T’éduc - Numérique responsable

À la rentrée scolaire 2020, 80% des élèves du second degré et 20% des élèves du premier degré bénéficiaient d’un espace numérique de travail, indique le site du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. Depuis, la pandémie est passée par là et la transformation numérique de l’école, mais aussi du secteur culturel, s’est accélérée. Cours en ligne, visioconférences, expositions virtuelles... Le numérique est partout. La crise Covid a aussi fortement accéléré la stratégie de communication digitale des entreprises. Sauf que le numérique n’est pas toujours vertueux, il a des impacts, notamment environnementaux. Il générerait 2,1 à 3,9% des émissions mondiales de CO2, selon une étude parue en septembre dernier dans la revue scientifique Patterns.
Face à cette transformation numérique, l’Assemblée nationale a adopté le 10 juin dernier, en première lecture, la proposition de loi REEN (acronyme de « Réduire l’empreinte environnementale du numérique »), qui prévoit une formation à la sobriété numérique dès le plus jeune âge à l’école ainsi qu’à l’entrée à l’université à la rentrée 2022. Mais comment mener cet enseignement ? Comment sensibiliser les publics à l’impact environnemental du numérique, comment éduquer à des usages plus responsables ?

Marie-Catherine Mérat : Bonjour à tous. J’espère que vous m’entendez bien.
Bienvenue pour ce nouveau T’éduc consacré au numérique responsable. Certains d’entre vous sont certainement habitués à T’éduc, ce sont des évènements, des tables rondes, des webinaires proposés en ce moment en partenariat entre la Cité des sciences, Univercience et puis le CRAP - Cahiers pédagogiques.
D’emblée je vous invite à poster des questions, à poster des commentaires, à faire remonter vos besoins, vos réflexions, vos expériences dans le chat. Vous pouvez aussi lever la main au cours du webinaire si vous avez envie d’intervenir, ce serait vraiment un plaisir d’avoir vos retours sur ce thème du numérique responsable.

Quelques éléments de contexte pour commencer.
À la rentrée scolaire de 2020, 80 % des élèves du second degré et 20 % des élèves du premier degré bénéficiaient d’un espace numérique de travail, nous apprend le site du ministère de l’Éducation nationale de la Jeunesse et des Sports. Depuis la pandémie est passée par là et la transformation numérique de l’école a été fortement accélérée. Un constat qui ne s’applique pas seulement à l’école puisque le secteur culturel a aussi massivement recours au numérique aujourd’hui avec les cours en ligne, les visioconférences, les expositions virtuelles, etc. La crise covid a aussi fortement accéléré la stratégie de communication digitale des entreprises.

Sauf que, évidemment, le numérique n’est pas toujours vertueux, il a des impacts notamment environnementaux, il générerait 2,1 à 3,8 % des émissions mondiales de CO2 selon une étude parue en septembre dernier dans la revue scientifique Patterns. Face à cette transformation numérique, l’Assemblée nationale a adopté le 10 juin dernier, en première lecture, la proposition de loi REEN, acronyme de « Réduire l’empreinte environnementale du numérique », qui prévoit une formation à la sobriété numérique dès le plus jeune âge, à l’école, ainsi qu’à l’entrée à l’université, à la rentrée 2022.

Comment mener cet enseignement ? Comment sensibiliser les publics à l’impact environnemental du numérique ? Comment éduquer à des usages plus responsables et comment inviter à la réflexion sans tomber dans le catastrophisme ?
Pour en discuter nous avons le plaisir d’accueillir Louis Derrac. Vous êtes consultant, formateur et enseignant, spécialisé dans l’éducation et le numérique. Vous travaillez au sein du collectif Resnumerica [1]. Bonjour.

Louis Derrac : Bonjour.

Marie.Catherine Mérat : Isabelle Chabanon-Pouget, vous êtes chargée de projets événementiels au Carrefour numérique2 de la Cité des sciences et de l’industrie. Bonjour.

Isabelle Chabanon-Pouget : Bonjour.

Marie-Catherine Mérat : Vincent Courboulay, vous êtes directeur scientifique à l’Institut du numérique responsable [2] que vous avez fondé en 2018, auteur du livre Vers un numérique responsable – Repensons notre dépendance aux technologies digitales chez Actes Sud paru en janvier de cette année. Bienvenue.

Vincent Courboulay : Bonjour.

Marie-Catherine Mérat : Stéphanie Giacchi, j’espère bien prononcer votre nom, vous êtes chargée d’accessibilité numérique chez Universcience. Bonjour et bienvenue.

Stéphanie Giacchi : Bonjour.

Marie-Catherine Mérat : Et enfin Ludovic Fournier, vous êtes chargé de médiation scientifique au Palais de la découverte et vous avez coanimé une médiation à distance autour de l’impact environnemental du numérique. Bonjour.

Ludovic Fournier : Bonjour.

Marie-Catherine Mérat : Pour commencer, il me semble important de prendre la mesure de l’urgence et de donner quelques chiffres. Quel est aujourd’hui l’impact environnemental du numérique et quelles sont les principales sources d’impact ? J’ai envie de commencer avec vous Vincent Courboulay.

Vincent Courboulay : Merci beaucoup de l’invitation.
Effectivement le fait d’envisager le numérique comme un magnifique outil, je pense que nous en sommes tous d’accord, mais voir ce qui se cache derrière la vitrine et les néons c’est quand même très intéressant aussi.

Vous avez cité ce chiffre de 4 % des émissions de gaz à effet de serre, aujourd’hui ça peut être assez surprenant. Il faut bien se dire que derrière l’immatérialité de ce tout petit objet que tout le monde a dans sa poche [Vincent Courboulay brandit un téléphone portable, NdT], on a tout un cycle de vie du produit qui est très impactant depuis l’extraction des matières premières – il y a à peu près une petite centaine de matériaux différents là-dedans –, donc de trous dans la planète, donc d’utilisation massive d’eau, d’énergie, de produits chimiques, et j’en passe et des meilleurs. L’empreinte environnementale de cet objet, de nos box, de nos ordinateurs, de nos télés, est aujourd’hui à peu près pour trois quarts en amont de l’achat, c’est-à-dire avant même d’ouvrir le carton, même s’il est recyclé, on a à peu près les trois quarts de l’empreinte environnementale qui se situent depuis l’extraction jusqu’à la fabrication. Ça c’est pour l’objet en lui-même.

Si prend un tout petit peu de recul, prenons un exemple tout simple : cette visioconférence qui va durer une heure, ou une heure de vidéo Netflix, ce sont indirectement trois secteurs qui travaillent. Il y a le secteur datacenter, les fameuses fermes de données qui vont gérer les données, les stocker, les transmettre, s’assurer que tout se passe bien. Ensuite on a le réseau qui transporte la donnée et puis on est tous devant un ordinateur avec une webcam, peut-être un téléphone, que sais-je, des enceintes connectées, c’est le troisième tiers.

On a ces trois tiers qui doivent cohabiter. Juste pour démystifier, aujourd’hui le tiers le plus impactant ce ne sont sûrement pas les datacenters, les datacenters comptent pour à peu près 15 à 20 % de l’empreinte d’un service, une heure de vidéo par exemple ; à peu près pareil pour le réseau, le transport de la donnée. Ce qui va être le plus impactant aujourd’hui ce sont nos ordinateurs, nos smartphones. Pourquoi ? Parce qu’il y a quatre milliards et demi d’utilisateurs du numérique, donc nous sommes très nombreux à avoir plein de petits appareils individuels et toutes ces gouttes-là mises dans la piscine olympique des impacts environnementaux, vous voyez que ce sont ces petites gouttes d’eau qui font les grandes rivières.

Donc un cycle de vie particulièrement impactant depuis l’extraction des matières premières, la fabrication avant même l’usage et si on considère l’usage : des datacenters, des réseaux et beaucoup trop d’équipements. Vous mettez tout ça ensemble et vous avez une petite bombinette environnementale.

Marie-Catherine Mérat : D’accord. Ludovic Fournier, on a discuté il n’y a pas longtemps. Quand on parle d’impact environnemental du numérique, on parle aussi d’énergie, l’énergie nécessaire pour produire un téléphone, un ordinateur. Quelle est cette énergie ? Vous avez travaillé sur la question récemment.

Ludovic Fournier : Oui effectivement. Je rejoins tout à fait ce qui a été dit jusqu’à présent par rapport à tous ces différents tiers et par rapport à toute cette énergie et aux matières premières qui sont nécessaires pour fabriquer les terminaux, que ce soit les ordinateurs, que ce soit les téléphones. J’aime bien, pour comparer un petit peu l’ensemble, donner trois paramètres : à la fois la quantité de gaz à effet de serre qui est émise durant la fabrication, durant l’utilisation ; à la fois l’énergie qui est nécessaire à la fabrication et à l’utilisation de tout ce numérique ; et à la fois la matière qui est nécessaire pour fabriquer les différents terminaux.

Le gaz à effet de serre est une matière, on le voit bien, le dioxyde de carbone ; les matières premières nécessaires à la fabrication, on le voit bien aussi, il y a du cuivre, il y a du platine, il y a du pétrole, du plastique et ainsi de suite.

Souvent on parle de l’énergie qui est nécessaire à la fabrication et à l’utilisation. J’aime bien recoller cette énergie à de la matière derrière. Derrière ce terme « énergie » se cachent des matières qui sont principalement le pétrole qu’on va utiliser pour transporter les différents objets ; il faut savoir que quand on fabrique un ordinateur, un smartphone, les minerais sont extraits à un endroit, le raffinage est fait à un autre endroit, l’assemblage est fait encore à un autre endroit. On va devoir transporter par bateaux, par camions, tous ces objets. Il va également y avoir besoin de charbon derrière toute cette énergie qui va permettre, par exemple, de chauffer toutes les fonderies qui permettent d’obtenir les métaux, de raffiner les métaux, également pour produire de l’électricité ; il y a aussi besoin de gaz pour produire de l’électricité. L’uranium va également être utilisé dans les centrales nucléaires pour produire de l’électricité. On a une toute petite partie de la production d’énergie qui provient de l’éolien, qui provient également du solaire. On a aussi une petite partie de cette énergie qui provient des barrages hydrauliques avec de l’eau.

Donc quand on parle de l’énergie qui est nécessaire on a toutes ces matières premières qui sont derrière.

Un autre point que j’aime bien montrer par rapport à tout cette phase, toute cette énergie qui est nécessaire à la fois pour produire et pour utiliser : si on prend l’énergie qui est nécessaire pour produire un ordinateur, on va prendre un ordinateur portable, classique, comme celui avec lequel je fais ce webinaire, c’est environ 1 850 kW/h selon les chiffres du Shitft Project [3] ; si on devait pédaler pour fabriquer, pour produire cette énergie qui nous permet d’aller chercher des minerais, qui nous permet de les raffiner, qui nous permet de les assembler, qui nous permet de les transporter, pour produire notre ordinateur et l’utiliser, il faudrait pédaler pendant environ cinq ans et demi si on considère une semaine de 35 heures de travail.
Pour produire un téléphone, qu’on va utiliser environ deux ans, il faudrait pédaler sept mois rien que pour produire l’énergie qui est nécessaire à la fabrication du téléphone.

Ce qui est génial c’est qu’on ne pédale pendant cinq ans et demi pour un ordinateur, on ne pédale pas pendant sept mois pour fabriquer son téléphone, on utilise des matières premières et on ne voit pas que, finalement, on utilise peu de ces matières premières : c’est 250 kg de charbon pour produire l’ordinateur, 30 kg de charbon pour produire le téléphone. Ce que je veux dire par ce peu et qui est extraordinaire, c’est que grâce à ces matières avec lesquelles on produit de l’énergie, il faut de relativement faibles quantités de matière par rapport à l’énergie qui serait nécessaire de la part d’un humain.

Et de même, dernier point de comparaison. Si on devait produire, en pédalant, l’énergie qui nous permet de regarder une vidéo dix minutes, il faudrait pédaler 30 minutes et pas pédaler à 10 km/h, pas en mode tranquille, il faudrait pédaler à 25/30 km/h, pendant 30 minutes, pour pouvoir regarder 10 minutes de vidéo.

Voilà un petit peu ce qu’il en est par rapport à ces impacts et voilà ce qui se cache derrière le mot « énergie » que l’on retrouve souvent quand on fait des points de comparaison. Derrière il y a des matières, c’est important de le souligner, ce qui montre encore une fois, une fois de plus, que le numérique paraît dématérialisé, mais, en réalité, c’est très matérialisé. Derrière il y a de la matière, notamment dans l’énergie que l’on utilise à la fois pour produire et à la fois pour utiliser ces appareils.

Marie-Catherine Mérat : En vous écoutant on comprend bien l’importance du recours aux images pour faire comprendre, prendre conscience au grand public de l’impact environnemental du numérique.

Isabelle Chabanon-Pouget vous êtes face au public, vous l’accompagnez dans cette culture numérique à Universcience et vous avez notamment proposé une médiation qui s’appelait « Voyage au cœur de nos téléphones intelligents ». Avez-vous l’impression que cette prise de conscience est déjà là ?

Isabelle Chabanon-Pouget : Petit à petit. Les personnes qui viennent voir la médiation « Voyage au cœur de nos téléphones intelligents » sont des gens qui sont déjà un peu sensibilisés.

Marie-Catherine Mérat : Avez-vous recours, comme ça, à des images fortes pour essayer justement de les sensibiliser ?

Isabelle Chabanon-Pouget : Dans cette médiation on parle des deux premières étapes du cycle de vie de production d’un téléphone portable, on parle de l’extraction des matières premières et on parle de la consommation énergétique du numérique.

Des images. On fait manipuler des objets sur une carte. Dans le numérique on a l’impression que tout est virtuel, mais, comme on l’a dit précédemment, en fait derrière tout est matériel. On a une carte et on prend des téléphones, des éléments de téléphone, des câbles et on essaye de les repositionner sur la carte pour montrer que tout est vraiment réel. Les câbles sous-marins sont représentés par des câbles pour que le public prenne vraiment conscience que derrière tout est matériel.

Marie-Catherine Mérat : À vous écouter, tous les trois, on a quand même l’impression que tout ça est assez sombre, que l’avenir est assez sombre. Vincent Courboulay, en préparation de ce webinaire, vous me disiez qu’il ne s’agit pas d’opposer l’utilisation du numérique à l’impact environnemental. Il est important d’en comprendre les enjeux, mais il ne s’agit pas de dire que le numérique c’est le grand méchant.

Vincent Courboulay : Non, bien sûr que non.
Je reprends cet objet-là [téléphone portable]. Il a été très bien dit ce que représente cet objet-là en termes énergétiques, mais à l’intérieur de cet objet-là j’ai un réveil, un appareil photo, une radio, un lecteur de podcast, un enregistreur, un agenda. Là-dedans j’ai plein de choses que je n’ai plus besoin d’acheter à côté.

L’idée n’est pas de dire je regarde simplement par le petit bout de lorgnette les impacts environnementaux qui sont, oui, catastrophiques. Aujourd’hui nous sommes dans un monde qui est numérique pour le meilleur et pour le pire aussi. L’objectif c’est de dire que peut-on faire pour réduire le pire parce qu’on sait que le meilleur existe ? Avant de faire rentrer tout le monde sur scène, vous faisiez le constat que 90 personnes sont inscrites aujourd’hui à ce webinaire, il y en avait moins ; ça permet peut-être à toute la France de participer à ce webinaire sans avoir à se déplacer. Une heure de vidéo Netflix est l’équivalent d’un kilomètre en voiture. OK, très bien. Mais si j’avais dû venir à Paris pour assister à ce webinaire, j’aurais été ravi de vous rencontrer en présentiel, mais il y a plein d’autres impacts cachés, différents de l’utilisation, de l’effet rebond. L’idée n’est pas d’être simpliste. Nous passons notre temps, dans les médias, à traiter le sujet de façon trop simpliste. Aujourd’hui il suffit de dire que le sujet est complexe, qu’il y a des outils, il y a des utilisations, il y a des utilités qui sont vraiment intéressantes, importantes, pédagogiques, de modélisation, d’information. Aujourd’hui l’idée n’est pas de dire qu’il y a le monde des gentils et il y a le monde du numérique, ce n’est pas vrai ! Aujourd’hui il y a des urgences climatiques et sociales. Pour réduire ces impacts et pour aller vers un monde le plus résilient possible, le numérique est un objet qui est intéressant.

Que peut-on faire pour utiliser cet objet intéressant dans le meilleur sens du terme en limitant le plus possible ses effets négatifs ? L’enjeu est là. Il n’est surtout pas de dire que la frugalité numérique, autant dire le moins de numérique, est la solution. Je suis désolé s’il permet à tout le monde d’avoir des détections de cancer plus tôt, de pouvoir faire des visios, d’avoir de l’information accessible plus facilement et des échanges plus facilités, c’est bien, utilisons ce numérique-là. Si c’est pour de la fake news ou du bullshit, là, effectivement, on peut se poser des questions.

Marie-Catherine Mérat : On en vient à la question du numérique responsable. On pourrait se dire OK, moi je veux bien être responsable, mais comment je fais ? J’en viens à la question de l’éducation. Par exemple quelques données. Dans le cadre du plan de relance post-covid 19, l’État prévoit d’investir 105 millions d’euros à compter de 2021 pour soutenir des projets pédagogiques de transformation numérique dans l’ensemble des écoles. Cela inclut l’équipement des écoles en termes de matériel, de réseau. Est-ce qu’on n’a pas là des injonctions fondamentalement contradictoires ? Équiper toutes les écoles, il y a aussi l’intelligence artificielle qu’on utilise de plus en plus pour accompagner les apprentissages, très vertueux, on veut aider, on veut individualiser, etc., mais c’est de l’intelligence artificielle.

On a des injonctions contradictoires. Que peut l’enseignant dans tout ça ? Que faire ? Je m’adresse à vous Louis Derrac.

Louis Derrac. : Bonjour et merci de m’avoir invité à cet échange. Vous commenciez déjà à dire certains éléments que je me suis notés.

Si vous me le permettez, je voudrais juste commencer en disant que ça rentre aussi un petit peu dans notre sujet, dans l’éducation. Il faut commencer par dire que le numérique a un impact, une empreinte, elle est évidente, mais comme pour toutes nos activités humaines. C’est d’ailleurs intéressant qu’on parle autant du numérique en ce moment alors qu’on devrait aussi parler de l’avion, de la consommation de masse, etc. Mais, et c’est là où on arrive à l’aspect éducatif, le numérique a un impact et il présente certaines différences, certaines particularités que je vais vous lister et ce n’est pas du tout exhaustif.

Déjà on parle toujours de numérique et en fait ce terme, « numérique », n’incarne plus rien aujourd’hui. D’abord adjectif technique, il est devenu ensuite un adjectif commun puis est devenu un substantif, un terme, « le numérique », qui regroupe à la fois des terminaux individuels, des interfaces réseaux, des logiciels, des usages, ce dont parlait Vincent plus tôt. On voit qu’en utilisant le terme « le numérique » on a un peu abdiqué de la complexité de cet écosystème, c’est une première différence. C’est une complexité. Cette complexité a été effectivement invisibilisée, largement et sciemment, on y reviendra parce que, pour le coup, c’est un choix que cet impact carbone du numérique ait été invisibilisé par les ingénieurs, par les marketeurs parlant de cloud, parlant de nuage, faisant en sorte que ça ne se voit plus. Par ailleurs, les technologies numériques, contrairement à d’autres, sont effectivement en constante augmentation de manière exponentielle. Là on voit bien qu’on a un problème sur cette question d’impact puisqu’il y a une injonction forte à plus de numérique, vous l’avez dit, j’en reparlerai, dans le monde de l’éducation mais même dans le monde de l’administration. Aujourd’hui, pour accéder à la plupart de ses droits, il y a une injonction à être équipé d’un certain nombre de matériels numériques, la défenseure des droits fait des rappels réguliers sur le fait qu’il y a un vrai problème à ce niveau-là, elle n’est pas la seule. On voit bien qu’on a quelques différences.

Maintenant, sur le plan éducatif je noterais qu’il y a trois écueils sur lesquels il ne faut pas tomber, et vous en avez cité un, déjà éviter les injonctions en tout cas contradictoires. Si l’école veut se mettre à former à une forme de sobriété numérique, il faut être cohérent. Il faut absolument commencer par se demander quelle est la place que doit prendre le numérique dans le système éducatif. Aujourd’hui on voit qu’il y a quand même plutôt une politique d’équipement massif et individuel, ce qui est inexplicable d’un point de vue sobriété numérique, là où pourrait mutualiser ces équipements. D’ailleurs les équipements sont souvent doublonnés. Dans les établissements ils sont utilisés dans un cadre scolaire, mais ils sont aussi présents dans certains lieux extra-scolaires comme les médiathèques, les centres d’accueil divers et variés qui sont financés, pilotés par des collectivités. Rappelant ce que disait là aussi Vincent, que le coût, l’impact le plus fort est dans la fabrication dont on parle à chaque fois qu’on équipe de terminaux.

Une deuxième chose c’est peut-être de ne pas tomber dans l’écueil du développement durable qui est enseigné à l’école. Je pense qu’on en reparlera dans la discussion, je vais juste l’évoquer. C’est tomber dans une éducation aux écogestes, ce qui est bien, mais qui ne sera pas suffisante puisque ce qui est important ça va être plutôt, et là on en est loin, il y a chemin à faire, d’éduquer en fait à des alternatives, éduquer à ce que sont les technologies numériques, au fait que ce sont des choix techniques, politiques, économiques, culturels et qu’il y a aujourd’hui des modèles dominants, mais qu’il y a aussi des alternatives. J’enseigne dans le supérieur et je vois que les jeunes que j’ai devant moi sont effectivement très conscients des enjeux écologiques, commencent à comprendre les enjeux spécifiquement des technologies numériques, mais ils découvrent totalement qu’il est permis de penser des modèles alternatifs.

Et enfin, mon troisième sujet, c’est qu’en fait il est difficile d’éduquer à un numérique responsable parce qu’il est déjà difficile d’éduquer au numérique. L’enseignement français est très disciplinaire, on a eu beaucoup de mal, et c’est encore un sujet, d’éduquer au numérique dans un enseignement disciplinaire où le numérique, encore une fois CE numérique, est un sujet transdisciplinaire ; il pourrait être enseigné dans toutes les disciplines. On en a fait une discipline, les sciences numériques et technologie, qui, en fait, montre ses limites dans le sens où c’est très technique, il y a peu d’enjeux culturels, peu d’enjeux philosophiques, peu d’enjeux politiques et c’est peut-être là où, justement, on pourrait parler de numérique responsable.

Marie-Catherine Mérat : Une petite précision, les enseignants me diront si je me trompe, mais il existe donc et vous en avez parlé un petit peu, une éducation au développement durable de l’école primaire au lycée à travers toutes les disciplines. Dans les programmes, il est question d’éduquer au développement durable dans toutes les disciplines. C’est intégré dans les programmes depuis 2020, notamment en technologie normalement « doit être menée une réflexion sur les relations entre les humaines et l’environnement, une réflexion sur les cycles de vie et les contraintes environnementales lors de la conception d’un objet ». J’imagine qu’une éducation à la sobriété numérique ou à la responsabilité numérique pourrait se faire dans ce cadre-là, par exemple.

Louis Derrac : Oui, ça pourrait, mais on se retrouve déjà de base, comme souvent dans ce genre d’éducation, à des difficultés de formation des enseignants, voire de recrutement d’enseignants spécifiques. Comme il est dit dans le chat ça n’empêche pas que certains le font, d’ailleurs je pense que cette éducation a naturellement fait venir à elle des enseignants et des professionnels qui sont déjà intéressés et sensibilisés à ces questions, mais c’est vrai que c’est très inégal.

Je rappelle qu’il y a 800 000 enseignants en France, on parle bien de quelque chose d’assez énorme et je reviens sur le fait que c’est difficile. Une fois qu’on a dit qu’il y a des écogestes on ne s’adresse qu’à des consommateurs, on n’est pas en train d’éduquer, en tout cas de créer des citoyens, de faire naître des citoyens capables d’être des acteurs d’alternatives en matière de numérique.

Marie-Catherine Mérat : Je relève un commentaire très intéressant, très important de Tristan : « Que faire face aux décisions d’équipements individuels décidées par les collectivités territoriales comme la région Île-de-France qui équipe les élèves individuellement avec des équipements pas forcément adaptés et qui font l’objet d’une maintenance pas très pertinente ? ». Effectivement que peut l’enseignant puisque ce n’est pas lui qui prend ces décisions ? Je ne sais pas qui souhaite répondre ? Peut-être Vincent Courboulay sur cette thématique.

Vincent Courboulay : À part le fait de dire qu’on subit et éventuellement on peut remonter le fait qu’on n’est pas content. Je vais donner un exemple. À l’université où je suis on nous dit tous les trois ans : « Félicitations, vous avez droit à un nouvel ordinateur, si vous le voulez vous nous le demandez et on vous le donne. » Aujourd’hui ce n’est pas du tout satisfaisant. Il faut faire un travail de fourmi. Est-ce qu’il faut prendre son bâton de pèlerin ? Est-ce qu’il faut utiliser les associations de parents ?, je ne sais pas. Est-ce qu’il faut aller voir du côté de ses élus ? En tous les cas aujourd’hui il faut changer la responsabilité. La responsabilité n’est pas de dire qu’on va changer pour tout le monde, mais on va changer si vous avez besoin.

Par contre, ce que j’entends pour discuter beaucoup avec les territoires et les élus, voire les DSI [Directeurs des Services Informatiques], c’est que gérer ponctuellement la demande prend tellement plus d’énergie et de temps que gérer tout d’un coup, de façon massive que, du coup, ils préfèrent faire ça.
Le problème c’est que si vous regardez cette problématique du spectre environnemental c’est une catastrophe.
Si vous élargissez cette problématique au spectre de la gestion humaine de ce dossier, la balance est un petit peu plus complexe.
Si vous intégrez maintenant ça à la gestion économique en disant on a un parc uniforme, etc., c’est encore plus complexe que ça.

Quand on aborde une problématique, si on veut l’aborder de façon vraiment pertinente, il faut envisager cette approche multifactorielle qui souvent, très rapidement, tombe sur « ah oui, mais finalement peut-être qu’on peut le comprendre ». Je n’ai pas de réponse à ça.
J’entends quand on me dit « on va tout changer parce que, en termes d’homogénéité du parc, ce sera beaucoup plus facile pour nous de gérer parce que sinon on n’a pas la bande passante ». La situation est complexe.

Marie-Catherine Mérat : En même temps, c’est vrai que la contradiction énorme. Quand on voit cette loi REEN [Loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France] dont un volet prévoit une formation à la sobriété numérique dès le plus jeune âge et après on va équiper tout le monde, ça semble assez incroyable. Ça pose quand même, effectivement, la question de la formation des enseignants. On en vient à cette idée de former dès le plus jeune âge, il s’agit d’abord de former les enseignants. Comment éduque-t-on au numérique responsable ? De quels outils pédagogiques disposent-ils ? Je poursuis peut-être avec vous, Vincent Courboulay, sur cette question de formation au numérique responsable et vous-même vous proposez déjà des formations.

Vincent Courboulay : Oui. La question de la formation est véritablement fondamentale et la question des formations de formateurs est encore plus importante. Aujourd’hui, et je les pousserai dans le chat tout à l’heure, il y a des supports, il y a des formations en présentiel. Tout à l’heure le chiffre a été donné de 800 000 enseignants, ce n’est pas possible de former physiquement 800 000 enseignants, donc, pour apprendre la sobriété numérique, il faut utiliser numérique. Là aussi c’est assez contradictoire, mais aujourd’hui, si on veut massivement former aux impacts du numérique il faut utiliser du numérique, il n’y a que cette voie-là.

Je suis à l’origine d’un MOOC [4], Massive Open Online Course dont je vais pousser le lien tout à l’heure. Sur la plateforme Fun MOOC, la semaine dernière, à destination des enseignants du secondaire de façon peut être beaucoup plus précise, il y a un MOOC [5] qui est sorti, piloté par l’Inria, piloté par Class’Code, un MOOC vraiment à destination de la formation des enseignants.

En présentiel c’est compliqué. En distanciel l’offre est en train de se renforcer. Le mieux du mieux, et c’est ce sur quoi, j’espère, on œuvre tous, c’est qu’à un moment donné, dans la formation des formateurs, peut-être pourquoi pas au niveau du Capes Numérique et sciences informatiques, on intègre cette partie-là. Je ne comprends pas qu’aujourd’hui, dans le nouveau Capes informatique, il n’y ait pas cette partie-là qui soit abordée, qui permettrait, du coup, d’avoir un effet de levier assez fort. Et puis, si on va jusqu’au bout du process, je verrais bien à un moment donné dans Pix [6] – peut-être que certains connaissent, c’est une espèce de certificat numérique depuis le collège jusqu’au lycée et l’enseignement supérieur aussi – des questions de numérique responsable intégrées à l’intérieur de la certification Pix. Comme ça on aurait la formation des formateurs intégrée jusqu’au niveau du Capes, plus la fourniture d’outils pratiques pour ces enseignants-là pour dire « je suis obligé de former parce qu’on va évaluer mes étudiants ou mes élèves là-dessus ». C’est vraiment une approche, là encore, la plus globale possible, fournir des outils pour dire « allez-y, les gars et les filles, formez-vous ça a de l’utilité ». Mais si, derrière, ce n’est pas décliné et appuyé, c’est compliqué. Effectivement ça a été abordé lors des états généraux du numérique [7] à Poitiers, je suis d’accord. On y travaille, tout le monde y travaille et c’est une question de temps, mais il faut le faire.

Marie-Catherine Mérat : D’autant que là on parle de responsabilité numérique, on pense impact environnemental, mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi la question de la souveraineté, la protection des données, la question de l’accessibilité et, en fait, on ne peut pas bien penser l’un sans l’autre, tout ça est à prendre de façon assez systémique.

Stéphanie Giacchi, vous travaillez justement sur cette question de l’accessibilité à la Cité des sciences. Est-ce que vous pouvez nous en parler un petit peu, nous expliquer ce dont il s’agit ?

Stéphanie Giacchi : Ce n’est pas tout à fait la même chose mais c’est vrai que c’est plutôt dans le numérique responsable il y a aussi, effectivement, la partie comment faire en sorte que les outils, les sites internet, les produits qu’on met en place par rapport à des publics puissent être aussi utilisés aussi par des publics empêchés. C’est-à-dire que l’accessibilité numérique va s’adresser à des publics qui n’ont pas du tout la même façon de naviguer que vous. Vous vous avez un écran, une souris. Il y a aussi, dans nos publics et des professionnels et des élèves qui n’ont pas la possibilité d’utiliser la souris, ils vont par exemple n’utiliser que le clavier, ils vont utiliser une synthèse vocale, un écran tactile ne va pas être possible. Tout cela fait qu’une loi est passée en 2005. Cette loi a considéré que les personnes handicapées sont des personnes comme les autres, que ces gens sont des citoyens comme les autres et elle s’est dit qu’il va falloir leur donner accès à la même chose qu’aux autres citoyens, c’est-à-dire accès à l’éducation, accès au logement, je ne sais pas, accès aux transports. Dans cette loi, un article très important nous dit que les établissements publics, donc l’Éducation nationale, nous en tant qu’établissement public qui reçoit du public à la Cité des sciences, sommes tenus de faire en sorte que nos productions numériques, nos communications numériques, soient accessibles à ce public en question. On a un référentiel qui existe, qui s’appelle le RGAA 4 [8], qui nous donne des guides si on met un site internet, par exemple si on choisit une plateforme numérique pour faire de la médiation, il faut que la plateforme soit accessible.

Marie-Catherine Mérat : Est-ce que ce sont des exigences contradictoires, c’est-à-dire rendre un site accessible est-ce que ça va s’opposer avec l’idée de sobriété numérique ? Je ne sais pas du tout.

Stéphanie Giacchi : Pas du tout. Quand on travaille l’accessibilité numérique, on va faire en sorte que le site soit de qualité, de meilleure qualité. Par exemple le temps de chargement des images va être beaucoup plus réduit et, en règle générale, un site accessible est un site qui est facilement consultable pour tous, à la fois pour les personnes handicapées mais également pour les autres, donc au niveau de l’ergonomie, au niveau du graphisme. On aura, par exemple, des contrastes forts au niveau des graphismes, donc les gens n’auront pas besoin d’augmenter la luminosité de leur écran.
Ça peut être complémentaire, en tout cas ça ne s’oppose pas et ça peut apporter de la qualité à votre site surtout dans le sens responsable, c’est-à-dire qu’on va inclure et non pas exclure des publics en difficulté, des personnes déficientes visuelles, des personnes à mobilité réduite, etc., qui vont utiliser l’ordinateur, les outils, le smartphone différemment de vous.

Marie-Catherine Mérat : Sur cette question, Vincent Courboulay, cette réflexion systémique, réfléchir à la fois à l’impact environnemental, à la souveraineté, à la protection des données, etc., on a l’impression d’une immense complexité en fait, quelque chose d’un peu insoluble. Dites-nous un peu.

Vincent Courboulay : Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit, je vais même aller plus loin. La mise en accessibilité, en fait la simplification, faire les choses bien ça n’a que des avantages. C’est un petit peu comme si, quand un fait un bâtiment, on se demandait si l’autoriser aux personnes en situation de handicap moteur, par exemple, va être finalement bénéfique pour le business ou si ça va être bénéfique pour les personnes ordinaires. La réponse est bien évidemment oui. Si vous êtes un bâtiment le plus ouvert, le plus transparent, le plus pratique possible, vous allez générer du trafic, vous allez satisfaire les clients, bref !, il n’y a que des avantages.

Aujourd’hui quel que soit le prisme – réduire l’impact environnemental, réduire l’impact social ou potentiellement développer l’impact business, mais là il faut se méfier – n’a que des avantages parce que tout est cohérent. Donc oui ça nécessite effectivement de changer sa façon de penser. Croyez-moi, pour fréquenter des marketeurs, il faut vraiment changer leur façon de penser. Aujourd’hui penser un numérique ouvert, souverain, transparent et avec impact environnemental faible, globalement et à 95 %, tout est cohérent. Il n’y a que des avantages à essayer de faire des choses les moins impactantes possible, des choses utiles, utilisables et utilisées, les fameux trois « u » qu’on connaît, c’est la solution vraiment idéale pour être à peu près sûr de bien faire pour tout le monde.

Stéphanie Giacchi : Concevoir des produits numériques accessibles à ces publics-là c’est aussi réduire la maintenance. Si on ne l’a pas du tout conçu au départ accessible et que, à un moment donné, on va être obligé de le faire, on est obligé de retravailler l’ensemble, de tout retravailler et ça prend une l’énergie énorme et en hommes et en production. Le penser en amont et le concevoir en amont c’est hyper important.

Louis Derrac : Là-dessus je peux juste rebondir rapidement. On revient un peu au sujet dont je parlais dans mes trois écueils. Le fait qu’on parle de cette question d’inclusivité dans les outils, dans les ressources, les systèmes numériques concrets, ça ramène à nouveau à poser la question de l’objet politique que sont les outils numériques. On a souvent tendance à dire que les technologies sont neutres. Je suis plutôt dans un système de croyance où je dirais l’inverse : toute technologie est politique, elle est bercée de l’idéologie des croyances, des systèmes de culture de celles et ceux qui la créent. Or les technologies numériques, encore aujourd’hui, sont très majoritairement créées par des hommes plutôt blancs, plutôt aisés, qui, évidemment, reproduisent un certain nombre de biais sexistes, racistes, sans même le faire exprès, donc créent des systèmes qui, de fait, ne sont pas inclusifs. De manière générale les technologies numériques, c’est prouvé scientifiquement, ont plutôt tendance à renforcer les inégalités et c’est un enjeu éducatif. Ce ne sont pas des écogestes qu’il faut faire là, c’est plutôt expliquer les enjeux politiques qu’il y a derrière les outils numériques pour que les jeunes comprennent qu’il y en a, qu’il en existe, et qu’ils puissent comprendre, si un jour ils deviennent développeurs – et on a besoin de plus de développeuses, c’est aussi un enjeu éducatif de donner l’envie pour ce métier – en tout cas expliquer à tous ceux qui le deviennent que, d’une certaine manière, ils ont une très grosse responsabilité.

Marie-Catherine Mérat : En tout cas avis aux enseignants, à tous les enseignants puisque cet enseignement est forcément, j’imagine, très transversal. D’ailleurs les enseignants qui nous écoutez, n’hésitez pas à faire remonter vos expériences parce que c’est vrai que l’enseignant doit tout, il a beaucoup de missions, comme ça, qui s’empilent, et j’imagine que des fois c’est un peu difficile pour lui de s’y retrouver. En tout cas ce besoin de formation continue est grand et j’imagine que ce n’est pas toujours simple, donc n’hésitez pas à prendre la parole.

On n’a pas le ministre de l’Éducation nationale avec nous, ça aurait bien mais non, je vais m’adresser à vous Isabelle Chabanon-Pouget parce que les institutions culturelles comme Universcience sont aussi face aux mêmes défis, qui sont parfois un peu contradictoires. Quelles actions menez-vous au sein d’Universcience pour un numérique plus responsable ?

Isabelle Chabanon-Pouget : Au Carrefour2 numérique, qui est vraiment l’espace dédié à la culture numérique de la Cité des sciences, nous faisons vraiment des actions auprès des publics. Il y a aussi des actions en interne au sein d’Universcience, moi je ne pourrai vous parler que des actions auprès des publics.

On propose une offre événementielle : des ateliers, des formations autour de la culture numérique. La sobriété numérique est un de nos trois axes thématiques à côté de la fabrication numérique et à côte de l’hygiène numérique, tout ce qui concerne la protection des données.

En ce qui concerne la sobriété numérique on a mis en place plusieurs évènements avec un partenaire qui s’appelle Point de M.I.R, Maison de l’Informatique Responsable.

Marie-Catherine Mérat : Bela Loto devait être avec nous initialement, malheureusement elle n’a pas pu venir.

Isabelle Chabanon-Pouget : Je vois qu’elle n’est pas présente. On a organisé plusieurs événements avec eux dont en 2019 le festival « Numérique et environnement ». C’était une projection de films sur cette thématique. On a organisé des ateliers avec une artiste plasticienne de la terre, toujours avec Point de M.I.R, pour faire référence aux terres rares et à la terre. On a démonté des téléphones avec les publics et ensuite on a fabriqué des œuvres avec de la terre. Il y a eu ce type d’atelier.
On a notre médiation « Voyage au cœur de nos téléphones intelligents ».
On fait aussi venir des artistes qu’on expose au Carrefour2 numérique et qui parlent de sobriété numérique.
Et première initiative, on a participé au Fab City Campus en 2018, c’était un évènement en relation avec le mouvement Maker, le mouvement des fab labs. Notre pôle Carrefour2 numérique a organisé tout un tas d’initiatives autour des déchets et plus particulièrement des déchets d’équipements électriques et électroniques.

Je peux vous donner plus d’informations, mais il y a plein de choses, plein de formats, ce sont, en gros, nos dernières initiatives et ça commence à remonter. En préparant ce webinaire j’en parlais avec un de mes collègues, et c’est vrai qu’en 2014 on avait déjà commencé à démonter des ordinateurs de la Cité des sciences pour fabriquer des choses, donc réutiliser du déchet pour en faire de la ressource. Déjà, même en 2014, on ne mettait pas un nom dessus, mais on commençait les prémisses de cette démarche et ces valeurs qu’on essaye d’avoir au Carrefour2 numérique.

Marie-Catherine Mérat : Audrey, dans le chat, nous dit : « Vous ne parlez du numérique qu’au second degré, quelle place au premier degré ? » Je vous retourne la question, qui pourrait répondre à cette question épineuse parmi nos intervenants ? Je ne sais pas si l’un de vous souhaite prendre la parole là-dessus.

En tout cas j’ai relevé un ouvrage un peu provocateur que vous avez peut-être vu passer, c’était en 2016, il commence à être un peu vieux, qui s’appelle Le Désastre de l’école numérique. Plaidoyer pour une école sans écrans [PhilippeBihouix, Karine Mauvilly]. Je vais être un peu provocatrice, est-ce que, parfois, on devrait, dès que c’est possible, trouver des alternatives non numériques pour effectuer un travail donné ? Peut-être Louis Derrac.

Louis Derrac : Merci. Je l’ai lu. Je suis d’accord avec une partie de ce livre hormis le titre que je trouve un peu trop provocateur effectivement. En fait c’est une question compliquée, pour le coup, parce que je pense qu’elle dépasse la question de la sobriété. Les technologies numériques, notamment le Web, Internet et le Web, ont démocratisé l’accès à la connaissance comme aucun autre système avant eux. Là, vu qu’on est sur un webinaire autour de l’éducation, je tiens à le redire, la fonction première, l’usage premier des technologies numériques sont le divertissement et la connaissance. Il me semble que c’est quand même la connaissance qui est en premier, l’accès à l’information, l’accès à la connaissance. Il y a des ouvrages très récents, très intéressants notamment sur l’Internet des familles populaires. Je recommande les travaux de Dominique Pasquier [9]. Elle montre comment les personnes qui n’ont pas trouvé leur place dans le système scolaire arrivent à une sorte d’accès à la connaissance de la seconde chance grâce à Internet.

J’aimerais commencer par dire que, d’un point de vue éducatif, on ne peut pas réduire les technologies numériques à un gâchis, à un gaspillage, etc.

En tout cas, et j’y reviens, je pense qu’il faut aller dans le détail. C’est pour ça que « le numérique » est une appellation trompeuse. Personnellement je fais une différence entre un ordinateur avec un clavier qui permet d’écrire, une tablette sans clavier qui ne permet pas d’écrire de la même façon, et un smartphone qui permet encore moins d’écrire de la même façon. Les trois sont des objets distincts et je ne vous parle pas des objets connectés sur lesquels on peut revenir.

Les décisions d’implémenter ces divers outils ont leur importance. Je pense qu’on met en place beaucoup trop d’équipements numériques, ce que je disais plus tôt. Il faut quand même dire qu’il y a carrément eu aussi l’impact de la pandémie. L’école a fermé, on s’est retrouvé avec des situations difficiles où des familles n’avaient pas assez d’équipements numériques. D’ailleurs je serais intéressé, je tends aussi la perche pour savoir ce que préconiserait l’Institut numérique responsable. J’avais tendance à penser qu’on pouvait mutualiser de l’équipement. On avait une situation d’urgence, qu’on pourrait revivre, qui était qu’on avait besoin de faire cours à distance et avait concrètement des familles qui n’avaient pas assez de terminaux pour que leurs enfants aient accès à une éducation à distance, ce qui, au passage, est une image réductrice puisqu’il n’y a pas qu’une question de terminaux, il y a une question de place dans une famille populaire où on n’a pas assez de chambres pour que chacun soit dans des conditions de travail satisfaisantes, en tout cas il y avait la question du numérique. Je pense qu’on aurait pu mutualiser. Le fait est que comme on a vécu cette pandémie, on est plutôt, effectivement, dans une tendance à l’équipement massif, une tablette ou un ordi pour un élève. J’avoue que, personnellement, je trouve que c’est inexplicable.

Marie-Catherine Mérat : D’ailleurs s’il y a des chefs d’établissement parmi le public, ce serait sympa d’avoir leurs retours. Quelle est, finalement, la liberté du chef d’établissement et la liberté pédagogique des enseignants pour, parfois, refuser un équipement qui leur est proposé ou proposer des alternatives, par exemple un équipement dans une classe et qui serait utilisé de façon mutualisée par toutes les classes. Je n’ai pas forcément trouvé d’informations là-dessus, si vous avez des éléments, ça m’intéresse.

Je reviens un tout petit peu sur cette idée d’injonctions contradictoires. J’ai évoqué l’intelligence artificielle au début et j’ai moi-même, effectivement, écrit un papier là-dessus. L’Éducation nationale, le ministère s’engouffre dans l’intelligence artificielle pour accompagner les apprentissages et là aussi est-ce que l’IA sobre existe ? Vincent Courboulay.

Vincent Courboulay : Non, en tous les cas de moins en moins. En fait on met beaucoup de choses derrière l’IA. Aujourd’hui il y a très peu de vraie IA. On fait ce qu’on appelle du machine learning, ce n’est pas de la vraie intelligence artificielle au sens où on l’entend avec le robot qui va penser lui-même, comprendre, etc., on est plutôt sur des phases qui sont très bêtes. On donne des jeux de données, on dit « dans ces cas-là il faut faire ça, dans ces cas-là il faut faire ça », on laisse tourner un petit peu les algorithmes et ça passe.

Dans cette version dégradée de l’IA, qui est plutôt une version IA faible, on est sur des algorithmes qui nécessitent toujours plus de données en entrée, toujours plus de données en sortie, toujours plus de temps de calcul pour les faire tourner, donc l’IA sobre c’est plutôt encore une problématique de recherche. Pourquoi ? Parce que quand on fait de l’IA aujourd’hui soit on est une boîte, on veut vendre et à ce moment-là il faut avoir le maximum de clients et on ne se préoccupe des impacts environnementaux qu’il y a derrière, soit on ne sait même pas qu’il y a des impacts environnementaux parce que, de toute façon, on sous-traite ça à Amazon, à Microsoft ou à Google, on s’en frotte les mains et ce sont eux qui assument.

Aujourd’hui ça n’existe pas. Là encore il faut, toujours pareil – j’ai l’impression à chaque fois de répéter la même chose – avoir la globalité de l’approche, c’est-à-dire quels sont les impacts environnementaux de cette IA ? Quels sont les bénéfices de cette IA ? À qui est-ce utile ? Si c’est utile uniquement à ceux qui vendent le service, honnêtement on peut se poser la question. Quelle est la souveraineté de cette IA ? Si les programmes pédagogiques sont aux mains des intelligences artificielles de Google, Apple, Microsoft ou Amazon, ça questionne vraiment.

Donc aujourd’hui l’IA sobre n’existe pas. Pourquoi ? Un peu comme on a très bien dit que le numérique n’existe pas, l’IA n’existe pas, ce sont, dessous, des process qui sont différents, et l’IA sobre, pour l’instant, n’est absolument dans l’intérêt des boîtes, donc on est vraiment sous les radars ! Mais ça ne va pas durer, enfin j’espère !

Marie-Catherine Mérat : Je me pose une question. Un enseignant qui utilise le numérique, qui voudrait connaître son propre impact numérique, l’impact numérique de son enseignement, est-ce qu’il aurait des outils pour le faire ? Peut-être Ludovic Fournier, à tout hasard je vous pose la question.

Ludovic Fournier : Je ne vais pas avoir une réponse exacte à cette question, je vais juste avoir des propositions pour pouvoir y répondre. Quand on regarde les informations qui sont notamment données par le ShiFt Project.

Marie-Catherine Mérat : Est-ce que vous pouvez nous expliquer un tout petit peu ce qu’est le Shift Project ?

Ludovic Fournier : Ce sont plusieurs personnes qui se sont réunies, qui travaillent sur plein de choses, notamment sur l’impact environnemental du numérique et qui se sont posé la question de l’évaluation de cet impact environnemental, qui proposent des rapports réguliers. Le premier complet, à ma connaissance, date de 2018. Si vous tapez « shift project » sur Internet, vous allez sur leur site et vous allez trouver tous ces rapports, il y a aussi des vidéos. Dans ces rapports ils proposent des méthodes d’analyse et on constate que c’est extrêmement compliqué de pouvoir évaluer directement l’impact du numérique parce que ça met en jeu tellement de choses, tellement de structures et réussir à évaluer l’impact qu’on a soi-même c’est extrêmement compliqué. On pourrait, à la rigueur, évaluer l’impact que l’on a quand on utilise l’appareil. On pourrait mettre un wattmètre sur son ordinateur et regarder la puissance, l’énergie qui est utilisée et on pourrait se dire « quand j’ai utilisé une heure d’ordinateur en classe, voilà qu’elle a été l’évolution de la consommation énergétique pendant cette heure », ça peut donner une idée de cet impact si on prend en France, parce que si vous prenez juste la pollution par les gaz à effet de serre, elle va dépendre également des pays dans lesquels on est parce que ça va dépendre du mixte énergétique. En France, l’électricité est principalement produite par les centrales nucléaires, du coup on a un impact en dioxyde de carbone qui est plus faible que si c’était, par exemple, des centrales à charbon qui produisaient de l’électricité. Donc, en fonction du pays dans lequel on est et d’où vient l’électricité, on pourrait dire « voilà globalement l’impact que j’ai ».

Après, connaître l’impact des datacenters, connaître l’impact qu’a eu notre vidéo par rapport au réseau, par rapport à la production, c’est extrêmement difficile. Il est difficile de récupérer des chiffres. Néanmoins The Shift Project est assez transparent sur les méthodes qu’il utilise.

Si vous vous habituez à décortiquer un petit peu les différents rapports, et ce que je trouve vraiment génial avec eux c’est qu’ils proposent les méthodes et elles sont notées dedans, vous pourrez essayer d’avoir une petite évaluation.

Néanmoins si on veut vraiment évaluer son impact le mieux c’est peut-être de prendre leurs chiffres et de les diviser par le temps d’utilisation qu’on a et on a, comme ça, une estimation un petit peu à la louche. Avoir l’impact précis à un instant t ça me paraît un peu compliqué, mais avoir une vision globale, pourquoi pas, en prenant les chiffres et en faisant le ratio du temps.

Marie-Catherine Mérat : Ça me semble être, éventuellement, une forme de médiation intéressante avec les élèves que d’essayer de calculer l’impact environnemental du numérique dans la classe par exemple.

Ludovic Fournier : Encore une fois, pour vraiment travailler avec les élèves, la chose qui serait rigolote, même sans aller sur toute la complexité comme elle a été présentée, juste sur, encore une fois, l’énergie nécessaire, rien que pour faire fonctionner l’ordinateur, pour faire une recherche Google. Encore une fois juste avec un wattmètre que l’on trouve dans les magasins de bricolage pour une dizaine d’euros, en branchant l’ordinateur sur ce wattmètre et en branchant ce wattmètre à la prise électrique, il suffit, quand on lance une vidéo, quand on lance une recherche, quand on allume l’ordinateur, de regarder la puissance nécessaire et ensuite de comparer ça avec un vélo et de voir la puissance qu’on génère quand on pédale. Si on devait pédaler pour allumer un ordinateur, regarder une vidéo, rien que ça donne une idée de l’impact énergétique que tous ces appareils ont. On constaterait que c’est extrêmement compliqué et qu’on n’arriverait pas à regarder un film sur son ordinateur rien qu’en pédalant. C’est une activité assez rigolote pour montrer la matérialité qu’il y a derrière, cette matérialité qui disparaît dès l’instant où l’énergie est produite ailleurs avec des ressources qui sont épuisables – le charbon, le pétrole ; ces ressources sont épuisables, mais elles sont extraordinaires parce qu’elles permettent d’avoir accès à tout ça.

Juste un point parce que j’y pense en parlant de ça, je repensais à ce qui disait Vincent au début par rapport au fait que c’est important de ne pas diaboliser le numérique parce qu’il y a aussi des aspects très positifs derrière. On parle beaucoup des ressources renouvelables, par exemple de l’éolien et du solaire, une des difficultés avec l’éolien et le solaire c’est que ce sont des ressources qui sont intermittentes, il n’y a pas tout le temps du vent, il n’y a pas tout le temps du soleil, il y a besoin d’une synchronisation à l’échelle nationale si on veut pouvoir utiliser toute l’électricité qui est émise. Pour réussir cette synchronisation, le numérique est indispensable. Si demain on veut utiliser ces ressources – le vent, le solaire – pour créer l’électricité pour nos besoins, on sera obligé, en tout cas pour l’instant, de passer par le numérique.

Donc c’est vrai qu’il y a des aspects et des aspects négatifs. Ce qui me paraît important c’est de montrer les aspects positifs, les aspects négatifs, de montrer la matérialité qu’il y a derrière et après coupler tout ça, comme il a été dit tout à l’heure, avec les décisions politiques et culturelles qui sont dessus. Pour une petite activité en classe, tous ces aspects me paraissent intéressants.

Marie-Catherine Mérat : En tout cas ne pas rester sur le côté diabolisation c’est effectivement très important. Il y avait d’ailleurs un commentaire : « Est-ce que les médiations du Carrefour2 numérique sont documentées, ce serait pratique de pouvoir reproduire ces activités ». toujours sur cet aspect enseignement, Isabelle Chabanon-Pouget ?

Isabelle Chabanon-Pouget : Non. J‘ai mis un lien dans le chat, une expo-évènement qu’on avait faite. Le lien est partagé, par contre les médiations ne sont pas documentées. Désolée.

Marie-Catherine Mérat : J’avais vu dans un livre blanc publié en 2018 que GreenIT [10] proposait la mise à disposition des enseignants de kits pédagogiques élaborés par des experts, des certifications pour la formation continue. Ça n’existe pas ou si, Vincent Courboulay ? Mis à part ce que propose l’Institut du numérique responsable, est-ce qu’il y a d’autres sources que peuvent aller trouver les enseignants pour essayer de faire propre enseignement, de faire leur petite sauce ?

Vincent Courboulay : Je sais que je vais m’attirer des foudres parce que je vais forcément en oublier. J’aurais plutôt tendance à vous renvoyer vers Point de M.I.R, la Maison de l’Informatique plus Responsable, qui s’est fait vraiment une spécialité des kits pédagogiques [11] pour les collèges/lycées. Je pense que Bela, on pourra mettre le lien dans le chat, pourra vraiment vous indiquer les relais. Pour former des formateurs, on peut aussi évoquer la Fresque du Numérique [12] qui est une activité assez intéressante pour sensibiliser lors d’un atelier d’intelligence collective, qui peut être déployée à peu près partout en France. On peut former des formateurs, donc là aussi c’est intéressant et puis s’il y a un responsable, un référent dans un collège ou un lycée, ce référent dans ce collège ou ce lycée peut former l’ensemble des équipes pédagogiques à la Fresque du Numérique. C’est un deuxième levier. Je pense qu’il y a un certain nombre de ressources.

Fresque du Numérique et Point de M.I.R, j’aurais tendance à dire que ce sont deux points d’entrée intéressants et je m’excuse pour ceux que j’ai pas cités.

Marie-Catherine Mérat : Fresque du Numérique pas trop anxiogène quand même, parce que Fresque du Climat ! J’imagine que c’est le même collectif qui se charge de la Fresque du Climat et de la Fresque du Numérique.

Vincent Courboulay : En fait ils fonctionnent ensemble.

Marie-Catherine Mérat : Je trouve la Fresque du Climat anxiogène. C’est bien, c’est important de le faire, je me suis formée moi-même à la Fresque du Climat et je souhaitais le faire pour des jeunes, c’était mon ambition. Pour l’instant je ne l’ai toujours pas proposée, parce que ça me semble trop anxiogène comme approche. Il y a d’autres choses, il y a la Fresque des solutions, il y a un tas de choses. Là vous dites la Fresque du Numérique.

Vincent Courboulay : Fresque du Numérique, on est sur trois quarts de « il faut arrêter le numérique, ce n’est pas possible » et on est sur un quart de solutions. On touche le fond et après on évoque quand même un certain nombre solutions, applicables ou pas, plutôt d’ordre très conceptuel – rallonger la durée de vie, prendre conscience, etc. En tout cas je vous dis pour former les formateurs, pour sensibiliser les formateurs. Je ne sais pas si ça peut être utile pour des collégiens ou des lycées. Les élèves que j’ai en face de moi ce sont des majeurs, pour la plupart, donc je ne saurais pas si c’est bien pour les collégiens ou les lycéens, ce n’est pas mon métier et je ne donnerai pas d’avis là-dessus.

Marie-Catherine Mérat : D’accord. Merci. On a encore quelques minutes, donc si vous avez des questions à poser directement aux intervenants, adressez-les, mais je crois que le chat a été assez actif et je vois que beaucoup de liens ont été partagés.
Grégoire nous dit « quelques autres aspects pour lesquels le numérique est indispensable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre » et donne un lien. Vous pouvez répertorier les liens, je vous y invite.

Public : Concrètement, sur ce sujet-là, ce sont les appels à projet lancé par la Commission au titre de la R&D pour Horizon Europe [13] dans les années 2021 et 2022. Ça fait 400 pages, mais globalement, mais si on regarde juste le sommaire, on a tout de même un très grand nombre de sujets qui sont dans le sens de ce qui a été dit tout à l’heure, c’est-à-dire que si on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre ou développer les EnR [Énergies renouvelables] par exemple, il y a des besoins de numérique qui sont considérables, c’est vrai dans un très grand nombre de domaines. Ça se détaille à peu près dans ce programme qui est très vaste.

Ceci pour dire tout de même que je mets un peu en garde contre « il faut arrêter le numérique parce que ça consomme », ça consomme 3,7 des émissions globales de gaz à effet de serre, ça croît rapidement donc il faut faire attention, mais ça réduit aussi beaucoup de choses sur les 94,3 qui restent.

Marie-Catherine Mérat : OK. Super. Merci beaucoup. C’est vrai qu’on n’a peut-être pas assez parlé de ça aussi. Louis Derrac vous vouliez intervenir.

Louis derrac : Pour rebondir par rapport à ça. Je reviens à cette question de culture numérique, envisager les technologues numériques comme un ensemble historique, culturel, politique, faire une histoire déjà à partir des années 1940/1950, les supers ordinateurs de la Seconde guerre mondiale, les débuts des réseaux, etc., permet de comprendre que l’informatique est née du besoin de calcul. Une fois qu’on commence à rentrer par cette entrée historique, on peut comprendre et faire comprendre que le besoin de calcul est venu de l’augmentation de la population.

De fait, et je rejoins ce qui a été dit, la complexité du monde dans lequel on est aujourd’hui, en tout cas tel qu’on l’a aujourd’hui créé politiquement, fait que nous sommes dépendants du numérique. La question est : quelle est notre résilience ?

C’est pour ça que j’encourage à découpler la question de la sobriété numérique de la question seulement technique et j’encourage – même si ce n’est pas l’entrée la plus simple et que, pour le coup, on manque de ressources, je pense que ce serait un bon travail de s’y mettre – à faire ce travail d’éducation au travers déjà des disciplines techniques et technologiques, mais aussi des sciences humaines et sociales, de la philosophie, on peut très bien philosopher. Je pense qu’il y a beaucoup des sujets qui sont très au cœur des thématiques des jeunes, puisqu’on parle de collégiens et de lycéens, lycéens pour la philo ; on peut faire ça en littérature, on peut faire ça en histoire/géo. Je pense que c’est vraiment un aspect important d’arriver petit à petit à faire cette éducation au numérique de manière transdisciplinaire.

Marie-Catherine Mérat : Je rebondis sur l’intervention de Grégoire qui a évoqué tous les bénéfices apportés aussi par le numérique dans la transition écologique. Est-ce qu’on sait évaluer, à terme, le poids de ces bénéfices, comparativement aux méfaits du numérique ? Vincent Courboulay.

Vincent Courboula : Non. Désolé. Non. Concernant l’appel à projet de l’Union européenne, j’étais avec la DC Connect de l’Union européenne qui me disait « ce qu’on voudrait c’est avoir un bilan qui ne soit pas simplement à charge ». Je pense que c’est vraiment le sens aujourd’hui de tous les acteurs qui est de dire « attention, la situation est complexe, il faut la prendre de façon globale ». La DC Connect qui est, on va dire, la partie numérique de l’Union européenne a dit « OK, on est capable de calculer l’impact environnemental en prenant en compte tous les petits bouts, fabrication, etc., mais est-ce qu’on est capable de calculer l’impact environnemental en allant jusqu’à l’usage et l’usage qui l’évite ? ». Cette visio évite de me déplacer, est-ce qu’on peut aller jusque-là ? Aujourd’hui la réponse est clairement non parce que ce serait des hypothèses tellement aléatoires, c’est beaucoup trop aléatoire, c’est quasiment de la science-fiction, sans compter, et c’est un des dangers du numérique, le fameux effet rebond. Je vais prendre un exemple qui est très connu, BlaBlaCar. Au début il a enlevé des voitures de la circulation parce que les gens ont fait du covoiturage. Après ça a tellement été rentable que plutôt que de prendre le train, les gens se sont dit « je vais reprendre ma voiture » en se disant qu’ils allaient rentabiliser leurs trajets en prenant des gens en covoiturage. Aujourd’hui des études montrent que BlaBlaCar a eu un effet rebond de « on met moins de voitures sur les routes » et, finalement on en met peut-être un petit peu plus. Donc aujourd’hui on est capable de faire un bilan du numérique à peu près sérieux sur les impacts. Dès qu’on commence à dire « qu’est-ce que ça permet d’éviter », là on commence à rentrer dans de la science-fiction d’autant plus si on inclut l’effet rebond qui est très difficile à analyser. Désolé.

Louis Derrac : Ça me fait réagir aussi. Je pense qu’il y a un truc très important dans cette question de sobriété numérique et ça va aussi dans le sens de ce que je disais, notamment au début. Je pense qu’on est tous d’accord sur le fait que j’adore les technologies numériques à priori, par contre, ce qui est important c’est que je les hiérarchise. Je vous l’ai dit, je ne mets pas sur le même plan un ordi, une tablette, un téléphone et encore moins sur le même plan une enceinte connectée ou un frigo connecté. C’est ma hiérarchie. Et là on arrive à un gros problème du numérique c’est qu’il n’est pas démocratique. Aujourd’hui nous ne discutons pas de ces sujets démocratiquement. Aucun candidat, à aucune élection, ne présente un programme de sa vision d’un monde numérique et c’est un vrai problème. C’est parce qu’il n’y a pas assez d’éducation au numérique au sens, encore une fois, politique et culturel. En formant les jeunes à la compréhension de ces enjeux on formera de futurs citoyens qui seront capables de se positionner sur toutes ces questions et y compris l’actualité chaude du moment autour de Facebook qui n’est pas une actualité directement liée à la question écologique, mais qui est une question démocratique. On voit bien que la réalité c’est que la plupart des citoyens sont un peu en difficulté pour juger, mais, avec une éducation au numérique qui va progresser, l’enjeu est bien d’avoir des citoyens capables de faire des choix démocratiquement.

Marie-Catherine Mérat : On pourrait penser que le domaine du numérique est encore trop jeune alors qu’il y a finalement urgence à éduquer, à expliquer, à donner sa vision, comme vous dites, d’un numérique de demain.

Merci beaucoup. Merci à tous pour vos interventions, c’était un T’éduc très riche. Merci infiniment. Chacun donnera ses conclusions ou fera ses conclusions à l’issue de ce T’éduc. En tout cas merci à tous pour vos interventions.

Le prochain T’éduc sera le 24 novembre : « Éduquer autrement à l’alimentation ? L’exemple de l’exposition Banquet » et, si je ne me trompe pas, on sera toujours en visioconférence et ce sera toujours le mercredi à 17 heures. Je vous avais préparé quelques références. Bien sûr je vous les donnerai à la suite du compte-rendu qui sera fait à l’issue de ce T’éduc. Vous pouvez déjà en regarder quelques-unes, on en a cité beaucoup aussi lors du T’éduc et puis des références ont aussi été listées dans le chat.
Merci à tous et à la prochaine.

Vincent Courboulay : Merci beaucoup. Au revoir.

Isabelle Chabanon-Pouget : Au revoir.

Stéphanie Giacchi : Merci beaucoup.

Vincent Courboulay : Au revoir.