Émission Libre à vous ! diffusée mardi 23 février 2021 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Des villages qui s’engagent pour le logiciel libre, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme « Conception de logiciels et réglementation des données personnelles » et enfin « L’histoire étrange du Komongistan ». Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Vous êtes sur la radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes le 23 février 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, ma collègue Isabella Vanni. Salut Isa.

Isabella Vanni : Bonjour.

Étienne Gonnu : si vous souhaitez réagir, poser une question pendant ce direct, n’hésitez pas à vous connecter sur le salon web de la radio. Pour cela rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous ensuite sur le salon dédié à l’émission.

Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Passons tout de suite à notre premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « In code we trust » de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, sur des points de vigilance liés au Règlement général sur la protection des données (RGPD) lors de la conception de logiciels

Étienne Gonnu : Nous allons commencer par la chronique « In code we trust » de Noémie Bergez qui va nous parler aujourd’hui, si j’ai bien compris, des points de vigilance relatifs au Règlement général sur la protection des données, le fameux RGPD, lors de la conception de logiciels.
Bonjour Noémie. Je te laisse la parole.

Noémie Bergez : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
La chronique de ce jour est consacrée aux points de vigilance en matière de protection des données lors de la conception de logiciels.
C’est vrai que porté par un projet, par son objectif, on peut en oublier un principe essentiel du Règlement général sur la protection des données, le fameux RGPD du 25 mai 2018. Ce principe c’est celui « de protection des données dès la conception », on l’appelle également le privacy by design. Ce principe est souvent associé à un autre principe que l’on retrouve dans le Règlement général sur la protection des données, « le principe de protection des données par défaut ».

On peut déjà se poser la question : ces deux principes, sur quelles têtes reposent-ils ?
Ils reposent sur le responsable du traitement, c’est-à-dire celui qui va déterminer les moyens et les finalités du traitement et aussi sur la tête et les épaules du développeur, puisque c’est lui qui va être amené à développer une application, un logiciel, et il va falloir qu’il n’oublie pas de développer cette application, ce logiciel, au regard de ces deux grands principes.

On retrouve ces principes au considérant 78 du RGPD. Il nous explique que la protection des données des personnes, la protection des droits et des personnes, exige l’adoption de mesures techniques et organisationnelles appropriées pour garantir que les exigences du RGPD sont respectées. Ce considérant 78 va plus loin puisqu’il explique que le responsable du traitement doit adopter des règles internes et mettre en œuvre des mesures qui respectent en particulier les principes de protection des données dès la conception et de protection des données par défaut.

À quel stade ces principes doivent-ils être respectés ?
Ils doivent être respectés lors de l’élaboration, de la conception, de la sélection de l’utilisation d’applications, de services et de produits qui reposent sur des traitements de données à caractère personnel : un nom, un prénom, une adresse électronique. À partir du moment où on est face à des services qui traitent de données à caractère personnel, il ne faut pas oublier de tenir compte de la protection des données lorsqu’on les développe voire lorsqu’on va souscrire à ces services.

L’article 25 du RGPD va plus loin pour définir ces grands principes de protection dès la conception et de protection par défaut. Cet article 25 nous expose que le responsable du traitement doit mettre en œuvre au moment de la détermination des moyens du traitement, mais aussi au moment du traitement lui-même, des mesures techniques et organisationnelles appropriées. On en revient toujours à ce qui était prévu dans le considérant 78, mais là on a des exemples parce que ça peut être la pseudonymisation ; ça peut être également la minimisation des données, c’est-à-dire garantir qu’on ne collecte que les données qui sont nécessaires pour l’application, le logiciel. L’idée, encore une fois, c’est de protéger les droits de la personne concernée dont les données sont traitées. Ça c’est pour la protection dès la conception.
Pour la conception par défaut, là c’est une autre division du développement. C’est là où le responsable du traitement doit mettre en œuvre des mesures toujours techniques et organisationnelles appropriées pour garantir que, par défaut, seules les données à caractère personnel qui sont nécessaires au regard de chaque finalité spécifique du traitement sont traitées. C’est-à-dire qu’en termes de quantité de données, en termes d’étendue du traitement et de durée de conservation et d’accessibilité, on doit s’assurer qu’on est dans un cadre qui est acceptable, qui est nécessaire par rapport à l’objectif qu’on s’est fixé. Il ne faut pas qu’on traite plus de données, plus longtemps que l’objectif qu’on s’est fixé.
Donc, encore une fois, les mesures doivent garantir que par défaut les données à caractère personnel ne seront pas rendues accessibles à un nombre de personnes non déterminé ou à des personnes qui ne seraient pas autorisées à y accéder.
Voilà un petit peu cette présentation sur les deux grands principes de protection dès la conception, de protection par défaut.

Heureusement que la CNIL est aussi là pour nous accompagner. Elle rappelle que les développements informatiques doivent intégrer au plus tôt la protection de la vie privée au moyen, notamment, de la sécurité. L’idée c’est de protéger les données à caractère personnel lorsqu’on est en phase de développement informatique, évidemment dès la conception pour être respectueux de ces principes. Ça offre aussi une meilleure maîtrise sur les données qui sont collectées et ça permet aussi de limiter les erreurs, les pertes, les modifications non autorisées.
Pour cela, elle donne des conseils pour faire en sorte que ces principes qui sont très juridiques puissent être appliqués en pratique. Ça va notamment consister en des conseils sur des choix d’architecture — faire un choix d’une architecture décentralisée ou d’une architecture centralisée. Également des choix de fonctionnalités pour, peut-être, anonymiser les données ou les minimiser en termes de collecte, voire de les chiffrer.
Elle recommande également, quand on développe une application, de veiller au public qui est visé, à savoir est-ce que cette application va s’adresser à un grand public, auquel cas c’est vrai qu’il faut faire analyse pour justement s’assurer que les paramètres relatifs à la vie privée, au paramétrage par défaut, puissent être facilement mis en place. Si le public visé est un public d’enfants, évidemment, une vigilance accrue pour protéger leurs données à caractère personnel.
Elle propose également des conseils à mettre en œuvre au moment de la phase de test, c’est-à-dire choisir, quand on est en phase de test, un environnement informatique qui va être distant de celui de la production pour éviter les piratages, les problèmes qui pourraient se passer. Faire des tests sur des données fictives ou anonymiser. Évidemment éviter au maximum d’utiliser des données réelles quand on est en phase de test.
Voilà un petit peu des petits exemples concrets qu’elle peut donner pour accompagner les développeurs lorsqu’ils sont en phase de développement et qu’ils ont aussi cet objectif de respect du principe de protection dès la conception et de protection par défaut.

Il est intéressant de relever aussi qu’en 2019 la CNIL avait proposé un kit développeur avec un certain nombre de recommandations toujours très pertinentes qui s’est un petit peu transformé puisque, en 2020, ce kit développeur est devenu le guide RGPD pour les développeurs, un guide de bonnes pratiques sous licence libre qui a vocation à être enrichi par les professionnels. Il va proposer des conseils, des bonnes pratiques, des clés de compréhension du RGPD pour tous les acteurs, notamment les développeurs, avec un grand nombre de systématiques, je crois qu’il y en a 16, qui permettent vraiment aux développeurs d’aller puiser des informations quand ils sont au stade du développement pour que ce soit conforme au RGPD, quand ils doivent aussi identifier les données personnelles qu’ils vont avoir à traiter, quand ils préparent leur développement, quand ils veulent sécuriser l’environnement de développement.
Il y a également des conseils sur la sécurité des sites internet, sur le fameux principe de minimisation des données collectées, de gestion des utilisateurs.
Des conseils aussi pour tester les applications, pour informer les personnes. Préparer aussi à l’exercice des droits des personnes, gérer les durées de conservation.
En réalité, ces bonnes pratiques permettent vraiment, du développement jusqu’à la phase de lancement, de s’assurer qu’on n’a pas oublié une étape dans le cheminement de révision du RGPD.
Encore une fois, ces bonnes pratiques vont encore évoluer. Ce sont vraiment des documents qui sont en cours d’élaboration, qui sont toujours actualisés, qui ne cessent d’augmenter.

Il faut également noter que la CNIL a proposé pour les designers, je trouve que c’est une initiative assez intéressante, une plateforme qui s’appelle Données & Design qui est un lieu d’échange pour les designers, pour qu’ils puissent justement échanger et obtenir des informations parce que, eux aussi, sont concernés par ces grands principes de protection dès la conception et de protection par défaut. Ça peut aussi être une source d’informations intéressantes.
Pour une source d’informations cette fois-ci un petit peu plus juridiques et un petit plus costauds, on va dire, on a aussi le Comité européen de la protection des données qui a publié un guide en 2019 sur ce fameux article 25 du RGPD. Ce guide, ces guidelines ont été modifiées en octobre 2020. C’est vrai que c’est plus juridique en termes de contenus, mais ça apporte aussi des informations sur justement la transparence, sur le stockage, sur la confidentialité. Ça peut être aussi une source d’informations pertinentes lorsqu’on est en train de développer un logiciel et qu’on s’intéresse à ces sujets, à ces principes.

Encore une fois, il ne faut pas négliger ces notions, ces grands principes qui doivent être appliqués dès le début de nos projets, des projets techniques.
C’est vrai qu’il y a une double vitesse. Comme le RGPD date de 2018, forcément, les projets qui ont été développés avant n’étaient pas soumis, eux, à ce principe de protection dès la conception. En réalité, ils ont aussi une analyse qui doit être menée pour s’assurer que, aujourd’hui, ils respectent bien les règles du RGPD.
Donc au final, ces grands principes s’appliquent à la fois aux développements nouveaux, mais aussi à ceux qui ont été créés avant l’entrée en vigueur du RGPD.

J’en aurai terminé sur mes explications sur ces grands principes et je vous invite à consulter le site de l’April avec toutes les références pour retrouver les sources pertinentes.
Je vous remercie et je souhaite à tous une très bonne après-midi.

Étienne Gonnu : Merci à toi Noémie et merci pour cette chronique très complète, qui elle aussi d’ailleurs, est, je pense, une excellente ressource pour se former à cette considération importante de la conception des logiciels qui intègre la protection des données.
Merci beaucoup Noémie, je te souhaite également une très bonne après-midi et je te dis peut-être au mois prochain.

Noémie Bergez : À très bientôt. Au revoir Étienne.

Étienne Gonnu : Au revoir.
Nous allons tout de suite faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Je vous propose aujourd’hui d’écouter Optimism par Minda Lacy. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Optimism par Minda Lacy.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Optimism par Minda Lacy, disponible sous licence libre Creative Commons, Partage dans les mêmes conditions, CC By SA, 3.0 je crois. Vous retrouverez les références sur causecommune.fm et sur april.org et les détails sur cette licence, justement.

Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Je suis Étienne Gonnu, en charge des affaires publiques pour l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Passons maintenant à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

L’engagement de deux villages, Louroux-de-Bouble et Ladevèze-Rivière, pour le logiciel libre

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur l’engagement de deux villages pour le logiciel libre, Louroux-de-Bouble, une commune de l’Allier d’environ 240 habitants et habitantes, et Ladevèze-Rivière, une commune du Gers d’une population d’environ 215 personnes.
J’ai le plaisir d’avoir avec moi par téléphone Cyril Cotonat, maire de Ladevèze-Rivière, et Pascal Baratoux, élu en charge du numérique de Louroux-de-Bouble.
Bonjour à vous.

Cyril Cotonat : Bonjour.

Pascal Baratoux : Bonjour.

Étienne Gonnu : Parfait. Nous avons eu quelques acrobaties avec le téléphone, aléas du direct. Je remercie ma collègue Isabella qui a parfaitement su gérer ces aléas.
Je précise à nos auditeurs et auditrices qu’ils peuvent intervenir et participer à notre échange en passant par le salon web dédié à l’émission sur le site causeconmmune.fm, bouton « chat ».

Je vais commencer par une question somme toute très classique : est-ce que vous pourriez vous présenter, s’il vous plaît, ainsi que votre commune ? Cyral Cotonat pour commencer.

Cyril Cotonat : Bonjour. Je m’appelle Cyril Cotonat, je suis maire de Ladevèze-Rivière, j’entame un troisième mandat. C’est une commune du sud du département du Gers, proche de Marciac, pas loin des Pyrénées, d’une population de 220 habitants.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup. Il me semble que vous m’avez dit que vous avez aussi, professionnellement du moins et au niveau personnel, une expérience justement de l’informatique, des enjeux qui s’y attachent.

Cyril Cotonat : Absolument. Je suis informaticien à l’université Paul Sabatier de Toulouse et je suis en charge du parc informatique de l’administration système et réseaux sur le site de l’IUT d’Auch qui est le chef-lieu du département du Gers.

Étienne Gonnu : Entendu. Merci beaucoup. Pascal Baratoux.

Pascal Baratoux : Bonjour. Pascal Baratoux. Professionnellement j’ai travaillé pendant plus de 20 ans dans des sociétés de services informatiques, des multinationales et, par choix privé, avec ma femme nous avons décidé de venir nous mettre au vert à Louroux-de-Bouble, comme vous disiez Étienne, dans l’Allier. Je suis élu au conseil municipal depuis le dernier mandat et je suis en charge, effectivement, du numérique.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup. On a déjà reçu dans Libre à vous ! des collectivités de différentes tailles, mais dont la population, en général, avoisinait plutôt plusieurs milliers de personnes. Du coup, je trouve justement très intéressant d’avoir aussi le retour de collectivités d’une autre échelle, certes plus petites, mais dont les besoins ne sont pas moins importants. Vous êtes tout autant responsables d’une mission de service public auprès de vos administrés. Je pense qu’il sera intéressant de voir, à travers cette émission et de nos échanges, ce qui va relever des besoins habituels des collectivités, les spécificités de collectivités comme les vôtres, notamment matériellement, dans l’exercice de vos missions. Et, au final, voir comment s’inscrit le logiciel libre dans cette démarche.
Vous avez tous les deux une expérience professionnelle relative à l’informatique, j’ai l’impression quand même d’une appétence pour les enjeux politiques sous-jacents à ces questions. J’aimerais bien, l’un et l’autre, peut-être en quelques mots, savoir ce qu’est pour vous le logiciel libre. Comment définissez-vous le logiciel libre ? Comment le présenteriez-vous à quelqu’un que vous rencontrez ? Pascal Baratoux.

Pascal Baratoux : Pour moi, le logiciel libre c’est une façon différente de voir le numérique. Je dirais que c’est plus de transparence. Peut-être, en un peu plus qu’en quelques mots, juste pour vous expliquer comment on l’a introduit à Louroux-de-Bouble, c’est tout simplement en discutant avec le nouveau maire – un changement de maire a eu lieu – et c’est la stratégie pour la commune, etc. Il disait : « Je voudrais que la commune soit plus proche de ses habitants, plus proche du consommer local, avec un développement plus responsable, éthique, etc. » Je lui ai dit : « Tu sais, au niveau du numérique, on peut aussi faire des choses de ce côté-là ». Il m’a demandé quoi. Donc j’ai dit : « Peut-être tout simplement en utilisant du logiciel libre, du Libre, de l’open source, puisque ça permet justement de se rapprocher, d’être plus transparent en termes d’utilisation du numérique. C’est consommer le numérique différemment. »

Étienne Gonnu : Super. Je pense que c’est une belle manière de définir le logiciel libre. Du coup, j’ai aussi envie de vous demander, avant de passer la parole à Cyril Cotonat, quelle a été votre rencontre avec le logiciel libre ? Comment avez-vous rencontré le logiciel libre ?

Pascal Baratoux : Comme je vous disais, j’ai travaillé très longtemps, quasiment tout le temps, dans des sociétés multinationales, en plus américaines. Là, le logiciel libre est très utilisé, au contraire de ce qu’on pourrait croire. L’ensemble de ce qu’on appelle le back-office, le back-end, les serveurs, ce qui va héberger, l’ensemble des sites web qu’on utilise tous les jours utilise de l’open source et, des fois aussi, du logiciel libre. Je me suis dit pourquoi ne pas l’apporter aussi en termes de l’utilisateur, le rendre visible, en fait, à l’utilisateur, au commun des mortels que nous sommes. C’est un petit peu ça le choix que j’ai fait. Et puis c’est vrai que la pandémie – il faut regarder les bons côtés des choses – m’a permis de voir comment on peut faire, comment on pouvait faire différemment. C’est là où j’ai regardé le logiciel libre. Moi-même, personnellement, j’étais très dans le monde Apple et là, aujourd’hui, j’ai gardé mon Mac d’un point de vue matériel, mais j’ai installé et j’utilise Linux Mint dessus. De temps en temps je retourne sur MacOS, mais je reviens vite sur Linux Mint puisque je me reconstruis mon monde complet. Au-delà de l’utilisation, c’est aussi une satisfaction personnelle de pouvoir avoir la maîtrise de ce que l’on fait, ne plus subir, même si des fois c’est de la simplicité, mais ne plus subir l’utilisation de produits de grandes industries.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup. On me dit que Mint est effectivement l’une des distributions les plus connues de GNU/Linux. Félicitations pour cette démarche. On encourage justement cette pratique des petits pas, de changer au fur et à mesure ses pratiques, les interroger au fur et à mesure des choses. Félicitations en tout cas.
Cyril Cotonat, comment définiriez-vous le logiciel libre ? C’est quoi, pour vous, le logiciel libre ?

Cyril Cotonat : C’est une question qui s’apparente plus à la question de citoyenneté, de culture et finalement d’éducation au bon usage et démontrer qu’on ne peut pas résumer le numérique, l’informatique en général, autour des GAFAM, des grandes entreprises qui nous mènent.
Professionnellement aussi, c’est vrai que dans le milieu universitaire – ça fait 15 ans que je travaille en tant que gestionnaire de parc informatique et administrateur systèmes et réseaux, d’abord à l’Institut national polytechnique de Toulouse et puis maintenant à l’Université Paul Sabatier – on utilise énormément de logiciels libres, que ce soit au niveau des serveurs, au niveau aussi des développements locaux et de monitoring. Je trouvais que c’était intéressant de pouvoir montrer aussi au public, aux populations, aux jeunes gens ou aux gens un peu plus âgés, qu’il y a un certain nombre de logiciels très simples, un certain nombre de systèmes du monde du Libre qui peuvent être utilisés et qui répondent énormément à un certain nombre de besoins et d’utilisations.
Pour la petite histoire, je travaille aussi professionnellement dans le monde Microsoft, mais au niveau libre je suis plus Debian et Ubuntu Edge qui est installé aussi dans la commune de Ladevèze.

Étienne Gonnu : On va y revenir, c’est intéressant que votre commune utilise aussi, en termes de systèmes d’exploitation, des logiciels libres parce qu’on sait que ce n’est pas toujours le cas.
Merci beaucoup pour ces propos introductifs, je pense d’ailleurs qu’ils vont se ressentir à travers nos échanges.
Vos deux communes ont notamment marqué leur engagement pour le logiciel libre en participant au Territoire Numérique Libre, un label de valorisation des politiques logiciel libre dans les collectivités porté par l’association Adullact, qui promeut, justement, le logiciel libre au sein des collectivités et dont l’April est membre du jury, c’est d’ailleurs comme ça qu’on a pu connaître l’engagement de vos deux collectivités pour le logiciel libre. Ladevèze-Rivière est d’ailleurs labellisée trois années consécutives et Louroux-de-Bouble a obtenu son premier label en 2020. J’en profite déjà pour vous féliciter. J’avais le plaisir de représenter l’April dans le jury pour ce label et j’ai trouvé vos deux candidatures remarquables si on prend notamment en compte les moyens qui sont les vôtres. D’une part Ladevèze-Rivière, et on va pouvoir ça voir ça dans nos échanges, pour son en engagement continu depuis plusieurs mandats et Louroux-de-Bouble qui entame sa démarche, qui affiche de belles ambitions qui ont déjà pu transparaître dans vos propos, Pascal.
Il serait intéressant de voir comment vos deux villages ont mis en place ou mettent en place une politique logiciel libre. Déjà, j’aimerais déjà vous demander pourquoi participer à ce label Territoire Numérique Libre, Cyril Cotonat, s’il vous plaît.

Cyril Cotonat : Parce que ça permet d’avoir une vitrine et également d’informer, parce que je trouve qu’au niveau du public on a tendance à utiliser essentiellement les outils du monde Microsoft et des outils payants. On ne connaît pas forcément toute la palette et toutes les offres que peut proposer le monde libre. C’est pour ça que je trouvais que c’était intéressant parce que, effectivement et au contraire, ça nous permet, sur des communes rurales, de démontrer qu’il peut y avoir un après Ça peut être intéressant, utile également, et que ce n’est pas réservé qu’à des communes plus importantes avec des services informatiques et un peu plus d’habitants.

Étienne Gonnu : Tout à fait. Pascal Baratoux.

Pascal Baratoux : Il y a plusieurs raisons.
La première effectivement, comme le disait Cyril, c’est de pouvoir avoir un relais d’information. Par exemple, un cas très concret, quand je parlais du Libre au conseil municipal, on me disait « pourquoi, à quoi ça sert, entre guillemets « c’est un truc de geeks » et ça ne sert pas à grand-chose ». J’ai parlé justement de ce label et ça leur a permis de mieux comprendre l’intérêt et le pourquoi, ça déjà auprès des élus de la commune.
Cette démarche permet aussi d’expliquer auprès des habitants et d’avoir un certain rayonnement puisque c’est aussi un peu compliqué pour les petits villages de rayonner, de faire parler d’eux, quel que soit le sujet.
En termes de numérique, ça permet de s’appuyer sur un socle solide, donc de donner du poids à cette démarche et à cette stratégie.
Le pourquoi aussi. Il y a quelque chose qui nous a beaucoup plu au niveau de ce label, c’est qu’on ne parle pas que de Libre. Je reprends tout simplement une des phrases qui est sur le site : « Il récompense la mutualisation des ressources, le bon usage de l’argent public et toutes les initiatives en faveur des biens communs numériques du territoire ». Ça c’est important, c’est démontrer aux administrés qu’on peut aussi économiser avec le numérique ; c’est un petit peu ce que je disais : il peut être responsable, ce n’est pas tout et n’importe quoi.
Là on avait un projet. Il faut savoir que notre secrétaire de mairie travaille sur trois mairies différentes et elle gère aussi, elle est aussi la secrétaire pour une sorte de collectivité au niveau des écoles puisqu’on fait les écoles sur quatre communes. Au lieu de remplacer quatre PC différents, on a préféré lui prendre un seul PC portable, qu’elle va avoir avec elle. Ça a donc permis d’économiser et justement de mutualiser les ressources. Malheureusement je dirais, dans le cadre de cette stratégie, on n’a pas voulu le mettre directement sous Libre, donc pour l’instant il est sous Microsoft Office. Comme vous le rappeliez aussi Étienne, c’est un peu la politique des opportunités et des petits pas. Il ne faut pas aller trop vite, bien faire comprendre la stratégie, surtout bien comprendre et accompagner les utilisateurs à faire ce changement. Comme pour tout changement d’ailleurs : on pourrait passer complètement de Microsoft à la suite Google, il faudrait aussi accompagner. Ce n’est pas plus difficile d’accompagner vers le Libre, simplement il faut le faire, changer les habitudes, donc on y va doucement.

Étienne Gonnu : Très intéressant. Une question assez spécifique : qu’est-ce qui a fait que c’est la suite Microsoft qui a été retenue ? C’était la demande de la secrétaire ? C’était un choix au niveau de la gestion SI ?

Pascal Baratoux : Non. C’était l’antériorité. Elle avait un poste sous Windows et puis on fait partie d’une communauté de communes qui est pro-Microsoft. Pour l’instant, je dirais que je n’ai pas voulu tout casser ou changer toutes les habitudes, donc je voulais vérifier l’adhérence que ça pouvait avoir. Sur son poste de travail il y a quand même LibreOffice qui est installé et elle est amenée à travailler dessus. Simplement, on ne voulait pas tout faire puisqu’il faut pouvoir, en même temps, mutualiser l’ensemble des trois communes plus l’entité scolaire, ce que je disais, sur un seul PC, il a fallu faire pas mal de travail en amont, par exemple externaliser l’ensemble de la comptabilité, etc. Il y a eu tout un travail préparatoire pour en arriver là. C’est le premier point.
Et quand même, ce qu’on a fait aussi c’est que, par contre, le poste du maire, lui, a été passé sous Linux. On n’a pas voulu le changer, il fallait le changer, il était aussi sous Windows, il ne passait pas sous Windows 10. On a dit on ne va pas le changer parce qu’il n’en a pas une utilisation très forte, donc on a décidé de le recycler et, là aussi, celui-là est passé sous Linux Mint, donc il est en full libre, je dirais. Je le répète, c’est un petit peu l’opportunité et la politique des petits pas et ça se passe très bien.

Étienne Gonnu : Comme vous le rappelez, les décisions politiques s’inscrivent aussi dans le temps réel, et vous êtes dans la réalité, effectivement peut-être avec des strates administratives supérieures. Vous devez aussi vous adapter et agir dans ce contexte.
Vous avez évoqué beaucoup de choses intéressantes, qu’on pourra creuser au fur et à mesure de notre échange, notamment le début, comment on engage la mise en place d’une telle politique logiciel libre. Ça doit passer par les élus, ça doit, souvent aussi, passer par les équipes SI. Je vais à présent me tourner vers Cyril Cotonat. Ça fait quelques années maintenant que vous avez entamé cette démarche. Vous l’avez commencée dès que vous avez été élu ? Il y avait déjà des bases posées ? Est-ce que ça a été tout de suite accepté ? Est-ce que vous avez dû, entre guillemets, « batailler » pour faire valoir l’intérêt de passer au Libre ? Comment ça s’est passé à Ladevèze-Rivière ?

Cyril Cotonat : Ça s’est fait dans le courant du premier mandat. Cependant, ça a été beaucoup plus facile vu ma situation en étant maire et puis en travaillant aussi dans le monde du numérique. Accepté oui, il a fallu quand même bien expliquer. On en revient encore finalement, comme disait Pascal, à une problématique de connaissance, de culture et d’explications, c’est ce que j’ai toujours ressenti. Après, oui, cela s’est fait relativement assez simplement.

Étienne Gonnu : Entendu. Pascal, sur cette question, vous souhaitez compléter ? Vous avez déjà évoqué le sujet.

Pascal Baratoux : Je pense qu’il ne faut pas vouloir faire du Libre pour faire du Libre. Il faut expliquer le pourquoi, simplement, comment ça colle et aussi comment ça accompagne la stratégie globale de la mairie. Parce que c’est ça qui est important, c’est la façon d’embarquer les personnes en disant que c’est bien. Comme je l’explique souvent on dit qu’on veut consommer du local, on veut faire fonctionner le commerce local, on veut le favoriser, on veut du Locavor [Mouvement qui prône la consommation de nourriture produite dans un rayon restreint autour de son domicile, Note de l’orateur], eh bien je dis que le numérique c’est la même chose. Il y a des choses que l’on peut faire aussi en local et le Libre en fait partie puisqu’on va faire appel à des ressources qui sont beaucoup plus locales en fait.

Étienne Gonnu : J’ai pas mal de questions qui me viennent. Je pense qu’une question, enfin peut-être un point qui pourrait être intéressant aussi pour la suite de nos échanges, c’est concrètement, l’un comme l’autre, dans vos deux communes, quel est le profil de votre système d’information ? Combien de postes ? Est-ce que vous avez des équipes dédiées ? Est-ce que c’est vous qui vous en occupez directement puisque vous avez ces connaissances professionnelles ? Comment ça se passe ? Concrètement, quand vous devez installer un logiciel, vous prenez la décision d’installer un logiciel, comment ça se passe ? Pascal Baratoux.

Pascal Baratoux : Il n’y a pas de SI. Un petit village de 250 habitants, on n’a que des élus qui sont, je dirais, bénévoles. Il y a la secrétaire de mairie qui, en plus, partage son temps sur trois communes, donc elle n’est là que les matins, et c’est à peu près tout en termes de personnel administratif.
Donc effectivement, je pense que Cyril corroborera, c’est notre volonté un petit peu personnelle, nos compétences et notre appétence qui font qu’on pousse dans telle ou telle direction.
Après, on a une commission du numérique, c’est un autre élu qui est avec moi et, bien sûr, le maire, donc on discute ensemble des besoins et des éventuelles solutions, pour ensuite les prendre et les appliquer.
En termes d’infrastructure informatique ça reste très léger puisqu’il y a le poste de la secrétaire, j’en ai parlé, avec une imprimante et puis un PC qu’on a recyclé pour le maire.
Il y a une bibliothèque, on a la chance d’avoir une bibliothèque. Là aussi il y a un très vieux PC, je ne dirai pas sous quoi il tourne ! J’ai discuté avec la personne qui s’occupe de la bibliothèque, je suis en train de voir pour effectivement lui mettre à disposition un PC sous Linux.
L’autre infrastructure informatique qu’il peut y avoir c’est l’école, on a une école maternelle et primaire. Pour l’instant, je n’y ai pas du tout touché, mais ça viendra peut-être un jour. La personne qui est avec moi dans la commission du numérique est aussi un des représentants au niveau de l’école.
C’est toujours la même chose. Je suis pour la politique des petites pas. On avance régulièrement, très régulièrement et ça nous permet de bien tester. Pour revenir à ta question initiale, Étienne : pourquoi Microsoft ? Il y a pas mal d’outils spécifiques qui sont encore installés, dont je n’ai pas la maîtrise. Donc je préfère bien comprendre comment ça fonctionne, faire du ménage, c’est important. C’est la troisième ou quatrième fois qu’ils changent le poste de la secrétaire ; à chaque fois on recopie, on recopie ! Il y a plus de 120 gigas de données et, à la fin, je pense qu’on en a à peu près une dizaine qui est utile. Au-delà de migrer vers le Libre il y a aussi tout le travail à faire de sécuriser ça. C’est aussi le travail que je mène en parallèle. On ne peut pas tout faire d’un seul coup.

Étienne Gonnu : Bien sûr. En tout cas merci pour ces explications détaillées.
Cyril Cotonat, qu’en est-il à Ladevèze-Rivière ?

Cyril Cotonat : Aujourd’hui, à Ladevèze-Rivière, nous avons sept postes. J’ai eu la chance de pouvoir récupérer aussi des ordinateurs qui sont devenus obsolètes au sein de notre structure professionnelle, au sein de l’université Paul Sabatier, ce qui fait qu’effectivement, comme disait Pascal, c’est beaucoup plus simple de réinstaller dessus un système libre du monde Linux, qui fonctionnera très facilement, plutôt que les dernières versions de Windows 10 qui sont très gourmandes, notamment en matière de disque.
À part le poste de la secrétaire qui est encore sous Windows 10 parce qu’il y a des problématiques par rapport à l’utilisation du logiciel de comptabilité : on est adhérent au centre de gestion du département du Gers, comme on est une petite commune, et effectivement eux ont promu plutôt des applications payantes. Il y avait une petite peur de la part de la secrétaire de rentrer dans une application de gestion comptable du monde libre.
Nous n’avons plus d’école dans la commune, cependant nous avons réhabilité une salle de classe en Maison des associations que l’on met maintenant à disposition dans le cadre d’un partenariat avec l’Association des maires de ruraux dont nous sommes adhérent, puisqu’on a proposé notre salle sur la plateforme RuraConnect. Dans cette salle il y a deux postes sous Linux. Il y aura bientôt un petit serveur d’impression pour mutualiser et proposer de l’impression. Et puis, dans la mairie, on a un poste en libre accès, également sous Linux, pour les personnes qui auraient besoin de se connecter à Internet, qui ne l’ont pas forcément chez eux, notamment des gens qui sont en résidence secondaire.
Les projets c’est l’installation d’un serveur en virtualisant, sous une infrastructure Linux, de manière à sécuriser notre infrastructure, à mettre en place des outils de surveillance. C’est aussi pour aller un peu plus loin et proposer d’autres services à la population, notamment, enfin, la mise en place d’un outil de gestion SIG des cimetières, qui est l’application openCimetière qui va être mise en place dans le courant de l’année 2021.

Étienne Gonnu : Vous devancez une question que je vois sur le salon web.
Précisons que SIG, vous me corrigerez, ce sont des logiciels de cartographie.

Cyril Cotonat : Tout à fait.

Étienne Gonnu : OK. Une question. Vous parliez de besoins spécifiques de comptabilité. On demande, sur le salon web de la radio, comment vous faites, de part et d’autre, pour les logiciels d’état-civil, la question continuant « je crois qu’ils ne peuvent pas fonctionner sous GNU/Linux, donc impossible de passer entièrement au Libre ». Marie-Odile s’interrogeait : « OpenMairie ne propose-t-elle pas de tels logiciels ? » OpenMairie est justement une suite de logiciels libres qui propose de nombreux logiciels métiers pour les besoins que peuvent avoir les collectivités, notamment la gestion des cimetières que vous mentionnez. Du coup, pour l’état-civil, comment faites-vous ? Est-ce que vous vous appuyez sur cette suite openMairie pour les cimetières ou pour d’autres besoins ? Pascal Baratoux.

Pascal Baratoux : C’est justement ce que je disais tout à l’heure. Tout ce qui est gestion administrative de la mairie — le choix Berger Levrault avait été fait il y a plusieurs années — était d’installé sur le poste de travail. Au-delà de la complexité, la lourdeur, les risques, parce que, du coup, toute la base de données et d’autres choses étaient installées, on a pris la décision de l’externaliser. Maintenant, effectivement, elle est infogérée, pour reprendre un terme pas très jeune, elle est dans le cloud chez Berger Levrault. Du coup, maintenant, on est complètement déconnectés et, surtout, on n’a plus du tout d’adhérences puisqu‘on y accède via le client Citrix, ce qui est très bien. Lors du changement du poste de travail, la secrétaire me disait justement : « Je suis allée sur le PC du maire et j’ai pu travailler dessus ». C’est aussi ça ce que je recherche, c’est la non-adhérence des postes de travail pour que, s’il y a un souci, quel que soit le poste de travail ou la personne, elle puisse continuer de travailler, tout au moins sur les principales fonctions de la mairie, d’un autre poste de travail. Donc, effectivement, on a résolu ce problème-là.

Étienne Gonnu : Super. Cyril Cantonat, de votre côté ?

Cyril Cotonat : De notre côté, les logiciels métiers sont encore des logiciels payants. De toute façon, on est confrontés aux mêmes problèmes que ceux de Pascal, les choses se mettent en place mais lentement. Il y a aussi une culture et il y a, notamment, le fait que derrière le logiciel de comptabilité qui est utilisé, une équipe au niveau du centre de gestion qui peut dépanner la secrétaire si jamais il y a des soucis.
On est en train d’y réfléchir, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, pour nous, la priorité c’est vraiment d’offrir un outil numérique pour avoir une gestion plus simple, plus rapide et numérique des cimetières, parce que c’est encore sous format papier. Donc là, effectivement, on va vraiment passer sur une application libre de la suite openMairie. Ensuite, effectivement, il y a aussi une grande réflexion sur comment rendre autonomes les machines et utiliser un certain nombre de solutions dans le cloud.

Étienne Gonnu : Très bien. Je vais me permettre une précision, bien sûr je ne vous fais aucun reproche, mais je sais que certains de nos auditeurs et auditrices peuvent être sensibles à ce point. Vous parlez de logiciels payants. C’est vrai que les logiciels privateurs sont, on va dire, sur étagère, car on les achète, quelque part, un peu comme des marchandises, des produits finis, là où le logiciel libre n’est pas tant gratuit, c’est juste que le coût est différent. On peut choisir de s’en servir librement et l’adapter soi-même ; on peut payer des prestataires pour qu’ils adaptent le logiciel à ses besoins ; on peut payer en interne un salarié ou une salariée pour qu’elle s’en occupe. Le rapport est vraiment différent, en tout cas on est plus libre avec ce logiciel et c’est vraiment ça qui importe, on a une meilleure maîtrise, notamment en termes de gestion financière, et c’est très important pour les deniers publics.

Je vous propose de faire une petite pause musicale, pour reposer nos méninges avant de continuer notre échange.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons écouter Love Theme par Daniel Bautista. On se retrouve dans trois minutes. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Love Theme par Daniel Bautista.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Love Theme par Daniel Bautista, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.

Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Je suis Étienne Gonnu en charge des affaires publiques pour l’April et je discute avec Cyril Cotonat et Pascal Baratoux, respectivement maire de Ladevèze-Rivière et élu, référent numérique de Louroux-de-Bouble, de leur engagement au niveau de leurs villages pour le logiciel libre.
N’hésitez pas à participer à notre conversation en passant sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».

Avant la pause, j’ai parlé des notions de logiciel payant, gratuit, etc. Peut-être souhaiteriez-vous réagir à ces notions ? Pascal Baratoux ou Cyril Cotonat ? Pascal Baratoux.

Pascal Baratoux : Oui. Je ne veux pas faire du Libre pour faire du libre. C’est saisir des opportunités et, quand on a le choix c’est de promouvoir le Libre, l’open source, mais des fois on n’a pas le choix et on est obligé de passer, effectivement, par des logiciels, des services, qui sont propriétaires ou privatifs, pour reprendre le langage des libristes, ce qui est très bien aussi. Il ne faut pas penser que ces logiciels, dont le code source appartient à une société, sont fatalement mauvais. C’est un petit peu ce que je veux dire. C’est voir le numérique différemment, c’est penser un petit peu différemment, c’est aussi se challenger, plutôt que de réagir à des effets de mode ou des solutions de simplicité.
Quand on me demande : « le Libre, l’open source, pourquoi es-tu sous Linux ? », à des gens qui n’y connaissent rien je dis « tu as le choix d’aller faire tes courses en supermarché, d’acheter des lasagnes toutes prêtes ; tu arrives chez toi, tu les mets dans le micro-ondes, tu les fais chauffer, c’est prêt, c’est facile. Tu ne sais pas trop ce que tu manges, mais ça te nourrira et tu ne t’en porteras forcément plus mal. De l’autre côté, tu as le choix d’aller acheter tes graines, de faire ton potager, de faire pousser tes Légumes, d’avoir tes recettes et tu as la satisfaction de faire tout ça, de préparer ton repas, de le manger et, à la fin, quand même, ce sera meilleur ». Mais la finalité reste la même, c’est toujours de se nourrir. C’est un petit peu le parallèle simpliste que je fais, mais qui permet de bien faire comprendre les choses.

Étienne Gonnu : C’est intéressant parce que je sais que nos amis de Framasoft sont aussi très friands de cette comparaison, de dire que le logiciel libre c’est, en fait, le bio de l’informatique. Pour peut-être filer votre métaphore, le logiciel libre serait un bio mais qui intégrerait également la part d’échange et de travail collaboratif et c’est aussi ensemble que nous pourrions cultiver notre potager. Peut-être que quelqu’un qui aurait moins la main verte pourrait quand même participer mais être aidé et accompagné par des personnes qui sont plus connaisseuses de l’art potager, on va dire.

Pascal Baratoux : Tout à fait. C’est d’ailleurs ce qui passe dans le village ou ailleurs, on est dans un petit village on parle de ça, mais quand on fait un potager on échange avec son voisin : on a un surplus de tomates, on va lui en donner ; lui a un surplus de carottes, on va échanger. Il y a plus d’échanges que devant la barquette de lasagnes au supermarché, où il n’y a pas vraiment d’échanges.

Étienne Gonnu : Oui, on est d’accord.
Cyril Cotonat, est-ce que vous souhaitez réagir à cette notion de payant/gratuit ou continuer sur ce propos ?

Cyril Cotonat : Je rejoins tout à fait Pascal. Il ne faut pas voir l’utilisation des logiciels libres et le monde Linux en affrontement avec le monde des logiciels propriétaires, au contraire. C’est vrai qu’on peut utiliser les deux sans problème. Mais, on a maintenant le choix, comme disait Pascal, et c’est vrai que c’est intéressant notamment pour des communes de notre taille et, encore plus je dirais, pour des communes rurales. Au-delà de ça il y a aussi les contraintes budgétaires et il y a un certain nombre d’applications qui peuvent être utilisées sans un gros coût d’investissement. Il y a aussi le côté, on va dire, développement durable, si je peux me permettre, puisque, malgré peut-être des consommations électriques qui peuvent être plus importantes sur des vieilles machines par rapport aux machines récentes, il est possible de recycler, donc de ne pas changer une machine quand elle est un peu âgée, de pouvoir encore l’utiliser par rapport aux besoins que l’on a. Quand on a besoin de faire un peu de bureautique ou de « surfer », entre guillemets, sur Internet, une machine même ancienne peut très bien faire l’affaire et c’est vrai que les logiciels libres, notamment les systèmes d’exploitation libres Linux, peuvent très bien répondre à la demande.

Étienne Gonnu : Permettez-vous. Vous avez raison, c’est un enjeu très important. D’ailleurs nos amis d’Antanak qui est une association qui aide justement au reconditionnement d’appareils font une chronique sur Libre à vous !. C’est clairement quelque chose d’assez essentiel.
Un auditeur m’avait posé une question en amont de l’émission. Je pense que la question est assez importante, du coup je vais peut-être revenir un peu en arrière dans notre échange, c’est celle de l’accompagnement. Je ne sais pas qui de vous deux avait parlé de l’accompagnement au changement. C’est la notion de formation. Vous avez parlé par exemple de la secrétaire, du maire, à qui on présente ces nouveaux outils. Est-ce qu’il y a eu une formation ? Comment s’est fait cet accompagnement vers ces nouveaux outils ? Comment ont été reçus ces nouveaux outils ? Est-ce que la personne, pas contrainte et forcée..., je pense vous voyez ce que je veux dire. Comment ça a été reçu ? Cyril Cantonat.

Cyril Cotonat : Pour la commune de Ladevèze, ça a surtout impliqué la secrétaire. Au-delà de ça, la même chose. On utilisait une vielle version de la suite Office qui n’était plus mise à jour, donc on a basculé vers les dernières versions de LibreOffice qui répondent très bien aux besoins que l’on a sur notre mairie. Il y a eu une petite auto-formation et un temps d’adaptation surtout pour lever, en fait, des interrogations ou une image que l’on se faisait de ces applications libres qui ne répondaient pas forcément aux besoins.
Concernant les habitants, disons que maintenant les interfaces graphiques sur les ordinateurs que l’on a mis en place sont beaucoup plus très facilement utilisables, donc il n’y a eu trop de problématiques pour l’utilisation ; il y a eu un petit accompagnement, mais c’est assez simple.
Quant aux élus, il y a eu beaucoup d’information, essentiellement, et puis quelques auto-formations et des périodes de test de manière à ce qu’ils puissent se rendre compte que les choix que nous faisions répondaient bien aux attentes et aux demandes de notre collectivité.

Étienne Gonnu : Super. Pascal Baratoux, qu’en est-il à Louroux-de-Bouble ?

Pascal Baratoux : La formation a été relativement simple. Comme je le disais, pour l’instant il n’y a que le poste du maire qui a été complètement migré ; il utilisait déjà LibreOffice de façon personnelle, ce qui a aidé. Quand je lui ai présenté la machine sous Linux, il a retrouvé très facilement ses habitudes, sûrement puisqu’il avait une version des plus anciennes de Windows. Il n’a eu aucun problème. J’ai passé un petit peu de temps avec lui pour lui expliquer, mais je n’ai pas eu trop de difficultés.
Pour l’instant les habitants ne sont pas confrontés. J’entendais Cyril qui parlait aussi de la salle ouverte au public via RuraConnect. Je voudrais compléter : nous sommes aussi sur RuraConnect et, puisqu’on est en train de refaire toute la mairie, notre intention c’est d’avoir effectivement une salle dédiée où on pourrait aussi mettre à disposition des PC aux habitants ou à des gens qui sont de passage. Effectivement, ça permet d’équiper en utilisant le Libre, comme l’a fait la commune de Cyril, en reprenant et en recyclant des PC plus anciens, mais qui fonctionnent parfaitement en les mettant sous Linux. Ce qui permettra justement aux habitants de mettre la main à la pâte et de voir que le Libre c’est aussi simple, des fois même plus simple que certains autres systèmes propriétaires.

Étienne Gonnu : Tout à fait. Je voulais justement avoir vos retours là-dessus. En fait, vous avez déjà parlé, l’un comme l’autre, des relations avec vos administrés, avec les habitants et habitantes. On imagine aussi, à l’échelle de villages d’un peu plus de 200 âmes, que les relations sont plus directes, peut-être plus simples, ou pas. Vous proposez donc des machines sous logiciel libre. Comment est-ce que ces efforts vers une informatique libre sont perçus par les habitants et habitantes ? Est-ce que vous avez des retours par rapport à ça ? Comment ça se passe ?

Pascal Baratoux : Moi, par exemple, c’est plus à titre privé, mais, pendant la pandémie quelqu’un m’a dit : « J’ai mon PC qui est tombé en panne, j’ai récupéré celui de mon père, mais je n’ai pas les mots passe, je n’ai rien, je ne sais pas quoi en faire ». Je lui ai pris, je l’ai regardé, je lui ai dit : « Écoute, je n’ai pas le mot de passe Windows et je ne suis pas expert de Windows. Je peux te le mettre sous Linux. — C’est quoi ? » Je lui explique : c’est comme Windows. Il m’a dit « vas-y ». Je lui installe, je lui redonne, c’était pendant la première pandémie, donc on ne pouvait pas vraiment se voir, on a échangé le PC. Je n’ai plus eu de son, plus d’image de cette personne-là. Un jour je l’ai rappelée, je lui ai dit « Tu as du mal ? — Non, non ! Je l’utilise tous les jours, ça marche très bien. Pourquoi ? — Il n’est pas sous Windows, il est sous Linux. — Ah bon ! » Donc ça a été plutôt un très bon retour et aujourd’hui elle l’utilise tous les jours, sans aucune difficulté. Donc c’est plutôt très rassurant et bien parti. Je n’hésite pas à faire la promotion de cette possibilité de passer sous Linux quand on a des soucis avec d’autres systèmes.

Étienne Gonnu : C’est super. Convaincre par l’exemple, de toute façon on sait que c’est le plus efficace. Cyril Cotonat, qu’en est-il pour vous ?

Cyril Cotonat : C’est aussi sur la sphère privée. En fait, j’ai fait le pari de ne pas donner le choix à mes parents qui ont un certain âge, qui sont dans la tranche 70/80, en leur installant des ordinateurs sous Linux. Ils en sont ravis, ils s’en servent tous les jours, aucun souci et ils n’ont pas vu la différence. Donc aller solliciter d’autres incitations et développements sur d’autres administrés sur notre commune.

Étienne Gonnu : Vous avez évoqué la pandémie, on sait bien l’impact qu’elle a pu avoir et la place qu’a pu occuper l’informatique pendant cette période. Est-ce que vous avez mis des services en place ? Comment ça s’est passé pour vous ? Est-ce que la mairie a essayé de jouer un rôle ? Je sais que ce n’est pas évident.

Pascal Baratoux : Ça nous a permis de prendre conscience. Effectivement, pendant la première pandémie je n’étais pas encore élu, c’est quand même un petit village, donc on sait assez facilement qui va être élu, surtout qu’il n’y a qu’une personne qui se présente. On discutait et notre gros problème a été comment communiquer avec les habitants. On a échangé. Tant que le maire n’était pas en place il ne voulait prendre de décision, l’ancien maire ne voulait rien prendre, donc on a attendu un petit peu que tout cela se décante et on a fait le choix de prendre une application qui, malheureusement, n’est pas libre, mais, comme on dit, le Libre n’est pas non plus une obligation. On a pris une application de communication auprès des habitants, on a fait le choix d’IntraMuros qui nous permettait aussi, puisque le site web était très vieillissant, d’avoir un site web en même temps. Du coup, ça nous a permis de mettre en place quelque chose pour mieux communiquer auprès des habitants, bien sûr les habitants qui sont déjà connectés, on en a bien conscience. Mais ça permet de faire un canal de communication et de montrer que des choses peuvent se faire assez facilement, tant au niveau des habitants mais aussi des élus. Souvent, dans les petits villages, on ne fait rien parce que ça semble très compliqué. Je leur montre que ce n’est pas compliqué. Bien sûr, comme pour tout, ça demande un petit peu de travail et de savoir-faire, mais pas forcément des grandes compétences.
On en a profité pour dire qu’on voulait un système de partage de fichiers puisque le maire se plaignait un petit peu : « Quand la secrétaire est là je n’ai pas accès aux fichiers ». J’ai dit : « Comment fais-tu ? — Je suis obligé de lui demander, elle me l’envoie pas mail, etc. » Ce n’était pas vraiment simple même si le besoin reste basique. J’ai dit : « Il faut qu’on ait un système de partage de fichiers ». Comme on est une petite commune, j’avais pensé à prendre un serveur, mettre NextCloud dessus, etc., j’aurais pu le faire personnellement, mais je pense toujours un petit peu à plus tard, je peux quitter la commune. Il n’y aurait sûrement pas eu les compétences nécessaires pour faire la suite. Donc on a choisi une solution, pas libre, ni open source, d’une société française, basée en France, etc., qui est Cozy, qui permet justement de partager et surtout de flexibiliser le travail. Comme je disais au départ, le fait que le poste de travail n’est plus adhérent puisque la secrétaire, quelque part, peut travailler de n’importe quel poste de travail, tout ce qui administratif est passé maintenant dans le cloud chez le fournisseur, les informations importantes, les documents sont dans le cloud, et ça permet d’accéder d’ailleurs si elle en a besoin, tout en amenant, très important, une couche de sécurité. Là aussi le Libre, de part sa facilité d’upgrade, de ne pas forcément avoir des grosses licences à payer et de changer des postes de travail, permet de maintenir des postes de travail justement beaucoup plus à jour et de lutter contre les cyberattaques qui sont le fléau qui est en train de prendre place, malheureusement, dans le monde de l’Internet.

Étienne Gonnu : Plus on est dépendants de l’informatique, effectivement plus il y a de surface vulnérable.

Cyril Cotonat, comment ça s’est passé côté Ladevèze-Rivière ?

Cyril Cotonat : À peu près de façon similaire. J’étais déjà élu, réélu, mais le conseil, l’équipe municipale n’était pas en place, donc il a fallu gérer avec les anciens et les nouveaux. On a communiqué par mail, parce qu’on a réussi à avoir à peu près la moitié de la commune dont on connaissait les adresses mail. On a aussi utilisé une solution d’information de la population via smartphone, c’est l’application qui est aussi en partenariat avec l’Association des maires ruraux de France. On a la chance d’avoir un site internet qui avait été réalisé dans le cadre d’un projet avec les étudiants de l’IUT informatique de Toulouse, sur lequel on a pu mettre en place un certain nombre de choses pour informer et communiquer régulièrement auprès des personnes, de nos administrés.

Avec la secrétaire et l’ensemble des élus cela fait maintenant bien dix ans qu’on utilise des solutions de partage de fichiers, des solutions open source également. C’est vrai que c’est beaucoup plus simple, beaucoup plus rapide pour pouvoir travailler et ceci de façon collaborative. On l’utilise maintenant et c’est vraiment entré dans les mœurs au niveau de l’équipe municipale et au niveau de la secrétaire.

Étienne Gonnu : Entendu. Je vois le temps filer et notre émission arrive vers sa fin. J’aurais une question très rapide à poser à Pascal Baratoux. Vous avez bien parlé de Cozy Cloud, ou on a mal entendu ? Puisqu’il me semble que c’est bien un logiciel libre, c’est sous licence GNU Affero GPL.

Pascal Baratoux : Oui, c’est Cozy, je n’ai pas regardé si c’était libre ou pas.

Étienne Gonnu : À priori c’est libre.

Pascal Baratoux : C’est tant mieux ?

Étienne Gonnu : C’est sûr.
Comme je vous disais, notre émission arrive sur la fin. J’aimerais permettre à chacun de vous, en une ou deux minutes, vous donner un temps de conclusion pour parler soit d’un projet qui vous tient à cœur, soit d’un élément clef sur lequel vous aimeriez revenir. Pascal Baratoux, en une minute ou deux.

Pascal Baratoux : Effectivement, ce qui me tient à cœur c’est de rendre le numérique accessible à tous. On parle beaucoup de numérique inclusif, il y a 13 millions de Français qui n’y ont pas accès. Ne pas voir en moi un ayatollah contre les GAFAM et si des GAFAM ont joué un rôle effectivement très important dans le déploiement du numérique – si on en est là où on en est là aujourd’hui, il ne faut pas se le cacher, c’est aussi grâce à eux –, mais il y a d’autres voies et, effectivement, le Libre permet à pas mal de personnes de faire autrement et de voir le numérique différemment.
J’ai aussi créé une association, Connecting Bourbon. Souvent, je discute avec des gens et, pour rencontrer des chefs de projet, quand ils me disent : « J’ai créé telle ou telle société ou entreprise solidaire », par exemple quelqu’un qui ouvre un magasin en vrac, etc., qui me dit : « Pascal, tu vas encore faire tes courses en supermarché, viens plutôt au vrac, etc. » On m’explique tous les avantages, ce que je comprends, et je dis : « Donne-moi ton mail » et là, c’est gmail.com ! Je dis : « Là, il y a quelque chose qui ne va pas dans ta stratégie. Tu ne peux pas, d’un côté, vanter tous les bienfaits du local, du responsable, de l’éthique, etc., et continuer à travailler ou à utiliser d’autres services, pour lesquels, quelque part tu es un petit peu contre ». C’est aussi cette prise de conscience qui est importante ; après, ça reste le choix personnel de chacun. On peut toujours aller acheter, comme je disais, son plat de lasagnes dans son supermarché, le mettre dans son micro-ondes et utiliser les GAFAM, je ne crois pas qu’il n’y a pas à être pour ou contre, mais il faut être honnête avec soi-même et surtout aller jusqu’au bout de sa démarche, quelque part.
Je pense que le rôle des villages est aussi important, comme on le disait au départ. Les grandes villes ont plus de moyens que nous, donc c’est aussi un avantage, quelque part, de ne pas avoir de moyens parce qu’on doit se débrouiller un peu plus, on doit être plus inventif, trouver d’autres solutions, faire différemment. Ça se fait dans beaucoup de choses, on partage beaucoup plus. Comme je disais, l’école maternelle est fermée, on s’est regroupés à plusieurs villages, maintenant on est quatre villages. Le matériel agricole ou le tracteur de la commune est partagé avec d’autres, on partage les PC, on partage des choses. On a monté un groupe de Territoire Numérique pour discuter entre nous et le Libre amène, bien sûr, quelque chose d’important à ces projets-là, puisqu’on ne doit pas rester seul dans son coin, mais plus travailler tous ensemble.
Il ne faut pas non plus faire du Libre pour du Libre. Il faut que ça corresponde à une stratégie ou, tout au moins, à une envie globale de faire.

Étienne Gonnu : Merci. Je précise que ce n’est pas la fin de notre émission, mais que c’est notre échange, notre sujet qui arrive à sa fin. Merci pour ces mots de conclusion. Cyril Cotonat.

Cyril Cotonat : Je pense que le numérique libre peut répondre à un certain nombre d’attentes dans nos territoires ruraux. Il permet aussi, finalement, d’aider à éduquer, à informer les gens qu’on peut faire un certain nombre de choses pas forcément avec l’utilisation que de logiciels propriétaires, de logiciels des GAFAM. Et vraiment, encore une fois, je ne rentre pas en guerre contre les propriétaires ou les grandes entreprises, mais je trouve, effectivement, qu’on a la chance d’avoir un certain nombre d’outils et la chance de pouvoir les utiliser, les mettre en place dans des villages comme les nôtres, villages ruraux, avec très peu de moyens voire très peu de population. Il y a un gros challenge et, pour moi, c’est vraiment aussi pouvoir aider les gens à avoir accès aux outils numériques, mais également pouvoir influer, peut-être, les générations futures à l’utilisation de logiciels libres en parallèle aux logiciels propriétaires.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup à Cyril Cotonat, maire de Ladevèze-Rivière et à Pascal Baratoux, référent numérique de Louroux-de-Bouble, deux villages qui s’engagent pour le logiciel libre. Un grand merci d’avoir passé ce moment avec nous et je vous souhaite une excellente fin de journée.

Pascal Baratoux : Merci. Bonne fin de journée. Au revoir.

Cyril Cotonat : Merci. Au revoir.

Étienne Gonnu : Au revoir.
Je vous propose à présent de faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons écouter Side effect par Fog lake. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Side effect par Fog lake.

Voix off : cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Side effect par Fog lake, disponible sous licence Creative Commons Attribution. Vous retrouverez sur le site de l’April, april.org.

Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune, la voix des possibles, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Je suis Étienne Gonnu de l’April.
Nous allons passer à notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l’April, sur « L’histoire étrange du Komongistan »

Étienne Gonnu : Nous allons à présent écouter la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l’April, une chronique enregistrée le 13 janvier 2021 avec mon collègue Frédéric Couchet sur « L’histoire étrange du Komongistan ».
On écoute donc Véronique et Frédéric et on se retrouve juste après, dans une dizaine de minutes, en direct sur Cause commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Une lecture d’information et de mise en perspective de la philosophie GNU, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l’April. Pour cette nouvelle chronique Véronique va nous commenter un texte de Richard Stallman intitulé « L’histoire étrange du Komongistan ou comment faire voler en éclats l’expression « propriété intellectuelle » ».
Véronique, nous t’écoutons.

Véronique Bonnet : C’est un article de Richard Stallman. Tu as lu le titre, il ressemble vraiment beaucoup au titre d’un roman de Jules Verne. Ce texte date de 2015 et il est disponible en ligne dans la traduction du groupe de l’April qui s’appelle trad-gnu, qui a une mission extrêmement importante.

Richard Stallman précise, à propos de ce texte, qu’il s’agit d’une parabole. Qu’est-ce que c’est qu’une parabole ? En grec, ballo veut dire « envoyer » un ballon, ce qu’on envoie ; para veut dire « vers » ou « contre ». Donc une parabole est un récit qui renvoie à autre chose que lui-même. C’est une étrange histoire qui fait l’objet d’un récit et qui va renvoyer à une expression apparemment solide, que tout le monde emploie à tort et à travers, qui est l’expression « propriété intellectuelle ». Il se trouve que Richard Stallman, avec cette parabole, va dire qu’il s’agit d’un mirage, qu’il s’agit d’un faux-semblant qu’il est très important de dénoncer.

Comment commence le texte ?
Il y a 50 ans, aucun lien, aucun commun dénominateur n’existait entre trois pays : d’une part la Corée, d’autre part la Mongolie et enfin le Pakistan. Il y a 50 ans, il n’y avait absolument aucun lien entre ces trois pays. Or, il se trouve que certaines entreprises ont voulu faire de ces trois pays leur zone d’influence pour y faire des affaires. Pour simplifier leurs démarches, il se trouve que ces entreprises ont fait apparaître un terme totalement nouveau, totalement factice, fait de trois syllabes, chaque syllabe étant une syllabe de chacun des trois pays : de Corée on a gardé « ko » ; de Mongolie on a gardé « mong » ; de Pakistan on a gardé « istan », d’où le surgissement d’une chose assez incroyable, le « Komongistan », sans aucun égard pour l’histoire spécifique de chacun des trois pays. Il s’agit d’une construction intéressée, totalement artificielle, à des fins publicitaires. Si j’avais une analogie à faire, je penserais à Coca-Cola qui a créé le Père Noël, un bonhomme rouge, conducteur de traîneau, portant des bouteilles de Coca, donc quelque chose de complètement opportuniste. Il se trouve que nous avons oublié l’origine de cette construction publicitaire opportuniste.

Exactement la même analyse est faite par Richard Stallman à propos du Komongistan dont la réalité sidérante est apparue progressivement comme naturelle. En effet, à la suite de cette décision opportuniste d’entreprises qui voulaient simplement faire de l’argent, il y a eu, par exemple, une revue d’études komongistannaises qui ont, par exemple, développé la figure de Gengis Khan, unificatrice, alors que Gengis Khan est, en réalité, mongole.
À partir de là ont fleuri des écrits sur le Komongistan qui n’attribuaient à la Corée, à la Mongolie, au Pakistan, que des caractéristiques totalement artificielles puisque, en effet, l’histoire respective de ces trois pays s’est trouvée effacée. Ceci excluait, bien sûr, des analyses géopolitiques fines, puisque cet écran de fumée d’un contexte komongistannais élargi était là simplement pour que les personnes ne se posent pas de questions et pour qu’il soit plus simple de faire des affaires.
Si on y réfléchit, ceci revient à déposséder ces trois peuples de leur histoire et même de leur écriture puisqu’il y a eu une tentative de faire écrire le coréen avec des caractères arabes qui n’intervenaient que dans le Pakistan, dans la langue pakistanaise.
Bien sûr, les promoteurs de cette escroquerie intellectuelle qu’est le Komongistan se sont référés à de prétendus points communs, bricolés, fallacieux. Ce que montre Richard Stallman c’est qu’en réalité le seul point commun entre ces trois pays est que chacun des trois pays contient la lettre « a » [dans son nom anglais], ce qui est mince !
Si on réfléchit à ce qui s’est passé, c’est seulement le mot « Komongistan » qui a été présenté comme preuve de l’existence de cette entité totalement fictive. C’est exactement ce que Rousseau appelle un galimatias, c’est-à-dire un mot qui ne vous renvoie strictement à rien sauf à lui-même, mais qui, bien sûr, fait des dégâts puisque ce terme finit par être utilisé tout en broyant du vide.
Heureusement, concernant le Komongistan, les peuples concernés des trois pays ont résisté aux tentatives d’effacement des trois entités initiales, parce qu’on voulait leur imposer une seule ambassade, une seule religion, une seule langue, ce qui est aberrant !

Si l’on passe maintenant de la parabole à la question de la propriété intellectuelle, on voit bien que l’expression « propriété intellectuelle » est aussi abusive et privatrice que de parler de Komongistan. En effet, derrière ce que Richard Stallman appelle un mirage pour mieux abuser les utilisateurs de la pensée que nous sommes tous, pour nous empêcher d’utiliser notre esprit critique, il y a des notions très différentes. Quand on parle de propriété intellectuelle, expression qui ne signifie rien, qui est aussi factice que Komongistan, en réalité il y a des notions très différentes : les notions de droit des brevets, droit d’auteur, droit des marques, lois concernant le monopole des semences, des circuits, de la publicité. Donc il se trouve que ces différentes notions, qui sont camouflées derrière une expression globale factice, sont à examiner très soigneusement pour penser.

Comme je suis professeur de philosophie, je dirais que ce à quoi nous invite Richard Stallman ici, comme Descartes, c’est à penser clairement et distinctement pour éviter de se laisser abuser. Se laisser abuser faisant partie du jeu extrêmement trouble de l’informatique non libre alors que l’informatique libre — je pense que tu seras d’accord avec moi sur ce point Fred — veut faire la lumière.

Frédéric Couchet : Je suis tout à fait d’accord avec toi Véronique. Je ne me souvenais pas de cet article de Richard Stallman, donc je t’en remercie.
Je précise aux auditeurs et auditrices qu’iels peuvent le retrouver sur le site gnu.org, traduit en français par le groupe trad-gnu de l’April. C’est une très belle analogie et effectivement, depuis très longtemps, comme Richard Stallman, nous encourageons à ne pas utiliser ce terme de « propriété intellectuelle » pour les problèmes évoqués, que tu viens de citer, notamment parce qu’il englobe différents droits qui ont chacun leur spécificité ; tu as parlé du droit des brevets, du droit d’auteur, du droit des marques. Il y a également le fait que le terme « propriété intellectuelle » pourrait laisser penser qu’on applique les mêmes schémas de pensée à des biens physiques qu’à des ressources immatérielles comme le logiciel, or ce n’est pas du tout la même chose. Nous le savons, beaucoup de gens le savent mais voilà ! Utiliser le terme « propriété intellectuelle » laisse penser qu’on applique les mêmes schémas de pensée aux biens physiques et aux ressources immatérielles.
Encore un très beau texte de Richard Stallman. Je ne sais pas si tu souhaites ajouter quelque chose.

Véronique Bonnet : Je trouve que faire la lumière est vraiment ce qui caractérise les libristes. Déjà penser que le code source sur lequel veille la communauté libriste est ce qui nous garantit la certitude de ne pas tomber dans des verrous logiciels, dans des portes dérobées et autres magouilles techniques extrêmement préjudiciables, est quelque chose qui est, pour moi, rassurant et qui doit pouvoir être exposé.

Frédéric Couchet : Tout à fait et tu y participes grandement avec ces mises en perspective des textes de Richard Stallman.
Le texte d’aujourd’hui c’était « L’histoire étrange du Komongistan » ou comment faire voler en éclats l’expression «  propriété intellectuelle  » ».
C’était la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l’April.
Véronique, je te souhaite de passer une belle fin de journée.

Véronique Bonnet : Très bonne soirée à toi, Fred.

Frédéric Couchet : Merci.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l’April. Une chronique enregistrée le 13 janvier dernier avec mon collègue Frédéric Couchet. Vous retrouverez toutes les références utiles sur april.org.

Nous approchons à grands pas de la fin de notre émission. Nous allons terminer par quelques annonces

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Une annonce importante. Nous avons le plaisir d’annoncer que le Chapril, le chaton de l’April, ouvre un nouveau service libre en ligne, accessible à tout le monde, mobilizon.chapril.org, un outil fédéré de gestion d’évènements qui vous permet de réaliser des rassemblements comme vous le souhaitez, tout en préservant la confidentialité des participants et des participantes. Le service s’appuie sur le logiciel libre Mobilizon développé par Framasoft. Bravo et un grand merci à Baptiste Lemoine que nous avons reçu la semaine dernière dans Libre à vous !. Un grand merci pour ce nouveau service.
Je vous invite à retrouver d’autres annonces sur notre site, notamment si vous êtes du côté de Vandœuvre-lès-Nancy, deux ateliers se tiennent demain sur Minetest et OpenStreetMap. Vous retrouverez les références sur le site de l’April et sur l’Agenda du Libre.

Notre émission se termine.
Je vais, bien sûr, remercier les personnes qui ont participé à l’émission : Noémie Bergez, Cyril Cotonat, Pascal Baratout, Véronique Bonnet, Frédéric Couchet.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Isabella Vanni qui a magistralement bien géré un problème de téléphone.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Olivier Humbert, Lang1, Sylvain Kuntzmann, bénévole à l’April, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous retrouverez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.

La semaine prochaine l’émission aura lieu le 2 mars 2021 à 15 heures 30. Nous parlerons de syndicalisme dans le secteur de l’informatique avec Solidaires Informatique.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct le 2 mars et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.