Faire par soi-même, relocaliser et gagner en indépendance Carnets de campagne - France Inter

Voix off : France Inter. Philippe Bertrand

Philippe Bertrand : Carnets de campagne. Bonjour.
Faire par soi-même, relocaliser et gagner en indépendance loin des réseaux de la mondialisation, qu’ils soient industriels ou numériques, tels sont les thèmes abordés aujourd’hui.
On va commencer par un industriel vertueux, en Alsace, qui s’appelle Pierre Schmitt, qui, après avoir créé une première entreprise en a sauvé trois autres ainsi que 150 emplois.
Nous appellerons dans la foulée Patrice, second invité, qui a abandonné un CDI pour se mettre à son compte et promouvoir les logiciels libres afin de sortir enfin de l’emprise des GAFAM.

Voix off : Carnets de campagne. Le journal des solutions.

Philippe Bertrand : Pierre Schmitt, bonjour.

Pierre Schmitt : Bonjour.

Philippe Bertrand : Pierre, vous êtes un sauveur, quatre entreprises, je les cite, Philea Textiles, Emanuel Lang, Velcorex, Tissage des Chaumes, une filière importante du textile en Alsace. Vous les avez toutes sauvées de la liquidation ?

Pierre Schmitt : Non. En fait la première, Philea, a été créée après mon départ de chez DMC parce que j’étais en désaccord total avec la stratégie de DMC qui voulait tout délocaliser. J’ai donc repris mon indépendance et j’ai recréé la première structure, qui s’appelle Philea, qui s’est spécialisée dans les tissus et soieries. Par contre, les autres, effectivement, on a repris Velcorex qui était le premier producteur de velours en Europe et le seul en France, qui est connu mondialement. On l’a repris en 2010, après liquidation dans des circonstances extrêmement difficiles ; après Emanuel Lang qui remonte à 1856 et également Tissage des Chaumes qui est une entreprise qui remonte à 1908, qu’on a reprise en 2013. Voilà à peu près le parcours.

Philippe Bertrand : Pierre, si je résume, vous donnez quand même du travail à 150 personnes, 150 salariés. Un chiffre d’affaires annuel d’au moins 30 millions d’euros. Si ça marche avec vous, pourquoi ça ne marchait pas avant ?

Pierre Schmitt : C’est une très bonne question. Je dirais, d’abord, qu’il faut y croire. Le problème, dans notre industrie, c’est qu’on ne croit plus en grand-chose. On a un patrimoine incroyable, de plusieurs siècles d’expérience, de savoir-faire, de filières complètes, qu’on devrait sacrifier sur l’autel de la mondialisation. Moi je pense que c’est de la folie totale. Le textile ne se réduit pas à des t-shirts. Ça se réduit à des savoir-faire absolument incroyables, qui sont extrêmement pointus. Schlumberger, qui est notre partenaire de machines textiles, a deux siècles d’histoire, d’expérience, a un savoir-faire unique sur la planète ; Velcorex a des savoir-faire uniques en matière de velours et je pourrais continuer comme ça, et le lin en fait partie, pourquoi voulez-vous qu’on sacrifie tout ça sur l’autel de la mondialisation ?
On n’est pas conscient des patrimoines, des savoir-faire et de l’image que véhicule la France à travers la planète. J’ai parfois l’impression que les étrangers croient beaucoup plus dans notre filière que les Français.

Philippe Bertrand : À propos de Schlumberger, vous avez fait appel à d’anciens ingénieurs et techniciens de Schlumberger pour remettre en marche des machines que vous êtes allé chercher en Hongrie, des machines à filer le lin. Faut-il le rappeler, la France est le premier producteur au monde de lin, sauf qu’on a pas l’outil de transformation.

Pierre Schmitt : Non, parce qu’on a fermé toutes les filatures dans les années 2000, qu’on a coupé, évidemment, la première étape de valorisation. Je pense que c’était une action suicidaire et aujourd’hui, je pense qu’avec l’effort de 50 000 tonnes de lin, dans une dizaine d’années, vous aurez une dizaine de filatures en lin. Il y a déjà quelques projets qui sont en cours en Normandie et dans le Nord de la France. C’est une industrie qui est en train de renaître de ses cendres grâce à l’innovation. Il ne faut jamais oublier qu’une bobine de lin qui sortait d’une filature dans les années 2000 ressemble comme une goutte d’eau à une bobine de lin qui est produite aujourd’hui en Chine ou en Pologne. On a fait juste un copier-coller de ce qu’on savait faire dans les années 2000 en France.
Donc l’innovation qui est, pour nous évidemment, un vecteur de développement très important, ne peut se faire que dans la proximité des équipes, des machines, des ateliers et c’est ça qu’on est en train de recréer à Mulhouse.

Philippe Bertrand : Donc, à partir de cela, filés chez vous, il y a une gamme de vêtements que l’on peut trouver sur le site matieresfrancaises.fr, ça s’écrit au pluriel, matières au pluriel, françaises au pluriel, et là vous ouvrez un nouveau marché : du lin de Normandie, très exactement du pays de Caux qui est quand même le centre névralgique du lin, filé en Alsace et vendu à partir de Matières françaises.

Pierre Schmitt : Filé en Alsace, tissé dans la même usine et on oublie, chez Velcorex, dans un rayon de 30 kilomètres autour de Mulhouse. C’est grâce à ça qu’on est en train de finaliser un jeans 100 % en lin qui aura consommé, d’après un cabinet spécialisé dont on vient de recevoir l’étude, 85 litres d’eau au lieu de 8500 litres d’eau pour un jean coton.

Philippe Bertrand : Exact.

Pierre Schmitt : Tout ça grâce au lin. Entre la Normandie et l’Alsace il y a 700 kilomètres, donc tout ça se fait dans la proximité et, surtout, un lin qui ne pollue pas. Vous connaissez les degrés de pollution du coton. Donc c’est une filière, je dirais, de bon sens, écologique et qui a un potentiel absolument incroyable.

Philippe Bertrand : Le site névralgique à Hirsingue c’est Emanuel Lang, emanuel-lang.fr. Je rappelle que tous les vêtements produits à partir de ce lin sont filés et tissés en Alsace, matieresfrancaises.fr.
Merci beaucoup Pierre.

Pierre Schmitt : Merci à vous pour votre intérêt pour le lin. J’espère que la plupart des Français vont prendre conscience de cette filière qui est en train de se réimplanter en France.

Voix off : France Inter – <em<Carnets de campagne

Philippe Bertrand : Nous parlons régulièrement des logiciels libres, des propositions open source, loin du réseau des GAFAM et pourtant on a l’impression qu’on peine encore à développer ces nouvelles pratiques. Alors on appelle tout de suite Patrice Andreani. Patrice bonjour.

Patrice Andreani : Bonjour à vous.

Philippe Bertrand : Patrice, vous avez abandonné il y a cinq ans un CDI pour vous retrouver auto-entrepreneur.

Patrice Andreani : Oui. J’ai quitté un emploi qui était un peu vide de sens pour moi. J’avais envie faire quelque chose de plus utile, avec plus de sens, dans une démarche plus responsable.

Philippe Bertrand : Votre métier précédent, sans vous demander le détail, avait quelque chose à voir avec la toile numérique ?

Patrice Andreani : Rien du tout !

Philippe Bertrand : Depuis 15 ans vous êtes intéressé par les logiciels libres et vous avez inventé Numericatous [1], une plateforme dédiée au logiciel libre. On peut s’informer, on peut débuter dans le numérique avec des outils libres et éthiques que vous proposez et aussi des tutoriels parce que c’est bien d’avancer un tout petit peu plus en avant dans la démarche de l’autonomie numérique. C’est pour essayer de faire comprendre l’intérêt ?,pourtant on en parle depuis un moment, des logiciels libres.

Patrice Andreani : Oui. La démarche vise à essayer de faire connaître les alternatives aux GAFAM, parce que tout le monde, dès qu’on parle de numérique, pense aux GAFAM, mais il existe d’autres outils, d’autres solutions qui sont beaucoup plus éthiques, beaucoup plus respectueuses de nos données personnelles, de la souveraineté numérique aussi des États, ce qui revient de plus en plus souvent. Donc c’est vraiment important de faire connaître ces alternatives et d’aider nos concitoyens à prendre en main ces outils, pas simplement découvrir les alternatives, mais, en même temps, débuter dessus.
C’est pour ça que j’ai créé Numericatous, une plateforme en ligne avec de nombreuses ressources, des tutoriels, des vidéos, du gratuit et du payant, pour pouvoir être accessible à tous, pour que les gens puissent débuter et s’initier au numérique avec des outils qui respectent leurs données personnelles.

Philippe Bertrand : Je rappelle que GAFAM c’est l’acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft. On pourrait en ajouter d’autres et vous dites qu’on se tire une balle dans le pied de notre économie numérique.

Patrice Andreani : Oui, parce que, malheureusement, on continue encore d’utiliser majoritairement les GAFAM, même si le gouvernement parle de plus en plus de souveraineté numérique. Il n’y a pas très longtemps, on a vu par exemple que la BPI, la Banque Publique d’Investissement, encourageait nos TPE à aller chez Amazon pour se mettre au numérique, alors qu’on a des entreprises françaises qui pourraient faire ça très bien.
On voit aussi, avec les problèmes de l’école à distance, que ce sont des sociétés américaines qui sont choisies alors qu’on a des sociétés en France, je pense par exemple à TeachReo [2], qui développe un outil de classe virtuelle basé sur un logiciel libre.
Donc on a des solutions en France, portées par des acteurs locaux, français, éthiques, et malheureusement on continue encore d’utiliser majoritairement les GAFAM. Évidemment, eux ne participent pas à notre économie, donc on se tire vraiment une balle dans le pied en continuant à privilégier ces outils. C’est pour ça que c’est vraiment important de choisir des outils libres et des acteurs locaux, français, avec une éthique derrière et qui participent à notre économie et à nos emplois. C’est un cercle vertueux, en fait, qu’il faudrait essayer d’entamer.

Philippe Bertrand : Comment expliquez-vous cet attachement aux GAFAM et cette crainte ou ce manque de confiance à l’égard des logiciels libres en France ?

Patrice Andreani : D’une part on ne parle pas assez d’eux. Il y a le problème de la vente liée : quand on va dans un magasin, on trouve partout du Microsoft, alors qu’on devrait aussi pouvoir trouver du GNU/Linux ou d’autres, donc il y a déjà un gros manque à ce niveau-là en matière de communication. Et puis nos dirigeants sont, depuis longtemps, engagés dans une démarche avec les GAFAM, donc ils renouvellent simplement sans chercher à voir les autres possibilités qui existent. Il faudrait un peu casser ce modèle pour pouvoir engager une autre voie dans le numérique, plus respectueuse.

Philippe Bertrand : Il y a quand même une division entre les GAFAM et les grands outils numériques mondialisés, qui relèvent d’une économie mondiale et, face à ça, des logiciels libres, des outils de proximité qui, eux, relèvent d’une forme de solidarité, exemple tout ce qui est proposé en open source sur la toile aujourd’hui.

Patrice Andreani : Voilà, tout à fait. C’est vraiment une collaboration. Tout ce qui est du domaine du logiciel libre ce sont des milliers de contributeurs qui participent bénévolement pour créer des outils.
Évidemment, il n’y a pas la puissance d’attaque qu’ont les GAFAM avec les milliards qu’ils possèdent, donc évidemment c’est très difficile d’arriver à lutter contre ça. Il faut arriver à les contourner, il faut arriver à s’unir et à créer un cercle vertueux d’utilisation et de contribution, parce que c’est très bien d’utiliser d’utiliser du logiciel libre, mais il faut aussi pouvoir contribuer pour pouvoir pérenniser et développer ces outils.

Philippe Bertrand : Pour bien débuter dans le numérique avec les bons outils, numericatous.fr, pour l’adresse. Merci Patrice.

Patrice Andreani : C’est moi qui vous remercie.

Références

[2TeachReo

Média d’origine

Titre :

Carnets inter-départements du 19 avril

Personne⋅s :
- Patrice Andreani - Philippe Bertrand - Pierre Schmitt
Source :

Podcast
Présentation de l’émission

Lieu :

Émission Carnets de campagne - France Inter

Date :
Durée :

12 min

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Texte du bandeau du site Numericatous

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.