Le monde numérique "Libre" peut-il être inclusif sans les femmes ?

L’informatique joue un rôle croissant dans l’évolution de nos sociétés, mais les femmes sont largement sous-représentées dans ces métiers depuis plusieurs décennies. Il n’y a bien sûr aucune fatalité ou prédestination à cette division sexuée des savoirs : dans les années 1980, l’informatique était un métier plutôt féminisé, du moins, pour un métier technique.
Si aujourd’hui les femmes occupent 30% des emplois dans les métiers du numérique, elles sont essentiellement dans les fonctions de support (tels que le marketing ou les ressources humaines). Dans les filières de pointe, comme l’intelligence artificielle ou la cybersécurité, elles sont moins de 15%.
Il est temps de changer de paradigme et de cesser de faire peser la responsabilité de cette discrimination sur les filles et les femmes qui ne sauraient pas s’orienter et qui n’oseraient pas aller en science. Les femmes ne s’autocensurent pas, elles subissent une censure sociale continuelle qui les détourne du numérique. Ce ne sont pas les femmes qui ont besoin de s’orienter vers « la Tech  », mais le numérique qui a désespérément besoin de plus de mixité afin de nous inclure toutes et tous. C’est à l’école mais aussi dans les communautés de développement logiciel que ce défi devra être relevé.

Bonjour à tous et à toutes.
Je suis ravie d’être avec vous aujourd’hui pour vous parler du Libre et des femmes dans le Libre. Ça m’a amenée à faire une rétrospective. Ça fait un moment que je travaille sur le sujet des femmes dans le numérique, ça fait en gros 20 ans. Comme je le dis souvent, au début, quand je travaillais là-dessus, c’était, en gros, dans une indifférence générale.

Debootstrap me

Et, en 2007, il s’est passé un truc dans le monde du Libre, Linux Magazine, janvier 2007, sort un calendrier dépliant avec une jeune femme en tenue érotique avec, comme slogan, « Debootstrap me ». Ça a un peu fait des vagues entre ceux qui disaient « je ne vois pas le problème, c’est mignon, la censure gnagnagna » et d’autres qui disaient « quand même ce n’est pas une idée géniale ». Je suis allée faire de la spéléologie internet et je suis retombée là-dessus, qu’on peut toujours trouver en ligne [1]. Je vous ai pas mis le post de départ de quelqu’un qui disait qu’il n’était ni choqué ni dérangé, mais les réponses qu’il avait eues, pour vous dire qu’en 2007 il y a quand même deux/trois personnes qui trouvaient que c’était moyen, qui signalaient que Debootstrap me, au mieux ça veut dire « installe-toi en moi », au pire ça veut dire, je ne vais pas vous le dire, vous voyez ce que ça peut vouloir dire ! En tout cas, ce n’était pas contre l’image, le slogan était accessoirement très moyen. Suite à quoi ça a quand même perturbé le rédac-chef de Linux Magazine de l’époque, qui m’a commandé un article pour parler de ces questions-là. J’ai eu de longues discussions par mail pour lui expliquer pourquoi ce n’était pas une très bonne idée, ce que j’allais mettre dans mon article et pourquoi, si, même lui se pensait vraiment respectueux des femmes, impeccable, toutes ces choses — ce qui est toujours très difficile à dire en première personne parce que c’est difficile de s’observer — ça ne voulait pas dire que le monde du Libre, en général, était aussi clean, d’ailleurs il n’y avait qu’à lire les autres posts, pas ceux-là, ceux que je ne vous ai pas projetés, où on voit qu’il y avait une marge de progression.

Néanmoins, ça c’était en 2007. Vous connaissez mieux le monde du Libre que moi, à vous d’évaluer où on en est de cette progression et s’il y a encore une marge.

Je reviendrai au Libre tout à l’heure, on va parler de l’informatique en général. On dit qu’il n’y a pas beaucoup de femmes en informatique, pas beaucoup ça veut dire combien ?
Ça, ce sont les chiffres pour l’Europe. C’est 2016, je vous rassure, ou je vous angoisse, ce n’est pas périmé, bref !, ça n’a pas beaucoup changé. La moyenne européenne c’est 17 %. Le max, ça a l’air très haut, en fait personne ne passe 35 %, il faut une loupe pour les voir, il faut être lucide.

En France, les chiffres de 2019, là encore ça ne fait pas grand monde. Des fois, pour se rassurer, on dit 33 % de femmes dans le numérique. Oui ! Mais « dans le numérique », est-ce que ça veut dire « dans les métiers techniques du numérique ? ». Eh bien non ! Quand on reprend cette rubrique-là plus serrée, dans les métiers techniques du numérique, on tombe à 16 %. Dans les écoles elles sont très peu, en France, mais également chez moi en Suisse. Franchement, les chiffres sont vraiment très bas et, sur cette toute petite base, les rares femmes qu’on arrive, d’une manière ou d’une autre, à engager, eh bien elles ne restent pas ! 50 % des femmes laissent tomber la tech avant 35 ans, comparé à 20 % des femmes dans d’autres boulots, et c’est deux fois plus fréquemment les femmes que les hommes qui laissent tomber.
Donc, on a du mal à les attirer dans les formations et puis on a du mal à les maintenir dans le secteur. Bref ! Clairement on a un problème de mixité.

Et le libre ?

Et dans le Libre ?
Évidemment, dans un monde idéal, on pourrait fantasmer que dans le Libre c’est libre, tout le monde vient, bienvenue, c’est ouvert. Oui, c’est ouvert. J’aime beaucoup cette phrase : « Une étude révèle que ces douze dernières années, la proportion des femmes dans la production de logiciels libres a augmenté régulièrement dans le monde entier pour atteindre environ… – c’était bien amené, il faut reconnaître – 10 % », pas de quoi s’emballer ! Et, en termes de contribution, c’est pire, c’est-à-dire que les femmes ne sont que 10 %, mais elles ne contribuent pas à hauteur de 10 %, un peu moins. En même temps un peu moins, quand on est sous 10 %, on va pinailler sur des tout petits chiffres.

Après cette phrase de lancement bien amenée, depuis le Covid-19, c’est pire. On a eu effectivement un lent, très lent progrès jusqu’en 2019 et là, Covid, et la tendance s’inverse. On a péniblement atteint 12 % au bout de 12 ans et on est revenu à l’état initial d’il y a 12 ans.

Ce qui s’est passé pendant le Covid 19 ? Eh bien ça [Vignette : un homme télétravaille seul, tranquille  ; un femme télétravaille dans sa cuisine au milieu d’ustensiles divers et de jouets d’enfant, NdT]. Ce ne sont pas tant les femmes, ce sont surtout les mères et il y a aussi le fait qu’il y avait une espèce de mystification qui disait « oui, les hommes étant moins à la maison, c’est pour ça qu’ils partagent moins les tâches ménagères… », même quand ils sont autant à la maison, ils partagent moins les tâches ménagères ! Qui a la pièce à part ? Qui travaille dans la cuisine ? « Papa a un call, laisse-le tranquille ! ». Ce sont des remarques qui ont été entendues, documentées dans des interviews, dans des questionnaires multiples sur comment s’est passé le confinement pendant la pandémie. Ça se voit aussi, par exemple, dans les publications d’articles scientifiques : le nombre d’articles scientifiques publiés par les femmes pendant la pandémie s’est cassé la figure de façon assez impressionnante. Le confinement a aggravé les choses, ce n’est pas parce que tout le monde est à la maison que tout le monde a mis la main à la pâte sur la vie de la famille. Faire en sorte de mettre de l’huile dans les rouages, faire en sorte que personne n’explose, qu’on arrive à tenir, ça aussi c’est une charge mentale qui a pesé sur les femmes.

Pas d’égalité qui s’installerait « naturellement »

Il n’y a pas d’égalité qui va se mettre en place régulièrement, naturellement.
Quand j’ai commencé à travailler, on m‘a beaucoup dit « l’égalité est en marche, c’est le temps d’une génération et voilà !, on aura l’égalité. » Comme je vous disais, ça fait 20 ans que je travaille là-dessus, le temps d’une génération, non, à l’évidence. De toute façon, si on regarde un peu historiquement, manifestement l’égalité n’est pas en marche, en tout cas pas dans tous les domaines et pas de manière magique. La courbe rouge ce sont les computer sciences aux États-Unis, je vous montre les États-Unis, je pourrais vous montrer à peu près n’importe quel pays occidental. Au début, on va dire, les computer sciences étaient dans la course avec tout le monde et, au moment des années 80, plus du tout, ça décroche. Alors que la part des femmes augmente à peu près partout, eh bien dans le numérique, elle cesse d’augmenter et elle s’effondre, en pourcentage, pas en nombre : c’est-à-dire ? Quelle est la différence ? En fait, ce n’est pas qu’il y a moins de femmes qui y vont, c’est que les hommes y vont en masse, donc effectivement, en pourcentage ça s’effondre. Ce n’est pas une dé-féminisation du secteur, c’est une hyper-masculinisation du secteur. C’était pour les États-Unis, en France on ne fait pas tout à fait les mêmes réflexions, les mêmes constats.

Ça ce sont les données de ma thèse un peu plus tard [2]. En rouge les femmes diplômées des écoles d’ingénieur en France. Dans les années 70, très honnêtement, c’est un peu compliqué d’isoler l’informatique toute seule : c’est l’électronique, c’est du calcul numérique, le nom n’est pas stabilisé. Ensuite, en s’approchant des années 80, ce n’est pas toujours très clair non plus, ça s’est appelé STIC [Sciences et technologies de l’information et de la communication], Informatique ; il y a eu le passage où ça s’est appelé digital, sciences du numérique, nouvelles technologies. Quand on traque un peu les termes, où est-ce qu’on fait des études informatiques ? Quoi qu’il en soit, la courbe rouge c’est la part des femmes dans les écoles d’ingénieur, notez bien qu’il n’y a pas de quoi s’emballer non plus. Si j’avais poursuivi jusqu’en 2020, j’aurais une asymptote vers les 30 %, mais on n’a toujours pas franchi les 30 %, on doit être à 29 %, vous voyez que la courbe se tasse. Par contre, en informatique c’est un peu retour à l’état initial : c’est-à-dire que dans les années 70 il n’y en avait pas beaucoup et, dans les années 2010, il n’y en a autant pas beaucoup.

Entre les deux il y a eu un moment mieux. J’explique pourquoi tout à l’heure. Imaginez par exemple qu’à l’INSA [Institut National des Sciences Appliquées] de Rennes, en 1979, il y avait 70 % de filles en informatique, le truc de fou, qu’on n’imagine pas. Dans les IUT il y avait un tiers, presque la moitié dans certains d’entre eux, certes dans l’informatique de gestion : oui, mais aujourd’hui ils ont beau s’appeler informatique de gestion, on est en dessous de 10 %. Il y a donc eu une chute libre. On est bien d’accord : l’espèce femme n’a pas muté au cours des années au cours des années 80, ce n’est pas parce que soudain leur cerveau est devenu rose, on doit aller chercher les explications ailleurs.

Je trouve cet exemple-là très intéressant, pour revenir un peu sur la question du Libre. Les aventures de la page Wikipédia de Marion Créhange [3]. Marion Créhange. Marion Créhange est la première personne à avoir une thèse d’informatique en France, ce n’est pas rien ! Elle est décédée il y a peu de temps, 28 mars 2022, et on s’est aperçu qu’elle avait une page embryonnaire, non publiée sur Wikipédia, sur laquelle il y avait un commentaire qui disait « ce n’est pas très intéressant, c‘est juste une chercheuse en informatique ». Non ! Pas juste ! Et quand on lisait les débats, in fine, le fait qu’elle ait été quand même pionnière, d’une part, et que ses travaux aient été fort intéressants, d’autre part, eh bien quelques voix minoritaires, mais qui ont crié très fort, ont fini par limiter l’impact, l’intérêt pour cette page et, finalement, elle n’a pas été publiée. Au moment de son décès ça a fait un buzz Twitter qui a amené à parler en même temps de qui peut être sur Wikipédia, comment on référence les personnes. La page a été recréée immédiatement et, soyons très clairs, il y a eu bien plus de personnes qui l’ont défendue, et défendue énergiquement, et la page existe, mais ça montre le problème de l’autorégulation, en quelque sorte, qui, là a fini par publier Marion Créhange mais qui, pendant très longtemps, a jugé que ce n’était pas une page très intéressante.

La bascule autour des années 1980

Je vous disais qu’il se passe quelque chose dans les années 80, quelque chose qui fait que des gens comme Marion Créhange font des études d’informatique à une époque où ce n’est pas connu du tout et où, à priori la place des femmes dans la société, est moins installée, moins présente dans l’entreprise qu’aujourd’hui. Alors que le quotidien des femmes, aujourd’hui, n’est plus celui des années 60/70, cela fait pourtant, paradoxalement, que dans l’informatique elles ne sont pas plus présentes.

Qu’est-ce qui se passe ?
Dans ces années-là, on a une arrivée massive des femmes dans le monde du travail, et l’informatique en bénéficie comme tous les autres domaines, d’autant plus que, dans ces années-là, c’est une discipline peu reconnue, peu valorisée, identifiée comme un métier technique du tertiaire avec des filières, dans les universités, plus ou moins claires, en tout cas pas les meilleures. À l’époque il fallait faire maths pures, physique nucléaire, ça, ça ramassait ! Informatique ou calcul numérique, choses de ce genre, pas tellement.
Les femmes arrivent dans un domaine où il y a de la place, donc elles viennent prendre des places, c’est comme ça qu’on arrive à avoir 30/40 % de femmes dans un certain nombre de filières.

Années 80, le micro-ordinateur arrive simultanément dans les familles et en entreprise, pas le même, évidemment, mais, vu de loin, ça ressemble à la même machine. On ne va pas faire du tout la même chose avec, mais ce sont quand même des micro-ordinateurs qui arrivent simultanément dans ces deux lieux et, en même temps, une montée en prestige des métiers de l’informatique avec des discours institutionnels et politiques très forts : c‘est l’emploi assuré, la France doit entrer dans le 20e siècle avec sa jeunesse – comprendre ses jeunes hommes – formée à l’informatique, ce sont les métiers d’avenir, etc. Des filières ouvrent dans les universités, les écoles d’ingénieur augmentent la taille de leurs filières, avant c’était 30 personnes, rapidement ça va être 130 personnes. Les salaires suivent, les carrières suivent et, dans le grand public, apparaît l’image du geek ou du nerd, qu’avant on ne connaissait pas, en tout ça qu’on ne nommait pas comme tel, mais qui était complètement disponible dans la science-fiction. Regardez, par exemple, le film Wargames, il n’y a pas meilleure explication des dynamiques et des fantasmes des années 80 sur l’informatique qu’en regardant le film Wargames, on a tout : on a l’informaticien qui s’engendre dans l’ordinateur parce qu’il a perdu son fils, on a le petit génie qui déclenche par mégarde la Deuxième Guerre mondiale, l’informaticien qui reprend la main et qui ramène la paix, les politiciens qui ne comprennent rien et qui font n’importe quoi. C’est magique, on a vraiment tout dans ce film, c’est du pain-béni pour sociologues du numérique.

Donc l’image du geek apparaît. Il semble incarner l’informaticien type, ainsi que la bonne manière de pratiquer l’informatique : les génies du code, les génies de la programmation et surtout ceux qui vont avoir la main sur la manière dont on va paramétrer le monde de demain. Des fantasmes de puissance et de pouvoir extraordinaires là-bas derrière.
Et, en même temps, les micro-ordinateurs arrivent dans les foyers et ce sont d’abord les garçons qui sont équipés. Pas tous, ça coûtait cher, en plus on avait du mal à expliquer aux parents ce que ça faisait – parce que ça ne faisait pas grand-chose –, mais ce sont surtout des garçons qui se retrouvent à bidouiller. C’était l’époque où on achetait des magazines avec des programmes, on les tapait, il y avait des bugs, il fallait qu’on les débogue. Comme on ne pouvait pas enregistrer, une fois qu’on avait fini de jouer, eh bien le programme n’était plus là, donc il fallait le retaper le lendemain ; on adorait ça !
Mais je comprends que ça puisse ne pas fasciner tout le monde et, en particulier, les filles qui étaient moins sollicitées pour aller voir et, quand elles allaient voir, elles étaient accueillies avec une certaine méfiance sauf si elles étaient la copine de..., de la part de garçons qui étaient adolescents et pour qui, de toute façon, les filles sont une source de méfiance et inversement.

Là se constitue une nouvelle image de l’informaticien : ce n’est plus la personne qui travaille dans les administrations à faire des tâches administratives avec des machines, c’est cette image du geek. Et, comme les mêmes micro-ordinateurs arrivent en entreprise, il va y avoir une continuité des représentations entre je bidouille un ordinateur quand je suis ado et, plus tard, avec mes potes ados devenus adultes, je vais bidouiller en entreprise. On est d’accord que ce n’est pas la réalité, mais on s’oriente sur des représentations, surtout quand on est ado, mais aussi enseignant, parent, conseiller/conseillère d’orientation ; il faudrait connaître ces métiers, ce qui n’est pas évident, par contre on connaît la représentation !
Donc on passe de ceci [Femmes et hommes travaillant ensemble devant des ordinateurs, NdT], les tenues, les coiffures, la mode de l’époque vous indique de quand datent ces pages de plaquettes publicitaires. On n’a pas mis des femmes exprès et ce ne sont pas non plus des secrétaires, c’est l’environnement normal de l’informatique des années 70 en grande entreprise, en grande administration, dans les banques, etc. C’est mixte.
Et après, années 80, mention spéciale à Apple : madame fait la vaisselle avec un sourire – le nombre de femmes qui sourient en faisant la vaisselle dans les pubs c’est magique ! Je ne sais pas si la vaisselle ça vous fait ça, moi pas – pendant que papa fait le budget familial. Franchement, vendre un Apple pour faire le budget familial, si ce n’est pas du foutage de gueule, je ne sais pas ! Mais j’en ai eu un, je ne peux pas jeter la pierre ! Cette image de la famille américaine idéale, qui devient idéale avec l’arrivée de l’ordinateur ! J’en ai autant pour IBM avec son ordinateur portable à deux mains quand on a une belle cravate. On transforme la vision qu’on a de l’ordinateur dans les deux lieux et on imagine qu’il y a un pont entre les deux. C’est à ce moment-là que ça se masculinise, que les métiers se masculinisent considérablement, en Occident.

Si je vous emmène en Malaisie, ce n’est pas la même chose. Malaisie, serait-ce le pays cyber-féministe que nous n’aurions pas encore découvert ? En fait, c’est la question ironique que pose cet article écrit par deux Norvégiennes, quand elles découvrent, tant à Kuala Lumpur qu’à Penang, que les étudiantes en informatique sont très nombreuses, les enseignantes, les doyennes. Ce n’est pas du tout le paysage qu’on a en Occident. Qu’est-ce qui se passe ? C’est là qu’on se rend compte qu’on reconnaît le sexe d’un métier au sexe des personnes qui l’exercent, qu’il n’y a pas de meilleure rationalité que ça. Ces personnes qui font de l’informatique en Malaisie, ces femmes, vous expliquent que l’informatique est un vrai métier de femme, déjà parce que c’est un métier du tertiaire, qui n’est ni dangereux ni salissant, la force physique n’est pas nécessaire et on peut l’exercer de chez soi loin de dangers du monde, à l’abri des hommes, en gardant des enfants ou des parents âgés ; c’est un vrai métier de femme !
Ce n’est pas faux. Je pense que vous n’auriez jamais décrit l’informatique comme ça, néanmoins ce n’est pas faux. Imaginez ! Je vais vous parler d’un métier dangereux, salissant, avec de fortes responsabilités, où on travaille la nuit et les week-ends, où on ne peut absolument pas télétravailler, où il faut de la force physique : infirmier, ça marche, un vrai métier de mec !

C’est pour ça que je vous dis qu’on reconnaît le sexe d’un métier au sexe des personnes qui l’exercent. Dans le soin infirmier je n’ai pas mis le soin aux autres, et oui, dans l’informatique je n’ai pas mis la technique. En fait, ce sont ces éléments-là qui sont ultra-genrés et qui vous « flèchent », entre guillemets, le sexe du métier. Ce qui fait qu’en Malaisie, construction et représentation du métier construites sur d’autres représentations saillantes, donc elles ne voient pas pourquoi l’informatique serait un métier d’homme.
Je suis bien d’accord : ce n’est pas avec ces arguments-là que je voudrais attirer les filles en informatique, on se comprend bien, ne vous méprenez pas sur mon discours. C’est juste pour vous dire qu’il n’y a aucune rationalité pour expliquer que c’est normal parce que… Non, il n’y a aucune rationalité. Il n’y a pas de cerveaux roses et de cerveaux bleus.

Un argument qu’on entend souvent c’est « les femmes ne vont pas en informatique parce qu’elles s’autocensurent, elles s’auto-sélectionnent, elles n’osent pas », comprenez « c’est leur faute ». On m’a offert un mug, j’ai un mug sur mon bureau sur lequel est écrit « un chaton meurt chaque fois qu’on parle de l’autocensure des femmes ». D’où vient cette autocensure ? C’est vraiment magique !
Ça, c’est le sol de ma pharmacie, quand je m’ennuie je prends des photos. Vous avez trois ans, vous apprenez à vous brosser les dents, eh bien vous avez des destinations, des avenirs pensés différemment : Pauline la coquine, Wilfred le bolide, Timéo le super héros, Paulette la starlette et Romy la chipie. Trois ans, il s’agit de se brosser les dents et votre destin est déjà tracé différemment !

Ceci est une photo prise sur mon lieu de vacances, on trouve des tonnes de trucs comme ça. RepenseZ au confinement : « maman zone tendresse, ici c’est distribution de câlins, bisous obligatoires ; papa zone autorité, ne pas déranger, parce qu’il a un call ! »
Ça c’est ce que vous pouvez trouver dans une école aujourd’hui, pas au 18e siècle, les moments de la journée de la famille Martin, monsieur Martin, madame Martin ! Waouh ! Il fallait colorier ! Je ne vous l’explique pas, vous avez compris [Monsieur part au bureau avec son cartable, madame reste à la maison et exécute les tâches ménagères, NdT]. Et ça, c’est la cerise sur le gâteau, c’est comment repeindre la science en rose : un, c’est idiot, on est d’accord ; deux, tant que vous avez la mappemonde avec des océans marron et des océans bleus, elle est pour tout le monde ; dès que vous créez l’autre, la première devient pour garçons. Si vous créez une science plus mignonne, plus choupie, avec des licornes, avec des chatons, tout ça rose pour attirer les filles, eh bien vous dites que vous faites une science spécifique, à la portée des filles, c’est pour ça que vous l’avez créée, et l’autre, la science pour tout le monde, devient la science pour garçons. C’est l’enfer pavé de bonnes intentions qui rencontre le marketing.

Donc les femmes s’autocensurent ! Je me demande d’où leur vient une idée pareille, surtout que ce n’est pas fini.

Je l’ai remise à jour. D’ailleurs il y a des images d’Halloween, ce qui prouve que je l’ai remise à jour récemment. Vous tapez « écolier » ou « écolière » sur Google, on ne vous sort pas la même chose, du tout !
Je suis en science de l’éducation, pour moi une écolière c’est une petite fille qui va à l’école, visiblement ce n’est pas un avis partagé par tout le monde. Mais que pense une écolière quand elle se regarde dans le miroir d’Internet et qu’elle tape ce qui la représente ? Après, on dira que les crop tops à l’école c’est pénible ! D’où vont-elles tirer une idée pareille ? Je ne sais pas !

Menace du stéréotype

Un peu de sérieux maintenant. Comment fonctionne la menace du stéréotype ?
Ces travaux ont été faits par Christine Morin-Messabel, Pascal Huguet, Isabelle Régner, on les fait assez facilement : vous proposez cette figure-là, vous dites à des élèves de fin de primaire « on va faire un test de géométrie, il faut recopier la figure » ou « il faut faire un jeu de dessin, il faut recopier la figure » [Figures géométriques qui s’entrecroisent, NdT] . Même tâche, habillages différents. Test de géométrie, c’est important ; jeu de dessin, ce n’est pas important. Tout le monde sait – je n’ai pas dit que tout le monde était d’accord – que normalement on suppose que les garçons sont meilleurs en maths que les filles. Donc voilà ce qu’on a, l’échelle n’est pas à zéro, mais l’écart est significatif : les filles qui pensent faire de la géométrie réussissent moins bien que les filles qui pensent faire du dessin et, accessoirement, elles réussissent moins bien en géométrie que les garçons qui pensent faire de la géométrie, et c’est l’inverse en dessin. Là où c’est le plus sensible c’est entre les filles elles-mêmes, entre une fille qui pense faire de la géométrie et une fille qui pense faire du dessin, elle réussit moins bien, parce qu’elle est menacée par l’image qu’a la géométrie.

Vous allez me dire « et si les filles sont convaincues qu’il n’y a pas de bosse de maths, si les filles sont convaincues que le problème n’est pas là ». Si vous demandez préalablement à ces enfants s’ils pensent et si elles pensent que les garçons seraient plus doués en mathématiques naturellement, que les filles s’en sortent moins bien, que la bosse des maths existe et qu’elle est dans la tête des garçons, en fait ça ne change rien. C’est-à-dire que même si les filles sont absolument convaincues et persuadées que ce ne sont que des représentations, que ce n’est fondé en rien, elles sont menacées de la même manière par les stéréotypes. Savoir que la société autour de vous pense que votre groupe social va échouer, vous menace, même si vous savez que c’est faux.
Donc, il ne suffit pas d’aller déconstruire les stéréotypes pour dire que c’est pour de faux, ça ne marche pas, ça n’existe pas, vous pouvez en être convaincue, tant que la société vous regarde en disant « quand même, les filles ont un cerveau rose », eh bien vous êtes menacée et ça vous empêche de performer.

Maintenant on prend les mêmes : ils sont plus grands, ils sont en études de maths, on les met dans une IRM [Imagerie par résonance magnétique], on leur fait résoudre des équations de tête. Et puis, à un moment donné, alors que les résultats entre hommes et femmes sont les mêmes, on va dire « sur l’équation suivante il y a une différence entre les garçons et les filles », une différence. On n’a pas dit qu’ils réussissaient mieux, ça ne sert à rien, tout le monde connaît le stéréotype. Qu’est-ce qu’on constate ? Premièrement, on constate que la zone du cerveau qui gère l’inhibition des émotions, en particulier des émotions négatives, s’allume dans le cerveau des filles. Et, pendant qu’elles essaient de ne pas ressentir ce qu’on est en train de suggérer, eh bien elles ne font pas de maths, si bien qu’elles réussissent moins bien que les garçons sur ces équations qui ont été tirées au hasard, évidemment.

Autocensure ? Ou censure sociale

L’autocensure.
À partir de la naissance des activités scientifiques centrées sur des préoccupations socialement masculines, des contenus stéréotypés, un manque de modèles d’identification. Et après ça continue : des procédés d’évaluation avec des biais de genre, du sexisme, du harcèlement, une pression des pairs, un conformisme, vous empilez tout ça, eh bien à la fin, il y a une perte de confiance en soi, un faible sentiment d’efficacité, un sentiment d’illégitimité. Alors franchement, ce n’est pas de l’autocensure, c’est une censure sociale. Une censure sociale qui, in fine, fait que les femmes ont des doutes et, à la limite, c’est une preuve de santé mentale une fois qu’on a décliné tout ça.

Oui, bien sûr elles ont des doutes. Est-ce qu’elles sont vraiment capables ? Est-ce qu’elles vont arriver à prendre place ? Est-ce qu’on va les laisser faire ? Est-ce que ça vaut le coup qu’elles investissent tant d’énergie après tout ça ? Est-ce qu’on peut vraiment dire que c’est de l’autocensure ?

Conséquences

Maintenant je reviens au domaine du Libre. Je vous conseille la très belle recension de la Bibliothèque de France de Sabrina Granger sur ces questions de mixité dans le logiciel libre [4], qui cite un certain nombre de recherches, qui explique premièrement – attention, je n’ai pas dit que tous les geeks sont ainsi, loin de là –, qu’il y a une certaine représentation de l’identité geek, de ce qu’il faudrait être pour être, entre guillemets, « un vrai, un pur geek » qui utilise des attitudes conflictuelles qui sont parfois difficiles à comprendre ou à accepter quand on ne connaît pas le fonctionnement du milieu. Il faut bien reconnaître que dans le monde du Libre en particulier – et Agnès Crepet [5] vous le dira très bien – plus on se rapproche du noyau Linux, plus c’est chaud. Oui, bien sûr, on peut être récompensée, on peut être encensée, mais, plus souvent, on se prend un furieux retour de flamme, éventuellement assorti de remarques sexistes, alors que les hommes se contentent du retour de flamme, et, comme les femmes, d’une part, sont socialisées à être en général moins confiante en elles – censure sociale –, mais qu’en plus ce n’est pas qu’elles sont moins compétitives, c’est que quand vous êtes dans une compétition où vous pensez que vous allez perdre ou qu’on risque de vous marcher dessus, eh bien vous vous protégez, vous vous retirez.
Manque de confiance en soi, sentiment d’illégitimité, etc. : quand vous prenez une bordée d’insultes éventuellement sexistes et un retour de flamme, si vous êtes sûre que vous êtes à la place, vous leur marchez dessus et vous allez de l’avant ; si, au bout d’un moment, vous vous dites « OK, je ne m’en sortirai jamais » ou « je ne veux pas supporter » eh bien vous sortez. Tout le monde est libre d’entrer et de sortir !

Stratégies fréquemment mises en avant

Alors ? Qu’est-ce qu’on va faire ?
Les stratégies souvent mises en avant…. En fait, je vous les montre pour dire qu’elles ne sont pas si efficaces que ça,je vous l’explique.

La première des stratégies souvent mise en avant c’est de dire qu’il est important d’agir le plus tôt possible, dès l’école primaire, car les stéréotypes ne sont pas ancrés, on travaille pour l’avenir. Un, c’est faux et deux, c’est de la pensée magique.
Pourquoi c’est faux ? Dès quatre/cinq ans les enfants sont aussi experts et expertes en sténotypes que nous, ils les maîtrisent très bien. Ils savent très bien faire la police du genre : « Hein maîtresse ça c’est pour les garçons ! Hein maîtresse, ça ce n’est pas pour les filles ! ». Ils sont hyper au point. On peut toujours leur raconter que les jeux n’ont pas de sexe, que les métiers n’ont pas de sexe... OK, ils sont gentils, ils veulent bien, mais, au fond, ils savent. Ils y adhèrent ou ils n’y adhèrent pas, mais ils les connaissent.
Donc dire qu’ils ne sont pas ancrés, ce n’est pas vrai. Et dire qu’on travaille pour l’avenir si on travaille avec les petits, voire la petite enfance, c’est un peu ambigu, parce que des fois vous discutez au niveau enseignement supérieur et on vous dit « tout se passe à l’adolescence, pour nous c’est mort » ; vous parlez avec les lycées ou les collèges « non, mais là ils sont tous stéréotypés, c’est insupportable, on ne peut rien faire, c’est en primaire » ; le primaire vous dit « tout se passe en maternelle » et là on vous dit « ouh là, là, les parents ! ». In utero je ne sais pas ce qui se passe, à mon avis ça vient de là ! Vous voyez bien ! On renvoie la balle sur l’amont.

Deuxièmement : oui, bien sûr qu’il faut travailler en primaire, on est d’accord, mais il faut travailler tout le temps. Vous imaginez le poids que vous mettez sur les épaules d’enfants à l’école primaire en leur disant « on va tous vous dé-stéréotyper et hop !, vous allez nous produire un monde égalitaire. » Non. La base de sociologie, c’est bien de savoir qu’une société se dote de l’école dont elle a besoin pour se reproduire, consciemment ou pas. C’est-à-dire que si on agit en primaire et qu’après on laisse le monde continuer comme d’habitude, que voulez-vous que fassent les enfants qui y sont ?

L’autre remarque : les rôles modèles sont une stratégie efficace pour susciter des vocations. Ce n’est pas si clair ! Déjà, aucune étude ne montre que les rôles modèles tout seuls ont un pouvoir de transformation. Ça marche à titre de renforcement. Les filles ont envie d’aller, mais ça marche dans d’autres domaines aussi, dans telle ou telle direction. Elles sont tentées, il faut renforcer parce que la censure sociale va laminer leur confiance en elles. Les rôles modèles ça emporte, ça marche, ça montre que c’est possible... à condition de faire du vrai rôle modèle. Par exemple, Marie Curie n’est pas un rôle modèle. Marie Curie ne peut pas être un rôle modèle : c’est une femme décédée depuis longtemps, qui a deux prix Nobel. Vous vous rendez compte ! Vous dites aux filles « il y a de la place pour les femmes en physique, la preuve il y a Marie Curie », deux prix Nobel ! L’exception qui confirme la règle ! Soit tu es super forte, comme Marie Curie, là il y a de la place pour toi et tu auras deux prix Nobel, soit… non.
Le rôle modèle c’est super aussi pour faire du gender washing. Vous mettez des grands portraits de femmes du passé, décédées, dans votre entreprise ou dans votre institution, en oubliant complètement les femmes de votre institution, sous le plafond de verre, et vous avez l’âme en paix.

Donc les rôles modèles : un, attention à ne pas faire de gender washing, deux, il faut les employer là où ça peut fonctionner : pour faire du renforcement et ce n’est pas le rôle d’une institution. Quand on est une association, quand on est une femme du domaine et qu’on veut faire quelque chose, inciter, entraîner des gens, oui, là c’est votre rôle. Quand on est une institution, il y a quand même mieux à faire !

Dernière chose : il faut déconstruire les stéréotypes qui sont la cause des inégalités. Non ! Là il y a une inversion cause et conséquence. Ils ne sont pas la cause, ils sont la conséquence et je vais vous expliquer pourquoi.

Vous vous souvenez des années 80, cette époque où il y avait encore des femmes en informatique, on remonte encre un peu avant, années 60. Années 60, la programmation est un bon métier pour les femmes, essentiellement parce qu’il n’est pas payé, pas reconnu, pas diplômé à l’université, donc c’est un bon métier pour les femmes. Et, dans les journaux féminins, on lit des articles qui incitent les femmes à aller devenir des programmeuses, avec des arguments fantastiques : j’ai des claviers comme sur les machines à écrire, vous ne serez pas dépaysées mesdames ; un algorithme, c’est une recette de cuisine. Eh bien non, c’est l’inverse, une recette de cuisine c’est un algorithme, effectivement, et pourquoi ne pas l’utiliser comme exemple, mais quand même ce n’est pas le seul. Si on va par là, un pull jacquard c’est un algorithme ; j’ai plein d’exemples de ce genre, bref ! L’argument massue c’était de dire « mesdames, en tant que maîtresse de maison, si vous savez programmer un dîner, vous saurez programmer un ordinateur ». L’avantage des stéréotypes, c’est qu’ils n’ont pas besoin d’avoir du sens !
Et pourquoi avait-on ça ? Parce qu’il y avait beaucoup de femmes dans la programmation, qu’on avait besoin de cette main-d’œuvre sous-payée, sous qualifiée, on a fabriqué les sténotypes qui venaient rationaliser un ordre social.
Années 80, changement de population : l’informatique c’est l’avenir, c’est du prestige, ce sont des métiers, ce sont des bons salaires, ce sont des carrières. Oui, mais c’est du rapport à la technique, c’est de la logique, ce sont des responsabilités, ce sont de longues heures en interaction avec des machines et pas avec des humains, les femmes n’aiment pas, c’est un bon métier d’homme. Les stéréotypes c’est la conséquence, ce n’est pas la cause. Après, ils nourrissent dans une boucle négative, mais on les fabrique pour rationaliser des ordres sociaux dont on ne veut pas admettre que ce sont des ordres sociaux discriminants.

Donc, si on lutte contre les stéréotypes, qu’on les déconstruit et qu’on ne fait rien d’autre, c’est comme les mauvaises herbes, vous n’avez jamais fini de les arracher.

Bon, alors on fait quoi ?

On peut aller boire des bières, désespérer et se dire que le monde ne changera jamais, plan A.
Plan B, on va essayer de faire des trucs, mais évidemment, on ne va pas se raconter d’histoires, ce n’est pas si simple. Est-ce que j’ai le temps de vous la faire, celle-là ?

C’est un mème internet que vous avez probablement vu sous toutes sortes de formes [6], je l’ai un peu re-bidouillé au niveau des intitulés pour, en fait, vous dire où on en est en termes d’égalité et à quel niveau de politique égalité on peut aller.

Ça, ce n’est pas l’égalité [les trois caisses ont la même hauteur, l’enfant de plus petite taille ne voit rien, NdT]. Des fois on vous dit que c’est l’égalité, à l’évidence non : ce n’est pas parce que vous amenez la même chose à des gens parfaitement différents que vous avez fait l’égalité. Ça c’est l’égalité des chances : vous avez dit « tout le monde a le droit d’aller voir le match en montant sur une caisse ». Du temps où les écoles d’ingénieur étaient non mixtes, ça on ne l’avait pas, par définition. C’est la condition nécessaire. Elle ne suffit pas, mais c’est la base. Il faut au moins avoir le droit de rentrer dans le jeu pour essayer.

Ça c’est l’équité, on est bien d’accord [La hauteur de chaque caisse est adaptée à la taille de chaque enfant, NdT]. Que fait-on ? On mesure la taille des inégalités et on compense. D’ailleurs, ça marche. On produit l’égalité.
Mais un jour quelqu’un va vous dire « oh là, là, il n’y a plus de budget pour les caisses : je n’en aurai plus qu’une, donc le petit, sur le côté, c’est mort, il n’y a plus qu’une caisse ». Ou bien on vous dira : « Depuis le temps qu’on met du budget pour fournir des caisses, ils ne sont toujours pas capables d’être égaux. Là on fait de l’assistanat ! On n’aide personne, il faut qu’ils se prennent en main, il faut qu’on arrête cet assistanat ! ». Oui, sauf que vu la condition, vous comprenez bien que si on enlève les caisses, retour à la case d’avant. Et puis celui qui n’a pas de caisse va vous dire : « Pourquoi je n’ai pas de caisse ? — Tu n’en as pas besoin. – Avant j’en avais une, c’était mieux. — Oui, on est d’accord, mais on te l’enlève, tu n’en as pas besoin. — Il n’y a pas de raison que moi je n’en ai pas. Pourquoi lui il en a ? — Je ne veux pas qu’on me l’enlève pour la lui donner, c’est lui qui se débrouille ! ». Je comprends. Ce que je veux dire c’est qu’individuellement, quand c’est déjà dur pour soi-même, on a du mal à admettre qu’on a des privilèges, on considère que ce qu’on a c’est le normal.
Une fois on m’a dit « privilèges pour tous ! ». Eh bien non, par définition. Ou bien on me dit « il faut que les filles prennent toute leur place, mais pas que les garçons en aient moins ! ». Avez-vous déjà fait des pourcentages dans votre vie ? Il faut être lucide là-dessus.

Pour faire comprendre ça à mes étudiants et mes étudiantes, je leur explique qu’il y a un an j’ai cherché un appartement et, en un mois j’avais trouvé. Si je pense que c’est grâce à mes compétences en recherche d’appartement, je me trompe lourdement, c’est surtout que je suis fonctionnaire du canton de Genève, que je suis prof, que je suis blanche, donc je suis hyper-rassurante pour un propriétaire, ça a été facile. Ce ne sont pas mes compétences en recherche d’appartement. J’ai des privilèges et je les ai mis en œuvre pour trouver cet appartement. Ça ne veut pas dire que j’ai volontairement foulé aux pieds les autres personnes qui cherchaient des appartements avec moi. Néanmoins, bien sûr que si ça s’est bien passé c’est parce que j’avais des privilèges. Je ne vais pas me flageller en me disant que j’ai honte d’avoir cet appartement, ce n’est pas le sujet, mais il faut avoir conscience qu’il y a des choses qui ne sont pas dues à votre mérite. Vous vous battez avec des personnes de même force que vous et que le jeu n’est pas fair-play, d’où les caisses.

Le problème n’est pas d’avoir ou pas des caisses, le problème c’est le mur. Si j’enlève le mur, je n’ai plus besoin de caisses. Tous ces enfants sont toujours parfaitement différents, mais les conditions qui les rendaient inégaux ne sont plus là : ça, c’est l’égalité.

Enlever le mur, chacun peut le faire à son niveau.
Il y a un niveau très haut qui pourrait s’appeler le ministère de l’Éducation nationale, il y a des gros murs à enlever. On peut toujours voter, par exemple. On sent que ça va être sur du long terme. Il y a le niveau intermédiaire, y compris au ministère de l’Éducation nationale, avec des zones où on peut enlever des murs. Je parle à des enseignants et des enseignantes, au niveau de vos classes, vous avez des murs à enlever. Bref ! Regarder, à chaque niveau, où l’institution a mis un mur qui empêche l’égalité et on enlève ce mur-là plutôt que d’essayer de mettre du scotch. Par contre, on est d’accord, l’équité c’est bien plus facile à réaliser : si on n’arrive pas à enlever le mur, c’est déjà pas mal d’avoir des mesures d’équité, mais il ne faut pas se raconter d’histoires, on sait qu’elles ne sont pas durables, qu’il faudra les faire continuellement tant qu’on n’aura pas les moyens d’enlever les murs.

Mesures contre la censure sociale : mesures institutionnelles

Je n’ai pas le temps de vous raconter complètement en détail comment ces gens-là ont fait [University of Technology, Trondheim, Norvège ; Carnegie Mellon University ; École 42, Paris]. Quand j’ai vu ces écoles, que j’ai vu que dans ces endroits on était passé de, dans les cas les pires 5 %, dans les cas les mieux 12 % – vous voyez qu’on joue sur pas grand-chose – à 40 à 50 % en quelques années, pas en l’espace d’une génération, je me suis dit que, quand même, il y avait moyen de lutter contre la censure sociale par des mesures institutionnelles.

Les choses se font en trois étapes. Il faut déjà intéresser le public, puis le recruter pour de vrai, une fois qu’on l’a intéressé, il faut transformer l’essai et ensuite, le socialiser et l’intégrer. Il ne suffit pas de recruter : une fois que les personnes sont là, il faut qu’elles aient confiance dans le fait qu’elles pourront progresser, se développer et réussir dans ces structures.

Si on fait une seule chose, une seule, c’est déjà là-dessus.

« Pensez-vous qu’il y a du sexisme dans le numérique ? ». Ce n’est pas un vrai graphique, vous allez comprendre l’idée : 80 % des personnes n’ont jamais eu le moindre problème dans le numérique et 18 % sont des femmes !
S’il y a une seule chose à faire, c’est faire en sorte que ces environnements soient des safe spaces. Vous pouvez toujours dire aux filles « venez dans le numérique, c‘est génial, il y a des carrières, il y a des métiers, vous allez changer le monde, on a besoin de vous », si elles savent très bien que ça va être désagréable…, on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, ça ne va pas se faire.

Je suis allée dans des écoles, par exemple à Genève, dans une école d’informatique où il y a, en gros, deux filles sur 40, non, ce n’est pas vrai deux filles sur 20, ce sont deux promos, quatre filles sur 40, ce n’est pas un raz-de-marée ! On leur parle de leur vécu. Elles disent, en gros, que sur les 40 mecs qui sont là, 35 sont sympas, ils ne voient pas trop bien le problème, ils trouvent dommage qu’il y ait si peu de filles, mais ils sont sympas. Et puis il y en a cinq qui sont toxiques temps plein, mais elles sont quatre ! Ils sont toxiques temps plein sur quatre filles et ils leur pourrissent la vie, en soirée, en TP, dès qu’il y a un peu de marge de manœuvre, ils leur pourrissent la vie. Et les 35, ouais, ils soutiennent à peu près, quand vraiment ça déborde « quand même, t’exagères, t’es con ! », parce que c’est un problème de filles. Ils sont d’accord sur le fait qu’elles doivent se défendre, mais ce n’est pas ça l’idée ! Si ce n’est pas de cette image-là dont vous voulez, il faut mouiller la chemise avec les filles. C’est tout le monde qui doit refuser.
Une fois je suis allé à l’INSA [Institut national des sciences appliquées] de Strasbourg. Là le problème c’était avec l’équipe pédagogique : un prof s’était comporté de manière très moche, les filles avaient trouvé ça scandaleux, elles n’avaient rien osé dire et, en fin d’année, elles ont osé aller voir la direction qui, d’ailleurs, avait trouvé ça scandaleux et leur avait dit « il fallait venir avant, bien sûr qu’on vous soutient ». OK. Les filles racontaient ça au conseil d’administration de l’INSA et les mecs qui étaient là étaient hyper d’accord, c’était scandaleux et elles avaient eu bien raison d’y aller. Et vous, qu’avez-vous fait ? Ce n’est pas un problème de filles : vous êtes d’accord avec elles, vous allez avec elles, c’est comme ça qu’on pourra changer un petit bout du monde.

Ces filles expliquent aussi que sur ces 35 mecs qui sont plutôt sympas, imaginez que chacun fait une plaisanterie sexiste par mois, qui ne fait pas une plaisanterie sexiste par mois ? Ils sont 35, ça fait plus d’une par jour. Elles n’en peuvent plus ! Ils sont sympas mais leur ultra-minorité fait qu’elles n’en peuvent plus. Elles racontent que le matin, quand elles s’habillent, elles réfléchissent pour savoir quelle expérience de journée elles ont envie d’avoir : ou elles s’habillent inoffensif, passe-partout, ou elles s’habillent un peu plus comme elles ont envie, avec recherche, quoi que ce soit, et là elles savent qu’elles n’auront pas le droit à l’indifférence. Ça ne veut pas dire qu’elles seront insultées, elles peuvent aussi être insultées, mais ça ne veut pas nécessairement dire ça. Quand quelqu’un vous dit : « Tu es jolie aujourd’hui. Tu as mis tes jambes aujourd’hui, waouh !, les mecs vont s’évanouir ! J’ai du mal à te regarder dans les yeux ». Une fois c’est drôle ! 35 fois !

En fait, la base de la base, c’est de faire que ces environnements soient des safe spaces.

Pourquoi n’est-ce pas simple au niveau des environnements ? Pourquoi les institutions ont-elles du mal ? Parce qu’on ne va pas simplement partager le savoir, on va partager le pouvoir. Qui va avoir le droit de donner son avis sur la science et la techno-science ? Est-ce qu’on veut ouvrir à plus de monde ? Est-ce qu’on veut que des gens qui ne nous ressemblent pas du tout donnent leur avis ? Changer le système, ça veut dire accepter de remettre en cause le système qui nous a produits, qui a nécessairement fait du bon boulot vu qu’il nous a choisis. Est-ce qu’on est prêt à admettre que de nouvelles institutions, qu’on va construire, ne nous auraient pas choisis parce que maintenant elles sont égalitaires ? Donc admettre qu’on est là grâce à des privilèges ? Eh bien, honnêtement, ce n’est pas facile et, bien sûr, c’est une source de blocage.

Je vous remercie. C’est ma page pubsi vous voulez en lire plus : www.isabelle-collet.net [7].

[Applaudissements]

Questions du public et réponses

Organisateur : Maintenant vous pouvez poser des questions.

Public : Sur le slide où il y avait les trois universités et le pourcentage 40/50, c’est le pourcentage d’étudiantes, de personnel encadrant ?

Isabelle Collet : D’étudiantes en partant de 5 à 12 %. Vous n’avez pas tort de préciser. Pour un certain nombre, voire toutes, elles ont aussi bougé sur les pourcentages dans les personnels encadrants. Proposer aux filles de venir en mettant devant elles uniquement des hommes parmi les enseignants, c’est moins crédible. Mais les pourcentages concernaient les étudiantes.

Public : C’est super que vous soyez là cette année.

Isabelle Collet : Tout le plaisir est pour moi !

Public : L’an dernier on avait eu une table ronde, par contre, le sujet est en pointillés. Comme vous suivez ce sujet depuis 20 ans, qu’il est intéressant et difficile, est-ce que vous seriez d’accord, finalement, qu’il se retrouve tous les ans à l’Open Experience ?

Isabelle Collet : Un, je suis d’accord. Deux, peut-être qu’il n’y a pas que moi, j’ai un emploi du temps qui est blindé, mais, de temps en temps vous m’invitez à une plénière, je viens vous faire une plénière, pas de problème. Le sujet sous toutes ses formes, les gens qui agissent dessus, les personnes de ces écoles qui expliquent comment elles ont réussi à faire bouger les choses. Moi, en fait, j’en ai eu besoin. Pendant un temps j’ai été découragée. J’ai arrêté de travailler là-dessus pendant une dizaine d’années ; je n’avais pas d’idées, je pouvais venir faire des constats, mais je n’avais pas d’idées. Quand je suis tombée sur un certain nombre de travaux qui ont été faits dans les années 2000 avec Carnegie Mellon [Université privée de Pittsburgh en Pennsylvanie] ou NTNU [Norwegian University of Science and Technology], qui ont augmenté comme ça considérablement, je me suis « donc on peut » . Je n’ai pas dit que c’est facile, mais on peut. Ce genre de témoignage est aussi très intéressant à avoir.

Public : Tu fais partie des organisateurs ?

Public : L’année dernière.

Public : J’ai envie de dire que c’est intéressant, ça permet de toujours mieux comprendre et de mesurer les enjeux, etc., mais j’ai aussi envie d’entendre parler les équipes qui ont mis en place des choses, qui ont pu évaluer, constater qu’il y a des choses qui marchent concrètement, avoir des témoignages. J’ai besoin d’un peu de théorie et j’ai aussi besoin de concret. Donc, les organisateurs pourraient aller aussi au-devant de ces équipes et inviter des gens pour faire des retours d’expériences comme pour les logiciels, des témoignages, des cas d’utilisation.

Isabelle Collet : Cas d’utilisation, comme vous dites : ça a marché chez moi, chez vous, je ne suis pas sûre, mais regarder de quelle manière on se ressemble, peut-être que ça peut marcher chez vous aussi, comme pour les logiciels.

Public : Pour ajouter une chose par rapport à ça, je dirais que là on a une thématique « Numérique responsable », mais, effectivement, avoir des témoignages dans les autres thématiques, que ce soit transverse, qu’on n’ait pas un sujet vraiment dédié à ça où ceux qui sont déjà sensibles à la question viennent et les personnes qui sont justement ciblées par ce sujet-là ne viennent pas.

Public : Ce sont les autres qu’il faut faire venir !

Isabelle Collet : Le nombre de fois où on m’a dit « ne vous inquiétez pas, chez nous c’est géré en transversal ». Où ça ? C’est le seul écueil ! Si vous le faites en transversal, c’est la meilleure solution, mais pour de vrai, il faut compter, il faut vérifier que ce soit fait en transversal, mais évidemment c’est la meilleure solution. C’est aussi la meilleure solution pour noyer le poisson si on ne joue pas le jeu pour de vrai. Je suis entièrement d’accord, mais il faut vraiment veiller qu’on le fait.

Public : J’ai une question par rapport à l’égalité des chances versus l’égalité par rapport au mur qu’il suffirait d’enlever, on ne voit pas tellement ce mur-là dans le cas d’une entreprise.

Isabelle Collet : Le premier mur c’est la violence sexiste et sexuelle. C’est pour ça que je vous dis que si vous faites une chose, c’est la seule chose à aborder, la première, c’est très clair. Je forme surtout des enseignants et des enseignantes, je leur montre comment dans la classe ils ont le sentiment d’avoir des propos égalitaires et, en fait, non.

Dans les entreprises la base, c’est compter : les écarts de salaire, les promotions, le plafond de verre. On compte, on regarde où on en est. Une fois qu’on a compté, on objective un peu les choses et on voit où il y a des endroits qui coincent. Ensuite, on va voir les endroits qui coincent, on essaie de comprendre comment la mécanique s’est mise en place et surtout, après, on a des idées courageuses pour en venir à bout. C’est-à-dire que si on continue à faire comme on fait actuellement visiblement ça ne suffit pas, qu’est-ce qu’on va oser faire à la place ?
Je vous donne un exemple plus concret : regardons comment les promotions fonctionnent : est-ce qu’il y a des managers qui ne donnent jamais de promotions, de primes ou systématiquement des primes plus basses aux femmes qu’aux hommes ; sur un an, sur deux ans, sur trois ans, au bilan ça fait quoi ? Ça ne veut pas dire qu’il est mauvais manager, ça veut dire que peut-être on pourrait aller jeter un œil sur comment ça se passe. Des choses qu’on peut mesurer, qu’on peut compter.
Dans mon université, on a regardé les CV, on a regardé les temps pleins et les temps partiels et on a regardé les promotions. On s’est aperçu, de manière extrêmement gênante, qu’à poste équivalent les CV n’étaient pas du tout équivalents, surtout dans le corps des collaborateurs : les femmes avaient des gros CV comparés à ceux des hommes sur des postes équivalents. On a compté et on a vu qu’on avait un problème. Maintenant qu’on a vu où est le problème, où ça se passe, on essaie de voir comment ça se goupille. Là, en l’occurrence, ça se goupillait essentiellement à cause du temps partiel, parce qu’il n’y a que le salaire qui est partiel quand on est à temps partiel, ce sont les femmes en soldes, donc on leur demandait le même dossier scientifique quel que soit leur temps d’occupation.

Public : Dans notre entreprise on a tous le même salaire, femmes comme hommes, on est tous au même niveau, il n’y a pas de problème. Le problème c’est que les femmes portent beaucoup plus la charge mentale – là mon collègue hoche la tête, on est bien d’accord –, pourtant on essaie d’être le plus égalitaires possible, vraiment, de faire le maximum, mais il y a quand même toujours une différence.

Isabelle Collet : C’est déjà pas mal. On va quand même se dire : OK, vous n’avez pas révolutionné complètement le monde à l’intérieur, mais un, vous avez déjà fait quelque chose et vous êtes capables de vous rendre compte que vous n’avez pas fini, donc ce n’est déjà pas mal. Et là encore je vous dirais on compte : sur quoi cette charge mentale se joue-t-elle ?
Je vais vous donner d’autres exemples dans des universités, on a dit « parmi les étudiants, on a des étudiants vraiment en difficulté, ce ne serait pas mal qu’ils aient un accompagnement spécifique ». Il se trouve que ce sont les jeunes femmes maîtresses de conf qui les ont en cours. Ça prend plus de temps ! Voilà. On peut essayer de trouver où ça se joue, où ça coince. Le nombre de fois où j’ai fait exprès de rester assise quand on débarrasse après un pot parce que je vois bien que les seules personnes qui se sont mises debout c’est par sexe et par grade hiérarchique. Là aussi il faut que quelqu’un ose faire la remarque, que les gens qui l’entendent ne se fâchent pas, se mettent debout et débarrassent le pot. Si on peut déjà identifier, qu’on est de bonne volonté, OK, on ne va pas faire la révolution tout de suite, mais si on est capable de comprendre que c’est important, on a déjà fait une partie du boulot.

Sur même salaire, etc., je me souviens avoir discuté avec une RH de société de services qui avait claqué la porte à sa société de services donc elle n’avait aucune raison de la protéger. Elle était partie avec le ficher du personnel et elle me dit : « Chez nous il n’y a pas d’écarts de salaires ». Elle me sort le tableau, elle fait les moyennes, effectivement, les femmes gagnaient même un tout petit peu plus. Elle me dit : « Vous voyez, super ». Je lui dis : « En termes d’ancienneté ? — Ah oui, les femmes ont plus d’ancienneté ! » En même temps c’est rassurant qu’elles gagnent un peu plus. Elle me dit : « Un truc va être clair : on avait deux agences, elles ont le même chiffre d’affaires, il y a un homme et une femme à la tête des deux agences » ; elle sort leurs salaires, la femme gagnait deux fois moins que le mec ! Elle était toute perdue. Elle était tellement perdue que j’ai eu pitié, je lui ai dit un truc qui ne justifiait rien, « elle a peut-être eu beaucoup d’enfants ? ». Je sais que ça ne justifie rien. Elle me dit « non, elle n’en a pas ». Et elle avait les chiffres sous les yeux tout le temps, elle les avait toujours eus, elle ne les avait jamais vus parce qu’elle ne les avait jamais regardés. Et là, à part de la discrimination pure, je n’ai pas d’idée !

Public : Vous avez parlé de déconstruire les stéréotypes. Si on prend le plus gros stéréotype mondial d’un homme c’est l’autosuffisance, pourtant on voit que la plupart des hommes n’ont pas de mal à demander de l’aide à un autre homme ou à une femme. Comment expliquez-vous que les hommes arrivent à surpasser ces stéréotypes de genre dans la vie de tous les jours et pour le travail ?

Isabelle Collet : J’ai de gros doutes sur le fait que les hommes arrivent à dépasser les stéréotypes.

Public : je suis le premier qui arrive à le faire.

Isabelle Collet : Et ça ce n’est pas de l’autosuffisance ? Je vous charrie, mais on est très mauvais juge de ses propres stéréotypes. Je n’ai plus le temps, mais j’ai des tas d’exemples où on voit que les hommes n’arrivent pas des masses, non plus. Par contre, si vous me dites qu’il faut travailler aussi sur les stéréotypes des hommes, là je suis entièrement d’accord avec vous.

Organisateur : Isabelle, merci.

[Applaudissements]