P4PILLON, faire évoluer le système de santé dans notre société numérique

Salut tout le monde. On est en petit comité, c’est bien, c’est intimiste !
Je m’appelle Antoine Prioux, je suis pharmacien et jusqu’à il n’y a pas si longtemps, le numérique c’était vraiment quelque chose que j’utilisais au quotidien, mais vous m’auriez demandé la différence entre Linux et Velux, je n’aurais pas été capable de vous en dire beaucoup plus.
Je suis arrivé au numérique, à l’open source et au sujet de ce B-Boost très tard en fait. L’idée de cette présentation c’est de vous montrer un fil conducteur, un cas concret sur quels types de contraintes on a aujourd’hui dans le système de santé quand on est professionnel de santé et qu’est-ce que l’open source, l’open data et le numérique vont nous permettre de faire. En fait, le projet que je vais vous présenter c’est un peu l’histoire de comment on a tenté de trouver des solutions à des problématiques qui n’étaient vraiment pas évidentes et complexes à gérer dans leurs diversités de contraintes.
L’association, l’entité morale qui porte ce projet c’est l’association P4pillon [1]. On fait de la recherche et développement en soins de premier recours sur quatre axes différents :
l’innovation organisationnelle, comment est-ce que des professionnels de santé vont travailler ensemble ;
l’innovation dans les pratiques professionnelles, c’est-à-dire une fois qu’on les a mis ensemble comment ils vont faire évoluer leur manière d’exercer leur métier ;
l’innovation numérique, c’est-à-dire quels types d’outils ils vont utiliser pour le faire ;
et puis in fine, l’innovation sociale c’est-à-dire comment ils vont créer du lien avec d’autres acteurs de terrain pour redéfinir des modèles économiques ou faire en sorte que les citoyens soient plus impliqués dans l’évolution de l’état de santé de leur territoire.

Enjeux

Je fais toujours un petit rappel sur les enjeux auxquels on est confrontés parce que c’est vraiment un sacré boxon.

Enjeu démographique.
C’est plutôt une bonne nouvelle, on a une augmentation de l’espérance de vie générale en France. Néanmoins, on a une stagnation de l’espérance de vie en bonne santé. C’est la mauvaise nouvelle, c’est-à-dire que statistiquement, OK, vous allez vivre longtemps, mais la qualité sur la fin de vie ne va pas être terrible et, grosso modo, statistiquement on est malade à 63 ans pour les hommes, 64 ans pour les femmes. Donc vous allez bosser et, au moment où vous allez partir en retraite, statistiquement parlant vous allez être malade, en tout cas votre qualité de vie va être dégradée par votre état de santé. C’est le premier enjeu démographique général.
Deuxième enjeu démographique c’est ce qu’on appelle le papy-boom des professionnels de santé, c’est-à-dire que et tous les professionnels de santé qui se sont formés, qui sont nés dans la phase du baby-boom, partent en retraite, donc ça se traduit par ce qu’on appelle la désertification médicale, j’imagine que vous avez déjà entendu ce terme, qui fait que dans des compagnes on a du mal à trouver des jeunes médecins ou autres pour venir soigner les gens.
C’est le premier type de transition démographique qui pose un sacré problème, c’est-à-dire qu’on a une augmentation des besoins en soins, parce qu’on j’augmente l’espérance de vie d‘un côté mais on n’augmente pas l’espérance de vie en bonne santé de l’autre, globalement on a un volume de soins, on a un gâteau qui grossit, et parallèlement on a un problème démographique d’offre où on a une offre qui diminue à cause d’un effet papy-boom plus une mauvaise gestion de ce qu‘on appelle le numerus clausus à l’entrée des facultés de médecine qui fait qu’on a en plus ajouté une pénurie de médecins à une pénurie de médecins annoncée d’un point de vue démographique. On appelle ça un effet ciseau dans les courbes, c’est-à-dire que augmentation des besoins, diminution de l’offre, en général c’est rarement une bonne nouvelle parce que ça vient mettre un gros coup de stress à l’écosystème des soins. On parlera de résilience à un moment donné.

Autre enjeu qui est épidémiologique.
Quand on a construit le système de santé au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’enjeu c’était la pathologie chronique ; c’était comment va-t-on diagnostiquer une pneumonie chez une mamie et lui apporter un antibiotique, c’est comment va-t-on traiter les jambes cassées et les accidents de bagnole parce que ça y est, il commence à y avoir une bagnole dans chaque foyer français, forcément il y a plus d’accidents, donc il faut un hôpital pour réparer les jambes cassées. Ce sont des grandes campagnes de santé publique de prévention pour la poliomyélite chez les enfants, ce sont des grandes campagnes de vaccination, mais il n’y avait pas les maladies chroniques telles qu’on les connaît actuellement. Il n’y avait pas de cancers, on bouffait bio parce qu’il n’y avait pas encore, on va dire, de traitements chimiques intensifs dans l’agriculture, les gens étaient encore dans le manger/bouger au quotidien, il n’y avait pas la téloche, on ne restait pas le cul coincé dans un canapé à regarder Netflix toute la journée en bouffant des barres chocolatées, pour prendre un exemple très trivial et caricatural, ce que j’ai fait moi aussi à une époque. Donc les enjeux sont devenus liés à la pathologie chronique et cette pathologie chronique est complexe. C’est-à-dire que quand vous devez soigner une personne qui a un diabète, il faut qu’elle voie le médecin, il faut qu’elle voie l’infirmier, il faut qu’elle voie le podologue, il faut qu’elle voie le spécialiste, il faut qu’elle aille à l’hôpital. Si elle a des problèmes au niveau des yeux il faut qu’elle voie l’ophtalmo, si ça se trouve elle va avoir une infection au niveau du pied, parce que son diabète est mal équilibré, donc il va falloir qu’elle ait des pansements très régulièrement, etc. Donc la pathologie, en plus d’être chronique, est beaucoup plus compliquée et elle nécessite une pluralité d’acteurs pour faire correctement le taf. Là aussi le profil des besoins s’est complexifié et nécessite une pluralité d’acteurs.

Ensuite enjeu technologique, fulgurant.
Quand j’étais au collège on n’avait pas encore de smartphone, maintenant on a des applis, on a de la télémédecine, on a des trucs qui produisent de la donnée, on a des algorithmes d’intelligence artificielle. Qu’est-ce qui va être fait de la donnée ?, ça lève tout un tas de questions d’un point de vue éthique. Comment est-ce qu’on traite la donnée ? Est-ce qu’on traite la pertinence de l’outil technologique parce que la techno c’est super bien quand c’est vendu par le « marketeur » qui vient de lever des fonds sur Linkedin, tout est génial. En fait, quand on regarde vraiment ce qui se passe dans la santé numérique, dans la e-santé, 98 % de ce qui sort c’est du gros bullshit, parce que ce n’est pas évalué. On n’évalue pas la pertinence des choses.
À côté de ça, il y a des technologies qui viennent vraiment rendre service : le partage du dossier médical, parce que le dossier médical est hébergé dans un serveur web, c’est intéressant parce que ça va me permettre d’accéder à l’information plus rapidement, peu importe où je suis dès lors que j’ai une connexion. Les biotechnologies ont permis de développer des médicaments qui font que maintenant une maladie qui était mortelle devient chronique ou une maladie qui était chronique on arrive à la soigner. Vous prenez par exemple l’hépatite C, maintenant il y a des traitements – ça coûte 80 000 euros la cure –, mais des gens qui sont malades chroniques d’une hépatite C, ils prennent ce traitement, ils sont guéris. En fait c’est le sens de l’histoire dans la thérapeutique. Moi je suis pharmacien, mon but c’est que si je suis face à une maladie mortelle c’est de la chroniciser, si je suis face à une maladie chronique, mon but c’est de la soigner.

Enjeu sociologique.
Grosso modo, c’est quoi ? Côté professionnels de santé, les médecins ne veulent plus exercer comme les médecins du siècle dernier, c’est-à-dire 14 heures de travail sept jours sur sept, taillables, corvéables à souhait, à merci, dans n’importe quelle campagne de France. On aspire tous à un équilibre vie privée/vie professionnelle, en gros on aspire tous à la quête du bonheur et disons que d’un point de vue sociologique, quand on sort de la fac on n’a pas envie de se faire broyer par un système qui est dans des contraintes de cisaillement, je le rappelle, sur le côté démographique, augmentation des besoins/diminution de l’offre. Donc forcément un jeune médecin n’a pas envie d’aller s’installer tout seul au fin fond d’une campagne pour se faire bouffer la tronche.
Ensuite, côté sociologique, il y a aussi l’approche liée aux patients. C’est-à-dire que les patients qui sont atteints de pathologies chroniques, qui ont accès à Internet, ils ont accès à l’information, donc ils vont se documenter. Moi, en tant que professionnel de santé, je me retrouve parfois face à des patients qui en savent beaucoup plus sur leur maladie que moi. Quelqu’un qui vit avec une sclérose en plaques depuis l’âge de 18 ans en sait plus sur la sclérose en plaques que moi. Ça pose des changements de posture dans la manière dont on approche le soin et la santé vis-à-vis des patients. Il faut accepter que les gens qui sont atteints de pathologies chroniques soient les experts du vivre avec la maladie où moi je vais être l’expert du médicament qui permet de traiter la maladie. Il y a des changements de posture très radicaux qui s’opèrent aujourd’hui d’un point de vue sociologique dans la relation soignant-soigné.

Transition économique.
Elle est intiment liée à la transition énergétique. N’importe quel politique qui vous parle de croissance dans un programme est un menteur parce que, aujourd’hui, la croissance n’existe pas, à vrai dire ça n’existe plus depuis les années 1972, les premiers chocs pétroliers. Si vous vous intéressez à la macroéconomie et que vous vous intéressez à ce qu’est un bilan actif/passif, en fait on a créé de la dette publique pour financer du produit intérieur brut depuis les années 1970 et, en termes de tendance, le monde occidental est en récession depuis 50 ans et c’est parti pour durer. Malheureusement ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’on va avoir une diminution de notre capacité d’investissement pour transformer les systèmes de santé ou autres.

Dernier enjeu qui est de loin le plus gros, qui est aussi lié aux enjeux économiques parce que les enjeux économiques sont liés aux enjeux énergétiques, c’est l’écologie où là, clairement, lisez le rapport pour décideurs du GIEC, ça vous donnera une petite idée de ce qui nous attend. Malheureusement, on va devoir être très créatifs, être dans le bien commun et tous pousser dans le même sens pour essayer d’avoir quelque chose qui soit soutenable dans les 10/20/30 ans. Ça va vraiment être le défi de ces trente prochaines années.

Donc l’équation c’est quoi ? Il faut arriver à faire plus avec moins. On va devoir le faire mieux et le faire vite, dans les soins notamment, et parallèlement on va devoir développer des stratégies de maintien en bonne santé, c’est-à-dire en faisant par exemple de la prévention et ça, en France, on ne sait pas faire. Pourquoi ? Parce que Houston, we have a problem. J’adore les métaphores cinématographiques. Si vous voulez vous faire une soirée Apollo 13 qui résume un peu la situation dans laquelle on est aujourd’hui, c’est-à-dire isolés dans l’espace avec du CO2 qui augmente dans notre espace vital, des changements de température qui remettent en question l’habitabilité de la capsule Apollo 13, un réservoir d’oxygène qui explose, qui apporte plein de problèmes et des problèmes d’énergie pour, finalement, ramener la capsule Apollo à bon port. C’est exactement ce qui nous arrive. Dans Apollo 13, pour Tom Hanks et ses petits copains c’est un happy end, c’est plutôt sympa, mais, en ce qui nous concerne, est-ce que ce sera vraiment un happy end, on n’en sait rien !
On a un problème notamment dans le système de santé parce qu’on a un paradigme économique lié aux structures économiques des pays occidentaux, à savoir la croissance économique et le capitalisme qui font qu’aujourd’hui, en tant que professionnel de santé, plus les gens sont malades plus je gagne ma vie. C’est valable pour les pharmaciens, c’est valable pour les infirmiers, c’est valable pour les médecins, c’est valable pour l’hôpital, c’est valable pour les kinés, c’est valable pour tout le monde. Pourquoi ? Parce que les modes de rémunération ont été construits dans leurs fondements au sortir de la Seconde Guerre mondiale sur des enjeux liés à des soins aigus : la jambe cassée, la pneumonie de madame Michu. Donc les modes de rémunération sont basés sur de l’activité. Un médecin fait un diagnostic, il touche 25 euros ; un pharmacien dispense un antibiotique, il touche 10 balles ; un kiné fait un massage d’un genou, il touche 12 balles ; une infirmière fait un pansement ou injecte un vaccin, elle touche 6 euros. Nous ne sommes pas rémunérés, aujourd’hui, sur notre capacité à maintenir en bonne santé un territoire. Je le dis autrement : aujourd’hui, si je fais de la prévention en tant que pharmacien, à moyen terme et à long terme je vais vendre moins de médicaments, donc je vais diminuer mon chiffre d’affaires, donc je vais raboter ma marge commerciale. La réalité du monde dans lequel on vit aujourd’hui d’un point de vue citoyen c’est que vos impôts financent un système de santé qui ne passe pas des conventions avec des professionnels de santé qui auraient un intérêt à vous voir en bonne santé. C’est quand même assez paradoxal ! Finalement la maladie est une très bonne nouvelle pour le produit intérieur brut d’un pays parce que ça fait tourner les hôpitaux, ça fait tourner l’économie, ça fait tourner les ambulanciers. Ce qu’il faut c’est que vous ne mourriez pas. Si vous êtes mort, vous ne pourrez plus consommer donc c’est un problème d’un point de vue du PIB. Si vous êtes malade à 63 ou 64 ans parce que vous entrez en retraite et que vous vivez très longtemps, vous allez consommer du soin, donc vous allez créer de la valeur économique.
C’est terrible ce que je suis en train de dire, je le dis avec une certaine légèreté, mais c’est terrible. On n’a qu’une heure alors je suis obligé d’y aller direct.

Mon comptable, monsieur V., me dit souvent « Monsieur Prioux c’est super ce que vous voulez développer comme projet, développer la prévention, etc., mais économiquement la prévention c’est pour les cons » et il a raison.

Concept d’émergence

Quand on prend tous les problèmes auxquels on est confrontés sur le terrain dans le monde qui nous entoure, dans sa complexité et dans, on va dire, son caractère, on peut vite avoir la sensation d’être dans une impasse. Si on n’a pas la capacité de faire abstraction de tous ces facteurs-là sur lesquels on n‘a pas forcément d’influence – décarboner l’économie mondiale comment fait-on ? On peut aller voir les amis de l’ADEME, peut-être que ça permet d’aider déjà sur un premier travail, mais ce sont des enjeux qui nous dépassent tous. On peut essayer de jouer sur nos modes de consommation, etc., mais grosso modo on a besoin de faire abstraction pour ne pas devenir dingue.
Dans le système de santé, notamment dans les soins de premier recours donc les médecins généralistes, les infirmiers, les kinés, les pharmaciens, on utilise beaucoup ce concept philosophique, qui est l’émergence, qui dit que le tout offre plus de possibilités que la somme des parties. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire quand on a des médecins, des infirmiers, des kinés, des pharmaciens qui travaillent ensemble ça offre plus de possibilités créatives, fécondes, en termes de prise en charge des patients, que si on a des médecins, des infirmiers, des kinés, des pharmaciens qui ne travaillent pas ensemble et historiquement c’est le cas. Historiquement on est tous très divisés. Historiquement on n’a pas tous accès au dossier médical des personnes. On n’a pas de partage de l’information, historiquement et même aujourd’hui d’ailleurs ce n’est clairement pas une réalité. C’est le cas dans certains endroits, mais le dossier médical partagé français jusqu’à présent c’est un échec.

Notre laboratoire

Ensuite que fait-on ? On va expérimenter. Notre laboratoire c’est une équipe de soins, ce sont des médecins, des infirmiers, des kinés, des pharmaciens, dont je fais partie. Je coordonne une équipe de soins qui est sur un territoire très rural qui est le plateau de Millevaches. Comment bosse-t-on ? On bosse avec un système d’information partagé, connecté à Internet, qui héberge le dossier médical sur un serveur sécurisé. Donc peu importe où on est sur le territoire, peu importe qui on est dès lors qu’on a les droits, on peut accéder au dossier médical des patients, donc on est ici en Nouvelle-Aquitaine, en Haute-Corrèze ou en basse Creuse profonde, on cumule les adjectifs.
Il faut savoir que dans les facs de médecine les grands professeurs disent aux médecins « travaille bien mon gars sinon tu finiras médecin généraliste dans la Creuse ». Eh bien nous sommes des médecins généralistes et d’autres professionnels de santé au fin fond de la Creuse, mais il faut savoir que les contraintes forgent l’innovation. L’innovation, la vraie, c’est une résultante évolutive. Les innovateurs qui innovent pertinemment pour répondre à un besoin ne se sont pas dit un jour où ils étaient dans leur canapé tranquillement en train de siroter un Morito « tiens, je ne sais pas quoi faire aujourd’hui, je vais innover, monter une boite pour lever des fonds et être à la retraite à 30 ans après avoir vendu ma techno à la con à un GAFAM ». Ce n’est pas ça l’innovation ; ça, ça n’a pas d’utilité dans le monde tel qu’il va être dans les 10, 20 ou 30 ans. L’innovation c’est comment on va s’adapter à des changements environnementaux. Comment on va être résilients pour pouvoir encaisser les imprévus, les surprises que le monde va nous apporter dans les 10/20/30 ans ? Et le fait de faire ça en groupe, ça nous donne de la résilience. La vraie loi de la jungle c’est l’entraide, la coopération, l’interdépendance. Pourquoi ? Parce que, dans les écosystèmes, on se rend compte que ceux qui survivent le mieux ou qui survivent le plus longtemps ce sont les individus qui savent se rendre indispensables aux yeux des autres, pas forcément les plus forts. Plus j’ai besoin de l’autre et plus l’autre a besoin de moi, plus on va s’entraider pour se donner une capacité de survie et, d’un point de vue purement biologique, de reproduction.

Effet papillon

Autre moyen de faire abstraction quand on veut innover dans un système dynamique et complexe on se pose la question : qu’est-ce qui conditionne l’évolution des systèmes dynamiques et complexes ? S’il y en a qui sont fans de météorologie, je vous renvoie à un mec qui s’appelle Edward Lorenz à qui on doit cette fameuse phrase « est-ce que le battement d’aile d’un papillon au Brésil peut déclencher une tornade au Texas ? » Oui, c’est possible, mais ça ne veut pas dire que tous les battements de papillons peuvent déclencher des tornades au Texas. Ça veut dire que dès lors qu’on a une modification de certaines conditions initiales infimes dans un système dynamique et complexe et que ces conditions sont ce qu’on appelle entretenues, on peut avoir, à partir d’un tout petit détail, une transformation beaucoup plus systémique des systèmes dynamiques et complexes. Et en météorologie c’est la base.

On se pose la question : le système de santé est un système dynamique et complexe comment va-t-on faire pour le transformer à notre échelle en ciblant des petites conditions qui vont nous permettre de libérer du temps ?, parce qu’on manque de temps aujourd’hui.

On a ciblé deux choses. Une qui est hyper importante, c’est la notion d’avoir des prescriptions médicales en semaines au lieu des mois et une un petit peu plus technique et plus liée à la profession de pharmacien qui est la notion de pharmacien correspondant, mais je vais essayer de passer rapidement là-dessus parce que c’est une présentation générique, je ne l’ai pas forcément l’adaptée au public du B-Boost, mais l’idée c’est que vous compreniez le concept d’effet papillon dans le système de santé.

L’origine du bug

Il n’y a pas de campagne de bug bounty au ministère de la Santé, mais c‘est typiquement un détail, un bug dans le système qui permettrait de transformer les choses de manière structurelle.
Vous avez une slide avec Panoramix qui est devant la maison de Numérobis qui est toute tordue et qui lui dit : « Eh mec !, tu n’utilises pas le système métrique international ». Ce à quoi il lui répond : « Juste mon charpentier. Mon maçon utilise le pied romain, mon plombier la coudée ancienne et mon électricien je ne sais même pas, ce mec est trop bizarre ! »

Je refais un peu l’histoire. Je vous ai dit que les pathologies sont chroniques, je vous ai dit que les pathologies sont complexes et qu’elles nécessitent tout un tas d’acteurs. Ces pathologies nécessitent donc que les gens se coordonnent pour pouvoir prendre en charge des patients dans les dimensions qui sont les nôtres en tant qu’humains c’est-à-dire l’espace et le temps. Donc ma vraie question c’est : est-ce que le mois est un indicateur de temporalité intéressant pour coordonner des gens dans le temps ? La réponse est non, parce que dans un mois il y a 31 jours, 30 jours, 28, 29 tous les quatre ans, c’est un merdier sans nom. Comment voulez-vous bâtir des algorithmes de prise en charge des patients avec un indicateur de temporalité qui est instable ? Ce n’est pas possible.
Donc une des premières choses que j’ai faites dans mon laboratoire de recherche, je suis allé voir les médecins je leur ai dit « arrêtez de prescrire des ordonnances en mois, prescrivez en semaines parce que dans une semaine, jusqu’à ce qu’on me prouve le contraire, il y a toujours sept jours. » Donc je vais pouvoir bâtir une norme temporelle et je vais pouvoir bâtir, à partir de cette norme-là, des algorithmes de prise en charge des patients.

Une partie de mon travail a consisté à trouver un développeur qui a développé un logiciel de pharmacie.
Je suis aussi entrepreneur dans le numérique. Le hasard a mis sur ma route un développeur qui avait développé un logiciel de pharmacie pour sa femme, parce qu’il en avait marre de la voir se faire empapaouter par les fournisseurs de logiciels propriétaires – empapaouter est un terme gentil pour dire autre chose. Les pharmaciens sont de vraies vaches à lait dans le système de santé, ils payent très cher des choses qui clairement ne les valent pas et pour des capacités d’adaptation ensuite à leurs besoins qui sont très mauvaises. En clair, avec les idées que j’avais, je suis allé voir des boîtes informatiques qui m’ont ri au nez. Tant que ça ne vient pas répondre à un besoin économique de l’utilisateur, les éditeurs de logiciels n’investissent pas de R&D pour des choses sur lesquelles ils ne vont pas pouvoir avoir un retour sur la R&D en termes économiques. C’est un peu le drame. C’est pour ça que « ah ! Tiens ! Logiciel libre, avoir accès au code source ça pourrait finalement être intéressant ». C’est à ce moment-là qu’on a commencé à réfléchir à ça.
Donc je m’associe avec ce mec-là et je lui dis c’est très simple, on va réinventer la manière de gérer un stock de pharmacie en se basant sur un code couleurs : quatre couleurs qui correspondent à quatre semaines, qui reviennent dans un cycle redondant à ce niveau-là, ce qui fait si une personne, admettons, là c’est moi, je définis un code couleur, je vais dire je suis semaine rouge parce que je suis allé voir le médecin une semaine rouge ; la probabilité que je revienne une semaine rouge puis une semaine rouge, puis une semaine rouge parce que dans l’un des médicaments que j’utilise il n’y a que 28 comprimés et que je suis censé en prendre un par jour, la probabilité est quasiment de un.
Donc je suis en train de vous dire quoi ? Je suis en train de vous dire qu’avec quatre STABILO BOSS, avec un calendrier et quelques heures de développement en VB.net sur une techno, je ne vais pas dire obsolète mais quelque chose de très simple, on a inventé le premier logiciel de gestion prédictive et personnalisée des parcours de soins pharmaceutiques.

Quand on regarde les publications sur Linkedin, des trucs qui sont dans la médecine, il y a un truc que les marketeux aiment beaucoup c’est la médecine des quatre « p », la médecine préventive, participative, prédictive et personnalisée, on vous balance des trucs avec des algorithmes d’intelligence artificielle basés sur des données qui remontent d’objets connectés, tout ça c’est de la « daubasse ». Comment fait-on du prédictif et du personnalisé ? Juste déjà avec un début de bon sens. C’est-à-dire que la personne vient ici, dans la boîte de médicaments il n’y a que 28 comprimés, la probabilité qu’elle revienne là est très forte. Ce qui veut dire que 10 jours avant cette semaine-là je vais commander tous les médicaments pour toutes les personnes qui sont de la couleur rouge en même temps et quand je vais recevoir les médicaments, je vais d’entrée de jeu les ranger dans des barquettes au nom des personnes. C’est un truc low tech à la con. J’ai acheté des armoires, je les ai repeintes ; j’ai acheté des barquettes en carton et j’ai inventé une gestion de stock personnalisée basée sur ce code couleur-là.

Quand vous allez dans une pharmacie, vous ne voyez pas comment c’est organisé derrière, le back-office, la gestion des stocks, etc. Souvent il y a des grands tiroirs où les médicaments sont rangés de A à Z. Si les pharmaciens ont les moyens ils achètent des gros robots qui leur apportent les boîtes de médicaments directement au comptoir, ce sont des trucs qui coûtent 300 000 balles. Ce que vous ne voyez pas c’est qu’il y a énormément de tâches de manutention pour réceptionner les commandes, pour remplir les tiroirs, gérer une réserve, remplir le robot ; des fois on peut remplir le robot directement, c’est une option qui coûte 100 000 balles, c’est le robot qui trie les boîtes directement. Mais au final, la gestion du stock n’est absolument pas personnalisée. Il n’y a pas ce qu’on appelle d’ordonnancement logistique de la gestion de stock dans les pharmacies.

Si je sais que toutes les personnes qui ont le code rouge viennent la semaine prochaine, je mets directement leurs médicaments dans des barquettes à leur nom, le tout dans une armoire rouge qui est sur roulettes parce que, d’une semaine à l’autre, soit il faut que je la mette près de mon espace de dispensation soit il faut que je la mette près de mon espace de réception de commandes, etc. Et puis, accessoirement, ça fait un média de communication.

Dans le système de santé on ne sait pas communiquer. On n’est pas capable, par exemple à l’échelon de la France, et d’un point de vue c’est très heureux, de connaître toutes les personnes qui fument pour pouvoir leur envoyer un SMS pour leur dire « le mois prochain c’est la campagne du mois sans tabac, allez voir vos professionnels de santé pour essayer d’arrêter de fumer ». On ne sait pas faire de la prévention personnalisée, parce qu’on n’a pas accès à des déterminants de santé personnalisés.
Là, on a un début de commencement de moyen de communication personnalisé.

Avez-vous suivi l’affaire Levothyrox ? Ça vous parle ? Un petit peu là-bas. C’est un médicament dont on a changé la formule et ça a créé plein de problèmes. Si on avait eu une campagne de communication personnalisée envers tous les gens qui prenaient ce médicament, on aurait pu imprimer un tri-volet, le mettre dans la barquette au nom de la personne dont on sait qu’elle prend du Levothyrox et dire « il va y avoir un changement de formule du médicament, ça risque d’être le merdier pour votre thyroïde. Si vous avez un problème venez me voir, je vous prends un rendez-vous chez le médecin ». Ça n’a pas été fait et ça a créé un gros scandale avec des suites judiciaires, etc. Je vous invite à regarder ce que c’était que le scandale du Levothyrox.

Note Bene

Personne n’aime gaspiller. Est-ce qu’on aime gaspiller les médicaments ? Encore moins ! Si demain tous les industriels faisaient des boîtes dans lesquelles il y a 28 comprimés, et si demain tous les médecins prescrivaient en multiples de semaines, d’un point de vue conceptuel on fait de la dispensation à l’unité des médicaments pour un coût marginal proche de 0.
J’ai présenté ça en commission de l’Assemblée nationale sur les questions de santé, ils ont halluciné ! Oui. Si on a des médecins qui prescrivent en semaines dans des pathologies chroniques, la personne va prendre des médicaments quasiment toute sa vie, et que les médicaments qu’elle prend sont dans des boîtes dans lesquelles il y a un multiple de semaines, des boîtes de 28, de 56 ou de 84 selon si elle en prend un ou deux ou trois par jour, on fait de la dispensation à l’unité, donc on évite de gaspiller des médicaments.
La simple question de raisonner en multiples de semaines et de l’adapter d’un point de vue industriel, en termes d’impact environnemental et de diminution du gaspillage des médicaments, ce serait tellement énorme que je suis incapable de le chiffrer ! Coût de la réforme ? Peanuts. Il faut demander à Jean-Michel, chez Sanofi, de changer un moule à blisters.

Deuxième effet papillon

Là on commence à rentrer dans le système info. Ce que je vous ai montré avant c’est de la low tech, c’est un peu de développement, c’est du bon sens, n’importe quel pharmacien en France pourrait faire ça. Et nous sommes en train d’essayer de libérer le code source de notre prototype pour que les éditeurs de logiciels de pharmacie nous copient, même les propriétaires, parce qu’on pense que ça vaut le coup que les propriétaires changent leur paradigme de gestion de stock parce que ça permettrait de gérer des économies.

Tout à l’heure je vous disais qu’on travaille en pluridisciplinarité, ça veut dire que je partage le dossier médical avec les médecins, les infirmiers, les kinés du coin. J’espère que vous êtes bien assis, on a inventé la notification. Vous êtes bien assis, tout va bien !
Quand on est patient chronique, on aime bien ses petites habitudes, quand on est une personne âgée aussi, on aime bien ses petites habitudes. Tous les gens que je vois dans ma pharmacie, qui ont une petite barquette, ils viennent me voir tous les mois, pardon !, toutes les quatre semaines pour être précis. Ils viennent soit parce qu’ils m’aiment bien, soit parce que je suis le plus près, la question n’est pas forcément là. Vous avez déjà entendu parler du médecin traitant, logiquement vous êtes censé déclarer un médecin traitant qui va vous orienter dans votre parcours de soin. Il existe une disposition réglementaire qui s’appelle le pharmacien correspondant, c’est un peu le même principe que le médecin traitant mais pour les pharmaciens. Les patients peuvent, aujourd’hui, déclarer leur pharmacien correspondant.
Qu’est-ce qu’on a fait ? On est allé voir les éditeurs de cette solution propriétaire – il n’y a pas de logiciels libres pour les maisons de santé aujourd’hui en France, on y travaille mais pour l’instant il n’y a pas – et on leur a dit « c’est simple, il faut me créer un encart « pharmacien correspondant » et si le patient me désigne pharmacien correspondant, dès que le médecin fait une nouvelle ordonnance, j’aimerais bien avoir une alerte en temps réel ». Je ne parle même pas d’envoyer l’ordonnance, l’ordonnance ne passe même pas sur un serveur ou quoi que ce soit, simplement sur notre logiciel on a une chatbox sécurisée, dès qu’il y a une nouvelle ordonnance, je veux une nouvelle notification. Tu me dis : « Madame Michu a une ordonnance, prépare-toi, elle vient c’est pour une crise hémorroïdes ou autre chose, peu importe ! Dans tous les cas il faut que tu prépares, que tu anticipes sa venue pour gagner du temps. »

Voilà notre preuve de concept. C’est-à-dire que dans le monde actuel, le cas classique aujourd’hui, vous avez un médecin qui fait une ordonnance à quelqu’un qui marche jusqu’à la pharmacie. Là vous faites une analyse pharmaceutique. Le métier de pharmacien ce n’est pas pousser des boîtes sur ordre des médecins, ce n’est pas ça. À la base nous sommes les gardiens des poisons, c’est-à-dire que techniquement nous sommes censé contrôler le travail du médecin d’un point de vue pharmaco-thérapeutique. C’est-à-dire que les médecins prescrivent parfois mal, le Mediator par exemple, c’est typiquement un cas où les médecins prescrivaient hors autorisation de mise sur le marché, c’est-à-dire qu’ils prescrivaient ce médicament-là en tant que coupe-faim pour que les personnes diminuent leur poids et pas simplement dans les indications de diabète, et ça nous a amené le scandale, Irène Frachon, des morts, des valvulopathies, des handicaps à vie, des choses tout à fait dégueulasses. On aime bien en mettre plein la tronche aux laboratoires pharmaceutiques parce que c’est facile, les médecins et les pharmaciens, en France, ont une responsabilité qui pourtant n’a pas été portée par ces deux professions respectives.
Quand on veut faire une analyse pharmaco-thérapeutique poussée, ce qui se fait à l’hôpital dans les services d’oncologie notamment, beaucoup, qui traitent les cancers, on a besoin d’énormément d’informations. Les éléments de base sur le patient – combien pèse-il par exemple –, l’histoire de la maladie – quelle est maladie, depuis combien de temps, est-ce qu’il a fait des complications ou pas –, qu’est-ce qu’il a eu comme traitements dans sa vie, qu’est-ce qu’il a comme facteurs de risque – il fume, il ne fume pas, il est sédentaire, il habite dans une baraque dans laquelle il ne peut pas payer le chauffage, donc il a froid –, les examens complémentaires disponibles – quel est l’historique de ses biologies par exemple, est-ce qu’il a eu des radios et tout un tas de données.
Donc quand on veut bien faire son travail de pharmacien on a besoin d’accéder à tout un tas d’informations et historiquement les pharmaciens n’ont pas accès au dossier médical des gens. Comment voulez-vous qu’ils fassent correctement leur travail s’ils n’ont pas accès à l’information ? Ce n’est pas possible ! On en revient toujours à cette grande thématique qui est qu’avoir de l’information c’est diminuer l’incertitude ; diminuer l’incertitude c’est augmenter notre capacité de prendre les bonnes décisions. Ça vaut pour la DGSE, la DGSI, comme un médecin et un pharmacien qui doivent prendre en charge un patient. On ne fait pas de géopolitique si on n’a pas un service de renseignement extérieur ! On ne peut pas faire correctement une dispensation d’ordonnance, si on ne sait pas si le rein de madame Michu fonctionne bien ou pas, parce que ça va forcément conditionner la dose de médicament qu’on va donner. Et comme on le dit, c’est un adage qui est quand même assez connu, c’est la dose qui fait le poison. Tout à l’heure quand je disais que je suis le gardien des poisons c’est ça ma vision du métier, ce n’est pas de pousser des boîtes.

Là mon analyse pharmaceutique aujourd’hui en France n‘est pas bonne parce que je n’ai pas accès à l’information. Ensuite je fais beaucoup de manutention, je scanne des boîtes, je fais de la facturation SESAM-Vitale pour la sécu. Tout ça c’est très bien, je n’ai rien contre les manutentionnaires et je n’ai rien contre les administratifs, mais ce n’est pas mon métier, j’ai fait six années d’études, parfois neuf quand je fais de la pharmacie clinique, pour faire de la manutention ! Sachant que ce sont les impôts qui financent mes études, c’est quand même dommage qu’on ne m’utilise pas à plein temps pour les compétences que j’ai acquises durant mon cursus universitaire.
À la fin, pour donner des conseils, ce n’est pas terrible non plus parce que je ne suis pas en zone de confidentialité. Tout à l’heure je vous parlais de madame Michu qui vient pour son problème d’hémorroïdes. Quand on est au comptoir, qu’on doit aborder ce type de problème, que derrière il y a un jeune cadre dynamique qui vient juste pour acheter sa vitamine ou une maman qui vient acheter une tototte parce que le gamin est en train de péter un câble parce que la dernière tototte a été perdue, bon ! La confidentialité dans les pharmacies c’est une vaste blague. Il suffit d’y aller pour le comprendre, on n’a pas besoin de faire une étude en double aveugle pour arriver à le prouver. Donc ça pose tout un tas de problèmes sur la qualité de la prise en charge.

Voilà ce qu’on fait. On travaille en équipe avec des médecins. On a une ordonnance notifiée en temps réel. Pendant que madame Michu vient à la pharmacie soit j’ai déjà préparé son traitement, si c’est un personne qui vient me voir régulièrement il est déjà dans sa petite barquette, je l’ai pré-préparé, en plus j’ai shunté plein d’étapes de manutention, donc j’ai gagné du temps ; si c’est un traitement aigu je délègue la préparation de ce traitement-là au préparateur par exemple. Je fais une analyse pharmaceutique poussée parce que j’ai accès au dossier médical. Et quand elle arrive, s’il y a besoin de la recevoir en zone de confidentialité, vas-y mon gars. S’il n’y a pas besoin parce que c’est une angine chez une ado, peu importe, OK, tu vas prendre un antibiotique, tu as mal à la gorge, même s’il y a, derrière, quelqu’un qui entend ce n’est pas très grave en soi, ce n’est pas une donnée sensible comme tu as le sida ou pas, ce n’est pas le même contexte. Donc on va économiser énormément de temps.

Quand je vous disais l’effet papillon c’est d’arriver à entretenir certaines conditions d’un point de vue stratégique c’est qu’est-ce que je vais faire de ce temps-là ? J’ai compris que l’accès à l’information c’est quand même quelque chose d’hyper-structurant, donc je vais produire de la data, notamment des données de santé, notamment des déterminants de santé. Pourquoi des déterminants de santé ?
Il faut savoir que quand on veut faire de la prévention, je vais dire une chose, là aussi asseyez-vous bien, il faut aussi voir les gens qui ne sont pas malades, ça s’appelle la prévention primaire. La question que je pose : en France, est-ce que vous connaissez beaucoup de médecins qui passent leurs journées à voir des gens pas malades ? J‘aime bien raisonner par l’absurde ! Un système de santé et pas un système de soins, un vrai système de santé fait tout un tas de préventions, primaire, secondaire, tertiaire et même quaternaire, ça s’appelle la fin de vie, ça s’appelle les soins palliatifs, tout un tas de préventions dans le cycle d’une maladie. La prévention primaire c’est, par exemple, faire des recommandations sur l’hygiène alimentaire à un jeune adulte ; c’est le manger/bouger, un peu le spot télé qu’on voit des fois. Là l’idée c’est d’appliquer ces techniques de prévention de manière personnalisée en ayant structuré les déterminants de santé d’une personne. En Limousin nous avons un problème avec le radon, un gaz radioactif largué par le granit dans les maisons et si les gens ne pensent pas à aérer dix minutes, un quart d’heure tous les jours leur maison, ils ont un sur-risque de cancer du poumon à cause du radon. Le simple fait de dire « pensez à aérer votre maison tous les jours parce qu’il y a du radon sur notre territoire », c’est un acte de prévention primaire qui est intéressant. Quelle est l’information intéressante là-dedans ? C’est est-ce que vous habitez dans une maison en granit ou pas ? C’est un déterminant de santé, c’est une information qu’il serait intéressant de structurer, bien qu’habiter dans une maison en granit, ou pas, ce n’est pas forcément quelque chose qu’on irait dire spontanément à son pharmacien ou à son médecin, pourtant ça peut déterminer, sur un temps long, le risque, ou pas, de faire un cancer du poumon, ce qui peut quand même être enquiquinant.
Les pharmaciens côtoient ce qu’on appelle toutes les tranches de risque, c’est-à-dire qu’entre la maman qui vient chercher une tototte à qui on peut faire un peu de prévention sur les perturbateurs endocriniens à la maison et une mamie qui sort d’un service d’oncologie d’un CHU très renommé, on voit tout le monde. On voit des gens pas malades du tout à des gens très malades. En plus il y a des pharmacies partout, on a un maillage territorial qui est excellent, d’un point de vue stratégique ça pourrait faire de nous demain des vraies sentinelles sur l’état de santé d’un territoire et sur ce qui détermine cet état de santé-là, un peu comme un périscope du système de santé, justement parce qu’on côtoie énormément de ce qu’on appelle des tranches de risque, des risques faibles aux risques forts, des gens pas malades aux gens malades. Donc on va produire de la data. En plus on a une culture de la production de données chez les pharmaciens.

Production participative et territoriale d’une base de données de santé structurée

Notre objectif stratégique – des pharmaciens au sein des équipes soignantes qui utilisent des systèmes d’information partagée – c’est de faire du crowdsourcing ; c’est de considérer le dossier du patient comme un Wikipédia sur lequel chaque professionnel de santé va pouvoir amener un petit peu d’information. On va compiler l’information, on va la discuter, on va la sourcer, on va la critiquer, comme ce qu’on fait sur Wikipédia, pour se dire à cet instant t, le point de vue le plus pertinent sur l’état de santé d’une personne et ce qu’il faudrait faire c’est ça. Ça peut évoluer, c’est toujours un peu subjectif, etc., mais c’est quand même ça.
Comment va-t-on intégrer dans notre projet de santé commun la manière dont on va prendre en charge les patients de manière individuelle ou un groupe de patients à l’échelon d’un territoire – par exemple tous les agriculteurs qui ont une souffrance psychologique, et il y en a beaucoup notamment chez moi ?
Une équipe de soins c’est un projet de santé commun qui utilise un outil commun – un système d’information partagé – et qui bâti une base de données commune. J’amène petit à petit le fil sur la question des communs, de l’open source, de l’open data. Donc on décloisonne l’information pour des questions évidentes de qualité des soins.

Gisement de données = le Graal

On fait de la small data, on ne fait pas du big data. Avoir une pression artérielle toutes les dix minutes de madame Michu, on s’en tape, on s’en fout complètement. Savoir qu’elle est hyper-tendue, oui, OK. Avoir tout un tas de devices connectés, IOT [Internet of Things], qui passent par du Bluetooth pour alimenter des bases de données qui finissent chez Google, bullshit, on s’en tape complètement, mais on reste quand même un Graal pour pas mal d’acteurs parce qu’on représente un gisement de données de vie réelle que personne n’a, parce que personne n’est aujourd’hui en capacité d’aller chercher ces données-là.
Donc aujourd’hui qu’a-t-on ? On a ce qui détermine la santé des gens, donc on peut faire du prédictif sur l’évolution de santé d’un territoire. On a des données biologiques, paracliniques, on a des données cliniques dans le temps – quelles maladies, à quel moment, les antécédents, etc. – on a des données médico-économiques – combien de fois est-il allé chez le médecin, l’infirmier, le pharmacien et combien tout ça a coûté. Si demain on doit penser le système de santé dans le cadre d’une contraction économique, j’en reviens à mon enjeu économique du début, faire plus avec moins, c’est intéressant de savoir, à qualité de prise en charge égale, ce qui coûte le moins, parce qu’on va avoir de moins en moins d’argent, il faut être performant. Et puis on a des données de dispensation d’adhésion thérapeutique qui sont très intéressantes pour éviter de se retrouver avec des scandales du type Mediator. Comment a été révélé le scandale du Médiator ? Bases de données, les bases de données de la sécu ont parlé et on a vu une causalité, pas une corrélation mais une causalité, entre la prise du Mediator et l’augmentation des valvulopathies.

Il est où le tableau de bord ?!?

Je vous disais tout à l’heure que les pharmaciens ont une culture de la production de données. En fait, il faut comprendre qu’on produit de la donnée en tant qu’entreprise pour piloter la stratégie de son entreprise d’un point de vue économique. Je peux requêter cette base de données-là pour sortir un chiffre d’affaires, une fréquentation, un panier moyen. J’ai même des gens qui me fournissent des outils pour me comparer aux autres acteurs de mon territoire : est-ce que la vitamine produite par Monsanto, je vais aller jusqu’au bout, est plus chère ou moins chère chez moi ou chez le voisin ? Bullshit ! Ça ne sert strictement à rien du point de vue de la santé publique. Par contre, on a des outils qui sont hyper-cools d’un point de vue de la data visualisation. Qu’est-ce qu’on dit ? On dit demain on remplace les indicateurs, on produit de la donnée où on a plutôt des déterminants de santé – les ALD [Affections de longue durée] – on va être capables de montrer que parce qu’on travaille bien on diminue les hospitalisations, etc., le tout avec des interfaces de data-visualisaton cartographiques pour se dire où est-ce que je peux faire mieux, comment est-ce que je peux me comparer avec d’autres territoires sur la qualité de ma prise en charge ? Quand on est en compétition sur la qualité de la prise en charge de patients, là c’est intéressant comme compétition. Quand on est en compétition sur le fait de faire du chiffre d’affaires dans un paradigme économique où plus les gens sont malades plus je gagne ma vie ! C’est un peu plus douteux !

RETEX

Je vais faire un retour d’expérience rapide. Quand on a eu le premier confinement du Covid, en une semaine on a mis ça en place. J’ai fait une requête avec mes copains : où sont mes patients isolés sur mon territoire rural qui ont plus de 75 ans et qui ont beaucoup de médicaments ? Je fais mon extraction, je transcris ça sur une interface cartographique avec les points bleu, jaune, rouge, vert, qui correspondent à mes petites barquettes et hop !, en quelques heures on a un outil de dispensation prédictif et personnalisé en période de Covid. Ça c’est de la résilience pure et dure. Qu’est-ce que je fais ? Je mets mes barquettes en carton dans une petite armoire que j’ai fabriquée avec le stagiaire qui était là à ce moment-là, je mets ça dans mon véhicule électrique, je livre mamie, Better, Faster, Stronger qu’Amazon ! Et vachement plus Better, Faster, Stronger qu’Amazon, clairement ! En plus qu’est-ce que ça me permet de faire ? Quand je passe chez les gens : comment ça va ? Tu as des symptômes ? Tu as Internet ? Tu manques de médicaments ? En plus, les points qu’on a placés, on les replace correctement pile-poil sur la bonne maison où habite mamie, parce que si demain l’infirmier qui vient la voir tous les jours et qui sait où elle habite d’un coup il a le Covid et que c’est quelqu’un qui doit le remplacer qui n’est pas de ce territoire-là, je vous parie ma main gauche qu’il va passer plus de temps à chercher là où habite mamie qu’à faire le pansement à mamie. C’est ça la résilience, c’est accéder à une information fiable pour pouvoir amortir un choc, amortir un imprévu, amortir une surprise. OK ?

Deuxième preuve de concept.
Je vous parle d’un tableur, je ne vous parle d’intelligence artificielle à base d’algorithmes, non. Je vous explique. On fait une extraction de données. On a 56 vaccins par semaine, à qui les donne-t-on ? Il faut définir des critères, plutôt des critères scientifiques. OK. Je n’ai pas peur. J’auto-gère ma base de données, je sors nom, prénom, l’âge, le médecin traitant, le statut vaccinal, s’il y a des comorbidités ou pas, est-ce que ce sont des malades chroniques, fragiles ou pas. Je filtre. J’ai un 06, j’ai une adresse mail, j’ai un nom, peu importe, j’ai un moyen de contacter ces gens-là. Je sors la liste des 56 personnes qui, sur des critères scientifiques, mériteraient d’avoir en premier leur dose de vaccin. Ça s’appelle une campagne de vaccination avec un outil stratégique, tout ce qu’on n’a pas connu. On m’a dit texto : « Monsieur Prioux votre tableau est super, mais non ! Il va falloir utiliser Doctolib ! ». J’ai rarement été aussi énervé que le jour où l’Agence régionale de santé m’a annoncé ça. Ce à quoi je leur ai dit « écoutez, monsieur Macron a dit que c’était la guerre, en économie de guerre on nationalise les banques. Donc vous rachetez Doctolib, vous arrêtez les licornes et les entrées en bourse à la con, vous libérez le code source et vous en faites un outil du bien commun. Là on pourrait commencer à discuter et je commencerai à envisager de me calmer ! ». Ils ne m’ont pas vraiment écouté !

Autre preuve de concept, ce qu’on appelle les cercles de qualité médecin-pharmacien. C’est un truc suisse, c’est un peu technique, mais je vais essayer de la faire en mode vulgarisé. Vu qu’on structure nos bases de données sur les prescriptions des médecins, on est capable de mouliner l’information pour savoir si les médecins prescrivent correctement. C’est ce que fait l’assurance maladie d’un certain point de vue, mais nous le faisons à notre échelle avec le but de nous améliorer.
Vous prenez par exemple un enjeu énorme, l’antibiorésistance ; je suis désolé, je vous le dis, dans 20 ans des gens qui vont mourir à cause d’une angine, c’est ce qui va se passer. Donc on a plutôt intérêt à vraiment changer notre manière d’utiliser les antibiotiques, il y a les spots télé, dans les ascenseurs, « ah ! Tu as pris des antibiotiques, c’est que tu n’es pas malade – ou l’inverse, je ne sais plus – les antibiotiques, ce n’est pas automatique, c’est super ». En attendant comment fait-on pour changer les habitudes de prescription de médecins qui ne regardent pas forcément les spots télé. Que se passe-t-il ?
Un pharmacien présente des données scientifiques issues de la littérature, des guidelines scientifiques des grands journaux internationaux sur des consensus sur l’usage de certains médicaments, on va comparer les données de ces consensus-là à nos données en local et on va être capable de sortir des profils de prescriptions de médicaments en fonction des médecins. Donc on va savoir quel médecin prescrit bien, quel médecin ne prescrit pas bien. Le but ce n’est pas de taper sur les doigts du médecin qui ne prescrit pas bien et de lui dire « tu es nul », c‘est de dire on va tous ensemble essayer de s’améliorer pour tous ensemble mieux prescrire les antibiotiques et faire en sorte de prouver dans les temps qu’on diminue, que nous faisons notre part dans la diminution de l’antibiorésistance. Et on peut le faire pour d’autres types de médicaments.

Ça c’est notre petit dernier, c’est une thèse d’une étudiante pharmacienne qui était à l’université de Bordeaux qui est venue travailler sur notre base de données. De nouveaux métiers apparaissent en fonction des besoins et on a besoin de mieux connaître les besoins d’un territoire pour mettre en face une offre. Quand on produit de la donnée structurée, on est capable de faire ce qu’on appelle du screening de patients.
Là il y a deux nouveaux métiers, c’est l’infirmier de pratiques avancées et l’accompagnement pharmaceutique par les pharmaciens correspondants où il y a certaines compétences qui sont redondantes. Les compétences redondantes chez les professionnels de santé, ça veut dire concurrence. Un médecin peut vacciner. Un infirmier peut vacciner. Un pharmacien peut vacciner. Quand vous avez un nombre de personnes à vacciner contre la grippe chaque année ça veut dire que, en fonction de qui vaccine et combien, vu qu’on est rémunéré à l’acte, il y en a qui vont plus ou moins gagner d’argent. On a une redondance de compétences, le fait de vacciner, qui aboutit à une concurrence en termes d’actes parce que l’acte est lié à l’économie. Pour faire en sorte que les médecins, les infirmiers, les pharmaciens ne se tapent pas dessus sur des questions économiques par rapport à certains actes, comme la vaccination, là on a fait pareil sur des actes qui sont plus compliqués, je ne vais pas revenir dessus, c’est de dire quels sont les patients qui ne concernent que la prise en charge l’infirmier, quels sont les patients qui ne concernent que la prise en charge du pharmacien correspondant, eh bien j’en ai 349 qui concernent le pharmacien, mais pas l’infirmier, là il n’y a pas de concurrence. J’en ai 235 qui ne concernent que l’infirmier pas le pharmacien, il n’y a pas de concurrence. J’en ai 210 qui concernent les deux. Pourquoi ne pourrait-on pas les prendre en charge les deux en même temps, parce que si ça concerne les deux ça veut dire que ce sont des gens qui sont souvent plus malades que les autres, donc ils ont besoin d’une prise en charge appuyée. Et puis on va ventiler ça, on va screener ça en fonction des pathologies concernées. Aujourd’hui j’ai 66 personnes sur mon territoire qui mériteraient un suivi pour un AVC, une prise en charge d’un post-AVC. Ça permet de mieux cibler les besoins et de se dire est-ce que sur mon territoire il faut que j’investisse du temps sur la prise en charge des pathologies cardiovasculaires ou sur la pathologie sida ? Si j’ai trois personnes qui ont le sida, mais si j’ai 163 personnes qui ont une cardiopathie, il est évident que je vais commencer…, ça ne veut pas dire que je délaisse les personnes qui ont le sida, soyons clairs, mais ça veut dire qu’en termes de stratégie je vais forcément penser mon organisation en fonction de ces besoins-là.

NEXT

Je termine là-dessus, la suite de ce projet-là c’est développer la recherche dans les maisons de santé et les soins de premier recours. Aujourd’hui c’est de la science non faite. La recherche universitaire est essentiellement basée sur l’hôpital, sur de la médecine d’organes, sur des choses qui permettent à des industriels de faire de l’argent. On aimerait bien ramener la recherche à un niveau vie réelle, sur le terrain.

On est en train de racheter le prototype de notre logiciel de pharmacie, c’est pour les semaines qui viennent. Le but est de libérer le code source dans le cadre d’une campagne de crowdfunding. Juste après il y a un petit QRCode pour aller vers la campagne de crowdfunding si vous voulez ne serait-ce que voir ou contribuer et partager l’initiative, je vous invite fortement à le faire.

L’idée serait, à partir de ce prototype-là, que la preuve de concept soit réappropriée par des logiciels propriétaires mais aussi d’autres éditeurs de logiciels dans le monde médical qui n’auraient pas de logiciel pour pharmacien et essayer d’inciter les éditeurs de logiciels de maisons de santé à passer open source. Clairement, si nous en sommes venus là, c’est parce que nous avions besoin d’une autonomie d’innovation, donc on avait besoin de mettre les mains dans le code. Libérer l’innovation et libérer la résilience des territoires ou des organisations c’est leur donner la capacité de créer par eux-mêmes, donc il faut avoir accès au code.

Ensuite on a une grosse approche sur l’écologie et la décarbonation du système de santé, tout simplement parce que le médicament c’est globalement de la pétrochimie. Quand on remonte la chaîne de fabrication à un moment donné c’est de l’éthylène, c’est du naphta. Le naphta c’est un truc qui sort à un certain niveau d’une colonne de distillation qui s’appelle une raffinerie de pétrole.

On parle souvent de souveraineté et d’indépendance européenne sur le numérique. La souveraineté et l’indépendance européenne sur le médicament, voilà [Chiffre 0 avec les doigts, NdT] !, c’est comme pour les masques. Demain vous avez un cargo qui reste coincé un peu trop longtemps dans le canal de Suez comme il y a six mois, ou vous avez un petit conflit par guerre de proxy en Indo-Pacifique entre la Chine et les États-Unis qui ont décidé de sortir simplement de la guerre économique, mais passer sur une guerre de proxy un peu intéressante, Taïwan, ça vous parle Taïwan !, les semi-conducteurs, l’actualité est riche en ce moment !, ça peut vite être un gros problème, c’est-à-dire qu’on peut avoir des ruptures de médicaments en Europe. Ça a été quasiment le cas sur certains produits pendant la crise Covid. On n’avait plus de masques, on est en train de se tiers-mondialiser, clairement.

L’idée c’est de créer un contre-pouvoir au Health Data Hub en créant une plateforme de données gérée avec une gouvernance de coopérative d’intérêt collectif. J’ai fait partie de ceux qui ont essayé d’être des lanceurs d’alerte par rapport à la spoliation des données par IQVIA [2] dans un Cash Investigation en mai [Cash">Investigation, « Nos données personnelles valent de l’or ! », 20 mai 2021] ; si vous ne l’avez pas vu je vous invite à le regarder. Ça fait 40 ans que les pharmaciens, plus ou moins consciemment, laissent des données commerciales remonter à des gros data-brokers qui font beaucoup d’argent, qui œuvrent un peu pour le bien commun, mais qui œuvrent aussi beaucoup pour leurs actionnaires. Si on veut réinventer les communs il faut demain avoir une plateforme qui gère la donnée de manière très transparente sur des outils open source et qui va laisser et développer une notion d’open data citoyenne pour la raccorder avec des grands jeux de données, pour raccorder ça à des enjeux écologiques et de décarbonation, et fournir aussi de l’open data aux collectivités territoriales ou aux citoyens ou aux patients usagers qui, sur tel ou tel territoire, aimeraient s’investir dans telle ou telle problématique de santé. Comment organiser des soirées diabétiques et légumes verts sur la commune de La Rochelle ? Si demain je peux passer par les professionnels de santé localement qui sont capables d’envoyer un SMS à tous les diabétiques de La Rochelle pour leur dire « venez nombreux tel jour, telle heure, on va faire une grande soirée diabétiques et légumes verts, ça va être génial », c’est hyper-intéressant d’un point de vue de ce qu’on appelle la gestion du risque en santé communautaire. Comment est-ce qu’on développe la santé communautaire par l’open data ?

Et ce qu’on fait, on l’a fait dans le trou du cul du monde, avec quasiment zéro moyen. Jusqu’à présent je n’ai pas utilisé un euro d’argent public. Mais si j’ai été assez convaincant, vous voyez la suite. Avec quelques barquettes en carton, un peu de couleur et un peu de temps de développement je vous explique comment transformer un système de santé et comment faire en sorte que ça avance.

Pour finir sur la notion des communs, je cite souvent Thomas Kuhn qui est un historien, philosophe des sciences qui nous dit : « L’adhésion à un paradigme est une mécanique sociologique impliquant la genèse d’une communauté de pensée de méthode et d’objectif autour d’outils communs ». Les changements de paradigme ne passeront que par les communs.
Vive l’open source, vive l’open data, vive le B-Boost, vive vous. Merci.

[Applaudissements]

Public : Sur la pénurie de médicaments, ce n’est pas que le Covid, il y a aussi le cancer, ça augmente.

Antoine Prioux :En fait ça fait dix ans, plus de dix ans que tous les ans on a ce qu’on appelle des ruptures de stock. Dans les pharmacies c’est extrêmement difficile à gérer. En fait, quand on doit penser la réindustrialisation de l’Europe sur de la production de médicaments, c’est intéressant de savoir quelles sont les molécules qui sont indispensables, quelles sont les molécules qui sont les moins polluantes à produire in situ. On a un paradoxe sur la décarbonation du système de santé et sur la décarbonation de la France et de l’Europe. Je fais partie de The Shift Project [3] qui est le think tank de Jancovici, sur les questions de santé. Il y a des choses très contre-intuitives : pour décarboner globalement le monde, il faudrait qu’on augmente la pollution européenne, c’est-à-dire qu’on réindustrialise notre Europe et la France pour produire plus près de chez nous. Qui a envie d’une industrie pétrochimique qui fabrique des médicaments sur sa commune ? Si vous avez habité Rouen ou Toulouse, AZF et Lubrizol, et que vous êtes un responsable politique, c’est toutchy comme sujet ! Je rigole cyniquement, mais c’est la réalité. Si demain on veut avoir des médicaments en Europe il va falloir penser une filière industrielle pétrochimique. Du coup, il serait intéressant de se demander quels sont les médicaments qui ont fait leurs preuves d’un point de vue pharmaco-thérapeutique, on va en sélectionner quelques-uns, on va faire ce qu’on appelle un livret thérapeutique. Tous les hôpitaux n‘ont pas toutes les molécules sur le marché, ils choisissent certaines molécules. Il faudrait un livret thérapeutique européen qui soit choisi sur différents critères – efficacité thérapeutique, médico-économie, coût de fabrication carbone des molécules – pour réindustrialiser tout ça. On travaille avec l’Europe, on travaille avec le ministère, l’économie. Ça nous amène sur des sujets ! Vous voyez, d’une ordonnance en multiple de semaines, je vous amène sur des sujets d’indépendance pétrochimique de l’Europe, sur comment est-ce qu’on va pouvoir transformer le système. En fait, ce que je vous explique c’est un peu l’histoire d’un hack, on essaye de hacker le système de santé, c’est-à-dire comment, à partir de méthodes contre-intuitives, on va être capables de pénétrer le système et de le transformer. J’ai beaucoup de copains de la Fédération des maisons de santé, je suis beaucoup dans l’associatif des maisons de santé, Bourgogne Franche-Comté ils sont parmi les pionniers.

Public :À Lyon, ce n’es pas open source.

Antoine Prioux : Non, c’est le problème. On a pareil en Nouvelle-Aquitaine, ça s’appelle Paaco-Globule, c’est poussé par l’Agence de régionale de santé, ce n’est pas open source, ça finit dans les poches de Capgemini. De toute façon l’argent public finit souvent dans les poches d’une boîte du CAC 40 sur des trucs pas open source.
Historiquement, les grandes avancées dans les systèmes de santé ont toujours été portées par les associations de patients, le sida, ACT-UP, AIDES. Je pense que la sensibilisation citoyenne à ces enjeux-là, donc la question démocratique est toujours au cœur du changement.

Est-ce que vous avez trouvé le discours et la présentation suffisamment clairs sans être du système de santé ? Est-ce que vous avez compris la démonstration ? Merci, ça veut dire que j’ai à peu près bien bossé. Pour arriver à ce niveau de démonstration et de vulgarisation ça m’a pris dix ans, ne serait-ce qu’en termes de preuve de concept, en termes d’approche. On a un très gros problème et je pense que c’est aussi le problème de l’open source en général, c’est que la communication qui s’appuie sur ce qu’on appelle la littératie, c’est-à-dire la manière de faire comprendre des idées techniques ou complexes, des sujets d’experts au grand public, on ne sait pas très bien faire, ça prend du temps et après on a besoin d’espace médiatique. Malheureusement, on vit une époque où on entend plus parler de Zemmour que du changement climatique, à mon grand regret !

La question, dans notre idée, ce serait demain de fournir une plateforme d’open data. On cherche un modèle économique vertueux, intérêt collectif ancré dans le bien commun, mais on a besoin d’un modèle économique pour se développer. La question c’est combien une collectivité territoriale serait prête à payer à P4PILLON pour que P4PILLON puisse se faire le relais des messages à passer aux concitoyens localement. C’est-à-dire combien est-ce que, grosso modo, vous donneriez dans ce système-là pour que je fasse un peu le passeur de plats pour dire à tous les gens qui sont concernés par tel ou tel déterminant de santé « le contrat local de santé de telle ou telle commune organise une réunion d’information » et faire ensuite du publipostage.
Ce qui est touchy avec les données de santé c’est que, si on n’est pas un professionnel de santé, c’est très compliqué d’y accéder pour travailler dessus. À notre échelon, on a accès aux données de manière nominative, ce sont des données en clair parce que, forcément, si vous allez voir votre médecin traitant vous n’allez pas lui dire « je ne veux pas que vous ayez accès à mes données de santé », c’est absurde. Le fait de structurer la donnée localement entre professionnels de santé, de pouvoir la requêter et de pouvoir ensuite déclencher des actions, ça va du fait de commander des médicaments de manière prédictive ou ça va du fait s’envoyer un SMS, de plubliposter un SMS à un ensemble de personnes qui sont concernées par une problématique, la question c’est demain qu’est-ce que les représentants des institutions, de PCI [Prévention et contrôle des infections], région, département qui ont une compétence sur la santé sociale seraient prêts à fournir pour accéder à des bases de données dont, certaines, seraient en open data, quelque chose qui vend du service, qui vend de l’action et puis, derrière, on fait en sorte que la chaîne de valeur autour de la donnée puisse bénéficier au tissu associatif local.
Les médecins, des fois, impriment sur l’ordonnance certaines informations – le poids, des fois la fonction rénale, est-ce qu’il est insuffisant rénal ou pas. Il faut voir que le dossier médical partagé, tel qu’il a été pensé en 2007 et tel qu’il a eu une tentative de déploiement, est une bibliothèque de documents, ce n’est pas quelque chose sur lequel je vais pouvoir faire des requêtes ou faire de la visualisation de données de manière très ergonomique. Je vais pouvoir éventuellement aller voir un PDF d’un résultat de biologie, là-dedans il va falloir que je trouve où est mon débit de filtration glomérulaire par exemple, la fonction rénale.
Vu que jusqu’à présent il n’y avait pas d’interopérabilité et pas de versement automatique des dossiers médicaux des médecins de terrain dans le dossier médical partagé national, en fait dans le DMP il n’y a rien. Donc même si, d’un certain point de vue, je peux y avoir accès, mais j’y ai accès pour aller voir quoi ? Rien ! C’est en train de bouger en ce moment, l’Agence du Numérique en Santé est en train de bien faire bouger les lignes. Mais si on remonte à il y a deux/trois ans c’est la réalité. Après, les lignes, entre ce qui est dit et ce qui est fait ! Un dossier médical avant la numérisation des praticiens, ce sont des fiches bristol et des documents imprimés pliés en deux.

Public : Ça veut dire que même mon gynéco et mon médecin traitant n’ont pas forcément...

Antoine Prioux : Ça veut dire que si à un moment vous déménagez, remontons à 30 ans en arrière, au moment où vous déménagez vous allez chez votre médecin, chez votre gynéco, etc., vous dites « j’aimerais récupérer mon dossier médical », ils sont obligés de vous le donner parce que votre dossier médical vous appartient, vous embarquez votre truc et vous l’apportez à votre nouveau médecin. L’information ne suit pas le patient, mais c’est l’enjeu. Historiquement ça ne se fait pas, même encore aujourd’hui c’est très compliqué.

Public : Du coup, quelles sont les positions aujourd’hui de l’Agence régionale ?

Antoine Prioux : Ils ont édité une doctrine du numérique en santé, une doctrine c’est très [geste de la main, NdT], c’est-à-dire que tu suis la doctrine et tu fermes ta gueule ! La France est un pays très centralisateur, je ne l’apprends à personne, très hospitalo-centré, très médico-centré et très parisiano-centré. Donc quand tu n’es pas médecin, que tu n’es pas à Paris et que tu veux faire de la décentralisation des gestions de bases de données, autogérée, avec de l’open source, je passe pour un anarchiste, il faut en être conscient !
Je vous remercie.

Références

[2IQVIA

Média d’origine

Titre :

P4PILLON, faire évoluer le système de santé dans notre société numérique

Personne⋅s :
- Antoine Prioux
Source :

Vidéo

Lieu :

B-Boost 2021

Date :
Durée :

1 h 03 min 28

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Logo de l’association P4pillon

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.