Pour une sobriété numérique heureuse - Simon Constans

Se réapproprier l’usage du numérique pour de meilleurs impacts environnementaux et sociétaux.

Nous avions, jusqu’à aujourd’hui, considéré le numérique comme un vecteur de progrès non-négociable. Cependant nous découvrons de plus en plus les impacts négatifs qu’il peut avoir sur notre environnement et notre société. Nous proposons d’imaginer un futur où nous remettons le numérique à sa place, en particulier dans ce que nous permettent les contraintes environnementales, afin de tenter de préserver ses bénéfices. Nous verrons comment les principes de décentralisation, de coopération et de participation aux communs peuvent faire évoluer nos organisations ; comment la sobriété numérique et les low-tech peuvent aider à repenser la technique.

Je voulais vous parler de la pollution due au numérique. On verra après un peu tout ce qui est low-tech et je parlerai des initiatives qu’on aime bien chez RésiLien [1].

Quelques chiffres sur le climat

J’imagine que vous savez que nous sommes en train de vivre un moment actuel un petit peu différent des autres moments, une période de réchauffement climatique accélérée par l’humain. Ce sont notamment les gaz à effet de serre qui accélèrent ce réchauffement. La COP 21 avait dit qu’il ne fallait pas qu’on dépasse les 2 degrés, entre 1,5 et 2 degrés, OK, sinon ça pose des soucis au niveau météorologique, des sécheresses, donc des soucis pour la nourriture.

Là c’est l’UNEP [United Nations Environment Programme], un organisme des Nations-Unies, qui a sorti un graphe, qui a modélisé en 2020 plusieurs scénarios possibles ; on voit les différentes courbes, pour 1,5, pour 2 degrés. Là c’était nous en 2010, avec la politique de 2010, et ça c’est nous avec la politique de maintenant. On voit qu’il y a un petit gap. Vous ne voyez pas trop au niveau du graphique, mais en gros, ici, ce sont les gigatonnes de CO2 équivalent et ça ce sont les différentes années. L’année 2020 est ici et là les estimations 2030. Là c’est la politique de 2010, politique de 2020. On voit qu’on est quand même à 30 gigatonnes, ici on est à 60, donc le double.
On a différentes façons de voir les choses. Les gouvernements ont dit qu’ils allaient expliquer ce que c’est sans contraindre la politique, ce sont ces deux courbes. Sans contraindre on restera finalement, de toute façon, beaucoup plus haut que les 2 degrés d’ici 2100.

Pour résumer, en fait on est loin de réduire réellement les quantités. Qu’est-ce qu’on essaye de faire ? Ne faudrait-il pas commencer à réfléchir à, finalement, contraindre, à se contraindre ? Ce n’est pas très réjouissant, mais on va essayer d’avoir des trucs positifs à vous dire.

Ça c’est la courbe de l’Agence internationale de l’énergie, ce sont les émissions de CO2 qui proviennent de la génération d’énergie, donc tout ce qui est charbon, gaz, pétrole. Elles ont décliné de 5,8 % en 2020 par rapport à 2019, merci le confinement ! On est passé à 31,5 gigatonnes. Je ne sais pas si vous vous souvenez du graphique d’avant, 31 on était déjà à 1,5. C’est juste pour générer l’énergie dont on a besoin, ce n’est pas tout ce qui est pétrochimie, etc.

Ce qui est assez remarquable c’est qu’on voit qu’en faisant un changement drastique de nos comportements on a quand même réussi à avoir la plus grosse baisse jamais observée depuis la Seconde Guerre mondiale : on est passé à une émission de CO2 de 2012, on a quand même fait un bond en arrière. On voit qu’en changeant notre façon de vivre, on peut avoir un impact important sur certaines émissions, même si, évidemment, il faut faire un peu plus.

Que veut dire cette pollution ?

Là on voit des chiffres, ça ne veut pas dire grand-chose.

L’extraction des ressources. Le matériel numérique contient beaucoup de ressources différentes dont des terres rares telles que le cobalt, le cuivre. D’où proviennent ces ressources ? Forcément de mines. Là c’est une photo un peu artistique qui permet d’avoir un équivalent entre le cuivre extrait de cette mine, le trou qu’il a fallu faire, et la petite boule ; ils ont dû extraire vraiment un énorme cratère.

La deuxième photo qu’on voulait vous montrer, c’est cet enfant qui porte un sac de cobalt en République démocratique du Congo d’où provient la moitié du cobalt selon Amnesty International. Il y aurait à peu près 40 000 enfants qui travaillent dans ces mines.

Après l’extraction inhumaine, on voulait, avec ces deux photos-là, mettre en avant les conditions de fabrication de nos terminaux, avec des cadences infernales, des usines semi-prisons. On fête, cette année, les dix ans du documentaire Foxconn, la face cachée d’Apple, je ne sais pas si vous déjà entendu parler des usines Foxconn et des fameux filets anti-suicide.

Vous avez toujours envie du dernier téléphone ? Vous êtes chauds ?

On pourrait se dire « OK, on recycle quand même tout ça, on fait bien ! ».
C’est à peu près la même chose. On a créé des filiales de récupération de matériel, en fait ces filiales sont finalement un peu hackées et le matériel part dans des pays comme le Ghana où on fait du recyclage parterre, on brûle du matériel pour récupérer quelques minéraux, quelques minerais. Cette décharge a été rasée en 2021, vous pouvez aller voir l’article, c’est assez bargeot, et il en existe plein d’autres.

En fait le recyclage du numérique ne peut pas marcher, ça n’existera jamais, il faut se le dire. Il faut qu’on fasse de la réparation, de la construction intelligente. Des acteurs français se mettent quand même en place. Un site que je trouve assez bien, e-reparation.org [2], permet justement d’avoir des personnes qui permettent de réparer son téléphone, son ordinateur.

Une autre face du numérique : on parle souvent de dématérialisation. Le numérique est matériel. Pour communiquer dans le monde entier il faut des câbles qui traversent l’intégralité du monde. Vous pouvez voir l’intégralité des connexions sur une carte sur Internet ; c’est est assez magique. C’est assez immense. Des énormes navires installent ces fibres optiques. Ce n’est pas forcément au fond de la mer, en tous cas ils flottent au milieu de la mer et ça bouscule un peu tous les fonds marins.

La deuxième photo c’est l’incendie chez OVH : la perte de données qui en a découlé montre bien que le monde physique peut impacter ce monde virtuel.

D’un autre côté il y a l’impact de l’environnement sur le numérique. Taïwan subit régulièrement des typhons qui remplissent aussi ses réserves d’eau. En absence de typhons, les réserves d’eau de Taïwan se sont amoindries en 2021 ce qui a posé un souci au niveau de l’agriculture locale. Du coup, ils ont dû réguler l’eau localement, ce qui a fait qu’ils ont réduit la production de semi-conducteurs. Tout le monde a entendu parler l’année dernière, en mars 2021, de la pénurie pour les microprocesseurs de voiture, de consoles, etc. Ça montre bien que des catastrophes naturelles commencent déjà à impacter la création de matériels.

Là on était vraiment sur des côtés écologiques et un peu sociaux.
Il y a encore plein d’autres aspects négatifs du numérique, des projets aberrants.

Le premier c’est celui d’une startup de la Silicon Valley qui a voulu se lancer, un peu dans la continuité des machines Nespresso, Ils ont inventé une machine ultra-perfectionnée qui permet de compresser une orange pour produire une brique en plastique qui contient du jus à l’intérieur, 400 dollars. Ils ont fait une levée de fonds de 120 millions de dollars, etc., pour qu’un jour un journal dise « en fait, sans votre brique je fais la même chose ». Je dirais même qu’on prend un presse-orange, on presse son orange, un presse-orange c’est cinq euros et c’est à vie. Ils ont évidemment réussi à se crasher, heureusement !, très rapidement après que l’article soit sorti et ça a été un peu la risée aux États-Unis.

Un autre exemple autour de tout ce qui est objet connecté et la faible sécurité de ces objets. Là c’est un article autour de caméras qui étaient dans des chambres d’enfants. Des pirates arrivaient à contrôler à distance, arrivaient à parler avec l’enfant. Il y a une vidéo célèbre où on voit une petite fille terrorisée. D’ailleurs je ne sais pas si vous connaissez, un site russe répertorie toutes les caméras non sécurisées, 70 000 environ dans tout le monde, ça fait un peu peur.

En fait il y a tellement d’enjeux sociaux, politiques et économiques, il y a tellement à dire, il y a plein de sujets qu’on pourrait passer une conférence entière sur un sujet.

On n’est pas là pour vous déprimer, on est quand même là pour voir ce qu’on pourrait un peu mieux faire. En tout cas, n’hésitez pas à revenir sur cette présentation. Tous les liens pointent vers les articles. Vous pourrez revoir ça sur resilien.fr [3].

Comme je disais, ce n’est pas très réjouissant. Vous avez toujours envie de faire du numérique ? Ou pas ? En tout cas moi oui. Il ne faut pas oublier qu’il y a quand même plein de bénéfices, que ce soit sur l’avancée au niveau de la santé, au niveau du partage des connaissances, la facilité de collaboration à distance. En fait, chez RésiLien, on a envie que ce numérique-là persiste et il faut absolument l’utiliser pour un strict minimum finalement. C’est donc pour interpeller et être au courant que ces impacts existent, et essayer de réfléchir : n’y a-t-il pas des solutions qu’on pourrait utiliser avec un impact un peu plus positif ?

Et si on cherchait vraiment à changer notre rapport aux technologies et qu’on mette en avant les objets un peu plus low-tech, auto-fabricables, open source, voire avec des matériaux locaux ? Imaginer une vie plus sobre, plus lente, avec une meilleure connexion à la nature, par Internet, tout en conservant du high-tech pour des sujets vraiment vitaux. Coopérer ensemble, participer à des communs comme le Libre pour le faire évoluer vers un futur un peu plus vivable.

Vivent les low-tech !

Je ne sais pas qui connaît un petit peu les low-tech.

Le problème, avec les low-tech, c’est qu’il est difficile d’avoir une vraie définition. Je vais quand même vous donner l’utilisation que fait le Low-tech Lab<ref<Low-tech Lab]] qui est un des acteurs avec la plus grande communauté en France. Il dit : « Au Low-tech Lab nous employons le terme low-tech pour qualifier des objets, des systèmes, des techniques, des services, des savoir-faire, des pratiques, des modes de vie et même des courants de pensée qui intègrent la technologie selon trois grands principes : utile, accessible et durable. »

Utile : un besoin essentiel à l’individu ou au collectif, qui répond à un besoin vraiment essentiel.

Accessible, donc le coût adapté, la fabrication et/ou la réparation localement. En France on sait réparer l’électronique. Il y a quelques sociétés, quelques groupes qui savent faire ça très bien, ça se développe de plus en plus et je pense que c’est un métier d’avenir. Je compléterai avec une autre phrase tirée de Wikipédia : « La low-tech n’est pas une démarche technophobe – souvent on compare les deux – mais bien techno-critique ». Elle pose la question du juste dosage technologique « autrement dit, elle s’oppose à l’obsession de la high tech. Cette démarche incite avant tout au techno-discernement ». Réfléchir : est-ce que cette technologie-là est utile ? C’est la base !

Et durable, optimiser les impacts écologiques, sociaux et sociétaux.

On voulait vous montrer quelques exemples. L’exemple que je préfère c’est celui-ci. Vous voulez un petit café ? D’un côté on a une cafetière à piston, un objet design, simple à laver, démontable, des pièces se vendent séparément, particulièrement efficace pour profiter d’un bon café entre amis, on est tous d’accord, dans un vrai moment de partage. Si on veut on peut s’amuser avant à moudre le café avec un petit moulin, pour les plus passionnés, et avoir vraiment toutes les saveurs des grains. De l’autre, vous avez une machine avec de l’électronique, donc polluante, utilisant des capsules en aluminium, jetables – Nestlé connaît l’environnement ? on ne sait pas trop ! –, pour se servir un café individuel très rapidement. Comment se fait-il que Nestlé ait autant cartonné ? C’est vraiment fou ! C’est quelque chose qui touche vraiment tout le monde et on ne s’en rend pas compte. Quand on commence à me demander : « Quel café veux-tu ? – Non, en fait je ne vais pas en prendre ! C’est bon ! »

Là on va un petit plus loin dans les objets low-tech. C’est un four solaire qui permet de cuisiner juste avec de l’énergie gratuite, l’énergie du soleil, encore faut-il qu’il fasse beau ! Là on va clairement un peu plus loin puisque ça demande vraiment un changement de comportement. J’ai un four solaire, je l’utilise de temps en temps, c’est assez magique, ce n’est pas un four solaire comme ça, mais à peu près. Pendant que vous prenez votre petit déjeuner, vous êtes déjà en train de réfléchir à ce que vous allez faire comme repas, vous préparez votre repas, vous le mettez dans le four solaire, vous revenez à midi, et hop !, il est chaud. En fait on a fait la cuisine le matin, finalement c’est de la prévision. Il faut calculer un peu l’angle du soleil, etc., c’est passionnant. Ce four-là est auto-fabricable, on est dans un endroit où on a quand même du bois, on peut trouver de la paille pour faire l’isolation. Les plans sont en open source, faits par Low-tech Lab [4].

Là on passe dans un autre type d’objets low-tech, c’est une Chtit’bine qui est faite par L’Atelier Paysan [5]. La Chtit’bine [6] est un porte-outil auto-moteur électrique, pouvant être un peu autonome avec son panneau solaire. Sa conception a été pensée pour être utilisée en lits. On ne voit pas très bien sur la photo, mais là il y a deux lits pour faire du désherbage ; très ergonomique pour les gens qui font du désherbage, on ne se casse pas le dos, quelque chose qui est très léger et qui peut, du coup, aller dans des cultures biologiques, ça permet d’éviter le tracteur. Cet objet-là est open source, il est libre, tout le monde peut le construire, les plans évoluent avec le temps. Il a été fait pas L’Atelier Paysan qui est tout le temps en connexion avec des paysans, quand ils font leurs expériences ils sont avec des paysans, ils ne sont pas en train de faire leur truc de leur côté, loin de la réalité. C’est quelque chose qui est vraiment utilisé. Pour moi c’est vraiment un acteur incontournable des machines low-tech, en tout cas dans le futur de l’agriculture.

On a parlé de trois choses différentes.

Donc c’est un peu compliqué de parler de low-tech dans le numérique. On a vu les différentes étapes pour arriver à un ordinateur, à un téléphone, à un objet connecté : extraction, usines, etc. Par contre, on peut réfléchir à une sobriété numérique, à de l’écoconception et on se base toujours un peu sur les réflexions qu’a la low-tech : l’utilité, l’accessibilité, la durabilité, toujours ces trois points.

Chez RésiLien, nous expérimentons des concepts du numérique responsable. Nous voudrions vous présenter certains concepts que nous utilisons et on mettra en avant certaines initiatives en France.

La sobriété matérielle

Voici un ordinateur. J’en ai trois qui me servent, que vous pourrez regarder de près, ils n’ont pas le joli petit boîtier rose. Ça c’est un ordinateur qui coûte moins de 100 euros, qui gère deux écrans 4 K, Bluetooth, Wi-Fi, qui peut avoir jusqu’à 8 gigaoctets de RAM. Je les utilise depuis plus de trois ans, depuis plus longtemps mais les Raspberry Pi 4 sont arrivés il y a à peu près trois ans.

RésiLien est un chaton, on fait de l’hébergement de services web, de sites web, et on héberge là-dessus. Ce sont des micro-serveurs qui ne consomment rien du tout au niveau énergie. Ce sont des monos cartes : si elles plantent on peut en insérer une autre. Ce sont des trucs qu’on a récupérés, ça marche très bien. Pourquoi avoir des énormes serveurs ? En fait ces petits serveurs-là peuvent remplacer n’importe quel ordinateur. Si je dis remplacer, il ne faut pas le remplacer s’il marche, on le remplace quand il ne marche plus, quand on ne peut plus le réparer, etc.

Finalement, privilégier du matériel basse consommation qui n’est pas forcément ultra-puissant mais qui arrive à gérer la plupart des services qu’on veut faire. C’est sûr que si on veut faire du gros jeu ou du montage vidéo, ça ne marchera pas. En fait, ce sont des utilisations poussées de l’ordinateur ; tout le monde ne fait pas du montage vidéo, forcément on ne pourra pas en faire là-dessus, mais on peut brancher une carte graphique puissante dessus et, en fait, on a acheté un objet qui est une carte graphique qu’on connecte à un ordinateur pas forcément très puissant.

Ça peut être intéressant du point de vue énergétique, très faible consommation, ça peut être intéressant aussi pour tous les endroits un peu autonomes en électricité, par exemple tout ce qui est voilier, camping-car, les maisons autonomes, on utilise beaucoup ce genre de chose, même si je ne pousse pas forcément à l’autonomie électrique mais c’est un autre sujet.

Le réemploi

On en revient au réemploi. C’est un truc un peu bateau, mais j’ai cet ordinateur-là depuis dix ans, il marche très bien. Vous trouvez le même à 250 euros sur Leboncoin. Le même ! Pourquoi acheter du neuf ? Ce sont des trucs qui sont ultra-résistants, qui tournent du feu de Dieu. Je l’utilise tous les jours, j’ai été nomade et je l’ai trimballé partout pendant deux ans. Ça marche ! Back Market est un peu plus qualitatif puisqu’il vérifie le matériel, on est plus sûr, donc c’est assez intéressant. Mais est-ce qu’on ne peut pas aller un peu plus loin que ça ?

Fair✦TEC

Je ne sais pas si vous connaissez Fair✦TEC. Fair✦TEC [7] est un collectif d’acteurs engagés au service de la sobriété numérique, surtout au niveau du téléphone. Leur constat c’est qu’avec 1,4 milliards de smartphones vendus chaque année et seulement 15 % réutilisés ou recyclés, les smartphones sont responsables d’une partie significative de l’impact du numérique. Ils réfléchissent vraiment, en s’alliant, à avoir une vision globale de l’utilisateur.

Fairphone [8] est un téléphone qui a été conçu, de base, en briques, c’est-à-dire que si le micro ne fonctionne plus, je peux démonter moi-même le téléphone grâce à des petites vis : quand on achète un Fairphone on a le tournevis qui va avec, on peut démonter cette brique, en racheter une et on a juste changé le micro ; au niveau impact, le micro ce n’est rien ! C’est le seul fournisseur de téléphones qui garantit cinq ans son téléphone. Je ne sais plus exactement le nombre d’années qu’ils ont prévu pour les pièces. Aucun autre constructeur ne fait ce genre de chose.

Le deuxième acteur c’est TeleCoop [9]. C’est le seul opérateur français coopératif qui prône un peu le numérique responsable. Son but est de pousser les gens à utiliser le moins possible la 4G. On voit des forfaits à 100 gigas. Eux ont un forfait, c’est dix euros, si tu veux un giga c’est deux euros, si tu veux un deuxième giga c’est encore deux euros et ainsi de suite. C’est une coopérative, on peut participer à l’avancement de la réflexion autour des télécoms. Ce sont des gens qui sont vraiment payés parce que, dans les télécoms, on exploite quand même pas mal de gens. Leur forfait est un peu cher pour ce qu’il fait, ils poussent à aller sur du Wi-Fi, mais il y a du Wi-Fi partout. J’utilise leur forfait, ça fonctionne très bien.

Pour revenir à ce qu’on disait tout à l’heure : est-ce qu’on a besoin d’acheter ? Commown [10] est une coopérative qui fait de la location au niveau du numérique, donc qui fait de la location au niveau du téléphone, de l’ordinateur. Plus on garde son téléphone, plus la location baisse dans le temps. Au début on se dit « si je l’achète sur du long terme, finalement je vais y gagner ». En fait les études le prouvent, sur du long terme vous dépenserez plus, c’est sûr et certain. Déjà un, si vous le faites tomber, vous le cassez, eh bien eux vont vous le remplacer. Leur business, en fait, c’est de gérer du matériel numérique. Ils ont une flotte, ils font de l’échange, ils vous expliquent comment réparer, ils peuvent réparer pour vous. C’est une petite startup sur Strasbourg et, franchement, je trouve qu’ils font vraiment bien leur truc.

Et enfin e-Foundation [11] qui est un système d’exploitation open source qui se base sur Android. En fait Commown fournit des Fairphones qui peuvent avoir e Foundation et si vous êtes chez TeleCoop vous avez, en plus, des réductions et chez Commown et chez TeleCoop, ils sont tous liés.

Tout le monde a des smartphones, il y a les Apple, les Android. Android est open source, une partie, mais il y a surtout beaucoup d’espions, ça veut dire qu’il y a beaucoup de communications vers l’extérieur, ça veut dire beaucoup de transferts de données, beaucoup de communications inutiles pour son utilisation ; du coup on vide ses batteries pour quelque chose qui n’est même pas pour nous. e Foundation évite cet espionnage, retire tous ces espions-là et, d’un seul coup, on se retrouve avec un téléphone qui tient 3/4 jours, bizarrement. C’est Gaël Duval [12], qui avait lancé Mandriva dans les années 2000, qui héberge le projet. e Foundation est une association ; ça avance petit à petit mais ça avance plutôt bien.

On a bien compris qu’il y a finalement plein de choses à inventer, parce qu’on a des modèles qui sont là et on en entend très peu parler, des coopératives, des associations qui essayent de bouger les choses.

Les logiciels libres

Les logiciels libres font partie de cette mouvance du numérique responsable. On a des logiciels qui permettent d’avoir des communs en place, qu’on peut faire évoluer et c’est vraiment génial. Vous avez déjà connaissance de ça et c’est une bonne chose.

Les logiciels open source s’adaptent aux besoins, ils sont utiles, conviviaux. C’est sûr, et c’est souvent un reproche qu’on fait, on n’a pas beaucoup de sous pour développer des UI [User Interface] qui nous emprisonnent, mais ça fonctionne et ça fonctionne bien ! Ce n’est déjà pas mal !

L’écoconception

Là c’est au moment de la conception d’un outil qu’on va vraiment avoir une réflexion en amont sur l’impact environnemental.

Dans notre cas on réalise des sites web statiques. Il s’agit de sites qui consomment peu d’énergie au niveau navigateur, au niveau serveur. Ce sont des façons de faire, on revient à des basiques qu’on sait faire depuis le début du Web, le HTML, JavaScript, CSS. On n’est pas obligé de mettre beaucoup de JavaScript, c’est plutôt HTML, CSS, puis JavaScript si vraiment il y a besoin. Mais, dans la plupart des sites, il n’y a pas eu de changements depuis 20 ans. On nous dit que ça a évolué chaque année ! J’ai été dans des startups de conception de sites web, on crée des sites, on fait évoluer des sites et le dernier frameworks vient faire la mise à jour et là, d’un seul coup, tous les projets, pfut !, plus de fonctionnalités ! Ils font des mises à jour ! C’est une perte de temps alors que si le truc était basique, il n’y aurait pas du tout de mises à jour à faire.

Le fait de ne pas avoir d’intelligence côté serveur permet d’avoir des services qui peuvent durer sur du très long terme dans le même hébergement et qui, finalement, n’ont pas besoin d’être mis à jour et on ne pourra pas pirater ces services-là. En tout cas, tout ça peut permettre de réduire l’impact du numérique.

Ce sont des réflexions à faire vraiment au départ de la conception d’outils. Ce n’est pas pour ça qu’on ne peut pas le faire après coup, mais ça demande plus de sous puisque, finalement, on redéveloppe quelque chose, on adapte.

Le minimalisme

On voulait aussi avoir quelque chose autour du minimalisme. On donne souvent l’exemple de la musique. On nous dit : « On va écouter de la musique et là on lance YouTube. – Vous ne vouliez pas lancer de la musique ? » Deezer existe, ça fait du streaming d’audio plutôt que de la vidéo, ça marche pareil. Après, si on veut aller un peu plus loin, on revient au CD. En fait on passe d’un seul coup d’un monde où on met son CD, où on a pris un temps à réfléchir à ce qu’on va écouter ; il y a une réflexion : quel est l’artiste que j’aime ? Mince, il n’y a pas l’algorithme qui me dit ce que j’aime ! Là je suis perdu ! Je ne sais plus ! ». Finalement revenir à ce genre de chose. OK, on ne connaîtra pas le dernier artiste, on aura juste essayé d’arrêter de faire de la consommation qu’on nous impose.

Un autre exemple, un peu plus geek, concerne le contenu textuel. Le Web d’aujourd’hui véhicule beaucoup plus que de simples textes d’information, beaucoup de pub. Il y a un protocole qui s’appelle Gemini [13]. C’est un protocole qui est un peu comme du Web mais qui ne fait que du texte, qui est assez simple. Lagrange est un navigateur Gemini. C’est un monde alternatif, il n’y a pas beaucoup de monde dessus, mais le concept est là. Quand on lit là-dessus, on sait qu’on va lire quelque chose, qu’on va prendre du temps à apprendre quelque chose, à se renseigner sur quelque chose et on n’est pas harcelé par plein d’autres choses.

Public : C’est vrai avec n’importe quel navigateur, ou c’est une technologie liée à un navigateur particulier ?

Simon Constans : Le navigateur s’appelle Lagrange.

Public : Et le nom de domaine ?

Simon Constans : Le nom de domaine c’est la même chose puisque ce sont les DNS qui n’ont rien à voir avec le Web. C’est un navigateur spécifique, c’est un protocole spécifique, le protocole a été réfléchi justement pour ne pas devenir du Web. Ce n’est pas de l’HTTPS, exactement. Ce n’est pas Internet quoi ? Ce n’est pas du Web, c’est du Gemini.

On aime bien troller là-dessus, ça reste très geek, mais c’est pour montrer qu’il y a des concepts qui sont inventés par des personnes pour être beaucoup plus résilients, pour être beaucoup plus sobres, mais qui font le taf au niveau de ce qu’on cherche. On cherche de l’information sur un sujet et on peut la lire. On aime bien faire des sites statiques, on demande souvent à nos clients : « Quel est votre contenu réellement intéressant ? ». Je peux mettre une jolie photo qui sort de je ne sais où ? En fait on s’en tape ! On veut que vous écriviez quelque chose. Si vous avez quelque chose à dire je fais votre site, sinon allez voir quelqu’un d’autre. C’est toujours : est-ce que c’est réellement utile ce qu’on a besoin de mettre sur Internet ? Il faut réfléchir à chaque fois, est-ce que ça a une utilité ? Sinon on ne fait que prendre un endroit spécifique qui pourrait être utilisé à faire quelque chose de plus intéressant.

Le partage local de l’information

Est-ce que ça vous est arrivé ? J’imagine que c’est arrivé à tout le monde. Vous êtes en train de bosser avec une équipe, vous êtes en réunion, vous collaborez, chacun est en train de prendre des notes sur son ordinateur. En fait vous utilisez quoi ? Vous utilisez un service, avec Internet, qui est à l’autre bout du monde. Vous êtes tous dans la même pièce, vous collaborez sur un document localement, mais, en fait, vous utilisez un service externe. Il y a une coupure d’Internet, vous ne pouvez même plus travailler ! Nous trouvons ça bizarre.

Il existe des systèmes qui permettent justement d’avoir des petits Raspberry Pi. On branche, tac !, on a son gestionnaire de documents localement, on collabore localement, il n’y a pas besoin d’avoir Internet et on peut quand même collaborer sur un document numérique.

Il y a quelque chose d’autre. C’est un réseau social, Scuttlebutt [14], qui, pareil, permet de s’échanger des fichiers, que ça soit par Internet mais aussi par clé USB, Bluetooth. Je ne suis pas un expert là-dedans, c’est plus Killian Kemps. C’est un réseau qui est résilient et qui permet la déconnexion simple. Quand on arrive on se connecte, on reçoit tous les messages, on peut se déconnecter. L’inventeur est quelqu’un qui navigue sur son bateau et, en fait, qui voulait avoir un réseau social qui permette d’être déconnecté.

L’outil au service du cœur du métier

Là c’est un peu plus autour des outils, pour vraiment se focaliser sur le cœur du métier des gens. On est en collaboration avec P4pillon [15] qui est une association autour de la libération des logiciels de santé. Il faut savoir que chaque fois que vous allez dans une pharmacie, que vous donnez votre carte vitale, ces données sont envoyées à une boîte américaine. Pour quoi faire ? Pour piloter la pharmacie, pour dire comment vendre plus de boîtes, quels produits il faut mettre en avant. En fait les pharmaciens, certains pharmaciens, n’ont pas envie de ce logiciel-là, mais c’est le seul qu’on leur propose. Ils ont envie de soigner les gens, de ne pas vendre de médicaments en fait. En tout cas c’est le but de certains, dont les pharmaciens autour de P4pillon. Ils ont mis en place des systèmes de commande automatique sur des objets low-tech. En fait, ce sont des boîtes de carton en couleur, ce qui permet de ranger plus facilement et rapidement leurs commandes. Certaines initiatives assez folles restent encore en cours de déploiement.

La collaboration et la coopération

Tout ça pour dire que tout ce qui permet la collaboration et la coopération pourra faire évoluer les choses. La plupart des entreprises que j’ai citées sont vraiment en mode coopératif. On peut participer, on peut investir aussi pour les aider, placer de l’argent dans ces coopératives. En tout cas ça vaut le coup de se renseigner.

Là il y avait trois écrans, c’était un truc autour de CHATONS [16], de Wikipédia et d’OpenStreetMap [17].

Tout à l’heure je parlais de Fair✦TEC qui est quand même très autour de la technologie. Les Licoornes [18], avec deux « o », sont toutes les coopératives vraiment autour de la transition. Il y a des choses qui sont très intéressantes. Le Label Emmaüs est un e-commerce en ligne militant, il y a tout le circuit qui permet de faire de l’achat en ligne local. Mobicoop qui permet de faire de la mobilité partagée. Enercoop, la Nef.

J’espère que tout ça vous fera rêver. N’hésitez pas à vous investir.

Pour finir juste cette phrase, je vais citer un designer, Gauthier Roussilhe, dans sa publication Situer le numérique, qui dit : « Passer de quel monde est possible grâce au numérique à quel numérique est possible dans ce monde. »

Pour en savoir plus on a mis plein de petits trucs, des podcasts.

Si vous avez des questions ça sera dehors. Merci.

[Applaudissements]