Émission Libre à vous ! diffusée mardi 13 avril 2021 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Bienvenue dans Libre à vous !. Vous avez le droit de savoir. Nous recevons aujourd’hui l’association Ma Dada qui vise à faciliter l’accès aux documents produits ou reçus par l’administration et les autorités dans le cadre de leur mission de service public. Ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique de Vincent Calame sur les empaqueteuses et empaqueteurs de logiciels libres, également la chronique d’Antanak sur les apprentissages informatiques par les jeunes et moins jeunes. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’association est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou nous poser toute question.

Nous sommes mardi 13 avril 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui ma collègue Isabella Vanni. Bonjour Isabella.

Isabella Vanni : Bonjour.

Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, bénévole à l’April, sur les empaqueteuses et empaqueteurs de logiciels libres pour les distributions

Frédéric Couchet : Vincent Calame, informaticien libriste et bénévole à l’April, nous fait partager son témoignage d’un informaticien embarqué au sein de groupes de néophytes. Choses vues, entendues et vécues autour de l’usage de logiciels libres au sein de collectivités, associations, mouvements et équipes en tout genre, c’est la chronique « Jouons Collectif ».
Bonjour Vincent.

Vincent Calame : Bonjour Frédéric.

Frédéric Couchet : Le sujet du jour « Les empaqueteuses et empaqueteurs de logiciels libres pour les distributions ».

Vincent Calame : Dans cette chronique, j’aimerais rendre hommage à des soutiers du Libre sans qui l’utilisation et la diffusion de nos logiciels et systèmes favoris seraient bien compliquées. Je veux parler effectivement des empaqueteuses et empaqueteurs de logiciels libres. Quésaco ? Les habitués de cette antenne savent que quand on parle d’installer un système libre sur un ordinateur, on parle, en fait, d’installer une distribution GNU/Linux, c’est-à-dire que Linux ne vient jamais seul mais accompagné d’une tripotée de logiciels. Si vous voulez installer LibreOffice sur votre ordinateur sous Microsoft Windows, vous devez aller le télécharger. Dans une distribution GNU/Linux, LibreOffice est prêt à être installé, voire installé automatiquement, et ce n’est possible que parce que quelqu’un a préparé LibreOffice sous forme de paquet prêt à l’emploi.
Pour en savoir plus, je vous invite à écouter l’émission du 29 janvier 2019 sur les distributions.

Frédéric Couchet : Petite correction, c’est le 22 janvier 2019, c’est l’émission sur les distributions GNU/Linux. On a parlé ce jour-là de Debian, Ubuntu, Mageia. Ce sont des distributions sur lesquelles, évidemment, on peut installer entièrement un environnement de travail avec du logiciel libre, tout prêt. Il y a différentes distributions en fonction, peut-être, principalement des besoins. On en a parlé dans l’émission du 22 janvier 2019 sur les distributions.

Vincent Calame : Pour ceux qui ne connaissent pas, ce qui se rapproche le plus de l’idée de « distribution », ce sont les magasins d’application des téléphones. En fait, vous ne téléchargez pas un logiciel sur votre téléphone comme vous pouvez le faire sur un ordinateur, vous allez le chercher dans le magasin. Évidemment, il y a une différence de taille ! Dans un magasin, ce sont les entreprises productrices du logiciel qui le proposent, au bon vouloir d’ailleurs, de Google ou d’Apple.
Dans une distribution, ce sont des bénévoles qui vont préparer le paquet à partir du code source du logiciel. Ces personnes ne font pas nécessairement partie de l’équipe qui code le logiciel : pour faire un bon paquet, certes il faut connaître le logiciel mais aussi les exigences de la distribution. Une personne qui code va souhaiter promouvoir la toute dernière version de son bébé, alors que la personne qui fait un paquet va privilégier la stabilité parce que c’est elle, en fait, qui est responsable de la diffusion du logiciel auprès d’un large public.
Pour illustrer ce travail d’empaquetage et ses embûches, je vais prendre pour exemple le paquet du logiciel SPIP de la distribution Debian, ce qui me permet au passage de saluer son responsable, David Prévot, et de le remercier à cette antenne pour son travail qui nous est bien utile pour la nouvelle génération des sites de l’April.

Frédéric Couchet : Oui, parce que les nouveaux sites de l’April, en tout cas la nouvelle génération des sites de l’April va être sous SPIP, ce logiciel de gestion de contenu dont tu vas nous parler. Le premier site de cette nouvelle génération c’est le site librealire.org. Libre à lire ! est un site dédié aux transcriptions sur les libertés informatiques. On a plus de 800 transcriptions qui ont été faites par notre groupe de travail Transcriptions. Je vous rappelle d’ailleurs que chaque mois Marie-Odile Morandi, l’animatrice du groupe Transcriptions, fait une chronique dans l’émission. Je vous invite à voir librealire.org. Bientôt il y aura libreavous.org et le site principal de l’April, april.org, sera aussi migré en SPIP. SPIP justement, Vincent.

Vincent Calame : Pour comprendre la difficulté de l’entreprise de faire un paquet, il faut rappeler que SPIP est un logiciel de gestion de contenu, autrement dit un logiciel dédié à la production de sites web. Il fait partie de toute une génération de logiciels nés au cours des années 2000, le plus connu étant Wordpress, qui ont en commun d’être écrits dans le langage PHP et conçus pour être installés dans le cadre d’un hébergement mutualisé de site web. Qu’est-ce que c’est un hébergement mutualisé ? Un hébergement mutualisé est une formule très bon marché : vous achetez auprès d’un hébergeur un espace où vous pouvez déposer tous les fichiers que vous voulez. Il y a, bien sûr, beaucoup moins de possibilités que quand on dispose de son propre serveur mais, dans les années 2000, avoir son propre serveur c’était un luxe. Ces logiciels sont installables facilement. Du coup ils ont un autre point commun : ils mélangent allègrement dans l’arborescence de leurs répertoires les paramètres de configuration, le code du logiciel, les fichiers téléversés, les fichiers de personnalisation du site, les extensions téléchargées sur un site tiers, j’en passe et des meilleurs.
Or, sur un ordinateur, heureusement cela ne se passe pas comme ça. L’arborescence des fichiers suit des bonnes pratiques d’organisation. Si vous avez déjà consulté celle d’un système GNU/Linux, vous verrez la présence d’un répertoire etc/ pour la configuration, d’un répertoire usr/ pour les logiciels, d’un répertoire var/ pour les données, je cite les plus connus. Cela permet à la personne qui administre le serveur de savoir où se rendre pour résoudre tel ou tel problème. On comprend facilement que la tâche serait bien plus compliquée si chaque logiciel n’en faisait qu’à sa tête dans l’organisation des fichiers.
Donc, dans le travail pour le paquet SPIP de Debian, il a fallu ventiler les différents répertoires composant SPIP dans l’arborescence du système pour respecter cette hiérarchie normalisée. Et quand le logiciel n’a pas été conçu pour ça au départ, ce n’est pas simple, il faut jouer sur les renvois et les liens pour qu’aucun chemin ne soit cassé.
L’autre travail fait sur le paquet Debian, pour lequel je suis particulièrement reconnaissant à David Prévot de l’avoir fait, c’est la mutualisation du code de SPIP. Je m’explique : quand vous avez plusieurs sites SPIP, vous devez à chaque fois installer le code entier. Du coup, à chaque mise à jour, vous devez reprendre les sites un par un. SPIP propose une extension pour mutualiser le code, donc simplifier le processus, mais j’avoue que je n’avais jamais eu le courage de me plonger dedans. Or, le paquet SPIP de Debian intègre cette extension et la rend ainsi beaucoup facile à utiliser.
Et, bien sûr, l’intérêt d’un paquet, c’est que vous avez rapidement les correctifs de sécurité et que ceux-ci sont appliqués en même temps que toutes les mises à jour habituelles de votre serveur. C’est précieux quand il s’agit de logiciels gérant des sites parce qu’ils sont très exposés à des actes de piratage.
Voilà. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur le sujet, mais comme moi-même je n’ai pas encore franchi le pas de l’écriture de paquets, je ne suis pas le mieux placé pour en parler. Je ne peux que suggérer qu’une émission Libre à vous ! soit consacrée à ces femmes et ces hommes de l’ombre, indispensables à la diffusion des logiciels libres et qui recherchent toujours de nouveaux volontaires.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Par exemple la distribution Debian dont on parlait tout à l’heure, je crois que ce sont plus de 1000 personnes qui font de l’empaquetage de paquets, ce qu’on appelle de l’empaquetage en français ou du packaging en anglais.
Peut-être que tu serais volontaire pour animer un sujet long sur le sujet, si on trouve des personnes volontaires pour parler de leur travail.

Vincent Calame : Je sais qu’il y en avait effectivement aux Soirées de Contribution du Libre de Parinux. On avait des personnes qui faisaient des paquets pour Debian. Donc oui, il y aurait des personnes qui pourraient présenter leur travail.

Frédéric Couchet : On va prévoir ça dans le calendrier. Je rappelle que nous avons parlé des distributions GNU/Linux dans l’émission du 22 janvier 2019. Vous retrouvez le podcast sur causecommune.fm et sur april.org.
C’était la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame.
Je te souhaite une belle fin de journée.

Vincent Calame : Merci. À vous aussi.

Frédéric Couchet : Merci Vincent.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter Desire par Markvard. On se retrouve dans trois minutes 30. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Desire par Markvard.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Desire par Markvard, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By. Le site de l’artiste est sur SoundCloud, donc soundcloud.com/Markvard. Vous retrouverez les références sur causecommune.fm et sur april.org.

[Virgule musicale]

L’accès aux documents administratifs avec Ma Dada

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur l’accès aux documents administratifs.
En effet, nous avons le droit de savoir. Nous recevons aujourd’hui l’association Ma Dada qui vise à faciliter l’accès aux documents produits ou reçus par les autorités dans le cadre de leur mission de service public. Le site de Ma Dada est madada.fr. Nos invités : Laurent Savaëte, fondateur de Ma Dada, membre de l’Open Knowledge Foundation France, Fondateur d’OpenFinData.io, Pascal Romain membre de l’Open Knowledge Foundation France, ingénieur territorial au département de la Gironde, et Eda Nano, administratrice de l’April, ingénieure informaticienne, qui travaille une partie de son temps avec Ma Dada et qui va animer ce sujet long. Je vous passe la parole en espérant, évidemment, que vous êtes tous sur le pont. Eda c’est à toi.

Eda Nano : Bonjour Fred. Je suis bien là et il y a Laurent avec moi. Laurent.

Laurent Savaëte : Bonjour.

Eda Nano : Et Pascal.

Pascal Romain : Bonjour.

Eda Nano : Bonjour à tous les deux. Je suis très contente d’être là. C’est ma première fois sur la radio de l’April. Je m’appelle Eda et je vous parlerai aujourd’hui, en compagnie de Laurent et de Pascal, de Ma Dada. Qu’est-ce que c’est Ma Dada ? Ma Dada c’est tout d’abord un site web, une plateforme web. Le nom est un acronyme, c’est aussi un jeu de mots avec « ma dada » un cheval et « ma dada » pour « ma demande d’accès aux documents administratifs ». C’est donc un site, une plateforme, qui facilite les demandes d’accès aux documents administratifs pour les citoyens. C’est une plateforme citoyenne. On va en parler largement aujourd’hui. Je voulais juste vous dire un mot avant, vous dire que c’est basé sur le logiciel libre Alaveteli. C’est très important de parler un peu d’Alaveteli aujourd’hui parce que, pour moi, c’est vraiment l’esprit du logiciel libre qui est incarné dans Alaveteli. C’est un logiciel qui est à la base de Ma Dada mais aussi d’un tas d’autres sites sœurs et frères de Ma Dada dans le monde. C’est ainsi, par exemple, de la même façon que Ma Dada, qu’on va avoir en Angleterre WhatDoTheyKnow, l’équivalent de Ma Dada ; en République tchèque on va avoir Info Pro Všechny, je ne le dis sûrement pas bien ; en Suède on va avoir handlingar.se ; aux Pays-Bas wob-knop.nl ; en Belgique on va avoir transparencia.be et ainsi de suite. C’est très important parce que c’est là toute la beauté des logiciels libres qui permettent, en fait, d’être déclinés comme ça, indéfiniment, dans plusieurs autres pays. Dans chaque pays il y a eu une adaptation du logiciel à travers la langue et aussi la législation du pays.
Je vais laisser Pascal et Laurent vous présenter un petit peu ce qui est derrière les demandes d’accès aux documents administratifs. On peut commencer par toi si tu veux Laurent. Est-ce que tu peux nous raconter un petit peu comment Ma Dada est née et comment tu t’es retrouvé dedans ?

Laurent Savaëte : En fait, il y a eu un faux départ de Ma Dada à peu près autour de 2014. Les membres d’origine d’Open Knowledge France – dont je ne suis pas fondateur pour corriger ce qui a été dit au début – les membres fondateurs d’Open Knowledge France sont Pierre Chrzanowski et Samuel Goëta qui avaient démarré en 2012. Ils ont tenté de démarrer la plateforme en 2014 et ils ont eu des petits soucis de ressources humaines. En fait, on a pris contact début 2019 quand je suis tombé sur un article de presse qui émanait de la plateforme anglaise et, de là, on a relancé la plateforme. Donc elle a été mise en production autour de l’automne 2019 suite à un premier hackathon qu’on avait fait, au mois de juillet 2019, où on avait regroupé une dizaine de personnes à Paris essentiellement pour travailler sur la question de comment on gère les dizaines de milliers d’autorités françaises qui existent et comment on agrège la liste de tout ça. Et puis, au mois de septembre ou octobre 2019, on a mis le site en route. Je peux laisser Pascal prendre le relais pour parler un petit peu de la suite, de l’année qui a suivi.

Pascal Romain : J’ai rejoint l’aventure un peu avant le lancement de la plateforme, début octobre 2019, et j’ai un peu assisté Laurent dans les dernières retouches avant la publication du site et surtout l’assistance aux premières utilisatrices, aux premiers utilisateurs, notamment dans le travail de fond qui constitue aujourd’hui le principal de notre activité. Il faut s’assurer que nous avons bien les bonnes coordonnées pour entrer en contact avec les autorités publiques françaises, qu’elles sont bien listées dans notre annuaire qui est issu de la récupération à la fois de l’annuaire du site servicepublic.fr et de la liste des personnes responsables de l’accès aux documents administratifs qui est maintenue plus ou moins à jour par la CADA qui est la Commission d’accès aux documents administratifs. Les collectivités locales ou établissements publics ont l’obligation, normalement, de nommer une personne responsable de l’accès aux documents administratifs afin d’assister, de superviser les réponses qui doivent être apportées, normalement, dans un délai d’un mois par les administrations qui sont contactées, saisies par les citoyennes ou les citoyens, associations ou même d’autres autorités administratives qui pourraient saisir une autorité administrative pour obtenir un document public.

Eda Nano : Pascal, est-ce que tu peux nous dire un petit peu ce qu’est le droit d’accès aux documents administratifs ? Sur quoi repose-t-il ? Est-ce que c’est un droit qu’on a tous ? Est-ce qu’il y a une loi, dernièrement, qui a un peu augmenté ou mis un cadre à ce droit ? Qu’en est-il en France de ce droit d’accès ? En fait, de quoi s’agit-il exactement pour les citoyens ?

Pascal Romain : En France, l’histoire du droit d’accès aux documents administratifs est assez ancienne puisqu’il date, en fait, d’une loi de 1978 qui s’appelait Informatique et libertés, qui était censée équilibrer à la fois un peu une augmentation du pouvoir des autorités publiques qui était rendu possible par le développement de l’informatique et d’avoir le pendant en termes de libertés, surtout de contrôle des informations qui pouvaient être détenues par les autorités publiques sur ses citoyennes ou ses citoyens ; c’était donc le versant liberté de cette loi. Cette loi statue que chaque citoyenne ou citoyen a le droit demander à n’importe quelle autorité publique, pas seulement celle de son lieu de résidence ou d’exercice professionnel, des documents produits ou reçus par des autorités publiques dans le cadre, bien sûr, d’un certain nombre de restrictions qui concernent notamment la protection de la vie privée, du secret des affaires ou d’autres droits comme le droit d’auteur, la sécurité nationale ou des choses comme ça. Et puis, petit à petit, cette loi de 1978 a été enrichie par des nouvelles dispositions, notamment récemment par la loi pour une République numérique de 2016 qui, d’une certaine manière, augmente les droits des usagers en leur permettant de saisir de manière électronique les autorités publiques et qui oblige les autorités publiques qui ont été saisies par une citoyenne ou un citoyen à rendre publics pour tous les documents demandés, à condition, bien sûr, que ça ne concerne pas des données nominatives, mais ils peuvent également procéder à l’anonymisation des documents ; le fait que ces documents puissent contenir des données nominatives n’est pas suffisant pour en refuser la communication. Après, il y a un certain nombre de délais légaux qui sont consignés dans une loi qu’on appelle la loi pour les archives, qui définit des délais de communicabilité pour certains types de documents.
Globalement, chaque citoyenne, chaque citoyen français a le droit de demander n’importe quel type de document produit par une autorité publique qui a un mois pour répondre. Si jamais elle ne répond pas au bout d’un mois, à ce moment-là on peut soit lui écrire à nouveau en lui demandant si elle a bien reçu le message, quelles sont les raisons pour lesquelles elle a fait un refus implicite, c’est-à-dire sans réponse, ou explicite, en refusant la communication du document. À l’issue de quoi, on peut saisir la Commission d’accès aux documents administratifs qui, elle, a de nouveau deux mois pour répondre et qui va rédiger un avis après avoir pris l’attache de l’autorité publique saisie pour voir pour quelles raisons elle n’a pas communiqué le document demandé. Le seul souci c’est que cet avis de la CADA n’est pas contraignant. Quand bien même la CADA prononcerait un avis favorable pour la publication du document, l’autorité publique n’a pas forcément l’obligation de publier ce document. À ce moment-là, il ne reste plus, à la citoyenne ou au citoyen, qu’à saisir le tribunal administratif pour qu’il se prononce sur le cas de refus de communication du document.
Tout ça est consigné dans le Code des relations entre le public et l’administration qui définit l’ensemble des obligations auxquelles sont astreintes aujourd’hui les autorités publiques en matière d’accès public à l’information.

Eda Nano : Si je résume, Laurent et Pascal, en tant que citoyenne je peux demander à n’importe quelle administration de mon État, par exemple une mairie, un ministère ou un service d’un ministère, une préfecture, un document qu’ils détiennent, par exemple un marché qui a été passé, un contrat qui a été passé. Ils auront un mois pour me répondre. Si, au bout d’un mois, je n’ai pas de réponse, l’étape d’après c’est de saisir la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA que nous avons reçue ici à l’April dans une émission spéciale CADA, donc j’ai un mois pour la saisir. La CADA va ensuite décider si le document que j’ai demandé peut ou ne peut pas m’être transmis et va demander, de façon non obligatoire si j’ai bien compris, à l’administration de me donner ce document-là. Son avis est juste consultatif, il n’est pas obligatoire. Si l’administration ne le fait, à partir de ce moment-là je peux, en tant que citoyenne, porter un recours devant le tribunal administratif et l’avis de la CADA jouera peut-être un rôle important dans ce recours, même s’il était consultatif avant.
Laurent, en quoi est-ce que Ma Dada facilite ce processus qui semble administrativement complexe ? Qu’est-ce que Ma Dada permet justement de faire ?

Laurent Savaëte : En fait, je pense que juste en écoutant la longueur et la complexité de la réponse de Pascal, on a à peu près 80 % de la réponse à ta question. La loi est compliquée. C’est extrêmement simple de se perdre dans les différentes étapes de la progression d’une demande, donc Ma Dada simplifie un petit tout ça. On prend l’utilisateur ou l’utilisatrice par la main et on va lui demander à qui la demande doit être faite, à quelle autorité, à quelle partie de l’administration française la demande doit être faite. On fournit un modèle de demande qui est pratiquement rempli, il suffit de rajouter deux phrases pour dire le document qu’on veut obtenir ou les documents qu’on veut obtenir, on appuie sur « envoyer » et c’est parti. Le site s’occupe de trouver la bonne adresse mail pour envoyer la demande. La demande est transmise à la bonne personne. Les réponses sont reçues sur la plateforme et, pour toutes ces histoires de délai d’un mois, deux mois, etc., la plateforme envoie des mails de rappel à la demandeuse ou au demandeur de même qu’à l’autorité pour, justement, signaler que, attention, votre délai d’un mois est presque écoulé, qu’est-ce que vous voulez faire ?, ou le délai est échu, etc. Et puis, à chaque fois, on aiguille les demandeuses et demandeurs vers les différentes options qui sont possibles.
Pour ça il y a une partie qui est automatique par la magie de l’informatique, si j’ose dire, et puis il y a aussi pas mal d’huile de coude derrière de la part de quelques-uns de nos volontaires que je ne nommerai pas ici !
L’essentiel de la valeur ajoutée du site, pour simplifier, c’est qu’on permet à des gens qui ne connaissent pas l’essentiel de la loi, qui ne connaissent pas tous les détails de la loi, de pouvoir en bénéficier quand même.

Eda Nano : Merci Laurent. Est-ce que tu aurais un exemple ou des exemples de demandes qu’on peut faire ou qui ont déjà été faites via Ma Dada ? Je te laisse choisir ceux que tu veux, quelques exemples que tu penses pertinents.

Laurent Savaëte : Dans les demandes un petit peu d’actualité, on a des utilisateurs qui ont demandé — je l’ai sous les yeux — les statistiques de l’utilisation de l’application TousantiCovid. À priori, aujourd’hui l’information existe puisque les distributeurs de l’application savent combien de gens l’utilisent, quand, etc. Cette information-là pourrait être rendue publique. Une demande a été faite il y a quelques jours sur ce sujet-là.
On a des journalistes qui ont travaillé, il y a un article qui a été publié récemment, sur l’indemnité des élus des métropoles et des communautés de communes françaises.
En fait, pour généraliser un petit peu, on peut demander à peu près n’importe quoi qui est connu d’une partie de l’administration française. On pourrait demander l’organigramme d’une mairie. On pourrait demander la liste des véhicules qui sont gérés par une commune. On pourrait demander la liste des personnels enseignants dans un département. Concrètement, tout ce qui est géré par l’État au sens très large, on peut poser la question tant évidemment, que l’information n’est pas de nature défense nationale ou de secret commercial ; on ne peut pas demander non plus des informations médicales, par exemple. Et si l’information est déjà disponible au public il n’y a pas vraiment de sens à la redemander sous forme d’une demande CADA.
Je pense que Pascal a probablement des réponses encore plus pertinentes là-dessus.

Eda Nano : Oui. Même question pour toi Pascal.

Pascal Romain : Je n’ai pas des réponses plus pertinentes. Dans une démocratie représentative comme la France on transfère une partie de notre pouvoir à nos représentants, que nous avons élus, donc, en contrepartie, la loi prévoit qu’on peut demander des comptes, en tout cas que les pouvoirs élus doivent être en capacité de rendre compte de leurs actions. On pourrait citer dans les éléments un peu de base de cette transparence de l’accès au public le budget, c’est-à-dire combien d’argent dépensé en face de combien d’argent reçu et les sources de ces recettes. On pourrait demander la liste des subventions, des aides financières apportées soit à d’autres autorités publiques, soit à des individus, soit à des associations. On pourrait demander la liste des marchés publics, c’est-à-dire toutes les commandes passées par les autorités publiques de manière à pouvoir rentrer en relation avec des fournisseurs pour leurs achats, qu’ils soient de type logiciel ou pour la construction d’un bâtiment et ainsi de suite.
Ce sont un peu les trois documents que, de manière proactive, les autorités publiques devraient publier. Elles le font assez rarement et, encore plus rarement, sous la forme de données. Un des intérêts de Ma Dada c’est aussi de développer un peu la culture de la donnée aussi bien auprès des citoyennes, des citoyens, que des administrations en rappelant que la loi demande aujourd’hui de transmettre les informations publiques communicables sous la forme de fichiers dans des formats ouverts, permettant la réutilisation des données qu’ils contiennent. Et pour ça, un des leviers de Ma Dada c’est que l’ensemble des échanges entre les demandeurs et les autorités publiques sont publics sur une espèce de mur qui récapitule l’ensemble des messages que se sont envoyés les deux parties au travers de la plateforme. Sans aller jusqu’à faire du name and shame, « nommer et blâmer », on peut utiliser ce caractère public pour mettre un peu la pression sur les administrations et sortir un peu du secret des correspondances qui n’était pas toujours en faveur des demandeurs, en plus de la complexité du droit que, effectivement, encore beaucoup de citoyennes et de citoyens méconnaissent.

Eda Nano : Très bien. Merci Pascal. Merci Laurent.
Maintenant je voulais justement parler un peu de ces difficultés-là. Depuis décembre que j’ai rejoint l’équipe de Ma Dada, nous sommes une petite équipe, il y a nous trois, il y a Pierre Chrzanowski qui n’est pas là, qui est aussi le président d’Open Knowledge Foundation et il y a Samuel Goëta qui est aussi très actif dans l’open data de par son métier et son travail, en France ; il est un des fondateurs de Datactivist. Je voulais justement parler avec vous des difficultés rencontrées. Quel est l’état de l’open data, de la transparence, des données ouvertes en France ? Quelles sont les difficultés les plus courantes qu’on remarque dans Ma Dada ? Laurent peut-être.

Laurent Savaëte : Oui. Il y en plusieurs. Je pense que la première c’est probablement celle dont on vient de parler, le fait que la loi est relativement complexe et le fait que les gens, de manière générale, ne sont pas forcément très au courant de l’existence même de cette loi. Là il y a un premier sujet, arriver à faire prendre conscience aux gens. On entend souvent des gens nous dire « on n’a pas telle info, on ne sait pas ce qui se passe ». En fait, on pourrait le savoir. Souvent, la réponse, c’est simplement de sauter sur Ma Dada, d’envoyer une demande à l’administration pertinente et puis, avec un petit peu de chance, obtenir l’information qu’on voudrait obtenir.
L’autre point de difficulté, je ne vais pas les mettre dans l’ordre parce que je n’en serais pas capable, on voit pas mal de résistance de la part des administrations françaises. Le cas le plus courant : une demande est envoyée et il ne se passe rien, l’administration ne répond pas. On a eu quelques cas où, effectivement, du côté de l’administration, ils ne connaissaient pas le droit eux-mêmes. Je pense aussi que souvent ça fait un peu poil à gratter et l’administration n‘est pas nécessairement très motivée pour distribuer l’information sur laquelle elle est assise. Ça pose des problèmes. En France, il y a clairement un écart entre la loi telle qu’elle existe, telle qu’elle est écrite, et la manière dont elle est appliquée. Il y a sûrement beaucoup d’autres problèmes. En tout cas, de mon point de vue, ces deux-là sont probablement les plus courants.
Pascal, je te laisse prendre le relais si tu as d’autres points à suggérer.

Eda Nano : Justement Pascal, tout à l’heure tu as évoqué les PRADA, les personnes responsables de l’accès aux documents administratifs. Ce sont des personnes qui doivent être nommées par les administrations, chaque administration en doit en nommer une. C’est cette personne, qui est au sein de l’administration, qui sera responsable pour les demandes citoyennes d’accès aux documents et qui doit donc répondre, faire suivre, etc., les dossiers. Qu’est-ce qu’il en est de ces PRADA ? Pascal est-ce que chaque administration en a une ? Est-ce que l’annuaire est connu, mis à jour, etc. ?

Pascal Romain : Non effectivement, c’est ce qu’on peut constater. D’abord, dans le travail initial de construction de notre annuaire, on a récupéré assez peu de boîtes mails, de contacts de ces personnes responsables. Notre source principale d’information, en la matière, c’est la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, qui souffre, de notoriété publique, d’un manque de moyens et qui, elle-même, bien qu’elle soit elle aussi une autorité publique, a finalement assez peu de pouvoir contraignant sur les autorités publiques. Il y a un article dans le Code des relations entre le public et l’administration qui mentionne explicitement le fait que les autorités publiques ont l’obligation de nommer cette personne, également de publier publiquement ses coordonnées qui permettent de la saisir. Force est de constater, depuis qu’on travaille sur ce projet, que c’est très rarement le cas. D’ailleurs on pourrait, de manière un peu cynique, remarquer que ça a été beaucoup plus rapide pour nommer des délégués à la protection des données dans le cadre de la mise en œuvre du Réglement général sur la protection des données ; là, effectivement, il y avait des sanctions financières. On pourrait aussi imaginer que des collectivités locales ou autres autorités publiques ont été plus promptes à nommer ce genre de délégué puisque ça leur permettait, éventuellement, de trouver de nouvelles raisons pour refuser la publication de certaines informations en invoquant souvent, un peu à tort et à travers, le RGPD. Dans les mentions légales des sites internet de ces autorités publiques on trouve beaucoup plus souvent les coordonnées du DPO que de la PRADA.
Ça nous oblige à faire ce travail un peu de fourmi, à la main, parfois en contactant par téléphone des autorités publiques avec parfois des échanges un peu kafkaïens où les personnes, au sein des administrations, ne semblent pas connaître cette partie du droit administratif et trouvent toujours un peu bizarre qu’on leur demande ce genre d’information. Après avoir été redirigé vers trois ou quatre interlocutrices ou interlocuteurs différents, on finit, avec un peu de chance, par aboutir dans un service juridique ou un service communication, mais sans toujours être bien sûr qu’on va avoir l’information qui permet ensuite de saisir correctement l’administration. C’est vraiment un problème de mise en œuvre du droit.
Le second problème c’est un peu ce que tout le monde connaît en France, l’expression du mille-feuille administratif, qui se reflète par le fait qu’aujourd’hui on liste 50 000 autorités publiques qui ont chacune des domaines de compétences qui parfois se recouvrent à des échelles territoriales différentes. Savoir quelle est l’autorité qu’il faut saisir constitue aussi un peu une difficulté pour les demandeuses et demandeurs qui utilisent Ma Dada ou qui souhaitent juste faire une demande de communication d’un document administratif.
Normalement il y a aussi un élément dans le droit qui stipule que quand une administration est saisie par une citoyenne ou un citoyen et qu’elle n’est pas la bonne interlocutrice, c’est à elle, normalement, de rediriger la demande vers la bonne autorité publique.

Eda Nano : Pascal. On en parlera en détail après. On revient juste après la pause musicale. Je laisse la parole à Fred.

Frédéric Couchet : Merci. Je vais juste rappeler que l’émission avec le président de la CADA sur Libre à vous ! c’était le 15 janvier 2019. On fait un petit coucou personnel de l’April au ministère des Armées, vu qu’on attend toujours un certain nombre de documents. Évidemment, on va les relancer, on passera par la CADA après.
Nous allons faire une musicale. Nous allons écouter Hard Country par Townhouse Woods. On se retrouve dans trois minutes 30. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Hard Country par Townhouse Woods.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Hard Country par Townhouse Woods, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Le site de l’artiste est townhousewoods.bandcamp.com. Vous retrouverez les références sur le site de l’April et sur causecommune.fm. Je suis sûr que certains fans auraient rêvé qu’on écoute À dada de Bourvil vu le sujet, mais j’ai choisi plutôt ce titre-là.

Nous allons poursuivre notre discussion avec Laurent Savaëte, Pascal Romain et Eda Nano pour parler de Ma Dada et de l’accès aux documents administratifs. Je vous repasse la parole.

Eda Nano : On est de retour.
Laurent, est-ce que tu pourrais nous donner un peu de chiffres. Maintenant ça fait un peu plus d’un an, presque un an et demi, que Ma dada est en ligne, est-ce que tu peux nous donner un petit peu le nombre demandes et la croissance de la plateforme ?

Laurent Savaëte : J’aime bien les chiffres ! En gros, sur la première année, on a eu autour de 200 demandes qui ont été postées sur le site. On est, en gros, à un an et demi d’existence, on est tout juste au tournant des 1000 demandes. Donc ça augmente très vite depuis les six derniers mois et, en particulier, depuis le lancement de nouvelles fonctionnalités ++, je pense qu’on va y revenir.
Une autre statistique intéressante c’est le taux de réponse aux demandes. On est, à priori, dans l’ordre de grandeur de la moyenne française actuellement, c’est-à-dire qu’on a entre 10, 12, 15 % de réponses positives aux demandes. Ce qui veut dire que sur à peu près 1000 demandes, on en a une grosse centaine, entre 120 et 150 à peu près, qui ont obtenu une réponse satisfaisante. Il y a tout un spectre de satisfaction entre la réponse, on va dire, parfaite et la réponse qui obtiendrait une mention passable. Ce qu’il est intéressant aussi de voir là-dedans c’est qu’on a plus de 80 % des demandes qui restent lettre morte ou qui sont simplement refusées et, comme disait Pascal, très souvent avec des motifs qui ne sont pas forcément exactement ceux prévus par la loi.
Voilà à peu près les ordres de grandeur.

Eda Nano : Pour avoir une idée de comparaison avec une plateforme peut-être plus ancienne comme WhatDoTheyKnow, la plateforme anglaise qui est une des plus anciennes si je ne me trompe pas, quels sont leurs chiffres, par rapport à nous, de demandes et de réponses ?

Laurent Savaëte : Ils ont démarré bien avant nous. Ils ont pratiquement une dizaine d’années d’existence et d’expérience. L’autre élément qui est assez important c’est que le droit équivalent au droit CADA en Angleterre, qui s’appelle Freedom of Information Act, FOIA, est, à mon sens, beaucoup plus connu par la population et ça se voit dans les chiffres. En dix années d’existence, ils ont dépassé le cap des 700 000 demandes, je crois qu’ils sont autour de 750 000 aujourd’hui, avec des taux de réponses qui sont beaucoup plus élevés. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais je sais que quand on a parlé de nos taux de réponses ils étaient presque outrés de voir qu’il n’y ait pas plus de 50 % de réponses positives aux demandes. Je pense qu’il y aurait moyen de faire une étude un petit peu socioculturelle plus approfondie là-dessus pour comparer la manière dont les citoyens perçoivent leurs gouvernements et perçoivent leurs relations avec leurs gouvernements. Ça veut dire qu’on a encore beaucoup de potentiel de croissance et on y travaille dur.

Eda Nano : À ce stade, je voulais parler du fait qu’on a reçu Éric Bothorel à l’April, il n’y a pas très longtemps. Son rapport parlait justement de changer un peu la donne et de faire de l’ouverture, de la transparence, que ce soit l’ouverture des codes sources et des documents administratifs, une culture ancrée dans les administrations et dans la population en France. Est-ce que vous pensez que la donne va changer ? Est-ce qu’il y a des signes que les choses vont changer dans les prochains mois ou les prochaines années, sachant qu’il y a eu le plan pour un gouvernement ouvert qui a été relancé je crois, le plan des deux années qui a été relancé dernièrement ? Quel est votre sentiment là-dessus et vos envies surtout ? Pascal et Laurent.

Pascal Romain : On peut voir la bouteille moitié vide, moitié pleine. C’est vrai qu’il y a eu un peu une nouvelle vague, disons, de l’accès aux documents administratifs quand le mouvement open data a heurté les côtes françaises. Entre 2010, 2011, un certain nombre de collectivités publiques se sont lancées dans ces démarches, plus parce qu’elles en espéraient des retours économiques que vraiment pour faire progresser le droit d’accès des citoyennes et des citoyens. Aujourd’hui on a à peu près 60 % des départements français qui ont ouvert une plateforme, à peu près 50 % des communes de plus de 100 000 habitants. Mais on n’est toujours qu’à 10 % des communes entre 3500 et 100 000 habitants et c’est quand même ça le gros des autorités publiques françaises puisqu’on a toujours nos fameuses 36 000 communes.
Ce qu’on peut voir c’est que cette situation n’est pas toujours le résultat d’une mauvaise volonté des autorités publiques, c’est aussi par manque de moyens. Ce manque de moyens on le retrouve aussi bien à la CNIL qu’à la CADA à laquelle, d’ailleurs, on n’a pas donné, on peut le noter, de pouvoir de contrainte. Donc on a un peu assisté, ces dernières années, entre 2017 et 2020, à un empilement des réglementations, certaines visaient à se mettre en conformité avec le droit européen mais sans que derrière ça s’accompagne véritablement des moyens nécessaires pour que ça bascule vers une culture de la transparence et de l’accès facilité aux citoyens à leurs informations publiques.
Récemment on discutait avec nos amis anglais auxquels on disait que certaines autorités publiques pouvaient refuser la communication d’un document en arguant du fait que ça leur occasionnait trop de travail. Cette « excuse », entre guillemets, existe également en Angleterre, mais en Angleterre elle est encadrée par une quantité de travail nécessaire que doivent justifier les autorités publiques alors qu’en France il n’y a rien de tel, donc c’est un peu la voie ouverte à n’importe quelle mauvaise foi de la part de ces autorités administratives.
Parfois, ça nous est également arrivé, les autorités publiques auxquelles on demandait des données nous renvoyaient des documents soit par méconnaissance, par manque de culture numérique, soit, aussi, par une forme d’un peu de mauvaise foi.
Pour revenir aussi sur la question du droit, certaines autorités publiques méconnaissent le droit ou l‘utilisent à leur avantage en utilisant systématiquement le refus implicite, c’est-à-dire la non-réponse, en attendant que la CADA, ensuite, se prononce sur la validité de la demande formulée par la citoyenne ou le citoyen, ce qui fait que l’accès aux documents administratifs, en France, reste toujours un peu un parcours d’obstacles pour lequel il faut s’armer de patience : un mois d’abord pour le délai légal, ensuite deux mois, théoriquement, pour la réponse de la CADA sachant qu’elle peut aussi avoir du retard. Donc il ne faut pas être pressé quand on veut exercer son droit d’accès en France !

Eda Nano : Dernièrement nous avons parlé avec nos amis de Transparencia qui nous racontaient un petit peu comment ils avaient fait un travail auprès des politiciens et des élus, avant les municipales, pour mettre en avant la transparence et l’open data, ce qui est déjà le cas, en fait, en France. On voit que ce sont des sujets qui sont de plus en plus à la mode, on en parle de plus en plus aisément. On a de plus en plus d’élus qui sont délégués ou adjoints à l’open data et à la transparence. Du coup, il y a peut-être quelque chose à faire là-dedans, c’est-à-dire à leur demander des vrais retours une fois élus et une fois en place, comme avait fait, par exemple, transparencia.be. Ils nous disaient qu’ils avaient réussi à faire passer la CADA d’une institution dont l’avis était purement consultatif à une institution dont l’avis devient obligatoire, donc a un pouvoir plus fort d’obligation et de contrainte envers les administrations.
Est-ce que vous voulez revenir un peu là-dessus, sur leur travail politique pour la transparence en Belgique ?

Laurent Savaëte : Chez Transparencia, ils ont pris un parti un tout petit peu différent du nôtre à savoir que chez Ma Dada on a pris un petit peu le parti initial de rester relativement neutres dans les campagnes qu’on défend et qu’on soutient. Chez Transparencia, ils ont pris un biais un petit peu plus journalistique, on va dire, activiste et puis politique. Ils ont notamment travaillé à comparer l’efficacité des différents partis politiques à répondre aux demandes CADA. Donc ils avaient sorti, en collaboration avec un journal belge, une espèce de hit-parade des maires, des bourgmestres, je crois que ça s’appelle comme ça en Belgique, et de leurs capacités à répondre positivement et rapidement aux demandes qu’ils recevaient. Je ne saurais pas donner les résultats, mais, clairement, ça semblait avoir généré des résultats dans le sens où, notamment les mairies qui étaient peut-être plus en bas du classement s’étaient d’un coup souvenues qu’il y avait une boîte mail avec dedans des demandes CADA qui arrivaient et, visiblement, ils s’étaient un petit peu réveillés et avaient décidé d’y répondre de manière un peu plus positive.
Chez Transparencia ils ont fait d’autres choses très chouettes. La Belgique est État fédéral et ils avaient plusieurs CADA, plusieurs Commissions d’accès aux documents administratifs, une par État fédéral. Ils ont réussi, si je ne m’abuse, à les regrouper et comme tu le disais plus tôt, ils ont réussi aussi à leur donner un pouvoir plus que consultatif puisqu’elles sont capables, maintenant, d’émettre des avis contraignants, ce qui est intéressant justement pour améliorer la transparence.
Donc on a encore des choses à faire chez nous.

Eda Nano : Justement, Laurent, tout ça est possible parce que la communauté, en fait, de toutes nos plateformes se connaît un peu grâce à Alaveteli. Est-ce que tu peux nous dire quelques mots sur le rôle joué par Alaveteli, le logiciel libre à la source de nos plateformes ? Quel est son rôle pour toutes ces communautés, pour nous faire connaître, pour nous faire peut-être travailler ensemble, en tout cas échanger ? Comment se passe le retour arrière ? Est-ce que nous apportons, à notre tour, des choses à Alaveteli ? Tu es technicien, tu es ingénieur informaticien chez nous, c’est toi qui es le plus à même d’être en relation avec la communauté Alaveteli, c‘est pour ça que je m’adresse à toi.

Laurent Savaëte : Déjà, Ma Dada est née parce que, c’est un petit peu un hasard, je vivais en Angleterre à l’époque où on a démarré et j’étais tombé, comme je disais, sur un article de presse qui émanait d’une demande CADA, enfin d’une demande FOIA en Angleterre. On travaille pas mal en fait. L’association mySociety, qui est derrière le logiciel Alaveteli, fait beaucoup d’efforts pour essayer de faciliter les échanges entre les différentes plateformes nationales. Comme tu disais au début, je crois qu’il y a maintenant entre 25 et 30 plateformes qui utilisent le logiciel Alaveteli de par le monde. Il y en a en Europe, il y a aussi loin, en Australie, en Nouvelle-Zélande, il y en a dans quelques pays africains ; il y a des plateformes qui se déploient maintenant en Amérique latine et toutes ces plateformes utilisent le même socle de logiciels, chacune avec des petites adaptations.
Ce qu’il est intéressant de voir c’est qu’on a aussi une mailing liste qui regroupe des membres de toutes ces différentes plateformes et là-dessus il y a pas mal d’échanges de bonnes pratiques, des sujets d’échanges qui reviennent régulièrement. Pour donner des exemples, l’anonymisation des données, c’est un cas d’usage particulier : une demande qui génère l’ouverture d’un document qui contient des données privées, par exemple des adresses de personnes ou des numéros de téléphone. Il y a eu beaucoup d’échanges autour de cette question : comment peut-on cacher ces informations-là pour que le document puisse être mis à disposition du public sans toutefois causer de problème parce qu’on y révèle, par exemple, l’adresse personnelle du demandeur ou le numéro de téléphone privé d’une personne qui n’a pas à apparaître dans ces documents-là ?
J’allais finir en disant que, de notre point de vue, on remonte aussi des informations vers mySociety, tout simplement sous la forme de fonctionnalités logicielles, parfois on corrige des petits bugs, on a produit des traductions. Typiquement, on a récupéré une grosse partie des traductions de l’anglais vers le français de la plateforme belge. Tout récemment, on a vu un e-mail d’une personne en Suisse qui cherchait à réutiliser une partie de notre travail pour mettre en route un site pour la Suisse.
C’est intéressant de voir comment, finalement, le logiciel libre permet cette réutilisation de 90, 95 % du travail. En ajoutant juste un tout petit peu d’huile de coude, au final on est en mesure de mettre en route des plateformes et d’essaimer un petit peu et de faciliter la transparence dans tout un tas d’autres pays avec un somme de travail qui n’a rien à voir avec ce qu’on devrait faire si on devait démarrer depuis le début.

Eda Nano : Justement, il y a des nouvelles fonctionnalités dans Ma Dada depuis pas très longtemps qui ont été développées à la base dans Alaveteli et qui ont été portées dernièrement dans Ma Dada. Est-ce que tu veux nous en dire un mot Pascal ?

Pascal Romain : Effectivement, on a bénéficié de l’accompagnement de la fondation mySociety pour mettre en œuvre ces nouvelles fonctionnalités qui permettent, notamment, de faire ce qu’on appelle des demandes groupées. C’est-à-dire qu’à l’intérieur de ce fameux mille-feuille administratif on va avoir, par exemple en France, un peu plus d’une centaine de départements qui ont tous les mêmes compétences mais sur des ressorts territoriaux différents. Si je veux demander la liste des subventions publiques accordées par exemple en 2019, jusqu’ici il fallait que je fasse manuellement ces 100 demandes auprès de chacune de ces administrations. Aujourd’hui, je peux les sélectionner à l’intérieur de notre annuaire et envoyer la même demande à ces différentes autorités. Ensuite, l’état d’avancement de mes demandes, leurs éventuelles réponses, tout ça est organisé dans un tableau de bord qui est mis à disposition des utilisatrices ou des utilisateurs, qui leur permet de suivre les différentes actions qu’ils doivent réaliser, les réponses qu’ils ont reçues, les relances qui sont nécessaires, qui leur permet également de récupérer un fichier qui récapitule l’ensemble de ces informations si jamais, pareil, ils veulent effectuer une saisine groupée auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs. Ça c’est la première des fonctionnalités qui, disons, intéresse le plus grand nombre.
On a également une fonctionnalité qui permet de mettre ce qu’on appelle sous embargo des demandes d’accès aux documents administratifs. Cette fonctionnalité est plutôt à destination soit des journalistes, soit à des associations un peu activistes, soit des chercheurs, qui veulent maintenir une certaine confidentialité temporaire sur leur sujet de recherche ou d’investigation. Une fois qu’ils ont récupéré, ou pas, les documents demandés et qu’ils ont publié leur travail de recherche ou d’investigation, à ce moment-là ils peuvent lever l’embargo sur leurs demandes et les rendre publiques comme étant les sources de leur travail d’investigation ou de recherche.

Eda Nano : Je rebondis là-dessus parce que c’est un peu comme ça que je suis venue à connaître Ma Dada, c’est par mon activité avec La Quadrature du Net dont je suis membre. On faisait beaucoup de demandes CADA dans le cadre de la campagne Technopolice et c’est comme ça que nous avons vu toutes ces nouvelles fonctionnalités de Ma Dada qui nous servent beaucoup pour analyser, faire des demandes CADA en batch, en groupe, et ensuite prendre le temps d’analyser ces demandes, les documents reçus surtout — quand on les reçoit —, ensuite publier dessus puis publier les données en données ouvertes.
Il ne nous reste plus beaucoup de temps, Je voulais juste que vous me disiez quelques mots sur le modèle économique de Ma Dada. Nous sommes une petite équipe. Je suis employée à temps partiel depuis décembre. Pascal, je crois que tu l’as été aussi à un moment. Nous faisons tous un peu, ou beaucoup, de travail bénévole. Quel est le modèle économique de Ma Dada et comment peut-on aider ? Laurent peut-être.

Laurent Savaëte : Allez, je prends celle-là.
Pour le modèle économique de Ma Dada, on n’a pas voulu suivre l’exemple de nos collègues anglais qui font payer, par exemple, l’accès aux fonctionnalités ++ dont Pascal parlait à l’instant. On a préféré partir sur l’idée que ces fonctions doivent être accessibles à tout un chacun ou chacune et gratuitement, surtout. On fait effectivement beaucoup de bénévolat. On est toujours preneurs d’aide en nature, si j’ose dire, s’il y a des gens qui se sentent intéressés par le sujet, on est toujours preneurs d’un coup de main. Après, financièrement, on est bien soutenus par l‘association Open Knowledge France. Je pense qu’il y aurait des choses à faire en termes de concentration de dons, notamment de la part des utilisateurs, vers Open Knowledge France, mais aujourd’hui on n’a pas encore de structure qui permette de faire fonctionner ça correctement.

Eda Nano : Je rebondis là-dessus pour dire qu’on est preneurs de votre temps, de support, de bénévolat. Ça peut être pour une traduction, ça peut être pour de la communication, pour n’importe quoi. Si vous avez envie de participer, vous pouvez nous écrire à contact chez madada.fr. Nous avons aussi un blog où vous pouvez suivre un petit peu les nouveautés. Nous avons un compte Mastodon, nous avons aussi un compte Twitter, mais on garde notre alternative libre Mastodon. On a, depuis hier, un nouveau compte PeerTube où on a mis en ligne notre dernier webinaire qui explique un petit peu, par l’exemple, comment faire des demandes d’accès aux documents sur Ma Dada et comment utiliser Ma Dada pour les débutants, pour les très grands débutants. Allez-y. Tout ça est sur notre blog, madada.fr/blog. Tous les liens sont mis en ligne sur le site de la radio.
Je vous remercie, Laurent et Pascal, d’avoir été là avec nous. Merci à l’April pour nous avoir accueillis. C’était une première pour nous.

Laurent Savaëte : Merci à toi.

Pascal Romain : Merci.

Frédéric Couchet : Merci à Laurent Savaëte, Pascal Romain, Eda Nano, de Ma Dada, madada.fr. Comme le dit Eda, toutes les autres références sont sur le site de l’April, april.org, et sur causecommune.fm. Je remercie grandement Eda pour la préparation et l’animation de ce sujet long consacré à l’accès aux documents administratifs. Je vous souhaite une belle fin de journée.

Laurent Savaëte : Merci.

Eda Nano : Merci.

Frédéric Couchet : À bientôt.
On va passer directement au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique d’Isabelle Carrère, d’Antanak, intitulée « Les apprentissages informatiques pour les jeunes et moins jeunes »

Frédéric Couchet : « Que libérer d’autre que du logiciel ». La chronique d’Antanak. Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées de mise en acte et en pratique au sein du collectif — le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes. Le thème du jour : les apprentissages informatiques par les jeunes et moins jeunes.
Bonjour Isabelle.

Isabelle Carrère : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : C’est à toi.

Isabelle Carrère : Ça va bien ?

Frédéric Couchet : Ça va bien. Et toi ?

Isabelle Carrère : Oui, ça va bien ! Mais là, aujourd’hui, ça va être une chronique dans laquelle je vais un peu râler. Depuis le premier confinement, j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici je crois, on a distribué des dizaines et des dizaines d’ordinateurs reconditionnés et installés avec des distributions libres sous GNU/Linux. On a toujours fait cela depuis 2015, le début de l’association, mais là, les choses se sont grandement accélérées !>br/>
On y passe un temps assez fou ! Non seulement toute la logistique pour récupérer le matériel, faire les installations, les tests, les éventuelles réparations, les ajouts de RAM, le changement d’un composant, etc., mais là, surtout, c’est un travail énorme que de recevoir les enfants, les jeunes – collégiens, lycéens, étudiants – et les adultes aussi, et de passer un moment avec elles et avec eux pour leur expliquer des choses. C’est une affaire assez complexe que d’arriver à décrypter ce que les personnes savent réellement ou pas, en si peu de temps.
Oui ! On passe à peu près entre 30 et 45 minutes avec chaque personne à qui on donne un ordinateur. On parle des bases de l’utilisation de l’appareil lui-même : le fonctionnement de la batterie, les connexions, wifis, filaires, le nettoyage de l’ordinateur, etc. On parle du système, l’interface graphique, les icônes, les menus du bureau, le tableau de bord, les outils pour le son, les mises à jour. On essaye d’expliquer tout ça avec les termes les plus simples possibles, les plus abordables, et enfin on parle des applications logicielles classiques : VLC, le traitement de texte, naviguer sur Internet, et puis aussi quelques autres outils tels que Jitsi Meet, même si on sait que c’est souvent Zoom que les profs vont leur demander d’utiliser majoritairement ! Ceci dit, on installe aussi Zoom pour que les enfants ne soient pas perdu·e·s. On explique aussi des choses sur les cookies, sur les bloqueurs de publicité qu’on a installés sur Firefox, sur le « s » de « https» dans l’adresse, etc. Bon !, cela fait énormément de choses à assimiler pour ces jeunes et ces enfants en très peu de temps.
Ce qui me fait grandement peur et que je voulais partager avec vous aujourd’hui, c’est la façon dont on a déjà inculqué, même aux plus jeunes, que le seul besoin qu’ils avaient était de savoir cliquer ! Du coup ils t’écoutent à peine, sûrs et certains qu’ils ou elles vont savoir se débrouiller. « Oui, oui, on a déjà vu ça à l’école ! » Tu parles !, ils n’ont rien vu du tout, ou si peu !
Ce sont les mêmes qui nous rappellent quelque temps après : « L’ordinateur ne marche pas !— Ah bon ! Pourtant il marchait quand on te l’a donné ! — Oui, mais là ça marche plus ! — Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? — Là c’est le clavier ». On essaye de comprendre et finalement : « Les chiffres, là en haut, ne s’écrivent pas ! — « Ah ! Et comment fais-tu pour taper les chiffres ? » Un silence, dans lequel j’entends « en fait elle est stupide, pourquoi elle me demande ça ? ». « Je tape sur la touche – j’insiste — tu frappes juste, par exemple, sur le 0 ? – Ben oui ! Et a ne donne pas un 0, ça donne un à ». Vous voyez la suite ! On n’avait pas dit comment utiliser le clavier. Maintenant on vérifie systématiquement que les personnes le savent !
Bref !, en tout cas ils et elles nous demandent de leur donner des réponses toutes faites, des codes pour arriver, vite, à ce qu’il leur faut faire. Pas le temps de comprendre comment ça marche et pourquoi tel élément a ainsi été conçu ainsi plutôt qu’autrement.

Ça a l’air idiot ce que je vous raconte ! Basique ! Eh bien voilà, c’est ce qui se passe crûment dans la vraie vie, celle où on demande aux mioches d’aller sur ENT, leur espace numérique de travail, qui, par ailleurs, continuent de ne pas être accessibles à tout le monde, ça continue d’être saturé !, et on va juste leur montrer « tu cliques ici, tu cliques là, tu fais-ci, tu fais ça, et surtout, tu dois rendre ton devoir à telle heure », alors que les bases du fonctionnement ne sont absolument pas acquises. Ils ne savent pas la différence entre un navigateur et un moteur de recherche ; ils pensent Google quand on leur parle d’Internet ; ils disent word si on parle traitement de texte ; ils croient que les données sont sur leur ordinateur, voire ne se posent même pas la question, comme ils utilisent des smartphones, juste avec ce qu’il y a dedans, sans se poser de questions.
Certains jeunes sont venus avec l’ordinateur portable qu’on leur avait donné en en réclamant un autre parce que « ça ne marche pas, je n’arrive pas à me connecter à ENT Pronote », en pleine confusion sur le matériel, les applications, n’ayant aucune approche de ce qui est local, ce qui est ailleurs, et tout contrits, évidemment, parce qu’ils pensaient avoir fait une bêtise

On se demande, ici à Antanak, comment faire pour faire avancer les choses pour ces jeunes. Les tout petits moments qu’on peut passer avec chacun, chacune, ne sont évidemment pas suffisants. Personne ne va prendre du temps pour venir à un atelier de partage, ceux qu’on organise, en tout cas pas tant qu’il n’y aura pas de conscience un peu plus complète de ces questions-là. Les adultes viennent dans nos ateliers, mais pas les jeunes ni les enfants. Ceci dit, on ne fait pas non plus d’ateliers spécifiques pour elles et eux. Peut-être qu’on devrait.

Je ne suis pas en train de dire que personne ne fait rien, bien entendu ! Mais nous constatons que les injustices sont toujours grandes à ce sujet. Selon le quartier où vous êtes, où vous vivez, l’école ou le collège où vous allez, selon que vos parents savent lire ou écrire, ou peu, vous n’aurez pas les mêmes chances dans les apprentissages et les capacités d’appropriation et de pouvoir faire des choix, de discerner sur les actions et les activités numériques, de comprendre les risques, bref !,de réfléchir.

Au-delà de cette question de classe sociale, ce qui me fait peur c’est que là on est en train d’engloutir, avec une rapidité déconcertante, toutes les étapes qui devraient permettre de penser la numérisation globale de la société, la connexion permanente, les injonctions à utiliser tel objet, tel outil, parce que c’est pratique.
On sait, depuis plusieurs années maintenant, les risques de la connexion permanente dans le milieu professionnel, également dans les relations entre vie privée et vie professionnelle des adultes, beaucoup écrivent là-dessus, on parle des problématiques du télétravail, etc., mais on se dépêche de faire en sorte que les enfants et les jeunes soient dans la même situation pour leurs apprentissages ET pour leurs loisirs, leur vie sociale qu’on pilote désormais à distance, en ce moment. En ce moment, mais peut-être encore après !
Alors quand on parle d’enfants ou de jeunes décrocheurs et décrocheuses scolaires, ça peut aussi, peut-être, se penser sur cet axe. Non !

Quant à l’histoire du monde du Libre, très rares, trop rares, sont les enseignants et enseignantes qui prennent le temps de parler de cela, d’expliquer ce « 3e monde », entre guillemets, et de ce que cela signifie.
Je suis contente, toujours, qu’on ait réussi, du fait de cet accroissement des demandes, à faire que de plus en plus de personnes utilisent les logiciels libres, mais ce n’est pas gagné ! Les biens communs ne sont pas tout à fait leur préoccupation. Je veux dire, en fait, qu’on ne leur en parle pas ailleurs, et ça, pour moi, c’est vraiment dommageable !

Frédéric Couchet : Je suis bien d’accord et c’est vrai que toute la semaine dernière, ayant trois enfants – lycée, collège et primaire – a été compliquée, mais pas uniquement effectivement pour les élèves, aussi pour les enseignants et les enseignantes qui sont laissés un petit peu à l’abandon par leur ministère. On va faire référence, quand même, au cher ministre, comment s’appelle-t-il déjà ?, Blanquer, je cherche son prénom, j’ai un trou de mémoire, Jean-Michel ?, j’ai un trou de mémoire, on va me corriger, Jean-Michel, qui était plutôt là pour accuser peut-être des attaques extérieures ou des collégiens qui se sont mobilisés pour faire tomber les services du CNED alors que, tout simplement, ils n’étaient pas du tout prêts.
Quand tu parles de la séparation entre vie privée et vie professionnelle, il y a des enseignants, notamment pour un de mes enfants, qui a envoyé des consignes à 21 heures ou 22 heures, en dehors de ses horaires de travail. Donc une surcharge monumentale. Ce n’est pas comme si on ne savait pas qu’il allait y avoir cette nouvelle vague et je pense qu’à la nouvelle vague on ne sera toujours pas prêts.

Isabelle Carrère : Ce sera toujours comme ça !

Frédéric Couchet : Ce sera toujours terrible !
Sur le salon web, on te dit courage. Jean-Michel, on confirme bien que c’est Jean-Michel Blanquer.

Isabelle Carrère : Ce n’était vraiment pas une blague !

Frédéric Couchet : Je ne me souvenais plus exactement du prénom.
Si vous voulez découvrir Antanak, notamment les locaux d’Antanak, ce sont nos voisins et voisines. Vous êtes au 18 rue Bernard Dimey dans le 18e et nous sommes au 22. N’hésitez pas à passer ou simplement allez sur le site antanak.com.
C’était la chronique d’Antanak, Isabelle Carrère, qui est toujours présidente d’Antanak.

Comme on a encore un petit peu de temps on va enchaîner avec une chronique préenregistrée.
On va passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique « La pituite de Luk » intitulée « Cruels mégapixels »

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique « La pituite de Luk ». Cette « pituite de Luk » a été enregistrée initialement pour l’émission du 30 mars 2021, mais nous n’avons pas pu la diffuser faute de temps. Son titre c’est « Cruels mégapixels ». On va l’écouter, elle dure quatre minutes et on se retrouve juste après.

[Virgule sonore]

Luk : C’est peut-être la 100e de Libre à vous !, mais c’est aussi ma 13e pituite. Je ne suis pas superstitieux sauf quand le chiffre 13 apparaît, ou que je brise un miroir, ou que je croise un félin de couleur sombre, ou que je renverse des condiments, plus quelques autres trucs. Du coup, j’ai enregistré depuis sous mon lit où j’ai trouvé refuge parce que le direct c’est dangereux.
Je lisais une biographie de Frank Zappa récemment et ça m’a motivé à ne pas sortir. En 1971, un de ses fans a eu la fameuse idée de tirer une fusée de détresse dans le casino de Montreux où se déroulait le concert. Il a engendré une série de catastrophes : matériel de la tournée réduit en cendres, Casino de Montreux réduit en cendres, mais aussi composition du tube Smoke on the water par Deep Purple. Moins d’une semaine après, un autre fan agressait Zappa, lui occasionnant des fractures multiples, un traumatisme crânien et le larynx écrasé. Bon, OK ! Ce sont peut-être les fans qui sont dangereux.
Ce n’est pas Ena Matsuokae qui dira le contraire. Cette jeune et jolie chanteuse japonaise postait ses selfies sur des réseaux sociaux. Elle s’est fait agresser par un fan. Le mec a zoomé sur une des photos au point de trouver le nom de l’arrêt de bus situé devant chez elle, dans le reflet de son œil.

Mais bon !, pourquoi ai-je peur ? Pour me faire agresser par un fan, il faudrait déjà que je sois célèbre. Or j’en suis loin, dans mon avant-dernière pituite, j’ai demandé à ce qu’on m’envoie des lingots d’or et je n’en ai aucun !

Toujours au Japon, un motard cinquantenaire racontait ses périples sur Twitter en se faisant passer pour une jeune et jolie motarde. Il utilisait FaceApp pour changer sa tête. Les belles ballades d’un motard sont bien moins intéressantes qu’une belle motarde en ballade. Un fan a examiné un reflet, encore une fois, et a levé la supercherie.

Et du coup, si ça se trouve, le danger ce n’est ni la célébrité, ni le direct, ce sont les mégapixels. À cause d’eux, sur Internet, tout le monde peut savoir que vous êtes un vieux. On n’aurait jamais dû aller au-delà de 640 sur 480.

On veut nous faire croire que le règne du mégapixel c’est bien. C’est l’éternelle jeunesse, comme Carrie Fisher qui apparaît jeune dans un film du 20e siècle.
J’ai découvert que Brel est passé des 360 pixels en noir et blanc de la télé d’antan aux 1080 pixels de la HD et à la couleur par la magie d’un deepfake commis un certain Chris Ume. Le résultat est atroce. Le visage de Brel est inexpressif, synthétique. Il ne transpire plus. Pour être raccord, il aurait fallu faire déclamer Ne me quitte pas par une synthèse vocale inexpressive à la place de sa légendaire interprétation qui prend aux tripes.

Il existe aussi Deep Nostalgia, un outil qui permet de construire des avatars de personnes disparues. On importe une photo et une IA en fait une animation comme les tableaux qui bougent dans Harry Potter. Une boîte nommée DeadSocial propose également de piloter les comptes de réseaux sociaux des gens décédés pour envoyer des messages pour les anniversaires ou autres évènements du genre. Que se passera-t-il quand les destinataires mourront aussi ? Deux machines se souhaiteront « bon anniversaire » et se répondront « merci » jusqu’à la fin des temps, ou le dépôt de bilan de l’entreprise, je suppose.

Tout cela me fait penser à cette citation : « Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant ». Il faut toujours connaître une citation de Guy Debord si on veut entretenir son côté prétentieux et pompeux. N’empêche qu’à force de se la répéter ça finit par faire sens. Ça doit être une variation intello du syndrome de Stockholm.
Parce que cette non-vie au travers des mégapixels reste limitée dans le temps, quoi qu’on en dise. Zappa est mort d’un cancer à l’âge de 52 ans et les nombreux enregistrements de son vivant ne produisent pas de nouvelles musiques.
Finalement, la cinquantaine est peut-être plus dangereuse que les mégapixels.

Plus proche de nous, Yann Le Pollotec a succombé au Covid à l’âge de 59 ans. C’était un camarade libriste qui avait, entre autres choses, réanimé l’espace numérique à la Fête de l’Huma. La Fête de l’Huma, c’est cet évènement qui célèbre le prolétariat mais où le champagne coule à flots, en coulisse ; ça fait tellement petit bourgeois ! Mais bon !, le sarcasme est facile et cet espace numérique était l’occasion, pour les libristes, de parler à beaucoup de monde, année après année, sans mégapixels entre eux et nous.
Il est trop tard pour remercier encore une fois Yann Le Pollotec pour ces espaces humains. Puissions-nous le prendre comme exemple et vivre de plein droit aussi longtemps que possible.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : C’était la chronique « La pituite de Luk » intitulée « Cruels mégapixels », enregistrée pour l’émission du 30 mars 2020 qui était la 100e.
Toutes nos pensées vont à la famille et aux proches de Yann Le Pollotec qui était quelqu’un, en plus, d’absolument adorable.

Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : Je suppose que vous rêvez d’avoir la classe comme l’équipe de l’April. Pourquoi la classe ? Tout simplement parce que l’équipe de l’April porte le nouveau t-shirt de l’April, « Le logiciel libre donne de la voix » – je triche un peu parce que, en fait, Isabelle peut voir que je l’ai pas aujourd’hui. Inspiré par un des projets phares de l’association, évidemment l’émission de radio Libre à vous ! que vous écoutez actuellement, nous avons fait un nouveau t-shirt dont le design a été réalisé par notre graphiste préféré Antoine Bardelli. Vous pouvez trouver ce t-shirt sur le site enventelibre.org. Enventelibre.org est un site qui regroupe plusieurs associations, qui permet de commander différents goodies, CD, DVD, t-shirts, de plusieurs associations, il y a Debian, il y a l’April, il y en a d’autres. Vous pouvez trouver le t-shirt au prix incroyable de 17 euros, coupe unisexe, si je me souviens bien. Je crois qu’il y en a une trentaine actuellement disponibles. Attention, ça part très vite, parce que les t-shirts de l’April c’est vraiment la classe absolue.
Je regarde l’heure.
Deuxième annonce. Auditeurs et auditrices de notre émission, vous aimeriez peut-être échanger avec nous. Peut-être que vous envie de nous poser des questions, nous faire des remarques. Même nous, nous avons envie d’échanger avec vous, de vous connaître. Bien sûr vous pouvez nous contacter par courriel ou par d’autres moyens sur april.org et sur causecommune.fm, mais vous préférez peut-être un échange plus convivial dans lequel on se voit. On vous propose donc un nouveau rendez-vous hebdomadaire, ça va être le troisième ou le quatrième, chaque mardi, juste à la fin de l’émission, à 17 heures, en visioconférence. Donc rendez-vous dans quelques instants sur le site visio.libreavous.org, je répète visio.libreavous.org. On ne restera pas très longtemps parce que je crois qu’on est contraint par des horaires, je ne sais pas pour quelle raison exactement, mais il faut qu’à un moment on rentre.
Pour tous les autres évènements vous pouvez regarder sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.
J’ai encore un tout petit peu de temps, je vais en profiter. Je vous rappelle que vous pouvez laisser des messages sur le répondeur de la radio pour réagir à un des sujets de l’émission, nous poser une question ou simplement nous laisser un message ou sur d’autres émissions. J’en profite d’ailleurs pour rappeler que Isabelle anime une émission, je sais plus quel jour c’est, rappelle-moi.

Isabelle Carrère : Le lundi après-midi.

Frédéric Couchet : Le lundi après-midi sur l’habitat.
N’hésitez pas à nous faire des retours. Le numéro du répondeur : 09 72 51 55 46, vous retrouverez les informations sur causecommune.fm.
Je rappelle que l’émission, et plus globalement la radio, est contributive. N’hésitez pas à proposer des sujets, des musiques, des personnes à inviter, vous pouvez ainsi contribuer à l’émission. Vous trouverez sur les sites april.org et causecommune.fm les différents moyens pour nous contacter. Vous pouvez également contribuer aux autres actions de l’April et/ou aider la radio par un don, par des actions bénévoles.

Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Vincent Calame, Laurent Savaëte, Pascal Romain, Eda Nano, Isabelle Carrère, Luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Isabella Vanni.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Sylvain Kuntzmann, bénévoles à l’April, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio qui fait la finalisation.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpe le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous retrouverez sur le site april.org et sur le site causecommune.fm toutes les références utiles. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous. Faites connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles. Je vous invite, par exemple, à écouter l’émission d’Isabelle sur l’habitat ou encore, chaque samedi à 14 heures, le camarade William qui anime une émission, Cyberculture, avec Thomas qui, je crois, est en Suisse, une sorte de revue de presse commentée sur l’actualité de l’informatique. Vous pouvez appeler. N’hésitez pas, c’est de 14 heures à 16 heures chaque samedi.

La prochaine émission Libre à vous ! aura lieu en direct mardi 20 avril 2021 à 15 heures 30. Je ne sais pas actuellement quel sera le sujet principal, ce sera la surprise.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. N’oubliez pas qu’on se retrouve à 17 heures sur visio.libreavous.org. Sinon on se retrouve en direct mardi 20 avril et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.