Maxime Lubrano : Après une sixième édition ayant réuni plus de 2000 personnes à Bordeaux, Numérique en Commun[s] a de nouveau rayonné en rassemblant quelque 1800 personnes à Chambéry [1]. Ce grand rendez-vous du numérique d’intérêt général est organisé à l’initiative du programme Société Numérique de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires [2] qui ambitionne de développer la capacité de tous et toutes à se saisir des opportunités du numérique, en accompagnant notamment la transition numérique des territoires. Avec Numérique en Commun[s], le programme Société Numérique propose un cadre de réflexion propice au passage à l’action.
Cet été a démontré les fragilités d’un monde dépendant des solutions propriétaires lorsqu’une mise à jour défectueuse du logiciel de sécurité CrowdStrike Falcon a causé une panne informatique mondiale [3]. Utilisé par des géants, tel que Microsoft, la défaillance des services CrowdStrike a créé une réaction en chaîne : près de 8,5 millions de PC Windows ont été touchés, dont de nombreux aéroports, banques et entreprises en Amérique, en Asie et en Europe. Ce n’est là que le sommet d’un iceberg bien plus grand, un épiphénomène d’une problématique plus vaste face à laquelle nous devrions opter pour le développement de solutions partagées, communes et durables.
Nous avons pu nous en rendre compte à Chambéry au cours de nos échanges avec les actrices et acteurs de l’écosystème des communs. Toutes et tous soutiennent un numérique d’intérêt général, reposant sur sept principes : harmoniser, débattre, éduquer, tempérer, ouvrir, faire ensemble et améliorer.
Comme l’a très bien dit Dorie Bruyas lors de la clôture de la septième édition de NEC « dépassons le numérique Sisyphe, arrêtons de réinventer la roue. Les communs sont une solution pour calmer la course à l’innovation et faire advenir un numérique humain et citoyen. »
Nous étions obligés de consacrer ce premier épisode de Persons of Internet à ce sujet : La société des communs, c’est pour quand ?
Pour discuter avec nous des avantages des communs, nous avons le plaisir de recevoir en visio Jaime Arredondo, expert des communs numériques et fondateur de Bold And Open [4]. Il accompagne entreprises, constructeurs de communautés et chercheurs en matière d’open source.
Bonjour Jaime. Merci d’avoir accepté notre invitation.
Jaime Arredondo : Bonjour Maxime. Merci pour l’invitation.
Maxime Lubrano : Pour commencer, peux-tu nous expliquer en quelques mots ce que sont les communs ?
Jaime Arredondo : Pour faire simple, en gros un commun ce sont trois choses.
C’est d’abord une ressource qui, à la base, est partagée. Ça peut être du code, ça peut être des données, ça peut être des plans, ça peut-être des méthodes, ça peut aussi être des choses physiques comme des rivières, des forêts, des coopératives d’énergie.
Les deux autres ingrédients essentiels autour de cette ressource, c’est d’abord qu’il faut qu’il y ait une communauté qui contribue et enrichisse le commun et que cette communauté ait accès à la gouvernance du commun, c’est-à-dire qu’elle puisse l’influencer d’une manière ou d’une autre.
Quelques exemples de communs :
Wikipédia qui est une base de données ouverte, qu’on connaît tous, qui est ouverte aussi aux membres pour qu’ils puissent influencer la gouvernance à travers des chapitres locaux.
Ça peut être OpenStreetMap [5].
Il y a aussi, dans le monde physique, une forêt en Belgique qui s’appelle Le Grand Bois Commun où un groupe a racheté un bois qui avait été privatisé pour couper du bois et ensuite l’a récupéré pour le gérer en commun.
Voilà de manière très succincte ce qu’est un commun.
Maxime Lubrano : À ton avis, pourquoi est-il essentiel de sensibiliser le public et aussi les acteurs privés à l’importance des communs ? Quelles sont les étapes clés, selon toi, pour y parvenir, tant pour les citoyens que pour les entreprises ?
Jaime Arredondo : Pour moi c’est essentiel pour plusieurs raisons.
D’abord parce que c’est plus performant comme manière de fonctionner : en développant un commun, surtout numérique, on investit une fois et on a résolu le problème, alors que quand on prend des solutions propriétaires, chaque fois on doit refaire la solution et chaque fois il faut repayer pour avoir la même solution.
C’est beaucoup plus robuste quand il y a un problème. Par exemple une entreprise comme Pebble Watch, une des premières montres connectées, avait été financée sur Kickstarter, elle avait beaucoup de succès auprès de son audience, mais, au bout d’un moment, avec ce problème de financement, elle a fini par être en banqueroute. Elle avait vendu 800 000 montres et grâce au fait qu’ils avaient laissé leur SDK [Software Development Kit], leur kit de développement, en open source, une ancienne employée et une partie de la communauté ont pu maintenir l’API [interface de programmation] en vie donc garder ces montres en vie. Au lieu d’envoyer des centaines de milliers de montres à la poubelle, on a pu les maintenir. L’open source permet ça aussi : quand un groupe, pour x ou y raisons, n’arrive pas à développer le projet, d’autres peuvent le reprendre. D’ailleurs, c’est aussi ce qui est arrivé à WordPress. À la base, c’est un développeur corse qui a développé b2/cafelog, qui avait commencé à développer ce système de blogs, il a fini par être en burn-out et ça a été repris par Matthew Mullenweg et son cofondateur pour créer WordPress [6]. Aujourd’hui, on a le système WordPress un peu grâce ce système de composting open source.
Un commun permet aussi un fonctionnement beaucoup plus démocratique et équitable par le fait que tout le monde peut contribuer. Tout le monde… C’est beaucoup plus ouvert à la contribution de la population et si quelque chose ne va pas, on peut toujours créer une alternative pour proposer quelque chose de mieux.
En plus, économiquement c’est beaucoup plus performant. Pour les utilisateurs, il y a beaucoup plus d’offres possibles puisqu’on peut justement forker, donc la qualité s’améliore et le prix diminue du fait qu’il y a potentiellement plus de concurrence.
Pour les entreprises ça peut être aussi très profitable parce que c’est beaucoup plus efficient du fait que les gens peuvent aider à améliorer le produit plutôt que de faire ça tout seul dans son coin.
Maxime Lubrano : On voit bien les bénéfices d’adopter les communs, en tout cas l’intérêt qu’il y a à les développer. Si on s’intéresse à la gouvernance, qui est justement un pilier important des communs numériques, quelle stratégie recommanderais-tu pour arriver à embarquer et impliquer les acteurs privés dans la gouvernance des communs ?
Jaime Arredondo : Il y aurait plusieurs stratégies.
Les acteurs privés peuvent eux-mêmes développer leurs propres communs mais peuvent aussi soutenir des communs.
Ils peuvent aussi identifier les technologies clés desquelles ils dépendent, avec d’autres acteurs, qui ne sont pas forcément ouvertes. Pouvoir faire pression sur un acteur duquel il dépend, tu as parlé de Microsoft avant, ça pourrait les pousser à mettre de plus en plus de briques en open source.
Si ça n’arrive pas, une alternative c’est de se mettre en consortium avec tous ces acteurs-là et se dire « si nous n’avons pas gain de cause, nous pouvons toujours développer notre propre alternative open source », ce qui est le cas pour la SNCF, peut-être qu’on en parlera après. Se dire « OK, nous pouvons nous-mêmes nous mettre à mutualiser nos efforts et sortir de cette dépendance propriétaire. »
Je vois souvent qu’en interne il y a deux manières de faire.
Il y a le top-down où un directeur un peu visionnaire se dit « il faut qu’on fasse du commun », qui décide et la difficulté, en tout cas l’enjeu, c’est de faire comprendre aux équipes sur le terrain comment se fait un commun et là c’est plus un effort d’acculturation.
Il y a aussi une manière bottom-up de créer du commun. On peut avoir un directeur ou un chef de département qui est pro-commun et qui peu à peu, dans des réunions, peut embarquer d’autres gens, expliquer les bénéfices de ça et ça. Pour ce directeur ou ce chef de projet, l’enjeu va être d’expliquer à la direction que ce système fonctionne mieux, ce que va être le ROI [Retour sur investissement] par exemple, comment ça va améliorer la performance de l’entreprise.
Maxime Lubrano : Idem du côté citoyens. Comment peut-on les encourager à participer activement à la gestion, à la gouvernance des communs ? Selon toi, y a-t-il des secteurs qui sont moins privilégiés, qui seraient plus intéressés par le développement et l’adoption de ces solutions alternatives, à commencer par l’open source et pourquoi ?
Jaime Arredondo : Pour les citoyens, il y a des démarches qui sont très bien comme OpenStreetMap, même les budgets participatifs que vous connaissez bien, où on peut proposer aux gens de participer à une démarche, à y contribuer parce que ça a des bénéfices pour eux. Je partirais peut-être toujours de ça : que cherchent les citoyens, qu’est-ce qui leur manque et voir comment participer à un commun peut les aider et ensuite leur proposer des passerelles pour qu’ils puissent le faire. Un truc qui manque souvent dans les communs, c’est ce guide de contribution : sur quoi on peut contribuer et comment le faire. On se plaint souvent que les gens ne contribuent pas, mais parfois il faut aussi faciliter la tâche.
Maxime Lubrano : Tu parles parfois d’absence de contribution. Au cours de tes missions, de tes expériences, est-ce que tu as pu identifier d’autres obstacles à l’embarquement, que ce soit d’entreprises ou de citoyens et comment peut-on arriver à les surmonter ?
Jaime Arredondo : Pour embarquer l’entreprise, le plus grand obstacle, en général, c’est d’expliquer le ROI, ce que ça va lui apporter de faire du commun parce que le commun peut faire peur dans le sens où si on partage sa recette comment va-t-on faire pour maintenir sa boîte. On ne va plus faire de profit si la concurrence clone notre produit.
Ensuite, comment embarquer la communauté, qu’est-ce que ça va nous apporter ? À quel niveau ? Comment on organise tout ça alors qu’on a jamais organisé tout ça ? La plupart d’entreprises ont des fonctionnements top-down, verticaux. C’est plus comment insuffler ça.
Pour expliquer le ROI, en général c’est très simple : il faut comprendre ce que sont les challenges actuels d’une entreprise et commencer à réfléchir aux actions et aux initiatives qu’on va mettre en place, comment on va l’améliorer et quelles données on va utiliser pour le mesurer. Donc, peu à peu, on peut commencer à construire un argumentaire pour montrer qu’il y a des raisons de croire que ce projet de commun peut avoir du sens pour l’organisation.
En général, la première étape c’est de commencer par le plus simple à ouvrir, ce sont les outils opérationnels. Facebook, par exemple, a commencé à mettre en open source plein d’outils de développement parce que son business ce n’est pas de vendre de l’outil de développement, c’est vendre de la pub à son audience sur sa plateforme. Donc donner ses outils n’empiète en rien sur son modèle économique. Ça peut être un premier exemple.
Je pense à un article que j’avais lu sur le fait que beaucoup de gens faisaient du développement écologique dans leur entreprise, qui faisaient de l’écoconception, etc., mais qui n’en parlaient pas de peur que leur produit soit perçu comme plus cher. Si elles partageaient ça, ça n’impacterait pas forcément leur positionnement mais ça pourrait aider à accélérer la transition de leur industrie par exemple.
Maxime Lubrano : Est-ce que tu as des exemples de réussites où cette gouvernance partagée a justement permis d’améliorer la gestion de communs ?
Jaime Arredondo : Oui. Wikipédia évidemment.
Il y a d’autres projets un peu moins connus peut-être.
Un projet qui part de Hollande, qui maintenant est global, qui s’appelle Precious Plastic [7]. À la base, ils font des machines pour transformer du plastique, qui serait un déchet, en plastique réutilisable par exemple dans des imprimantes 3D ou en paillettes pour être refondues par ailleurs. C’est un projet qui est parti d’un designer qui, ensuite, a embarqué quelques pionniers. Aujourd’hui, c’est implanté dans plusieurs pays où il y a des gens qui font les machines, qui les vendent et qui font des produits dérivés du plastique. C’est un écosystème qui s’alimente lui-même.
Il y a aussi un exemple assez intéressant, pendant le Covid, qui s’appelle MakAir [8], une initiative qui, à la base, est partie de la France. Ils se sont dit « le problème aujourd’hui, un des premiers nœuds du Covid c’est qu’on n’a pas assez de ventilateurs potentiellement, ils sont trop chers et les chaînes d’approvisionnement sont coupées mondialement, on va donc essayer de développer la même chose avec des produits standards et moins chers. » Ils ont réussi à diviser les prix par 10, donc, au lieu de faire une machine à 100 000 euros, ils peuvent la faire à 1 000 euros, à la fin, en vente ça sera 10 000 euros, ça fait quand même 10 fois moins. Le fait que ce soit un commun a permis qu’ils collaborent avec des entités privées comme Renault ou SEB, mais aussi avec l’État, avec l’armée qui avait énormément de ressources et d’outils de certification et de testing. Ça a donc permis de développer en un mois quelque chose de très performant par rapport à ce qui existait ailleurs et beaucoup plus robuste localement par rapport aux chaînes d’approvisionnement.
Maxime Lubrano : Si on s’intéresse maintenant à la dépendance aux solutions propriétaires, qui est la situation un peu généralisée pour l’instant, quels sont les risques associés, selon toi, à la dépendance des États et des grandes institutions aux solutions propriétaires, notamment en ce qui concerne l’innovation et la concurrence sur le marché ?
Jaime Arredondo : Il y a plusieurs risques.
Le premier. Quand on parle de solutions propriétaires en général, on parle de potentiel de monopole, donc aucun pouvoir de négociation par rapport à son fournisseur. Ça génère potentiellement des prix beaucoup plus élevés, une qualité beaucoup plus basse ou un manque d’innovation parce que la solution propriétaire n’a pas besoin d’innover puisqu’elle a déjà tout le marché et beaucoup plus d’inégalités, potentiellement, ou des opportunités perdues : d’autres gens pourraient construire d’autres solutions, développer d’autres adaptations de la solution et créer d’autres marchés, d’autres emplois ; celles-ci pourraient aussi être adaptées localement à des contextes très différents.
Un exemple, qui n’est pas forcément dans le logiciel, mais ça s’y rapproche : pendant le Covid les vaccins ont été souvent privatisés. En Europe, nous avons eu accès à tous les vaccins, mais le reste du monde, les pays africains, les pays asiatiques, les pays sud-américains, les ont eus avec beaucoup de délais et beaucoup plus cher.
C’est ce qui arrive aussi quand on parle du numérique ou d’autre chose. On voit notre dépendance à Facebook ou à Google, qui sont devenus des monopoles, et aujourd’hui c’est très difficile de s’en dépêtrer parce que plus leur solution propriétaire est forte, plus ils ont de marchés et moins il y a de marchés pour les autres. Par exemple Google paye des milliards à Firefox, Samsung ou Apple pour qu’il n’y ait pas d’autre moteur de recherche proposé sur le navigateur. C’est un exemple de la façon dont, finalement, collectivement on perd tous plutôt que gagner avec une concurrence saine.
Maxime Lubrano : Quelles alternatives existent pour pouvoir échapper à cette dépendance et promouvoir l’innovation notamment dans le secteur public ?
Jaime Arredondo : L’alternative, ça serait justement de commencer à réfléchir à investir dans de l’open source ou dans du commun plutôt que de soutenir ou de financer du propriétaire. Peut-être une question préalable c’est de se demander ce qui vaut la peine d’être mis en commun et ce qu’il vaut mieux garder propre, en quelque sorte. Il faudrait ouvrir, potentiellement, ce qui est abondant, tout ce qu’on ne perd pas quand on le partage, ça peut être de la connaissance, ça peut être des données, ça peut être du design, tout ce qui génère plus quand on le donne que quand on le garde pour soi.
Ce qu’il faudrait garder propriétaire, en quelque sorte, ou avec une gouvernance plus protégée, c’est tout ce qui est rare mais naturellement, pas artificiellement, pas avec des brevets ou autre chose. Là on parle de la forêt, on parle de la rivière, on parle d’une fabrique, de la relation avec les clients, de la confiance, de sa marque. Ce sont des choses qui ne sont pas là naturellement, qu’on peut garder pour soi, sur lesquelles on peut asseoir la base de son profit.
Mais tout ce qu’on garde rare artificiellement en le fermant, c’est une perte pour soi-même et aussi pour la société .
Maxime Lubrano : Parmi tes missions, tu as conduit une mission d’accompagnement pour la SNCF. Je te laisse la présenter, tu le feras certainement mieux que moi. Est-ce que tu peux nous expliquer les enjeux et les bénéfices de cette démarche, en particulier en termes de collaboration internationale, étant donné que ça a une portée avec quelques autres pays européens ?
Jaime Arredondo : Je présente vite fait le projet.
À la base, la SNCF dépendait de logiciels de simulation pour son infrastructure qui étaient complètement propriétaires. Quand ils faisaient une étude de projet, ils envoyaient des appels d’offres à des bureaux d’études différents et, quand ils recevaient les résultats, les résultats des calculs étaient différents. Ils ne comprenaient pas pourquoi puisqu’ils ne pouvaient pas regarder dans l’algorithme. C’étaient des boîtes noires qu’ils ne pouvaient ni contrôler ni améliorer. Ils ont dit « ces logiciels impactent des décisions de milliards en investissement, il faut donc qu’on ait ces données en propre. On va donc redévelopper ce simulateur en open source et on va le mutualiser avec les autres SNCF mondiales, donc avec la Deutsche Bahn, avec la SBB, avec la Renfe espagnole. » Ils ont commencé à développer ce logiciel en open source et ils se sont rendu compte qu’ils pourraient faire contribuer d’autres entreprises ferroviaires mais aussi des ferrovipathes, les fous du train qui jouent à Train Simulator chez eux tous les jours et qui peuvent faire, potentiellement, la vérification de données. On pourrait donc mobiliser tous ces gens-là pour répondre à des appels à projets, pour contribuer à de nouveaux algorithmes, de nouvelles données. On peut évidemment développer tout ça et plus avec les autres acteurs.
Quelques années après ils ont lancé The OpenRail Association [9] qui, aujourd’hui, est un vrai consortium avec le SBB, les Suisses et les Norvégiens aussi se sont rassemblés. Maintenant tous ces gens-là, sont en train de développer ensemble des outils. La question qu’on me pose souvent « est-ce que ce n’est pas mauvais pour leur concurrence ? ». Eux m’ont répondu que leurs concurrents ce n’est pas les autres acteurs du train, c’est l’aviation. Ils ont donc besoin de travailler ensemble pour, éventuellement un jour, proposer une alternative à l’avion.
Maxime Lubrano : Quels conseils donnerais-tu aux institutions et aux entreprises qui envisagent de faire la transition vers des solutions basées sur les communs ?
Jaime Arredondo : J’étais parti un peu sur ça : définir ce qui est rare naturellement et ce qui est rare artificiellement, ce qui est abondant dans leur organisation qui n’est pas en train d’être partagé. Beaucoup d’organisations ont des formations en interne qui pourraient avoir beaucoup plus de valeur en externe, qui pourraient aussi faire avancer leur industrie.
Ça pourrait être comprendre quelles sont les dépendances qui sont nocives pour l’industrie et pour la société.
Ça peut être se demander où il faut qu’on aille plus vite et on n’y arrive pas, donc qu’est-ce qu’on pourrait développer en open source ou en commun pour embarquer d’autres gens qui peuvent le faire avec nous.
Je pense que j’ai déjà dit beaucoup de choses, je ne suis pas sûr d’avoir beaucoup plus d’éléments.
Maxime Lubrano : Enfin, dans le contexte de Numérique en Commun[s], quelle est ta vision pour l’avenir des communs alors qu’il y a de plus en plus de défis économiques et sociaux et que ceux-là sont de plus en plus complexes ?
Jaime Arredondo : Je pense que les communs, justement, peuvent accélérer, en tout cas multiplier notre capacité à répondre aux enjeux complexes qui nous attendent, comme pour les vaccins. Une fois qu’on ouvre une solution en open source, elle est disponible partout dans le monde plutôt que juste à l’endroit où elle a été développée.
Le développement des communs peut aussi aider à avoir plus de démocratie. Aujourd’hui, on voit la crise actuelle, même démocratique en France, où personne ne se sent représenté et, quand on organise des conventions citoyennes, leurs conclusions ne sont pas adoptées par la politique. Je pense qu’on a un choix de modèle social : aujourd’hui, on peut avoir le modèle autoritaire chinois ou même collectiviste où le Parti décide de tout ou on peut avoir un modèle de plus en plus autoritaire, vers lequel on va en Occident, où tout est décidé aussi par les partis mais de manière beaucoup plus individualiste.
Je pense qu’aujourd’hui, au lieu d’avoir des modèles un peu à la GAFAM ou à la chinoise avec les Baidu et autres alternatives chinoises, on pourrait avoir des alternatives open source à tout ça, en commun. Nous pourrions avoir notre Linux, des solutions financées publiquement de la même manière que les États-Unis financent toutes ces solutions, Apple, Tesla, SpaceX, tout cela est financé par les deniers publics. On pourrait faire la même chose, mais, au lieu de financer des modèles propriétaires qui génèrent énormément de valeur marchande, on pourrait générer beaucoup de valeur sociale. Une étude avait été faite : Wikipédia produit très peu de valeur marchande pour le PIB, mais quand on a demandé aux gens « combien ils seraient prêts à payer si on leur enlevait », ils disaient 150 euros par an. Une étude de la Harvard Business Review s’était rendu compte que ça pouvait générer 150 milliards pour l’économie alors que Wikipédia ne récolte que 250 millions de dollars par an.
Tout cela pour dire que ce modèle n’est pas forcément très visible parce que monétairement il ne génère pas beaucoup de richesse, mais il génère une vraie richesse d’usage qui est beaucoup plus porteuse, je pense, en opportunités, en emplois, en formations, en capacités l’épanouissement de la population et en résilience territoriale et globale.
Je pense que tous ceux qui écoutent ce podcast sont convaincus par les communs. On sait tous que ça peut diminuer la précarité, augmenter la qualité, diminuer les prix et surtout diminuer les inégalités qui entraînent la montée des extrêmes autoritaires.
Maxime Lubrano : Super intéressant et enfin dernière question surprise : est-ce que tu aimerais écouter quelqu’un dans le cadre de ce podcast ?
Jaime Arredondo : C’est une bonne question. Il y a tellement de gens que j’aimerais interroger !
Sur les communs, j’aimerais bien entendre Alexis Kauffmann du ministère de l’Éducation. J’aimerais bien aussi écouter Virgile Deville qui travaille à beta.gouv [10] et à la DINUM [Direction interministérielle du numérique] pour coacher des projets de communs. Ce serait intéressant aussi de faire un entretien avec les gens de l’ADEME [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie], qui financent des appels à communs, Héloïse Calvier, Gabriel Plassat ou même un Nicolas Berthelot, à l’IGN [Institut national de l’information géographique et forestière], qui avait fait la Fabrique des géocommuns [11].
Maxime Lubrano : On prend bonne note de tous ces conseils.
Merci beaucoup Jaime pour tes réponses !
Jaime Arredondo : Merci beaucoup. C’est un plaisir de contribuer.
Maxime Lubrano : Merci également à vous, chères auditrices et chers auditeurs pour votre écoute. Nous espérons que ce premier épisode de Persons of Internet vous a plu. Nous vous invitons à nous suivre sur Linkedin ainsi qu’à vous abonner à notre chaîne sur votre plateforme d’écoute préférée. À très bientôt.