
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Isabella Vanni : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
La monnaie libre Ğ1 et Duniter, le logiciel qui la fait fonctionner, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme une nouvelle chronique de Jean-Christophe Becquet sur la chanson française mais amusante de KPTN et aussi une nouvelle chronique « F/H/X » de Florence Chabanois.
Soyez les bienvenu·es dans cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 6 mai 2025. Nous diffusons en direct sur radio Cause Commune, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast. Nous saluons également les personnes qui nous écoutent sur la webradio Radio Cigaloun et radio Libres en Périgord.
À la réalisation de l’émission, aujourd’hui Magali Garnero. Bonjour.
Magali Garnero. : Salut.
Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet – « La chanson française mais amusante de KPTN »
Isabella Vanni : Nous allons commencer par la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet qui, chaque mois, nous présente une ressource sous licence libre : texte, image, vidéo ou base de données, sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile. Les auteurs et autrices de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public, parfois avec la complicité du chroniqueur.
Bonjour Jean-Christophe. Tu es là ?
Jean-Christophe Becquet : Bonjour Isabella. Bonjour à tous. Bonjour à toutes.
Isabella Vanni : Le thème du jour pour ta pépite est « La chanson française mais amusante de KPTN ». À toi.
Jean-Christophe Becquet : Texte libre, image libre, vidéo libre ou base de données libre partagent un ancêtre commun : le logiciel libre. En effet, lorsque les premières licences libres voient le jour en 1984, c’est pour permettre la copie, l’étude et l’amélioration des codes sources de logiciels. L’idée géniale consiste à s’appuyer sur les privilèges exclusifs réservés par le droit d’auteur non plus pour restreindre mais pour encourager le partage. Les fameuses libertés sont inscrites dans une licence originale mais basée sur le cadre législatif existant. Cette construction garantit la sécurité juridique des ressources libres.
Pendant les 20 premières années, les licences libres s’appliquent principalement dans le champ du logiciel. Les réflexions pour décliner ces principes à d’autres types de contenus émergent au début des années 2000. On assiste à la rédaction de la licence Art Libre, en juillet 2000, puis des Creative Commons fin 2002. Dans le même temps, les premiers grands projets collaboratifs pour le partage de la connaissance sous licence libre voient le jour : Wikipédia en 2001, Wikimedia Commons et OpenStreetMap en 2004.
L’artiste que j’ai choisi de mettre au centre de ma chronique aujourd’hui s’inscrit pleinement dans cette dynamique des licences libres. Clément Oudot part du logiciel libre avant d’étendre sa pratique des licences libres au partage de sa musique et des paroles de ses chansons sous le pseudo KPTN, prononcé « Cap’tain ».
Les plus fidèles à l’écoute de Libre à vous ! ont déjà entendu KPTN. Nous diffusons régulièrement sa musique et, dans l’émission du mardi 25 juin 2024, il répondait au micro de Julie Chaumard. Son histoire avait retenu mon attention. Grâce à la transcription publiée sur Libre à lire !, il m’est facile de le citer : « C’est un engagement personnel. Depuis 20 ans, je travaille dans le logiciel libre et pas uniquement pour des aspects techniques, vraiment aussi pour des aspects humanistes et de partage. Comme loisir, je fais de la musique. Naturellement, je me suis dit qu’il était bien aussi de partager avec le plus grand nombre. »
Clément Oudot prenait aussi la plume dans Le Lama déchaîné numéro 2 du 30 octobre 2024 : « Cela m’a semblé une évidence de choisir une licence libre pour ce travail, CC-BY-SA/Art Libre. C’est ainsi qu’est sorti Flammes, le premier album de KPTN, disponible en CD, disponible sur le site En Vente Libre, en streaming et même en paquet Debian ! »
KPTN se définit comme auteur/compositeur/interprète. Ses quatre albums sont disponibles en intégralité sur son site kptn.org, enregistrements audio, mais aussi textes de ses chansons. Dans son agenda défilent des événements incontournables du Libre : les Journées du Logiciel Libre de Lyon, le Campus du Libre et même les fameuses Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, mais aussi la Fête de la musique, des concerts et plusieurs émissions de radio dont Libre à vous !.
KPTN n’est pas seulement musicien, il est aussi poète et observateur du monde contemporain. Il chante le travail et l’argent, l’ivresse et la mélancolie, la nostalgie, l’amour, la paternité, la vie quoi
Aller, puisque c’est libre, je vous partage deux extraits qui m’ont touché :
Doucement, lentement,
Sans précipitation
Savourons chaque instant
Marchons vers l’horizon
Nous avons tout le temps.
Et pour terminer, une chanson dédiée à ses filles Claire et Lucille :
Enfin je te le dirai
Que l’amour est un mystère
Que la vie est éphémère
Que j’ai toujours été sincère
Que j’ai été j’espère
Que j’ai été ce père
Super
Et maintenant, je crois que nous allons pouvoir écouter une chanson de KPTN.
Isabella Vanni : C’est ça, Jean-Christophe. Je te le confirme.
Merci pour cette chronique sur un artiste qu’on aime tout particulièrement à Libre à vous !. Je sais que Magali aussi, à la régie, a hâte de lancer l’une de ses musiques.
Je te dis au mois prochain.
Jean-Christophe Becquet : Entendu. Belle émission. Au mois prochain. Bonne après-midi à tous.
Isabella Vanni : Nous allons donc faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous parlerons de la monnaie libre Ğ1 et du logiciel libre Duniter, qui la fait fonctionner, avec nos personnes invitées.
Malheureusement, le morceau que Jean-Christophe voulait faire passer à la radio est un petit peu trop long pour notre pause musicale. On en a trouvé un autre qui est très bien et qu’on diffuse pour la première fois, c’est Taratata donc par KPTN. On se retrouve dans environ trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Taratata par KPTN.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Taratata par KPTN, disponible sous licence libre Creative Commons CC By SA 4.0.
[Jingle]
Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.
[Virgule musicale]
La monnaie libre Ğ1 et Duniter
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur la monnaie libre Ğ1 et Duniter, c’est-à-dire le logiciel qui la fait fonctionner.
Ce sujet sera animé par Emmanuel Charpentier qui est avec moi sur le plateau. Bonjour Manu.
Emmanuel Charpentier : Bonjour Isa.
Isabella Vanni : Et nos personnes invitées qui sont Hugo Trentesaux, Martial alias Maaltir, et Sarah, qui contribuent à différents titres à la monnaie libre. Tous les trois participent à distance. J’espère que vous êtes tous et toutes là. Bonjour à vous.
Hugo Trentesaux : Bonjour.
Maaltir : Bonjour.
Sarah : Bonjour.
Isabella Vanni : J’ai entendu trois bonjours. Nous sommes contents ici.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Toutes les références seront rendues disponibles sur la page consacrée à l’émission, libreavous.org/246.
La parole à Emmanuel Charpentier ou Manu pour mener cet échange.
Emmanuel Charpentier : Manu c’est bien aussi.
Nous avons une heure pour discuter entre nous à bâtons rompus de fric, d’argent, de monnaie.
Nous avons trois participants à distance. Nous allons nous organiser pour les interactions.
Pour commencer je vous propose, chères personnes invoquées depuis chez vous, de vous présenter rapidement sans forcément entrer dans les détails, surtout sur la technique. Peut-être commencer par Hugo, Maaltir et Sarah ensuite.
Hugo Trentesaux : Très bien. Moi c’est Hugo. Je suis ici parce que je suis contributeur au logiciel Duniter, qui fait fonctionner la monnaie libre. J’ai une formation de scientifique, je vis à Toulouse et j’ai 30 ans.
Emmanuel Charpentier : Maaltir.
Maaltir : Maaltir. Je suis un utilisateur convaincu de la monnaie libre et de son intérêt. J’essaye de diffuser autour de moi cet intérêt pour la monnaie libre.
Emmanuel Charpentier : Et puis Sarah.
Sarah : Sarah. Je suis de la région bordelaise, nouvellement arrivée dans la Ğ1 depuis 2023. J’anime les rencontres pour diffuser la monnaie libre en Gironde, qu’elles s’organisent de mieux en mieux pour la diffuser, et e suis impliquée dans plusieurs groupes pour faire vivre la Ğ1.
Emmanuel Charpentier : Très bien.
Je vous propose, pour commencer à bâtons rompus justement, d’essayer d’évacuer le gros sujet, le gros caillou dans la chaussure, on pourrait même dire qu’il y en a deux, mais on va rassembler : que pensez-vous, chacun, de la monnaie en général, des monnaies classiques, et puis de cette monnaie dont on parle tellement, en bien ou en mal en fonction des cas, du Bitcoin. Pourquoi pas le Bitcoin ? Pourquoi pas les monnaies traditionnelles ? Et là, on peut peut-être faire à l’envers : Sarah, Maaltir et Hugo, si vous voulez bien.
Sarah, qu’en dis-tu ?
Sarah : Ça fait très longtemps que je cherche des alternatives pour reprendre un petit peu, je dirais, la liberté de pouvoir fonctionner et l’émancipation. Je pensais que les écovillages et tout c’était une des solutions. Oui, c’en est une, devenir autonome dans son alimentation et ne plus avoir besoin d’aller acheter dans les supermarchés, c’est une solution. Mais, à titre individuel, quand on veut échanger avec les autres, pour échanger l’humain a créé la monnaie, on en a besoin. Et plus je me suis renseignée sur la monnaie, plus je me suis aperçue qu’elle est passée dans le domaine privé, qu’on n’a aucun contrôle dessus, que même les États se retrouvent coincés dans un système que je trouve pervers par rapport à la création monétaire. La création monétaire est maintenant liée à la dette, ce qu’on explique quand on fait des présentations de la monnaie libre. On va dire que 98 % de l’argent qui est créé actuellement est lié à un emprunt, il y a donc forcément un intérêt derrière, il n’y a plus de création monétaire, avec des billets et des pièces, qui est faite pour soutenir les actions de l’humain.
Au niveau du Bitcoin, tant que le Bitcoin est adossé à de la monnaie dette, ça ne change pas grand-chose parce que, pour l’obtenir, il faut échanger ce qu’on appelle des monnaies fiat pour en avoir, donc pareil. Même si la création en elle-même ne se fait plus par les banques privées ou des choses comme ça, ça ne reste quand même pas super évident d’en obtenir et pour l’instant, pour pouvoir créer des services et obtenir des Bitcoins, ce n’est pas forcément super facile. Et ce n’est pas très facile d’utilisation pour tout le monde. Déjà ce n’est pas utilisé partout dans les commerces, il faut comprendre comment fonctionne un wallet, ça reste un peu compliqué.
Emmanuel Charpentier : Oui, il n’y a pas photo.
Sarah : Voilà un peu mon point de vue. C’est peut-être un peu technique d’entrée de jeu.
Emmanuel Charpentier : On n’est pas encore rentré dedans et je pense qu’à peu près tout le monde a déjà entendu le terme « Bitcoin ». Je vais repasser la main à Maaltir, si tu le veux, peut-être pour nous définir la monnaie fiat.
Maaltir : Ce qu’on appelle la monnaie fiat, c’est la monnaie de fait, celle qui est imposée par nos États donc, chez nous c’est l’euro. Cette monnaie, que l’État nous impose, est créée essentiellement par les banques commerciales lorsqu’elles nous accordent des crédits. Finalement, cette monnaie, cette création monétaire est réservée principalement à ceux qui ont déjà de la monnaie. Quand on parle de création monétaire, quand on parle du Bitcoin, elle est réservée à ceux qui font tourner des nœuds de Duniter, donc des grosses fermes qui consomment énormément de choses, donc, là aussi, c’est encore réservé à des gens qui ont déjà les moyens. Même si, à l’origine, ça pouvait être tout le monde, aujourd’hui, la création monétaire Bitcoin est vraiment réservée à une certaine élite. C’est un des gros problèmes des monnaies, puisque la création est réservée à certaines personnes.
L’autre problème de la monnaie, de la monnaie fiat entre autres, c’est qu’on ne sait pas très bien ce qu’elle mesure, parce qu’on ne sait pas vraiment combien il y a en circulation. C’est donc difficile de savoir si je suis riche ou pauvre si je ne sais pas combien il y a d’unités monétaires en circulation, je peux difficilement me placer par rapport à la moyenne.
Voilà un peu les deux inconvénients, pour moi, des monnaies fiat et du Bitcoin.
Emmanuel Charpentier : Et toi, Hugo, comment le vois-tu, de ton point de vue ?
Hugo Trentesaux : On a eu une super introduction à la fois sur l’euro et le Bitcoin. Je vais essayer d’apporter un éclairage logiciel.
Déjà, nous utilisons tous l’euro sans forcément nous intéresser à la façon dont il fonctionne et, si on essaye de s’y intéresser, on se rend compte que c’est une monnaie essentiellement numérique, ce sont des systèmes de paiement Visa, MasterCard, des banques, des comptes en ligne, c’est donc une monnaie très numérique mais opaque. Les logiciels qui la font fonctionner sont souvent propriétaires, on ne peut pas les lire, et même les règles de fonctionnement sont compliquées à comprendre. On voit qu’elle introduit des tas d’inégalités.
Le Bitcoin, de ce point de vue-là, a été innovant et nous a inspirés. Le code du Bitcoin est libre et s’exécute de manière transparente, donc tout le monde peut regarder les transactions qui sont effectuées sur le Bitcoin et, de ce point de vue-là, tout le monde est égal. Mais le Bitcoin a oublié quelque chose, que la création monétaire est extrêmement politique. Comme il est soumis à la création monétaire, les nouveaux Bitcoins qui sont créés sont donc soumis à des règles qui sont une sorte de course à l’armement de la puissance de calcul, cela fait que ça reste assez centralisé, géré par des acteurs qui ont les moyens de se payer des fermes de calcul et, en plus, c’est complètement anti-écologique puisque cela consomme une quantité délirante d’électricité par rapport aux services rendus. Le système monétaire euro consomme aussi de l’électricité, mais il nous rend d’énormes services parce qu’il permet de faire fonctionner les échanges monétaires qui sont nécessaires à l’économie.
Emmanuel Charpentier : On pourrait quasiment dire que les Bitcoins sont une monnaie libre, mais ça n’empêche, quand même, que ce ne sont peut-être pas les bons algorithmes, les bonnes procédures et la bonne gestion, d’une manière générale, communautaire. Il manque quelque chose, non ? Qu’en dites-vous ? Peut-être, Sarah, pourrais-tu rebondir ?
Sarah : En fait, j’ai eu beaucoup d’éclairage en écoutant une conférence qui a été enregistrée dernièrement avec Étienne Chouard, Valérie Bugault et Jacques Cheminade. Comme le disait Hugo, la création monétaire c’est très politique. Ils notaient, ils mettaient en avant que si on regarde historiquement, si on a la chance de faire la fresque de la monnaie, on voit l’évolution de la monnaie et ce n’est que depuis fin 1800 et 1900 que ce sont les banques commerciales qui créent la monnaie. Avant c’était régulé, il y avait des organisations qui créaient ou qui détruisaient la monnaie pour réguler la monnaie, alors que maintenant c’est complètement commercial, donc ça devient n’importe quoi.
Ce qui est proposé c’est de trouver un système monétaire qui nous permette d’avoir la gouvernance dessus, d’être capables de décider, en tant que société, si on a besoin de créer de la monnaie ou pas besoin, où est-ce qu’on veut la mettre et comment on fonctionne, comment on devient souverains sur la création monétaire. C’est pour cela que je trouve la monnaie libre assez intéressante parce que déjà, au niveau de la création monétaire, ça devient à échelle humaine : c’est un humain. Si on regarde la Théorie Relative de la Monnaie, la relativité est basée sur la durée de vie de l’être humain de 80 ans. La formule mathématique, avec un compte par être humain qui crée la monnaie, permet quelque chose qui est beaucoup plus équitable et, surtout, qui est intergénérationnel. Il n’y a pas de différence entre celui qui est né dans les années 80 et celui qui est né dans les années 2000 ou qui naît plus tard, parce qu’il y a un système qui permet de réguler.
Après, à savoir comment on prend des décisions par rapport à cette monnaie. Est-ce que c’est vraiment cette monnaie-là qui peut être référence ou est-ce qu’il y a plusieurs monnaies ? On a une diversification de la monnaie, ce qui est totalement l’inverse de ce qu’on est en train de faire, puisqu’on est en train, justement, d’uniformiser. On est passé du franc à l’euro, le dollar, les BRICS [BRICS+ : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Iran, Égypte, Émirats arabes unis, Indonésie et Éthiopie] sont carrément aussi en train de faire une monnaie entre les Chinois, les Russes, l’Afrique du Sud. C’est l’inverse de ce qu’on a avec des monnaies locales. Après, on a des moyens d’échanger entre nous à des échelles plus grandes.
La question se pose donc vraiment au niveau politique et au niveau de prise de décision : récupérer la création monétaire, pour nous, au niveau politique.
Emmanuel Charpentier : J’ai entendu Théorie Relative de la Monnaie. Est-ce qu’un de vous trois a les références et qui pourra nous dire, qui pourra dire aux auditeurs sur quoi se reporter ? À quoi correspond ce truc : TRM, Théorie Relative de la Monnaie ? Peut-être Maaltir.
Maaltir : TRM, la Théorie Relative de la Monnaie, c’est ce qu’a écrit Stéphane Laborde. Il a commencé à l’écrire en 2009, première édition en 2010 ou 2011, je ne sais plus et il a commencé à donner des conférences sur cette théorie. Il s’est un peu inspiré du logiciel libre en indiquant quatre libertés qui sont la liberté choisir sa monnaie, la liberté de créer des ressources, la liberté d’utiliser, la liberté d’échanger. Je ne sais plus exactement quelles sont les quatre libertés, j’ai un petit peu oublié. Ça revient surtout à ce que chaque être humain doit créer la même part de monnaie, quel que soit le lieu et quelle que soit l’époque.
Emmanuel Charpentier : Il me semble qu’il y a des PDF qui sont téléchargeables sur Internet.
Maaltir : Le livre est téléchargeable en PDF, il est disponible aussi en accès libre sur creationmonetaire.info. On le mettra sûrement dans les références.
C’est très long, très compliqué, tout le monde n’a pas tout lu, certains se contentent de La TRM pour les enfants qui est beaucoup plus simple.
C’est vraiment basé sur cette idée que la monnaie doit être crée par dividende universel, à parts égales, pour tous les êtres humains.
Emmanuel Charpentier : Tu viens d’introduire un autre concept encore. Parfois c’est bien, on va voir comment on peut rebondir là-dessus : le dividende universel. Ça ressemble à un salaire, ça ressemble à quelque chose, un revenu, mais c’est encore autre chose. Hugo, est-ce que tu vois ce que c’est ?
Hugo Trentesaux : Le dividende universel, ça fait une bonne transition, parce que tu parlais de logiciel libre, en fait ce n’est pas le logiciel libre qui est libre, l’idée c’est que ce sont les humains qui sont libres grâce au logiciel. On découvre qu’il n’y a pas de liberté sans égalité, la liberté sans égalité c’est du libéralisme, on voit bien ce que ça donne et on va dire que le Bitcoin c’est un peu ça, c’est une monnaie libérale et ce qui lui manque, comme critère essentiel, c’est l’égalité.
La Théorie Relative de la Monnaie a montré que si on veut faire une monnaie qui soit égalitaire, l’égalité étant une précondition à la liberté, il faut faire ce que la théorie a appelé un dividende universel, ce qui correspond à une création monétaire qui soit égale entre tous les individus et dans le temps.
La création monétaire est un concept est un peu nouveau. Tant qu’on ne s’y est pas intéressé on ne sait pas, on se contente de voir des euros, et on se dit que ses euros viennent de son travail, parce que quelqu’un nous les a donnés pour notre travail, par exemple, ou parce qu’on est rentier, je n’en sais rien, et on les dépense pour avoir pour avoir sa nourriture, son logement et ainsi de suite. Sauf que cette monnaie, qui est en circulation, a bien été créée à un moment. Pour prendre l’exemple de l’euro, elle est créée, comme disaient tout à l’heure Sarah et Martial, par des banques privées, puisqu’on a choisi de privatiser la création monétaire, et sur des critères qui lui sont propres, qui sont souvent des critères de rentabilité, même si on se rend compte qu’elle est aussi inégalitaire d’un point de vue de genre, d’un point de vue racial.
Le crédit bancaire n’est pas une solution qu’on retient dans la monnaie libre, on passe par une création monétaire égalitaire, c’est-à-dire que la monnaie qui est en circulation a été créée initialement et elle continue à être créée dans le temps de manière répartie entre tous les individus et à parts égales. C’est cela qu’on appelle dividende universel.
Concrètement, une fois qu’on est membre de la monnaie libre – c’est ouvert à tous les humains avec un seul compte membre par humain –, cette monnaie est créée quotidiennement sur le compte et c’est une monnaie qui sert de base aux échanges.
Emmanuel Charpentier : Pour le coup, je me rends compte qu’il y a une notion de communauté. On pourrait peut-être comparer les monnaies traditionnelles à des choses qui viennent d’en haut. Est-ce qu’on pourrait considérer que les monnaies libres sont des choses qui viennent un peu plus du bas, des communautés, des monnaies locales ? Est-ce que les gens doivent se retrouver entre eux sans vraiment de chef ? Sarah, est-ce que ça te parle ? Est-ce que tu as rencontré ces cas de réflexion ?
Sarah : C’est vraiment comme l’explique Hugo. Le mécanisme qui est proposé, c’est une proposition qui est faite, la monnaie libre. Pour l’instant je n’en connais qu’une, c’est la monnaie libre, s’il y a des internautes ou des personnes qui en connaissent d’autres, on sera ravis, même si on pourrait dire que le JEU, le Jardin d’Échange Universel, est une monnaie libre, ce n’est pas vraiment ça, parce que ce sont plutôt des reconnaissances qui se font entre les humains. Là, avec la Ğ1, on est vraiment sur la création monétaire et c’est vraiment la seule monnaie libre. Donc « les monnaies libres », je ne suis pas sûre.
Si on prend l’exemple de la monnaie locale qui a été utilisée à un moment donné, pendant la crise de 28/30 par certaines municipalités, qui créent, quelque part, un peu de la monnaie, ça a d’ailleurs été interdit par les banques privées, maintenant, les monnaies locales ne créent plus de la monnaie, elles sont adossées à l’euro. La création monétaire, en ce moment, est donc vraiment verrouillée par l’État, par les lois. On pourrait avoir des monnaies locales créées, mais il faudrait changer les lois, il faudrait changer les choses.
Je ne sais pas si je réponds à la question.
Emmanuel Charpentier : Je pense aux monnaies locales ainsi : j’ai un papier, j’ai un stylo, j’écris « 1, Manu » sur mon papier, ça y est, j’ai fait de la création monétaire. Est-ce que c’est suffisant ? Est-ce qu’il faut un peu plus ? Il faut peut-être que ce soit reconnu par un groupe.
Sarah : Là, si on a un papier et qu’on crée sa monnaie, comme ça, sur un papier, ça ressemble beaucoup au Jardin d’Échange Universel, c’est ce qu’ils font, ils créent sur un papier. Pour que ça soit plus sécurisé, puisque, pour l’instant, si je crée sur un papier, c’est vraiment la confiance que j’ai en l’autre qui crée, qui écrit sur un papier : j’ai créé ça, tu échanges avec ça, quelle est la valeur ? Je peux en écrire autant que je veux en fait, et c’est le gros problème qu’il y a sur la création monétaire : comment on régule, parce que si on en crée trop, ça ne vaut plus rien, et si on n’en crée pas assez, on n’en a pas assez pour échanger. Ce sont tous les mécanismes économiques qui demandent à s’informer là-dessus.
Justement, pour pallier ça et avoir quelque chose qui régule la monnaie libre, on utilise des outils qu’on appelle des monnaies numériques, de la crypto-monnaie, et là c’est un logiciel.
C’est donc tout à fait possible de le faire avec du papier, par contre, il faut que ça soit enregistré. Ça veut dire que moi, en tant qu’utilisateur de la monnaie libre, je dois avoir des Ğ1 sur mon compte et je peux dire, sur un papier, que c’est ça, mais la transaction doit être inscrite sur le registre d’enregistrement des transactions au niveau de la monnaie libre. Ça peut se faire en papier, mais, pour utiliser la monnaie libre Ğ1, ça doit forcément être inscrit dans la blockchain. C’est comme ça que ça fonctionne pour sécuriser le mécanisme.
Est-ce que ça répond à ta question Manu ?
Emmanuel Charpentier : Au moins partiellement. En tout cas, j’ai entendu « blockchain » dans le lot, je suis un peu embêté parce que c’est aussi compliqué à expliquer. Vas-y.
Maaltir : Je peux peut-être intervenir.
Avec la monnaie papier, on décide de faire confiance à celui qui émet la monnaie. Quand on utilise le JEU, par exemple, ou d’autres choses du même genre, on écrit sur du papier les échanges qu’on se fait, ça nécessite quand même d’avoir confiance en la personne qui écrit le bout de papier pour dire qu’elle a vraiment fait cet échange et qu’elle n’invente pas quelque chose, une monnaie, des unités qu’elle n’aurait pas.
Un des rôles de la monnaie fiat, par exemple, ou d’autres monnaies, c’est aussi d’être un intermédiaire de confiance : je n’ai plus besoin d’avoir confiance en la personne avec qui je fais l’échange. La confiance en la monnaie, le fait que la monnaie a une valeur en elle-même est reconnu par le groupe ou par l’État ou par une blockchain et ça me permet de dire « j’ai confiance dans cette monnaie. Même si je ne connais pas la personne, le fait qu’elle me donne cette monnaie me permet de faire l’échange ». C’est aussi intéressant de savoir à qui on fait confiance quand on fait une monnaie. C’est souvent là que j’invite les gens à sortir un billet de banque de leur poche et à regarder qui a signé au dos du billet de banque en euros, pour voir à qui on fait confiance.
Emmanuel Charpentier : Si je comprends bien, la blockchain serait un endroit où on inscrit tous les échanges qui ont lieu. Là aussi, j’avais cru entendre « notion de confiance », de « toile de confiance », est-ce que ça vous dit quelque chose ?
Hugo Trentesaux : Je peux en parler un peu.
La toile de confiance, c’est une solution technique qui permet d’avoir une identité distribuée. Là, il y a plein de mots compliqués. Si on s’intéresse au lien entre l’identité et la monnaie, dans le système euro, si on veut créer de la monnaie, il faut aller voir la banque et faire un crédit. La première chose que nous demande la banque c’est une preuve d’identité. C’est une manière de réguler et d’être sûr qu’on ne va pas se pointer dans dix banques différentes en donnant dix identités différentes pour avoir dix crédits qu’on ne remboursera jamais. Le système euro, avec ses banques privées, a donc besoin d’une notion d’identité – son identité nationale, par exemple carte d’identité ou internationale, passeport – et celle-ci est délivrée par un État, donc, si on est sans-papiers, on est exclu du système.
Nous voulions faire un système vraiment égalitaire. On a donc dû trouver une solution pour que les humains puissent se connecter à un système numérique – on est une monnaie numérique, c’est bien, on sait faire des comptes –, mais en ayant une identité unique, c’est-à-dire qu’on ne peut pas avoir plusieurs comptes.
La toile de confiance porte bien son nom, parce que, comme on a dit, la confiance c’est vraiment ce qui est nécessaire pour que la monnaie soit reconnue par les autres. En fait, c’est une reconnaissance mutuelle, de pair-à-pair, qui dit : ce compte numérique-là est bien associé à tel humain et c’est un humain qui ne va pas chercher à faire plusieurs comptes pour abuser du système.
Donc, très concrètement, ça se fait par des rencontres en physique, puisque c’est la seule manière de savoir qu’on a vraiment une personne en face de soi et pas un robot ou une simple boîte mail automatique ou quelqu’un qui essaye de se cacher derrière plusieurs identités. Lors des rencontres physiques entre plusieurs personnes, une personne qui est déjà membre de la toile de confiance de la Ğ1 va certifier la personne qu’elle a en face d’elle en disant « ce compte appartient bien à cette personne ». Comme ça, on a une toile de confiance qui compte actuellement à peu près 8000 personnes, qui ne sont pas qu’en France, en Espagne, en Belgique et aussi un peu plus loin sur Terre, 8000 qui sont reconnues et on est assez confiant dans le fait que chaque compte membre, sur cette toile de confiance, correspond à une personne physique. Les règles qu’on a choisies, ce sont nos règles : il faut recevoir cinq certifications pour rentrer. On a un stock limité de certifications et on peut les émettre à une fréquence limitée, tout ça pour contrôler la création d’identité numérique qui, je le rappelle, rend éligible au dividende universel, donc à une création monétaire, donc une quantité de monnaie qu’on reçoit chaque jour, chacun, sur son compte.
Emmanuel Charpentier : Dans ces 8000 participants, là je vais m’orienter vers Sarah, y a-t-il un chef ? Quelqu’un qui organise tout ça ?
Sarah : Pas du tout, on est on est vraiment dans le Libre, on est sur un mouvement qui est en train de grandir. En fait, on commence à se responsabiliser. Je pense que pour qu’il y ait un chef, on peut remonter à notre éducation, on ne sait pas comment faire. Là on est sur une proposition qui est qu’on prend ses responsabilités. Si on trouve cinq personnes qui certifient que je n’ai bien qu’un seul compte membre, que je suis bien un humain, j’ai la confiance de ces cinq personnes qui certifient, je deviens membre de la toile de confiance. Si je mens à ces personnes-là en leur disant « je n’ai pas d’autre compte membre », c’est de ma responsabilité. Après, ça peut se recouper et on peut trouver, puisque, justement, tous les mécanismes de la toile de confiance permettent de se connecter. Justement, comme le disait Hugo, quand on se rencontre en vrai on donne sa confiance, c’est un échange de confiance. Si je brise la confiance, l’expérience n’est plus valable.
Il n’y a donc pas de chef et c’est là, je dirais, un peu le défi qu’il y a dans cette communauté, personne n’est là pour trancher.
Actuellement, on pourrait dire que beaucoup de décisions sont prises par les développeurs, ceux qui codent, qui font le développement du logiciel, donc de la blockchain qui permet de pouvoir utiliser cet outil-là. Ils prennent donc beaucoup de décisions entre eux, ils se consultent, mais le logiciel est ouvert. Je dirais que, pour des développeurs, c’est quelque part plus simple, parce que, en gros, c’est un peu l’ordinateur, c’est la machine qui va dire oui ou non. Ils font une proposition à la machine, ça marche, bon, ça marche. Un autre développeur va faire une autre proposition et, là, ça ne marche plus, donc sa proposition est rejetée, ou les autres développeurs vont dire « ça va impacter sur ça, ça va faire ça. » Quand on discute avec une machine, elle n’a pas d’émotions.
Par contre, quand on rentre au niveau politique, la politique ce sont les décisions qu’on prend en groupe : dans quelle direction on va, quelle est la fonctionnalité dont on a besoin, quelle est la valeur de telle chose, combien on va dépenser de Ğ1 ou de dividendes universels pour acheter ça, comment on décide de telle couleur du logiciel, je dis des choses comme ça. La communauté est un peu jeune, elle ne s’est pas encore dotée d’outils pour permettre de prendre des décisions collectives, parce que, justement, il n’y a pas de chef. C’est donc un peu celui qui fait qui décide, quelque part, mais, dans quelles limites peut-on justement commencer à faire en groupe et comment fait-on pour prendre des décisions en tant que groupe ? En groupe local, à la limite ça va parce qu’on se voit, mais après en groupe régional, en groupe national et la Ğ1 est utilisée au niveau international. Comment fait-on pour, dans différentes langues, créer des protocoles qui vont nous permettre de prendre des décisions avec lesquelles tout le monde est assez d’accord dans l’ensemble.
Donc, pour répondre à ta question, non il n’y a pas de chef.
Emmanuel Charpentier : Chers auditeurs, moi je l’ai sous les yeux, mais vous qui avez entendu plusieurs fois « Ğ1 », notons que ce truc est écrit de façon bizarre ! Qui a qui a imaginé ce nom et qu’est-ce que ça veut dire ? C’est un peu compliqué. Maaltir, peut-être que tu sais peut-être que tu as l’histoire de ce truc.
Maaltir : Je sais vaguement. C’est un « G » avec une brève dessus. Ce « G », de ce que j’en sais, est un hommage à un mathématicien [Kurt Gödel] qui a écrit les théorèmes d’incomplétude et d’incertitude, disant, grosso modo, que quel que soit le système mathématique, on ne peut rien démontrer et on peut toujours faire une démonstration qui est fausse. Le gars a réussi à démontrer qu’on ne peut rien démontrer, je trouve ça assez balaise. Ce « G » est un petit hommage et, comme c’est la première, c’est « 1 » pour dire « une », du coup, c’est la Ğ1.
Emmanuel Charpentier : D’accord. C’est relativement simple, c’est amusant, le nom coule bien, la sonorité est sympathique.
Je vous propose une petite pause musicale.
Isabella Vanni : Vous écoutez déjà Dass wir die Leiden par Die Leere im Kern deiner Hoffnung, c’est un titre compliqué. Je vous souhaite une très belle écoute de ce morceau bien rock. On se retrouve dans un peu moins de trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Dass wir die Leiden par Die Leere im Kern deiner Hoffnung.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Dass wir die Leiden par Die Leere im Kern deiner Hoffnung, disponible sous licence libre Creative Commons CC By SA 3.0.
[Jingle]
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre notre discussion. Je suis Isabella Vanni. Cette émission est consacrée à la monnaie libre Ğ1 et au logiciel libre Duniter qui la fait fonctionner. Emmanuel Charpentier anime ce sujet avec Hugo Trentesaux, Martial alias Maaltir et Sarah du Collectif MàJ-V2.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Emmanuel Charpentier : Nous reprenons. Merci pour votre patience.
Effectivement, nous parlions de la Ğ1 et de monnaie libre d’une manière générale. Les monnaies libres on va dire par opposition, en tout cas en continuation, réinvention de ce qu’est une monnaie, donc de nouvelles monnaies, décentralisées, souvent informatisées, là, en l’occurrence, c’est la Ğ1. On m’a dit sur le chat, qu’il était question de Gödel. Là, effectivement, je verrais bien une touche de Stéphane Laborde, un des théoriciens de nos monnaies modernes, qui aime beaucoup les mathématiques, il a des petites passions qui se retranscrivent là-dedans. On fait effectivement de l’informatique avec de la monnaie libre. Je connais un développeur qui est normalement avec nous. Hugo, tu codes, il me semble, pour faire ces monnaies libres, non ?
Hugo Trentesaux : Oui tout à fait.
Emmanuel Charpentier : Donc qu’est-ce que tu es en train de faire ou qu’est-ce que tu as déjà fait dans le passé, qui se continue en ce moment ?
Hugo Trentesaux : À propos de la monnaie libre. On travaille sur une version 2 des logiciels puisque la version 1 date, elle a été commencée à peu près en 2015 par quelques personnes qui se sont intéressées à la théorie de Stéphane Laborde avec la Ğ1 qui a été lancée en 2017. Tous ces logiciels vieillissent un peu, ils ont évolué depuis le temps, mais on a décidé ensemble, entre développeurs, que ce serait bien de proposer une nouvelle version qui reprenne un peu tout et améliore le fonctionnement, notamment pour passer un peu plus à l’échelle, c’est-à-dire pouvoir accueillir plus de personnes sur la monnaie et puis, surtout, être plus nombreux à la comprendre. On pense que pour prendre des décisions de manière démocratique, il ne suffit pas d’avoir quelques élites qui échangent de manière opaque sur des sujets que personne ne comprend, mais qu’il faut que tout le monde ait accès à la connaissance, comprenne le fonctionnement du système et puisse émettre des suggestions, des remarques, et que l’évolution des logiciels soit guidée collectivement.
La version 2 du logiciel Duniter va dans ce sens. On cherche à construire un logiciel qui permette, tous ensemble, de le faire évoluer dans une direction qu’on a choisie ensemble.
Emmanuel Charpentier : Tu l’as dit rapidement, en tout cas je l’ai entendu passer, mais je ne sais pas si tout le monde a noté le nom du logiciel qui permet de faire fonctionner la communauté, cette communauté de 8000 participants, qui constitue une toile de confiance et qui, grâce à cette toile de confiance, utilise, échange des monnaies Ğ1, c’est Duniter. Tu ne prononces pas le « D » en séparé, et là il y a une v1 et vous êtes en train de faire la v2, c’est ça ?
Hugo Trentesaux : Oui, c’est ça. Duniter, D, u, n, i, t, e, r. Il y a plusieurs références, donc « DU », le dividende universel, la dune avec les grains de sable, une dune se déplace même si ce sont toujours des grains de sable différents, un peu comme l’humanité avance, même si ce sont toujours des individus différents qui la composent, parce que, dans la Théorie Relative de la Monnaie, il y a vraiment une notion de vie humaine qui a un début, une fin et, pendant sa vie, l’humain crée la monnaie et l’échange. On trouve ce genre de référence un peu dans tous les noms, donc la Ğ1, le théorème d’incomplétude de Gödel et aussi dans la Théorie Relative de la Monnaie, en fait la relativité fait référence à la relativité, puisque la Ğ1 est aussi une unité de mesure de valeur. Tous les gens qui ont un goût pour les sciences et la vulgarisation scientifique ne manqueront pas de remarquer toutes ces petites références à des grands champs de la science, à la fois dans la théorie et puis dans les noms qu’on utilise au quotidien.
Emmanuel Charpentier : Peut-être que je peux me retourner vers Sarah, est-ce que Duniter c’est facile à utiliser ? Est-ce qu’on s’y met facilement à ce groupe de 8000 personnes ? Il faut se réunir tous ensemble ? Que faut-il faire pour participer ?
Sarah : C’est assez amusant que tu poses ces questions-là, parce que je pense que 90 % des utilisateurs ne connaissent pas Duniter. Duniter c’est vraiment le logiciel qui gère la blockchain et c’est vraiment une inscription, c’est un logiciel qui n’est pas forcément accessible aux utilisateurs lambda qui n’ont pas de notions de code. Par contre, ils utilisent d’autres applications qui se connectent aux informations qu’enregistre Duniter, qui lie ces informations pour justement les rendre accessibles aux utilisateurs, c’est ce qu’on va appeler des logiciels clients. Ce sont donc d’autres logiciels qui sont développés par d’autres développeurs, qui se connectent, en fait, à la blockchain, lisent les informations, les transmettent aux utilisateurs et font des requêtes ; quand il y a une transaction, une certification, ils l’envoient pour l’inscrire dans la blockchain. Il y a donc des actions qui sont faites par l’utilisateur, qui sont envoyées à Duniter qui va les inscrire dans la blockchain. C’est plutôt ce qu’on appelle un client et le client qui est le plus utilisé en ce moment au niveau des utilisateurs c’est Cesium qui est aussi en train d’être revu pour s’adapter à Duniter v2. Plein d’autres clients sont aussi en train d’être développés pour proposer d’autres façons de lire les informations de Duniter.
Emmanuel Charpentier : Comment ça se passe ? On m’a dit, j’ai parfois entendu des gens qui me disais qu’ils avaient perdu l’accès à leur compte. Effectivement on crée un compte, on est connu, on a signé, on est inscrit dans la toile de confiance, mais, malheureusement, c’est de l’informatique, on peut perdre ses accès. Non ? Maaltir, je ne sais pas si tu as déjà rencontré ce problème-là.
Maaltir : Oui tout à fait. On a effectivement souvent des gens qui perdent l’accès à leur compte, bien qu’on leur ait expliqué plusieurs fois qu’il s’agit d’une blockchain, qu’il n’y a pas d’organisation centrale qui permette de récupérer un mot de passe, qui permettre de se reconnecter, de retrouver les secrets de connexion. Ces gens qui ont perdu l’accès à leur compte se retrouvent sans leurs Ğ1, ils perdent leurs Ğ1. On peut recréer un autre compte au bout de quelque temps, puisque un compte qui n’est pas accédé est révoqué au bout de deux ans. La personne doit attendre jusqu’à parfois deux ans avant de pouvoir créer un nouveau compte membre pour pouvoir, à nouveau, créer des Ğ1. Ce qui n’empêche pas de créer un autre compte pour utiliser la Ğ1 simplement pour faire des échanges. Pour la création monétaire, il faut effectivement être certifié.
Ces notions de secret sont aussi des choses qui vont évoluer avec Cesium 2. Dans Cesium 1, il y avait une volonté de présenter l’accès avec identifiant secret et un mot de passe, ce qui était censé ressembler à ce que les gens utilisent un peu partout, du coup ils ne comprenaient pas qu’on n’arrive pas à retrouver leur mot de passe, c’est juste que ce ne sont pas vraiment des identifiant et mot de passe, c’est ce qu’on appelle un sel et poivre pour créer un secret pour accéder à la blockchain. Maintenant, avec Duniter v2, les logiciels version 2 vont plus insister sur ce côté crypto de la monnaie en expliquant qu’il s’agit bien d’un code secret personnel et que personne, absolument personne ne peut trouver votre code secret a leur place. Ça invite aussi les gens à se responsabiliser sur leurs secrets, sur leur identité aussi.
Emmanuel Charpentier : Si je comprends bien, je vais peut-être me tourner vers Hugo, quelque part, ça ressemble à un Bitcoin, c’est un peu le même type de mécanisme, si on perd son accès, si on a perdu son accès, c’est plutôt définitif.
Hugo Trentesaux : En fait, c’est une question de responsabilité. Quand on a un compte, par exemple un compte sur un site en ligne, en fait on lui délègue la gestion de son identité et c’est ce qui permet d’avoir un bouton « mot de passe oublié » avec lequel on dit « au fait, j’ai oublié mon mot de passe » et là, souvent, le site nous envoie un lien de réinitialisation de mot de passe sur notre adresse mail, c’est donc à l’adresse mail qu’on a délégué son identité. Dans les systèmes qu’on utilise au quotidien, avec des architectures centralisées, on délègue toujours la gestion de l’identité à quelqu’un d’autre. C’est très problématique quand on veut faire des choses aussi importantes que la création monétaire et peut-être du vote, parce que c’est déléguer son droit de vote, son pouvoir démocratique.
On est donc parti sur des solutions où l’identité est basée sur un secret, un secret qu’on conserve et qu’on est le seul à savoir, on peut le noter sur du papier si on veut être sûr de pouvoir le retrouver, mais, si on le perd, personne d’autre ne pourra court-circuiter notre identité parce que ce serait une faille de sécurité. C’est un peu comme quand on perd sa carte d’identité, c’est tout un pataquès pour la refaire, il faut se représenter soi-même auprès des services de l’État en disant « j’ai perdu mon identité ». Sauf que là, comme c’est décentralisé, il n’y a pas de service centralisé à qui se présenter, il faut se représenter à la communauté avec un nouveau secret. Cela vaut pour la gestion de l’identité, ça vaut aussi pour la gestion de la monnaie, c’est-à-dire que la monnaie est stockée sur un compte en blockchain, qui est public, et, pour sortir la monnaie de ce compte, pour faire des transferts, il faut prouver qu’on possède le secret ; ce sont des nombres aléatoires et personne ne pourra reproduire cet aléatoire, la probabilité de reproduire le même aléatoire est infime et c’est cela qui garantit toute la sécurité du système.
Emmanuel Charpentier : Je vais me retourner vers Sarah. Je ne compte pas poser une question piège, mais je ne sais pas : que se passe-t-il quand on meurt, par exemple ?
Sarah : Comme l’a expliqué Maartir/Martial, et je rajouterais une petite notion. Si on perd ses secrets, il y a quand même une possibilité de recréer un compte membre, parce qu’il est possible de révoquer. Quand on crée son compte, qu’on demande ensuite à être certifié, à devenir membre de la toile de confiance, normalement les certificateurs doivent s’assurer que l’individu qui veut devenir membre a téléchargé son fichier de révocation, qu’il va sauvegarder quelque part et qui va lui permettre de révoquer son identité membre. Une fois révoquée son identité membre, comme il n’a plus d’identité membre attachée à lui-même, il peut, à ce moment-là, recréer un autre compte en disant « j’ai révoqué, vous pouvez aller voir sur mon compte auquel je ne peux plus accéder. J’ai révoqué mon compte, je peux donc recréer une identité membre. »
Comme l’a expliqué Martial, déjà, il faut attendre deux ans. Mais en fait, tous les ans, comme quand on fait refaire sa carte de crédit, il faut qu’on atteste qu’on est toujours vivant. Un bouton apparaît deux mois avant la date anniversaire, tous les ans, pour permettre de dire « je suis toujours vivant et je renouvelle mon adhésion. » Si je ne le fais pas, si je ne renouvelle pas mon adhésion, les DU vont arrêter de se manifester à la date anniversaire, puisque je n’ai pas renouvelé et, au bout de deux ans, mon compte est révoqué ; il n’est déjà pas renouvelé, je ne suis donc déjà plus membre au bout d’un an et, au bout de deux ans, j’ai perdu toutes les certifications, parce qu’une certification est valable deux ans et là, le compte est inaccessible. Il ne disparaît pas, il est toujours inscrit, mais il ne crée plus de dividende universel, il n’est plus accessible. Il n’y a pas un héritage, je ne lègue pas mon compte membre. Chaque être vivant a un compte membre qui lui est dédié, c’est comme sa voix, je ne donne pas ma voix, une fois que je suis mort, à des gens à plein de générations. Non, ça s’arrête là. Voilà un peu ce qui se passe.
Emmanuel Charpentier : Martial, tu peux peut-être rebondir justement sur cette notion de DU. Perso, je ne comprends rien aux dividendes, je n’aime pas trop la bourse, je n’y pige rien. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Maaltir : Je voudrais aussi revenir sur cette notion de mort, je reviendrai au DU après.
Il faut savoir que la monnaie est créée de manière exponentielle, on en crée de plus en plus. Donc, si un compte s’arrête de créer de la monnaie, arrête d’échanger, la monnaie qu’il y a sur ce compte perd de la valeur au fil du temps et finit par n’avoir plus aucun intérêt. Ceux qui ont perdu leur code d’accès aux Bitcoins sont bien embêtés, ils ont parfois quelques millions qui sont perdus, avec la Ğ1, contrairement, la monnaie perdue a aussi perdu de sa valeur au fil du temps, puisqu’on a créé beaucoup plus d’autre monnaie.
En fait, ce DU est créé chaque jour et représente une portion toujours égale de la masse monétaire moyenne par membre. C’est-à-dire qu’un calcul savant prend la masse monétaire globale, le nombre de Ğ1 en circulation, le nombre de membres. On calcule un coefficient qui permet de créer, normalement, 10 % de masse monétaire de plus chaque année. Ce chiffre a été pris, a été calculé aussi par une formule mathématique de façon à ce que les plus jeunes ne soient pas avantagés, ni les plus vieux, qu’on ait un équilibre à demi-vie, faisant qu’en 40 ans chaque être humain a créé sa part de monnaie. Ce DU augmente tous les six mois en fonction de la masse monétaire. La masse monétaire augmente, donc le DU augmente et c’est ça qui est intéressant. Du coup, on ne compte plus en Ğ1, on va compter en DU, c’est-à-dire que le DU représente une part de création monétaire quotidienne. C’est ce que je disais tout à l’heure par rapport à combien mesure un euro, on ne sait pas. Un DU représente la création monétaire d’une personne chaque jour et ce sera tout le temps ça, quelle que soit l’époque, quel que soit le lieu, cette création monétaire sera toujours un DU par jour. Donc, quand on met une chose qui vaut un DU, on sait que ça représente la création d’une personne pour une journée et ça ne correspond pas forcément à une heure de travail ou à une journée de travail, attention ! Ça correspond bien à une journée de création monétaire. Après, quand on travaille, on peut gagner plus d’un DU par jour, même beaucoup plus que ça.
En fait, cette petite création monétaire c’est un DU par jour, une unité qui reste toujours égalitaire de manière spatio-temporelle. Quel que soit l’espace, quelle que soit l’époque, un DU c’est toujours une part de création monétaire. Donc les DU du passé valent beaucoup moins, aujourd’hui, que les DU d’aujourd’hui et c’est l’intérêt. En fait, la monnaie qui est créée par nous n’aura plus aucune valeur pour nos petits-enfants et n’aura aucune influence sur leur vie. La monnaie que nous aurons créée n’aura pas d’influence sur leur vie puisqu’elle ne vaudra plus rien pour eux. Ce sera la monnaie qu’eux auront créée qui aura de la valeur. En fait, il y a un effet glissant au fil du temps qui fait que chaque être humain est toujours à égalité en termes de création monétaire.
Sarah : Par exemple, actuellement, tous les jours, le DU vaut 11,25 Ğ1, mais en 2017, quand il a été créé, un DU était égal à 10 Ğ1. Donc, huit ans plus tard, la valeur du DU a évolué suivant la formule mathématique qui fait que ça explique cette égalité de création monétaire dans le temps.
Emmanuel Charpentier : Donc augmentation du volume monétaire de manière régulière, ce qui me paraît approprié notamment si la communauté grossit, c’est plutôt pratique, mais ça implique aussi qu’il y ait de l’inflation. Généralement tout le monde se plaint, personne ne veut d’inflation, surtout dans les systèmes actuels. On se bat à tout-va à contre ça. Je ne sais pas, Hugo, si ça te parle.
Hugo Trentesaux : Déjà, je me permets de te reprendre là-dessus : on ne se bat pas contre l’inflation, on se bat contre l’excès d’inflation, on a même des instances monétaires européennes qui cherchent à réguler le taux d’inflation autour de 3 %, 4 %, je ne sais plus très bien où elles en sont. La Federal Reserve, aux États-Unis, donne une valeur un peu différente. En fait, cette inflation n’est pas directement liée à la quantité de monnaie en jeu, la quantité de monnaie c’est une chose, mais il y a toute l’économie qui influe sur la manière dont la société réagit à cette quantité de monnaie circulante, ça dépend beaucoup de là où la monnaie est créée, si elle est créée plutôt pour l’économie réelle ou pour l’économie spéculative. C’est effectivement très important d’avoir une référence d’échelle des prix et que ces prix n’évoluent pas trop vite. S’il y a une déflation c’est souvent très problématique, s’il y a une hyperinflation ou une trop grosse inflation, ça pose aussi des problèmes.
Si on s’intéresse, par exemple, à ce qui se passe à l’euro, j’ai mis, pour ceux qui sont dans le chat, le lien vers la page Masse monétaire de Wikipédia, on voit les différentes composantes de la masse monétaire, ce qui décrit comment on compte la monnaie. Mais en gros, lors de la mise en place de l’euro en 2002, il y avait à peu près 5000 milliards d’euros en circulation et sur le graphique, on voit qu’en 2023 on était plutôt autour de 15 000 milliards d’euros. Donc entre 2002 et 2023, on a eu un triplement de la masse monétaire totale et ça s’est fait à une vitesse qui n’est pas constante. Ça veut dire que le taux de création monétaire annuelle, qui est aussi représenté, a évolué entre des périodes où il était très élevé, 12 % par exemple avant la crise de 2008, et il a même atteint des portions négatives, à moins 1 %, c’est un taux de croissance monétaire annualisé. Ces grosses variations sont liées à la manière l’économie réagit aux anticipations : est-ce qu’on va aller s’endetter, est-ce ce qu’on va faire un crédit auprès de la banque ou pas ? et cela dépend de la manière dont on perçoit l’économie, et puis aussi de choix politiques, de politique monétaire au niveau des banques centrales qui décident des taux directeurs.
C’est une machinerie complexe, c’est très compliqué à analyser. Du coup, quand c’est compliqué à analyser et à comprendre, ça limite les possibilités de prendre des décisions éclairées.
Dans le cas de la monnaie libre, au contraire, c’est très simple : on a décidé, une fois pour toutes, au lancement de la monnaie, d’un taux de création annuel de la monnaie, à population constante, qui est choisi autour de 10 % par an, un petit peu moins, c’est même 5,6 % tous les six mois, c’est une valeur sur laquelle on s’est mis d’accord au début. C’est à population constante parce que, évidemment, quand la démographie change, ça change également la valeur de la monnaie, ce n’est pas la même chose. Si on dit « j’ai un euro », on ne sait pas ce que ça veut dire : est-ce que c’est un euro sur dix en circulation, auquel cas j’ai 10 % de la richesse, ou est-ce que c’est un euro sur un million en circulation ? Et puis, même si c’est un euro sur un million, ce n’est pas la même chose si on est deux personnes, dans ce cas-là j’en ai un et toi 999 999, et ce n’est pas la même chose si on est un milliard, dans ce cas-là, j’ai, en moyenne, dix fois plus que tous les autres.
Donc, regarder la quantité de monnaie toute seule ce n’est très parlant, il faut regarder la quantité de monnaie, le nombre de personnes ; en Union européenne, dans la zone monétaire euro c’est autour de 350 millions de personnes et c’est resté à peu près stable entre 2002 et 2023, donc, pour la même quantité de personnes entre 2002 et 2023, on a eu un triplement de la quantité de monnaie.
Emmanuel Charpentier : Je vais peut-être t’interrompre. On se dirige vraiment sur la fin. Je remonte une petite question qui peut être intéressante quand même du point de vue pratique. Je m’oriente vers Sarah, si tu as des idées là-dessus : à quoi ça sert aujourd’hui ? À quoi les gens l’utilisent-ils ?
Sarah : Les gens l’utilisent pour ce qu’ils ont envie. C’est la liberté de créer, la liberté d’utiliser.
Là, on est sur une communauté qui a envie de changement et les communautés qui ont envie de changement je pense que ce sont beaucoup des communautés qui font du service. On a quelques services, on a des événements, beaucoup d’événements qu’on appelle les Ğvénements. Nous sommes des grands joueurs, dans la monnaie libre on joue beaucoup avec les mots, donc on prend le « G » de la Ğ1 et puis on fait des Ğapéros, des Ğvénements, des Ğblabla, des Ğmarchés, plein de « Ğ », AirbnĞ1. On s’amuse bien. Il y a aussi les pages Ğ1.
Il y a ce que les nouveaux proposent comme services et ceux qui sont déjà là. Par exemple, de mon côté j’ai acheté un ordinateur en Ğ1, une podologue prend la Ğ1, une psychologue prend la Ğ1, une kiné prend la Ğ1. Je fabrique du vinaigre de pommes, donc je vends du vinaigre de pommes, du kombucha. J’ai acheté des jeux. Il y a aussi beaucoup le style vide-greniers. En fait, quand on a des choses qui ont été payées avec de l’euro, ce n’est pas forcément évident de les vendre en Ğ1, parce qu’on a une sorte de perte dans la monnaie euro, donc tout ce qu’on peut créer par nous, de notre valeur, qui n’a pas demandé beaucoup d’investissement en euros, on peut l’offrir en Ğ1 et c’est beaucoup ce qui se passe. Je crois qu’il y a aussi une voiture qui a été vendue en Ğ1, une moto. J’ai acheté des Panini au dernier Ğmarché, je suis allée au Ğ1 Camp. Là, il y aura un autre événement à côté de Toulouse, l’Agora de la Monnaie Libre, où il y aura un gros Ğmarché aussi. Des maraîchers vendent soit des légumes qu’ils ont fait pousser ou des invendus que, normalement, ils ne peuvent pas vendre donc ils les vendent en Ğ1. On peut pratiquement tout trouver.
Isabella Vanni : C’est Isa. Merci beaucoup pour tous ces exemples concrets. Personnellement, j’ai été un peu perdue à certains moments, mais là on revient vraiment sur du concret, on peut faire plein de choses avec la Ğ1.
Manu, je te laisse conclure, parce que, malheureusement, nous avons terminé notre temps.
Emmanuel Charpentier : Oui. Je pense qu’on pourra prévoir d’autres émissions.
Sarah : Juste une petite phrase, que j’aime bien, que dit PI : « Le seul risque d’utiliser la Ğ1, c’est, en fait, de ne pas l’utiliser. »
Emmanuel Charpentier : Effectivement. Je pense qu’il va falloir qu’on se convertisse tous, petit à petit, qu’on aille à des réunions de certification, entrer dans la toile de confiance et installer le logiciel qui va bien.
Je vous remercie Hugo, Martial Sarah. Je vous dis une prochaine fois.
Hugo Trentesaux : Merci. À la prochaine.
Emmanuel Charpentier : On va repasser la main à Isabella.
Isabella Vanni : Qui va lancer une pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous entendrons une nouvelle chronique « F/H/X » de Florence Chabanois. Pour l’instant, nous allons écouter There Ain’t Nothin par HoliznaCC0.
Pause musicale : There Ain’t Nothin par HoliznaCC0.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter There Ain’t Nothin par HoliznaCC0, disponible sous licence libre Creative Commons CC0 1.0, qui est au plus près du domaine public, dans la limite, bien sûr, des lois applicables.
[Jingle]
Isabella Vanni : Je suis Isabella de l’April, nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « F/H/X » de Florence Chabanois - « Mix mix »
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec la chronique « F/H/X » de Florence Chabanois, présidente de La Place des Grenouilles. Statistiques éclairantes, expériences individuelles et conseils concrets, votre rendez-vous mensuel pour comprendre et agir en faveur de l’égalité de genre.
Bonjour Florence.
Florence Chabanois : Bonjour Isabella.
Isabella Vanni : De quoi vas-tu nous parler ?
Florence Chabanois : De « Mix mix ».
Isabella Vanni : Super. Vas-y.
Florence Chabanois : Bonjour les copaines.
Je travaille dans l’informatique depuis plus de 20 ans. Je reçois parfois des messages du type « j’aimerais avoir plus de diversité dans mon équipe/entreprise/asso/conférence, mais aucune femme ne se manifeste » ; les personnes non binaires sont peu évoquées. C’est quelque chose que moi-même je me disais il y a quelques années : en dix ans de management, j’avais recruté une seule femme. Ce n’était pas une priorité. Ma mission c’était, grosso modo, de ramener des sous et des utilisataires, ce qui passe par sortir des fonctionnalités qui marchent bien dans des délais raisonnables. Pour le reste, tout ce qui n’est pas « business », comme la sécurité, l’accessibilité des produits, l’optimisation des temps, l’écologie, le respect des données personnelles, la souveraineté, la compatibilité avec les vieux appareils, la diversité des équipes en expérience, en genre, en âge, tente de se faire de la place tant bien que mal sur un coin de la roadmap.
D’après Femmes ingénieures, 25 % des ingénieur·es sont des femmes. Elles se tournent majoritairement vers les secteurs agroalimentaires, chimiques, environnementaux, enseignement, recherche et administration. Il s’agit aussi des secteurs les moins rémunérateurs de l’ingénierie. Cause ou conséquence ?
Les hommes, eux, sont dominants dans les secteurs de l’armement, du transport et de l’informatique. Ils sont aussi plus présents dans les postes de direction générale. Ce n’est pas une particularité de l’ingénierie. En effet, tous secteurs confondus, les postes de direction sont occupés à 80 % par des hommes en Europe, à 64 % à l’échelon d’en dessous, et à 56 % encore en dessous.
De toute façon, quel que soit le niveau de responsabilité, le salaire médian des femmes est systématiquement inférieur à celui des hommes, y compris en début de carrière dans l’ingénierie.
Dans l’informatique, Figures et 50inTech comptabilisent 20 % d’écart salarial en 2022, versus 15 % tous secteurs confondus, notamment lié au « plafond de verre » et au « plancher collant » qui entravent l’accès aux femmes à des postes de direction.
Mais, si à l’entrée dans les filières scientifiques ou informatiques, il y a peu de filles, qu’est-ce qu’on y peut ? En fait, jusqu’au lycée, il y a presque autant de filles que de garçons dans les filières scientifiques. En 2020, il y en avait même autant. Depuis la réforme Blanquer en 2019, les élèves fuient les filières scientifiques : on perd 30 % des garçons et 60 % des filles, ce qui nous a fait revenir 25 ans en arrière en termes de part de lycéennes choisissant ces disciplines.
Pour être fair, pour être juste, en même temps, l’égalité femmes hommes, c’était la grande cause du quinquennat précédent. La GEM, la Grande École du Numérique qui avait pour mission de former au numérique le grand public, y compris les femmes, vient d’ailleurs d’être dissoute. Sur le site, encore disponible pour l’instant, vous pouvez voir comment l’informatique a été créée, à l’origine, par des femmes et a été un secteur féminin pendant des décennies, jusqu’à qu’il devienne lucratif et « noble ».
D’ailleurs, l’informatique est une des deux seules activités féminisées, qui ont vu entrer des hommes depuis les années 80, avec le textile. En effet, à l’époque, les femmes constituaient 85 % des effectifs informatiques. À l’inverse, des secteurs mixtes à l’époque, comme l’enseignement, le paramédical, comptent aujourd’hui une minorité d’hommes. Ce sont aussi devenus des secteurs d’activité en crise et en souffrance. Coïncidence ? Cause ou conséquence ?
Selon le contexte, il y a les fans de mixité, qu’on entendra plus lorsqu’il y a des groupes en non-mixité choisie, et les fervents de la non-mixité occasionnelle.
Sur le principe, je suis favorable à des groupes mixtes parce que c’est une richesse. On peut, par exemple, y donner de l’écho à la réalité des femmes et à des études qu’on ne regarde pas, pour augmenter cette conscientisation, et vice versa.
Je suis aussi favorable à des espaces non-mixtes à côté, où les personnes se comprennent et n’ont pas à se justifier, où elles peuvent se ressourcer en parlant librement de sujets tabous, ou pas d’ailleurs.
En réalité, la mixité est plus difficile à vivre pour certaines catégories de personnes que d’autres. En fonction du rapport de domination implicite, on n’a pas les mêmes barrières à prendre en compte. Quand on est un homme, on ne vit pas les mêmes micro-agressions, les mêmes injonctions à ne pas parler trop fort, on a une légitimité par défaut, on a le droit d’être en désaccord sans se faire coller une étiquette, ni critiquer sur la forme, on n’a pas besoin de se sur-adapter et de peser chaque mot pour ne pas braquer l’autre.
En fait, la mixité n’a pas d’évidence, elle se travaille et se construit.
Pour avoir plus de diversité, il faut déjà y porter de l’attention, écouter les femmes pour savoir pourquoi elles ne viennent pas et pourquoi elles repartent si vite ; dans l’informatique, la moitié des femmes repart après 10 ans.
Il ne suffit pas de parler de flexibilité horaire dans les offres d’emploi avec de l’écriture égalitaire, de savoir ou de se dire que dans son organisation, il n’y a pas de sexisme, qu’on est quelqu’un de bien, quelqu’une de bien, donc pas sexiste non plus.
Il y a le sexisme hostile auquel on pense par défaut, où on insulte et dégrade ouvertement les femmes, mais il y a aussi le sexisme bienveillant où on va complimenter les femmes sur leur douceur, leur tenue, leur gentillesse, leur charme et le sexisme intériorisé où l’infériorité des non-hommes fait partie de notre vision du monde plus ou moins consciemment. Cela peut passer par
du manterrupting, où les hommes coupent la parole aux femmes,
du manspreading, où des hommes prennent tout l’espace physique et/ou vocal,
du hepeating, où une idée devient intéressante si elle sort d’une bouche masculine,
du bropriating, la récupération d’une idée de femme sans que cela soit relevé.
La culture sexiste dans la tech caracole en tête des motifs des départs des femmes.
Le sexisme est partout, dans toutes les causes, organisations, partis politiques, secteurs d’activité, espaces publics et privés, dans chaque personne.
Il n’y a pas de solution miracle one shot. Si on veut de la diversité dans nos organisations, cela touche forcément aussi à l’équité dans les domaines connexes : foyers, culture, structures, logiciels faits majoritairement par des hommes, santé, éducation. Les dynamiques sont liées et se nourrissent.
Penser que c’est un problème local, un malentendu, qu’individuellement on n’a ni levier ni responsabilité est une erreur· Même lorsque l’on dit que ce n’est pas prioritaire ou hors sujet, dès qu’on arrête d’investir dessus, on ouvre une brèche, on recule face aux forces contraires, le statu quo inégalitaire.
C’est ce qui permet à des violences sexistes et sexuelles de prospérer et tant d’affaires de rester sous silence pendant des décennies avant d’enfin pouvoir être audibles, qu’il s’agisse de PPDA, de l’abbé Pierre, d’Andy Rubbin, le créateur d’Android, ou des révélations de Susan Fowler chez Uber. La communauté du Libre n’est pas en reste avec Jacob Appelbaum de Tor/Debian par exemple.
Mettre en place des numéros verts, des codes de conduite dans les communautés, c’est mieux que rien, après que des femmes aient enfin réussi à faire fi du gaslighting et à parler, à se faire entendre, mais est-ce suffisant ?
Est-ce qu’on peut parler de logiciel vraiment libre s’il reflète le patriarcat de la société, s’il ne concerne que les hommes blancs, hétéros, valides ? Est-ce que la machine de Blanquer ne nous a pas renvoyés plus loin que 25 ans en arrière, mais en 1789, quand on mettait en place le suffrage universel uniquement pour les hommes ? Je vous laisse sur ça et je vous dis à bientôt !
Isabella Vanni : Merci Florence de nous rappeler tout ça et je te donne dès maintenant rendez-vous au prochain mois pour une autre chronique « F/H/X ».
Florence Chabanois : Merci Isa.
Isabella Vanni : Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Isabella Vanni : Dans les annonces.
Appel à soutien pour YunoHost. YunoHost est une distribution libre permettant l’installation de son propre serveur, facilitant donc l’auto-hébergement de services en ligne. Le projet est développé essentiellement bénévolement et aujourd’hui il a besoin de dons pour continuer à exister. N’hésitez pas à contribuer par un don ou en relayant la campagne.
Comme vous le savez Libre à vous ! est diffusée en direct chaque mardi sur la radio Cause Commune. L’émission est également rediffusée sur d’autres radios que nous avons saluées en début d’émission, radio Libres en Périgord et la webradio Cigaloun.
Si vous écoutez des radios locales, n’hésitez pas à les contacter pour demander si la radio serait intéressée par diffuser Libre à vous !. Si la radio a des questions, vous pouvez indiquer l’adresse de contact bonjour@ libreavous.org.
Une nouvelle soirée de contribution au Libre aura lieu jeudi 8 mai à la Fondation pour le Progrès humain à Paris dans le 11e arrondissement.
Je tiens à vous dire que si, dans votre entourage, il y a des personnes qui voudraient quitter Gmail ou un autre géant du courriel, mais qui ne s’y mettent pas par flemme ou parce que ça leur paraît trop difficile, il y a une bonne nouvelle : le collectif DéMAILnagement vient de se créer pour proposer un accompagnement à la migration vers des messageries alternatives. La soirée de lancement aura lieu mercredi 21 mai de 18 à 22 heures à Césure qui se trouve à Paris dans le 5e arrondissement. L’inscription est recommandée.
Une rencontre livresque avec Sébastien Broca, auteur de Utopie du logiciel libre aura lieu jeudi 22 mai 2025, dès 18 heures 30, à la librairie À livr’ouvert, à Paris dans le 11e arrondissement, pour pouvoir échanger avec l’auteur sur son dernier ouvrage qui vient de paraître Pris dans la toile.
Je vous invite, comme d’habitude, à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des évènements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous.
Notre émission se termine. Vous entendez déjà notre générique.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Jean-Christophe Becquet, Emmanuel Charpentier, Hugo Trentesaux, Martial alias Maaltir, Sarah, qui contribuent au projet Monnaie Libre et Florence Chabanois,
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Magali Garnero
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco qui est le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite et Tunui, qui sont bénévoles à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.
Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org/246, toutes les références utiles de l’émission de ce jour, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse bonjour chez libreavous.org.
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Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et également à faire connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 13 mai 2025 à 15 heures 30. Notre sujet principal sera un nouvel épisode de Au café libre, débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 13 mai et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.