Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 mai 2024 sur radio Cause Commune Sujet pricipal : Modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur le logiciel libre, les libertés informatiques et également de la musique libre.

Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique de Gee, « IA partout justice nulle part », et, en fin d’émission, la chronique de Luk sur les dark patterns.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles.

Nous sommes mardi 28 mai 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, Élise. Bonjour Élise.

Élise : Bonjour tout le monde. Bonne émission.

Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Les humeurs de Gee », « IA partout (justice nulle part) »

Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique « Les humeurs de Gee ».
Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille nous expose son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.
Le thème du jour : IA partout (justice nulle part).

Gee : Salut et salut à toi, public de Libre à vous !.
Allez, ça y est, là, je crois qu’on y est, cette fois, l’IA, j’en ai officiellement plein le cul ! Pardon pour le langage, mais il fallait que ça sorte. Non, là je n’en peux plus d’entendre parler d’IA dix fois par jour. Sérieux. J’en suis presque à regretter la mode des NFT ou même le Métavers !
Qu’est-ce qu’ils ont tous, là ? C’est le printemps, c’est ça ? La nature se réveille, les abeilles se replongent dans les fleurs et les startuppers dans la coke ? Y en a marre ! Je ne connais pas l’avenir. Peut-être qu’on est au début d’une nouvelle ère et que l’IA va devenir aussi omniprésente et incontournable que les ordinateurs ou Internet, et moi, en vieux paumé, je suis peut-être comme Pascal Nègre, qui déclarait, en 2001, « Internet, on s’en fout, ça ne marchera jamais ! ».

N’empêche que l’IA, en tout cas celle d’aujourd’hui, l’IA générative, celle qu’on nous vend à longueur de journée, ça ressemble quand même de plus en plus à une très grosse bulle. Tout le monde en parle, tout le monde essaie d’en intégrer partout très vite et, comme ça coûte une blinde, c’est, pour l’instant, un gouffre à pognon ! Quand il va être l’heure de rentabiliser tout ça, à mon avis, ça va faire mal. Tu connais l’histoire : lors de la ruée vers l’or, ce sont surtout les marchands de pelles qui se sont enrichis. Et là, à part Nvidia et ses cartes graphiques, j’ai du mal à piger qui va ressortir gagnant de tout ça. Jusqu’à Google, qui, pris de panique, veut sortir très vite une version IA de son moteur de recherche ! Ça faisait quelques années que les gens remarquaient que les résultats de Google étaient de moins en moins bons, car, tellement tournés vers la pub, qu’ils en devenaient gangrenés par des sites d’e-commerce bidons, reléguant les résultats pertinents, mais non lucratifs, bien loin derrière. Eh bien, il y a fort à parier que tu regretteras bientôt ces résultats déjà pas folichons ! Google utilise désormais par défaut Gemini, son intelligence artificielle qui, au lieu de te retourner juste une liste de sites, répond directement à ta requête via l’IA, en assimilant et en recrachant de façon plus ou moins exacte, plutôt moins, les informations glanées sur Internet… enfin, les informations volées sur Internet ! Ah oui !, parce que le droit auteur, quand c’est pour emmerder ton ado de 14 ans qui a piraté le dernier Taylor Swift, les pouvoirs politiques sont main dans la main avec les multinationales pour te pondre des Hadopi et bloquer des domaines comme The Pirate Bay à tour de bras ! Mais le droit d’auteur, quand c’est Google et Microsoft qui pillent tranquillement l’intégralité de ce qui est publié sur Internet !, alors là, on s’en fout, mais on s’en fout ! Bravo ! Bravo Microsoft ! Bravo Google ! C’est bien, les gars ! Continuez ! Pillez, pillez ! Tu comprends, c’est l’innovation, c’est l’avenir ! On ne va quand même se laisser enquiquiner par des trucs désuets comme le respect des artistes ou des journalistes ! C’est tellement ancien monde !

Et puis là, je parle juste du côté humain, social ! Ne parlons même pas du côté écologique, on se fâcherait. Oui parce que, soudainement, tout le monde s’en fout aussi !
Microsoft s’était fixé comme objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2030, d’ailleurs leurs émissions de carbone avaient commencé à décroître, mais c’était avant ! Avec le boum de l’IA, les émissions de carbone de Microsoft ont bondi de 30 % depuis 2020 ! Foutus pour foutus, qu’est-ce qu’on en a à secouer ! C’est juste la survie à court terme de l’espèce humaine qui est jeu !
L’argument, pour défendre ça, je le connais : « Oui, mais si ça se trouve, l’IA va nous aider à infléchir le changement climatique ». Oui, c’est ça, et mon cul c’est du pingouin ! Pardon, c’est comme « la croissance verte », « l’écologie qui est chance pour l’économie », et s’imaginer que la cause d’un problème va aussi en être la solution. Comme si on éteignait un incendie avec du kérosène !

Bon ! Voyons le positif : au moins, avant de crever, on aura pu générer des images d’humains à 13 doigts, des longs textes insipides de marketeux pour répondre mal à des recherches internet et puis du code informatique généré automatiquement et incorrect dans 50 % des cas, c’est le résultat de la dernière étude sur ChatGPT.

De toute façon, comme l’IA utilise ce qu’elle trouve en ligne pour s’alimenter, et que ce qui se trouve en ligne devient de plus en plus le résultat de générations automatiques par l’IA, il y a fort à parier que l’IA va finir par se dissoudre dans elle-même, régurgitant et recrachant son propre vomi en boucle. Essaie donc de compresser la même image en JPEG 1500 fois de suite et tu verras ce que je veux dire : à la fin, tu n’as plus qu’une bouillie de pixels ! On peut facilement imaginer qu’après que le Web aura été digéré et recraché 1500 fois de suite par l’IA, il n’en restera qu’une bouillie d’informations. Déjà que certaines IA intègrent des sites parodiques comme The Onion ou Le Gorafi dans leurs sources, sans les distinguer de sites non parodiques, ça nous promet une belle dégringolade dans la qualité du Web !

Je crois que ce qui me gonfle le plus, dans tout ça, c’est que, finalement, on en arrive à la négation même de l’informatique. Je m’explique : le gros intérêt de l’informatique, outre la rapidité, c’était d’être fiable. Un programme informatique, à la base, ça part souvent d’un algorithme déterministe, donc, de quelque chose qui te garantit d’offrir toujours la même réponse à une même question. Alors oui, ce n’est pas très fun, mais quand je fais passer un correcteur d’orthographe, il me retournera toujours, invariablement, les mêmes fautes. C’est presque chiant, mais c’est pratique, c’est utile.
Alors que le principe même des IA génératives, qui ont le vent en poupe actuellement, c’est d’imiter l’être humain et, pour imiter l’être humain, il faut avoir des réponses variées, avec leurs cortèges d’erreurs. On a donc, maintenant, des algos non déterministes, avec des tas de biais intégrés au passage, dont très peu de gens pigent réellement le fonctionnement, qui mâchonnent des quantités délirantes de données pour en déduire des moyennes statistiques à la pertinence très variable et qui consomment trois forêts amazoniennes par an, mais ça, je l’ai déjà dit.

Et on s’interroge avec gourmandise, « mais est-ce que l’IA va bientôt dépasser l’être humain ? ». Question débile, à mon sens, car ça fait belle lurette que les ordinateurs ont dépassé l’être humain sur tout un tas d’aspects, notamment sur la rapidité, comme je le disais. Exemple : si je te demande de me trier un million de documents selon leur date, ça va te prendre des heures, sans doute des jours voire des semaines – je n’ai pas fait le calcul, mais ça doit être dans ces eaux-là –, alors que si tu lances un programme de tri pour ce million de documents, au moment où ton doigt se relève de la touche « Entrée », ton million d’éléments est déjà trié. Et c’était déjà le cas il y a 20 ans, sans IA, juste avec des algorithmes bien foutus. Et c’est ça qui est cool avec le numérique ! Pas d’avoir des chatbots qui arrivent à imiter Jean-Michel de la compta pour passer le test de Turing. Je ne vais pas te refaire ma vieille BD qui s’appelait Les ordinateurs sont cons ! L’intérêt de l’informatique, au départ, c’est de faire très vite et avec beaucoup d’efficacité tous les trucs chiants et répétitifs que les êtres humains font mal et lentement. Pourquoi ? Pour nous libérer du temps pour des tâches plus épanouissantes.
Au lieu de ça, l’IA nous pique les tâches épanouissantes, en les faisant mal une fois sur deux, mais beaucoup plus rapidement que nous, tandis que les boulots précaires se multiplient. On voulait des robots qui fassent le ménage pendant qu’on apprenait la musique, on se retrouve avec des robots qui peuvent composer 15 000 chansons à la minute, pendant que des travailleurs et travailleuses sont sous-payés à corriger leurs erreurs en boucle. Super !

Après, soyons honnêtes ! IA ou pas, la culture de masse est déjà produite à la chaîne par des algorithmes ! Évidemment, les scénaristes Netflix ont un manuel hyper détaillé avec les bonnes ficelles, les bonnes recettes, les bonnes intrigues à dérouler en boucle, série après série, est-ce qu’on verra vraiment la différence si on les remplace par des IA ? L’IA fait exactement ce que Netflix veut : produire le résultat statistiquement le plus attendu, celui qui satisfera, en moyenne, le plus de monde, à la chaîne, de plus en plus vite.

Et l’art, dans tout ça ? Je crois qu’on sait très bien comment ça va finir ! L’IA ne va pas remplacer tous les artistes, ça va devenir le low cost de l’art, du journalisme, de tout ça. Des trucs passables, statistiquement moyens, produits à la chaîne pour de la consommation de masse, comme on produit de la malbouffe industrielle pour les pauvres, tandis que les riches continueront à avoir les moyens de se payer des artistes et des journalistes pour avoir accès à du contenu de qualité, garanti sans IA, comme on achète de la bouffe bio garantie sans pesticides et additifs.

On va me dire que cette chronique est quand même vachement manichéenne et sans doute caricaturale. Oui, c’est vrai, et il y a probablement du positif dans l’IA.
Allez, je vais être honnête, j’ai moi-même récemment utilisé un traducteur automatique basé sur de l’IA pour communiquer avec une personne qui ne parlait ni français, ni anglais, les deux langues que je maîtrise, oui, c’était vachement pratique et incroyablement efficace !
Ceci étant dit, j’ai quand même hâte que cette bulle de l’IA éclate et je nous souhaite, à toutes et tous, qu’elle ne fasse pas trop de dégâts. En attendant, c’est une grande part de nos espaces numériques qui risque d’être colonisée et pourrie par des IA mal finies, au nom du fameux Move fast and break things, l’ancienne devise de Facebook « Allez vite et tout casser », en gros, un joyeux programme !

Sur ce, je te laisse et je m’en retourne à mes petits dessins garantis sans IA, mais qui iront sans doute nourrir les IA des GAFAM, parce que, licence libre ou pas, de toute façon, les GAFAM se torchent avec le droit d’auteur. Je vais peut-être commencer par dessiner des personnages à 13 doigts du coup, juste pour les emmerder !
Allez, salut !

Frédéric Couchet : Merci Gee. On renvoie les auditrices et auditeurs qui veulent découvrir ces BD certifiées sans IA sur ton site, grisebouille.net. Je vais juste rappeler, peut-être pour les plus jeunes, que Pascal Nègre est l’ancien directeur ou patron d’Universal France, je ne sais pas ce qu’il fait aujourd’hui, il est peut-être toujours chez Universal.
En tout cas, c’était la chronique « Les humeurs de Gee », dont le titre était « IA partout, justice nulle part », je ne te demande pas la référence.

Gee : Pour la petite histoire, j’ai un ami qui, dès qu’on dit quelque chose qui finit par « partout », rajoute toujours « justice nulle part », ce qui fait que, maintenant, j’ai du mal à dire « partout » sans dire « justice nulle part » derrière.

Frédéric Couchet : D’accord. Merci Gee.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlons de modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre.
En attendant, nous allons écouter Un fantôme dans la maison par Odysseus. On se retrouve dans une minute quarante. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Un fantôme dans la maison par Eric Querelle aka Odysseus.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Un fantôme dans la maison par Odysseus, disponible sous licence Art Libre.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons passer à notre sujet principal.

[Virgule musicale]

Modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre avec Valentine Ogier-Galland et Nicolas Chauvat

Frédéric Couchet : Il est 15 heures 42, j’aime bien cet horaire. Nous allons démarrer notre sujet principal qui va porter sur les modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre.
Mardi dernier, nous avons diffusé la première partie de ce sujet, une rediffusion de l’émission numéro 178 du 13 janvier 2023 [13 juin 2023]. Si vous n’avez pas écouté cette première émission, vous pouvez la réécouter sur le site libreavous.org/178.
Nos invités Valentine Ogier-Galland et Nicolas Chauvat vont se présenter dans quelques instants.
N’hésitez pas à participer soit sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, ou sur le site de l’émission libreavous.org, ou encore par téléphone au 09 72 55 51 46.
On va commencer par une petite présentation, Valentine Ogier-Galland.

Valentine Ogier-Galland : Bonjour. Je suis à mon compte depuis une bonne douzaine d’années. Aujourd’hui, j’aide les organisations à s’aligner avec leurs valeurs. Je fais cela à l’intérieur d’une coopérative qui s’appelle Crealead dans laquelle je collabore [de façon horizontale, Note de l’intervenante] avec deux personnes, à trois on est Le Studio Agile.

Frédéric Couchet : OK. Merci Valentine. Nicolas Chauvat.

Nicolas Chauvat : J’ai fait des études d’ingénieur il y a un certain temps, au cours desquelles j’ai pu découvrir le logiciel libre et Internet. Après avoir fait un peu d’intelligence artificielle, j’ai créé la société Logilab qui a toujours fait du logiciel libre, qui se spécialise dans les encyclopédies de données ; on rassemble toutes les données au même endroit et, ensuite, on fait des références croisées. Et, depuis plus de 20 ans, on essaie d’organiser cette entreprise de la manière la plus horizontale possible. C’est donc pour cela, avec Valentine, que nous nous sommes intéressés à la façon dont font les autres.

Frédéric Couchet : Exactement. Je vais simplement rappeler, déjà, le contexte de votre enquête et je vous laisserai éventuellement préciser, avant qu’on rentre dans le sujet de la discussion. Sur la page d’introduction de votre projet, je lis tout simplement : « Le modèle d’entreprise le plus visible aujourd’hui est très hiérarchisé, généralement avec une concentration des pouvoirs et des informations, et des dérives autoritaires fréquentes.
Et pourtant de nombreuses entreprises ont adopté et explorent encore des modèles alternatifs. Dans le milieu du logiciel libre se sont multipliées les initiatives à base de transparence, partage des responsabilités, gouvernance participative et autres approches horizontales.
Ainsi est née l’envie d’une enquête sur ces modèles différents – donc modèles d’organisation ouverts –, pour y trouver de nouveaux outils, partager des expériences, les résultats, en espérant que d’autres puissent s’en inspirer ».
Votre enquête n’est pas finie, mais, aujourd’hui, on souhaitait parler d’un point central, tu l’as prononcé tout à l’heure, le mot « horizontalité », donc de parler des entreprises avec une organisation horizontale versus verticale. C’est donc l’intro de votre enquête. Vous reviendrez sans doute une troisième fois, une fois que vous aurez terminé votre enquête, puisque c’est à base d’interviews et vous n’avez pas encore fini.
Avant qu’on parle de la partie vraiment centrale de l’échange d’aujourd’hui, qui est l’horizontalité, est-ce que vous voulez compléter cette introduction sur votre enquête, les objectifs, le mode de travail ? Valentine ?

Valentine Ogier-Galland : Je dirais que c’est effectivement un point d’étape. Nous avons interviewé une dizaine d’entreprises et certaines entreprises plusieurs fois, certaines organisations plusieurs fois. Ça fait une grosse masse de données. La synthèse est commencée. On sait, par avance, qu’on va avoir d’autres interviews qui vont venir et d’autres étapes. Ce point, c’est un peu pour faire une première synthèse.

Nicolas Chauvat : Tu a cité la page du projet, Fred. Sur cette page du projet, on affiche qu’on a parlé de ce projet à l’April et à Framasoft qui nous ont dit « ça nous intéresse, allez-y, si vous produisez des résultats on vous aidera à les diffuser ». C’est donc aussi un peu dans ce cadre-là que tu nous as invités dans l’émission Libre à vous !.

Frédéric Couchet : Tout à fait.

Nicolas Chauvat : Je ne sais pas si on aura fini dans un an, parce qu’on n’avance pas extrêmement rapidement non plus, on a une activité professionnelle qui est déjà assez prenante et on rajoute ces heures-là un peu en plus du reste. Nous sommes venus la première fois il y a un an.

Frédéric Couchet : Tout à fait. D’ailleurs, tout à l’heure je me suis trompé. J’ai marqué janvier 2023, mais pas du tout, c’était en juin 2023, il y a un an.

Nicolas Chauvat : Je le vois comme une sorte de point d’étape. Il y a un an, on a expliqué ce qu’on avait commencé à faire. Un an après, je pense qu’on a changé de position sur certaines choses, donc on peut raconter cela. Et puis, si on est toujours là dans un an pour en parler, peut-être que tu pourras nous inviter et on verra si c’est la dernière fois ou pas.

Frédéric Couchet : En tout cas, c’est prévu. S’il faut une troisième, une quatrième émission, on verra bien.
Quand on a préparé l’émission, le mot clé qui est revenu effectivement principalement c’est « l’horizontalité », parce que c’est un peu l’un des cœurs du sujet. En fait, l’horizontalité ce n’est pas un terme binaire, ce n’est pas « on est horizontal ou on n’est pas horizontal », ce n’est pas aussi fixe que cela, il y a différents niveaux d’horizontalité.
Justement, on pourrait peut-être essayer de commencer par les différents niveaux d’horizontalité que vous voyez à partir de vos enquêtes. Qui veut commencer ? Nicolas.

Nicolas Chauvat : Je veux bien commencer avec une courte définition de ce qu’on appelle horizontal et vertical, avec Valentine. Pour nous, horizontal, ce sont les organisations qui favorisent la responsabilisation des gens et leur autonomie, c’est-à-dire que les gens font des choses aient la possibilité de prendre des décisions qui correspondent à ce qu’ils sont en train de faire, qu’ils ne soient pas systématiquement obligés d’en référer à quelqu’un d’autre, qui va intégrer des informations qui viennent d’ailleurs auxquelles eux n’auraient pas accès et prendre une décision qui leur redescendrait, sans forcément qu’il y ait d’explications, en disant « tu m’as dit que tu étais dans telle situation, je te dis de faire ça ». « Tu m’as dit que tu étais dans telle situation, je te dis de faire ça », pour nous c’est vertical ; « je suis dans cette situation-là, je sais ce qui se passe autour de moi et je sais que, dans ce cas particulier, je vais décider ça et je vais continuer, ou, dans ce cas-là je vais en parler aux autres pour voir ce qu’on fait », à l’inverse c’est horizontal.

Frédéric Couchet : Valentine, sur cette définition de l’horizontalité.

Valentine Ogier-Galland : On a la même. Je formulerais en disant que la responsabilité est répartie sur les différents membres de l’organisation ou la responsabilité est concentrée sur un petit nombre de membres de l’organisation. J’irais même jusqu’à dire aussi que cette horizontalité se manifeste sur la durée.
On peut avoir des entreprises qui sont horizontales parce que la responsabilité change au fil du temps : il peut y avoir une personne qui décide, mais, si cette personne change régulièrement pour un type de décision, on se retrouve quand même avec un motif d’horizontalité et c’est peut-être ça le plus important de notre définition. Tu disais que l’horizontalité et la verticalité ce ne sont pas deux choses binaires — d’un côté on a la verticalité, c’est mal, et, de l’autre côté, on a l’horizontalité et c’est bien. On a plein de motifs qui vont vers l’horizontalité et on a plein de choses qui vont nous limiter pour être horizontal. Si on a un objectif d’horizontalité, on peut y être plus ou moins proche.

Frédéric Couchet : Juste avant de laisser réagir Nicolas, est-ce que tu peux expliquer ce que tu entends par « motif » avant, d’ailleurs, qu’on les liste ? Qu’est-ce que tu entends par le terme « motif » ? Ce sont des fonctionnements qui se répètent ?

Valentine Ogier-Galland : Ce sont des fonctionnements qui se répètent. En fait, pendant nos entretiens, on a identifié un certain nombre de choses que l’on voyait d’organisation en organisation, donc un petite schéma de fonctionnement qui se répète ou qui est identifiable comme appartenant à cet objectif d’horizontalité.

Frédéric Couchet : Et, à l’inverse, les anti-motifs qui n’appartiennent pas à cette mise en œuvre d’horizontalité, c’est ça ?

Valentine Ogier-Galland : En tout cas, qui vont la freiner.

Frédéric Couchet : Qui vont la freiner. D’accord. On va y revenir juste après. Tu voulais réagir Nicolas.

Nicolas Chauvat : Oui. Je voulais juste rajouter que Valentine et moi avons des formations d’ingénieur, notre spécialité, à la base, c’est plus d’écrire du code. On ne prétend donc pas faire des sciences sociales comme les gens dont c’est le métier, même si là c’est un peu le sujet. Comme nous travaillons nous-mêmes dans des organisations qui essayent d’être horizontales, il faut prendre tout ce qu’on dit avec un grain de sel et le fait que nous sommes complètement subjectifs dans nos propos.

Frédéric Couchet : Tout à fait. C’est tout à fait clair et vous vous basez, en plus, sur des entretiens d’entreprises qui mettent cela en œuvre et que vous avez choisies.

Nicolas Chauvat : Qu’on a choisies et qui constituent un petit ensemble statistique, donc on ne va pas pouvoir jouer sur les grands nombres.

Frédéric Couchet : Peu importe ! On n’est pas là pour faire des sciences sociales.

Valentine Ogier-Galland : J’ajouterais même, pour la subjectivité, qu’on a rencontré très peu de gens qui n’avaient pas d’avis. L’organisation de l’entreprise ou l’organisation de là où on vit, là où on travaille, c’est un sujet qui est engageant, c’est un sujet qui est impactant. De toute façon, que ce soit nous ou que ce soit les autres, il y a de la subjectivité et il y a des choses qu’on aime, des choses qu’on n’aime pas, des choses sur lesquelles on réagit fortement.

Frédéric Couchet : OK. Tout à fait. Tout à l’heure, tu as introduit deux termes intéressants, les motifs qui favorisent l’horizontalité et les anti-motifs qui pourraient la freiner. Est-ce qu’on pourrait commencer par ça, déjà le côté positif : quels sont les motifs qui favorisent l’horizontalité ? Valentine.

Valentine Ogier-Galland : Je vais parler de un, c’est ce que j’appelle la fluidité des mandats, il y a peut-être un meilleur terme va apparaître plus tard. En gros, un mandat c’est explicitement le fait d’avoir une sphère de décisions ou de responsabilités. J’emploie le terme « mandat » parce que le côté explicite est important. La fluidité c’est : les mandats peuvent changer de personne, c’est-à-dire soit les mandats sont répartis, ce n’est pas une personne qui fait toujours tout, soit les mandats changent régulièrement, soit les mandats sont partagés par un groupe, un cercle, un comité, quelle que soit la façon dont on l’appelle. Si le mandat est fluide et dilué, on a un bon motif, on va vers l’horizontalité.

Nicolas Chauvat : Motif et anti-motif, ça donne une direction du genre « horizontal c’est bien et vertical c’est mal ». Je suis plutôt parti avec cette idée-là il y a un an et demi. Aujourd’hui, je pense que j’ai un peu changé de point de vue là-dessus.

Frédéric Couchet : Pour préciser, le point de départ venant du Libre, quelque part on se dit que l’horizontalité c’est bien, quoi qu’il arrive, la verticalité, c’est mal, parce qu’on n’a pas baigné dans la verticalité… Quoi que si, il y a effectivement beaucoup de verticalité dans le Libre.

Valentine Ogier-Galland : Souvent dans des contextes toxiques ; il y a beaucoup de verticalité toxique, on en a plein d’exemples. On se dit déjà que l’horizontalité c’est une autre voie, c’est une alternative et ça va forcément être mieux et pas toxique.

Frédéric Couchet : Et pas toxique ! On reviendra tout à l’heure sur la partie toxicité. Je te laisse poursuivre.

Nicolas Chauvat : Plutôt que motif et anti-motif, je dirais que certains motifs vont dans le sens de l’horizontalité et d’autres vont dans le sens de la verticalité.
Valentine vient de parler des responsabilités. Typiquement, si tu concentres les responsabilités sur un très petit nombre de gens, tu vas dans le sens de la verticalité ; si tu fais des responsabilités tournantes, tu les répartis, tu vas dans le sens de l’horizontalité. Si c’est implicite, il y a plus de chances que ça devienne vertical que horizontal : pour que les responsabilités soient réparties, que la prise de décision soit répartie, il faut explicitement dire que les gens peuvent prendre des décisions de là où ils sont, sinon il peut y avoir une tendance à dire « je ne sais pas si j’ai le droit, je ne vais pas le faire ».

Frédéric Couchet : Tu veux dire que ce qui est important c’est rendre explicite l’implicite, donc rendre explicites quelles décisions peuvent être prises, par qui, avec quel processus.

Nicolas Chauvat : Exactement.

Valentine Ogier-Galland : On peut avoir une organisation verticale avec beaucoup d’implicite, avec des hiérarchies implicites ; si on veut être horizontal, il va falloir rendre ces hiérarchies visibles. Et, si on supprime toutes les hiérarchies managériales habituelles et qu’on ne fait rien d’autre pour mitiger la tendance naturelle, on va se retrouver avec des hiérarchies implicites. Par exemple, ce sont les membres de l’organisation les plus anciens qui décident ou ce sont ceux qui ont le plus de diplômes ou ce sont ceux qui parlent le plus fort.

Frédéric Couchet : Je vois la question de Marie-Odile, en fait la remarque, je vais la relayer. Mais comme tu parles de cela, je vais vous raconter une petite histoire et je vais juste citer, entre guillemets, un message que j’ai lu ce matin, sans citer du tout le contexte. En gros, la personne dit que le fonctionnement horizontal ne protège pas forcément les salariés, la « démocratie d’entreprise » – mis entre guillemets – n’a aucune valeur si on laisse les personnes les plus bruyantes prendre le dessus. La personne précise que ce n’est pas parce que c’est une Scop, donc une coopérative, que, par magie, tout irait bien.

Nicolas Chauvat : C’est un point, d’ailleurs, c’est peut-être ce qu’on a dit dans l’émission d’il y a un an, je n’ai pas réécouté ce qui a été rediffusé la semaine dernière. On était plutôt sur une position « horizontal c’est bien et vertical c’est mal » ; aujourd’hui, on serait plutôt sur une position : être incohérent c’est mal, être cohérent c’est bien. C’est-à-dire que si tu affiches un désir, que tu dis à tout le monde « on est horizontal » et que, après, tu te comportes autrement, l’incohérence va te causer des problèmes. Si tu dis à tout le monde « chez nous c’est vertical, ça se passe comme ça » et que tu te tiens à ce qui est dit, les règles sont connues, les gens peuvent choisir de travailler là ou de travailler ailleurs, mais, au moins, c’est clair.

Frédéric Couchet : Je vais relayer la remarque de Marie-Odile et je vais vous demander de réagir dessus. On salue Marie-Odile parce qu’elle fait la quasi-totalité des transcriptions des émissions Libre à vous ! et d’autres pour l’April sur le site librealire.org. Elle nous dit « la verticalité non toxique me conviendrait », elle précise « je ne suis pas responsable, c’est reposant. »

Valentine Ogier-Galland : Absolument !

Frédéric Couchet : C’est vrai que ça fait partie des choses reposantes : ne pas avoir à prendre de décisions, ne pas être responsable de quelque chose.

Nicolas Chauvat : Tu nous avais prévenus qu’on était susceptibles de commencer par la fin.

Frédéric Couchet : Je vous avais prévenus que l’ordre qu’on avait prévu était susceptible de ne pas être suivi, parce que c’est une discussion. Pour être en toute transparence sur la préparation de l’émission, on a fait une heure d’échanges entre nous, ce qui n’est pas toujours le cas, on avait donc prévu un petit déroulé, mais j’avais effectivement prévenu qu’en fonction de notre démarrage d’émission et des questions sur le salon, on pourrait peut-être changer l’ordre, ce n’est pas très grave. Je vous demande de réagir, éventuellement, sur cette partie « je ne suis pas responsable, c’est reposant ». Je complète la question en disant : est-ce que l’horizontalité, finalement, convient à tout le monde, ou pas, justement par rapport à ça ? Qui veut commencer ? Valentine, vas-y !

Valentine Ogier-Galland : Peut-être pas à tout le monde et peut-être pas avec tout le monde non plus.
Pour avoir de l’horizontalité, il faut avoir une certaine communication entre les gens qui font de l’horizontalité. Pour qu’il y ait des prises de décisions collectives ou réparties, il va falloir beaucoup de communication, il va falloir beaucoup d’efforts en amont pour aligner les gens, pour que les gens se choisissent un objectif commun, etc. Il y a des personnes qui n’ont pas envie de faire cet effort pour leur travail, peut-être qu’elles veulent juste un travail alimentaire et mettre toute leur énergie dans leur implication bénévole à côté, dans d’autres choses, et c’est OK. De la même façon que c’est OK de ne pas avoir la même façon de communiquer ou de ne pas trouver confortable la façon de communiquer d’un groupe. Je pense notamment à une organisation à qui on a parlé, pour qui le conflit était normal, attendu ; de toute façon il allait y avoir des conflits. Son principe de fonctionnement était plutôt : si on n’est pas d’accord, il y aura un conflit, on réglera le conflit. Et je vois d’autres gens à qui on a parlé, qui sont dans une entreprise qui est aussi vers l’horizontalité, qui fait aussi de l’horizontalité, mais ça ne leur irait pas du tout de fonctionner comme cela, avec autant de conflits.

Frédéric Couchet : Je me permets juste de poser une question : est-ce que ces personnes t’ont précisé ce qu’elles entendent par « conflit » ? Est-ce que c’est une discussion un petit peu chaude ou est-ce que c’est vraiment avec des gens qui coupent la parole, etc. ? Que mettent-elles derrière le mot « conflit », en fait ?, sans forcément dire qui c’est.

Valentine Ogier-Galland : L’exemple qui était donné, c’était simplement le fait que si tu faisais quelque chose pour l’entreprise, tu prenais une décision, qu’elle soit technique ou non, et que quelqu’un n’était pas d’accord, il pouvait passer derrière et la défaire. Point barre !

Nicolas Chauvat : Cela ne m’irait pas !

Frédéric Couchet : Je pensais plutôt conflits discussionnels.

Valentine Ogier-Galland : Et ensuite, entre les deux, si ça causait un conflit personnel, on va dire une discussion, c’était normal, ça faisait partie de la vie normale de l’organisation.
On a rencontré d’autres gens qui seraient absolument malheureux dans ce genre d’organisation, alors que, fondamentalement, ce sont des organisations avec énormément de motifs horizontaux des deux côtés. Donc, ce n’est pas parce que c’est horizontal que tu vas être bien dedans et tu peux mieux te sentir dans quelque chose de vertical, comme disait Marie-Odile, reposant, pas de responsabilités. Des gens nous ont parlé d’anxiété de tout savoir sur la santé de l’entreprise.

Frédéric Couchet : Y compris la santé financière. Dans certaines structures que vous avez étudiées, les personnes salariées ont accès à tout, y compris aux factures, à la comptabilité, etc.

Nicolas Chauvat : On connaît même une structure qui publie ça sur Internet, c’est-à-dire que la totalité de sa comptabilité est accessible.

Frédéric Couchet : Je vois à peu près, j’ai une idée de qui c’est. Ces personnes-là vont effectivement jusque-là. Tu dis donc que cela génère de la souffrance, de l’inconfort ?

Valentine Ogier-Galland : Il y en a qui nous ont dit qu’il y avait de l’anxiété de tout savoir, y compris la santé financière quand c’était un peu bancal, quand ce n’est pas très stable.

Nicolas Chauvat : Au final, je dirais qu’il y a plusieurs aspects. Tu demandais « est-ce que ça marche, est-ce que ça ne marche pas ? », Valentine disait c’est OK. Il y a le côté horizontal/vertical, il y a la personne et il y a le contexte. C’est la combinaison de ces trois-là qui fait que ça va ou ça ne va pas. Tu peux avoir une même personne qui, dans des contextes différents – le contexte ça peut être les autres personnes avec lesquelles on travaille, le but de l’organisation, est-ce que c’est salarié, est-ce que c’est bénévole, ça peut être quand on a 20 ans, quand on en a 30, quand on en a 40 ou quand on en a 50 – donc la personne, le contexte dit si ça se passe bien avec une organisation horizontale ou une organisation verticale. Éventuellement, ça va bien convenir à la personne à 30 ans d’être dans quelque chose d’horizontal et ça ne lui conviendra plus à 50, par exemple.

Frédéric Couchet : D’accord. OK.
Dans les motifs, vous avez parlé de fluidité des mandats, de transparence, de cohérence entre les objectifs affichés et les actions. Est-ce que vous avez noté ou est-ce que vous avez eu des retours, sur cette partie-là, de personnes dans une structure qui vous disent : « Il y a les objectifs affichés d’horizontalité, etc., mais, dans les faits, ce n’est pas toujours réellement mis en œuvre. » ? Ou est-ce que, globalement, il y a une cohérence dans les structures que vous avez étudiées ?

Valentine Ogier-Galland : On a vu des structures qui disaient : « On est horizontal », et qui avaient des motifs qui étaient plus des motifs verticaux.

Frédéric Couchet : Un exemple ? Quels motifs de verticalité ces structures avaient-elles par exemple ?

Nicolas Chauvat : Valentine et moi avons principalement travaillé dans des structures de petite taille, disons de moins de 20 personnes, ce qui ne nous empêche pas d’avoir côtoyé des entreprises plus grandes.
Typiquement, quand tu dis « vertical », tu penses à hiérarchie, donc tu pourrais penser que la hiérarchie c’est un facteur de verticalité. Après, quand tu dépasses une certaine taille, avoir quelque chose de très plat, ça peut devenir plus compliqué. Admettons que vous soyez 250, si tu te retrouves dirigeant d’une organisation de 250 personnes, tu ne peux pas parler avec les 250 personnes en direct ! Tu comptes ne serait-ce que 10 minutes pour parler à chaque personne une fois par mois, tu multiplies par 250, je pense que tu fais déjà des semaines de 50 heures. Tu es donc forcé de mettre des relais, d’une manière ou d’une autre, et, du coup, d’introduire une forme de hiérarchie et de verticalité. Comment faire quand on dépasse une certaine taille et qu’on veut être horizontal ? Ça peut-être un exemple de contradiction, de ce qui apparaît comme une contradiction.

Frédéric Couchet : Je suppose que cette question a été étudiée dans d’autres contextes, je suppose que des organisations assez grosses mettent en œuvre l’horizontalité. Je suis encore moins spécialiste que vous de la question.

Valentine Ogier-Galland : C’est aussi pour cela que nous sommes revenus de notre jugement de valeur, en disant « si on est une entreprise de 2000 personnes et qu’on veut être horizontal, on va avoir des motifs d’horizontalité, on va choisir des choses qu’on va faire pour améliorer notre horizontalité, mais on ne pourra peut-être pas faire pareil qu’une entreprise de 4 ou de 12 personnes ». L’important, c’est d’être transparent sur là où on veut aller et les compromis qu’on fait. De toute façon, les compromis sont là, ils sont nécessaires. Plusieurs organisations nous ont dit : « Nous voulons être transparents, nous voulons absolument être transparents, par contre ,tout ce qui est RH, tout ce qui est ressources humaines, on ne peut pas, légalement on ne peut pas. »

Frédéric Couchet : Quand tu parles de ressources humaines, légalement on ne peut pas, c’est quoi ? Ce sont les fiches de paye, ce sont des salaires, ce sont les contrats de travail ?

Nicolas Chauvat : Tu as un contrat de travail. Quelqu’un vient te voir en disant « je veux rompre mon contrat de travail », je ne suis pas sûr que tu puisses annoncer à tous les membres de l’organisation, dans la minute, sur la messagerie instantanée, « untel m’a demandé de rompre le contrat de travail. » Il peut dire « attendez, je n’en ai parlé qu’au responsable du contrat. »

Valentine Ogier-Galland : Légalement, il y a des cadres. S’il y a un problème, on peut penser à d’autres problèmes qui nécessitent l’intervention d’une unité ressources humaines quelle qu’elle soit, légalement certains de ces problèmes doivent rester confidentiels. Donc, confidentiel et transparence totale, ce n’est pas possible. Par contre, des organisations nous ont parlé de translucidité, à savoir : tu sais qu’il se passe des choses, tu sais qui a accès à quelle information, donc tout n’est pas transparent, par contre, il n’y a rien de caché.

Nicolas Chauvat : En tout cas, c’est explicite.

Valentine Ogier-Galland : C’est explicite que tu n’as pas le droit d’avoir cette information.

Nicolas Chauvat : Si tu penses qu’il y a un problème lié aux RH, par exemple, tu sais quelles sont les personnes qui ont accès à l’information, qui participent à la prise de décision.

Frédéric Couchet : Donc, éventuellement, tu peux aller les voir si tu veux t’impliquer ou avoir des informations dans la limite de la légalité et de la confidentialité personnelle, c’est ça ?

Nicolas Chauvat : Au moins, quand le fonctionnement est clair, ça supprime les occasions de créer des théories du complot.

Frédéric Couchet : Avant la pause musicale, une dernière question, on va rester sur le contrat de travail, puisque c’était dans la liste des autres thèmes, mais ce n’est pas grave. La question c’était : quelle place pour le contrat de travail, qui est un outil de subordination, dans une structure qui se voudrait horizontale ? Est-ce que c’est un outil utile, un bâton dans les roues, ou ni l’un ni l’autre ?

Valentine Ogier-Galland : Comment faire sans contrat de travail ?, c’est la grande question. On avait parlé la dernière fois de notre interrogation : est-ce que le format compte ? Est-ce que le format est important dans l’horizontalité ? Être Scop, être d’autres formats un peu exotiques ?

Frédéric Couchet : Je voudrais juste rappeler que le contrat de travail n’est pas forcément obligatoire. Beaucoup de personnes pensent que c’est obligatoire, mais par exemple, notamment pour certains CDI dans le privé, ce n’est pas obligatoire. Je te laisse poursuivre.

Valentine Ogier-Galland : Ça demande de sortir vraiment du cadre. Le contrat de travail dit effectivement qu’il y a une relation de subordination qui n’est pas là quand on parle d’indépendants qui travaillent ensemble, par exemple. On a des organisations qui ont fait ce choix pour éviter d’avoir une subordination de fait, une gérance de fait, quelqu’un qui décide parce que, légalement, il faut quelqu’un qui décide, qui ont décidé d’être un ensemble d’indépendants qui se regroupent pour atteindre les objectifs de l’organisation. Ça demande de se poser des questions, ça demande de repenser le cadre et il y a des gens qui ne vont pas avoir l’habitude, que ça peut perturber, on sort vraiment de la zone de confort, on dit « tu viens bosser ici, mais tu n’as pas de contrat de travail. »

Frédéric Couchet : Je complète la question avant la pause : dans le contrat travail, au-delà de l’aspect hiérarchique, subordination, il y a le périmètre, pas des responsabilités mais des actions de la personne, qui est, en fait, une liste qui est précisée dont, normalement, on ne sort pas.

Nicolas Chauvat : Souvent, ça peut être associé à une fiche de poste qui dit exactement ce qu’on est censé faire. Je ne suis pas expert de droit du travail, loin de là, tu disais que ce n’est pas obligatoire. Valentine disait qu’on a vu des organisations qui ont fait pas mal d’efforts pour explorer cet espace de liberté et voir comment elles pouvaient, en restant conformes au droit, changer un certain nombre de choses. Le résumé, là-dessus, serait : ce n’est pas gratuit. Si tu fais au plus simple, de mon point de vue, ça va dans le sens de la verticalité plutôt dans le sens de l’horizontalité.

Valentine Ogier-Galland : Ce sont beaucoup d’efforts pour aller vers autre chose.

Frédéric Couchet : D’accord.
On va faire une pause musicale. Je voulais préciser que, fin 2023, la radio avait lancé un appel à financement participatif pour l’aider à boucler son budget. On avait reçu pas mal de soutiens dont, d’ailleurs, aussi celui de Valentine Ogier-Galland, merci à elle. Une des personnes, Clément Oudot qui est un libriste mais qui est aussi artiste sous le nom de KPTN, avait été une des personnes à contribuer et, parmi les contributions, il y avait le choix d’une pause musicale. Comme il le dit lui-même, KPTN fait des chansons françaises mais amusantes, je précise que l’album de l’artiste KPTN s’appelle Flammes. Le message qu’il souhaite associer à sa musique c’est « KPTN, il est libre un max », voilà donc toute la référence. Il a proposé un titre. Nous allons écouter Irrésistant par KPTN. On se retrouve dans quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Irrésistant par KTPN.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Irrésistant par KTPN disponible sous licence Creative Commons CC By.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Je vais corriger, la licence ce n’est pas du tout CC By, c’est CC By SA, c’est-à-dire Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, attribuons bien la licence ! Et, si vous voulez découvrir Clément Oudot, vous pouvez aller aux Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre qui auront lieu à Lyon le 10 juin 2024, il sera là à titre professionnel, vous pourrez lui faire un petit coucou, j’en parlerai en fin d’émission.
Nous allons reprendre notre échange sur les modèles d’organisation ouverts avec Valentine Ogier-Galland et Nicolas Chauvat. Je vais relayer une question qu’on a reçue sur le salon web. Je rappelle que vous pouvez intervenir, vous aussi, sur le salon web, vous allez sur causecommune.fr, bouton « chat », salon #libreavous, ou sur le site libreavous.org directement.
La question est : le modèle d’organisation peut-il être fondamentalement ouvert à toutes les personnes salariées si le capital n’est pas contrôlé par l’ensemble des salariés ? Qui veut se lancer dans la réponse ? Valentine.

Valentine Ogier-Galland : Au début, notre question était : est-ce que c’est possible, si on n’est pas en coopérative, par exemple ? La question a évolué parce que je pense maintenant que l’axe, l’un des axes possibles, qui n’est pas nécessaire mais qui est utile pour aller vers l’horizontalité, c’est celui de l’implication financière, ce qui est très différent d’être en coopérative. Par exemple, pour rentrer dans ma coopérative et devenir associé, il y a tout un processus, mais financièrement, ça coûte une dizaine d’euros, l’implication financière n’est pas énorme ; l’implication morale, sociale, c’est autre chose. Dans d’autres organisations qu’on a vues, l’implication financière est bien plus importante, elle est d’environ un an de salaire, avec tout un système mis en place pour que ça soit inclusif, c’est-à-dire que même les gens qui n’ont pas un an de salaire au départ puissent le faire.

Frédéric Couchet : Tu veux dire les nouvelles personnes entrantes.

Valentine Ogier-Galland : Oui. Cependant, l’implication n’est plus du tout la même. Je pense que si on a une entreprise qui est vraiment horizontale, avec beaucoup de motifs, avec beaucoup d’efforts pour, justement, empêcher des motifs verticaux d’apparaître naturellement, on peut avoir un capital qui est concentré. Mais, c’est quand même un motif qui va aider si on a une implication financière de tout le monde, une implication financière suffisante, en fait, qui va participer à responsabiliser les gens. Tu voudrais ajouter quelque chose.

Frédéric Couchet : Nicolas.

Nicolas Chauvat : Je trouve intéressant l’exemple que vient de citer Valentine. Si tu le formules un tout petit peu différemment, ça veut dire que les gens empruntent pour venir travailler dans cette entreprise. Pour venir travailler dans l’entreprise, les gens font un emprunt sur cinq ans qui sera remboursé plus ou moins automatiquement grâce à leur travail.

Frédéric Couchet : Ce que tu dis c’est en théorie ou c’est par rapport à ce que vous avez noté ? Ce n’est pas courant qu’une personne, pour travailler, doive faire un emprunt.

Nicolas Chauvat : C’est pour cela que je veux le souligner. Après, si tu as des économies qui correspondent, en gros, à sept ou huit mois de salaire, dans ce cas-là, passée ta période d’essai, tu peux dire « je vous donne huit mois de salaire et maintenant je suis à égalité avec tout le monde ». Mais la plupart des gens, pour pouvoir être à égalité avec tout le monde, ce qui est indispensable dans cette structure-là, se retrouvent à faire un emprunt. Ils ont une espèce de partenariat avec un banquier, avec lequel ils s’entendent bien, qui accepte toujours de signer les prêts, mais ce n’est pas le plus courant comme situation.

Valentine Ogier-Galland : En même temps, ça inverse complètement la logique des entreprises. Tout à l’heure, on parlait du contrat de travail. Aujourd’hui, on a beaucoup la logique d’une entreprise dont le capital appartient à une ou deux personnes, trois personnes maximum, ou alors c’est énorme et, là, on ne sait même plus. Encore une fois, on est toujours un peu dans ce motif de transparence : le fait de rendre ça visible permet de mettre les choses à plat et, potentiellement, de contourner, en tout cas de changer des façons de faire.

Nicolas Chauvat : Ça me fait penser à un autre exemple : une personne a créé une entreprise, l’entreprise a commencé à bien fonctionner, on lui a proposé de la racheter ; pour différentes raisons, ça l’a choquée, d’abord elle a dit non à la proposition de rachat et, en plus, elle a dit « je ne veux pas me retrouver dans une situation où je ne pourrai pas dire non, donc, je ne veux plus que l’entreprise m’appartienne, il faut qu’on change de statut et qu’elle appartienne à tout le monde ». La personne a donc mis en œuvre ce changement-là et une bonne part des salariés de la structure a quitté la structure parce que ça ne leur convenait plus. Je ne sais plus si c’est une bonne part ou pas, mais des personnes ont quitté la structure parce que ça leur convenait pas, après c’est reparti et, maintenant, ça fonctionne à nouveau. C’est pour revenir et aussi insister sur à quel point c’est la personne, le contexte et l’organisation qui doivent être cohérentes pour que ça fonctionne et que les gens se sentent bien.

Valentine Ogier-Galland : Pour citer cette personne, elle disait qu’on lui avait beaucoup dit qu’elle avait sabordé un truc rentable et c’est très intéressant, parce qu’aller vers de l’horizontal était considéré comme quelque chose d’un peu débile quand même, quelque chose de pas vraiment pertinent, pas vraiment la décision d’un businessman.

Frédéric Couchet : D’accord. Finalement, est-ce que l’horizontalité est un gage de réussite ? Par rapport à ce que tu viens de dire, j’ai l’impression que les gens se sont inquiétés en se disant « si on change de modèle, ça ne va pas aller ! »

Valentine Ogier-Galland : C’est quoi la mesure de succès d’une entreprise en vrai ?

Frédéric Couchet : Je vous pose une question ouverte en ayant conscience que, dans « gage de réussite », je mets ensemble le bien-être des personnes qui travaillent, la satisfaction des clients, etc.

Nicolas Chauvat : On en parlait avec Valentine ce matin. Si tu prends une communauté plus grande, comme la France, est-ce que tu mesures la réussite de la France à son PIB ? Ou est-ce que tu fais comme le Bhoutan et tu mesures le bonheur individuel brut ?

Valentine Ogier-Galland : C’est super intéressant. Pourquoi as-tu créé l’entreprise ? As-tu créé l’entreprise pour donner de quoi vivre à ses membres et c’est tout et ça suffit ? As-tu créé l’entreprise pour pérenniser quelque chose, pour créer quelque chose qui dure 100/120 ans ? Est-ce que c’est pour être le premier sur le marché ? Est-ce que ton objectif c’est la croissance ? Est-ce que ton objectif c’est la résilience en cas de coup dur, en cas de Covid, et que ça survive ? Est-ce que c’est le bien-être ? Est-ce que c’est le fait que les gens restent ? Est-ce que c’est, ou non, un critère ? Si tout le monde part, est-ce que c’est bien ou est-ce que, finalement, ce n’est pas bien ?

Frédéric Couchet : D’autant plus que dans l’informatique, dans certaines entreprises, malheureusement, un critère de réussite c’est souvent le turnover, le fait que les gens tournent, pour l’entreprise en tout cas, je ne vais pas citer de noms, mais malheureusement !

Nicolas Chauvat : Je crois que je sais à qui tu penses !

Frédéric Couchet : C’est un des critères, d’ailleurs pas que dans le Libre.

Valentine Ogier-Galland : Est-ce qu’un critère de succès c’est d’être une entreprise horizontale ? Finalement, est-ce que c’est un critère de succès ou pas ? Je pense que la différence de fonctionnement, que ça soit horizontal ou vertical, c’est rarement la raison de l’échec. De la même façon que quand on a une relation amoureuse atypique, ce n’est pas forcément le fait que ce soit atypique qui fait que ça va foirer, parfois ça foire parce que ça foire !

Frédéric Couchet : Parce que ce sont des relations humaines !

Valentine Ogier-Galland : Là, les organisations ce sont des humains ensemble, donc, parfois ça foire, parfois ça ne foire pas et l’important, ce qu’on disait tout à l’heure, c’est la cohérence entre l’objectif, entre le besoin de la personne, les aspirations de la personne, les aspirations de l’organisation et les actes. Si on dit « on fait confiance » et qu’on fait confiance totalement aux gens, dans ce cas mettez la carte bancaire de l’entreprise en libre accès ! Là, vous mettez en cohérence les actes et les aspirations.

Frédéric Couchet : D’accord. Le temps passe vite. On a encore des sujets que vous voulez absolument aborder avec raison, avant de changer un tout petit peu de thème, un point dont on avait discuté, c’est la spécialisation ou la polyvalence et je crois que c’est Nicolas qui avait dit « moins on a de gens prêts à faire du développement, de la compta, moins c’est facile d’avoir de l’horizontalité. » Je ne sais pas si c’est ce que tu as dit, en tout cas si ça correspond à ce que tu penses, mais c’est quoi cette notion de spécialisation versus polyvalence ?

Nicolas Chauvat : On a ouvert la discussion en parlant de mandats et de répartition des responsabilités. Il y a un certain nombre de choses, et ce sont un peu les thèmes qu’on retrouve aussi sur la page du projet, qui sont nécessaires au fonctionnement d’une organisation : du recrutement, tout ce qui est la gestion des membres, les arrivées, les départs, que ça se passe bien quand ils travaillent là ; il y a tout ce qui est financier, c’est-à-dire s’assurer que les ressources financières nécessaires à l’organisation sont là — dans une association, ça peut être un peu différent que dans une entreprise commerciale, mais il y a toujours des dépenses ; dans les associations, il y a rapidement des permanents quand on s’agrandit, dans une entreprise, il y a des salariés ; on doit trouver des nouveaux clients et entretenir les relations avec les clients ; il y a aussi, toujours, une partie technique, comme on fait de l’informatique, il faut que les ordinateurs fonctionnent, il faut que les logiciels soient développés, il faut que les bugs soient corrigés, etc.
Si on veut être horizontal et si l’une des manières d’être horizontal c’est de faire tourner les responsabilités d’une façon ou d’une autre, si on a des gens qui rentrent dans l’organisation en disant « je ne m’occuperai que des serveurs et de rien d’autre », ce n’est pas facile de faire tourner !

Valentine Ogier-Galland : C’est peut-être possible, mais c’est plus compliqué !

Nicolas Chauvat : Ce n’est pas facile, c’est plus dur !

Valentine Ogier-Galland : Ça va demander beaucoup plus d’efforts. Des gens qui sont en capacité, c’est une chose, parce que ça s’apprend, on va peut-être parler de la formation plus tard, mais des gens qui ont l’envie, à la fois, de rebooter le serveur, parce qu’il faut bien que quelqu’un reboote le serveur, faire la compta, rappeler la femme de ménage parce qu’elle n’est pas passée, on ne sait pas pourquoi, etc., toutes ces petites choses qui font que ça tourne, si on est là et qu’on dit « ça ne m’intéresse pas, je veux juste coder », ça ne marchera pas.
Ce côté polyvalent, cette polyvalence est donc un peu nécessaire pour pouvoir, justement, diluer et ne pas avoir une personne qui fait tout, parce que c’est la seule qui sait faire.

Nicolas Chauvat : Si on fait le parallèle avec des projets libres, ce qu’on essaye régulièrement de faire dans le projet, dans un projet libre où tu n’as que du code, s’il n’y a pas de documentation, s’il y a pas de site web, s’il n’y a jamais de présence sur les événements, s’il n’y a pas de présence sur un forum en ligne, si des gens posent des questions, rajoutent des tickets et personne ne leur répond, il faut vraiment que le code soit bon !

Valentine Ogier-Galland : Le code a intérêt à être vraiment bon !

Frédéric Couchet : Ce que vous venez de dire me fait enchaîner sur le thème d’après, je vois qu’il reste un petit quart d’heure. Dans les exemples que tu citais, la personne qui code, qui veut juste coder sans se préoccuper de ce qui est autour, en fait de ce qui lui permet de coder en toute tranquillité : peut-être du chauffage, des tickets restaurant, un bureau qui est nettoyé parce qu’une personne est préposée à cela, qu’on la rappelle, etc. Quelque part c’est le soin, le soin des personnes, de l’organisation, ce qu’on appelle aujourd’hui le care, je crois que c’est notamment Valentine qui voulait en parler. Dans ces organisations horizontales, comment se gère ce soin ?, peut-être en distinguant justement le soin des personnes, le soin de l’organisation, des serveurs aussi, tout à l’heure tu parlais de rebooter un serveur, ça fait partie, quelque part, du soin du système d’information, donc au niveau de la production. Comment ça se passe au niveau de ces organisations-là sachant que dans la fiche de poste, normalement, on est dédié : le dev, la compta ou autre chose ?

Valentine Ogier-Galland : Justement, dans les fiches de poste classiques, il y a souvent beaucoup d’activités de care qui n’apparaissent pas. Beaucoup de choses sont absentes. On a des choses sur la technique, effectivement peut-être la compta, etc., mais il y a effectivement beaucoup d’autres choses pour prendre soin d’une organisation, prendre soin de ses membres, il y a beaucoup de petites choses à faire qui passent souvent à l’as. Il y a des organisations qui mettent l’effort pour les rendre visibles ; une organisation nous parlait des petites gouttes, elle a un tableau des petites gouttes, les petites choses qui étaient faites, les petites gouttes d’eau, les toutes petites choses qui sont faites, qui doivent être faites au quotidien ou régulièrement pour, justement, prendre soin de son organisation et de ses membres. Il y a beaucoup de choses qui, traditionnellement, parce qu’elles ne sont pas dans les fiches de poste, « ce n’est pas mon travail, c’est invisibilisé », sont quand même souvent faites un peu par les mêmes personnes, il y a une division.

Frédéric Couchet : Si je peux me permettre, souvent les mêmes personnes d’un genre particulier ?

Valentine Ogier-Galland : Oui, c’est assez genré !

Frédéric Couchet : C’est quand même assez genré, c’est la petite fée… Je ne peux pas mimer Nicolas, parce qu’on est à la radio !

Valentine Ogier-Galland : Avec Nicolas, sur le quai de la gare, on parlait de ces gens qui ont des belles carrières parce qu’il y a quelqu’un derrière.

Frédéric Couchet : Souvent parce qu’il y a une femme derrière.

Valentine Ogier-Galland : Qui sont en capacité de faire des journées de dix heures parce que, derrière, il y a quelqu’un à la maison. Dans une entreprise aussi, il y en a qui ont la capacité de faire des journées de dix heures à ne faire que du code ou, d’ailleurs, à ne faire que de la comptabilité, parce qu’il y a quelqu’un, des gens qui font ce travail autour. Je pense que pour être horizontal, il faut une certaine proportion de gens motivés, prêts à faire cet effort-là qui est un vrai effort, c’est aussi une vraie charge mentale parce qu’il faut y penser, il faut s’apercevoir que c’est à faire. Ça peut aller de s’apercevoir qu’il y a des gens qui ne parlent pas, qui parlent beaucoup moins que les autres dans les réunions. Un outil avait été mis en place dans une organisation, quelque chose avait été mis en place sur toutes les visios et ça affichait automatiquement les temps de parole des gens. Il n’y a rien de coercitif, c’est juste informatif « attention, là, trois personnes ont parlé et les autres n’ont pratiquement rien dit, peut-être qu’on veut faire quelque chose par rapport à ça. »
Il faut mettre cet effort parce que sinon on va glisser vers la verticalité parce qu’on a une société où on est un peu tous formés à ça.

Frédéric Couchet : Justement. On ne va pas parler tout de suite de la formation, si quand même, une question sur la formation. Tout à l’heure, vous parliez de faire tourner les responsabilités, notamment de la polyvalence technique, mais là, dans le soin, les responsabilités ne sont pas du tout techniques, ce sont d’autres compétences, qui demandent pourtant des compétences. Par exemple, dans les organisations que vous avez pu étudier, en tout cas interviewer, est-ce qu’il y a des formations dédiées à cet aspect-là ? Il y a souvent, évidemment, des formations techniques sur le développement, mais est-ce qu’il y a des formations sur cet aspect humain ?

Valentine Ogier-Galland : Je devrais même dire plus les entreprises, plus les organisations étaient horizontales, plus il y avait des actions à ce niveau-là, mais ce sont des motifs qu’on va voir aussi sur des très grosses entreprises qui veulent aller vers l’horizontalité ; ce sont des actions d’accompagnement, que ce soit des séminaires, que ce soit des formations externes, que ce soit du coaching ou du mentoring en interne. Tu veux rajouter quelque chose là-dessus ?

Frédéric Couchet : Ou tu veux revenir sur le fait que tu n’étais pas d’accord tout à l’heure, quand tu faisais je ne sais quoi avec la tête ? Comme tu veux, tu parles de ce que tu veux.

Nicolas Chauvat : Deux points que je peux rajouter sur ce qui a été dit juste avant. Parfois, il y a aussi des gens qui ont des journées de huit heures dans certaines organisations parce que toutes les petites gouttes, dont parlait Valentine, c’est fait par les mêmes qui, du coup, ont des journées de 12 heures ou plus.

Valentine Ogier-Galland : Ou plus ! Des week-ends !

Nicolas Chauvat : Et ce n’est pas forcément parce que ceux qui ont des journées de huit heures sont de mauvaise foi, ça peut tout simplement être parce que ceux qui font des journées de huit heures ne se rendent pas compte de tous les autres trucs qui sont faits pour que ça continue à fonctionner.

Frédéric Couchet : Tu veux dire comme 99,99 % des hommes ?, moi inclus !

Nicolas Chauvat : Pour avoir une chance d’équilibrer ça, là aussi il faut expliciter, exposer les choses en disant « il y a ça qui a été fait, ça qui a été fait ici » et si tu ne dresses pas cette liste, si tu ne la rends pas visible par tout le monde, je suis persuadé qu’il y a des gens qui croient que les bureaux se nettoient tout seuls ! « Chaque fois que je viens c’est propre, je ne vois pas où est le problème ! »

Frédéric Couchet : Je relaye la remarque de Marie-Odile « c’est comme à la maison, qui fait quoi », donc lister qui fait quoi, et comme à la maison dans les couples hétéros, les hommes pensent que, par magie, la table se nettoie, le repassage est fait, etc.

Valentine Ogier-Galland : Par magie, parce qu’il y a eu une socialisation et une éducation et la socialisation et l’éducation des travailleurs est également biaisée en faveur d’être employé et pas en faveur de prendre la responsabilité de son organisation, c’est le cas dans l’Éducation nationale, pour ne pas la citer. En France, la formation initiale est une formation pour devenir employé, pour devenir employé dans un environnement extrêmement vertical et pas pour prendre des responsabilités. On ne nous forme pas à devenir chef d’entreprise, quel que soit le truc, ni à être indépendant.

Nicolas Chauvat : Même pas chef d’entreprise, parce que si tu dis chef d’entreprise, tu emmènes plein de trucs avec toi, juste responsable. Quand tu regardes ce qu’on demande aux tout petits : à l’âge où ils ont toute l’énergie du monde, on leur demande de se taire, de rester assis et de faire ce qu’on leur dit ! Alors que s’il y a bien un moment où il faudrait leur permettre de s’exprimer, c’est à ce moment-là. Dès tout petits, on apprend aux gens à obéir, plus tard on leur dit « ce qui est important, c’est que vous ayez un métier » – entre être formé à un métier et faire des études, moi je vois une différence. Je fais partie des gens qui discutent la grosse tendance à l’apprentissage aujourd’hui. Autant je trouve bien la mise en pratique, etc., autant je trouve discutable de laisser croire aux gens que leur seul rôle c’est de correspondre à l’entreprise qui les forme. Pour moi, ce cadre général est là aussi en faveur des structures verticales et si tu veux organiser un groupe de personnes de manière horizontale, en fait, il y a presque des choses à désapprendre et, suivant les gens, c’est plus ou moins difficile.

Valentine Ogier-Galland : Soit ce sont des gens qui auront déjà été hors cadre, pour lesquels, déjà, ça ne collait pas et qui cherchent quelque chose d’autre, soit, effectivement, il faut désapprendre ce qui a été appris. Je trouve assez révélateur que si on veut créer une structure en France, si on veut créer une entreprise, on va nous orienter vers un MBA [Master of business administration], un master de business, quelque chose comme ça, une formation qui, clairement, forme les gens à être dominants.

Frédéric Couchet : C’est ce que tu disais dans la préparation, c’est la question que j’allais te poser. En plus, nos invités sont très forts, ils sont arrivés au sujet formation sans qu’on le lance. Vous avez dit, en gros, que la formation ne nous prépare pas à l’horizontalité, mais en plus, dans la préparation, je crois que c’est toi qui l’as dit, Valentine, elle renforce les dominants.

Valentine Ogier-Galland : Soit on te forme à être employé, c’est le cas de la plupart des gens, soit tu vas directement dans une formation qui va te former à être dominant. Il y a très peu de formations disponibles, sauf, par exemple avec les URSCOP, les Unions régionales des Scop, des coopératives, qui vont apporter des formations spécifiques là-dessus, mais on découvre ces formations par hasard. Il faut déjà savoir ce qu’est une Scop, moi je n’en ai jamais entendu parler à l’école et pourtant c’est vieux !

Nicolas Chauvat : Il y a d’autres formations que celles des URSCOP. Pour moi, l’idée principale, c’est : si tu veux faire quelque chose horizontal, tu as une pente à remonter ; c’est vers le haut.

Frédéric Couchet : Et quel est le pourcentage de la pente ? 10 %, 20 % ?

Valentine Ogier-Galland : Beaucoup de gens qui étaient moteurs de l’horizontalité dans leur entreprise nous ont parlé de fatigue, d’épuisement, voire de risque de burn-out, de lassitude, et ils y croient quand même. Cet effort est réel et il faut le poser. On vit dans un monde qui n’est pas horizontal, qui n’est pas favorable à l’horizontalité, donc on remonte la pente.

Frédéric Couchet : C’est vrai qu’on est dans un monde qui glorifie l’individualisme.

Valentine Ogier-Galland : Ou le chef, le héros.

Frédéric Couchet : Le chef, le héros, ou, comme dirait Marie-Odile sur le salon « le grand homme » !

Nicolas Chauvat : L’homme providentiel qui va nous sauver tous !

Frédéric Couchet : On va pas entrer sur ce sujet-là, mais oui !

Nicolas Chauvat : Toute ressemblance avec... serait purement fortuite.

Frédéric Couchet : Nous ne sommes pas loin de la fin du sujet. Je vais vous faire la question finale, j’espère que vous l’avez préparée, en tout cas vous allez improviser, parce que vous avez un grand talent ! Finale, pour cette émission-là, parce qu’on se donne rendez-vous, évidemment, pour la troisième émission.
La traditionnelle question finale d’un sujet long : en gros, est-ce que vous pouvez expliquer, chacune et chacun en deux minutes, les éléments clés à retenir ou ce que vous avez envie de faire passer dans ces deux dernières minutes. On va commencer par Nicolas et finir par Valentine. Si vous voulez faire l’inverse, vous faites l’inverse. J’ai pour habitude de finir comme ça. Vas-y !

Nicolas Chauvat : C’est vous le chef, chef !

Frédéric Couchet : Chef, oui chef !

Nicolas Chauvat : Ce que j’espère en venant ici en parler à la radio, c’est faire du logiciel libre au sens où on a essayé des trucs. On a essayé de réunir des informations, d’y réfléchir et, en venant à la radio, on essaie de les partager dans l’espoir que d’autres gens les trouveront utiles et feront leur propre cuisine avec. S’il y a des gens qui font leur cuisine avec, qu’ils trouvent ça utile et qu’ils veulent nous en parler, ça nous fera très plaisir de les entendre. Ils peuvent aller sur la page du projet pour voir ce qu’on a réussi à produire et nous envoyer un mail.
Dans le même esprit, la suite du projet ça pourrait être d’organiser un atelier pour réunir les entreprises avec lesquelles on a parlé et peut-être d’autres personnes intéressées, donc là aussi, contactez-nous. D’ailleurs merci, suite à la précédente émission, deux chercheuses de l’Université polytechnique des Hauts-de-France nous ont contactés, par contre, c’est leur métier de travailler sur ces questions-là et d’écrire des articles, des publications. Ce sont Véronique Sanguinetti et Isabelle Alphonse avec qui on a discuté et on va probablement poursuivre le projet à quatre, c’est un début de communauté ! Les logiciels libres ont des communautés, ce projet a une communauté en croissance.
Qu’est-ce qu’on produira ensuite ?, je ne sais pas. Valentine et moi avons toujours fait de l’agilité, dans le domaine de l’agilité il y a un Manifeste agile, je ne sais pas si on peut parvenir à écrire un manifeste de l’entreprise horizontale.

Valentine Ogier-Galland : Pas seuls, mais dans le cadre de l’atelier dont tu parlais tout à l’heure, rassembler des gens.

Nicolas Chauvat : La communauté !

Frédéric Couchet : Merci Nicolas. Je suis ravi de savoir que les interventions dans Libre à vous ! permettent de recruter des personnes sur les projets, c’est très bien.
Valentine ta conclusion, en tout cas tes deux dernières minutes.

Valentine Ogier-Galland : J’aimerais que les gens retiennent que oui, on peut créer une structure horizontale, une organisation horizontale, ça marche avec certains critères. Si c’est votre objectif de fonctionner de façon horizontale, allez-y. Et, dans le contexte que l’on a décrit, ça demande des efforts, ce n’est pas forcément facile, on vit dans un monde qui ne va pas forcément nous aider à être horizontal. C’est aussi OK de faire des petites bulles d’horizontalité à l’intérieur d’une entreprise qui ne l’est pas encore, faire de l’horizontalité à petits pas, prendre un des outils qu’on a cités aujourd’hui ou de ceux qu’on va rajouter sur notre site internet, juste un outil et voir, potentiellement, si ça peut essaimer : plus d’inclusivité, plus de transparence, plus de fluidité, des petites choses. Peut-être que ça ne marchera pas, peut-être que la bulle implosera sous la pression et la friction et peut-être qu’elle essaimera, donnera des idées à d’autres, et qu’on peut changer le monde.

Frédéric Couchet : Un octet à la fois, un pas à la fois. Une expression qui plaît à ma collègue c’est « un cheminement vers l’horizontalité ».

Valentine Ogier-Galland : On n’est pas horizontal, on fait de l’horizontalité.

Frédéric Couchet : Exactement.
Je renvoie les auditrices et auditeurs à la page web de l’émission pour retrouver les références, notamment le site de l’enquête, libreavous.org/209, parce que nous sommes à la 209e émission.
Merci à Valentine Ogier-Galland et Nicolas Chauvat pour cette deuxième émission. On se donne donc rendez-vous, si j’ai bien compris, à priori d’ici à peu près un an pour la troisième édition, en tout cas quand vous êtes prêts vous êtes invités, quand vous pensez que vous avez encore de nouvelles choses à dire vous êtes les bienvenus.
Merci à vous et belle fin d’après-midi.
On va faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : La pause musicale est un choix de Joseph Garcia qui est membre de l’équipe récemment créée « Musique pour Libre à vous ! », dont Valentine fait d’ailleurs également partie. Sur la radio, Joseph s’occupe aussi de la réalisation de l’émission Les Contes, c’est du Sérieux qui est diffusée chaque deuxième dimanche du mois à 20 heures 30.
Nous allons écouter The Hole par Moma Swift. On se retrouve dans quatre minutes. Belle journée à l’écoute de cause commune la voix des possibles

Pause musicale : The Hole par Moma Swift.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter The Hole par Moma Swift, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By 3.0. Je remercie encore Joseph Garcia pour cette belle découverte.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique « La pituite de Luk ».

[Virgule musicale]

Chronique « La pituite de Luk » – « Dark pattern »

Frédéric Couchet : La pituite de Luk est une chronique rafraîchissante au bon goût exemplaire qui éveille l’esprit et développe la libido. Il a été prouvé scientifiquement qu’écouter la pituite augmente le pouvoir de séduction, augmente le succès dans les affaires ou aux examens et décuple le sex-appeal. Retour de l’être aimé, il reviendra manger dans votre main comme un petit chien. Je précise que c’est la description de Luk, qui, évidemment, n’engage que lui.
Le thème du jour « Dark pattern ». On se retrouve juste après.

[Virgule sonore]

Luk : J’ai découvert, avec un certain plaisir, que l’Europe s’attaque de nouveau à Meta. L’Europe lui reproche, cette fois-ci, ses dark patterns qui, insidieusement, génèrent de la dépendance. Elle s’inquiète particulièrement des effets sur la santé mentale des plus jeunes et se demande si, des fois, Meta ne ferait pas tout le nécessaire pour protéger leur psychisme.

Toujours pour protéger notre précieuse jeunesse européenne, les Pays-Bas ont infligé une amende pas très haute non plus à Epic, l’éditeur de Fortnite. Là aussi, ce sont ses dark patterns qui ciblent les enfants qui sont mis en cause. Ce n’est pas une première, en 2022, les États-Unis alignaient l’éditeur pour sensiblement les mêmes raisons à hauteur de 500 millions. Les Néerlandais arrivent deux ans plus tard avec une prune ridicule d’1,1 million. Ils comptent sans doute sur l’effet comique de leur démarche pour faire rigoler les VP d’Epic et obtenir gain de cause à la pitié.
Mais ce n’est pas tout, un groupement d’associations de consommateurs européens, le BEUC [Bureau Européen des Unions de Consommateurs], attaque également les dark patterns. Cette fois, c’est Temu, le site marchand chinois qui est sur le grill.

Les dark patterns se retrouveraient-ils soudainement en pleine lumière ? Pour les situer un peu, il s’agit de dispositifs destinés à manipuler l’utilisateur afin qu’il fasse telle ou telle chose. En général, dépenser plus de fric.

Les dark patterns sont protéiformes et appliqués dans des domaines différents.
Ils peuvent consister en un gros bouton super visible pour accepter tous les cookies, alors que pour les refuser, il faut cliquer sur un petit lien discret.
Ils s’appliquent volontiers dans le commerce avec des promotions bidons qui affichent des prix barrés délirants qui laissent croire qu’on fait une super affaire ; ou encore un compte à rebours de validité de l’offre qui débouchera sur le même résultat qu’une tentative de lancement de la capsule Starliner de Boeing.
Ça peut également être une inscription validée en un battement de cil, mais une désinscription dont la procédure est cachée au fond d’une crypte, gardée par des goules affamées, nécessitant d’expédier par pigeon voyageur assermenté une lettre signée de son propre sang et cachetée à la cire.
On trouve des dark patterns partout, l’imagination des marketeux et commerciaux qui défèquent ce genre de fonctions est sans limites.
Je connais des power users de systèmes privateurs qui s’en accommodent bien. Ils savent éviter les chausse-trappes. J’en connais beaucoup d’autres qui ne sont pas câblés pour ce genre de chose et qui se font avoir.

À l’époque où j’usais mes cordes vocales sur les stands de l’April, j’ai souvent expliqué qu’un des agréments de GNU/Linux, et du logiciel libre en général, est la tranquillité d’esprit. Les utilisateurs des GAFAM ne savent pas ce que c’est que d’allumer un PC ou un téléphone en toute quiétude. C’est comme rentrer chez soi, enfiler ses pantoufles et se détendre. Sauf, bien sûr, si on a connu Ubuntu avec sa recherche Amazon intégrée.
Alors que les dark patterns, ce serait plutôt comme rentrer dans le logement qu’on partage avec une personne toxique qui nous applique une pression constante, mais avec laquelle on vit depuis tellement longtemps qu’on n’en a même plus conscience.

Le terme dark pattern a émergé dans le monde du numérique, mais il n’en est pas du tout un monopole. Qu’on examine la façon dont est organisée la grande distribution : c’est du dark pattern dans le monde physique. L’organisation de l’espace du magasin, les têtes de gondoles, les prix, tout est pensé pour piéger le client. En politique également, j’ai personnellement eu à subir un dark pattern éculé consistant à faire barrage à l’extrême-droite en votant pour des gens qui se sont consciencieusement attachés à la faire monter.

Si les dark patterns sont la norme, alors peut-être que leur invocation contre un acteur économique est un prétexte pour aller taper arbitrairement sur un acteur qui nous déplaît ? Par exemple, en Inde, Temu n’est pas un problème, c’est Amazon qui est attaqué.

Cette attaque contre Temu me chagrine donc particulièrement. Il faut voir à long terme et travailler sa note sociale tout de suite, en prévision du moment où ils nous plieront le genou devant l’Empire chinois. Ainsi, je veux bien croire que Meta ou Epic mettent en œuvre des dark patterns, mais Temu non. J’aimerais pouvoir invoquer le rasoir de Hanlon selon lequel il ne faut pas attribuer à la malveillance ce qui peut être expliqué par la stupidité. C’est un outil puissant, grâce à lui, on peut se laver du soupçon de tous les coups pourris à condition de jouer au débile. Mais affirmer que les gens de Temu sont stupides risque de ne pas améliorer ma note sociale. J’affirme donc que Temu œuvre pour notre bonheur et notre bien-être. Ce n’est rien de moins que la Pax Sinica qui nous est proposée. Et si les moyens mis en œuvre pour nous faire sauter le pas, ressemblent à des dark patterns, c’est pour mieux nous faire sortir de notre caverne de Platon, afin d’entrer directement dans celle d’Alibaba.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : C’était la chronique « La pituite de Luk ».
Je fais une demande spéciale, pour la prochaine saison, à Luk et Gee. Je pense que nous serions preneurs et preneuses d’un duo vu votre humour, franchement ! Au moins une émission spéciale. C’est une demande que j’envoie et j’enverrai aussi un message à Luk.

Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques menues annonces

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois à partir de 19 heures dans les locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e arrondissement. Une réunion d’équipe ouverte au public avec apéro participatif à la clé. L’occasion de découvrir le studio, de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée-rencontre aura lieu le vendredi 7 juin 2024 et je serai présent à cette soirée.

Le Premier Samedi du Libre aura lieu ce week-end, samedi 1er juin 2024 à la Cité des sciences et de l’industrie à partir de 14 heures. L’occasion de découvrir des logiciels libres, de vous faire aider pour installer des logiciels libres et également des conférences.

Il y a également le festival Pas Sage en Seine qui commence ce jeudi 30 mai et qui se termine dimanche 2 juin. Le festival a lieu à Choisy-le-Roi en Île-de-France ; présence de l’April avec un stand et deux conférences.

Je vous en parlais tout à l’heure, le 10 juin 2024, à Lyon, il y a les Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre avec notamment la présence de KPTN, il sera sous son nom officiel de Clément Oudot et parlera plutôt de logiciel libre et de technique. Allez lui faire un petit message pour le remercier pour ses musiques. Il y aura un stand de l’April et ma collègue Isabella sera également présente.

Toujours dans les événements, je peux citer les Rencontres Scenari 2024. Scenari est une suite logicielle libre de conception et d’utilisation de chaîne éditoriale pour la création de documents multimédias. Les Rencontres Scenari auront lieu du lundi 3 juin au vendredi 7 juin 2024 à Toulouse. Si vous voulez en savoir plus sur Scenari, vous pouvez écouter l’émission 166 de Libre à vous !, donc sur libreavous.org/166.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Gee, Valentine Ogier-Galland, Nicolas Chauvat, Luk
Aux manettes de la régie aujourd’hui, merci Élise.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.

Si vous écoutez ce message, c’est parce que vous êtes restés jusqu’à la fin de cette émission, pour cela merci à vous. D’ailleurs, aujourd’hui, on voulait particulièrement remercier Bruno Dewailly, j’espère que je prononce bien le nom, qui nous a laissé un commentaire suite à l’émission 206 du 23 avril dernier dont le thème était « Retour d’expérience logiciels libres au lycée Carnot ». Je lis son commentaire : « Une émission fantastique, avec deux professeurs de NSI [Numérique et sciences informatiques] du lycée Carnot de Bruay-la-Buissière. J’ai appris une tonne de choses avec peu d’effort tant la pédagogie et les travaux de tous les intervenants est d’une très grande qualité ! Bravo et grand merci à tous les acteurs ! »
N’hésitez pas à faire de même et à nous laisser un commentaire sur la page consacrée à l’émission du jour, sur libreavous.org/209.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 4 juin 2024 à 15 heures 30. Notre sujet principal sera « Au cœur de l’April », l’occasion d’en savoir plus sur notre association et les membres qui la font vivre.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 4 juin 2024 et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Média d’origine

Titre :

Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 mai 2024 sur radio Cause Commune

Personne⋅s :
- Frédéric Couchet - Gee - Luk - Nicolas Chauvat - Valentine Ogier-Galland
Source :

Podcast

Lieu :

Radio Cause Commune

Date :
Durée :

1 h 30 min

Autres liens :

Page de présentation de l’émission

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure.
Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’aimable autorisation d’Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.