, par rapport aux projets plus moins proches, j’imagine que tu as la tête dans Pepper&Carrot et que ça mobilise quand même la majeure partie de ton temps, sauf si tu as d’autres projets à nous signaler.

David Revoy : Non, je suis toujours en route dans le prochain épisode. Dans le chat, je vois une question disant ne pas piger l’argumentaire de Glénat par rapport à l’absence de rétribution à la vente. C’est-à-dire qu’est-ce qui empêcherait avec ma licence ce genre de fonctionnement ? En fait ça n’empêcherait rien du tout : quelqu’un peut avoir une licence libre et demander une rétribution à la vente, à l’album. C’est moi qui ai refusé, eux me l’ont offert par défaut, même après, c’est moi qui ai voulu que ce soit par épisode pour ne pas avoir une logique marketing, devenir un vendeur de papier. Je ne voulais pas finir chaque blog post par « et surtout achetez la version Glénat parce que ça me rapporte des sous » ou quelque chose comme ça. Je voulais être déconnecté de l’objet et ne pas être dans une ligne logique mercantile par rapport à un objet qui ne m’appartient pas, parce que là, après, il pouvait y avoir un jeu de pouvoir. Je trouve que dans cette relation que j’ai avec Glénat et qui marche bien c’est justement qu’on est un peu côte à côte, ils font l’album, je fais ça, mais il n’y a jamais eu « tu devais dessiner ça d’un côté » ou « tu devrais aller là en dédicace parce qu’on te paye ». Il n’y a jamais eu ce genre de prise d’otage, il n’y a jamais eu ça.

Laurent Costy : Tu te sens libre dans la relation. C’est précieux.

David Revoy : J’ai vraiment ce caractère d’indépendance et de rébellion qui fait que je ne pourrais même pas envisager la relation autrement.

Laurent Costy : Est-ce que c’est un caractère commun à tous les libristes ? On peut se le demander, j’aurais tendance à penser que oui.
On arrive, encore une fois à la fin de l’émission, il nous reste à peu près six minutes. Peut-être que vous pouvez parler d’un logiciel libre que vous avez envie de mettre en avant et éventuellement un coup de cœur BD puisqu’on a quand même parlé de BD.

Gee : Au début je m’étais dit que j’allais parler d’Inkscape parce que c’est le logiciel de dessin vectoriel que j’utilise pour les BD, mais il est assez connu. Je voudrais évoquer un logiciel qui mériterait d’être beaucoup plus connu tellement il est super, c’est Ardour. C’est un logiciel qui permet de faire de la MAO, de la musique par ordinateur. On va dire que c’est une alternative à Pro Tools ou Cubase, je n’ai jamais utilisé ces logiciels, mais je sais que c’est ça qui est connu. On reproche souvent au logiciel libre d’être un peu mal fini, mal foutu ou d’avoir une interface pas très pratique, mais je trouve qu’Ardour glisse vraiment entre les doigts. Il y a un éditeur midi intégré qui est fabuleux. Pour quelqu’un qui fait de la musique c’est vraiment super.
BD, du coup, BD coup de cœur. Ça va peut-être t’étonner : je fais de la BD, mais j’en lis peu. En ce moment je suis dans une phase un peu nostalgique, je relis les Spirou et Fantasio parce que c’était ma BD préférée quand j’étais petit. Hier j’ai lu L’Horloger de la comète, de Tome et Janry, qui date des années 80, ce sont un peu les BD de mon enfance, super BD où Spirou retourne dans le passé avec le descendant du Comte de Champignac. J’adore ! Les dessins sont magnifiques et, au niveau du scénario, c’est vraiment un équilibre entre aventure et humour que je trouve fabuleux.

Laurent Costy : Merci pour ce petit coup de cœur. J’ai un très bon souvenir de QRN sur Bretzelburg qui doit être l’épisode 18.

Gee : C’est du Franquin pour le coup.

Laurent Costy : Oui, c’est du Franquin, tout à fait.
David.

David Revoy : Pour ma part, le logiciel de dessin que j’utilise à peu près pour tout, qui m’accompagne, c’est Krita, krita.org, c‘est là-dessus que je vais faire à peu près tout Pepper&Carrot avec Inkscape pour les textes.

Laurent Costy : Et plein de tutoriels sur ton site, pour les gens qui voudraient débuter, c’est extrêmement intéressant.

David Revoy : Oui, j’ai aussi une petite chaîne sur YouTube et PeerTube, sur les deux, où j’essaie de partager vraiment tous ces trucs-là. Par contre c’est en anglais, pour nos auditeurs et auditrices il faut savoir, c’est comme ça. Je le fais en anglais pour pouvoir toucher plus de personnes, ce n’est pas vraiment une volonté d’exclure les Français.
Le logiciel que je voulais mettre en avant, un plus petit logiciel, c’est BeeRef, ça s’écrit comme bee, l’abeille en anglais, et « Ref », qui permet de coller des références d’images et c’est très important pour pouvoir organiser des idées de façon visuelle, mettre plein de petites images comme ça. Quand je fais des concepts art sur un épisode ou quelque chose comme ça, j’adore ce petit logiciel, c’est un peu le petit logiciel du moment. J’ai peur qu’il ne passe pas la barrière de Qt 5 à Qt 6 pour des questions techniques. Si des gens s’y connaissent, merci de contribuer parce que je ne sais pas s’il est maintenu, ça me fait peur que ce genre de petit outil en or disparaisse comme ça.

Laurent Costy : D’accord. J’ai découvert l’outil à l’occasion de la préparation de l’émission. Intéressant, merci pour ce pointage.
Il vous reste chacun une minute pour dire une chose que vous n’avez pas eu l’occasion de dire et que vous avez envie de dire.

Gee : David n’a pas dit sa BD coup de cœur.

Laurent Costy : Pardon, j’ai coupé David.

David Revoy : Ma BD coup de cœur, je ne sais pas comment l’expliquer, c’est Family Compo de Tsukasa Hojo. C’est le dessinateur qui a fait City Hunter. C’est un manga en 14 tomes, c’est simplement génial, je ne veux pas dire plus.

Laurent Costy : Ça m’intéresse, je veux bien la référence, je lis un peu de BD, j’aime bien.

David Revoy : Je la noterai dans le chat. Un petit mot, je voulais vraiment remercier toute la communauté Pepper&Carrot parce que, sans eux, je ne serais pas là à parler.

Laurent Costy : Très bien. Merci.

Gee : Un petit mot : allez voir ce qu’on fait, allez voir ce que fait David, allez voir ce que je fais, soutenez-nous si vous pouvez. Un truc qu’on n’a pas évoqué : avec David on a un petit jeu en ce moment sur Mastodon. Ça avait commencé par un délire : j’avais dessiné une parodie de Pepper&Carrot, il m’a répondu avec une espèce de parodie de Superflu, du coup on mélange un peu les deux univers dans un jeu de ping-pong, comme ça, et on s’amuse bien.

Laurent Costy : J’ai raté, à aller voir. Très bien.
Merci à tous les deux d’avoir passé du temps avec nous aujourd’hui. Je trouve que c’était extrêmement riche et intéressant d’approcher la BD par la culture libre. Je vais repasser la parole à Isabella.

Isabella Vanni : Tout à fait. J’allais demander à mon collègue Étienne d’ouvrir le micro, tu m’as précédé.
Je suis contente de savoir qu’il y a eu cet échange sur les réseaux entre David et Gee, justement une question m’était venue à l’esprit : est-ce que vous avez déjà fait quelque chose ensemble ?, et c’est arrivé presque par hasard, c’est marrant ! Pourrez-vous mettre aussi les références ? J’aimerais voir ce fil que j’ai raté.

Gee : De mémoire il a le hashtag #ComicsBattle.

David Revoy : On mettra les références, pas de souci.

Isabella Vanni : Super. Merci à nos invités pour ce bel échange, merci à Laurent pour l’avoir préparé et animé. Nous allons maintenant faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Après la pause musicale nous écouterons la chronique de Luk qui s’appelle « La pituite de Luk ». Elle est aussi consacrée à ChatGPT comme déjà la chronique de Laurent et Lorette Costy.
Pour le moment nous allons écouter Cat Machine par Dag-z. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Cat Machine par Dag-z.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Cat Machine par Dag-z, disponible sous licence Art Libre.

[Jingle]

Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni de l’April. Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur Cause Commune. Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

« La pituite de Luk » sur le thème « ChatGPT, conformisme et gros business »

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec « La pituite de Luk » qui porte elle aussi sur ChatGPT, le titre exact de la chronique d’aujourd’hui étant « ChatGPT, conformisme et gros business ». La chronique a été enregistrée il y a quelques jours. Nous allons l’écouter et on se retrouve juste après

[Virgule sonore]

Luk : Salauds de grévistes ! À cause d’eux, ça fait un bail que je n’ai pas écrit de pituite. J’ai à peine eu le temps de me moquer du nom de ChatGPT. Je sais, c’est facile mais maintenant c’est trop tard pour ricaner sans avoir l’air d’être un demeuré.

Je n’ai pas été surpris d’apprendre que le bidule flatule des informations fausses ou contradictoires en fonction du vocabulaire employé. Ce machin génère des foutaises au kilomètre à partir de l’existant.

À mes yeux, la principale caractéristique de ChatGPT est d’étendre le domaine de nuisance des spams. Mieux que le confinement qui a poussé une maison d’édition à s’avouer vaincue et à demander à tous les auteurs en herbe de ne pas leur envoyer leur manuscrit, car ils n’avaient tout simplement pas le temps de les lire, ChatGPT est utilisé pour spammer Amazon avec des bouquins bidons, juste assez crédibles pour être achetés sur un malentendu. On découvre des nouveaux exemples de ce type tous les jours !

Même difficulté dans le domaine des études. Avant, les mauvais étudiants copiaient-collaient Wikipédia ou quelques textes de référence trouvés sur Internet. Les plus audacieux tentaient la traduction automatique de texte écrits dans une autre langue. Maintenant, les textes ne sont plus les mêmes et, pour faire la différence, il faut considérer que les textes qui contiennent le plus de fautes sont les originaux. Comme quoi la baisse du niveau scolaire a ses vertus. Mais bon ! Les IA pourraient tout aussi bien être un gain de temps pour les profs : ils pourraient fournir à leurs étudiants un tissu de foutaises générées, en leur demandant de relever et expliquer tout ce qui est faux.

La génération par des IA menace de se répandre partout. Comme pour le spam, générer du bruit est bien plus rapide que de faire le tri. Notre vie, à l’avenir, sera un peu comme regarder un blockbuster américain : une structure toujours identique, un enchaînement des faits incohérents et un conformisme de bon aloi.

En matière de conformisme, le barycentre californien de la tech semble tenir le bon bout. YouTube a commencé à démonétiser les vidéos contenant des grossièretés. Je n’ai sans doute pas des millions d’auditeurs mais moi, à la radio, je peux dire tous les gros mots que je veux : caca, merde, chiasse, Microsoft Teams !

Alors bien sûr, ça a couiné et ils ont fait la promesse de réviser leur politique. Les grossièretés n’ont pas le même sens, ni le même usage, en fonction des langues et du contexte ; pas besoin d’être un génie de la linguistique pour savoir ça ! Et puis leur justification de ne pas froisser les annonceurs est bidon. Adepte de pratiques extrêmes que je suis, j’ai revu un téléfilm français en prime time pour la première fois depuis 25 ans et le héros y utilisait constamment des grossièretés. Les pages de pub étaient pourtant bien garnies.

Si TF1 a pigé le truc, comment se fait-il que nos génies du business digital aient pu penser que bannir des mots allait résoudre un quelconque problème ? Simple différence culturelle ? J’ai du mal à y croire, tant le « fuck » a été prononcé dans le cinéma américain.

En tout cas, le conformisme, encore lui, semble frapper avec la vague de licenciements qu’on observe chez les GAFAM. J’avais espéré que ces boîtes connaissent ou anticipent des difficultés. Un universitaire de Stanford pense que c’est par pur mimétisme. Si les copains virent, faudrait peut-être faire pareil ? Virer les gens, c’est facile, c’est mesurable, c’est pratique pour calculer les bonus.

Donc, au final, ChatGPT ou décision de VP bronzés de la Côte Ouest, le résultat n’est pas si différent. Si ça se trouve, ils ont déjà délégué leur boulot à une IA. Ou alors, comme je l’avais annoncé il y a un petit moment, une IA a pris le contrôle.

Mais bon ! Et si ces IA génératives étaient finalement salutaires ? Elles nous tendent le miroir de notre propre fadeur, de notre conformisme, des poncifs constamment ressassés qui suffisent à nourrir notre quotidien.

Si, à l’avenir, nous devons nous faire spammer constamment et partout, cela veut dire qu’il faudra être plus imaginatif, maîtriser notre culture, contrôler nos propres réseaux de confiance et faire vivre nos communautés.

[Virgule sonore]

Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur radio Cause Commune. Nous venons d’écouter la chronique « La pituite de Luk », consacrée aujourd’hui à ChatGPT.

Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Isabella Vanni : Dans les annonces aujourd’hui, nous sommes très contents et contentes de vous annoncer que les vidéos de l’édition 2022 de Capitole du Libre, qui est un événement libriste majeur ayant lieu chaque année en novembre à Toulouse, sont désormais en ligne. Vous pouvez déjà les trouver sur YouTube et, à venir, sur PeerTube.

La première instance Mastodon dédiée aux collectivités territoriales est née. Nous saluons cette très belle initiative du SITPI, le syndicat intercommunal de mutualisation situé dans l’agglomération grenobloise.

En mars et avril 2023 auront lieu les Journées des libertés numériques, un événement pour comprendre les enjeux de technologie et culture numérique avec les bibliothèques universitaires, notamment de Nantes. L’Expolibre, qui a été réalisée par le groupe Sensibilisation de l’April, sera notamment exposée du 1er au 31 mars.

Le 2 mars, à partir de 19 heures, au Papier Timbre à Rennes, l’association Actux organise un apéro-rencontre. Magali Garnero alias Bookynette, présidente de l’April, y sera présente.

Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois, à partir de 19 heures, dans ses locaux à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. Une réunion d’équipe ouverte au public, avec apéro participatif à la clé, occasion de découvrir le studio, de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée-rencontre aura lieu le vendredi 3 mars, donc vendredi qui arrive, et mon collègue Frédéric Couchet, délégué général de l’April, sera présent à cet apéro.

Le Libre en Fête débute officiellement ce samedi 4 mars 2023. Des événements de découverte sont proposés partout en France, dans une dynamique conviviale et festive, pour sensibiliser le grand public aux enjeux de l’informatique libre et de la culture libre, jusqu’au dimanche 2 avril. Vous pouvez consulter le site libre-en-fete.net pour trouver les événement près de chez vous.

Et je vous invite, comme d’habitude, à consulter l’Agenda du Libre pour tous les autres événements en lien avec le logiciel libre ou la culture libre près de chez vous.

Notre émission se termine. Comme vous pouvez le constater, le générique a été lancé par mon collègue.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : David Revoy, Gee, Laurent Costy, Lorette Costy, Luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, mon collègue Étienne.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Samuel Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpera le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio causecommune.fm.

N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

Il n’y aura pas d’émission inédite mardi 7 mars. La prochaine émission Libre à vous ! aura lieu en direct mardi 14 mars à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur le système libre de gestion de bases de données PostgreSQL, il faudrait inventer un autre nom plus facile à prononcer !

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 14 mars. Et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission :Wesh Tone par Realaze.

Média d’origine

Titre :

Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 février 2023 sur radio Cause Commune

Personne⋅s :
- David Revoy - Gee - Isabella Vanni - Laurent Costy - Lorette Costy - Luk
Source :

Podcast

Lieu :

Radio Cause Commune

Date :
Durée :

1 h 30 min

Autres liens :

Page de présentation de l’émission

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure.
Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’aimable autorisation d’Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.