Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l’émission du 26 mars 2019

Titre :
Émission Libre à vous ! diffusée mardi 26 mars 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants :
Caroline Corbal - Emmanuel Raviart - Vincent Calame - Étienne Gonnu - Frédéric Couchet
Lieu :
Radio Cause Commune
Date :
26 mars 2019
Durée :
1 h 30 min
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Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l’accord de Olivier Grieco.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc vous pouvez vous rendre sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquer sur « chat », rejoindre le salon de la radio et éventuellement échanger avec nous ou nous poser des questions.

Nous sommes mardi 26 mars 2019, nous diffusons en direct mais vous écoutez peut-être un podcast ou une rediffusion.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition, la 18e de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Le site web de l’April est april.org et vous y retrouvez déjà une page avec les références que l’on va citer dans l’émission ; la page sera mise à jour évidemment après l’émission en fonction des références que l’on citera. Je vous souhaite une excellente écoute.
Maintenant voici le programme de cette émission. Nous allons commencer par un moment qui ne sera pas un moment de grande joie, car nous allons faire un point sur la désormais célèbre directive droit d’auteur qui vient d’être adoptée au Parlement européen.

D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur les civic techs et le logiciel libre avec nos invités Caroline Corbal et Emmanuel Raviart que je présenterai tout à l’heure.

Et en fin d’émission d’émission nous aurons la troisième chronique de Vincent Calame intitulée « Jouons collectif ».

Aujourd’hui à la réalisation de l’émission Patrick Creusot, bénévole à l’April. Bonjour Patrick. Patrick dit bonjour sans avoir allumé son micro !
Tout de suite place au premier sujet avec mon collègue Étienne Gonnu en charge des affaires publiques à l’April. Étienne, on aurait pu fêter quelque chose aujourd’hui, mais c’est plutôt une mauvaise nouvelle qui vient d’arriver du Parlement européen il y a quelques minutes sur la désormais directive droit d’auteur.

Point directive droit d’auteur suite au vote du 26 mars

Étienne Gonnu : Tout à fait. Effectivement on aurait pu espérer un résultat plus positif, notamment au vu de l’incroyable mobilisation qui s’est construite ces derniers jours, ces dernières semaines. Malheureusement c’est un peu la douche froide. La directive a été approuvée, malheureusement sur les mêmes prétextes depuis le début. Il y a eu avant le vote ce qu’on appelle les explications de vote, donc des débats, chaque différente position a été exprimée et ça a peu évolué depuis le début, c’est-à-dire que les pro-article 13 s’appuient finalement sur trois jambes. C’est-à-dire prendre des postures de défense de la liberté, de défense des auteurs et autrices, à peu près tout le monde peut se retrouver là-dessus, bien sûr ; décrédibiliser la mobilisation en disant à la fois qu’elle est manipulée par Google, par les grandes plateformes. On a vu aussi le rapporteur accuser la jeunesse, bien sûr, qui serait facile à manipuler. Et puis toujours en niant, et ça paraît assez incroyable qu’on en soit encore là, mais toujours en niant la réalité du filtrage qui serait imposé par ce texte alors que c’est à peu près évident pour toute personne qui a lu le texte en réalité.
Frédéric Couchet : Effectivement l’article 13 qui est maintenant officiellement l’article 17 parce qu’il y a eu une manipulation – certains pourront penser que le changement d’article quelques jours avant c’est le processus normal démocratique –, mais en fait c’est souvent aussi une façon de détourner l’attention de la mobilisation. Le désormais article 17 qui était anciennement l’article 13 porte sur le filtrage automatisé, l’institutionnalisation du filtrage automatisé sur les plateformes.
Étienne Gonnu : Effectivement ce n’est pas écrit noir sur blanc, mais on voit bien que c’est la seule manière pour les plateformes de répondre aux obligations qui leur sont faites, puisque le texte renforce leur responsabilité sur les contenus mis en ligne par leurs utilisateurs et utilisatrices. Donc elles sont tenues, de fait, de mettre en place un filtrage automatisé.
Frédéric Couchet : Côté logiciel libre, on a déjà consacré plusieurs émissions au sujet, donc on invite les personnes qui nous écoutent à se connecter sur le site de l’April et à aller sur la partie consacrée à l’émission pour regarder les archives, ne serait-ce que celles de la semaine dernière. On a aussi consacré un long sujet sur justement l’impact de l’article 13 on va dire sur Internet. Également l’exception pour les forges logiciel libre. Peut-être que tu peux faire un petit rappel sur cette exception qui est quand même présente, même si ça ne remet pas en cause le danger de cette directive.
Étienne Gonnu : Tout à fait. C’est d’ailleurs comme ça que l’April a commencé à s’engager sur ce texte il y a au moins un an et demi. Parmi les plateformes, puisque toutes les plateformes de partage de contenus soumis au droit d’auteur sont concernées, de fait c’était le cas au début pour les plateformes de développement et de partage de logiciels libres qu’on appelle aussi des forges logicielles. On a milité à l’April, avec d’autres structures, pour obtenir une exception qui a évolué. Au début elle était réservée à des plateformes à but non-lucratif. Il y a eu différentes évolutions jusqu’à atteindre une définition qui nous paraît exclure à peu près correctement, correctement même, les plateformes de développement et de partage de logiciels libres.

Notons aussi, c’est un mini lot de consolation, mais prenons aussi ce qui est positif : dans le texte anglais effectivement ce sont les plateformes open source qui sont exclues et dans la traduction française ils ont traduit cela par « développement et partage de logiciels libres » qui est donc à l’article 2.6 dans les définitions du texte.
Frédéric Couchet : Cette exception est valable pour les plateformes à but non-lucratif ou à but lucratif. C’était un des enjeux de la mobilisation des derniers mois parce que le Conseil de l’Union européenne, donc le représentant des États, avait une position un petit peu différente de celle du Parlement européen. Mais on insiste encore une fois que contrairement peut-être à d’autres structures du logiciel libre qui ont pris position aujourd’hui, le fait qu’il y ait cette exception ne remet pas en cause le danger de cette directive et qu’en aucun nous n’acceptons comme principe le filtrage automatisé sur les plateformes. On peut même rajouter que OK, les forges logiciels libres sont exemptées avec cette exception ; Wikipédia a aussi une exception mais qui est limitée par effet de bord par rapport aux autres articles.

Rappelons que dans le domaine du logiciel libre, quand on a consacré nos émissions aux plateformes par exemple de partage de vidéos comme PeerTube, aux services décentralisés de microblogging comme Mastodon qui, pour les personnes qui connaissent Twitter, permet d’échanger des messages courts mais de façon décentralisée, aujourd’hui il y a un grand doute et un grand danger sur ces plateformes. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a quelques jours on a mis sur le site de l’April et sur le site de notre chaton c’est-à-dire chapril.org sur lequel vous avez des services par exemple de partage, de création de rendez-vous, de partage d’informations de façon confidentielle, un bandeau noir en disant que le site fermait parce que, avec cette nouvelle directive, eh bien il y a un vrai danger sur ces plateformes-là, au-delà de la partie forges logicielles.
Étienne Gonnu : Exactement. Je pense que tu as parfaitement résumé. On défend le logiciel libre, on ne défend pas que les logiciels, on défend une certaine vision de l’informatique au service de tous et de toutes.
Frédéric Couchet : Est-ce que le vote a été serré ?
Étienne Gonnu : C’est un peu difficile de répondre à cette question parce que la procédure d’adoption des directives est assez particulière. De toute façon tout le droit européen et toutes les procédures européennes sont difficilement abordables lorsqu’on n’a pas l’habitude.

La procédure est comme suit : avant de voter directement le texte il y a différentes étapes à passer et notamment pour ce vote final, avant de pouvoir éventuellement proposer des amendements, comme un amendement de suppression pour l’article 13 – amendement de suppression que nous défendions –, il faut que les parlementaires valident, votent le principe d’amender le texte. C’est-à-dire qu’ils votent pour ensuite pouvoir proposer des modifications.

À ce premier niveau de vote, eh bien le fait de modifier le texte a été rejeté. Là ça a été effectivement très serré. Il y a 317 parlementaires contre 312, donc 5 voix de différence, donc 317 parlementaires qui ont jugé que, malgré la mobilisation citoyenne extrêmement importante, rappelons par exemple qu’il y a eu 200 000, je n’ai plus le chiffre, personnes mobilisées dans les rues au niveau européen, qu’il y a une pétition avec 5 millions de signataires, qu’il y a eu des tensions très fortes, donc on voit qu’il y a un débat très fort sur ce texte et malgré tout cela 317 parlementaires ont décidé qu’il n’y avait pas lieu de voter des amendements pour modifier ce texte.

Donc il n’y a pas de modifications : c’est le texte issu des négociations interinstitutionnelles, du « trilogue » qu’on a de nombreuses fois évoqué, qui était juste l’étape précédente, c’est ce texte qui a été mis au vote dans son intégralité, donc avec l’article 13 tel qu’il était rédigé avec cette obligation de fait de mettre en place des filtres automatisés, c’est ce texte qui a été soumis au vote et celui-ci a été voté à 348 voix pour et 274 voix contre.

À priori il y aura ce qu’on appelle un roll call, en gros une liste des parlementaires et quels ont été leurs votes. Donc on pourra savoir qui a jugé pertinent, parmi ces parlementaires, de confier finalement l’application du droit d’auteur à des systèmes automatisés gérés par des entités de droit privé.

Cette liste sera certainement intéressante en mai lors des élections européennes par exemple !
Frédéric Couchet : Le 26 mai 2019 il y a des élections européennes. Pour les personnes qui votent encore, il y en a, ça peut être effectivement un argument pour choisir telle ou telle personne. Malheureusement on n’a pas encore le détail de ce vote nominatif, mais on peut supposer vu le passé sur les votes précédents que la partie française a majoritairement voté en faveur de la directive, avec à sa tête Jean-Marie Cavada qui était encore ce matin sur une radio concurrente mais néanmoins amie, c’est-à-dire France Inter, pour raconter un peu n’importe quoi, il faut quand même être assez clair. Côté français les parlementaires européens français ont majoritairement voté pour la directive avec le soutien évidemment du gouvernement français. Je dis ça aussi pas simplement par rapport aux élections du 26 mai mais aussi par rapport à l’étape d’après, parce que l’étape d’après, tu vas nous l’expliquer rapidement, c’est la transposition dans le droit national.
Étienne Gonnu : C’est l’étape suivante dans une directive parce qu’une directive ne s’applique pas directement dans les droits nationaux. Les textes sont adaptés, effectivement, enfin des lois sont passées presque comme une loi normale, si ce n’est que la directive, en fait, va poser le cadre. Là aussi il faudra qu’on étudie les marges de manœuvre possibles pour atténuer autant que possible les effets liberticides de ce texte, mais effectivement ça va arriver à l’Assemblée nationale, à priori je pense dans un temps relativement court. On va voir, ça n’a pas été inscrit à l’ordre du jour du Parlement. On sait que ça va être un combat difficile parce qu’il y a déjà pas mal de députés, notamment de la majorité, qui ont pris des positions assez claires sur leur intention concernant cet article et sur l’institutionnalisation des filtrages automatisés. Donc ça va être effectivement une étape importante.

Et puis parallèlement, et le sujet est directement connexe, c’est une révision d’une autre directive qui est souvent annoncée et qu’on a déjà évoquée notamment puisqu’elle touche à la responsabilité, justement, des intermédiaires techniques, qui est la directive e-commerce de 2000 et là aussi il va falloir qu’on soit vigilants. En fait pour que l’article 13 puisse produire les effets qui sont attendus par ses défenseurs, eh bien il faut qu’ils agissent sur cette directive e-commerce pour affaiblir encore, finalement, le régime des intermédiaires techniques et les rendent toujours plus responsables de ce qui passe par leurs tuyaux. En fait c’est aussi une remise en cause de la neutralité du Net. Après c’est encore un débat qu’il faudra pousser par la suite.
Frédéric Couchet : Comme tu le dis, la prochaine étape on va dire au niveau européen c’est la révision de la directive e-commerce. Donc ce sera évidemment sous la prochaine mandature européenne qui commencera à partir de fin mai. Beaucoup d’acteurs vont sans doute se mobiliser effectivement pour ce sujet qui est essentiel, qui est le statut juridique des différentes plateformes hébergeurs et peut-être la création de nouveaux statuts. Comme je le disais tout à l’heure par rapport au logiciel libre, nos plateformes d’hébergement de vidéos ou autres services peuvent être directement concernées à terme et mettre en danger des choses qui nous permettent en fait de partager librement et en se basant, on le rappelle encore une fois, sur le droit d’auteur, parce que les licences libres se basent sur le droit d’auteur.

Dans la journée, enfin dans la soirée, il devrait y avoir le communiqué de presse de l’April qui va reprendre ce que tu viens de dire Étienne. Je vous encourage à lire dès à présent l’article notamment de Marc Rees sur Next Inpact qui est en accès libre. Également les articles de Julia Reda. On va citer Julia Reda, du groupe des Verts européens, qui a mené une bataille importante justement contre cet article 13 et aussi l’article 11 sur les droits voisins pour la presse. Qui a fait un énorme travail pédagogique, notamment quelques heures avant le vote, pour expliquer ce qui allait se passer aujourd’hui en termes de vote, parce que ce n’était pas forcément facile à suivre. Je vous encourage à lire ces articles et évidemment, de toute façon, il va y avoir encore pas mal d’analyses qui vont être publiées et il y a la transposition qui va arriver et là on va se rendre compte, peut-être, que finalement les grands perdants ce n’est pas ceux qu’on croit et que les industries culturelles se sont peut-être tiré une balle dans le pied ou dans la tempe.

Étienne, est-ce que tu veux rajouter quelque chose ?
Étienne Gonnu : Je pense qu’on a fait un bon tour de la question. En tout cas c’est un coup dur mais on ne va pas se laisser abattre. Il reste des combats à mener et on les mènera tant qu’il y aura besoin de le faire.
Frédéric Couchet : Exactement. J’en profite pour remercier toutes les personnes qui se sont mobilisées soit en appelant des parlementaires européens, soit en relayant les informations, soit les membres de l’April lors de l’AG avec la fameuse petite photo qu’on a faite. J’en profite aussi pour féliciter chaleureusement Étienne pour son travail sur ce dossier au niveau de l’April ; il a été le fer de lance de ce dossier. On ne maîtrise pas le vote des parlementaires et quelque part, effectivement, ce vote est de leur responsabilité. Peut-être que certains seront jugés le 26 mai 2019 lors des élections.

Nous allons faire une pause musicale.

Avant la pause musicale, on me signale sur le salon dont je parlais tout à l’heure que la Free Software Foundation Europe, la Fondation pour le logiciel libre Europe, a envoyé un communiqué. Effectivement ils ont envoyé un communiqué pour, quelque part, encourager la Commission à développer et à promouvoir des outils de filtrage en logiciel libre. C’est vrai que ce communiqué nous pose un sérieux problème, d’ailleurs Étienne a fait tout à l’heure un petit tweet pour les interpeller. Je pense qu’on aura l’occasion d’y revenir parce qu’on ne comprend absolument pas, du tout, cette communication. Voilà ! Donc c’est cette réponse que je fais et je précise que ça n’engage pas du tout la FSF américaine qui, je pense, n’est pas du tout sur ce genre de position. Mais après tout, Qwant aussi a pris il y a quelques jours une position en faveur de la directive. Peut-être est-ce lié au fait qu’ils ont 20 % de financement de Spinger, Axel Springer, un magnat de la presse et 20 autres % de la Caisse des dépôts et consignations, donc de l’État français ; cela explique effectivement que peut-être ils aient pris cette position. Comme on dit en anglais et pour notre invité, Follow the Money, « suivez l’argent » et vous comprendrez pourquoi les gens prennent des positions. Mais bon !
On va passer à une pause musicale. Ça s’appelle C’est Pas Comme Ça et l’artiste s’appelle Candy Says.
Pause musicale : C’est Pas Comme Ça par Candy Says.
Voix off : Cause Commune 93.1.
[Le morceau se termine par « tu me prends la tête »]

Sujet principal civic tech et logiciel libre

Frédéric Couchet : Je crois qu’il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui nous prennent la tête, c’est une belle conclusion.

C’était Candy Says, le morceau s’appelle C’est Pas Comme Ça. Je rappelle évidemment que c’est sous licence libre, en l’occurrence Creative Commons Partage à l’identique, comme toutes nos musiques et vous retrouvez la référence sur le site de l’April.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Nous allons changer de sujet avec un sujet qui est aussi dans l’actualité mais un peu différemment, qui est celui des civic techs et on va aborder évidemment plus sur l’angle logiciel libre-transparence et également données ouvertes, avec nos invités. Tout d’abord Caroline Corbal de Code for France. Bonjour Caroline.
Caroline Corbal : Bonjour.
Frédéric Couchet : Emmanuel Raviart, développeur logiciel libre. Bonjour Emmanuel.
Emmanuel Raviart : Bonjour Frédéric.
Frédéric Couchet : Nous allons parler de civic techs, de logiciels libres. Déjà je vais vous poser une petite question, je vais vous laisser vous présenter chacun et chacune. On va commencer par Caroline. Caroline que fais-tu dans la vie ?
Caroline Corbal : J’ai cofondé une association qui s’appelle Code for France, par ailleurs je suis présidente de DemocracyOS France, ce sont deux associations qui sont spécifiquement dédiées aux civic techs qui est le sujet d’aujourd’hui. Par ailleurs je travaille dans un cabinet de conseil qui s’appelle Inno3 et qui est spécialiste du logiciel libre, de l’open data et de l’open hardware.
Frédéric Couchet : On en profite pour saluer Benjamin Jean qui est le fondateur de ce cabinet.

Emmanuel, tu es développeur de logiciels libres mais tu as fait plein de choses. Quelles sont les choses essentielles que tu as faites, notamment par rapport évidemment au sujet du jour ?
Emmanuel Raviart : Comme je suis vieux, j’ai d’abord commencé par créer trois entreprises qui travaillent dans le domaine du logiciel libre ou des données ouvertes. Elles ont toutes les trois la particularité d’être détenues par les salariés et de pratiquer l’égalité des salaires. Entre-temps, j’ai été développeur pour Etalab et même brièvement directeur technique d’Etalab.
Frédéric Couchet : Rappelle-nous ce qu’est Etalab.
Emmanuel Raviart : Etalab c’est le service du Premier ministre qui est chargé de l’ouverture des données publiques de l’État. Après ce passage à Etalab j’ai été assistant parlementaire.
Frédéric Couchet : On va dire, tu peux le dire, de Paula Fortezza.
Emmanuel Raviart : De la députée Paula Fortezza.
Frédéric Couchet : De la République en marche, qui est notamment très impliquée sur tous les aspects on va dire participation, logiciel libre, vie privée, etc. J’en profite aussi pour signaler par rapport au planning de l’émission, une des entreprises dont tu as parlé c’est Easter-eggs et que nous avons un sujet justement sur les modèles d’organisation d’entreprises du Libre avec Easter-eggs, c’est en mai. Il y aura la société 24ème qui est une Scop basée sur l’organisation des entreprises libérées. Pour Easter-eggs ce sera Pierre-Yves Dillard qui viendra. Je ne me souviens plus exactement de la date, mais c’est en tout cas en mai cette émission.

On va revenir sur civic techs et logiciels libres. Je vais déjà poser la question : c’est quoi ce mot, ce buzzword quelque part qui depuis deux, trois ans, voire un peu plus, arrive, civic techs ça signifie quoi ? Caroline Corbal
Caroline Corbal : Les civic techs, en fait, ce sont des technologies donc des outils numériques, des logiciels, qui permettent de renforcer la participation démocratique, l’engagement des citoyens et aussi la transparence et la responsabilité des institutions et gouvernements. Le buzzword en fait est né en 2016 quand la France accueillait le sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert, mais il ne faut pas oublier que les civic techs existaient avant. Déjà en 2009 quand Regards Citoyens s’est créée l’idée c’était d’utiliser le numérique pour rapprocher les citoyens de l’exercice démocratique, notamment par la publication de l’information publique.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est intéressant que tu le précises parce que ce n’est pas forcément nouveau, même si le terme est nouveau.
Caroline Corbal : Exactement.
Frédéric Couchet : Ce qui peut être intéressant, et on va sans doute en parler dans le cours de l’émission, c’est peut-être la distinction, justement, entre des structures comme Regards Citoyens qui sont, on va dire, dans la civic tech ou en tout cas dans la participation, dans la démocratie, et des structures qui sont plus peut-être côté civic business ou avec des modèles d’organisation totalement différents basés sur le secret absolu. On va sans doute revenir la-dessus. La première question après cette petite présentation sur ce terme civic tech, c’est qu’il y a une supposition là-dedans c’est que l’informatique, le numérique, quelque part est forcément bon pour la démocratie. Est-ce réellement le cas, Emmanuel Raviart ?
Emmanuel Raviart : Le numérique ce n’est pas démocratique en soi. Si vous utilisez des outils numériques pour construire un Internet décentralisé, aux mains des citoyens, où chacun peut apprendre et s’exprimer, là c’est démocratique.

Si c’est pour un Internet contrôlé par des GAFAM, par des entreprises qui sont soit américaines, soit chinoises, qui savent tout sur vous, le numérique n’est pas démocratique. Donc on ne peut pas dire que le numérique est ou n’est pas démocratique.
Frédéric Couchet : Caroline ?
Caroline Corbal : Je pense que souvent le raccourci est fait. De fait le numérique est une vraie promesse, une promesse formidable pour accélérer la circulation de l’information, pour permettre à chacun de s’exprimer librement, pour permettre en fait aux citoyens de s’impliquer entre deux temps d’élections. Mais c’est aussi hyper-aberrant et même dangereux de dire que juste mettre à disposition des outils numériques va avoir des effets démocratiques.

En fait, pour que le numérique produise de la démocratie, il faut que lui-même soit démocratique et ça, ça implique des constructions et ces constructions-là reposent sur des outils techniques, certes, mais surtout des processus et des valeurs qui doivent être centraux.
Frédéric Couchet : C’est très bien cette première introduction, parce que souvent soit les personnes ont un avis très négatif sur le numérique qui ne peut rien apporter à la démocratie, soit c’est tout beau et extraordinaire. Ça me rappelle un événement, un débat qu’il y avait eu à Paris je crois que c’est l’an dernier, un événement que tu connais bien Caroline vu que tu as participé à son organisation qui est Paris Open Source Summit, il y avait un débat à un moment. Je ne citerai pas les deux personnes parce que voilà ! mais ce sont deux personnes politiques et il y avait un débat sur le vote électronique : est-ce que le vote électronique, pour les votes institutionnels j’entends bien, donc les élections municipales ou autres, est-ce que c’est bien ou un mal ? Les deux personnes n’étaient pas du tout d’accord, évidemment, avec des arguments qu’Emmanuel Raviart connaît bien, que beaucoup de gens connaissent bien, contre le vote électronique, notamment le fait que ça enlève totalement la participation citoyenne par le dépouillement par exemple ; une des grandes forces du vote en tant que tel c’est que le citoyen, la citoyenne peuvent participer au dépouillement. C’est important de préciser déjà que l’informatique ou le numérique en tant que tels n’apportent pas un vrai plus démocratique s’ils n’intègrent pas les processus et les bases démocratiques de transparence dedans.

Justement on va essayer de voir, dans un premier temps, quels sont les grands principes qui permettent à des outils pour lesquels on peut se dire qu’on peut avoir un vrai apport démocratique. Évidemment nous on suppose qu’il y a le logiciel libre, il n’y a peut-être pas que le logiciel libre, il y a peut-être des nuances. Qui veut commencer ? Emmanuel Raviart.
Emmanuel Raviart : Pour contrebalancer ce que je disais sur la neutralité du numérique, il ne faut pas oublier que le numérique apporte beaucoup de choses ; il apporte déjà l’information. C’est-à-dire que grâce au numérique les citoyens n’ont jamais été aussi informés ou désinformés, mais quand même globalement informés. Ça c’est le premier pas qui peut permettre plus de démocratie, c’est déjà l’information.

Après, ce que ce peut permettre le numérique c’est donner le pouvoir, parce qu’une fois qu’on a l’information on se retrouve maintenant dans une société où quel que soit le sujet, quel que soit l’organe, que ce soit un gouvernement ou un parlement ou quelque chose comme ça, il y a toujours plus compétent à l’extérieur. C’est ça aussi qu’a apporté le numérique, cette ouverture vers la société civile qui peut maintenant challenger ce que dit l’autorité.

Donc le numérique est un outil de puissance mais pour que cet outil de puissance puisse être vraiment contrôlé il faut savoir qui le contrôle. Pour ça on a besoin de tout contrôler dans le processus. C’est-à-dire que dans une élection papier c’est très facile pour un citoyen de suivre exactement ce qui se passe à tous les moments du vote : on peut voir l’impression des bulletins de vote, on peut voir la diffusion dans les bureaux de vote, on peut voir l’urne vide transparente se remplir, on peut voir le dépouillement, on peut assister à tout ça.

Lorsque c’est numérique, on ne voit rien. C’est-à-dire qu’il y a tout un tas de choses qui font qu’on ne maîtrise pas. On ne maîtrise pas à la fois l’ordinateur sur lequel ça tourne parce que même maintenant on sait qu’on peut pirater les microprocesseurs. Si c’est un logiciel libre, on maîtrise son code source donc on peut avoir un peu une confiance sur le code source qui a été développé, mais on n’est pas sûr que c’est celui-là qui est installé sauf si on a une maîtrise complète du processus qui nous assure que le logiciel dont on a vu le code source est bien celui qui a été installé. On n’a pas de maîtrise sur le réseau, on n’a pas de maîtrise sur…

Le grand problème du numérique c’est que pour remplacer des outils de démocratie existants, ça enlève un contrôle citoyen qu’il y a dans les élections papier.

Par contre, là où le numérique va apporter énormément, à condition qu’il apporte toujours ses garanties de transparence, c’est pour des sujets où actuellement il n’y avait pas encore de démocratie.

Si on veut, le numérique c’est très bien si ça ne remplace pas le peu ou la démocratie qu’on a actuellement mais ça rajoute plus de démocratie. J’ai répondu un peu à côté.
Frédéric Couchet : Je relancerai par d’autres questions. Cette introduction est très bien.
Emmanuel Raviart : C’est quelque chose qui est vraiment important. Donc il faut à la fois faire attention là où l’utiliser, éviter de remplacer des processus démocratiques qui marchent déjà par d’autres dont on n’est pas sûrs qu’ils marchent bien. Après il faut se donner les moyens de contrôler le plus possible l’ensemble de la chaîne de l’élection et ça, avec le numérique, c’est extrêmement difficile. Bien sûr l’ouverture des logiciels, l’ouverture des données publiques et des choses comme ça, est une composante, mais ce n’est pas suffisant.
Frédéric Couchet : On va revenir un peu plus précisément sur ces questions-là et je vais laisser la parole à Caroline. Deux réactions par rapport à ce que tu nous dis : même dans l’action citoyenne ou l’action des structures comme l’April, l’informatique, le numérique nous a donné accès plus facilement par exemple à des parlementaires, alors que les lobbies traditionnels avaient un accès direct tout simplement par leurs moyens. Je me souviens par exemple qu’en 2006, lors des débats sur la loi droit d’auteur, il y avait un parlementaire, on ne va pas le citer parce qu’il est monté très haut, pas en compétences, aujourd’hui il est assez connu, qui avait raconté juste n’importe quoi en hémicycle ; il avait été pris à partie par des gens et il était venu s’expliquer sur le forum de Framasoft.

Deuxième exemple sur la directive droit d’auteur : aujourd’hui des gens qui n’ont pas les moyens d’un lobby pour aller voir les parlementaires ou les codes pour les contacter peuvent tout simplement leur envoyer des courriels ou ne serait-ce que sur Twitter échanger. Par exemple je salue le travail qu’a pu faire aujourd’hui Pierre Beyssac, qu’on a reçu dans cette émission, et qui encore récemment échangeait beaucoup sur Twitter. Voilà ! Effectivement, ce pouvoir qu’apporte aux citoyens et citoyennes l’informatique est un point essentiel et aussi la transparence avec le travail que fait par exemple Julia Reda. Étienne vous dirait ici qu’on attendait des semaines avant d’avoir les textes officiels sur la directive droit d’auteur suite au « trilogue » alors qu’en fait finalement c’est Julia Reda qui est arrivée à publier un certain nombre de bouts.

Toujours sur ce sujet-là Caroline Corbal.
Caroline Corbal : Déjà je suis complètement en phase avec ce qu’a dit Emmanuel, j’espère que ça lui fera plaisir. Peut-être, pour résumer sur les grands principes qu’on essaye un peu d’avoir toujours en tête côté Code for France dans le cadre de la démarche de la participation qu’on encadre, c’est vraiment résumé :

  • c’est donc la transparence, transparence sur le fonctionnement des outils, donc être en capacité d’auditer le logiciel, de comprendre comment les données sont traitées ; transparence aussi des processus donc des règles du jeu dans lequel le citoyen s’embarque durant ces démarches de participation ;
  • autre principe la liberté ; la liberté d’accéder au code, la liberté de le modifier, de se le réapproprier ; la liberté aussi tout simplement de s’exprimer ;
  • la diversité, je pense que c’est super important dans les civic techs parce qu’aujourd’hui les civic techs touchent une partie de la population qui est encore extrêmement réduite. Il y a beaucoup de travail à faire pour aller toucher d’autres publics. Je pense que la diversité doit vraiment être au cœur des démarches de participation citoyenne. C’est vraiment dans l’inscription même du principe d’égalité à la vie publique en fait. Ça, ça passe par de la pédagogie, par des dispositifs de montée en compétences des publics éloignés du numérique. Ça passe aussi par développer des outils qui soient accessibles pour que les personnes en situation de handicap puissent avoir exactement le même accès que les autres à ces outils-là ;
  • et dernier principe — il pourrait y en avoir plein, mais on va se limiter à quatre — je dirais la collaboration. Permettre à tout le monde de pouvoir collaborer sur le futur de ces outils. En fait un outil numérique doit répondre à des besoins. Le corollaire c’est qu’on doit pouvoir participer à l’évolution des outils pour qu’ils répondent à un besoin, c’est assez logique en fait. Et, en parallèle, la collaboration aussi entre différents types d’acteurs. C’est-à-dire que les civic techs doivent permettre à des institutions de collaborer avec la société civile, avec des entreprises, avec des chercheurs, etc.

Frédéric Couchet : D’accord. On va peut-être préciser et après je laisserai la parole à Étienne qui veut intervenir, pourquoi on parle de ce sujet aujourd’hui ? Peut-être que les gens se disent civic techs ça ne me concerne pas, mais en fait aujourd’hui il y a des débats. L’un vient de se terminer, le grand débat — je prends le terme officiel, n’y voyez aucune connotation de positionnement par rapport à ce sujet-là —, il y a le vrai débat donc gilets jaunes et derrière il y a des outils ; on va en reparler tout à l’heure parce que derrière c’est le même outil, la même plateforme. Évidemment, autant vous le dire tout de suite, cet outil-là n’est pas du tout dans les règles que nous venons d’évoquer et on va expliquer les problématiques que cela peut poser.

Je voulais rappeler ce point-là : on fait cette émission-là aujourd’hui parce qu’il y a ce cadre-là, même si ce n’est pas nouveau, le fait d’avoir un acteur, et on va y revenir, qui est à peu près dans une situation de monopole et en plus avec un contrôle total sur l’outil, sur ce qui en est fait, est quelque chose évidemment qui nous perturbe, enfin qui nous questionne plus que ça alors qu’il existe, comme vient de le dire Caroline, des méthodes différentes, des positionnements différents et évidemment des outils différents et on va revenir dans le détail de ces différents points. Étienne Gonnu tu voulais dire quelque chose ?
Étienne Gonnu : Oui. Je voulais rebondir parce que je trouve assez intéressante, enfin très intéressante la manière dont tu as présenté ces principes. Il y a deux aspects que ça m’évoque et c’est pour cela, d’ailleurs, que le logiciel libre est une brique indispensable pour qu’une civic tech puisse être considérée comme civic tech. Déjà parce que c’est aussi intégrer que le processus, comment est organisé un débat, le processus du débat, doit pouvoir être aussi débattable lui-même ; on doit pouvoir agir dessus puisque ça fait aussi partie du débat. Sur l’auditabilité, il n’est pas forcément question que tout le monde soit en mesure d’avoir cette capacité-là d’aller auditer un texte, d’être capable d’agir dessus, mais cette transparence que ça apporte c’est ça qui va permettre d’avoir cette confiance.

De la même manière qu’on sait, dans une démocratie, que le fait que le droit soit accessible, qu’on puisse savoir quelles sont les règles qui s’imposent à nous, c’est un critère indispensable dans un État de droit, mais tout le monde n’est pas en mesure de lire un texte juridique. Mais le fait que ce soit accessible et transparent est en lui-même un critère indispensable.
Frédéric Couchet : On va essayer de passer en revue ces différents points, même si certains l’ont été, en rappelant que chacun n’est pas suffisant en tant que tel, que c’est un ensemble qui permet, et même avec ça on verra sans doute tout à l’heure qu’il reste encore des choses à faire.

Déjà, pour parler de ce qui nous intéresse en premier qui est la partie logiciel libre, c’est donc le code de la plateforme quand on parle de la plateforme de consultation, quelle qu’elle soit, c’est qu’elle soit en logiciel libre, ça c’est un premier impératif nécessaire mais pas forcément suffisant. Tout à l’heure Emmanuel Raviart tu as un petit peu expliqué, est-ce que tu peux revenir dessus rapidement ?
Emmanuel Raviart : Avoir le code source d’un logiciel et d’un logiciel de vote ça permet de vérifier que le logiciel fonctionne bien de la manière dont on dit qu’il a été conçu ; ça permet d’auditer le code. Ça permet d’auditer ce que fait le logiciel. Il y a d’autres manières d’auditer. On peut aussi le traiter comme une boîte noire et vérifier ses entrées et sorties. Il faut savoir que dans un logiciel chaque caractère, chaque octet, chaque instruction peut avoir un effet, donc il faut absolument pouvoir connaître tout ça, le disséquer, à tel point qu’il est reconnu par les experts de sécurité qu’une bonne manière de rendre son logiciel sécurisé c’est de le rendre libre. C’est la même chose pour la démocratie : une bonne manière de s’assurer que ce logiciel respecte ce qu’il est censé faire c’est d’avoir le code source pour pouvoir le vérifier. Ça n’est pas suffisant évidemment.
Frédéric Couchet : Tu voulais rajouter quelque chose ?
Emmanuel Raviart : Non.
Frédéric Couchet : Effectivement c’est un premier élément, c’est la sécurité par la transparence versus la sécurité par l’obscurité.
Emmanuel Raviart : J’insiste vraiment, ce n’est pas suffisant. Maintenant les logiciels tournent sur des microprocesseurs, même les microprocesseurs en tant que tels peuvent se faire pirater. Dans les microprocesseurs il y a maintenant des logiciels. Ce n’est pas parce qu’on est sûr que le logiciel dont on a vu le code source, qui a été installé, est bon, est bien libre, est bien celui qu’on croit qu’il est, ce n’est pas pour ça que l’ordinateur va faire exactement ce qu’on croit qu’il va faire. Donc il faut vraiment penser à l’ensemble de la chaîne. C’est une chaîne, on va dire, de production continue. Il faut faire toutes les étapes une par une et ça c’est sans doute surhumain.
Frédéric Couchet : Également. La confiance ce n’est pas blanc ou noir. On accorde des degrés de confiance ; un des éléments c’est le code source.

Un deuxième élément qui est un peu lié au code source mais pas forcément totalement, là on peut prendre les consultations où il y a des gens qui proposent des choses qu’on peut voter, soutenir, etc. ce sont les algorithmes qui traitent ces données, notamment de mise en valeur. Pourquoi par exemple sur une consultation telle proposition est mise en valeur et pas telle autre ? Donc c’est l’accès à la documentation détaillée des algorithmes qui sont ensuite mis en œuvre dans un code source. Ça c’est un deuxième élément qui est assez proche du code source mais qui est finalement l’accès aux algorithmes des contributions, donc qui permette de gagner une transparence et de voir effectivement comment est mis en valeur tel ou tel processus et également de voir pourquoi, tout d’un coup, une proposition prend beaucoup de votes alors que quelques jours avant elle n’avait pas forcément beaucoup de votes. Caroline.
Caroline Corbal : Je suis complètement en phase avec toi. Donc ouverture du code source, transparence des algorithmes et après, un point complémentaire, je pense que c’est l’ouverture des données.
Frédéric Couchet : C’était le troisième point dans la liste sur mon papier, exactement. Donc l’ouverture des données. Vas-y Caroline.
Caroline Corbal : Donc l’ouverture des données. Tu voulais rajouter quelque chose d’abord sur le sujet précédent.
Frédéric Couchet : Sur la partie algorithmes ?
Emmanuel Raviart : Oui.
Frédéric Couchet : Emmanuel.
Emmanuel Raviart : Le mot algorithme me fait à chaque fois bondir parce qu’en fait l’algorithme c’est un peu le vœu pieux de ce qu’on veut que le logiciel fasse. Quand on commence à dessiner un logiciel on peut éventuellement penser à un algorithme c’est-à-dire une abstraction de ce que le logiciel va faire réellement. Or, tout codeur sait que même si on a un cahier des charges précis, à un moment le développeur va lui-même avoir des marges de manœuvre et des choses comme ça.
Frédéric Couchet : Sur l’algorithme.
Emmanuel Raviart : Donc connaître l’algorithme ça peut être intéressant, mais ça n’est sûrement pas suffisant ; il faut toujours connaître le code source. Ce n’est pas parce qu’on croit qu’un logiciel fait ça que le logiciel en détail fait réellement ça. Souvent, le fait de dire « je vous donne l’algorithme » c’est aussi un moyen de ne pas donner le code source et donc de ne pas savoir ce que fait le logiciel. Mon raisonnement est un peu différent, c’est de dire : si vous voulez connaître l’algorithme commencez par nous donner le code source et de là on pourra retrouver, au moins en ingénierie inverse, l’algorithme. Toujours dire « la priorité c’est le code source plutôt que l’algorithme ». Je voulais juste insister là-dessus, parce que l’algorithme c’est un vœu pieux. Le code source, à priori, c’est ce que ça fait réellement.
Frédéric Couchet : Tu as tout à fait raison. En plus, pour faire écho à une émission qu’on a faite récemment sur Parcoursup, il y a des fois des algorithmes nationaux et puis des fois il y a des algorithmes locaux et après, comme tu le dis, il y a la mise en œuvre de ces algorithmes par les personnes qui développent et qui ont une liberté d’implémentation ou qui, tout simplement, peuvent des fois faire des erreurs. Effectivement c’est chaque bout qui est important et in fine, pour la personne qui maîtrise, l’accès au code source est essentiel. Ce qu’on peut dire c’est que la connaissance, la publication d’algorithmes permet d’élargir le nombre de personnes qui peuvent essayer de comprendre comment ça fonctionne, même si in fine, effectivement, il faut quand même aller jusqu’au bout donc le code source et éventuellement, si possible la partie, comme tu le disais tout à l’heure, processeur, microprocesseur, les puces spécialisées, etc. Là on rentre dans un débat très important et très compliqué mais qui est effectivement totalement essentiel.
Emmanuel Raviart : Il faut juste savoir que le département, le DARPA [Defense Advanced Research Projects] américain, donc ceux qui ont créé Internet il y a quelques années, là actuellement a une initiative sur le vote électronique. Ils dépensent déjà 10 millions de dollars rien que pour concevoir un logiciel libre de vote et ils disent : « Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg », donc ils savent très bien que ça ne sera pas suffisant.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Donc les données ouvertes, ça c’est un point supplémentaire, la publication des données ouvertes sauf les données personnelles. En fait il peut y avoir un petit débat pour savoir où se situent les données personnelles. En quoi est-ce essentiel d’avoir l’accès à ces données ?
Caroline Corbal : L’accès aux données est essentiel déjà pour un impératif de transparence, aussi pour que les citoyens puissent effectuer des vérifications. Et c’est notamment pour ça qu’on s’est positionnés avec Code for France dans le cadre du grand débat parce que les données n’étaient déjà pas mises tout de suite en open data et ensuite pas toutes mises en open data. On considère que c’est un impératif démocratique de base. Du coup on a mis à disposition les données au grand public, avec une mise à jour régulière, ce qui a permis à des citoyens de s’approprier ces données, d’y accéder, de les utiliser, de se les approprier, notamment à des chercheurs. Il y a plein de chercheurs qui ont commencé à faire leurs analyses et ça a permis la production d’analyses citoyennes, donc des analyses par et pour les citoyens. Notamment je vous invite à aller voir un projet qui s’appelle la grandeannotation.fr, qui repart des contributions publiées sur la plateforme pour permettre à des citoyens de les annoter ; c’est vraiment une analyse du grand débat par les citoyens. Il y a déjà des projets qui ont repris la Grande Annotation. Ces projets en plus se complètent donc c’est ça qui est super riche et qui est né, en fait, de l’ouverture des données.
Frédéric Couchet : Ce qui peut avoir aussi pour effet de bord de montrer peut-être les limites de la plateforme officielle : quand on permet à partir des données de faire des analyses, d’arriver peut-être à des conclusions radicalement différentes. Avoir uniquement les données disponibles mais sans le code auditable, Emmanuel va dire que ce n’est pas suffisant évidemment, il faut que la plateforme soit notamment auditable. En tout cas ça permet à des chercheurs de faire des analyses, de mettre en valeur des contributions et aussi de voir les mobilisations c’est-à-dire les fameux lobbies ; on l’a vu notamment sur des consultations précédentes, ne serait-ce que récemment le Conseil économique et social [Conseil économique, social et environnemental] qui a fait une consultation, je ne sais plus quel titre ils avaient intitulé mais qui était dans le cadre des débats, il y a eu une mobilisation très forte des gens qui étaient contre le mariage pour tous ; cette mobilisation s’est vue et après on peut analyser d’où viennent les contributions quand on a effectivement accès à ces données. Donc c’est assez essentiel. [Je vois que notre invité suivant va s’installer, vous entendez peut-être un petit peu de bruit.]

Tout à l’heure tu as cité, et avant qu’on fasse bientôt une pause musicale, un élément important parce que là, quelque part, on est sur la technique avec le logiciel libre, on est sur les données, et il y a l’humain, la gouvernance. Tout à l’heure tu as parlé d’impliquer les différentes structures dans la gouvernance, dans comment fonctionne la plateforme, comment évolue la plateforme, parce qu’une plateforme qui est éditée par une seule entreprise eh bien c’est l’entreprise qui décide comment ça va évoluer. Donc un point essentiel pour que le numérique devienne démocratique, comme tu le disais tout à l’heure, c’est la partie on va dire gouvernance, l’implication de l’ensemble des acteurs et des actrices, utilisateurs ou utilisatrices de la plateforme ou en tout cas intéressés. Est-ce que tu peux un petit peu détailler cet aspect-là, s’il te plaît Caroline ?
Caroline Corbal : Complètement. Ça c’est un modèle qui nous est extrêmement cher que ce soit côté DemocracyOS ou Code for France, ce sont les communs numériques. On est convaincus que les civic techs doivent être impérativement des communs numériques. Peut-être pour donner une définition des communs, les communs ce sont des ressources partagées. Ce sont des ressources qui sont développées par un ensemble d’acteurs qui est souvent hétérogène et qui sont régis par des règles qui assurent leur caractère ouvert et partagé. Donc on peut avoir tous types de communs et les logiciels peuvent être des communs. Ce qui est intéressant dans cette notion-là c’est la partie, comme tu le disais, gouvernance ; par exemple le choix de la licence fait partie de ces règles-là qu’on va mettre en place.
Frédéric Couchet : Le choix de la licence de la plateforme et des données.
Caroline Corbal : Oui, pardon, associées au logiciel.

Après il y a toutes les règles qui vont permettre à chacun de s’impliquer dans l’évolution de l’outil. Un exemple que j’ai en tête c’est le logiciel Decidim qui est un logiciel qui est né en 2015 à Barcelone, qui n’a pas mal progressé, qu’on utilise aujourd’hui en France. En fait c’est un logiciel où on retrouve des acteurs publics, donc l’impulsion très forte est publique à la base, mais on retrouve aussi des citoyens bénévoles, aujourd’hui aussi des entreprises qui contribuent, des chercheurs. Donc on a tout cet ensemble d’acteurs qui contribuent au futur du logiciel, qui disent qu’ils aimeraient développer telle ou telle fonctionnalité. En fonction de règles qui ont été établies collectivement par la communauté, des investissements sont fléchés vers le développement de ces fonctionnalités. C’est un modèle que je trouve particulièrement intéressant et pérenne pour garantir la pérennité des plateformes, leur indépendance. Je pense qu’on a tout intérêt à investir sur ces modèles-là.
Frédéric Couchet : D’accord. Justement tu parles d’investissement. Après la pause musicale on parlera aussi un peu de modèles économiques de fonctionnement. Là je crois qu’on a fait le tour sur les principes essentiels pour que, finalement, l’outil numérique ait toute sa force démocratique, mais ce n’est sans doute pas suffisant. Par exemple le simple fait de la forme, de la façon de poser les questions sur une consultation est en soi un vrai questionnement, un vrai problème par rapport aux objectifs. Je sais qu’il y a eu un débat entre les garants, je crois, et justement les organisateurs du grand débat sur la façon de faire des questions soit ouvertes soit fermées. Est-ce que tu voulais rajouter quelque chose là-dessus Emmanuel ?
Emmanuel Raviart : Oui, je voulais rajouter quelque chose. Ce que dit Caroline sur les communs est très intéressant, mais moi j’y apporterais des nuances.
Frédéric Couchet : Vas-y.
Emmanuel Raviart : En fait, si on fait la comparaison avec le monde du logiciel libre en général. Le monde du logiciel c’est plein de projets avec chacun des gouvernances très différentes : il y en a qui sont gérés juste par un développeur, d’autres qui sont gérés par une association, une fondation et des choses comme ça. Il y a en a certaines qui essaient de créer le modèle démocratique idéal pour créer le logiciel et je ne crois pas qu’il existe de modèle démocratique idéal pour construire un logiciel. Il y a des logiciels qui peuvent être codés par une personne, d’autres qui peuvent être codés par une équipe. Ce qui est important, et c’est ça qu’apporte le logiciel libre, c’est cette communauté, ce vivier de gens avec tout un tas de projets qui sont managés de manières différentes, gérés de manières différentes et de temps en temps il y en a qui marche, hop ! on reprend l’idée, on en fait un projet concurrent ou alors on l’améliore. C’est cette énergie parallèle et ces choses-là qui font que, à mon avis, c’est plus important que la gouvernance des communs. Le logiciel libre c’est le choix et finalement au lieu de chercher à dire on va faire une démocratie parfaite, on va faire des outils parfaits avec un fonctionnement démocratique parfait, je crois que le plus important c’est de pouvoir innover sur plein de projets différents et pouvoir prendre les meilleurs logiciels au fur et à mesure des besoins. Je voulais juste dire ces nuances que j’apporte. Souvent on commence par se dire : avant de créer mon logiciel je vais d’abord créer la structure démocratique parfaite et généralement, une fois qu’on a créé la structure démocratique, on a oublié qu’on voulait faire le logiciel. Voilà. Un logiciel peut se faire de manière très dictatoriale et ça peut être un très bon logiciel libre quand même. Ce n’est pas du tout en désaccord avec ce que tu disais.
Caroline Corbal : Je suis d’accord avec toi. En fait sur Decidim, ce qui est intéressant, c’est qu’au début ce sont les besoins techniques qui ont prévalu, c’est que Consult n’allait pas, il manquait des fonctionnalités et c’est juste ensuite, quand il a fallu rajouter de nouvelles parties prenantes parce qu’il y avait pas mal aussi d’autorités locales qui ont voulu se rajouter, là il a fallu créer des règles de gouvernance adaptées.
Frédéric Couchet : Justement. Pour mieux comprendre, pour que les personnes comprennent mieux, après la pause on parlera un peu plus de Decidcim. Quel est ce logiciel, cette plateforme ? Effectivement à quoi ça sert et comment c’est né ? [Tu peux rentrer ; Vincent Calame rentre]. On va faire la pause musicale donc tu tombes au bon moment. On va faire une pause musicale, ça s’appelle Le jour du départ et c’est Max Livio.
Pause musicale : Le jour du départ par Max Livio.
Voix off : Cause Commune 93.1
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Max Livio, c’est un reggae tout à fait sympathique. Les personnes qui suivent l’émission l’auront peut-être reconnu, parce qu’on l’a déjà passé. On a appris récemment que Max Livio faisait partie des candidats d’une émission de télé sur TF1, c’est un artiste qui se présente depuis une dizaine d’années, donc il a fait au moins un album en licence Creative Commons Partage à l’identique ; ça s’appelait Le jour du départ, Max Livio.

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Nous parlons toujours du sujet des civic techs et du logiciel libre, des données ouvertes, de la gouvernance. On a parlé un petit peu, pas théorique, mais en tout cas grandes idées et échanges. On va parler maintenant un peu plus concret et notamment on va citer quand même la structure qui est quasiment en situation de monopole en France depuis quelques années sur ce sujet-là, qui n’est pas du tout dans le mode du logiciel libre, qui n’est pas du tout dans les données ouvertes et qui n’est pas du tout dans une gouvernance ouverte également ; c’est donc la société Cap Collectif qui existe depuis 2014 et qui, comme j’ai dit tout à l’heure, leur outil propulse de nombreuses consultations depuis quelques années en France, notamment les consultations récentes du grand débat, du vrai débat. J’aurais envie de vous demander quels problèmes posent l’utilisation de cette plateforme même si on a bien une idée de la réponse, mais quand même ! Qui veut commencer ? Emmanuel Raviart. En fait ils sont en train de se regarder tous les deux.
Emmanuel Raviart : À qui ne voudra pas répondre ! Je vais prendre le problème un peu différemment. En fait, quand on y réfléchit, on est en train de demander aux citoyens de proposer, de mettre leurs opinions politiques, ce qui est quand même quelque chose qui jusqu’à maintenant était considéré comme très proche de l’intime et du secret sur une plateforme hébergée par un prestataire dont on connaît un peu les antécédents.
Frédéric Couchet : Quels antécédents ?
Emmanuel Raviart : Il a été lobbyiste notamment pour l’industrie du tabac ou autres. C’est même un lobbyiste agressif. J’ai même été victime une fois de son lobbying, donc je peux vous le raconter ; je ne vous raconterai pas, mais en tout cas c’est agressif ! Ce n’est pas illégal du tout mais c’est un peu violent. En fait ce n’est pas tellement ça le sujet le plus intéressant. On est en train de demander aux citoyens de mettre des choses qui sont quand même très privées, dont on a tout intérêt à se protéger et à laisser secrètes, sur une plateforme dont on ne maîtrise pas grand-chose, qui travaille en plus pour le ministère de l’Intérieur, donc on ne maîtrise pas totalement… En fait on est en train de se dire que les citoyens sont invités à donner leurs opinions politiques à une plateforme privée et aussi au ministère de l’Intérieur. On peut peut-être réfléchir là-dessus deux minutes. C’est une façon de prendre le problème un peu différemment.
Frédéric Couchet : Comment expliquez-vous ce quasi-monopole ? Finalement tout à l’heure Caroline parlait de Decidim, mais il y a aussi des logiciels libres de consultation. Il y a DemocracyOS, vous en faites la promotion et vous en connaissez certains. Est-ce que vous avez une idée qui explique ce monopole de fait ? Emmanuel Raviart a l’air d’être bien au courant.
Emmanuel Raviart : Non, je ne suis pas bien au courant, mais c’est une entreprise qui est très efficace, qui a su créer une association autour de son logiciel, qui a su faire du lobbying, qui est là depuis assez longtemps d’ailleurs ; elle a le mérite d’être un peu antérieure à d’autres initiatives et c’est un très bon lobbyiste, qui connaît le fonctionnement de l’Assemblée, qui connaît le fonctionnement du politique, qui avait ses réseaux. Donc il avait un tapis rouge devant lui et il est suffisamment bon pour s’en servir. Voilà ! C’est aussi une des raisons de son succès.
Frédéric Couchet : D’accord. Caroline est-ce que tu veux rajouter quelque chose ou est-ce que tu estimes qu’Emmanuel a tout dit ?
Caroline Corbal : Non, je pense que ça va, il a fait le tour.
Frédéric Couchet : Pour les personnes, parce qu’on ne va pas rentrer dans tous les détails des activités de Cap Collectif et de l’historique de Cyril Lage son cofondateur, mais sur le site de l’April, vous pouvez aller voir, j’ai mis des références parce qu’il a fait l’objet de plusieurs enquêtes récentes notamment sur Bastamag. Il y a un article aussi de Quitterie de Villepin sur Médiapart, il y a un article récent dans Les Jours, mais je crois que Les Jours c’est réservé aux personnes abonnées. En tout cas, il y a effectivement un questionnement qui est fait à la fois sur le recours à cette plateforme totalement privatrice et sur le contrôle d’une seule structure et sur le passé de cette personne qui a été dix ans lobbyiste chez Spin Partners, le patron de Spin Partners est l’un des directeurs de l’École de guerre économique. On voit déjà, quand on parle de guerre économique, qu’on n’est pas du tout dans le même type de société que la nôtre. Et qui a en grande partie aussi théorisé le fait de créer des plateformes de consultation citoyenne pour la manipulation de l’opinion. Ce sont des choses qui ne sont pas très surprenantes. Une question qu’on peut se poser, mais je ne la poserai pas évidemment, c’est pourquoi avoir créé Cap Collectif ? Est-ce que c’est vraiment pour l’intérêt général ou pour une autre raison ?

Ceci dit ça pose une question, parce que finalement le modèle économique de Cap Collectif c’est sur des ventes de licences, comme Microsoft historiquement et d’autres. Caroline Corbal, tout à l’heure tu parlais notamment d’autres outils, là en logiciels libres avec une transparence et une gouvernance vraiment différentes, tu parlais notamment de Decidim. Quels sont justement les modèles économiques pour les structures qui créent ce genre d’outils, mais vraiment ce coup-ci en logiciels libres avec données ouvertes ? C’est peut-être l’occasion de nous expliquer ce qu’est Decidim, comment ça fonctionne, comment ça a été créé.
Caroline Corbal : Déjà sur cette question des modèles économiques, peut-être une remarque préalable, c’est que pour les civic techs, on peut faire coexister des modèles non-lucratifs aussi, donc c’est fondamental que les associations continuent d’exister avec des modèles non-lucratifs et qu’en parallèle des entreprises puissent vivre de modèles viables et pérennes.
Frédéric Couchet : Oui. D’ailleurs ça me fait penser par rapport ça, excuse-moi, avant que tu poursuives, on va rappeler que dans le monde politique une bonne partie du politique est faite de façon totalement bénévole, c’est-à-dire par les militants, par les gens qui collent les affiches, par exemple par les gens qui vont faire le dépouillement dont on parlait tout à l’heure c’est de façon bénévole, c’est effectivement important ce que tu rappelles : il y a une partie bénévole, on va dire non payée quelque part dans ce monde politique et que peut-être c’est même la majorité des cas. Vas-y, je te laisse poursuivre.
Caroline Corbal : Il faut que ces deux modèles-là cohabitent. Sur le modèle économique de certaines entreprises, un modèle qui peut être intéressant c’est celui qui est expérimenté encore aujourd’hui parce que rien n’est écrit, rien n’est évident, ils sont encore en train d’apprendre et d’expérimenter, c’est une entreprise qui s’appelle Open Source Politics et qui propose du service autour de logiciels libres pour la participation citoyenne. Donc il y a eu DemocracyOS, beaucoup.
Frédéric Couchet : Donc DemocracyOS c’est un outil ?
Caroline Corbal : C’est un outil, c’est une plateforme de consultation en ligne. Aujourd’hui ils utilisent beaucoup le logiciel Decidim qui est assez complet en termes de fonctionnalités : il permet d’avoir des boîtes à idées, de la consultation, des budgets participatifs. Donc par exemple il y a plusieurs collectivités locales qui utilisent aujourd’hui Decidim pour leurs démarches de participation et une entreprise comme Open Source Potilitcs, ce qui est intéressant c’est qu’elle va faire de l’accompagnement, donc du service autour de ces communs numériques. Ça va être par exemple tout ce qui est processus d’animation de la consultation mais aussi développement de fonctionnalités, adapter le logiciel aux besoins de l’utilisateur, etc. Toutes ces améliorations-là sont reversées ensuite, grâce à la licence qui est associée à Decidim, au pot commun, donc elles peuvent aussi bénéficier à des projets qui n’ont pas de budget, qui ne souhaitent pas se faire accompagner. En fait ça enrichit le commun qu’est Decidim.

Ça c’est un modèle qui est particulièrement intéressant pour une autre raison aussi c’est que des modèles comme celui qu’on a évoqué précédemment avec Cap Collectif, ça pose un problème éthique qui est celui de l’investissement public dans le sens où à chaque fois qu’une collectivité locale, je reprends cet exemple-là parce que aujourd’hui c’est un peu plus courant dans les civic techs, réutilise Decidim [Cap Collectif, NdT], enfin utilise Cap Collectif, ils repayent pour accéder au logiciel. Et à chaque fois c’est de l’argent public, donc c’est de l’argent du contribuable, alors que s’ils utilisent des communs numériques, ils vont peut-être plus investir sur l’amélioration du logiciel pour qu’il réponde plus aux besoins des citoyens ou sur de l’accompagnement pour que la démarche se passe mieux, et puis en plus, surtout, ça sera reversé au pot commun. Donc en fait c’est un cercle vertueux. Je pense qu’il y a encore énormément de pédagogie à faire sur ce modèle-là, que ce soit auprès des institutions publiques, des citoyens et des entreprises.
Frédéric Couchet : D’accord. Decidim, historiquement si je me souviens bien, pour faire le lien avec la discussion tout à l’heure entre on fait une gouvernance et on développe et Manou, Emmanuel Raviart qui dit…[rires] On a révélé, en fait je voulais le faire rire, c’était mon test.
Caroline Corbal : Ça y est !
Frédéric Couchet : Voilà c’est fait. On a révélé qu’avec Emmanuel Raviart, on se connaît depuis plusieurs années donc je l’appelle par son petit nom, mais l’explication d’Emmanuel Raviart de dire on commence par coder et après, ce qui est important, c’est le code. Decidim, si je me souviens bien, c’est la mairie de Barcelone qui a lancé ce projet initialement ; je vais essayer d’expliquer très rapidement. Je vais quand même préciser que malgré le nom Open Source Politics c’est une entreprise française.
Caroline Corbal : Oui.
Frédéric Couchet : Ce n’est pas une multinationale américaine, pas du tout, c’est une entreprise française qui doit peut-être être basée à Saint-Denis ou pas, mais je ne sais plus.
Caroline Corbal : Ils sont à Paris maintenant.
Frédéric Couchet : Donc Decidim, initialement, est développé par un besoin d’une collectivité qui est la mairie de Barcelone, qui a ensuite évolué et qui est repris par d’autres collectivités et notamment grâce au travail d’entreprises comme Open Source Politics. C’est bien ça ?
Caroline Corbal : Exactement. Tu as extrêmement bien décrit. C’est né à Barcelone ; ils avaient utilisé Consult qui était l’outil lancé par Madrid initialement. Progressivement ils ont développé Decidim, ils ont inclus de plus en plus d’acteurs dans la gouvernance, donc ils se sont posés des questions pour qu’il n’y ait pas de position dominante qui émerge dans la gouvernance de l’outil. Ils ont établi un certain nombre de règles. Je vous invite à aller voir Metadecidim, c’est la communauté qui gère Decidim, l’évolution du logiciel. Ce qui est intéressant c’est que le projet prend vraiment une dimension européenne aujourd’hui, notamment en France. Donc dans Code for France, une de nos ambitions c’est de faire progresser Decidim, de faire en sorte qu’on puisse le rendre accessible à de nombreux publics notamment qui n’ont pas de budget. Là on va lancer une plateforme Decidim à disposition gratuitement des associations parisiennes, parce qu’il y a beaucoup d’associations parisiennes qui ont besoin d’outils de démocratie participative ou même de gestion interne un peu plus participative de leur vie quotidienne. Ça c’est un des projets qu’on va mener avec Code for France sur Decidim.

Un dernier point peut-être sur les communs numériques, un des enjeux qu’on va avoir à gérer je pense avec ces communs pour la participation, c’est de toujours se rappeler cette volonté qui est à la base du commun qui est de créer, enfin de garantir des conditions d’accès égalitaires aux communs. En fait aujourd’hui le commun est de plus en plus technique, il y a de plus en plus de fonctionnalités qui se développent. Un des enjeux ça va aussi être de continuer à faire en sorte qu’il soit simple, accessible pour tous. En fait ça demande un effort, ce n’est pas naturel. Là on tend vers de l’expertise. Il va falloir toujours avoir ce truc en tête et investir pour que ça reste quelque chose de vraiment accessible dans les faits pas que dans le discours.
Frédéric Couchet : Exactement. Étienne tu voulais intervenir ? Étienne Gonnu.
Étienne Gonnu : Simplement pour dire que je pense que tu défends très bien globalement, tes arguments sont vraiment justes pour défendre la priorité au logiciel libre que nous on défend. Effectivement dans ce reversement aux communs, cette idée finalement : on voit bien que si des grosses collectivités, si l’État soutient et finance du logiciel libre, les plus petites collectivités, les plus petites associations vont pouvoir bénéficier du développement fait, du financement en amont. Je pense que c’est extrêmement bien.
Frédéric Couchet : Tout dépend d’une volonté politique initiale : à Barcelone il y avait une volonté politique de faire un commun. Visiblement en France la volonté politique des communs n’est pas encore tout à fait présente. On ne va guère être surpris vu les dernières annonces qu’on a concernant des structures comme la DINSIC, donc la DSI de l’État ou autres structures.

Caroline tu veux rajouter quelque chose.
Caroline Corbal : Juste peut-être pour souligner quand même le travail de la mission Société Numérique qui dépend de l’Agence du numérique.
Frédéric Couchet : D’accord.
Caroline Corbal : Et qui investit pour les communs numériques. L’année dernière on a publié avec eux, avec toute une communauté d’acteurs dans le cadre de l’événement Numérique en commun(s) un tutoriel pour les communs numériques, donc pour aider notamment les collectivités locales à rentrer dans des démarches de communs numériques, pour un peu nuancer le tableau.
Frédéric Couchet : C’est l’Agence du numérique et c’est Société Numérique, c’est ça ?
Caroline Corbal : Voilà c’est la mission Société Numérique au sein de l’Agence du numérique qui met à disposition ce genre de ressources.
Frédéric Couchet : Oui, effectivement, toutes les agences de l’État ne sont pas à « jeter » entre guillemets. Il y en a qui font un travail correct, quand même ! Caroline tu as tout à fait bien fait de le dire et on rajoutera la référence sur le site de l’April dès qu’on pourra.

Emmanuel là-dessus, sur Decidim ou sur… Tu parlais tout à l’heure, justement tu as créé trois entreprises, donc les modèles économiques tu connais un petit peu aussi. Est-ce que tu as un commentaire à faire ?
Emmanuel Raviart : Non. Sur Decidim je n’en ai pas à part que j’avais essayé de l’installer, je n’y étais pas arrivé mais c’était mon problème à moi.
Caroline Corbal : Tu n’as pas e chance !
Frédéric Couchet : Tu avais pris une version vraiment alpha.
Emmanuel Raviart : Non, c’était moi qui avais… Bon ! C’est très bien Decidim. Je n’ai pas de choses à dire en plus tout de suite.
Frédéric Couchet : D’accord. De toute façon on approche de la fin de ce sujet. C’est l’occasion, avant qu’on oublie, de citer quelques sites web. Donc codefor.fr, c’est Code for France. Avant d’oublier aussi, Caroline Corbal, je crois que vous avez une assemblée générale bientôt donc je te laisse donner les informations.
Caroline Corbal : Ce sera le 24 avril à 18 heures 30 au Liberté Living Lab et vous êtes les bienvenus, on va renouveler le conseil d’administration, donc n’hésitez pas.
Frédéric Couchet : Liberté Living Lab c’est à Paris. Est-ce qu’il y aura une diffusion ?
Caroline Corbal : C’est une excellente question. Si le besoin se fait ressentir on pourra avoir une vidéoconférence ; tout sera documenté sur des pads et vous pouvez aussi rejoindre notre chat où tout se passe, c’est chat.codefor.fr.
Frédéric Couchet : Vous allez sur chat.codefor.fr, vous pourrez rejoindre ce projet et on mettra la référence sur le site de l’April.

Je crois qu’on a fait une bonne partie de l’émission à moins que vous vouliez rajouter quelque chose sur ce sujet entre civic techs, civic business. Est-ce que vous avez des annonces à faire par rapport à ça, au-delà de l’assemblée générale de Code for France ?
Emmanuel Raviart : Ce que je voudrais juste dire pour les auditeurs qui sont tech ou pas tech mais enfin qui s’intéressent vraiment à la démocratie numérique, rappeler qu’il y a une association qui travaille beaucoup sur ce sujet, une association principalement d’informaticiens mais pas que, qui s’appelle Regards Citoyens, qu’on cite sans doute régulièrement ici. Grâce à elle, maintenant l’Assemblée nationale et le Sénat publient en open data énormément de données quand même ; c’est grâce à Regards Citoyens. Je vous conseille d’aller sur Regards Citoyens.

Pour améliorer la démocratie il faut la comprendre et je me suis rendu compte par ma carrière, par ma petite carrière que finalement on ne se rend pas compte, on ne sait pas du tout comment fonctionnent ni l’administration française, ni le Parlement et tout ça. Il y a une initiative que j’aime bien, j’en suis un peu à l’origine mais qui continue sans moi, qui est le Parlement ouvert de la députée Paula Forteza. Si vous voulez savoir un peu comment fonctionne l’Assemblée allez toutes les semaines au Bureau Ouvert. Le site c’est parlement-ouvert.fr et l’initiative c’est Bureau Ouvert. C’est comme ça, c’est en apprenant comment ça fonctionne réellement qu’on pourra améliorer les choses parce qu’un des reproches qu’on peut faire aux civic techs en général c’est que souvent les logiciels n’ont pas d’utilisateurs et n’ont pas notamment les politiques comme utilisateurs et qu’il faut absolument se greffer à eux si on veut essayer de changer les choses.
Frédéric Couchet : Exactement. Comme tu parles de Parlement ouvert, j’en profite pour signaler que Marie-Odile Morandi qui est bénévole à l’April, qui s’occupe des transcriptions, a utilisé ce site l’an dernier pour suggérer des questions au gouvernement, que trois de ses questions ont été relayées — site proposé par Paula Forteza et Matthieu Orphelin — et les trois ont reçu des réponses [une seule question a reçu une réponse, NdT]. Donc c’est une façon aussi de s’impliquer via des sites participatifs.
Emmanuel Raviart : Des sites montés avec un logiciel libre islandais que nous avions réutilisé.
Frédéric Couchet : Et qui s’appelle comment ?
Emmanuel Raviart : Je viens d’oublier son nom, je vais le retrouver, je l’avais installé, je devrais le retrouver.
Frédéric Couchet : OK. Écoutez en tout cas merci à vous. On mettra la référence, le nom de logiciel islandais sur le site de l’April, l’assemblée générale de Code for France le 24 avril au Liberté Living Lab à Paris et s’il y a besoin d’une retransmission n’hésitez pas à nous envoyer un petit message, en tout cas il y aura les comptes rendus qui seront publiés et tout est sur le site également.

Je remercie bien sûr Emmanuel Raviart et Caroline Corbal, mais vous restez évidemment avec nous pour la chronique qui va suivre.
Caroline Corbal : Merci.
Frédéric Couchet : Nous allons d’abord faire une petite pause musicale. Nous allons écouter When the Devil’s Got Your Name par The Damned and Dirty.
Pause musicale : When the Devil’s Got Your Name par The Damned and Dirty.
Voix off : Cause Commune 93.1
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter When the Devil’s Got Your Name par The Damned and Dirty. C’est en licence Creative Commons Partage à l’identique et la référence est évidemment sur le site de l’April.

Chronique « Jouons collectif »

Vous êtes toujours sur Cause Commune 93.1 en Île-de-France et sur causecommune.fm partout ailleurs et vous écoutez toujours l’émission Libre à vous !.

Nous allons terminer par le dernier sujet avec la chronique de Vincent Calame, ça doit être ta troisième chronique, Vincent.
Vincent Calame : Oui.
Frédéric Couchet : Intitulée « Jouons collectif ». Je rappelle, Vincent, que tu es informaticien et bénévole à l’April et que dans le cadre de ton travail tu échanges avec pas mal de collectifs donc tu viens un peu nous raconter tes expériences, en tout cas tes réflexions là-dessus. Aujourd’hui le thème est « en fait c’est simple ». Quand tu m’as envoyé ça, je me suis dit de quoi veut-il parler ?
Vincent Calame : En fait l’idée de cette chronique m’est venue à la fin de ma chronique précédente quand je suis allé voir notre ami Étienne qui était alors en régie. Quand on va en régie on voit une console avec plein de boutons, on a l’impression qu’on est devant une station, un poste de pilotage d’avion. Là il me dit : « Mais, non, en fait c’est simple, il y a juste à appuyer au bon endroit ». Cette phase « en fait c’est simple », je l’entends souvent, je l’ai notamment entendue peu de temps après quand j’ai expliqué une commande à une collègue qui m’a dit : « Mais en fait c’est simple ! » Donc c’est quelque chose qui revient très souvent. Après avoir expliqué une commande, une fonction, eh bien la personne réagit en disant « mais en fait c’est simple ».
Frédéric Couchet : J’ai toujours cru que l’informatique c’était compliqué mais finalement tu me dis : « En fait l’informatique c’est simple ! » C’est ça ?
Vincent Calame : En fait je pense que c’est assemblage complexe de choses très simples. Après tout l’informatique ce sont des 0 et des 1, donc on ne peut pas faire plus simple que des 0 et des 1, mais c’est assez complexe. Ce qui est complexe, surtout, c’est que c’est intimidant parce qu’il y a beaucoup de possibilités : quand on est face à un logiciel il y a des boutons, il y a des commandes partout, on ne sait pas où cliquer. Mais souvent, une fois qu’on sait où cliquer, ça devient d’une simplicité biblique dirons-nous.
Frédéric Couchet : L’expérience de la régie pourrait le laisser penser mais en fait le problème, des fois, c’est qu’on a appris à cliquer, on se dit c’est simple et puis le temps passe et on oublie. C’est un des problèmes, non ?
Vincent Calame : Oui, ça c’est le gros problème de l’informatique que j’ai remarqué, c’est que ça s’oublie très vite ; dès qu’on ne pratique pas ça s’oublie. Je dirais, c’est une hypothèse très personnelle, que comme l’informatique normalement c’est sur un écran il n’y a que la mémoire visuelle qui est en action, il n’y a pas du tout de mémoire du geste, ce qui fait que finalement on perd très vite ses repères. Maurice Chevalier chantait « Marcher au pas, c’est comme la bicyclette ça ne s’oublie pas », mais je crois que l’informatique, comme on ne sollicite pas vraiment son corps, ça s’oublie très rapidement.
Frédéric Couchet : Oui, parce qu’il n’y a pas la mémoire du geste, etc. Par contre, Vincent, je suis un peu désolé, tu as de citer Maurice Chevalier, je connais tes capacités vocales, je pense qu’à ta prochaine chronique tu devras nous chanter du Maurice Chevalier ou du Boris Vian, parce que je sais que tu maîtrises tout ça. Il rougit parce qu’il n’avait pas prévu que je fasse ça !

Donc comme un sport qui va être pratiqué régulièrement, en tout cas la mémoire des gestes, toi tu dis, ton sentiment c’est que l’informatique doit être pratiquée régulièrement.
Vincent Calame : Oui. Ça doit être pratiqué régulièrement parce qu’une interface simple c’est quoi ? C’est une interface qui vous est familière. C’est comme un site web ; les sites nous paraissent plus ou moins compliqués. Certains qu’on fréquente couramment nous paraissent simples, en fait c’est familier.

La petite difficulté c’est qu’il y a quand même beaucoup de fonctions qu’on n’utilise pas souvent. Même dans un logiciel qu’on utilise quotidiennement, il y a des fonctions avancées, notamment, qu’on n’utilise qu’une fois par mois et là aussi on va très vite oublier comment faire. Je crois qu’il y a deux choses : finalement il ne faut pas se focaliser sur la fonction exacte, mais il faut un, ne pas oublier son existence — on va se dire avec ce logiciel je suis capable de faire ça ; comment, j’ai oublié, mais je sais que je suis capable le faire — et ensuite savoir comment retrouver cette information du fait que cette fonction existe.
Frédéric Couchet : D’où peut-être l’importance, des fois, de documenter ces fonctions qu’on utilise peu souvent, voire de toujours documenter tout ce qu’on fait. Moi j’ai l’habitude de documenter au maximum quand j’installe des logiciels. Je pense que je ferai réagir tout à l’heure Emmanuel Raviart qui me fait non avec un signe de la tête. Oui ! Ah si, si !
Emmanuel Raviart : Je documente toujours, je garde l’historique complet pour pouvoir le refaire et ça me sert tout le temps.
Frédéric Couchet : Tu confirmes.

Pour revenir au titre de la chronique, « en fait c’est simple », finalement, imaginons une formation, est-ce que c’est la personne qui donne la formation qui doit dire cette phrase à celle qu’elle accueille ?
Vincent Calame : Effectivement c’est le piège, c’est que quand on forme on est devant la personne et quand on dit à une personne « tu vas voir c’est simple » et qu’on clique trois fois très rapidement, ce n’est pas très pédagogique et là aussi on intimide encore plus la personne en lui disant que c’est simple. Si elle ne comprend pas elle va culpabiliser en pensant que c’est de sa faute. Le « en fait c’est simple » doit être la conclusion d’une formation. C’est quand l’étudiant, enfin la personne apprenante se rend compte « finalement oui c’était simple une fois qu’on sait ». L’informatique c’est beaucoup l’œuf de Colomb, c’est simple, mais il suffisait d’y penser, il fallait y penser. C’est un peu ça, une fois qu’on sait ça nous paraît assez évident.
Frédéric Couchet : Là tu expliques que finalement c’est simple pour la personne qui a appris ou la personne qui utilise, mais on est dans une émission où c’est le partage, le logiciel libre, les données, on partage, est-ce que l’étape d’après ce n’est pas de partager ces fameux petits trucs et astuces, ces petites notes dont parlait Emmanuel Raviart il y a un instant.
Vincent Calame : Si,si, complètement. Vous pouvez vous dire que quand vous trouvez qu’un logiciel est simple ce n’est pas parce qu’il est simple, c’est parce que vous le maîtrisez. J’ai cette remarque de gens qui ne se rendent pas compte même de leurs propres compétences d’ailleurs en informatique, ils disent « en fait c’est très simple ». Oui, en fait c’est très simple parce que tu sais utiliser le logiciel de manière efficace, il te fait réellement gagner du temps, parce que le but du logiciel c’est quand même ça, et tous ne font pas gagner du temps, mais si tu sais bien l’utiliser, tu le maîtrises bien, ça te paraît simple et à ce moment-là je pense que l’étape d’après, qu’on apprécie, c’est de rendre un peu à la communauté ce qu’elle nous apporte et notamment en aidant les autres, les débutants, en les aidant à maîtriser ce logiciel pour que ça fasse boule de neige. Là il y a plusieurs techniques, c’est souvent participer à des forums ; les gros logiciels ont des forums d’aide aux utilisateurs, donc c’est un bon moyen d’aider des gens à maîtriser un logiciel : partager votre connaissance, sachant qu’en plus ces forums sont archivés donc il y a des chances que des personnes recherchant, via un moteur de recherche, trouvent vos réponses. Et puis il y a une autre piste, c’est d’ouvrir un billet de blog où vous mettez justement vos découvertes, par exemple vous découvrez une fonction que vous n’aviez jamais découverte sur un logiciel et ça peut être un bon moyen de la partager. Ce sera peut-être vu par cinq personnes par mois, ce n’est pas grave, la ressource existe, les moteurs de recherche vont la retrouver et vous pourrez sans le savoir, vous n’aurez peut-être pas de retour, mais vous pourrez rendre service à quelqu’un qui cherchait depuis des heures la fonction que vous maîtrisez parfaitement et qui ne vous prend qu’une minute à faire.

Je rajoute qu’on parle beaucoup de contribution dans le cadre du logiciel libre, ce type de contribution est un bon exemple : on peut contribuer de manière très efficace au logiciel libre sans taper une ligne de code justement en partageant son savoir et ses astuces et son savoir-faire.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Est-ce que Caroline ou Emmanuel vous voulez réagir là-dessus ou non ?
Emmanuel Raviart : Non. C’est parfait et c’est vraiment ce qu’il faut faire : écrire une petite doc, la mettre en ligne. Moi j’utilise plutôt git pour mettre en ligne mais c’est le même principe.
Frédéric Couchet : Chacun sa méthode de mise en ligne. Effectivement la tienne est un peu plus geek, on va dire, mais on retrouve aussi l’information et c’est vrai, je pense qu’on a tous ici été confrontés à ce cas-là où on cherche une solution, un conseil et on le trouve sur Internet, des fois sur un forum, des fois sur un site web, des fois sur git. Donc on vous encourage, en tout cas Vincent vous encourage à partager vos trucs et astuces, vos documentations ; c’est simple à faire et ça peut sauver pas la vie mais en tout cas ça peut aider d’autres personnes sur Internet.
Vincent Calame : Oui, parce que du fait des moteurs de recherche, si vous mettez les bons mots dans votre titre, il y a des chances que la personne quand elle va taper, elle va trouver votre site parce que vous dites comment mettre en gras tel cadre. Soyez assez précis et les moteurs vous trouveront.
Frédéric Couchet : Eh bien écoute, merci pour cette chronique. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose ?
Vincent Calame : Non.
Frédéric Couchet : Non. Donc pour la prochaine émission tu sais ce qui t’attend ; si ça se trouve il ne va plus vouloir venir ! J’en profite quand même pour remercier grandement Vincent parce que Vincent s’occupe en partie de l’accueil des associations libristes à la FPH dans le 11e et je le remercie d’autant plus que nous étions ce week-end à la FPH, ce dimanche pour un April Camp. Un April Camp c’est une réunion de membres de l’April ou de soutiens, donc c’était ouvert à toute personne. Grâce à Vincent et à la FPH, on peut avoir un lieu absolument incroyable, accessible pour toute personne. On me montre un petit papier.
Caroline Corbal : Éviter les acronymes.
Frédéric Couchet : FPH c’est Fondation pour le Progrès de l’Homme, homme avec un grand « H », précisément c’est la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, c’est dans le 11e arrondissement. Je tenais à le remercier. Outre ça il est d’une gentillesse incroyable et il a une voix magnifique, notamment quand il chante du Boris Vian. Nous sommes fans tous les deux de Boris Vian.
Nous allons passer aux annonces diverses et variées. Je regarde l’heure.
Jingle musical basé sur Sometimes par Jahzzar.

Annonces

Frédéric Couchet : Je rappelle que la radio a une boîte vocale donc vous pouvez appeler le 01 88 32 54 33, je répète 01 88 32 54 33 et vous pouvez laisser un message d’une durée maximale de dix minutes ; ce message passera à l’antenne à un moment que je ne connais pas. N’hésitez pas à l’utiliser.
En début d’émission on a parlé malheureusement du vote au Parlement européen sur la directive droit d’auteur et l’article 13. La mobilisation n’est pas finie, parce qu’il y a une autre campagne en cours qui concerne la proposition de règlement terroriste/censure sécuritaire et ce n’est pas une blague, mais le vote aura lieu en commission des libertés civiles le 1er avril. Là vous allez sur le site de La Quadrature du Net donc laquadrature.net et vous aurez toutes les informations pour vous mobiliser sur cet autre texte qui met en danger les libertés fondamentales.
Côté plutôt positif le Libre en Fête se poursuit, vous savez les événements partout en France pour sensibiliser autour du logiciel libre. C’est jusqu’au 7 avril, le site c’est libre-en-fete.net.

On parlait de la FPH à l’instant, il y a la soirée hebdomadaire de contribution au Libre, donc jeudi soir 28 mars à partir de 19 heures si je me souviens bien.
Vincent Calame : 19 heures 30.
Frédéric Couchet : 19 heures 30, tu vois je me souvenais mal !

La Fondation pour le logiciel libre, donc la Free Software Foundation a remis ses awards donc ses prix annuels ce week-end. OpenStreetMap a reçu le prix pour le projet pour un bénéfice social. Nous recevrons justement des gens d’OpenStreetMap sans doute courant avril, peut-être mai, pour présenter ce projet magnifique de cartographie libre. Une deuxième personne a reçu un prix ; il s’agit de Deborah Nicholson, c’est le prix pour l’avancement du logiciel libre. Deborah Nicholson est impliquée dans de nombreux projets de logiciels libres depuis une dizaine d’années dont notamment le projet Software Freedom Conservancy, je ne sais pas comment on traduirait de l’anglais, mais c’est un projet qui accueille d’autres projets logiciels libres pour leur fournir une base de soutien légal, financier et qui existe depuis maintenant une quinzaine d’années, donc Software Freedom Conservancy. Deborah Nicholson et OpenStrretMap ont reçu ce prix qui est remis chaque année par la Fondation pour le logiciel libre dans leur événement annuel à Boston aux États-Unis.
On entend le générique qui part en mode tapis.

Je vérifie si j’ai d’autres annonces, à priori non. Si vous cherchez des événements libristes, vous allez évidemment sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org et vous retrouverez tous les événements.
Notre émission se termine. Je vais remercier évidemment chaleureusement Patrick Creusot en régie ; Étienne Gonnu qui est passé du côté de la régie à côté de Patrick ; Emmanuel Raviart dont j’ai révélé malheureusement le petit nom, merci Emmanuel ; Caroline Corbal, merci Caroline ; Vincent Calame, qu’on retrouvera le mois prochain.
Vous retrouverez sur le site de l’April, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, donc causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
La prochaine émission aura lieu mardi 2 avril à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices du logiciel libre avec trois personnes invitées : de mémoire Magali Garnero pour Parinux, le groupe d’utilisateurs et d’utilisatrices de Paris ; Didier Clermonté pour LINESS, c’est un groupe qui est situé en Essonne et nous aurons Romain Volpi, si je me souviens bien qui lui est à l’ALDIL qui est l’Association du développement de l’informatique libre dans la région lyonnaise et qui, le week-end qui suit, fait un week-end de conférences et d’événements autour du logiciel libre. Donc c’est la semaine prochaine mardi 2 avril à 15 heures 30, les groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices de logiciels libres.
Nous vous souhaitons de passer une bonne fin de journée. On se retrouve mardi prochain et d’ici là portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.