Service des Achats de l’État - Retour d’expérience des marchés de support au logiciel libre - Hervé Le Dû - POSS2015

Titre :
Retour d’expérience des marchés de support au logiciel libre de l’État Français
Intervenant :
Hervé Le Dû
Lieu :
Paris Open Source Summit 2015
Date :
Novembre 2015
Durée :
17 min 38
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Transcription

Bonjour à tous. Je suis très heureux d’être parmi vous cet après-midi, pour témoigner d’un retour d’expérience sur un sujet qui est assez précis, qui est de vous parler des marchés que nous avons passés, au niveau de l’État, en matière de support aux logiciels libres. Je suis, pour ma part, Directeur des opérations au sein du SAE [1], dont je vais vous dire deux mots dans quelques secondes. Je suis, avant tout, acheteur. Mon objectif n’est pas, cet après-midi, de vous parler spécifiquement de la politique de l’État en matière de logiciels libres, ce que d’autres intervenants, notamment de la DINSIC, ont, ou feront, de façon beaucoup plus technique et précise que moi.
Quelques mots, d’abord, sur l’achat IT au sein de l’État. Pour rebondir sur les propos de l’intervenant d’EDF, nous sommes, nous, soumis au code des marchés publics, évidemment. Nous sommes au cœur de l’achat public, si je puis dire. Il faut savoir que l’État, depuis quelques années, se préoccupe fortement de sa performance achats pour des raisons que vous, contribuables, comprenez aisément. C’est-à-dire que les enjeux de redressement des finances publiques et la simple logique, finalement, fait qu’on s’attend à ce que l’État, compte-tenu du volume d’achats qu’il développe, dispose de la même performance achats que les entités comparables, si on peut parler d’entités comparables. Et donc, en 2009, a été décidé de créer, au sein de l’État, de dupliquer au sein de l’État, une organisation achats qui soit l’équivalent de celles que l’on trouve dans les grandes organisations privées, depuis quelques années maintenant. Donc avec une direction « achats groupes », qui va être, en fait, le service des achats de l’État, qui a une vocation de coordination, de définition de stratégie. Et dans chaque ministère vous allez avoir une filiale, finalement, de ce groupe État, avec une structure achats qui est propre à chacun de ces ministères.
Donc les objectifs sont, évidemment, doubles : réaliser de la performance achats, c’est-à-dire faire en sorte que l’État achète au juste prix les biens et fournitures qui sont nécessaires à son fonctionnement. Mais également, développe d’autres axes de performance achats, comme l’achat performant d’un point de vue environnemental, social, l’innovation et l’accès des PME. C’est là que, évidemment, l’acheteur public peut être considéré comme un acheteur un petit peu différent des autres puisqu’il porte les politiques publiques de l’État.
Et le deuxième axe de cette transformation de la façon dont l’État achète, c’est de professionnaliser l’achat, c’est-à-dire d’implanter, au sein de l’État, le métier d’acheteur, qui est connu déjà depuis de nombreuses années dans d’autres organisations, mais qui, au niveau de l’achat public, n’existe pas encore complètement, avec un tropisme juridique qui est assez fort dans la façon dont l’achat est pratiqué.
Notre terrain de jeu, si vous me permettez l’expression, donc 20 milliards d’euros de dépenses annuelles confondues, tous segments confondus. Là on parle, évidemment, des dépenses de fonctionnement de l’État, ce n’est pas le budget de l’État, évidemment, c’est une partie du budget de l’État, c’est la dépense de fonctionnement.
Le SAE s’occupe également, ou a en charge, les établissements publics de l’État. Les 20 milliards que j’évoque ici, c’est uniquement pour la partie ministères, c’est-à-dire ministères et services déconcentrés, c’est-à-dire toutes les structures de l’État que l’on peut trouver dans les territoires.
Sur le plan strictement de l’IT, donc 2 milliards d’euros de dépenses annuelles, ce qui représente un volume significatif, et sur ces 2 milliards d’euros, 200 millions, ça varie, évidemment, selon les années, mais c’est à peu près l’ordre de grandeur, 200 millions de dépenses sur les logiciels, donc les logiciels éditeurs, que ce soit en termes d’achats de licences ou de dépenses de maintenance.
Également, j’ai fait un autre focus sur les prestations informatiques, donc à peu près 700 millions d’euros de dépenses annuelles en matière de prestations informatiques.
Voilà un petit peu l’enjeu sur lequel nous travaillons, qui explique le fait que nous portons, évidemment, beaucoup d’attention à ces sujets.
Cette attention elle se porte, évidemment, sur le logiciel libre. Des éléments de contexte que vous avez certainement dû voir ou connaître précédemment. Donc une circulaire importante [2], qui date de 2012, sur la vision ou, en tout cas, l’approche de l’État en matière de logiciels libres. Cette circulaire, évidemment, je ne vais pas rentrer dans le détail, mais, en gros, elle consistait à dire que les solutions libres devaient être examinées au même titre que les solutions propriétaires, dès lors que l’État souhaitait s’équiper en matière de logiciels. Ce qui, en soi, est déjà un pas significatif, même si certains auraient souhaité une priorité donnée aux solutions libres.
Le deuxième élément c’est le développement d’un socle interministériel de logiciels libres, le SILL, de son petit nom. Donc, là aussi, c’est une démarche qui a été portée par la DISIC qui aujourd’hui s’appelle DINSIC, donc la DSI de l’État, d’un certain point de vue, qui vise à définir le portefeuille de logiciels libres [3] que les ministères sont appelés à mettre en œuvre sur un certain nombre de fonctionnalités.
Et puis enfin, l’État, et de façon générale d’ailleurs le secteur public, est un traditionnel utilisateur de solutions libres, avec beaucoup de belles histoires qui ont fait l’objet d’un certain nombre d’articles de presse, déjà, donc je ne reviendrai pas dessus, que ce soit au niveau des finances publiques, que ce soit au niveau de la gendarmerie nationale, ou du ministère du Développement durable. J’en oublie, mais il y a beaucoup, aujourd’hui, de contextes où le logiciel libre est utilisé de façon assez intense au sein de l’État. Donc c’est un contexte qui, de longue date, est déjà favorable au recours aux logiciels libres.
D’un point de vue de l’acheteur que je suis, et le SAE est un service achats, quelle est notre approche du sujet ? La première approche consiste à considérer que le logiciel libre est un créateur de valeur. Le logiciel propriétaire, et les éditeurs nous l’expliquent, évidemment, en long en large et en travers, est créateur de valeur. Le logiciel libre est également créateur de valeur. Un certain nombre de ses caractéristiques le rendent particulièrement intéressant dans un certain nombre de contextes, mais je ne vais pas revenir sur ces sujets-là qui sont largement débattus, je pense, pendant cette manifestation.
Il est créateur de valeur, à condition néanmoins, qu’il soit utilisé de façon industrielle. C’est pour nous l’enjeu, c’est-à-dire de passer d’une utilisation ponctuelle, isolée, à un véritable encadrement de son utilisation. Encadrement ne doit pas être pris, évidemment, dans le sens négatif du terme, mais une utilisation, encore une fois, industrielle, de ces logiciels.
Le deuxième élément intéressant pour nous, vis-à-vis du logiciel libre, c’est qu’il stimule la concurrence. Donc aujourd’hui, pour avoir établi, évidemment en tant que direction « achat groupes », des relations assez suivies avec les éditeurs de logiciels, nous constatons une certaine forme de raidissement des dits-éditeurs, une certaine difficulté à établir un dialogue enrichissant, si vous me permettez l’expression, avec les dits-éditeurs.
Donc le logiciel libre, de ce point de vue-là, est, pour nous, un élément important parce qu’il permet de redynamiser, ou de remettre de la concurrence sur des secteurs, des contextes d’utilisation qui, pour tout un tas de raisons, en sont privés.
Tout ceci nous a conduits, en 2012, après un certain nombre de travaux de préparation, à mettre en œuvre un marché interministériel de support aux logiciels libres. Pourquoi un tel marché ? Tout simplement, justement, pour créer ce cadre industriel d’utilisation du logiciel libre, pour apporter aux directions des systèmes d’information des ministères la possibilité d’utiliser un logiciel libre, avec le même niveau de support que peut apporter un éditeur sur une solution propriétaire. Parce qu’aujourd’hui, un DSI, avant de s’engager dans l’utilisation d’un logiciel libre, souhaite être assuré qu’en cas de difficultés, il aura la possibilité de s’appuyer sur un prestataire, ou en tout cas un acteur, qui lui apportera la maintenance corrective, voire la maintenance évolutive, qui lui permettra de pérenniser l’utilisation de ce logiciel. C’est exactement l’objet de ce marché de support.
Aujourd’hui, en fait, il se trouve que nous avons deux marchés de support en exécution au sein de l’État. Un qui concerne les ministères financiers, pour une raison tout simplement historique, c’est que c’est un ministère qui s’est engagé dans cette voie sous l’impulsion, également, de la structure achats propre à son ministère. Dans cette logique-là, elle a pris un petit peu d’avance. Ça répondait aussi aux besoins de la Direction générale des finances publiques, que j’évoquais tout à l’heure, qui s’était lancée dans une utilisation vraiment importante des logiciels libres et qui avait besoin de ce type de support. Donc ce marché des ministères financiers et le marché interministériel qui a été lancé en 2012, que j’évoquais à la diapositive précédente.
Donc vous avez les quelques caractéristiques majeures de ces marchés. Le marché des ministères financiers, aujourd’hui, a été attribué à la société Linagora. C’est, de mémoire, le troisième opus de ce marché. Le marché interministériel à un groupement Capgemini/Alter Way. Les deux marchés ont le même objet, c’est apporter des prestations de support, principalement ça, de la maintenance corrective, avec différents niveaux de SLA [4]. Évidemment, il y a des distinctions entre logiciels critiques, logiciels non critiques. C’est la DSI qui choisit le niveau de SLA qu’elle veut par logiciel.
Le marché des ministères financiers, lui, comporte des prestations annexes, notamment des prestations d’expertise ou d’analyse sur le domaine du logiciel libre.
Vous voyez que le portefeuille couvert est à peu près similaire. Le marché interministériel couvre 330 logiciels. On est, là, dans une approche extrêmement large en termes de périmètre, puisque tous les domaines fonctionnels peuvent être adressés. Donc c’est aussi un avantage, c’est que vous avez une uniformisation du support sur un panel extrêmement large de logiciels, plutôt que d’avoir des supports différenciés, parce que vous travaillez avec des éditeurs différents. Là, quel que soit le logiciel que vous allez utiliser, à condition qu’il soit libre bien évidemment, vous avez un niveau de support qui est homogène, avec un prestataire unique. Le marché des ministères financiers a un petit peu moins de logiciels, 260.
Ces marchés, évidemment, intègrent des mécanismes de reversement aux communautés des corrections qui sont réalisées. Donc le dernier élément, en bas de diapo, vous indique, à peu près, 1000 tickets sur trois ans, donc il y a de l’activité sur ces marchés, ils sont utilisés. Ça fait un volume important et, sur ces 1000 tickets, il y a eu un certain nombre de reversements qui ont été effectués aux communautés, dont un certain volume ont été acceptés. Pour nous c’est aussi important de faire en sorte que ces marchés de support puissent alimenter la logique de développement du libre.
Et l’autre élément sur lequel j’attire votre attention, c’est que dans 98 % des cas, les SLA ont été respectés. Et, sur les logiciels critiques, il y a des délais qui sont extrêmement exigeants pour les prestataires, donc ça n’est pas rien de voir un tel taux de réussite. On est, très clairement, au niveau de performance ou de qualité fourni par les grands éditeurs.
Quelques mots de bilan et quelles sont les perspectives. Un retour utilisateurs positif. Ça c’est, évidemment, extrêmement important pour nous : ces marchés donnent satisfaction à leurs utilisateurs. Il y a des comités de pilotage, évidemment réguliers, avec les prestataires, et ces comités de pilotage, à chaque fois, font l’objet d’un reporting qui confirme la satisfaction des DSI vis-à-vis de la qualité de la prestation rendue.
Ces marchés constituent un véritable levier pour un recours industriel. Je l’évoquais tout à l’heure, je crois que c’est important d’insister là-dessus. Avoir des supports de cette qualité c’est, évidemment, un élément qui permet de faire du logiciel libre un vrai créateur de valeur. Si vous n’avez pas cette logique-là, le recours au logiciel libre peut générer des coûts cachés qui peuvent en réduire la pertinence.
Le troisième élément c’est, pour nous, l’attention portée à l’équilibre économique des prestataires de ce type de marchés. Évidemment, ce sont des marchés de support, donc le prestataire est sollicité à tout moment par l’administration dès lors qu’une anomalie ou un bug est constaté sur un logiciel. Donc on lui demande de la réactivité, on lui demande de la qualité d’intervention. Ça suppose, pour lui, de mobiliser des ressources qui soient très rapidement mises en place pour répondre aux commandes passées par l’administration. C’est un vrai sujet, pour nous, de garantir une masse d’activité qui permette au prestataire de garantir l’équilibre économique de la prestation. On le fait de deux façons. Sur le marché des finances, il y a une partie ferme de commande, qui porte sur des études, et qui permet au prestataire de maintenir un pool de ressources, permanent, qui, ensuite, garantissent la réactivité.
Sur le marché interministériel, eh bien c’est l’effet volume. C’est-à-dire c’est le nombre de logiciels et de ministères en ligne qui permettent de garantir au prestataire une activité récurrente. Donc toujours pareil, une masse critique d’activité qui garantisse la pertinence de son offre.
Et le quatrième élément d’attention pour nous, ce sont des sujets de coordination, puisque qui dit deux marchés dit deux flux de demandes de corrections, qui peuvent, potentiellement, porter sur les mêmes logiciels. Donc nous avons à adresser ce problème de coordination entre ces deux marchés. Et ce constat, évidemment, nous conduits à nous poser une question un peu stratégique : c’est doit-on maintenir deux marchés de support de logiciels libres ? Ou va-t-on vers une unification, vers un seul marché ? Chaque formule a ses avantages et ses inconvénients. D’avoir deux marchés, surtout s’ils sont construits sur des logiques économiques un peu différentes, ça permet de challenger la formule et d’aller chercher le meilleur des prestataires. Par contre, d’avoir un seul marché, ça facilite quand même les choses, notamment du point de vue de la coordination de l’activité vis-à-vis des communautés.
Voilà ce que je souhaitais vous apporter comme éléments de visibilité sur cette démarche. Si vous avez des questions, n’hésitez pas, je suis encore là quelques minutes, sinon vous pouvez vous rendre sur le site internet du service des achats de l’État, dont vous avez les coordonnées ici, et, par ce site vous pouvez nous contacter pour toute question que vous auriez vis-à-vis de cette démarche en matière de support logiciel libre. Je vous remercie pour votre attention.
Applaudissements
Pour les ministères financiers : http://sae.alize
Pour les autres ministères : http:www.sae.finances.ader.gouv.fr
Site internet : http://www.economie.gouv.fr/sae
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