Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous, bienvenue dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Pour notre sujet principal, je recevrai aujourd’hui InterHop, l’association qui promeut, développe et met à disposition des logiciels libres pour la recherche en santé. Également au programme, une nouvelle pépite libre de Jean-Christophe Becquet, « Des données fraîches sur la canicule ». Et, en fin d’émission, Gee nous partagera sa dernière humeur « L’inertie du clavier ».
Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 16 septembre.
Nous diffusons en direct sur radio Cause Commune, mais vous écoutez peut-être un podcast ou une rediffusion sur Cause Commune, sur la webradio Radio Cigaloun, sur Radios Libres en Périgord, sur Radio Quetsch, des radios amies que l’on salue.
À la réalisation de l’émission Julie Chaumard.
Julie Chaumard : Bonjour à tous. Belle émission.
Étienne Gonnu : Merci Julie. Salut à toi.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet – « Des données fraîches sur la canicule »
Étienne Gonnu : Nous allons commencer par une nouvelle « pépite libre » de Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April.
Chaque mois, Jean-Christophe nous présente une ressource sous licence libre – texte, image, vidéo ou base de données – sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile.
Bonjour Jean-Christophe, tu es avec nous ? Nous avons eu une mise en place de régie un peu sportive mais normalement c’est rentré dans l’ordre. Est-ce que tu es bien avec nous Jean-Christophe ?
Jean-Christophe Becquet : Oui je crois que tout fonctionne à présent. Bonjour à tous, bonjour à toutes.
Étienne Gonnu : Si j’ai bien compris, tu vas nous parler de données fraîches sur la canicule.
Jean-Christophe Becquet : Oui. On a eu bien chaud cet été. Ça ne fera pas baisser les températures, mais je trouve intéressant de disposer de données fraîches pour objectiver nos ressentis. Cela permet aussi d’analyser, de comparer, d’essayer de comprendre pour mieux prévoir et anticiper nos adaptations.
Bien sûr, la météorologie reste un domaine de recherche complexe et pointu, mais une nouvelle fois, je veux plaider en faveur de la médiation par les données. Je pense en effet que la fourniture de données offre une voie royale pour sensibiliser au changement climatique. J’imagine des cas pratiques qui pourraient être proposés à l’école mais aussi dans des ateliers scientifiques pour tous types de publics.
Il se trouve que depuis le 1er janvier 2024, les données de Météo-France sont disponibles en open data. Comme pour l’ouverture des données géographiques de l’IGN, l’Institut géographie national, en 2021, je considère qu’il s’agit d’une sacrée révolution. Je développais les enjeux de ces politiques dans ma chronique du 23 mars 2021 : « IGN et OpenStreetMap, des données géographiques libres pour les territoires ». Je reprenais notamment cette citation de Jean Castex [Premier ministre entre 2020 et 2022, NdT] : « L’utilisation des données peut contribuer très significativement à l’amélioration des politiques publiques ». Vous retrouverez le podcast et la transcription dans les références de l’émission d’aujourd’hui.
Comme la plupart des grands opérateurs nationaux, Météo-France a opté pour la licence ouverte Etalab. Il s’agit d’une des deux licences prévues par le décret de 2017 relatif aux licences de réutilisation à titre gratuit des informations publiques. La licence ouverte est une licence très permissive, sans obligation de réciprocité. C’est-à-dire que vous pouvez réutiliser les données sans restriction et que vous n’avez pas l’obligation de repartager les versions modifiées sous la même licence. Bien entendu, vous avez le choix de partager tous travaux produits à partir des données de Météo-France sous la licence de votre choix. Comme nous sommes dans l’émission Libre à vous !, je ne saurais que vous inviter à opter pour une licence libre chaque fois que vous en avez la possibilité.
Ainsi, aujourd’hui, tout un chacun peut télécharger et réutiliser y compris à des fins commerciales plusieurs grandes bases de données produites par Météo-France. Cela comprend notamment :
les données d’observation,
les données de prévision,
les données climatologiques
et les projections climatiques.
Il existe deux modes d’accès aux données. Tout d’abord, le téléchargement de fichiers sur le portail meteo.data.gouv.fr. Sur ce site, vous trouverez les données de toutes les stations de métropole et d’Outre-mer depuis leur ouverture, des données sur le changement climatique, des modèles de prévisions.
On peut aussi effectuer des requêtes sur les données par le biais d’une interface web que l’on nomme API. Cela permet d’obtenir les données pour une station précise, sur une période déterminée par exemple.
Je ne pouvais pas clore cette chronique sans mentionner le travail de l’association Infoclimat qui encourage le partage des données d’observation et d’analyses météorologiques. Leur site, infoclimat.fr, donne accès aux données des stations météorologiques semi-professionnelles installées par plus 700 passionnés.
Du point de vue libriste, je dois cependant formuler une réserve importante : certaines données d’Infoclimat ne sont pas disponibles pour les réutilisations à but commercial. Il faut donc vérifier la licence pour chaque station, avant d’utiliser les données.
Pour Infoclimat, comme pour Météo-France, il est nécessaire de se créer un compte sur la plateforme pour accéder aux API. Je comprends les motivations qui ont pu conduire à ce choix, notamment éviter les abus et disposer d’une meilleure traçabilité des téléchargements. Je pense cependant que chaque contrainte de ce type représente un obstacle à l’exploitation et à la réutilisation des données.
Mais ne boudons pas notre plaisir, ces données partagées sous licence libre sont riches et réellement utiles. Je suis persuadé que nous n’avons pas encore pris la mesure du potentiel de cette ouverture.
J’ai envie de terminer sur un merci et un grand bravo à ces organismes, publics ou privés, qui rendent ainsi accessibles des données essentielles pour comprendre le monde qui nous entoure.
Étienne Gonnu : Merci à toi, Jean-Christophe, pour cette nouvelle pépite. On remercie aussi les agents et agentes qui rendent cela possible. J’imagine qu’ouvrir des modèles qui ne l’étaient pas avant ne doit pas être une simple affaire.
Jean-Christophe Becquet : C’est certain.
Étienne Gonnu : On voit à quel point de telles données peuvent être précieuses d’autant plus quand il me semble que l’agence américaine, analogue à Météo-France, s’est vue assez sévèrement couper ses budgets.
Est-ce que tu sais s’il existe des cas de réutilisation de ces données qui ont été ouvertes ?
Jean-Christophe Becquet : On peut retrouver des cas en partie sur le portail data.gouv.fr ou meteo.data.gouv.fr qui est, du coup, le sous-portail thématique consacré aux données météorologiques et climatiques. À chaque fois, sur les fichiers en open data de ce portail, on a un onglet « Réutilisation ». Sur les données climatologiques, par exemple, les observations quotidiennes de températures, de précipitations, de vent, on a un article par exemple du journal La Montagne qui s’intitule « Non, ce n’est pas en Bretagne qu’il pleut le plus » et cet article est entièrement sourcé, entièrement nourri à partir des données de Météo-France. Ce n’est qu’un exemple parmi des dizaines d’articles de recherche qui analysent les îlots de chaleur urbains ou encore des applications qui proposent des visualisations graphiques des données météo ou qui les rendent plus accessibles sur un téléphone, par exemple.
Étienne Gonnu : Merci. C’est très clair. On invite toutes les personnes qui nous écoutent à explorer ces données. Je pense que c’est toujours assez intéressant, avec ces cas de réutilisation, de voir des manières de réutiliser, c’est stimulant. On vous encourage à aller explorer ces bases de données. Je pense que c’est plus accessible qu’on peut le croire. Toutes les références sont sur la page de l’émission. Il ne me reste plus qu’à te remercier, Jean-Christophe, et à te dire mon prochain pour une nouvelle pépite.
Jean-Christophe Becquet : Absolument. Merci. Bonne émission avec l’équipe InterHop que je salue au passage.
Étienne Gonnu : Merci à toi, Jean-Christophe, bonne fin de journée.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : J’ai eu envie, pour cette émission, de vous proposer trois morceaux de la même artiste, Candy Says, une artiste britannique dont nous avons déjà diffusé quelques morceaux, dont un récemment, mais que j’ai découverts en préparant cette émission et que j’ai beaucoup aimés.
Après la pause musicale, comme l’a rappelé Jean-Christophe, nous parlerons de logiciels libres de recherche en santé avec nos amis d’InterHop.
Avant cela, nous allons écouter Candy Says. Le premier morceau que je vous propose est Not Kings.
Pause musicale : Not Kings, par Candy Says.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Not Kings, par Candy Says, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.
[Virgule musicale]
InterHop, l’association qui promeut, développe et met à disposition des logiciels libres pour la recherche en santé
Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal.
J’ai le plaisir, aujourd’hui, d’accueillir à assistance Adrien Parrot et Nicolas Paris, de l’association InterHop, association qui promeut, développe et met à disposition des logiciels libres pour la recherche en santé.
Nous avions déjà reçu InterHop en 2020, à deux reprises, notamment pour évoquer le sujet de la fameuse plateforme de données de santé, le Health Data Hub, dont certaines et certains d’entre vous ont sans doute déjà entendu parler, un sujet qui est loin d’être étranger à InterHop, on en reparlera. Cela fait donc cinq ans et InterHop a grandi et évolué, a de nouveaux projets à partager. Nous avons donc près d’une heure devant nous pour en parler avec Adrien et Nicolas.
Bonjour Adrien. Bonjour Nicolas, est-ce que vous nous entendez bien ?
Adrien Parrot : Bonjour.
Nicolas Paris : Bonjour. Parfaitement
Étienne Gonnu : Très bien.
Je rappelle à nos auditeurs et auditrices de ne pas hésiter à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Toutes les références de l’émission seront rendues disponibles sur la page consacrée, libreavous.org/254, ou dans les notes de l’épisode si vous écoutez en podcast.
Vous pouvez aussi, et c’est une nouveauté de cette saison, nous laisser un message par SMS au 07 67 12 42 95.
Adrien, Nicolas, vous êtes respectivement président et secrétaire de cette association InterHop. Est-ce que, pour commencer, d’ailleurs de manière très classique, vous voudriez bien vous présenter et peut-être nous parler rapidement de votre rencontre avec le logiciel libre ? Adrien.
Adrien Parrot : Adrien Parrot. Je suis médecin dans un centre hospitalier, à l’hôpital de Saint-Malo. J’ai fait aussi une école d’informatique à la fin de mes études de médecine, j’ai fait l’école 42. À la suite de ça, j’ai eu l’occasion de faire un stage à l’Entrepôt de Données de Santé des Hôpitaux de Paris, un stage de fin d’études. C’est l’endroit où j’ai rencontré Nicolas Paris qui avait déjà mis en place toute une stack logicielle pour l’Entrepôt de Données de Santé, centrée autour du logiciel open source et libre. Avant cela, je n’avais pas de sensibilisation particulière sur le logiciel libre et open source, ça a été ma rencontre avec le logiciel open source et libre.
Étienne Gonnu : Super. Merci. Nicolas.
Nicolas Paris : Je m’appelle Nicolas Paris. Je suis ingénieur informatique depuis une douzaine d’années. J’ai effectivement travaillé dans le milieu médical, désormais je travaille dans le privé.
Ma rencontre avec le logiciel libre, je dirais que ça a été avec VLC à l’époque où j’écoutais pas mal de musique. Je crois qu’il y avait QuickTime, Windows Media Player, Winamp. Je me souviens que j’étais mal à l’aise, pas de détourner ces outils, de les cracker pour les utiliser. VLC avait tous les encodeurs musique et vidéo. Je pense ça a été un peu une première stupéfaction. Ensuite, il y a eu Linux. Je ne vais pas enchaîner sur tout cela, mais ça a été exponentiel par la suite.
Étienne Gonnu : D’accord. Votre premier contact c’est avec VLC. Je pense que la plupart des gens connaissent VLC, c’est sans doute un des logiciels libres les plus connus, c’est celui avec le petit cône de chantier. Il permet effectivement d’écouter beaucoup de vidéos et de musiques avec facilité, notamment pour les raisons d’encodage.
Merci beaucoup pour cette présentation.
Vous êtes avec nous aujourd’hui pour parler d’InterHop, l’association dont vous êtes respectivement président et secrétaire. D’ailleurs, je crois que vous êtes tous les deux les fondateurs de cette association, vous pourrez me contredire si ce n’est pas le cas. On va avoir l’occasion de rentrer dans les détails au cours de notre échange, mais pouvez-vous déjà nous présenter dans les grandes lignes ce qu’est InterHop ? Qui se lance ? Adrien.
Adrien Parrot : En quelques mots, notre gimmick c’est un peu « des communs numériques en santé », pour donner le contexte très global. Après, on se focalise un peu plus sur la recherche en santé, on veut donc promouvoir, développer des logiciels libres pour la recherche, pour les chercheurs et les chercheuses des hôpitaux en particulier, et, de façon un peu plus large, pas forcément le milieu hospitalier. En gros, il y a une partie un peu développement et technique. Il y a aussi une partie plus plaidoyer et militantisme où on veut former aux enjeux du logiciel libre, on se permet d’attaquer des décisions quand certains textes, quand des dispositions qui sont prises dans le domaine de la santé ne nous semblent pas aller dans le bon sens, ça peut être pour la recherche dans le cadre du Health Data Hub, et ça peut être plus généralement ; on avait attaqué la campagne de vaccinations, dans le cadre du Covid, qui était grandement chez Doctolib, nous nous étions donc positionnés aussi sur cela.
Dès qu’on trouve que c’est attentatoire aux libertés fondamentales, on se permet aussi d’attaquer. Il y a donc des doubles profils : des profils soignants, évidemment, techniques, des gens qui ont les deux ensemble, et aussi des profils juridiques, il y a une déléguée à la protection des données, Chantal Charlot, il y a une avocate. Voilà ! Il y a tout cortège avec une transdisciplinarité, une multidisciplinarité autour de ces enjeux de la protection des données de santé pour la recherche.
Étienne Gonnu : Nicolas, tu souhaitais compléter ?
Nicolas Paris : Qu’est-ce que je pourrais ajouter ? Je ne crois pas qu’Adrien ait mentionné le fait que nous sommes aussi une forme de chaton. On offre des logiciels en services pour nos adhérents et également pour ceux qui sont intéressés à nous rencontrer.
Étienne Gonnu : Je vais rappeler ce que sont les chatons. On va peut-être en reparler au cours de la conversation. CHATONS est l’acronyme de Collectif des Hébergeurs Alternatifs Transparents Ouverts Neutres et Solidaires. Plus généralement, au-delà de la santé, c’est un collectif qui vise à proposer des services libres et loyaux, respectueux des données personnelles, au grand public. Vous seriez finalement cela mais plus à destination des chercheurs et des chercheuses en santé. C’est ça ?
Nicolas Paris : Avec les logiciels qu’on met à disposition, c’est effectivement une manière de montrer, de faire découvrir et aussi de tester des logiciels qui, par ailleurs, sont utiles dans le cadre de la recherche. Plus généralement, des outils chiffrés, sécurisés, libres, qu’on met par ailleurs à disposition dans le cadre de projets de recherche.
Adrien Parrot : Qui peuvent d’ailleurs être utilisés de façon plus large, même par des sympathisants et des sympathisantes de la recherche. On a un outil de messagerie instantanée et des choses qui peuvent être utilisées de façon large même en dehors du domaine spécifique de la santé et de la recherche en santé.
Étienne Gonnu : Je disais que le contexte de la création d’InterHop est intéressant. On en avait parlé dans les émissions de 2020. Si les personnes qui nous écoutent veulent rentrer plus en détail, elles pourront les écouter, mais je pense que c’est intéressant de reposer cela. Il me semble que ça s’exprime bien ce que vous disiez sur l’aspect plus militant, qui est à la base du collectif de lutte qui s’est formé contre ce Health Data Hub, ça pourrait être intéressant de le rappeler. Nous suivons ces dossiers, ce qu’est le Health Data Hub nous paraît évident, mais je pense que ça ne l’est pas forcément pour tout le monde, c’est effectivement très lié à la recherche. Est-ce que vous pouvez nous présenter un peu ce qu’est ce Health Data Hub, pourquoi c’est un problème et peut-être comment s’est structuré InterHop en réponse à cela ? D’ailleurs, vous continuez à être actifs contre le Health Data Hub, on en reparlera plus tard.
Adrien Parrot : Initialement, l’association était un collectif très informel. Le constat, à partir de notre position d’ingénieurs à l’Entrepôt de Données de Santé dans les hôpitaux de Paris, à l’AP-HP, a été que se montaient des alternatives et que les chercheurs, les ingénieurs des différents entrepôts de données en construction – à Lille, à Marseille, à Grenoble, dans tous les grands centres hospitaliers – avaient besoin d’échanger sur leurs pratiques, sur les logiciels, les stacks, globalement les logiciels qui pouvaient faire l’affaire, qui pouvaient être utilisés et réutilisés dans le cadre des entrepôts de données de santé. Au début, c’était juste ça avec, du coup, au centre l’open source, le partage des connaissances, la protection des données et, du coup, le partage des savoirs informatiques.
C’est vrai qu’avec la mission Villani, une mission qui avait été demandée à l’arrivée d’Emmanuel Macron, qui devait, du coup, faire un état de l’intelligence artificielle dans plein de domaines et celui de la santé était un des domaines évalués. Nous avons suivi, Nicolas a participé de près, il y a eu des interventions au sein de l’AP-HP pour exposer ce qui existait. Rapidement, la direction de Microsoft Azure, qui est, du coup, l’hébergeur du Health Data Hub, a été prise. Petit aparté : le nom français du Health Data Hub, dans le texte de loi, c’est Plateforme nationale des données de santé. C’est donc un concentrateur national de toutes les données de santé, au moins partiellement remboursées par la Sécurité sociale, c’est l’objectif final, c’est toujours en cours de raccordement mais très actif maintenant. Donc toutes ces données de santé des hôpitaux, des pharmacies, des laboratoires, etc., tout, sont concentrées maintenant sur des serveurs qui sont les serveurs de Microsoft. C’est Microsoft Azure qui est utilisé.
Pour revenir à la petite histoire, notre idéologie, notre volonté, ce qui nous faisait nous lever le matin, a été un peu impacté frontalement avec cette volonté de concentrer les données chez un clouder extra-européen. On a donc décidé de créer l’association, en 2020, pour attaquer l’État devant les tribunaux. On a fait plusieurs attaques au Conseil d’État pour tenter de stopper non pas le projet en tant que tel, nous sommes tout à fait d’accord qu’il faut faire de la recherche en santé. La problématique c’était la concentration extrême et surtout le clouder Microsoft Azure. Nous nous sommes créés pour cela, nous sommes allés devant les tribunaux, nous sommes toujours accompagnés par la même avocate, qui nous suit dans tous nos recours, maître Alibert.
Étienne Gonnu : Nicolas, tu souhaites compléter ?
Nicolas Paris : Peut-être ajouter que notre association est effectivement le fruit d’une réaction face à une sorte de défaitisme sur la capacité, on va dire nationale, à monter des plateformes.
Les premiers adhérents de cette association venaient souvent du milieu hospitalier, avaient eux-mêmes démontré qu’avec des budgets souvent dérisoires ils arrivaient à mettre en place des vraies réussites. Depuis cette époque, nous essayons d’être optimistes sur la capacité des ingénieurs à construire et à être vraiment en maîtrise à la fois des logiciels, si possible libres, qu’ils mettent en place, qu’ils adaptent, mais aussi que les hébergeurs soient des hébergeurs indépendants des problématiques géopolitiques qu’on rencontre aujourd’hui.
Étienne Gonnu : Ça s’est beaucoup vu. Cette plateforme, Health Data Hub, est revenue et c’est un peu une niche : une commission d’enquête sénatoriale s’intéressait à la question de la commande publique et la souveraineté numérique est rapidement devenue un sujet sur lequel les sénateurs se sont concentrés. Ils se sont beaucoup penchés notamment sur la question de cette plateforme des données de santé. Ils ont même reçu l’ancienne ministre, Agnès Buzyn, qui était ministre de la Santé au moment de la mise en place du Health Data Hub. Il en est ressorti que les sujets de dépendance, de libertés informatiques étaient quand même très secondaires face à la nécessité qui avait été actée, qu’il fallait avancer très vite notamment pour pouvoir déployer de l’IA parce que, déjà, il fallait faire de l’IA sur les données de santé, ce qui peut être débattu. En acceptant de tout mettre chez Microsoft, les sujets de dépendance que vous évoquez sont d’autant plus manifestes avec ce qui se passe, les tensions géopolitiques actuelles.
Je vous laisse réagir là-dessus si vous voulez, sinon je pensais intéressant, au-delà du sujet de Microsoft, qui est un vrai sujet, d’avoir votre regard : quels sont les enjeux éthiques et l’importance d’utiliser des logiciels libres dans le domaine de la santé ? À l’April, on défend, avec plein de très bonnes raisons, qu’il faut faire du logiciel, ne serait-ce que pour des questions d’émancipation, de démocratie. On imagine bien, quand on touche à un domaine aussi sensible et aussi important que celui de la santé, que des considérations particulières émergent.
Nicolas Paris : Lors de la commission d’enquête sénatoriale, le manque de maîtrise des sujets, par madame Buzyn, m’avait choqué. Les enjeux techniques avaient l’air de ne pas du tout être pris en compte, j’ai trouvé que les réponses étaient un peu confuses et difficilement intelligibles.
Deuxième point. Le directeur juridique de Microsoft a aussi été auditionné et ne certifiait pas, sous serment, qu’aucun accès aux données n’était réalisé, il pouvait donc y avoir des accès aux données. Donc ces deux points, avec ces deux interviews et plein d’autres, la directrice du Health Data Hub aussi, m’avaient pas mal interloqué.
Étienne Gonnu : Je veux juste préciser un point. Ça nous paraît peut-être évident mais ça ne l’est pas forcément, un des enjeux importants c’est ce qu’on appelle l’extraterritorialité du droit américain qui permet potentiellement au gouvernement américain d’accéder à toute donnée stockée ou détenue par une entreprise américaine, où qu’elle soit stockée. Par exemple, même si Microsoft héberge des données en France, du fait que c’est une entreprise américaine, potentiellement l’État américain peut y avoir accès. Du coup, comme tu le rappelles très justement, le directeur de Microsoft France n’était pas en mesure de garantir qu’il était pas possible de s’en prémunir. C’est aussi un aspect qui est au cœur de la problématique.
Adrien Parrot : Dans le mémoire de la CNIL, que nous avons lu, dans le cadre des recours au Conseil d’État et d’autres, la CNIL à plusieurs reprises, dans ce cadre et hors de ce cadre, s’est toujours positionnée sur les risques d’accès aux données avec les lois extraterritoriales. Ce risque est pointé, démontré, c’est acté, finalement il n’y a presque pas de débat sur ce point vraiment très précis de risque d’accès aux données sensibles.
Pour enchaîner sur le logiciel libre en santé, c’est vrai que les données de santé sont des données sensibles, y compris d’un point de vue purement légal. Le Règlement européen sur la protection des données, le RGPD, les définit clairement comme étant des données sensibles, donc déjà premier point tout simplement réglementaire.
Après, d’un point de vue déontologie, en tant que soignant, en tant que médecin, le serment d’Hippocrate, le secret médical sont des principes très fondateurs, il faut donc pouvoir auditer facilement les logiciels qui protègent les données des patients dont les soignants ont la charge. C’est vrai que le logiciel libre est un super moyen de sécurisation de l’exploitation de ces données de santé.
Dernier argument, qui est plus un argument de science et de recherche, c’est la déclaration de Genève qui est aussi un des textes fondateurs de la médecine, un texte plus récent mais qui consacre – le serment d’Hippocrate le faisait aussi mais, je trouve, de façon un peu moins claire –, dit qu’il faut partager les connaissances en gros pour le bien commun ; un impératif s’impose aux soignants : le partage des connaissances avec le plus grand nombre, pour mieux soigner les gens et améliorer les connaissances, etc. L’implémentation technique de cela c’est le logiciel libre, au moins open source.
Ça tombe presque sous le sens si on se pose d’un point de vue réglementaire, éthique et scientifique au final.
Étienne Gonnu : Très intéressant. J’ignorais cet aspect des textes fondateurs de la médecine.
Je vois une question dans chat. Nicolas, je te laisse la parole si tu souhaites rebondir.
Nicolas Paris : Je souhaitais rebondir, j’espère pas à plat.
Le logiciel libre a énormément de vertus qui sont immédiates.
Maintenant, ces logiciels libres sont utilisés, en tout cas en recherche pas que médicale, mais de manière énorme. Je pense aux librairies d’analyse Python, aux logiciels de la Fondation Apache, Jupyter et compagnie pour ceux qui connaissent. Ce sont des logiciels libres qui sont déployés, pour le coup, sur le Health Data Hub chez les clouders américains.
Il faudrait ajouter, ça va être mal exprimé, que l’infrastructure soit, en quelque sorte, libre, en tout cas maîtrisée et qu’on ait une confiance si possible absolue, dans le cas de données médicales, dans la juridiction et concernant les lois qui s’appliquent sur les données qui sont stockées.
Étienne Gonnu : Je pense que c’est une précision importante. On dit assez souvent à l’April, je ne sais pas à quel point on le dit, en tout cas on se le dit entre nous, que le logiciel libre est une condition nécessaire pour les questions de transparence, de partage de connaissances, etc., mais non suffisante. C’est-à-dire, effectivement, que ça s’inscrit dans un contexte politique, dans la réalité des infrastructures matérielles et cet aspect-là aussi doit être pris en compte. Il ne suffit pas de faire du logiciel libre pour permettre l’émancipation, pour permettre une maîtrise totale des outils, en tout cas il faut a minima qu’il y en ait, mais il faut aussi se poser la question des autres aspects à prendre en considération. Je trouve très important de le rappeler. Merci de l’avoir fait.
Je vais relayer du coup deux questions de Marie-Odile. Elle demande, pour les chercheurs et chercheuses français et françaises, s’il est facile d’avoir accès aux données du Health Data Hub, de la plateforme des données de santé. Et est-ce qu’à chaque fois qu’un service en santé est remboursé, il est automatique que ça aille sur le Health Data Hub, donc chez Microsoft ? Deux questions. Est-ce que vous avez des réponses à ces questions ?
Adrien Parrot : C’est clairement la volonté et, pour le coup, c’est louable. Ce n’était pas du tout un objet d’attaque que l’on avait contre le Health Data Hub. À partir du constat, de la réalité que les accès aux données sont compliqués pour des chercheurs et des chercheuses, mettent du temps, plusieurs mois, voire années, donc avoir ce que le Health Data Hub, la plateforme nationale des données, a appelé un guichet unique, permet de diminuer le temps, d’avoir tous les interlocuteurs au même endroit. Même légalement, dans la loi, dans les décrets, je ne sais plus exactement, il y avait des délais à respecter entre la demande et le retour aux chercheurs, la validation de leur projet, si le projet pouvait poursuivre ou pas, typiquement ce genre de délai était prescrit. C’est clairement la volonté. Il y a toujours des difficultés techniques en fonction des données, si les données sont intégrées ou pas, il y a d’autres choses qui entrent en jeu. Mais le Health Data Hub a vocation d’être un point d’entrée unique français, d’ailleurs même, pour glisser sur le futur, sur l’Espace Européen des Données de Santé, la plateforme européenne en devenir des données de santé. Le Health Data Hub et ses équivalents européens ont aussi pour vocation d’être les points d’entrée pour les chercheurs et les chercheuses, à l’échelle européenne, pour pouvoir accéder aux données.
Après, dès que c’est remboursé, est-ce que ça y va automatiquement ? Le Health Data Hub est en lien avec la Sécurité sociale pour constituer ce qu’on appelle le SNDS, le Système national des données de santé, l’identifiant unique étant le numéro de Sécurité sociale, et d’ancrer la vocation. Après tout n’est pas fait, ça avance, mais c’est clairement l’enjeu et le but du HDH du gouvernement.
Étienne Gonnu : Si je ne me trompe pas, après on pourra avancer, pour rassurer si c’est possible, théoriquement ils sont censés revenir et trouver une autre solution à Microsoft, en tout cas dans les textes. Il faut effectivement quitter Microsoft pour les enjeux d’extraterritorialité qu’on a mentionnés. Après, est-ce que les moyens sont mis en œuvre pour vraiment effectivement sortir de cette dépendance à Microsoft Azure ?, je pense que c’est discutable, en tout cas c’est théoriquement ce qui est censé être fait.
Adrien Parrot : En effet. Des appels d’offres sont en cours, ont été exprimés relativement récemment. Ça fait plusieurs années, finalement, que ça existe, que la volonté de sortir existe. Au début, on nous disait que la volonté était d’en sortir et de faire un POC, une preuve de concept, d’avancer vite et qu’après on en sortirait. On est cinq ans plus tard…
Étienne Gonnu : Et on attend toujours. Je voulais être complet dans la présentation de la chose. On attend encore et c’est vrai que, depuis le début, on nous parle de rétrocompatibilité, etc. Mais on attend, comme tu le rappelles bien.
Je vous propose d’avancer. Vous avez été un collectif de lutte qui s’est formé autour de cela. Vous l’avez rappelé dans la présentation et Nicolas a redit que vous ne vous arrêtez pas là, que vous avez la volonté de montrer aussi par l’exemple. Je pense que ça s’est développé dans vos pratiques, dans ce que vous proposez. Nicolas a déjà parlé des chatons, mais, notamment sur votre site, vous indiquez que vous reprenez à votre compte les idées de Framasoft et des chatons. Est-ce que vous voulez développer là-dessus ? On a un peu parlé de ce Collectif CHATONS. Rappeler ce que sont Framasoft et les chatons, sinon je peux m’en occuper, et préciser ce que vous entendez par ça. Nicolas vas-y, tu te sens de répondre à cette question assez vaste finalement ?
Nicolas Paris : Je vais essayer. Je pense qu’on ne présente plus Framasoft. À ma connaissance, ils ont commencé en tant qu’enseignants de mathématiques et de français pour essayer de trouver des outils pour améliorer leurs enseignements et de les partager. Ils ont effectivement été pionniers dans cette voie et de leur expérience est née, je crois, le terme « CHATONS ». L’objectif est d’essaimer des outils qui sont installables par des organisations, des associations, des petites entreprises, de faire des fédérations indépendantes qui offrent des services résilients, pas centralisés, libres, si possible sur des serveurs justement maîtrisés, etc.
Nous nous sommes beaucoup inspirés de cette approche puisque nous faisons à peu près la même chose avec un certain nombre d’outils.
Étienne Gonnu : Ça me paraît très clair.
Je vois l’heure. Je vous propose de faire une pause musicale. Après nous parlerons plus en détail du type d’outils que vous proposez, qui les utilise, qui contribue, comment InterHop s’est développée ces cinq dernières années, puis parler de vos actualités.
Je vous propose une courte pause musicale. Nous allons écouter une nouvelle chanson de Candy Says qui s’appelle Lord’s Mistake. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Lord’s Mistake, par Candy Says.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Lord’s Mistake, par Candy Says, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Jingle]
Étienne Gonnu : De retour en direct sur Libre à vous !, l’émission de l’April qui vous raconte les libertés informatiques.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April. Je suis en compagnie d’Adrien Parrot et Nicolas Paris, respectivement président et secrétaire d’InterHop, l’association qui promeut, développe et met à disposition des logiciels libres pour la recherche en santé.
Vous pouvez participer à notre conversation en nous appelant au 09 72 51 55 46, sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat » ou vous pouvez également nous laisser un SMS au 07 67 12 82 95.
Avant la pause nous avons rappelé, présenté dans les grandes lignes ce qu’est InterHop, l’histoire derrière la création de ce collectif de lutte, qui n’est pas qu’un collectif de lutte mais également, nous en avons parlé, un chaton, qui se présente comme un chaton de recherche en santé, c’est-à-dire à un collectif qui propose des services basés sur du logiciel libre. Nous allons reprendre notre conversation à ce stade.
Qu’est-ce qu’Hinterop propose comme outils à destination de la recherche de santé et qui les utilisent ? À qui ces outils sont-ils destinés ? Adrien.
Adrien Parrot : Sans tout lister, on délivre deux catégories d’outils : des outils qui ne sont pas à développés par l’association mais qu’on aime, qu’on met en avant, qu’on utilise au quotidien. Comme disait Nicolas, le côté chiffré de bout en bout est un des éléments importants pour nous, donc pour le drive par exemple CryptPad, pour la messagerie instantanée on utilise le protocole Matrix et la messagerie qui s’appelle Element, qui est d’ailleurs un fork de celle qui est proposée par la DINUM, la Direction interministérielle du numérique, pour les fonctionnaires, qui est un super outil.
Étienne Gonnu : Désolé, peux-tu expliquer ce qu’est fork en peu de mots ?
Adrien Parrot : Tchap, la messagerie proposée par la Direction interministérielle du numérique, destinée aux fonctionnaires de l’État, est une copie d’Element.
Étienne Gonnu : C’est la base d’un logiciel libre : on peut faire une copie pour développer autrement, autre chose dessus, ce que permet tout à fait la licence. Donc vous proposez Element qui est un fork, une copie de cet outil de la DINUM. Excuse-moi, je te laisse reprendre.
Adrien Parrot : Un des éléments intéressants dans la philosophie, c’est le côté fédéré : quand un outil est chiffré de bout en bout et en plus fédéré, on aime beaucoup. La fédération que chacun connaît c’est le mail, la possibilité de ne pas avoir toutes ses données sur un seul serveur central, mais sur des instances, donc des serveurs différenciés, à différents endroits, chez différents clouders, chez différentes personnes, avec différentes gouvernances, mais qui peuvent quand même discuter entre eux via un protocole commun comme pour le mail. Pour la messagerie instantanée, le protocole Matrix permet de le faire.
À côté de ces outils qui ne sont pas développés par l’association, d’autres, a contratio, le sont. Par exemple, au sein de l’association, on édite – c’est Niels Martignene qui fait cela – un formulaire de recueil de données pour la recherche qui permet de randomiser des patients, de gérer des données, il y a tout un tas de fonctionnalités dédiées à la recherche clinique. C’est un formulaire comme on peut en faire avec Framaforms, c’est un exemple de formulaire. Pour nous, c’est un autre logiciel un peu plus dédié pour la recherche clinique.
On édite aussi un outil, qui s’appelle Rekkord [rekkord.org], pour faire des sauvegardes chiffrées, qui permet de faire des sauvegardes symétriques, l’objectif c’est de pouvoir sauvegarder les données en utilisant un outil open source sur des technologies clouds sécurisées.
Dernièrement, ce qui nous permettra de glisser sur des événements d’attractivité, une plateforme de data science, qui s’appelle LibreDataHub, est éditée par Nicolas qui pourra mieux la présenter, qui permet aussi de faire des analyses et de montrer, encore une fois par l’exemple, que c’est possible, que des petits acteurs, comme une toute petite association bénévole – il n’y a pas de salariés dans l’association –, peuvent mettre en place des plateformes qui permettent de faire tourner des algorithmes, de faire de la recherche, d’utiliser des GPU, tout le cortège, tous les outils dont les chercheurs et les chercheuses ont besoin pour faire de la recherche et de la recherche en santé.
Étienne Gonnu : Super. Très concis et très clair. Il y a quelques jours à peine vous avez animé un grand événement autour des données de science, de la data, on va revenir dessus très rapidement.
Pour terminer ce tour, qui les utilisent ? Savez-vous combien vous avez de personnes utilisatrices ? J’imagine qu’elles sont toutes dans le domaine de la recherche en santé ou pas forcément.
Adrien Parrot : Aucune idée sur le nombre.
Nicolas Paris : Je peux vous dire qu’on a à peu près 500 utilisateurs sur notre instance Matrix.
Si je peux ajouter une petite chose, les outils sont effectivement chiffrés de bout en bout, c’est-à-dire que lorsque vous discutez avec quelqu’un sur Matrix, sur le serveur les données sont chiffrées et seul vous êtes en mesure de déchiffrer avec votre téléphone l’information. C’est une belle garantie, en revanche, il faut quand même avoir confiance dans le serveur. Nous garantissons que le logiciel qui est installé est le bon, mais sur un serveur sur lequel on n’a pas la confiance, le code qui permet le chiffrage de bout en bout pourrait être brisé. C’est juste pour revenir à ce que je disais tout à l’heure : les logiciels libres c’est une chose, le chiffrement c’en est une autre, mais il faut toujours avoir confiance en qui héberge le logiciel.
Étienne Gonnu : Ça me paraît important et je crois que c’est un peu au cœur du collectif CHATONS dont on a parlé. Ils disent que c’est pour remettre de l’humain, mais ça pose aussi la question de la confiance. En fait, on la délègue en permanence et il s’agit de savoir sur quelles bases on la délègue. Si on la délègue sur des bases de logiciel libre, avec du chiffrement, qu’on peut, tout simplement, contacter les personnes qui sont derrière, quand il y a une fédération, ce sont des choses qui vont nous permettre d’avoir confiance. C’est aussi comme cela que se construit la confiance. Je pense que c’est une notion extrêmement importante à rappeler, d’autant plus quand on touche au domaine de la santé, me semble-t-il.
Adrien Parrot : Du coup, ça permet de reboucler sur qui nous utilise. Le serveur c’est déjà une responsabilité pour nous, c’est du temps quand nous administrons les serveurs. Donc, au maximum, on incite et nous sommes très contents quand les gens réinstallent localement les outils. Par exemple Goupile, le formulaire de recueil de données, est réinstallé dans plusieurs centres hospitaliers localement, à Saint-Malo, à Lorient, à Orléans, à Rennes. Ce sont donc eux qui gèrent leur instance, qui gèrent le logiciel, qui le maintiennent en vie et s’il y a des remontées de bugs, des propositions d’amélioration évidemment on discute. On préfère que les gens réinstallent localement les outils que l’on code et que l’on développe. Du coup, le nombre d’utilisateurs nous échappe totalement.
Sinon à côté de ça, toujours pour garantir la confiance, on délivre aussi ces outils-là sur des serveurs qui sont certifiés pour la santé et là on passe par un prestataire cloud qui s’appelle GPLExpert, qui a la particularité d’avoir une panoplie de logiciels open source, sa stack, tous les logiciels qui permettent de maintenir son infrastructure sont basés sur des technologies open source, pour la virtualisation, pour l’OS, tout est basé sur des briques open source. Ça nous permet donc d’être conformes à nos principes et de délivrer, avec des exigences de sécurité quand même assez hautes, les logiciels que l’on développe.
Pour rebondir, il y a donc les deux modalités pour ces serveurs et pour la confiance que l’on a dans les serveurs.
Étienne Gonnu : D’accord. Ce qui m’amène finalement à des questions que j’aurais pu vous poser en entrée de l’émission, qui touchent à ce qu’est InterHop. Depuis cinq ans j’imagine que vous vous êtes bien développés, je pense que de nouveaux membres vous ont rejoints. Combien êtes-vous maintenant à InterHop ? Vous avez parlé d’une pluralité de profils, c’est intéressant. Comment fonctionne InterHop ? Combien y a-t-il de personnes ? Comment vous financez-vous parce que, de ce que je comprends, vous avez des coûts d’autant plus, on peut l’imaginer, quand il y a des enjeux de certification et de sécurité ? Pouvez-vous rentrer un peu dans ces détails-là ? Je trouve que ce sont aussi des sujets intéressants.
Adrien Parrot : En termes de nombre, nous sommes une dizaine. Ça dépend si l’on compte les sympathisants qui nous aident ponctuellement, qui réutilisent les logiciels, qui nous font des retours. Là, il y a un quand même un réseau de plusieurs dizaines de personnes.
Après dans le cœur, d’ailleurs je les remercie énormément, les personnes qui codent très activement les logiciels que l’on délivre sont grandement déjà des gens qui gagnent leur vie en travaillant dans les centres hospitaliers pour délivrer aussi ces mêmes outils. Il y a donc une sorte de réutilisation de ce que les chercheurs eux-mêmes, de ce que les entrepôts de données de santé et les ingénieurs des hôpitaux utilisent. Ce socle de développeurs est très motivé, mais, au final, il se compte sur les doigts d’une main ou deux. C’est une petite dizaine de personnes qui est active, très active, sur nos logiciels. Par exemple Nicolas sur LibreDataHub, Boris [Delange] sur LinkR, Niels que je vous ai cité tout à l’heure pour Goupile. En fait, chacun a un peu ses sujets, ses développements, et les choses avancent comme ça.
Étienne Gonnu : Très bien. Comment vous financez-vous ? Par du don ?
Nicolas Paris : Il y a effectivement une partie de dons, libre à vous de nous donner, bien évidemment, surtout qu’il y a les abattements fiscaux, chaque année, sur ce genre de gentillesse.
On vit également à travers nos services. Une version de nos services est hébergeur de données de santé, c’est-à-dire que notre clouder, GPLExpert, est affilié hébergeur de données de santé. Les outils qui sont installés chez lui ont donc cette propriété, ce qui fait que nous pouvons offrir nos services, plutôt même les vendre en termes de services, à des hôpitaux ou à des cliniques, à toute personne intéressée pour les utiliser.
Étienne Gonnu : D’accord. Qui est client d’InterHop, du coup, de ce point de vue-là ? En fait tu viens de le dire, ce sont des centres hospitaliers, des services au sein des hôpitaux.
Nicolas Paris : C’est ça. C’est essentiellement le secteur public hospitalier, c’est finalement grandement ça.
Étienne Gonnu : OK. Je pense que nous allons passer à vos actualités, sauf si vous avez d’autres choses, j’ai plein d’autres questions, mais on va quand même avancer. Est-ce qu’il y a des points, sur ces considérations, que nous n’avons pas évoqués, que vous auriez aimé qu’on évoque ? Sinon on peut passer à votre actualité plus récente.Je propose d’avancer.
Ces derniers jours, je n’ai pas noté, j’aurais dû, je crois que c’étaient les 11 et 12 septembre, en tout cas il y a très peu de temps, vous avez organisé ce qu’on appelle datathon sur un domaine très précis. Je veux bien que vous nous rappeliez ce qu’est un datathon, sur quoi ça portait et quel bilan vous en avez tiré, quels étaient vos objectifs. Est-ce que vous pouvez nous parler de cet événement récent ? Qui souhaite le présenter ? Vas-y Adrien.
Adrien Parrot : Je commence succinctement. Le principe c’est de se rencontrer et, comme on fait du numérique, finalement on est beaucoup en distanciel. Donc déjà se voir physiquement, échanger, c’était presque l’objectif principal.
Pour l’association, c’était d’utiliser les outils que l’on développe, notamment notre plateforme d’analyses LibreDataHub.
Pour les participants et les participantes, c’est de proposer, de se rassembler autour d’un sujet de santé et d’avancer, de poser des premiers jalons pour initier des réponses à ces problématiques-là.
Pour donner des exemples, un besoin médical, dans un temps contraint en consultation, c’est d’avoir la meilleure vision de son patient. On peut imaginer un logiciel dont le but est de synthétiser un patient sous forme de texte, par exemple, à partir de plusieurs documents qui sont d’ailleurs dans son dossier médical, pour en faire une synthèse dans un but donné dans le cadre d’une consultation, je suis anesthésiste, dans le cas d’une consultation d’anesthésie par exemple. C’est une des tâches, il y en a plein d’autres, qu’on peut tenter de résoudre, voire résoudre, dans le cadre d’un événement court, comme cela, de 48 heures.
Pour nous c’était aussi, et je vais laisser la parole à Nicolas puisque c’était son travail, de faire le lien, finalement de renforcer notre lien avec notre clouder. C’était la première fois qu’on travaillait sur des cartes graphiques, des GPU, avec GPLExpert. C’était aussi un gros défi de pouvoir avancer sur des algorithmes qui tournent sur des cartes graphiques.
Étienne Gonnu : Nicolas, du coup.
Nicolas Paris : Le datathon c’est quelque chose qu’on apprécie d’organiser. On a une longue histoire d’organisation de datathons plus ou moins réussis, mais ça a toujours été l’occasion de se donner de l’élan pour construire des plateformes. On a mentionné, au tout départ, la plateforme des hôpitaux de Paris. Mais, quand vous avez une date, qu’une centaine de participants va arriver, que votre plateforme est seulement théorique, ça incite à ce que cette plateforme devienne pratique.
On a répété ça il y a un an ou deux, quand on a lancé le premier datathon autour de LibreDataHub et ça a été l’occasion de monter LibreDataHub pour ce premier cas d’usage.
On a en général une trentaine de participants, ça se passe à Rennes, jusqu’à présent.
Cette plateforme a ensuite été également utilisée dans le cadre de l’enseignement. D’autres cas d’usage sont nés, plusieurs adhérents ont utilisé LibreDataHub pour donner des cours dans leurs classes, des TP.
Il faut quand même que je vous dise ce qu’est cet outil. C’est un portail d’applications multiples qui permet d’accéder à des données, de les traiter, d’interagir avec dans un contexte sécurisé, avec des librairies et des programmes libres, à la pointe, qu’on choisit. Il y a aussi tout le travail d’identification des outils intéressants et modernes qui remontent dans les discussions dans le cadre de l’association. C’est un outil de niche pour les petites et moyennes entreprises, qui se veut très simple à installer et à maintenir, même s’il y a d’autres outils équivalents. Je pense par exemple à Onyxia, un outil développé par l’Insee, qui se place, je dirais, dans une autre niche, pour beaucoup plus d’utilisateurs et des grandes entreprises, qui complète un peu le paysage de portails applicatifs pour analyser la donnée.
Cette année effectivement, Adrien l’a dit, on a eu la chance d’avoir accès à des GPU qui permettent d’exploiter et qui ont permis d’exploiter, c’est un peu l’actualité, les LLM – ChatGPT, Mistral et autres productions – qui, de plus en plus, offrent des versions libres de leur modèle. Les participants ont pu avoir une expérience grâce aux GPU, qui sont quand même des cartes plutôt inaccessibles pour la plupart, qui permettent de charger ces modèles. L’évaluation, que j’ai faite personnellement, n’a pas été scientifique, mais je dois dire que j’aurais eu des difficultés à savoir si je parlais effectivement avec ChatGPT ou avec la version libre installée dans LibreDataHub.
Étienne Gonnu : D’accord. Y a-il d’autres choses que vous auriez voulu évoquer, des retours sur ce datathon que vous avez mené il y a quelques jours ? Vous étiez contents ? Est-ce que ça c’est bien passé selon vous ? Est-ce que vous en êtes ressortis ressourcés, avec plein de nouveaux projets ? Avez-vous atteint les objectifs que vous vous étiez fixés ?
Adrien Parrot : Clairement le nouveau besoin, le retour sur l’enseignement c’est vraiment super, ça peut même se concevoir un peu comme une plateforme à la Moodle, une plateforme aussi open source d’enseignement, mais dédiée plus pour le code, pour d’autres types de besoins. C’est assez motivant et ça rempli l’objet social, ça répond à l’objet social de l’association qui est la formation aux enjeux du numérique. Il y a aussi les démarches de frugalité de tous ces algorithmes qui rentrent en jeu : est-ce que c’est utile, jusqu’où faut-il aller ? Ce sont des sujets intéressants et aussi d’actualité en rapport avec l’écologie. Plein d’autres perspectives. Le volet enseignement est super important pour comprendre les enjeux de ces plateformes d’IA, des ressources qu’on consomme.
Étienne Gonnu : Très bien. Je pense effectivement que ce sont des rappels importants à faire.
Sauf, Nicolas, si tu avais un dernier mot à dire, je pense qu’on peut évoquer la tribune que vous avez publiée en avril 2025. Tu souhaitais dire une dernière chose sur le datathon, Nicolas, ou c’est bon pour toi.
Nicolas Paris : C’est plutôt pour fermer la page un peu logiciels. Tous nos logiciels sont sur la forge de Framasoft, on partagera le lien.
Étienne Gonnu : On a évoqué beaucoup de choses, j’essaierai d’en mettre autant que possible sur la page de l’émission dans les jours à venir, notamment cette forge Framasoft. Très bien, ce sera noté.
Nicolas Paris : On en profite beaucoup. Merci à eux.
Étienne Gonnu : Merci à Framasoft pour tout ce qu’ils font pour les libertés informatiques, notamment de mettre à disposition ce genre d’outil.
En avril 2025, vous avez publié une tribune contre le transfert des données de santé de 10 millions de Français dans le cloud de Microsoft, c’est plus l’aspect militant que vous avez évoqué. C’était en avril, c’est récent et, en même temps, il s’est passé des choses depuis, notamment le rejet d’un recours du député Philippe Latombe contre l’accord de transfert des données entre les États-Unis et l’Union européenne. Du coup, l’Union européenne valide, on va dire, l’équivalence en termes de protection du droit américain par rapport au droit de l’Union européenne, ce que contredit Philippe Latombe et je pense que vous êtes plutôt en accord avec le député sur le fait que le droit américain n’est pas assez protecteur. Vous avez publié cette tribune, vous ne l’avez pas publiée seuls. Quel était son objet ? Avec qui l’avez-vous publiée ? Quelle était l’ambition derrière cette tribune ?
Adrien Parrot : En fait, c’est finalement dans la continuité directe des problématiques du Health Data Hub et de Microsoft Azure. La plateforme est toujours hébergée chez Microsoft Azure, donc mêmes causes mêmes conséquences, avec, par contre, un passage à l’échelle. Le projet que l’on attaquait, qui s’appelle DARWIN [Data Analysis and Real-World Interrogation Network], est un projet sous la gouvernance de l’Agence européenne du médicament, qui vise, du coup, à envoyer des données des citoyens français et des citoyennes françaises vers cette plateforme DARWIN pour préfigurer l’Espace Européen des Données de Santé qui est le futur de la recherche.
Nous nous sommes permis d’alerter à nouveau sur ce sujet. Il y a donc à nouveau un recours pendant au Conseil d’État, contre la CNIL cette fois-ci qui, du coup, valide ce projet. La CNIL énonce les risques, les pointe, elle dit, par exemple, qu’elle regrette que la plateforme qui a été choisie soit Microsoft Azure, mais elle valide quand même le projet. Nous nous opposons à nouveau sur ce point, encore le point spécifique, la question n’est même pas s’il faut faire de la recherche ou pas, on n’est pas à cette étape-là ; est-ce qu’il faut concentrer des données ou pas, on n’est pas non plus à cette étape-là. La question est à nouveau : est-ce qu’on a confiance dans Microsoft Azure et, du coup, est-ce qu’on peut passer à l’étape européenne de la confiance envers Microsoft Azure ?
Étienne Gonnu : On mesure bien l’enjeu. On attend le résultat de la décision du Conseil d’État que vous avez saisi, si j’ai bien suivi. Affaire à suivre et raison de plus de vous soutenir parce que j’imagine que des frais peuvent être associés à ça. Raison de plus de soutenir InterHop. Vous pouvez retrouver notamment l’accès pour faire un don à cette association sur leur site qui sera référencé sur la page de l’émission.
Sauf, Nicolas, si tu as un point important que tu souhaites mentionner sur cette tribune, on va arriver à l’étape de conclusion de notre échange. Je te laisse une trentaine de secondes si tu voulais compléter.
Nicolas Paris : Non, pas cette fois, c’est bon.
Étienne Gonnu : C’est bon. Très bien, tu aurais pu.
Pour conclure, j’aimerais savoir, en une minute si possible, quels sont, pour chacun de vous, les éléments clés à retenir de cette émission ou à retenir de l’action InterHop ou de ce qu’est InterHop. Adrien, puisque tu avais la parole.
Adrien Parrot : Je dirais la notion de communs appliquée à la santé, mais, finalement, ça s’inscrit dans quelque chose de beaucoup plus grand que juste la santé. On se propose, en plus de tenter d’installer ces mêmes logiciels sur les serveurs dédiés pour la santé, les serveurs certifiés pour la santé, de réduire la difficulté d’accès aux logiciels libres dans le domaine de la santé qui est plus réglementé et plus compliqué d’un point de vue technique, c’est licite, c’est plus compliqué, donc nous nous concentrons sur cela.
Sinon, de façon beaucoup plus globale, on tente de défendre le secteur public, les communs, la notion de communs. Je vais énoncer ce qu’elle est, je reprends la définition du prix Nobel de l’économie, madame Ostrom, qui dit que ce sont des ressources limitées, que l’on se partage, avec des règles, une gouvernance, au sein d’une communauté que l’on fait vivre et que l’association InterHop fait vivre dans le domaine de la santé. Cette logique de transmission du savoir, de partage, est super importante.
Étienne Gonnu : Super. En tout cas merci de faire vivre cet esprit dans le domaine de la santé. Merci à InterHop pour cela.
Nicolas.
Nicolas Paris : Je n’ai pas, malheureusement, de prix Nobel à invoquer là comme ça.
Je pense que la confiance est quelque chose avec lequel j’aimerais que les auditeurs repartent. La confiance effectivement dans le logiciel, dans l’infrastructure, mais également la confiance en notre capacité de faire par nous-mêmes et de ne pas déléguer à d’autres ce qu’on pourrait faire avec un peu de confiance.
Je parlerais aussi de savoir-faire et de maîtrise qu’il ne faut pas, non plus, s’habituer à déléguer à d’autres.
J’aimerais que les auditeurs repartent avec l’ambition qu’en France on peut s’entraider, faire des synergies, travailler ensemble et cesser de regarder de l’autre côté de la barrière.
Étienne Gonnu : Très bien. Confiance, mise en commun, solidarité, je pense qu’on conclut sur des notions fortes et importantes.
En tout cas merci encore Adrien Parrot, Nicolas Paris, membres de l’association InterHop qui promeut, développe et met à disposition des logiciels libres pour la recherche en santé. Un grand merci d’avoir pris ce temps pour échanger avec nous. Je souhaite plein de réussites à InterHop, une très bonne fin de journée à vous et à bientôt.
Nicolas Paris : Merci à vous pour l’échange.
Étienne Gonnu : Nous allons à présent faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Étienne Gonnu : Après la pause musicale, Gee nous partagera son humeur sur l’inertie du clavier.
Nous allons écouter un extrait, je pense, de C’est Pas Comme Ça, par Candy Says. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : C’est Pas Comme Ça, par Candy Say.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter un extrait de C’est Pas Comme Ça, par Candy Say – désolé de couper avant la fin, mais il faut bien que nous avancions –, une musique disponible sous licence Libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Jingle]
Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April, nous allons passer à notre dernier sujet.
[Virgule musicale]
Chronique « Les humeurs de Gee » – « L’inertie du clavier »
Étienne Gonnu : Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille, vous expose son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.
Salut Gee. Je crois que tu voulais nous parler de clavier aujourd’hui, pas de Christian Clavier, mais du clavier, l’interface physique pour écrire sur nos ordinateurs.
Gee : Oui, c’est ça. Salut Étienne, est-ce que tu m’entends.
Étienne Gonnu : Je t’entends bien. On a eu quelques problèmes d’écho quand on s’est installé, est-ce que c’est réglé. Ça va pour toi ?
Gee : J’en ai un petit peu mais ce n’est pas grave.
Étienne Gonnu : Je te laisse la parole.
Gee : Salut camarades.
Oui, pour cette nouvelle saison j’ai décidé de changer un peu mon intro, sans pour autant renier ma fibre gauchiste, vous l’aurez compris. De toute façon, vu l’ambiance politique générale où les gentils réformistes de La France insoumise se font taxer d’extrême gauche voire d’ultra-gauche, je crois que je vais finir par devoir revendiquer un nouveau terme pour décrire mon positionnement, genre turbo-giga-power-gauche, je ne sais pas. Je ne suis pas Che Guevera, mais c’est vous dire à quel point notre boussole politique est pétée. Bref, de toute façon ce n’est pas le sujet. Aujourd’hui je vais vous parler technologie, et juste technologie. Enfin presque !
En technologie, on fait souvent l’expérience de l’inertie, c’est-à-dire que nos mœurs, notre langage ou nos usages évoluent plus vite que la technologie et on ressent souvent ce décalage.
Déjà en langage, on continue de parler « des clefs » de la voiture, au pluriel, alors que ça fait bel lurette qu’il n’y en a plus qu’une, de clef, et d’ailleurs que parfois ce n’est même plus une clef.
On continue aussi à dire « démarrer » lorsqu’on met un véhicule en route, même si ce véhicule n’a plus d’amarres : « démarrer », à la base, c’est le contraire d’amarrer, c’est ce qu’on fait quand on retire les amarres d’un bateau quand on veut quitter le port.
En inertie technologique, je pourrais aussi vous parler du rétroprojecteur. Déjà, le projecteur qu’on utilise pour afficher l’écran d’un ordinateur, c’est juste un projecteur, j’en ai déjà parlé dans une BD il y a quelques mois. Un rétroprojecteur, c’est cet appareil où on met un document « transparent », autre mot qui est d’ailleurs resté malgré le changement de techno, et on projette ce transparent en envoyant de la lumière par en dessous et en orientant un miroir, d’où le « rétro ».
J’ai beau avoir passé mon bac en 2006, donc à une époque où les ordinateurs portables et les projecteurs tout court étaient déjà bien répandus, eh bien j’ai encore eu l’usage de véritables rétroprojecteurs pendant mes années d’études qui ont suivi. Je vais vous dire, il y a pire : quand j’étais gamin, j’ai même eu de vrais « polycopiés », ceux faits avec la machine qui tourne et l’encre violette qui sent l’alcool. Et c’était dans les années 90, à une époque où on avait déjà des photocopieuses et compagnie !
Bref ! Pour revenir à mon sujet, qui est plutôt le numérique, s’il y a un objet technologique victime d’une inertie assez folle, c’est bien le clavier.
Déjà, on continue d’utiliser des dispositions de clavier qui datent de la fin du 19e siècle, que ce soit la disposition QWERTY, dans une grande partie du monde, ou la disposition dérivée AZERTY chez nous, en France, et aussi en Belgique. Des dispositions qui avaient été créées pour les machines à écrire et qui ne sont pas spécialement optimisées pour la vitesse de frappe. En fait, on ne sait pas bien pourquoi on a disposé les lettres comme ça. Il se raconte beaucoup que c’était pour éloigner au maximum, les unes des autres, les touches les plus utilisées pour éviter des blocages mécaniques, mais même cette hypothèse est aujourd’hui contestée.
Pour l’AZERTY, c’est encore pire. On a pris la même disposition en inversant deux/trois touches. Pourquoi ? Aucune idée, mais ça aura bien enquiquiné toute une génération de joueurs et de joueuses de jeux vidéo qui utilisaient WASD pour les déplacements ce qui devenait donc ZQSD en AZERTY ! La seule explication possible, c’est qu’un clavier AZERTY en vaut deux. Oui, je sais, cette blague est tellement éculée qu’elle pourrait devenir Premier ministre, mais c’est le début de la saison, je m’échauffe !
N’empêche que ces dispositions – QWERTY, AZERTY et les autres dont je n’ai pas parlé, comme QWERTZ – sont restées, malgré l’apparition de dispositions alternatives plus adaptées qui permettent de solliciter tous les doigts uniformément et d’optimiser vraiment la vitesse de frappe, par exemple dvorak pour la langue anglaise ou bépo pour la langue française. Et là, je dois bien dire que l’inertie vient plus d’un problème humain : quand vous avez appris à taper sur un AZERTY et que, comme moi, vous passez un nombre d’heures conséquent à taper sur un tel clavier chaque jour, vous devenez extrêmement efficace et rapide, et le coût à payer pour changer de disposition devient trop élevé pour valoir l’effort. Sans parler du fait qu’adopter une nouvelle norme tout seul dans son coin, c’est s’assurer de galérer dès qu’on doit toucher au clavier de quelqu’un d’autre, ce qui n’est pas très motivant non plus !
Mais, au sein même de nos claviers, on a parfois de l’inertie qui s’explique assez peu. Par exemple, pourquoi continue-t-on à avoir cette possibilité de basculer entre le mode « insertion » et le mode « refrappe » avec la présence de la touche Ins, Inser ? Qui se sert encore de la touche Inser ? La seule fois où tu appuies volontairement sur la touche Inser, c’est juste après avoir appuyé dessus sans faire gaffe, donc après être passé en mode « refrappe ».
Le mode « refrappe », c’est ce mode où, lorsque tu appuies sur une touche alphanumérique, le caractère est inséré à la place du caractère suivant dans le texte, au lieu d’être inséré avant. C’était le mode par défaut au tout début de l’informatique, d’où l’invention de la touche Inser pour passer en mode d’insertion, c’est le mode par défaut aujourd’hui. OK. Mais du coup, qui utilise le mode « refrappe » en 2025, sérieux ? Virez-moi ce mode et virez-moi cette touche Inser ! J’ai même connu un novice en informatique qui m’avait raconté que parfois, son ordi passait sur ce mode – il devait appuyer sur Inser sans faire gaffe – et, comme il ne savait pas comment le désactiver, il devait retaper l’ensemble de son document vu que chaque caractère effaçait le suivant. Je vous jure que c’est vrai.
Après sur nos claviers, on a aussi des bizarreries comme la touche puissance carré tout en haut à gauche. Pourquoi ça et pas autre chose ? Ça, pour le coup, c’est spécifique au clavier AZERTY, le clavier QWERTY original ayant le symbole tilde à la place, ce que dans l’absolu, à moins d’être matheux, on a plus de chance d’utiliser que le symbole carré, même en France.
Sur mon petit GNU/Linux, je peux même utiliser cette touche puissance carrée pour écrire puissance 1 ou puissance 3 avec les touches de modification MAJ ou ALT GR. Ça ne sert à rien ! Et alors !
À côté de ça, pour faire un simple tréma, je suis obligé faire ALT GR + la touche circonflexe puis la lettre voulue, mais pour faire une puissance carrée je n’ai qu’une touche. Pourquoi ? Ça n’a jamais bougé, va comprendre l’inertie de ce truc !
Enfin pour en revenir à GNU/Linux, parce que j’aime bien conclure sur des trucs positifs, une des choses que j’adore, c’est justement la possibilité de choisir sa disposition de clavier côté logiciel, et d’avoir par défaut des tas de choses très pratiques, notamment quand on veut écrire de la typographie française correcte.
Par exemple, on peut facilement écrire des majuscules accentuées, parce que non, contrairement à ce qu’on apprend souvent à l’école, on n’enlève pas les accents sur les majuscules, c’est une faute.
Les points de suspension aussi sont accessibles avec MAJ + AltGR + ., en tout cas sur mon GNU/Linux. Oui, si vous l’ignoriez, les points de suspension, c’est UN caractère spécial et non pas trois caractères « point » à la suite.
On a encore les guillemets français facilement accessibles, ainsi que le « e » dans l’« o », pareil, qui est censé être UN caractère particulier : si vous écrivez cœur avec deux caractères « o » et « e » à la suite, techniquement c’est une faute. Pareil pour le « e » dans l’« a », mais, à part si vous écrivez le prénom Lætitia, il y a peu de chance que ça vous serve.
Et je vous passe les détails sur l’espace insécable accessible avec MAJ + la barre espace, sinon il va falloir que je vous fasse un cours de typo sur les espaces en français, et ça c’est pareil, j’ai déjà fait une BD dessus !
Bref, sur GNU/Linux, on a plein de petits ajouts logiciels qui facilitent l’écriture du français sur ordinateur malgré l’inertie matérielle du clavier. Mais, quand je dois taper du texte sur Windows, j’ai toujours l’impression de retourner à la préhistoire avec leurs codes imbitables, du genre Alt + 144 pour écrire le e majuscule avec un accent aigu ! Oui, tout à fait ! Mais, à part ça, c’est Linux qui est compliqué !
Pour conclure, l’inertie en numérique, est un phénomène finalement assez naturel et inévitable pour plein de choses, et pour le reste, passez au logiciel libre, ça vous permettra de prendre quelques décennies d’avance sur les autres.
Sur ce, je vous souhaite une bonne saison de Libre à vous ! et à très bientôt !
Étienne Gonnu : Merci beaucoup Gee pour cette nouvelle humeur qui m’a parlé parce que je m’appelle Étienne, donc j’ai un « É » majuscule dans mon nom. Grâce à GNU/Linux c’est beaucoup plus rapide et simple à écrire que ALT 144, en effet. Merci beaucoup et je te dis au mois prochain pour une nouvelle humeur.
Gee : Au mois prochain. À bientôt.
Étienne Gonnu : Salut. Bonne fin de journée.
Nous approchons de la fin de notre émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Étienne Gonnu : Je vais faire vite parce qu’il est déjà 16 heures 57 et 28 secondes.
Samedi 20 septembre après-midi, à Paris, à la médiathèque James Baldwin, aura lieu un atelier Wikiquote. L’entrée est libre et la salle est accessible aux personnes à mobilité réduite.
Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois à partir de 19 heures 30, dans ses locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18 e. Occasion de rencontrer les différentes équipes qui font vivre les émissions, avec un apéro participatif à la clef. La prochaine soirée radio ouverte aura lieu le vendredi 3 octobre.
Une rencontre April aura lieu, quant à elle, le samedi 4 octobre 2025 de 19 heures à 22 heures dans les locaux de l’April à Paris. Cette rencontre aura lieu dans le cadre d’un week-end de réunion entre membres du conseil d’administration et de l’équipe salariée. Une bonne occasion de venir nous rencontrer. Membre ou pas de l’association, tout le monde est le bienvenu.
Je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver les événements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vou
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Jean-Christophe Becquet, Adrien Parrot, Nicolas Paris, Gee.
Aux manettes de la région aujourd’hui, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, bénévoles à l’April, ainsi que Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui s’occupent de la découpe des podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite et Tunui, bénévoles à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 23 septembre à 15 heures 30.
Notre sujet principal portera sur le langage de programmation Python et sera animée par nul autre que Julie qui est actuellement en régie
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 23 septembre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.