Émission Libre à vous ! diffusée mardi 18 mai 2021 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Une discussion avec Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme « Jean Giono à la recherche d’une licence libre » et une analyse des nouveaux Cahiers des clauses administratives générales des marchés publics. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes le mardi 18 mai 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission ma collègue Isabella. Salut Isa.

Isabella Vanni : Salut.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[jingle]

Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, intitulée « Jean Giono à la recherche d’une licence libre »

Étienne Gonnu : Pour notre premier sujet, nous allons commencer par la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet joliment intitulée « Jean Giono à la recherche d’une licence libre ».
Salut Jean-Christophe. Jean-Christophe, je te laisse la parole pour ta chronique.

Jean-Christophe Becquet : Merci Étienne. Bonjour à tous, bonjour à toutes.
Aujourd’hui je vais vous parler de Jean Giono et de sa nouvelle L’Homme qui plantait des arbres.

L’Homme qui plantait des arbres est une nouvelle écrite par Jean Giono en 1953. Elle raconte l’histoire d’un berger solitaire, nommé Elzéard Bouffier, qui sélectionne et met en terre chaque jour des dizaines de glands. Au bout de trente années, il aura fait naître une forêt sur les hauteurs du village de Vergons dans les Alpes-de-Haute-Provence, mais aussi revenir l’eau dans les ruisseaux et les habitants dans les villages abandonnés.
Ce texte est une véritable ode à la nature. Jean Giono écrira : « Le but était de faire aimer l’arbre ou plus exactement faire aimer à planter des arbres, ce qui est depuis toujours une de mes idées les plus chères. » Il touchera sa cible puisque son texte a été largement repris par le mouvement écologique.

Pour encourager la diffusion de son texte, Giono cède gratuitement ses droits pour toutes les reproductions. Cela fonctionne très bien et le texte est rapidement publié dans plusieurs revues. Initialement proposé pour un concours du Reader’s Digest, l’histoire est reprise par le magazine Vogue. Elle est traduite dans de multiples langues : anglais, allemand, italien, espagnol, danois, finlandais, suédois, norvégien, russe, tchécoslovaque, hongrois, yiddish, polonais, yougoslave. Elle est éditée à 100 000 exemplaires aux États-Unis et adaptée au théâtre.
L’Homme qui plantait des arbres fait également l’objet d’une adaptation sous la forme d’un film d’animation qui recevra de nombreux prix dont l’Oscar du meilleur film d’animation.
En 2002, l’œuvre est inscrite dans la liste recommandée par le ministère de l’Éducation nationale français pour le cycle 3.
C’est l’ouvrage de Giono le plus traduit et le plus médiatisé selon l’article qui lui est consacré sur Wikipédia.

En 1957, Giono écrit au Conservateur des Eaux et Forêts de Digne : « C’est un de mes textes dont je suis le plus fier. Il ne me rapporte pas un centime et c’est pourquoi il accomplit ce pour quoi il a été écrit ».
Malgré les tentatives abusives de certains éditeurs de réclamer des droits sur cette œuvre, on peut aujourd’hui lire L’Homme qui plantait des arbres sur Wikisource.
Wikisource est une bibliothèque numérique multilingue sous licence libre. Il s’agit d’un projet sœur de l’encyclopédie Wikipédia. Giono voulait partager son histoire pour qu’on fasse une « politique de l’arbre ».

Lionel Maurel, qui signe Calimaq les billets de son blog S.I.Lex, explique que si Jean Giono avait connu les licences libres, il aurait sans doute opté pour une licence Creative Commons By, ou, peut être By SA, pour empêcher la réappropriation par des tiers, voire la licence Creative Commons Zéro, CC0, pour exprimer son intention de verser son œuvre, par anticipation, dans le domaine public. On peut observer qu’il permettait les usages commerciaux et les adaptations ; pour rappel, la traduction est une forme d’adaptation. Il aurait donc sans doute écarté les clauses NC, non commercial, et ND, non dérivé. En tous cas, une licence libre lui aurait permis d’exprimer clairement et précisément sa volonté de partager son travail.

C’est une chance extraordinaire que nous avons aujourd’hui de disposer de licences qui permettent à n’importe quel auteur, illustrateur, compositeur de partager son travail en accordant explicitement certains droits de reproduction, de représentation, d’adaptation. J’encourage chacun à utiliser largement ces licences pour créer de nouvelles pépites et enrichir le pot commun des ressources libres de la culture et de l’art.

Étienne Gonnu : Merci Jean-Christophe. Un bel appel pour de plus en plus de pépites libres.
Merci beaucoup Jean-Christophe et je vais te dire au mois prochain pour une nouvelle « Pépites libres ».

Jean-Christophe Becquet : Bonne fin d’émission. Au mois prochain. Merci.

Étienne Gonnu : Bonne fin de journée Jean-Christophe. Merci.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Puisque nous parlions de pépites libres, occasion pour moi de rappeler que toutes nos pauses musicales sont des pépites libres. Elles sont sous licences libres qui permettent donc de les partager librement avec ses proches, de les télécharger parfaitement légalement, de les remixer y compris pour des usages commerciaux. Ce sont donc des licences comme celles évoquées par Jean-Christophe, licences Creative Commons CC By, CC By SA, Partage dans les mêmes conditions ou encore des licences Art Libre.

Nous allons à présent écouter une de ces pépites libres. Il s’agit de Waiting For Nothing par The Fisherman. On se retrouve juste après. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Waiting For Nothing par The Fisherman.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Waiting For Nothing par The Fisherman, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By, un son très « beatlesien », je reprends l’expression de ma collègue Isabella qui a beaucoup apprécié. J’aime aussi beaucoup ce morceau.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Nous allons maintenant passer à notre sujet principal.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec une discussion entre mon collègue Frédéric Couchet et Henri verdier, ambassadeur pour le numérique. Il s’agit d’une rediffusion d’un échange réalisé en direct lors du Libre à vous ! du 5 janvier 2021, le Libre à vous ! 88. Je vous souhaite une bonne écoute. On se retrouve dans 53 minutes environ en direct sur Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

Discussion avec Henri Verdier, ambassadeur pour les affaires numériques

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal. Nous avons aujourd’hui l’honneur de recevoir Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique. Bonjour Henri.

Henri Verdier : Bonjour.

Frédéric Couchet : Si vous souhaitez participer à cette conversation, réagir, poser une question, rendez-vous sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat » et salon #libreavous. Je surveille le salon, je relaierai les questions éventuellement ou vos remarques.
Ambassadeur pour le numérique. Selon Wikipédia, un ambassadeur est un représentant d’un État auprès d’un autre, parfois auprès d’une organisation internationale. C’est le rôle le plus haut au sein de la hiérarchie diplomatique. On connaît depuis longtemps cette fonction auprès des États étrangers, mais un ambassadeur pour le numérique c’est plus récent et sans doute que ses missions ne vous sont pas connues, chers auditeurs et auditrices. Notre invité, Henri Verdier, va vous faire connaître ce rôle d’ambassadeur, ses missions, mais on va parler aussi, et beaucoup, de logiciel libre, de données publiques car Henri Verdier, dans son parcours, a été notamment directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État, donc beaucoup de choses.
Première question, pour en savoir un peu plus sur vous, Henri, petite présentation de votre parcours personnel.

Henri Verdier : C’est un parcours qui suit un peu l’histoire du numérique, puisque, en 1995, je menais des études qui me prédisposaient à enseigner, puis je suis tombé un peu par hasard sur Internet et on a créé avec des amis, dont Xavier Lazarus qui est devenu le fondateur d’Elaia Partners, un bon VC français.

Frédéric Couchet : Un VC c’est un venture capital, un capital risque.

Henri Verdier : Dont Fred Potter qui a contribué largement à la conception de la Freebox et qui a créé Netatmo plus tard. On a créé une sorte de WebAgency en 1995 ; il y avait 15 000 internautes en France, c’était un peu confiant dans le futur. En 1999, on l’a transformée en entreprise qui faisait de l’éducation au numérique, avec Odile Jacob qui a pris le contrôle de la boîte et qui nous a financés. On a travaillé avec Charpak sur une magnifique pédagogie qui s’appelle La Main à la pâte ; c’était passionnant la tentative d’amener de l’innovation numérique, de la personnalisation, de l’interactivité, de l’ouverture vers l’extérieur dans l’école. Le marché de l’éducation au numérique dans l’école n’a beaucoup décollé pendant ces années-là, donc on a arrêté en 2007.
J’ai créé quelques autres boîtes, dont une sur ce qu’on appelait à l’époque les big data, en 2010. J’avais quand même un goût de l’action collective, donc, avec des amis, on a créé un pôle de compétitivité qui s’appelle Cap Digital, qui est une belle partie de ma vie.

Frédéric Couchet : En Île-de-France.

Henri Verdier : C’était le pôle des industries de création culturelle en Île-de-France, il y avait des robots, il y avait des jeux vidéos, il y avait des effets spéciaux pour le cinéma, il y avait des Web services dans tous les sens. Aujourd’hui Cap Digital a plus de 1000 startups, 250 labos publics et privés de recherche et 25 grands groupes. On avait lancé un très beau festival qui s’appelait Futur en Seine, qui a eu un peu plus de mal quand il a dû faire face, j’oublie même le nom, à celui de Publicis.

Frédéric Couchet : Là je ne me souviens pas.

Henri Verdier : Qui a lieu tous les ans en juillet, qui existe encore un peu dans un format un peu plus réduit.
En 2013 on m’a proposé de rejoindre l’État, ce qui a été un moment de grand bonheur, d’abord pour conduire la politique d’ouverture des données publiques, d’open data, à la tête de la mission Etalab. Très vite on a ouvert les données publiques, puis le code, puis le code source des modèles avec OpenFisca et des choses comme ça.
En 2015 on m’a proposé de diriger la Direction interministérielle du numérique et du SI de l’État. Là j’ai essayé de porter à la fois le Libre, les méthodes agiles, les stratégies fondées sur la donnée, l’ouverture aux écosystèmes.
Il y a deux ans on m’a proposé de conduire la diplomatie numérique française en devenant ambassadeur pour les affaires numériques.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est effectivement une présentation parfaite. On voit bien ce passage de rôle d’entrepreneur à haut fonctionnaire de l’État. Vous avez parlé de la DINSIC, la Direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information et de communication de l’État, et de votre rôle autour des logiciels libres, des méthodes agiles. On va y revenir dans la deuxième de l’émission parce que, évidement, c’est ce qui nous intéresse le plus. En même temps, ce qui nous intéresse aussi c’est ce rôle d’ambassadeur pour le numérique parce que c’est sans doute relativement récent, vous allez nous le dire. Mais surtout la question, quand on a évoqué ce sujet, les gens nous ont dit « pourquoi un ambassadeur pour le numérique et c’est quoi un ambassadeur pour le numérique ? Quelles sont les missions ? »

Henri Verdier : Peut-être que la deuxième partie vous intéresse plus parce que vous ne connaissez pas encore la première !
Les gens ne réalisent peut-être pas à quel point le destin des États, donc le destin des relations internationales est maintenant déterminé par la révolution numérique et à quel point, en retour, les États s’emploient à déterminer l’avenir du numérique. On ne réalise pas mais dès qu’on pense cinq minutes on réalise que la prochaine guerre commencera peut-être par une cyberattaque, que la maîtrise de l’intelligence artificielle est clairement devenue un enjeu dans des rapports de puissance, que le conflit, la tech war entre la Chine et les États-Unis...

Frédéric Couchet : La guerre technologique.

Henri Verdier : Je les cite parce que, justement, la France récuse l’idée qu’il y aurait une guerre technologique. Cette guerre technologique entre la Chine et les États-Unis détermine largement le futur de l’Europe. Qu’on ne peut pas envisager l’aide au développement de l’Afrique sans penser à ses infrastructures logicielles. Qu’on ne peut pas défendre sérieusement la francophonie si on n’a pas un regard sur ce qui se passe sur la toile. Donc vous voyez qu’il y a de très nombreux enjeux de géopolitique qui sont du ressort de la diplomatie et qui ont un rapport avec le numérique.
Il y avait une diplomatie numérique bien avant qu’on la formalise dans le rôle d’un ambassadeur pour le numérique puisque la France a un siège à l’Internet Governace Forum, a un siège à l’ICANN [InternetCorporation for Assigned Names and Numbers], plaide à l’OCDE pour une fiscalité pour le numérique Pour commencer, je pourrais dire que l’ambassadeur pour les affaires numériques est celui qui représente la France dans ces négociations-là.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire qu’il y avait déjà des négociations et des personnes qui agissaient, mais il y a eu besoin d’un rôle spécifique d’ambassadeur avec un statut d’ambassadeur ?

Henri Verdier : Voilà. À la fois pour deux raisons.
Vous avez rappelé qu’ambassadeur c’est aussi le titre de celui qui est souvent plénipotentiaire, c’est-à-dire qu’il vient représenter son pays avec le mandat de négocier, et si vous n’êtes pas ambassadeur en général vous n’êtes pas plénipotentiaire.
Et puis il y avait le fait que, au fond, ces sujets étaient éparpillés au sein du ministère des Affaires étrangères. Quand je suis arrivé j’ai commencé par faire une sorte de carte des gens qui traitaient de sujets numériques au Quai d’Orsay et j’en ai trouvé plus de 50 un peu partout. Il y a ceux qui ont inventé les visas startups pour les entrepreneurs qui venaient investir en France, il y a ceux qui travaillaient sur la fiscalité, tout ce que je viens d’énumérer. Le fait que ce soit maintenant porté par un ambassadeur permet d’unifier toutes ces forces dispersées, ce ne sont pas mes équipes, mais je peux leur donner des mandats ou les inter-opérer parce j’ai le titre d’ambassadeur.

Frédéric Couchet : J’ai une petite question à vous poser avant que vous ne reveniez sur les missions. Vous parlez du Quai d’Orsay parce que, évidemment, en tant qu’ambassadeur vous dépendez du Quoi d’Orsay, mais, dans les négociations internationales autour du numérique, de l’informatique, depuis très longtemps il y a un autre ministère qui joue un rôle important et souvent, on va dire, en défaveur des libertés et des droits des personnes, c’est le ministère de la Culture. Est-ce que vous unifiez aussi ces personnes qui travaillent au ministère de la Culture ou c’est vraiment spécifique Quai d’Orsay ?

Henri Verdier : L’État est sérieux. La France est d’ailleurs assez solide sur l’interministériel. On part avec des mandats quand on touche aux intérêts d’autres ministères. Je ne m’attendais pas à ce que vous disiez la Culture.

Frédéric Couchet : Historiquement, en France, la Culture a toujours poussé pour l’extension.

Henri Verdier : Absolument. Comme beaucoup de gens je me suis éveillé à la conscience, comment dire, de la techno-politique dans les controverses autour d’HADOPI [Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet].

Frédéric Couchet : Et aussi la loi droit d’auteur en 2006 avant, dans les années 2000.

Henri Verdier : Franchement, il a changé : sur un certain nombre de sujets on peut considérer aujourd’hui que le ministère de la Culture se vit comme le ministère de la liberté d’expression, qu’il a quelque chose à dire sur la liberté d’expression et qu’il le fait.
En général quand on part, il y a des questions qui sont clairement Quai d’Orsay et des questions qui sont arbitrées par exemple avec le ministère de l’Intérieur, par exemple avec le ministère de l’Économie et des Finances ou avec le ministère de la Culture et d’autres.

Frédéric Couchet : Donc l’interministériel.

Henri Verdier : Souvent on a d’abord une phase d’organisation interministérielle, bien sûr.

Frédéric Couchet : D’accord. Question de date. Est-ce que vous êtes le premier ambassadeur pour le numérique ? Est-ce qu’il y en a eu d’autres avant ? De quand date cette fonction ?

Henri Verdier : Je crois que l’apparition de l’expression, effectivement ce sont les Danois qui avaient dit Tech Ambassador et qui n’avaient pas tout à fait pensé à la même chose que nous. Ils avaient dit les big tech, les GAFA comme on dit souvent en France, ont un tel poids sur notre destin que nous allons ouvrir une représentation permanente à San Francisco et nous aurons un ambassadeur, en tout cas c’était un vrai diplomate, pour parler avec ces entreprises.

Frédéric Couchet : Casper Klynge.

Henri Verdier : Casper Klynge, qui a rejoint Microsoft il y a quelques mois.

Frédéric Couchet : Mince ! J’allais vous faire un quiz. On voit quand même le professionnel qui a bien préparé !

Henri Verdier : J’ai bien connu Casper.

Frédéric Couchet : On va juste préciser, pour que les gens comprennent bien, que là c’est de l’inverse dont on parle. En 2017, le Danemark nomme un ambassadeur auprès de ce l’on appelle les GAFAM, les géants du Net.

Henri Verdier : Non, pas « auprès » parce qu’il n’y a pas de lettre de créance.

Frédéric Couchet : Non, il n’y a pas de lettre. En tout cas aujourd’hui, depuis mars 2020, il est vice-président en charge des affaires publiques pour Microsoft Europe, donc il a rejoint le « M » des GAFAM.

Henri Verdier : Ce qui est amusant c’est que quand j’ai rejoint le Quai d’Orsay j’ai découvert que les gens restaient en général ambassadeur trois ans puis changeaient de pays. On disait « si tu restes plus de trois ans dans le même poste, tu vas devenir trop proche du pays avec lequel tu es chargé de traiter ». Peut-être que Casper est resté top longtemps en poste !
Six mois plus tard la France a créé l’ambassadeur pour le numérique, le premier c’était David Martinon.

Frédéric Couchet : Donc en 2017, David Martinon.

Henri Verdier : La même année mais six mois plus tard et on ne l’a jamais positionné comme quelqu’un qui représenterait l’État vers une puissance que seraient des entreprises. C’était pour aller à l’ICANN.

Frédéric Couchet : Dans les organismes internationaux. Ce n’est pas du tout la même chose que le Danemark.

Henri Verdier : Peut-être que je ne vous ai pas dit. Je vous ai expliqué à quel point il y a du numérique dans la géopolitique et vice-versa. Globalement, aujourd’hui, je présente souvent le périmètre de l’ambassadeur pour le numérique comme une espèce de boussole avec quatre flèches : on a des grands sujets autour de la sécurité. Autour de la sécurité il y a la cybersécurité et là c’est clairement un sujet de droit de la guerre – nous on dit droits humanitaires, mais c’est droit de la guerre –, donc ce qui est permis, ce qui n’est pas permis, comment on contrôle, c’est du droit international. Et puis il y a des sujets de sécurité sur les contenus et là, la discussion internationale sur comment faire face. Il y a un vaste spectre.

Frédéric Couchet : Vous parlez de la régulation des contenus ?

Henri Verdier : On a un mot à dire sur la régulation des contenus quand ça touche les ingérences étrangères dans les élections, quand ça touche la régulation de la haine. Souvent le Quai d’Orsay, finalement, se retrouve quand même dans les dossiers parce que tant qu’ils sont en France on n’a rien à dire, mais ensuite on essaye d’en faire des textes européens et on arrive là dans le dialogue européen.

Frédéric Couchet : D’ailleurs ça n’a pas très bien réussi à ce gouvernement récemment. On ne va pas aborder ce sujet en détail.

Henri Verdier : On ne va pas aborder ce sujet-là. Ou ça lui a bien réussi, je ne sais pas !
Donc on a des sujets de sécurité, des infrastructures et des contenus, souvent avec des gens très régaliens qui sont là, on croise des militaires, des services, etc.
On a des sujets de gouvernance d’Internet, donc, par exemple, on tient le siège à l’ICANN.

Frédéric Couchet : Rappelez juste ce qu’est l’ICANN pour les gens qui nous écoutent.

Henri Verdier : L’ICANN c’est l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers.

Frédéric Couchet : C’est là qu’ils gèrent, notamment, les noms de domaines.

Henri Verdier : Ils gèrent les attributions des noms de domaines, etc. L’an dernier, par exemple, on a mené un combat dont je suis assez fier pour tout dire. On a failli assister à la privatisation subreptice du point org.

Frédéric Couchet : Oui, la vente du point org.

Henri Verdier : Qui aurait été vendu à un fonds d’investissement, Ethos Capital, lui-même fondé par l’ancien directeur général de l’ICANN qui venait de faire voter par son board, malgré l’avis négatif de tous les adhérents, le fait qu’il allait se vendre à lui-même le point org.

Frédéric Couchet : Donc vous avez agi là-dessus.

Henri Verdier : Plus que ça ! Nous sommes clairement le premier pays, en tant que pays, puisque, avant nous, l’Electronic Frontier Foundation avait bien sûr manifesté son désaccord.

Frédéric Couchet : L’April avait cosigné la lettre de l’Electronic Frontier Foundation.

Henri Verdier : Mais le premier pays qui avait battu le premier le rappel en disant « nous n’acceptons pas, c’est inacceptable, etc. », c’est la France qui a ensuite entraîné l’Allemagne, l’Europe. La vérité qui est vexante pour vous et pour moi c’est que c’est probablement l’Attorney General de Californie qui a réglé la querelle en disant « si vous faites ça, je vous ferai payer les 20 ans d’impôts auxquels vous avez échappé parce que vous étiez non for profit ». Cela dit, on a au moins l’honneur d’avoir sonné la charge et que les États se préoccupent de l’intérêt général sur la gouvernance de l’Internet. Donc sécurité.

Frédéric Couchet : C’était déjà ça, sur la gouvernance de l’Internet. Deuxième point ?

Henri Verdier : De la diplomatie économique comme la question de la fiscalité pour les affaires numériques qui est, bien sûr, d’abord portée par Bercy, mais on suit de très près et dans un dialogue constant avec Bercy.
Et puis, ne l’oubliez pas, la France a quand même une vraie grande diplomatie de valeurs, la France défend l’accès à l’éducation, l’accès à la culture, le développement des pays émergents, la liberté d’expression, la liberté de la presse.

Frédéric Couchet : Y compris Gérald Darmanin ?

Henri Verdier : Puisque je vous sens taquin, vous allez me dire qu’au moins à l’étranger nous les défendons. Aujourd’hui on ne peut plus penser tout ça sans le penser à travers le numérique. En fait, il y a énormément de sujets numériques dans l’accompagnement de la transition numérique de ces politiques publiques-là. Donc l’ambassadeur pour les affaires numériques supervise tout ça, il harmonise tout ça et il met en mouvement des forces qui sont un peu partout au sein du Quai d’Orsay.

Frédéric Couchet : Et il y a la langue française dont vous avez parlé en introduction.

Henri Verdier : Par exemple cet hiver, j’ai été très fier, on a donné un coup de pouce, pour le coup bête et méchant, on s’est retroussé les manches et on a aidé avec l’OIF.

Frédéric Couchet : L’OIF ?

Henri Verdier : L’Organisation internationale de la francophonie. Vous avez vous aussi vos sigles !

Frédéric Couchet : Oui, mais les personnes qui écoutent ne connaissent pas forcément tous les sigles !

Henri Verdier : D’accord. On s’est rendu compte que l’Afrique aussi allait devoir faire face à sa crise du Covid et qu’elle avait des États parfois moins structurés avec des systèmes de santé encore plus à plaindre que les nôtres et qu’elle a quand même des innovateurs, des entrepreneurs, des fab labs, etc. On a fait naître un mouvement, tout bêtement en utilisant Slack.

Frédéric Couchet : Slack est un environnement propriétaire de travail collaboratif, on va dire. Un truc moins bien que les outils libres qui existent.

Henri Verdier : Il se trouve qu’ils sont partis sur Slack. À la fin on a fait vivre ce réseau de plus de 6000 innovateurs africains qui, un peu partout, fabriquaient des masques, des respirateurs artificiels, des petits guides de bonnes pratiques sanitaires, qui s’entraidaient, qui se passaient des tips, des tuyaux et des ressources. Là, on a juste servi de véhicule pour aider à cristalliser un mouvement dont l’énergie venait d’Afrique. C’était un très beau moment de travail diplomatique.

Frédéric Couchet : D’accord.
Sur le salon web, je vois une question. Je vais la lire telle quelle parce qu’elle est assez longue : on semble noter à travers différents projets législatifs une tendance à déléguer une partie des pouvoirs régaliens aux grandes plateformes. On peut ainsi penser à la tentative de la proposition de loi Avia sur la régulation de la haine de déléguer la sanction des propos haineux, ou la directive droit d’auteur, donc ministère de la Culture, le contrôle de la licéité des partages d’œuvres par les internautes aux GAFAM. Partagez-vous ce constat ? Quelle est votre lecture de cet enjeu ?

Henri Verdier : Ma lecture de cet enjeu. On a plutôt toujours été défavorable à ce genre de logique puisque l’État de droit commence par les règles de base de l’État de droit et c’est dans la démocratie que doivent se prendre les sanctions.
Cela étant rappelé, pour répondre à la question en la montant à une certaine portée théorique, premièrement il y a 15 ans, 20 ans, je ne sais plus, on a eu des batailles homériques qui ont permis d’établir l’idée qu’il y avait un statut de l’hébergeur avec sa neutralité.

Frédéric Couchet : C’est la directive européenne de 2000 et la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004.

Henri Verdier : Bravo ! Vous êtes plus calé que moi !

Frédéric Couchet : Qui va bientôt être revue, sans doute.

Henri Verdier : Donc on avait l’hébergeur — et heureusement, sinon on n’aurait sans doute pas eu la révolution internet – dont on a rappelé qu’il était neutre aux contenus et neutre sur la responsabilité des contenus, et l’éditeur qui prenait une responsabilité sur les contenus. Et on a vu arriver un business qui s’est faufilé entre les deux, qui dit « ce n’est pas moi qui ai écrit les contenus », mais qui vit réellement de la nature des contenus puisque son placement publicitaire dépend de la nature des contenus.

Frédéric Couchet : Là vous parlez de Facebook et compagnie.

Henri Verdier : Oui, c’est le business de la plupart des réseaux sociaux qui, en plus, par la publicité personnalisée, la personnalisation des contenus et le croisement des deux a quand même un rôle de curateur, vous l’appelez comme voulez, et, quelque part, je pense qu’on ne tranchera cette querelle que quand on aura solidement construit le tiers statut.

Frédéric Couchet : Entre hébergeur et éditeur ?

Henri Verdier : Oui. Quand on aura compris quelle est la responsabilité précise et jusqu’où elle va de celui qui, certes, n’a ni financé ni écrit les contenus, mais en a mis certains en avant, d’autres non, et a quand même joué un rôle dans leur présentation. Aujourd’hui on n’a pas encore clairement ce statut. On a commencé à le préparer dans la directive sur les retraits de contenus à caractère terroriste qui est aussi un des sujets qu’on suit, mais ce n’est pas encore un consensus général.
On a un deuxième problème. Vous voyez bien, par exemple Facebook qui se gargarise d’avoir mis 36 000 modérateurs juste pour enlever ce qui contrevient à ses CGU.

Frédéric Couchet : Conditions générales d’utilisation.

Henri Verdier : Même si vous dites que la France c’est 1 % de la population mondiale, on ne va mettre 360 gendarmes juste pour lire Facebook toute la journée et autant sur Twitter et autant sur Tik Tok et autant sur Snap ! Tout le monde cherche, en fait, une solution « scalable », qui passe l’échelle. À titre personnel, je trouve que ces approches, j’ai un devoir de réserve comme vous le savez.

Frédéric Couchet : Oh !

Henri Verdier : Montrent, en tout cas, une pensée pas assez numérique, notamment une absence de réflexion sur les dimensions systémiques, sur le fait, justement, d’un combat sur la transparence des algorithmes de propagation des contenus, un débat public et collectif sur ce qu’on permet ou pas à ces algorithmes de sélection des contenus. Je pense qu’on voit des réponses, par exemple dans la stratégie de Twitter qui commence à chercher des petits trucs qui vont freiner la viralité. Vous avez remarqué ?

Frédéric Couchet : Oui, ils avaient changé notamment sur les retweets, par défaut il fallait mettre un commentaire.

Henri Verdier : Depuis quelques semaines ils vous disent : « Est-ce que tu es sûr que tu veux partager ce truc, tu ne l’as pas lu ! »

Frédéric Couchet : Ils ajoutent de la friction, quelque part.

Henri Verdier : Ils mettent de la friction, absolument. Ça avait commencé avec WhatsApp qui empêchait qu’on « forwarde » à plus de dix personnes à la fois un message reçu sur WhatsApp.
Je pense que tout ça marque une insuffisance de pensée d’ingénieur, en fait, de pensée systémique. Pour conclure, parce que c’est une question et je suis sûr que vous en avez d’autres, il y a quand même un point très important. Ce que cherche quand même, en vérité, le secrétaire d’État au numérique.

Frédéric Couchet : Cédric O.

Henri Verdier : C’est quelque chose qui rappellerait un peu la régulation des banques. Qu’est-ce qui se passe avec les banques ? On ne leur demande pas d’attraper tous les mafieux. Elles ont des obligations de diligence. Elles doivent avoir suffisamment de data, prendre certaines sécurités elles-mêmes et être capables de transmettre les données aux autorités en cas de besoin. Et elles ne passent les mêmes à un juge d’instruction qui cherche un criminel, à Tracfin.

Frédéric Couchet : Tracfin c’est la partie financière, la fraude fiscale.

Henri Verdier : Tracfin qui cherche les gros systèmes de délinquance ou à l’administration fiscale. Tout le monde cherche, en ce moment, à définir quel sera le devoir de diligence qui sera imposé à ces entreprises pour que les autorités puissent faire leur travail.
Je fais partie de ceux qui pensent qu’on leur avait délégué trop de pouvoir d’appréciation plus une incitation à sur-censurer, donc je n’étais pas confortable avec la loi Avia et je l’avais dit. Il faut bien comprendre que tant qu’on n’aura pas ce tiers statut, une pensée d’un système qui ne soit pas intrinsèquement pervers et une claire idée des obligations de diligence de ces entreprises, on n’aura pas de bonne solution.

Frédéric Couchet : D’accord. On reviendra sans doute sur ce sujet, pas aujourd’hui mais peut-être dans une autre émission avec d’autres personnes parce que c’est évidemment un sujet complexe, qui va occuper au niveau européen et au niveau français. Peut-être qu’on aura une prochaine loi numérique de ce gouvernement ou des prochains, je ne sais pas !
Je reviens sur l’ambassadeur pour le numérique, j’ai une question : quand vous êtes nommé, vous n’êtes pas nommé pour une durée précise ?

Henri Verdier : Non, c’est comme directeur interministériel, c’est nommé en Conseil des ministres et révocable tous les mercredis.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire que si le secrétaire d’État au numérique change, vous pouvez changer !

Henri Verdier : Non !

Frédéric Couchet : C’était une blague !

Henri Verdier : Moi je dépends et je réponds au ministre des Affaires étrangères. Vous faisiez référence à autre chose, mais bon !

Frédéric Couchet : Oui, je sais.
Il y a des gens qui sont très taquins sur le salon web, Je rappelle que vous pouvez nous rejoindre en direct causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous. Marie-Odile qui dit « tirons au sort 35 citoyens qui vont décider ». C’est très taquin, mais cette solution du tirage au sort n’est pas sans démérite dans d’autres contextes.
On va revenir à notre sujet parce que le temps file vite. On a bien compris le rôle d’ambassadeur pour le numérique. Vous avez parlé un petit peu de certaines choses que vous avez faites. Est-ce que vous voudriez rapidement citer, on ne l’a pas encore fait, un ou deux résultats que vous avez obtenus depuis 2018 ? On a parlé du point org, on a parlé de ce qui s’est passé en Afrique, est-ce que vous voulez citer un autre exemple ou deux ?

Henri Verdier : Oui. La diplomatie est un sport collectif et d’influence donc, à la limite, on pourrait presque dire que les résultats spectaculaires c’est la preuve d’un échec diplomatique.
On a quand même réussi, malgré une opposition très forte de la précédente administration américaine, à construire le Partenariat mondial pour l’intelligence artificielle, pour créer un cadre international de réflexion sur la régulation et l’éthique de l’intelligence artificielle.

Frédéric Couchet : La précédente administration, celle de Donald Trump ?

Henri Verdier : Oui. Moi je trouve effectivement que le plus important c’est qu’on imbibe à la fois les diplomates d’une certaine pensée du numérique. J’ai dû faire lire l’article de Lessig,Code is Law.

Frédéric Couchet : Lawrence Lessig, l’article préféré de mon collègue Étienne Gonnu qui est en régie.

Henri Verdier : J’ai dû le faire lire des centaines de fois ; en général on tombe sur le Framablog quand on le recommande. C’est important de dire qu’il y a des batailles qui se jouent dans les infrastructures. Vous avez peut-être vu qu’en ce moment Huawei propose à l’Union internationale des télécommunications un nouveau protocole TCP/IP beaucoup mieux parce que beaucoup stable, beaucoup plus centralisé et beaucoup plus facile à réparer si jamais des gens en abusent.
Je pense que le plus important c’est qu’on est en train de diffuser l’idée qu’il y a de la tech dans la diplomatie et, en retour, essayer de diffuser que dans la régulation de la tech, les communs, l’ouverture, la société civile, etc., ça fait partie de la solution et qu’on ne doit pas penser la régulation de la tech comme celle de l’aérospatiale.

Frédéric Couchet : D’accord. Dernière question sur cette partie-là. Tout à l’heure vous avez parlé d’une équipe. Vous êtes secondé par une équipe de combien de personnes ?

Henri Verdier : On a une petite équipe de trois personnes qui fonctionnent un peu comme un cabinet autour d’un ministre, qui m’aident, du coup, à mettre en mouvement la cinquantaine de personnes dont j’ai parlé qui ont chacune leur propre directeur. Et j’ai quand même pu ramasser trois francs six sous et lancer une de ces startups d’État, format que j’avais inventé à la DINSIC. Donc il y aune petite équipe de devs.

Frédéric Couchet : De développeurs et de développeuses.

Henri Verdier : De développeurs agiles et full stack.

Frédéric Couchet : Expliquez full stack.

Henri Verdier : Ce n’est pas à moi d’expliquer, c’est à vous !

Frédéric Couchet : C’est vous l’intervenant. Je ne connais rien à ces sujets !

Henri Verdier : Une petite équipe de développeurs comme on les aime, qui travaillent. Pour citer, par exemple, une des choses qu’on a faites — vous pouvez les retrouver sur le disinfo.quaidorsay.fr — on a fait un outil qui aspire toutes les CGU d’une cinquantaine de grandes entreprises du numérique et qui traque les différences.

Frédéric Couchet : Les différences.

Henri Verdier : Vous avez remarqué que non seulement ces conditions générales d’utilisation sont plus longues que Cyrano de Bergerac en nombre de mots mais, en plus, elles changent tous les 15 jours et sans qu’on vous notifie qu’elles viennent de changer. Ça nous permet d’historiciser ces changements et de voir si elles nous ont pipeautés dans la négociation ou pas, de voir comment elles réagissent à une crise comme la Covid, à une nouvelle loi qu’on vient de passer, etc., et de mieux négocier avec elles, parce qu’on les met devant leurs responsabilités. Naturellement c’est un logiciel libre, vous pouvez en prendre le code source sur GitHub.

Frédéric Couchet : Ah !

Henri Verdier : Oui, je sais !

Frédéric Couchet : Ce n’est pas grave, on va en parler après.

Henri Verdier : On avait notre compte avant que ce soit Microsoft et, bien sûr, on essaie de faire naître une communauté de contributeurs qui, eux-mêmes, ramènent leurs archives, leurs observations et tout ce qu’ils ont pu aspirer depuis le temps dans d’innombrables entreprises du numérique.

Frédéric Couchet : D’accord. GitHub ce n’est pas le problème, ce n’est pas que ça appartient à Microsoft. C’était déjà un environnement privateur sur Git. On va justement en parler après.
On va faire une petite pause après cette première partie, la découverte de ce rôle d’ambassadeur du numérique et de Henri Verdier. J’ai bien vu les questions sur le salon web, notamment ce qu’est la définition des communs. On va en parler après la pause musicale.
On va faire une petite pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : On va continuer la découverte de cet artiste Guifrog. On va écouter Tormenta. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Tormenta par Guifrog.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Tormenta par Guifrog, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio causecommune.fm.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 et en DAB+ en Île-de-France, partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Nous continuons notre discussion avec Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique.

On va passer au deuxième grand thème de l’émission. Après avoir bien compris le rôle de l’ambassadeur pour le numérique, on va parler un peu de sujets qui nous intéressent au plus haut point dans cette émission, logiciel libre, données publiques et autres. On va revenir aussi un peu sur votre passage à la Direction informatique de l’État. On va aussi parler du rapport Bothorel qui vient d’être publié.

Première en question, je vais la faire en deux fois. Sur le salon web, je rappelle causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, il y avait une question : quelle est votre définition des communs ?, et je vais la compléter. En octobre 2020, j’écoutais votre audition par la mission d’information « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne ». ; vous avez notamment développé l’idée que si l’idée c’est l’autonomie des ressources sur lesquelles on innove, il est bon, il est souhaitable d’avoir une industrie européenne, mais on peut aussi jouer des stratégies avec les communs numériques, avec le logiciel libre, OpenStreetMap, Wikipédia, « Nous plaidons pour que cela entre dans une stratégie de souveraineté ». Vous avez aussi cité l’exemple de l’Agence française du développement, l’AFD, qui développe des partenariats publics-communs. Première question : pour vous c’est quoi les communs ? C’est quoi les communs numériques et quelle est votre position logiciel libre, données publiques ?

Henri Verdier : Ça fait 17 questions ça !

Frédéric Couchet : Oui !

Henri Verdier : Sur les communs, d’abord, je sais parfaitement que dans les communautés du Libre on peut avoir des controverses, des définitions, qu’on peut se coller des étiquettes, etc. Le sujet m’a assez passionné et je peux renvoyer, si les auditeurs s’y intéressent, à un article auquel j’avais contribué dans la revue Esprit, tout entier sur les communs et l’économie politique.
Je vais prendre une définition très simple : c’est ce qu’on fabrique et qu’on gouverne en commun. Pour moi un commun ce n’est pas seulement la nature de la propriété intellectuelle sur la ressource en question, parce qu’on peut être un Libre qui n’est pas commun puisqu’on est tout seul, et si c’est fabriqué en commun mais sans gouvernance en commun, etc. Pour moi que ce soit Wikipédia, OpenStreetMap, Open Food Facts, on a quelques exemples de très grands communs contributifs et effectivement, comme l’a d’ailleurs dit Marie-Odile tout à l’heure, on voit bien qu’il y a quand même une sorte d’homothétie avec le rôle de la puissance publique qui est supposée travailler au nom du peuple souverain, au service de l’intérêt général et que souvent ce sont des ressources qui nous donnent des leviers d’action.
Ma position n’a pas d’intérêt, mais ce que nous avons essayé de faire sur l’open data et sur le Libre, je vais juste dire que c’est intéressant parce qu’on voit bien que maintenant tout le monde dit « il faut ouvrir les données, il faut ouvrir le code » ; c’est le même mouvement. En fait en 2013, quand j’ai rejoint l’État, c’était deux sujets très séparés. On m’a appelé, je l’ai rappelé, pour conduire la politique d’ouverture des données publiques, d’open data. Au fond on conduisait cette politique a), pour des raisons de transparence démocratique, parce que c’est notre Constitution, « la société est en droit de demander compte à tout agent public de son administration », ce sont les droits de l’homme ; b), parce que ça pouvait être un stimulus économique, parce qu’il y a des gens ramassent ces données et qui inventent des services avec et c), en tout cas j’ai rajouté que très souvent le premier bénéficiaire de tout ça c’est l’État lui-même parce que c’est le premier qui souffre des silos et des données inaccessibles, etc. Demandez au gars, qui est un de mes amis, qui recevait tous les soirs le nombre de décès en EHPAD par SMS pour essayer de faire le démarrage de l’épidémie de Covid.

Frédéric Couchet : Sérieusement !

Henri Verdier : Oui, bien sûr, parce qu’on n’avait pas de système d’information qui ait prévu de partager ces informations-là avant qu’elles ne soient centralisées et rassemblées par l’INSEE, mais tout ça a fait perdre trois semaines.
Donc l’efficacité de l’État, ça c’était l’open data. Et puis le Libre. Quand j’ai pris la tête d’Etalab, le portail data.gouv.fr coûtait un million par an.

Frédéric Couchet : Etalab, c’était le service d’ouverture des données publiques, que vous avez dirigé.

Henri Verdier : Voilà. Le portail data.gouv.fr coûtait un million par an, ce qui est quand même considérable pour un service web. Il y avait une grosse, on disait SS2I à l’époque, maintenant on dit Entreprise de services du numérique, et chaque fois que je voulais modifier un pouième, on me disait « hou là, là, attends, il faut faire un bon de commande » et ça coûtait très cher. Je trouvais juste insupportable de ne pas pouvoir réparer moi-même un truc qui n’allait pas.
Au début j’ai essayé d’introduire dans l’État le Libre plus pour des considérations d’autonomie stratégique en fait, de capacité d’action et de vitesse de réaction.
Petit à petit, et c’est très bien, les deux sujets ont un peu convergé. Marie-Odile a dit beaucoup de choses très justes. Par exemple les États servent l’intérêt général, donc ils peuvent facilement trouver des alliés, j’ai notamment cité OpenStreetMap ou des gens comme ça. Les États n’ont pas de concurrent, personne ne leur pique des parts de marché, ils peuvent facilement coopérer. Donc c’est un peu bête de faire un portail et que les Luxembourgeois fassent le leur, que les Belges fassent le leur, que les Allemands fassent le leur. C’est assez facile, en somme, de s’organiser et de mettre des développeurs d’accord, c’est plus facile que de mettre des diplomates d’accord.
Et puis oui, j’en ai fait mention devant l’Assemblée, je pense que maintenant on en arrive à un point majeur où l’existence et la pérennité de communs — donc oui je mets le commun jusqu’au logiciel ou aux jeux de données — est une condition de souveraineté. On parle sans cesse de souveraineté numérique. Certains croient encore que ça veut dire intégration verticale d’une filière industrielle nationale. Pour moi, de nouveau, la souveraineté c’est juste la capacité d’agir, l’autonomie stratégique, la liberté d’avoir le choix.

Frédéric Couchet : Pour les États et pour les individus.

Henri Verdier : Pour tout le monde, en fait. Ce qui est intéressant c’est qu’à travers la question de la souveraineté numérique on pourrait réaligner un peu mieux les droits individuels, les libertés fondamentales et la souveraineté des États qui pourraient s’enchaîner au-dessus de la liberté individuelle pour pouvoir la protéger, parce que là ça va dans le même sens.
Un truc idiot : 90 % des applications dans nos smartphones – pas le vôtre sans doute, mais ceux de la plupart des gens – tournent sur Google Maps. Ça veut dire que du jour au lendemain Google peut changer ses tarifs.

Frédéric Couchet : Comme il l’a déjà fait.

Henri Verdier : Il l’a fait en juillet 2018, si je ne m’abuse, en multipliant par 100 le coût d’accès à l’API.

Frédéric Couchet : L’API c’est l’interface de programmation pour se connecter à Google Maps.

Henri Verdier : Voilà. Il pourrait très bien décider de placer, je ne sais pas, la frontière du Sahara occidental en fonction des décisions de la diplomatie américaine et pas de la diplomatie française. Bon ! Or, on a une alternative qui s’appelle OpenStreetMap. Un pays dont l’économie s’appuie sur OpenStreetMap est plus souverain qu’un pays dont l’économie s’appuie sur Google Maps. Point barre.

Frédéric Couchet : Si vous pouvez juste rappeler ce qu’est OpenStreetMap ?

Henri Verdier : OpenStreetMap est une sorte de Google Maps fait par plus d’un million de contributeurs. C’est une sorte de Wikipédia de la carte, dans une licence libre mais contaminante qui s’appelle l’ODBL [Open Database License].

Frédéric Couchet : Persistante.

Henri Verdier : Share Alike, ça veut dire que ce que vous faites avec doit être lui-même [avec la même licence, NdT].

Frédéric Couchet : Aujourd’hui, dans cette période, le terme « contaminant » peut-être vu très négativement.

Henri Verdier : Ça l’a été.

Frédéric Couchet : Ça l’a été. Alors que les licences libres de type Share Alike, qui veut dire Partage à l’identique, sont la persistance des libertés et je vais juste dire aux auditeurs et auditrices qui nous écoutent qu’on a consacré deux émissions à OpenStreetMap ; vous pouvez les retrouver sur causecomnmune.fm et april.org. Je vous laisse poursuivre.

Henri Verdier : Après, si on monte en théorie stratégique, ça veut dire que la souveraineté peut se gagner en étant en hégémonie stratégique parce qu’on est les plus forts, mais ça peut peut-être aussi se construire en s’assurant que personne n’aura d’hégémonie stratégique et que toute cette famille – mettez en vrac les communs contributifs, l’open data, le logiciel libre, etc. – au fond baisse la densité d’hégémonie stratégique, donc libère les États, les entreprises ou les citoyens.
Donc nous essayons, en ce moment, d’en faire un axe très fort de notre diplomatie numérique, de convaincre l’Europe que c’est un sujet majeur pour un continent qui, malheureusement, n’est quand même pas le berceau des géants industriels du numérique ; qu’on le veuille ou non, c’est comme ça ! Que ça peut être un axe très important dans la coopération internationale, puisque vous savez très bien qu’un grand nombre de pays d’Afrique, en ce moment, sont contraints de se demander s’ils vont accepter l’Internet Facebook ou l’Internet Huawei ou un Internet trop cher financé par la banque mondiale et on peut leur dire « vous savez, il y a quand même des solutions ! ».
Voilà pour cette question des communs, de l’open data et de l’open source. Ah ! J’ai dit open source !

Frédéric Couchet : Vous avez dit open source, logiciel libre en France.

Henri Verdier : Ce n’est pas tout à fait pareil !

Frédéric Couchet : Oui. Je suis bien d’accord, j’allais préciser. Effectivement, ce n’est pas tout à fait pareil, il y a une version politique et, on va dire, une version plus économique. À la limite peu importe !
Tout à l’heure vous avez parlé, ou c’est peut-être moi qui ai parlé de l’AFD, l’Agence française pour le développement, et dans votre audition sur la mission d’information vous avez parlé des partenariats publics. Est-ce que vous pourriez nous en dire juste deux mots ?

Henri Verdier : C’est un sujet qu’on travaille en ce moment, que l’AFD travaille en ce moment avec mon équipe. C’est évidemment une réponse aux fameux partenariats publics-privés et, dans la même logique, on dit que la puissance publique peut aider un commun et déléguer à un commun une partie de la mission de service public.
Aujourd’hui il y a quand même une difficulté. Du coup, cette question fait réfléchir. La plupart des aides publiques au développement ont été faites dans des systèmes de prêts remboursables. Le plus facile c’est quand même de dire au pays « je te finance une autoroute, tu mettras un péage et tu me rembourseras chaque année ». Donc aujourd’hui la vraie question c’est comment on finance quelque chose dont on ne pourra tirer des recettes par péage, par inclosure pour prendre une autre terminologie.

Frédéric Couchet : Enclosure.

Henri Verdier : Donc on est en train de chercher des outils financiers pour tout dire. La bonne nouvelle c’est que, parfois, on est en train de parler d’infrastructures qui peuvent être 100 fois moins chères qu’une autoroute. Là aussi nous ne cessons de montrer que l’existence d’un cadastre, par exemple, peut changer la donne dans un pays d’une manière incroyable. Un pays sans cadastre a des paysans qui ont un bout de terre mais qui ne peuvent pas aller voir une banque pour emprunter, donc ils ne peuvent pas investir.
Je passe la question suivante.

Frédéric Couchet : En tout cas c’est un sujet intéressant qu’on va suivre.
Comme je l’ai dit tout à l’heure vous avez été, entre 2015 et 2018, le directeur de la DSI de l’État, on va dire, la Direction informatique de l’État et aussi de la transformation numérique dans laquelle vous aviez lancé pas mal de choses autour du logiciel libre, des pratiques agiles. Est-ce que vous voulez dire un mot, justement, des pratiques agiles ?

Henri Verdier : Oui. En un mot c’est court !

Frédéric Couchet : Oui, je sais !

Henri Verdier : DSI de l’État, DSI Groupe de l’État. L’État c’est 16 000 informaticiens, 150 personnes à la DINSIC ; c’est quatre milliards de budget, dix millions à la DINSIC. Dans le privé on appelle ça la DSI Corporate, celle qui essaie de donner des règles, des standards, des bonnes pratiques aux autres DSI qui ont le pouvoir. Le pouvoir féodal et financier des équipes est dans les autres DSI. À tous ceux qui disent qu’on n’a pas fait assez en trois ans, je rappelle qu’on était là pour changer la trajectoire de puissances bien plus puissantes que nous.
Dans ces quatre milliards, la moitié c’est à peu près la masse salariale des informaticiens, puis il y a deux milliards d’achats, à peu près un milliard de licences en tous genres et à peu près un milliard de très grands projets dingues, des trucs qui coûtent 80, 500, 800 millions d’euros, qui se font pendant 15 ans et qui sont en dehors de tout comparable. Quand vous faites le SI de paye d’un million de profs, il n’y a rien de comparable au monde. Certains éditeurs de logiciel vont dire « moi je sais faire DSI de paye », mais ils oublient que toute la fonction de ressources humaines de l’Éducation nationale c’est d’être sûr que le 1er septembre, à huit heures du matin, un million de profs sont devant 13 millions d’élèves, chacun dans la bonne classe. Aucun logiciel de RH n’a été designé pour ça.
Face à ces projets phares, avec mon équipe, plein de gens qui venaient de tous les numériques en fait – des startups, de Wikipédia, du Libre, Easter-eggs et d’autres – on a voulu montrer que la plupart du temps, deux-trois types résolus qui savent exactement la fonction qu’ils sont en train de créer, sont capables de faire le minimum viable product, le produit minimum viable en moins de six mois pour moins de 200 000 euros. On l’a fait. On a pris l’expression « startup d’État », je sais que ça ne nous a pas valu que des amis, je plaide coupable, désolé, on aurait dû dire je ne sais pas quoi. On voulait garder de l’équipe startup la capacité à pivoter, l’autonomie des équipes, l’idée que quelle que soit la taille d’une équipe on pouvait faire vaciller le vieux modèle. On a aussi pris au monde du Libre, au monde des communs, beaucoup d’autres valeurs. En tout cas on a essayé de créer un programme qui lançait des petites équipes, maîtres de ces méthodes agiles, pour faire avec une seule règle : « tu n’auras que 200 000 euros et six mois faire ton premier produit et avoir un client content. Et si ça marche on refinance ». On l’a fait plus de 90 fois. Certains ont été des grands succès comme Pix. D’autres on les a arrêtés.

Frédéric Couchet : Pix, c’est quoi ?

Henri Verdier : Probablement qu’un certain nombre de vos auditeurs l’ont vu. En gros, Pix était un TOEFL [Test of English as a Foreign Language] numérique pour évaluer ses compétences numériques et ensuite un programme d’études. L’Éducation nationale l’a fait pour les élèves ; c’est gratuit pour les élèves. Maintenant il y a un tas de grandes entreprises qui s’en servent dans leur DRH, Allianz et d’autres. Du coup ça permet de financer la suite du développement. Là on parle de millions d’utilisateurs.
On a créé un incubateur de startups d’État, fait par des fonctionnaires, c’était un programme d’« intrapreneurs », poussés à suivre, à appliquer à fond ces fameuses méthodes agiles.

Frédéric Couchet : Ça c’était pendant que vous étiez à la DINSIC. Vous partez en 2018 pour devenir ambassadeur du numérique. Je pense que vous êtes beaucoup regretté, quelque part, à la DINSIC, parce que, après votre départ, il y a eu beaucoup de départs. Certains ont même fait beaucoup de bruit, certains se sont exprimés. Aujourd’hui quel jugement portez-vous sur l’évolution de la DINSIC et notamment sur son nouveau directeur qui, en tout cas, ne semble pas du tout aller dans votre direction ?

Henri Verdier : Je suis un agent public, donc je ne porte aucun jugement sur mon successeur. Ce qui est bien c’est qu’en plus le nom a changé.

Frédéric Couchet : Ça s’appelle la DINUM maintenant.

Henri Verdier : C’est la DINUM. Quand je dis la DINSIC, on sait de quoi je parle.
À la DINSIC, avec effectivement un tas de types homériques — je pense que l’un des départs spectaculaires dont vous parlez c’est celui de Christian Quest, le président d’OpenStreetMap —, nous avions une haute conscience que la transformation numérique était une transformation des couches profondes, que c’était une transformation des couches hautes — on a fait FranceConnect, on a fait des API, des interfaces de programmation d’applications, on a fait des petits services très rapides et très agiles —, que c’était une transformation organisationnelle et managériale et que c’était une transformation culturelle. Il y avait un bloc de cohérence entre une manière de penser, je ne sais pas, le datacenter, et l’idée qu’il fallait une autonomie des équipes, un respect de l’Internet. Donc quelque part, je l’assume aussi, on faisait de la politique.
Disons, pour rester pudique, que j’ai l’impression, aujourd’hui, que la DINUM se comporte plus comme une DSI Groupe, qui fait son travail de DSI Groupe et qui le fait, je ne dis pas le contraire. Elle est peut-être un peu moins frondeuse. Typiquement, dans le combat pour l’open data on a porté un combat. On a embêté les administrations, on les a contournées, on les a défiées, on les a provoquées, on les a incitées et on les a aussi aidées. On leur a monté au moins une centaine de hackathons, on leur a fait rencontrer des communautés d’utilisateurs, on les a aidées à prendre leurs victoires. On portait un agenda politique.

Frédéric Couchet : D’accord. Je comprends bien que votre parole est contrainte. Je voudrais juste rappeler que la DINUM c’est la Direction interministérielle du numérique. Les personnes qui sont intéressées, vous cherchez sur Internet, il y a notamment un article qui parlait de la lettre ouverte de Christian Quest dans laquelle il parlait de la feuille de route utilitariste et court-termiste du successeur d’Henri Verdier, dans laquelle il ne retrouve quasiment aucune des valeurs qui lui avaient fait rejoindre Etalab à l’époque. Je parle bien sûr de Christian Quest.
Le temps passe vite. On va aborder le dernier sujet, en tout cas on va rester sur le logiciel libre. Récemment vient d’être publié le rapport de la mission Bothorel. Je rappelle le contexte : en juin 2020, le député Éric Bothorel se voit confier par le Premier ministre la conduite d’une mission d’information autour des données publiques et de l’ouverture des codes sources publics. Il y a également eu des auditions auxquelles l’April et d’autres ont participé, un site de consultation publique sur lequel on pouvait faire des contributions. Il se trouve que l’April a fait quatre contributions, ce sont les quatre qui sont arrivées en tête de la consultation, juste suivies par celles du Conseil national du logiciel libre. Donc on peut dire que la consultation est un plébiscite en faveur du logiciel
Le rapport Bothorel vient d’être publié il y a quelques jours, pendant les fêtes. On va dire qu’il reconnaît, évidemment pour nous, « les logiciels libres comme des composants stratégiques de nos systèmes d’information ». Je vais déjà vous demander votre avis général sur le rapport, avant de vous poser, éventuellement, une ou deux questions plus précises.

Henri Verdier : Je le trouve très positif. Puisque vous avez fait allusion au fait qu’il y avait eu un petit changement de climat, je pense qu’on reprend le combat là où il a été un peu gelé il y a deux ans. Il repousse en avant à la fois de l’open data, de la transparence, du logiciel libre. Après, il faudra voir. Quand vous dites que le logiciel libre est une composante du SI de l’État, est-ce que vous voulez dire que le SI de l’État doit être entièrement open source, ce qui a été ma politique.

Frédéric Couchet : Pas open source logiciel libre !

Henri Verdier : Que tout le code doit être ouvert et partagé. Ou est-ce que vous voulez dire qu’ils doivent prendre des logiciels libres de l’extérieur et, si oui, est-ce que ce sont ceux des éditeurs ou s’appuyer sur les communs ?

Frédéric Couchet : Je ne sais pas si on va avoir le temps d’aborder ce sujet. Je vois à quoi vous faites référence.

Henri Verdier : Tout n’est pas dit simplement par la phrase que vous avez citée. Il reprend tout ça. Il rappelle que pour que ça réussisse il y a aussi des enjeux RH assez considérables parce que c’est quand même plutôt un rapport, à l’origine, sur la donnée. Un des sujets où j’aurais aimé, quand même, réussir à aller plus loin, c’est introduire une culture du pilotage par la donnée, les Anglais disent les Data-Driven Policy, les politiques publiques fondées sur la donnée. Quand vous voyez le nombre de choses qui sont faites sur des intuitions de cabinets ministériels, sur des approximations !

Frédéric Couchet : Vous parlez de la situation sanitaire actuelle ?

Henri Verdier : Partout. Franchement. Là je parle de tous les pays d’Europe et depuis des décennies. Je ne vise personne ou je vise tout le monde.
La haute fonction publique qui est pétrie de droit et de science administrative n’a pas une très grande culture scientifique et encore moins une culture du pilotage par les faits.
Je me souviens qu’un jour je discutais avec les douanes, ils avaient fait un SI incroyable pour décider quels bateaux, quels avions et quels camions ils allaient contrôler dans les aéroports, les ports et les machins. Ça avait coûté un paquet de millions d’euros et je me rends compte, en discutant avec eux, qu’ils n’avaient pas pensé à mettre la voie de retour pour éduquer le modèle par le retour des résultats obtenus par les tests réels. C’est-à-dire qu’ils avaient mis une intelligence incroyable pour deviner quels camions on allait contrôler, mais rien pour nourrir cette intelligence du retour d’expérience.
On voit partout ce genre de problème dans l’État. C’est quelque chose que j’aurais aimé pousser plus et la mission Bothorel pose parfaitement qu’on va vraiment avoir un problème RH. Elle reprend des sujets qui étaient légèrement en friches, qui ne sont ni l’open data, ni le logiciel libre, qui sont les données d’intérêt général. C’est-à-dire quand l’État aura fini d’ouvrir toutes les données qui lui appartiennent, à lui, il y a aussi des données qui sont dans le secteur privé, mais qui sont tellement d’intérêt général qu’elles devraient être traitées comme celles de l’État. Par exemple, dans le transport, vous ne piloterez pas un grand système de transport si vous n’avez pas les données des trains, des métros, des taxis, des autocars, des voitures, de Velib’, d’Autolib’, de Cityscoot et tout ça. Il les faut toutes ou alors, en vrai, vous n’en avez aucune. Donc si on veut travailler, penser et améliorer le système de transport il faut toutes les données, même celles du privé.
Ça ce sont les données d’intérêt général.
Il reprend et il avance dans la question de l’accès de la recherche aux données de l’État. On comprend bien qu’il y a des données qui sont tellement personnelles ou tellement stratégiques, à commencer par les données de santé, qu’on ne va pas les mettre en open data.

Frédéric Couchet : On ne va pas les mettre non plus chez Microsoft !

Henri Verdier : On ne va pas les poser non plus chez Microsoft ! Mais est-ce que c’est une raison pour que la recherche européenne prenne des années de retard dans la lutte contre le cancer pendant que d’autres pays, eux, ont moins de pudeur et tapent les données ? Est-ce qu’on ne peut pas, quand même, construire un cadre pour la recherche, protecteur des libertés fondamentales, etc. ? Et là encore, de nouveau, plus on connaît l’informatique plus on sait faire un cadre protecteur. Ce n’est pas que du droit. Vous pouvez faire des échanges de données asymétriques, provisoires, tracées, on peut inventer beaucoup de choses pour mettre des sécurités et permettre quand même de faire de la recherche.
Je pense le plus grand bien du rapport Bothorel et j’espère qu’il va être mis en œuvre, ce que le Premier ministre a promis puisqu’il l’a reçu et il a dit qu’il prenait l’intégralité des conclusions et qu’il allait toutes les mettre en œuvre.

Frédéric Couchet : Comme le président avait promis sur les, je ne sais plus combien, de la Convention citoyenne ?

Henri Verdier : Voilà ! Exactement.

Frédéric Couchet : Exactement ! On est mal barrés, excusez-moi !
Il nous reste très peu de temps. J’ai une question. Justement ce que dit le rapport à un moment, que se passera-t-il après le rapport ? Je cite : « En l’état actuel des choses, la mission craint que ses recommandations ne soient pas portées et suivies ». La question : vous, en tant qu’ambassadeur du numérique, est-ce que vous avez déjà des informations ? Est-ce que vous savez quel est le planning d’annonces, justement, de ce que va reprendre le Premier ministre ou même le président de la République ?

Henri Verdier : Je pense qu’il y aura des annonces en janvier. Il y a quelques petites mesures d’ordre législatif qui seront passées dans les six mois et les annonces opérationnelles, organisationnelles, je pense qu’on les entendra en janvier. Après tout on a reçu le rapport fin décembre.

Frédéric Couchet : Très récemment, pendant les vacances.
Une des recommandations de ce rapport c’est la création d’une mission logiciel libre à l’interministériel, peut-être au sein de la DINUM alors que nous, l’April, on portait ça à l’extérieur de la DINUM pour différentes raisons. Cette recommandation fait écho à la récente stratégie logiciel libre de la Commission européenne qui a été publiée en octobre 2020. Que pensez-vous de cette recommandation ? Quelles sont, pour vous, les conditions essentielles pour qu’elle puisse vraiment produire des effets utiles par rapport au logiciel libre et données publiques ?

Henri Verdier : J’ai envie de dire que vous, vos communautés, vous avez parfois mal posé la question du logiciel libre, parce que c’est monté trop vite vers l’idéologie et pas assez vers la conduite du changement et les conditions de possibilité.
J’ai aussi envie de dire que, pour pouvoir tirer parti d’un logiciel libre, c’est quand même mieux d’avoir des développeurs. L’État avait perdu, dans des proportions invraisemblables, l’habitude de faire lui-même. Je pense à un très grand ministère régalien.

Frédéric Couchet : Le ministère de la Défense ?

Henri Verdier : Non. Dont la DSI compte 1200 personnes dont six développeurs. Tous les autres servent à organiser de la sous-traitance. Si vous leur donner un logiciel libre pas fini, ils ne le finiront pas eux-mêmes. Ils peuvent éventuellement acheter une solution libre, mais ils seront tout aussi clients passifs et otages de leur prestataire que s’ils avaient acheté une solution propriétaire.

Frédéric Couchet : Vous plaidez pour l’internalisation.

Henri Verdier : Je plaide, comme j’ai essayé de le faire, pour une espèce de mix qui vise la montée en capacité de l’administration, son dialogue harmonieux avec les communautés, un peu de faire soi-même, un peu d’achats, un peu de sous-traitance, un peu de partenariat avec le Libre et on monte tous ensemble dans l’écosystème.
Est-ce que ça peut être fait à la DINUM ? Si on fait abstraction des uns et des autres, etc., formellement l’intérêt de la DINUM c’est quand même que, par construction, elle est interministérielle et que, par construction justement, elle n’est pas héritière de l’héritage des très grands systèmes. Est-ce que vous savez aussi à quel point l’État tourne dans des infrastructures qu’on a commencées à fabriquer il y a 40 ans ? Il y a encore de vaillants serveurs Bull qui calculent votre impôt dans des langages propriétaires inventés par les impôts il y a 40 ans. La plupart des autres ministères, quand on leur pose une question, pensent d’abord à leur legacy, à cet héritage, quand est-ce qu’il va péter ? Donc je trouve qu’il n’est pas impossible que cette mission soit posée en central, en interministériel à Matignon, donc à la DINUM. Après qu’est-ce qu’on attend d’elle ?

Frédéric Couchet : Avec quels moyens aussi, surtout humains ! Aujourd’hui à la DINUM il y a le référent logiciel libre, Bastien Guerry, il fait beaucoup de choses et on le salue, mais avec quels moyens ?

Henri Verdier : Dans sa chronique, Marie-Odile a dit tout à l’heure qu’il y avait des collectivités qui, plutôt que de financer des bénéfices à Seattle, investissaient sur des compétences sur le territoire. Un des plus grands problèmes c’est que l’État ne considère pas que financer un commun c’est investir, c’est une dépense pour lui. En revanche, il considère qu’acheter un truc pourri c’est investir. Donc aujourd’hui on a ce problème et effectivement, honnêtement, plus que de savoir s’il y a une mission blabla et où est-ce qu’on la pose, est-ce qu’on est capable de trouver quelques dizaines de millions d’euros pour soutenir les logiciels qui sont vitaux pour notre souveraineté sans qu’on ait l’impression qu’un rigolo a donné de l’argent à fonds perdu à ses copains ? Elle est là la question. Est-ce qu’on est capable de prendre la décision stratégique de dire j’ai besoin qu’existent Firefox, Ubuntu et ce que vous voulez, donc je mets du pognon là-dessus. La France vient aider la pérennité de ces communs.
Comme on ne le fait pas, vous avez aussi vu que nos amis de Framasoft ont été un peu « vénèrs » pendant le confinement en disant « les mecs, on ne va quand même pas faire tourner toute l’Éducation nationale sur nos trois machines ! » Ils avaient raison de dire ça.
Il faut une mission, mais la question d’abord, en fait, est-ce qu’on est capable de poser une stratégie d’investissement pérenne et durable pour construire enfin une sorte de résilience, quelque chose qui passe l’échelle ? Après, où vous la posez, honnêtement je m’en fiche un peu !
Oui, Bastien fait un boulot extraordinaire, l’équipe fait un boulot extraordinaire, mais avec peu de moyens et notamment pas de chéquier.

Frédéric Couchet : Dernière question, je vous laisserai aussi le mot de la fin, ça sera sans doute rapide. Thierry Noisette, journaliste dans ZDNet, qui connaît bien le logiciel libre pour le suivre depuis de nombreuses années, conclut son article qui portait sur le rapport Bothorel : « Huit ans déjà après la circulaire Ayrault sur le bon usage du logiciel libre dans l’administration qui date de 2012, quatre ans après la loi d’Axelle Lemaire pour une République numérique de 2016, faisons un vœu pour 2021 : et si l’État et les politiques accéléraient, enfin ! » Est-ce que vous y croyez ? La réponse va être forcément oui. 2021 va être véritablement l’année de l’accélération ?

Henri Verdier : Je pense qu’il va falloir plus qu’une décision portant seulement sur le logiciel libre pour obtenir une telle accélération. Je le redis, honnêtement pour moi il y a mix. J’ai parlé de la nécessité d’avoir cette culture du développeur, de savoir faire soi-même, avec ce souci instinctif d’autonomie stratégique qu’a le vrai développeur puisqu’il ne veut pas dépendre d’un gars qui est loin, qu’il n’a jamais vu, et attendre la réponse d’un autre. Au-delà de ça, ça voudra dire qu’il faudra reconnaître aussi que l’informatique est une fonction stratégique, pas une fonction support et qu’elle se mêle de choix politiques. Donc je pense qu’on va faire des progrès en 2021.

Frédéric Couchet : Il y a encore du chemin à faire !

Henri Verdier : Mais je pense qu’il y a quelque chose de plus profond et qu’il y a besoin de penser la question à la maille de la transformation de l’État, de la transformation de l’action publique, d’une transformation stratégique, organisationnelle, managériale. Non, il ne suffit pas de nommer une mission logiciel libre, ni même de lui donner des millions d’euros d’investissement.

Frédéric Couchet : Ça ne suffira pas. En tout cas, je pense que les gens qui nous écoutent sont convaincus que vous participerez à cet effort.
Est-ce que vous voulez rajouter un dernier mot de conclusion ou ça vous paraît bien comme ça ?

Henri Verdier : J’ai été très heureux de vous rencontrer, enfin. Finalement on ne s’était pas croisés.

Frédéric Couchet : On s’est rarement croisés. Là, en plus, on est masqués. On s’était croisés à l’époque de la DINSIC et même à l’époque de Cap Digital, il y a bien longtemps, dans une grande réunion autour du Forum mondial du logiciel libre, je crois que ça s’appelait comme ça.

Henri Verdier : Oh, là, là ! Mon Dieu !

Frédéric Couchet : On ne va pas en reparler parce que ça pourrait faire ressortir des zombies.

Henri Verdier : Que d’histoires !

Frédéric Couchet : Que d’histoires ! Exactement. En tout cas c’était un grand plaisir. Je pense qu’on aura l’occasion de reparler et j’espère que vous reviendrez pour approfondir certains points et l’évolution, évidemment, par rapport à la mission Bothorel et autres.
C’était Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique. Je vous remercie.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter une discussion entre mon collègue Frédéric Couchet et Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique. Il s’agit d’une rediffusion d’un échange réalisé en direct lors duLibre à vous ! du 5 janvier 2021.
J’y reviendrai en fin d’émission, dans 10 à 15 minutes, mais le choix de cette rediffusion n’est pas complètement anodin. La DINUM qu’Henri Verdier a dirigé plusieurs années est au cœur de l’actualité de l’April et, malheureusement, pas de la plus brillante des manières. Nous y reviendrons.

Je vous propose d’abord de faire une petite pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons écouter Passe-moi le balai par Demi-Sel. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Passe-moi le balai par Demi-Sel.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Passe-moi le balai par Demi-Sel, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April, nous allons passer à notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « In code we trust » de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, sur le thème des nouveaux CCAG, Cahier des Clauses Administratives Générales relatifs aux prestations intellectuelles et aux techniques de l’information et de la communication

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, pour sa chronique « In code we trust » dédiée aujourd’hui aux nouveaux Cahiers des Clauses Administratives Générales des marchés publics, les CCAG, en particulier relatifs aux techniques de l’information et de communication et relatifs aux prestations intellectuelles. Ils peuvent avoir un impact sur la manière dont les administrations se procurent des logiciels, notamment des logiciels libres, donc une question qui intéresse beaucoup l’April.
Bonjour Noémie. Est-ce que tu peux, justement, nous livrer ton analyse ?

Noémie Bergez : Oui, Merci Étienne. Bonjour à toutes. Bonjour à tous.

La chronique du jour porte sur les CCAG Prestations intellectuelles et Techniques de l’information et de la communication.

Déjà on peut se demander qu’est-ce que les CCAG ?
Ce sont les cahiers des clauses administratives générales, qui s’appliquent dans les marchés publics.
Il faut savoir qu’il y a dorénavant six CCAG qui sont listés comme Fournitures courantes et service, Travaux, Prestations intellectuelles, Marchés industriels, Techniques de l’information et de la communication et Marchés de maîtrise d’œuvre.

Qui est concerné par le CCAG ?
En particulier les acheteurs publics qui rédigent leurs appels d’offres, mais également les titulaires de marchés publics qui, au départ soumissionnaires, vont remporter un appel d’offres.

Pourquoi on parle des CCAG aujourd’hui ?
Parce qu’on a des nouvelles versions des CCAG qui sont disponibles depuis le 1er avril 2021 et qui viennent remplacer les versions du 16 septembre 2009. Il faut savoir que jusqu’au 1er octobre 2021 les acheteurs publics peuvent toujours faire référence aux anciens CCAG ; c’est principalement à compter du 1er octobre 2021, que les nouvelles versions seront, je pense, référencées dans les appels d’offres.

Pour ce qui concerne les CCAG Prestations intellectuelles et Techniques de l’information et de la communication, l’objectif de ces nouveaux CCAG était de les mettre à jour pour tenir compte des évolutions, apporter des améliorations notamment en termes de sécurité, de confidentialité et aussi par rapport au sujet sur les données, puisqu’en 2018 est entré en vigueur le Règlement général sur la protection des données et les CCAG ont donc été adaptés pour l’intégrer.

Pourquoi on rédige, pourquoi on fait référence, pourquoi il existe des CCAG ?
Pour ça, il faut consulter l’article R2112-2 du Code de la commande publique qui dispose que les clauses d’un marché peuvent être déterminées par référence à des documents généraux, notamment ces fameux CCAG qui fixent les stipulations du marché et, finalement, sont applicables à une catégorie de marché. Ça peut être un marché qui porte sur des prestations intellectuelles, un marché qui porte sur des techniques de l’information, de l’informatique, donc il y a ce fameux CCAG et on va avoir à côté des Cahiers des clauses techniques générales qui, elles, vont fixer des règles qui sont des règles techniques.

Est-ce qu’on peut se passer des CCAG ?
Oui, car l’utilisation d’un CCAG dans un marché public n’est pas obligatoire, il va s’appliquer à un marché uniquement si le marché y fait référence. Donc c’est vraiment un choix de l’acheteur public qui va sélectionner le CCAG qu’il considère être le plus adapté à son marché. Par principe, normalement, on ne vise qu’un CCAG, mais il y a des cas dans lesquels on peut faire appliquer plusieurs CCAG d’où la difficulté aussi de s’assurer de la coordination et de la parfaite cohérence des clauses entre elles.

À quoi ressemblent les CCGA ?
C’est un document qui est assez volumineux, composé d’une quarantaine d’articles avec des chapitres, des règles qui sont assez générales, qui vont notamment porter sur le prix de la prestation, sur le règlement, sur l’exécution, sur les conditions de résiliation, les différends, et qui vont aussi intégrer les spécificités propres à chacun de ces fameux CCGA. On va également retrouver des commentaires dont il est dit qu’ils n’ont pas de valeur contractuelle.

S’agissant justement de la valeur contractuelle, quelle est la force de ces CCAG ?
Ils ne sont pas aussi forts qu’on pourrait le croire, puisque le marché intègre un certain nombre de documents et, finalement, les CCAG ne sont pas en tête des documents les plus forts. On va retrouver en tête l’acte d’engagement qui est souvent un document très court, d’une ou deux pages, et qui ne porte pas véritablement les règles juridiques. On va trouver ensuite le cahier des clauses administratives particulières, les conditions particulières pour faire simple, on va avoir les conditions techniques particulières et enfin on aura le fameux CCGA qui viendra s’appliquer puisqu’en fait c’est un équivalent des conditions générales.

Il faut noter sur ces nouveaux CCGA une clause de réexamen qui est assez importante pour les marchés publics puisqu’elle permet, en cas de circonstances particulières qui vont justifier une modification significative des conditions d’exécution du marché, que les parties puissent signer un avenant pour modifier un certain nombre de règles applicables à ce marché. C’est vraiment un point qui est fort dans ces CCAG, qui est classique et qui est commun aux différents CCAG.

Ensuite, on va avoir plus spécifiquement, comme je le disais, des CCAG Prestations intellectuelles et des CCAG TIC.

Pour les CCAG Prestations intellectuelles, ce sont des clauses qui vont s’appliquer pour des marchés publics qui vont comporter des services qui font appel exclusivement à des activités de l’esprit. Le CCAG vise un certain nombre d’exemples, notamment des prestations d’étude, de réflexion, de conseil ou d’expertise. Évidemment, en matière informatique, il peut y avoir souvent des références aux CCAG PI.

On a des points intéressants qui concernent les règles applicables à partir de l’article 32. C’est vous dire que quand on veut prendre connaissance de ces CCAG il faut s’accrocher puisqu’il faut aller jusqu’à l’article 32 pour avoir vraiment connaissance des règles spécifiques à la matière de la propriété intellectuelle. À partir de l’article 32, vous allez avoir les règles qui sont d’ailleurs souvent issues du Code de la propriété intellectuelle, mais qui ne sont pas entières, qui ne sont pas complètes, ce sont des renvois ou des synthèses qui vont viser notamment les résultats qui peuvent être fournis dans le cadre d’un marché. Il va y avoir également les règles applicables aux connaissances antérieures qui sont celles du titulaire du marché. On va avoir également des règles applicables sur le régime des résultats pour savoir qui est titulaire, qui en est propriétaire. Tout ça est prévu par le fameux CCAG. On retrouve également une partie sur les droits des titulaires pour, justement, clarifier quelle va être la portée de ce qui va rester sous la propriété du titulaire du marché et ce qui va être cédé ou qui fera l’objet d’une licence à l’acheteur public.

On a également un point intéressant qui est la compétence des juridictions. En matière de propriété intellectuelle il y a une compétence exclusive des juridictions judiciaires et là les CCAG font clairement référence aux juridictions judiciaires comme étant celles qui sont compétentes.

C’est vrai que quand on répond à un marché public il faut être assez vigilant par rapport à ces fameux CCAG parce qu’elles vont quand même encadrer un certain nombre de prestations et il faut s’assurer qu’ils soient vraiment adaptés à la prestation qui va être rendue. Il peut y avoir des adaptations qui peuvent être faites dans des conditions particulières et il faut être vigilant là-dessus.

Le dernier point que je voulais soulever c’était par rapport aux CCAG TIC parce que, finalement, les règles sur la propriété intellectuelle se retrouvent dans les CCAG TIC. En revanche, on retrouve un point intéressant puisque ces fameux CCAG ont aussi pour objectif de mettre à jour le RGPD et là je dois vous dire que la clause sur la réglementation des données est vraiment très courte. En fait, on se limite simplement à dire que les parties doivent respecter les réglementations européenne et française, que l’acteur public est considéré comme étant responsable de traitement et le titulaire du marché comme un sous-traitant, avec un certain de petites règles qui sont précisées, mais on ne rentre pas du tout dans le détail. Là encore, on peut s’attendre à ce que, une fois que ces CCGA seront vraiment bien appliqués et que les marchés vont de plus en plus faire référence à ces CCAG, il y aura nécessairement des nouvelles interrogations qui vont se poser pour savoir comment on les active et comment on les adapte à un marché en particulier.
Je vous invite à suivre l’actualité sur ces nouveaux cahiers des clauses administratives et on verra ce que nous diront les futures décisions qui seront rendues en la matière.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup Noémie. C’est vrai que le droit est aussi une matière vivante. Ça parait assez technique, mais on voit aussi à quel point ça peut avoir des effets concrets assez directs sur la manière dont l’État, dont les administrations se procurent, utilisent du logiciel et ainsi de suite. Ça fait peut-être écho à des choses qu’a pu dire Henri Verdier lors de son interview.

Noémie Bergez : Exactement.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup. On va suivre ce dossier, comme tu nous y invites. Je te souhaite une bonne fin de journée, je te dis au mois prochain.

Noémie Bergez : À bientôt. Au revoir.

Étienne Gonnu : Salut Noémie.
Nous approchons de la fin de notre émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Comme je le disais, le choix de rediffuser en sujet long cet échange avec Henri Verdier, ambassadeur pour le numérique, n’était pas complètement anodin. Comme il l’a rappelé, avant d’être ambassadeur pour les affaires numériques, Henri Verdier a été directeur de la Direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information, la DINSIC, qui est à présent devenue la DINUM pour Direction interministérielle du numérique. Bref ! Il est globalement reconnu, en tant que directeur de cette DINSIC, pour la qualité de son travail que ce soit pour l’ouverture des données publiques, on parle souvent d’open data, le terme anglais, pour le logiciel libre et pour son utilisation au sein de l’administration. Son successeur… moins ! Ce que tend malheureusement à démontrer l’actualité récente.
Revenons un peu en arrière. Lors de l’échange avec Henri Verdier, il a été évoqué le rapport du député Éric Bothorel sur une politique publique des données, des algorithmes et des codes sources, un rapport qui préconisait, entre autres choses, la création d’une mission interministérielle du logiciel libre. Depuis, un document important a été publié au Journal officiel, une circulaire du Premier ministre où il précise les bases de la politique publique qu’il entend mener, en s’appuyant sur les travaux de la mission Bothorel. Il reprend notamment la préconisation d’une mission logiciel libre dont la DINUM aura la charge.
La circulaire donne des signes encourageants, précise l’April dans son communiqué, mais l’inertie actuelle au sein de l’État nous incite à la réserve tant que des décisions concrètes ne seront pas prises. Il s’agit donc d’un premier pas qui va, certes, dans la bonne direction, et c’est positif, mais un premier pas qui devra être confirmé.

C’est dans ce contexte d’un signal politique encourageant vers le logiciel libre par le Premier ministre, donc un signal politique important, que nous avons pris connaissance d’un catalogue de logiciels à destination des administrations, catalogue porté par la DINUM et plus précisément par sa « mission LABEL », dont l’objectif affiché est, je cite, « de labelliser des solutions et des outils numériques de qualité pour faciliter leur emploi par les porteurs de projets publics ». Un beau programme !
Qu’en est-il dans les faits ? Voyons plutôt :
des fiches du catalogue renseignées par les acteurs privés eux-mêmes ;
des logiciels indiqués comme libres, mais qui ne le sont pas !, ce qui interroge donc sur les vérifications de base réalisées, ou pas, par la DINUM ;
aucune information directe sur la licence, ni de lien vers les sources pour les logiciels libres ;
et la DINUM de préciser que les fiches n’engagent pas son avis sur la fiabilité des informations qui y sont portées ou sur la qualité de la solution, charge aux administrations elles-mêmes de faire les vérifications nécessaires.
À quoi sert ce catalogue alors ? Y a-t-il un processus de validation des fiches ? Sur quels critères ? Rien n’est indiqué !
La DINUM et son directeur ont-ils seulement lu la circulaire du Premier ministre ? La question semble pouvoir se poser. La mission LABEL a-t-elle seulement associé le référent logiciel libre de la DINUM à ses travaux ou a-t-elle fonctionné en silo ?

Si l’April a un conseil à donner aux administrations, ce serait plutôt de se tourner vers le Socle Interministériel des Logiciels Libres, le SILL, qui liste, pour le coup, des solutions libres éprouvées, avec des informations fiables, validées par des agents publics, et qui s’avère, en cela, infiniment plus utile pour répondre aux besoins logiciels des administrations. SILL qui, rappelons-le, est produit par des agents publics de la mission Etalab, une mission de la DINUM, mission Etalab qui avait notamment été dirigée, entre 2013 et 2015, par un certain Henri Verdier.
Affaire à suivre donc.

Autre annonce : la première fête de la radio sera organisé du 31 mai au 6 juin. À cette occasion les auditeurs et auditrices sont invités à participer à une campagne dite virale ou par hérédité pour prendre un autre terme. Le principe est simple. Vous êtes invité pendant cette période, pendant cette campagne, à raconter sur le réseau social de votre choix – Mastodon ou Diaspora par exemple, en utilisant le mot clef #MaRadio – votre coup de cœur pour une radio à travers le partage d’un souvenir inoubliable, d’une anecdote, etc., puis d’inviter publiquement trois personnes de votre réseau à faire de même. Cela peut-être un souvenir lié à votre découverte de Libre à vous !, pourquoi vous aimez autant la radio Cause Commune par exemple. Vous retrouverez toutes les infos sur le site de la campagne fetedelaradio.com.
Comme d’habitude, vous retrouvez toutes sortes d’autres événements associés au logiciel libre ainsi que des associations libristes près de chez vous sur agendadulibre.org et vous retrouverez toutes les références évoquées sur la page dédiée à l’émission sur le site de l’April et sur le site de la radio.

Vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, poser des questions ou simplement nous laisser un message d’amour. N’hésitez pas à nous faire des retours, le numéro de la radio est sur le site, il s’agit du 09 72 51 55 46.
Je vous rappelle que la radio Cause Commune, la voix des possibles, est diffusée sur la bande FM 93.1 en Île-de-France, de midi à 17 heures puis de 21 heures à 4 heures en semaine, du vendredi 21 heures au samedi 16 heures et le dimanche de 14 heures à 22 heures. La radio diffuse également en DAB+, la radio numérique terrestre, 24 heures sur 24 et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Jean-Christophe Becquet, Frédéric Couchet, Henri Verdier, Noémie Bergez.
Aux manettes de la régie aujourd’hui ma collègue Isabella Vanni.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts et qui fait vraiment un super boulot, donc merci à Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, qui sont tous bénévoles à l’April, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.
Merci également à Laure-Élise qui prête sa voix pour nos magnifiques nouveaux jingles que vous avez pu entendre au cours de l’émission.

Vous retrouverez sur notre site, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plus, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct le 25 mai 2021 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur une association importante pour l’usage des logiciels libres au sein des administrations, il s’agit de l’Adullact, l’Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et Collectivités Territoriales. Nous aurons le grand plaisir de les accueillir dans Libre à vous !.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 25 et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.