Émission Libre à vous ! diffusée mardi 13 juin 2023 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir 1 h 30 d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Les modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique d’Antanak en début d’émission, je vous révélerai le thème juste après. Et, en fin d’émission, la chronique de Vincent Calame intitulée « Le Monde en parle ».

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire tout retour ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 13 juin 2023. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission du jour, ma collègue Isabella Vanni. Bonjour Isa.

Isabella Vanni : Bonjour. Bonne émission.

Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » avec Antanak : « Le reconditionnement pour tous »

Frédéric Couchet : « Que libérer d’autre que du logiciel », la chronique d’Antanak. Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées mises en actes et en pratiques au sein du collectif : le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par toutes et tous.
Bonjour Isabelle.

Isabelle Carrère : Bonjour.

Frédéric Couchet : Quel est le thème de la chronique du jour ?

Isabelle Carrère : C’est une private joke parce que Fred trouve que je ne dis pas assez vite, dans le mois, ce que va être mon sujet. Mon sujet Fred, c’est le reconditionnement pour tous.

Frédéric Couchet : Nous t’écoutons.

Isabelle Carrère : Pourquoi ? Nous avons été invités, c’est une grande première, par la mairie de Paris dans le cadre d’un groupe de travail Paris Action Climat Biodiversité, c’est beau !, notamment par la Direction de ce qu’ils appellent la transition écologique [Direction de la Transition Écologique et du Climat]. Définitivement, « transition écologique » est un terme que je n’aime pas du tout, je ne le comprends pas bien. Si on était dans le cadre d’une transition ça se saurait, je ne vois pas transition de quoi vers quoi. Quand Hopkins avait lancé ce terme, en 2005, il avait peut-être particulièrement quelque chose à en dire et lui était sur la permaculture. Bref ! Là, la transition écologique au sens large, je ne vois pas. Enfin ça ne fait rien ! On ne va pas être bégueules, nous étions invités, nous sommes venus.

J’étais d’autant plus contente de ça qu’il y avait avec nous Fanny Cohen de la mairie de Paris, il y avait quelqu’un que, je pense, les auditeurs et auditrices de l’April connaissent bien, Samuel Sauvage de HOP, Halte à l’Obsolescence Programmée, ainsi que des gens d’Emmaüs Connect dont je parlerai après.
C’était bien parce que Samuel Sauvage a repris un certain nombre de faits très parlants et marquants de ces questions, notamment la question du tonnage d’extraction des ressources dans le monde, l’évolution depuis 1970, autour de quatre fois entre 1970 et maintenant, 2020/2023. Il a reposé la question des ressources nécessaires à la fabrication d’un ordinateur, juste quelques chiffres, comme ça, parce que c’est toujours sympathique de s’en souvenir régulièrement : une tonne et demie d’eau, 800 kilos de matières premières, 240 kilos de combustibles fossiles et 22 kilos de produits chimiques. Ça fait bizarre. Eh bien oui ! Et ensuite les émissions de carbone, toujours en hausse malgré les bonnes paroles et les promesses, ici ou là, avec une orientation de trois fois plus en 2050 que celles de 2020 si on ne fait rien d’autre.
C’est peut-être de cela dont ils veulent parler quand ils parlent de la transition, mais je ne sais pas où est le début.

Il a ensuite recentré sur les différents réflexes potentiels de consommation plus durable tels que l’allongement de la durée d’utilisation des matériels et produits du numérique, l’achat, l’usage de matériels reconditionnés. C’est là que nous, du coup, nous intervenions juste après lui. En fait, j’ai demandé que ce soit Emmaüs Connect qui parle avant nous. Vous allez comprendre pourquoi.
Emmaüs Connect a donc commencé à parler notamment de son travail de collecte. Emmaüs Connect fait partie du groupe Emmaüs, ils ne sont pas exactement des reconditionneurs puisqu’ils sous-traitent le reconditionnement, donc eux collectent, ils ont une logistique phénoménale, ils sont très doués pour ça, ils ont tous les contacts avec les entreprises, etc.
Ensuite il y a notamment deux, peut-être d’autres, en tout cas deux structures d’insertion qui ont vocation à bénéficier d’emplois aidés, Ateliers Sans Frontières et Ecodair, par ailleurs tous deux membres du réseau Refis. Emmaüs Connect sous-traite vers eux toutes les opérations de reconditionnement.

Du coup c’était assez intéressant de pouvoir indiquer, et c’est pour cela que mon titre c’était « Reconditionnement pour tout le monde ». On aimerait bien, à Antanak, qu’on arrête définitivement de penser que le reconditionnement ce n’est que pour les pauvres et que ça serait uniquement pour ceux qui n’ont pas d’argent, pour ceux qui ne peuvent pas faire autrement, pour ceux et celles qui, en attendant, vont d’abord avoir un matériel reconditionné, puis plus tard, quand ils seront riches, ils vont s’acheter un vrai ordinateur.
Tout cela est déprimant, dépitant. Du coup j’étais vraiment contente de pouvoir marquer, si ce n’est la différence, en tout cas ce point-là par rapport à Emmaüs Connect et aux autres. Tous les gens, pas tous mais une bonne moitié de la salle quand même, prenait des notes sur des ordinateurs. J’ai posé la question : sont-ce des ordinateurs reconditionnés que vous avez tous, là, membres de ce groupe de travail sur la transition ? On a rigolé, mais on ne m’a répondu !

En tout cas ça m’a permis de reparler de cela, ça m’a également permis de reparler de la question du droit d’usage puisque, pour nous à Antanak – peut-être que je radote pour celles et ceux qui ont déjà écouté – le droit d’usage est une chose vraiment importante : indiquer qu’on n’a pas obligatoirement besoin, sur cette planète, d’être propriétaire de ce qu’on utilise et qu’on peut partager les choses comme si c’était momentanément à moi. Mais qu’est-ce que ce « à moi » veut dire ? On ne sait pas trop. Il n’y a besoin de quoi que ce soit d’autre que « c’est à ma disposition » ou « je peux l’avoir quand j’en ai besoin ». Bref ! Je pense que de plus en plus, maintenant, les gens comprennent bien cette notion-là. Du coup à Antanak, quand on confie un ordinateur, on commence à avoir des personnes qui viennent et qui nous disent : « Ça c’était bien pour la période que je viens de vivre. Maintenant j’ai besoin d’autre chose, est-ce que je pourrais avoir un autre ordinateur ? ». On dit « oui super ». On reprend celui-là, on en donne un autre, parce qu’ils sont passés étudiant, il faut quelque chose de plus léger, quelque chose de plus rapide, que sais-je, quelles que soient les raisons des personnes.

C’était plutôt pas mal. À la fois nous étions contents d’être reçus par tout ce monde-là parce que Antanak est plutôt une petite structure, et puis d’avoir l’opportunité, l’occasion, de raconter des choses qui nous importent là-dessus.

J’ai également appris que la mairie de Paris à pour projet d’ouvrir, en tout cas de soutenir — je n’ai pas très bien compris — l’ouverture d’une recyclerie numérique à Paris. Je ne sais pas ce que c’est, je ne sais pas ce que ça va être. Il y a quatre grands projets, ont-ils dit, dont une recyclerie numérique. On va voir.

En tout cas, j’en profite pour finir cette chronique ici : si vous connaissez, auditeurs et auditrices, des structures qui font un petit peu dans leur coin du reconditionnement, il serait important pour nous que le Réseau REFIS s’agrandisse. On reçoit de plus en plus de matériel en nombre important et plus on peut le partager, le mutualiser, mieux on se portera.

Frédéric Couchet : Rappelle-nous ce que veut dire Réseau REFIS.

Isabelle Carrère : C’est une bonne remarque. Le réseau REFIS c’est le Réemploi francilien & informatique solidaire. On a créé ça en 2021 et il y a désormais une douzaine de structures.

Frédéric Couchet : Merci. Tu as cité Ecodair, une des structures qui participe au Réseau REFIS, ordinateurs reconditionnés. Je précise que les ordinateurs de l’April, notamment nos ordinateurs portables, viennent de chez Ecodair, nous les avons achetés chez Ecodair, celui qui est en face de moi, celui qui est utilisé par Isabella. Peut-être que dans quelques semaines ou quelques mois il y aura des annonces intéressantes autour d’Ecodair et de pré-installations de laptops avec du logiciel libre par défaut.

Isabelle Carrère : Oui, c’est la bonne nouvelle.

Frédéric Couchet : Mais ce n’est pas encore confirmé.

Isabelle Carrère : Mais si !

Frédéric Couchet : Je rappelle que vous êtes nos voisines : Antanak est au 18 rue Bernard Dimey, la radio Cause Commune est au 22, et le site d’Antanak c’est antanak.com, Antanak avec un « k ».

Isabelle Carrère : Absolument. Merci.

Frédéric Couchet : Je pense qu’on se retrouvera probablement plutôt en septembre pour la prochaine chronique, on va finir fin juin/début juillet Libre à vous !. En tout cas, c’était un grand plaisir d’avoir cette année ta présence. Avec grand plaisir on te retrouvera début septembre ou courant septembre pour la prochaine chronique d’Antanak.
Merci Isabelle. Je te souhaite une belle fin de journée.

Isabelle Carrère : Super. Merci, vous aussi.

Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlerons de modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre.
Je précise que les pauses musicales du jour ont été choisies par l’une des invitées, Valentine Ogier-Galland, qui va intervenir dans le prochain sujet. Pour présenter cette pause musicale, je vais passer la parole à quelqu’un qui est bien mieux placé que moi pour la présenter, ma collègue Isa.

Isabella vanni : Bonjour. Il se trouve que la première pause musicale s’appelle Tarentella napoletana. Ça vient d’Italie, pas exactement d’où je viens, je viens du centre de l’Italie.
Les tarentelles sont des danses populaires, folk, typiques de l’Italie du Sud. Pourquoi s’appellent-elles tarentelles ? Il y a plusieurs hypothèses historiques : ça peut venir de la ville de Taranto, une ville des Pouilles, la tarentelle naît dans les Pouilles et après, bien sûr, elle se diffuse dans tout le sud de l’Italie, par exemple Naples, mais aussi la Sicile. Ça peut venir de cette ville ou ça peut venir d’une araignée très venimeuse qui s’appelle tarentula. Il paraît quand on était mordu par cette tarentula, on devenait un peu fou, on commençait à danser avec beaucoup de fureur, de dynamisme, pour se soigner, en fait pour se purger du venin, du poison contenu dans la morsure de l’araignée. Ce sont des danses très marrantes qu’on danse en couple, collectivement aussi, avec des tambourins, un petit accordéon, souvent de la guitare, de la mandoline selon les cas. Je suis très contente que cette chanson ait été choisie. Je pense qu’elle va nous donner de la bonne humeur.

Frédéric Couchet : Préparez-vous à danser de façon collective. Nous allons écouter Neapolitan Tarantella par Mon Violon.

Pause musicale : Neapolitan Tarantella par Mon Violon.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Neapolitan Tarantella par Mon Violon, disponible sous licence Art Libre.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Passons maintenant au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre avec Valentine Ogier-Galland, membre du Studio Agile et de la coopérative d’activités Crealead, et Nicolas Chauvat,fondateur et dirigeant de Logilab

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur les modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre. C’est une proposition que j’ai reçue lors d’une récente émission consacrée aux systèmes de gestion de versions décentralisés à laquelle avait participé Nicolas Chauvat avec Cécilia Bossard. Après, devant un verre, il m’avait parlé d’un de ses projets. J’ai dit « ça me paraît très intéressant ! ».
Nos invités sont Nicolas Chauvat fondateur et dirigeant de Logilab. Bonjour Nicolas.

Nicolas Chauvat : Bonjour.

Frédéric Couchet : Notre autre invitée, qui est aussi au choix des musiques aujourd’hui, c’est Valentine Ogier-Galland, membre du Studio Agile et de la coopérative d’activités Crealead. Bonjour Valentine.

Valentine Ogier-Galland : Bonjour.

Frédéric Couchet : N’hésitez pas à participer à notre conversation soit sur le salon web dédié à l’émission sur causecommune.fm, bouton « chat » ou par téléphone au 09 72 51 55 46.
Avant de commencer par le sujet, on va commencer par la question classique de présentation. Que faites-vous dans la vie ? Qui êtes-vous ? On va commencer par Valentine.

Valentine Ogier-Galland : J’accompagne les entreprises soit en agilité soit en documentation technique, depuis pas mal d’années maintenant, en Europe. Pour ce faire, je fais partie d’une coopérative d’activités qui s’appelle Crealead. J’ai rencontré Nicolas parce que nos enfants étaient dans la même école.

Frédéric Couchet : Donc Nicolas Chauvat.

Nicolas Chauvat : Je m’appelle Nicolas Chauvat. J’ai fait des études d’ingénieur et, après, un peu de recherche en informatique. J’ai découvert le logiciel libre à cette époque-là. En 2000, j’ai créé, avec d’autres personnes, une société qui s’appelle Logilab, qui a toujours fait du logiciel libre. Il se trouve qu’au début on essayait de faire des agents intelligents. On a abandonné depuis, mais c’est maintenant que c’est en train de fonctionner, c’est assez amusant de voir que ça fonctionne 20 ans après. On joue avec ces choses-là en ce moment.
Si on a eu envie de créer une société, c’est parce que les cadres dans lesquels on avait travaillé ne nous convenaient pas, on ne s’imaginait pas travailler dans ces cadres-là pendant 20 ou 30 ans. On s’est dit non !, il faut que ça fonctionne autrement. Dès le départ, on a donc essayé de faire les choses différemment à Logilab, avec une organisation plus horizontale et peut-être avec des choses qui ressemblaient plus aux valeurs qui étaient les nôtres et qui étaient, de notre point de vue, aussi celles du logiciel libre. Longtemps après, 10 ans après, en lisant des choses, on s’est dit « il y a d’autres gens qui essayent de faire ça, ça porte un nom dans la littérature, on a l’impression que ça s’appelle entreprise libérée ». On a continué à s’intéresser à ces sujets-là, on a continué à discuter avec les autres entreprises qui, comme nous, faisaient du logiciel libre, qu’on pouvait croiser sur des salons, à des conférences, etc.
Quand je t’ai parlé de cela la dernière fois, c’est parce que ça faisait déjà deux ou trois ans que, sur des salons ou à des conférences, j’allais voir les autres entreprises en disant « vous aussi vous avez lu des trucs sur l’entreprise libérée ? Comment faites-vous ? Ne voudriez-vous pas qu’on se réunisse pour en discuter ? ». En discutant avec Valentine je lui ai dit « j’aimerais bien essayer de faire ce travail plus sérieusement. Toi aussi tu participes à des conférences. ». On en est arrivé à dire qu’on pourrait essayer de prendre un petit peu de temps pour faire des entretiens avec des entreprises qui ont les mêmes aspirations, voir comment elles ont résolu les problèmes d’organisation, parce que ce n’est pas donné, ce n’est pas vraiment le modèle dominant, il faut donc un peu expérimenter, trouver des solutions, et puis essayer de rediffuser tout ce qu’on arrive à collecter et on t’a proposé de le diffuser à l’intérieur de l’April et de Libre à vous !

Frédéric Couchet : Pour une introduction personnelle, tu as abordé aussi l’introduction globale du projet. On va y revenir, c’est très bien. Ceci dit, quand tu m’as parlé de ce projet-là, j’ai trouvé cela très intéressant. Il y a une supposition, en tout cas une constatation que dans les entreprises du logiciel libre, en tout cas dans certaines, pas dans toutes, il y a une volonté de transposer peut-être les valeurs du logiciel libre, en tout cas d’implémenter des modèles d’organisation qui ne sont pas hiérarchiques, qui sont pas plus ouverts. Encore une fois ce ne sont pas toutes les entreprises du logiciel libre.
On va revenir un petit peu à votre projet. On a un peu compris le démarrage : la genèse, ce sont plus des réflexions internes au niveau de Logilab et des discussions avec d’autres personnes. Valentine, comment es-tu entrée là-dedans en fait ?

Valentine Ogier-Galland : On a découvert qu’on avait un intérêt commun justement pour les organisations ouvertes en mettant en place des outils ouverts de management visuel à l’école de nos enfants. Je ne m’attendais pas forcément à trouver un complice. Quand il a commencé à me parler de ce projet, à creuser un peu le sujet, ça a vraiment piqué ma curiosité en particulier parce que, avec mon activité, je vois beaucoup d’entreprises qui sont en difficulté d’organisation, qui viennent pour des solutions, et j’étais très curieuse de pouvoir parler à des sociétés qui ont quelques années d’existence, plusieurs années, qui ont validé leur modèle d’organisation et où ça va bien, qui n’ont pas besoin de moi. C’était la première chose.
La deuxième chose, c’était que j’utilise personnellement des logiciels libres, ça a toujours été quelque chose de normal, mais, pendant très longtemps, je n’ai pas vraiment compris comment les entreprises du logiciel libre vivaient dans un monde capitaliste et comment elles faisaient pour mettre en cohérence leurs valeurs du Libre et le reste du fonctionnement d’une entreprise.

Frédéric Couchet : D’accord. L’idée de ce projet c’est de faire une enquête. Est-ce que vous aviez des objectifs précis au départ ? C’est comprendre ?

Valentine Ogier-Galland : Les objectifs ont pas mal changé !

Frédéric Couchet : Quels sont les objectifs de départ ? Quels sont les objectifs d’aujourd’hui ? Avant de parler de la méthodologie que vous avez employée.

Nicolas Chauvat : Ils sont fluctuants. Ça ne veut pas dire qu’il n’y en pas, ça veut dire qu’on les reforme au fur et à mesure qu’on avance.
Tout au début, quand on a commencé, quand on disait « on fait une entreprise logiciel libre », les gens nous disaient : « Vous êtes gentils, vous êtes jeunes, ça va vous passer, ça passe à tout le monde ».

Valentine Ogier-Galland : C’est une phase !

Nicolas Chauvat : C’est une phase ! Quand, au départ, on faisait du Python ils nous disaient : « Ce n’est pas grave, vous ferez du Java » ; maintenant tout le monde fait du Python ! Ceux qui nous l’ont dit il y a 20 ou 25 ans ne sont peut-être plus là aujourd’hui pour nous le dire. Il y avait aussi cette idée de dire que si, si on a une entreprise qui fonctionne sur ces bases-là depuis 20 ans, c’est que ça fonctionne. Après on peut toujours discuter, rentrer dans les détails, voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, mais on sait que ça fonctionne. Il y a une première envie qui est de dire : vous voyez, il y a 20 ans vous nous avez dit que ça ne pouvait pas marcher, eh bien, aujourd’hui, on a une démonstration que ça peut marcher.

Valentine Ogier-Galland : On existe et on n’est pas tout seuls.

Nicolas Chauvat : On existe. Une deuxième chose, en effet nous ne sommes pas tout seuls, beaucoup d’autres l’ont fait. Maintenant le faire marcher ce n’est pas gratuit, ça demande des efforts, il y a des problèmes, ça demande de trouver des solutions, etc. Une curiosité c’est de trouver le temps, parce que ça en demande, de dire aux autres « et vous comment avez-vous fait ? Avez-vous rencontré ce problème-là ? Comment l’avez-vous résolu ? ». Voir ce qu’on a en commun, ce qui diffère et éventuellement ce qu’on peut aller prendre chez les autres et réutiliser chez nous ou améliorer chez nous, etc., parce qu’il y a toujours ce souci d’essayer d’améliorer. C’est un peu comme l’agilité, il y a une adaptation permanente et ce sont des choses sur lesquelles, il me semble, nous sommes tombés rapidement d’accord avec Valentine.

Frédéric Couchet : Valentine.

Valentine Ogier-Galland : Et aussi, assez rapidement, on s’est aperçu que ces outils qu’on pourrait aller récupérer dans d’autres entreprises qui travaillent avec ces organisations ouvertes — une nouvelle façon, une autre façon de s’organiser — pouvaient aussi servir à des gens qui ne savent pas comment se lancer, qui veulent faire autre chose, qui sont au tout début et pouvoir leur dire : regardez, ailleurs ils font ça, ils font aussi ça. C’est arrivé petit à petit quand on a commencé à en parler et à faire des interviews.

Frédéric Couchet : Quelle est la méthodologie ? C’est basé sur l’enquête ? C’est ça ? La lecture de documents qui existent déjà ? La littérature plus ou moins scientifique ?

Valentine Ogier-Galland : On a commencé par faire un état de l’art. On a commencé par lister ce qu’on a lu, d’où on part, et ensuite on a fait le tour des entreprises que l’on connaissait, dont on savait qu’elles avaient un fonctionnement un peu atypique et à qui on avait envie de poser des questions. À ce moment-là, on a aussi préparé une liste de thématiques. On disait « on va parler de toutes ces choses-là, de tous ces thèmes ». On s’est dit qu’il allait y avoir des positionnements forts sur ces thèmes et sur chaque thème on va trouver des outils correspondants. Ce n’est pas ce qui s’est passé !

Frédéric Couchet : Juste pour donner une idée aux gens, vous aviez au départ 11 thématiques, en tout cas, sur la page qui est consacrée au projet il y a 11 thématiques :

  • Vision et stratégie à long-terme
  • Principes et valeurs
  • Rémunérations
  • Dialogue social
  • Comptabilité et gestion financière
  • Statut
  • Quand c’est compliqué, je pense que c’est un point essentiel, parce que quand tout va bien, c’est plus simple,
  • Croissance ou non
  • Travail quotidien
  • Action commerciale
  • Coopétition

Vous êtes partis sur ces thématiques, mais finalement ça a switché, ce n’est pas ce qui s’est passé dans la pratique. C’est ça ?

Nicolas Chauvat : Si. Pour les gens qui s’intéresseraient à ce projet, je pense que sur le site de l’émission Libre à vous ! il y a un lien vers le site du projet, qui est un micro site, en gros il y a deux pages. Comme le disait Valentine, il y a une page avec un état de l’art, c’est-à-dire qu’on a essayé de se souvenir un peu tout ce qu’on avait lu, qui se rapportait à ce sujet-là, et d’en faire une liste, comme ça, quand on en parle aux gens, on dit : « Regardez, le cadre général c’est celui-là » ; souvent les gens retrouvent des références qu’ils connaissent. Sur l’autre page on a mis la liste des thèmes que tu viens de citer et ça nous permet, quand on parle du projet aux gens, de dire « on avait parlé de ça il y a un an, regarde, là ça devient concret, on s’est lancé, est-ce que tu es prêt à discuter avec nous ? ». Souvent on nous dit : « Je ne sais pas, il faut voir. — Pour voir, tu vas sur le site et tu verras dans quel cadre on fait ça. »
Je pense que ce qu’essayait de dire Valentine en disant que ça a changé c’est qu’au début on s’est dit qu’on allait structurer les entretiens et, en fait, en ce moment ce n’est pas ce qui se passe. On essaye de cadrer les entretiens en une heure, d’abord parce qu’il faut que ça tienne dans l’emploi du temps de tout le monde et, des fois, on n’avait pas cadré, ça a duré deux heures et demie, ça met en l’air le planning de la journée, ce n’est pas idéal. Donc on essaye de faire ça en une heure et si ça ne tient pas en une heure, on se demande s’il faut qu’on se revoie ou pas. Du point de vue de la méthodologie c’est à cela que ça ressemble.
Valentine prend des notes, moi je n’arrive pas à prendre des notes, j’enregistre et je me dis qu’après je vais arriver à faire une transcription. Il faudra que Marie-Odile m’explique comment elle fait parce que ça prend vachement de temps !

Frédéric Couchet : Elle y passe du temps ! Elle est en ligne sur le salon web de la radio.

Nicolas Chauvat : Ce n’est pas facile. Si elle a des astuces, je suis preneur.
Ça, c’est pour le côté méthodologique.
Les gens qui acceptent de nous répondre ont envie de parler de leur structure. Une des choses qu’on partage c’est le fait d’avoir eu envie d’organiser les choses autrement, de manière plus horizontale, d’avoir eu beaucoup de gens autour qui ont dit « ça ne marchera pas ». Et puis, quelques années après, ils savent que ça marche, donc ils ont envie d’en parler, ils sont motivés pour en parler. À la limite il suffit de s’asseoir, d’écouter et ils racontent. On n’a pas vraiment besoin de leur poser de questions.

Frédéric Couchet : Quand vous avez listé ces thématiques, vous aviez sans doute des hypothèses de départ, forcément de par vos pratiques. Est-ce que vous aviez des hypothèses de départ assez fortes ?

Valentine Ogier-Galland : Déjà, les thématiques ont été écrites, ont été listées en se disant « c’est là, c’est dans ces domaines qu’on va voir des différences ». C’était la première hypothèse.
Après, on s’attendait à quelque chose, à un choix différent, peut-être un ou deux choix différents dans chaque thématique, et que certaines thématiques seraient finalement peut-être moins atypiques, qu’on pourrait être standards dans certaines thématiques et pas dans d’autres.
Par l’exemple, dans les premières discussions qu’on a eues, on n’a pas fait d’hypothèse, parce qu’on n’était pas vraiment d’accord : est-ce que le statut officiel – si c’est une société, une coopérative, une association – a un véritable impact sur l’ouverture, sur les valeurs, sur la façon de s’organiser ou est-ce que, finalement, étant donné qu’on peut avoir une coopérative extrêmement verticale et une société extrêmement horizontale, le statut n’a pas d’impact ? Moi étant dans une coopérative et Logilab étant une société, nous avions des visions un peu différentes.

Nicolas Chauvat : C’est un des intérêts d’être à plusieurs, là on est deux : on n’est pas du même avis, ça permet de discuter. On ne vient pas avec les mêmes à priori, pas forcément les mêmes hypothèses, pas forcément les mêmes motivations. On a suffisamment de choses en commun pour se lancer dans ce projet tous les deux et y passer du temps chaque semaine ; le fait d’avoir des points de vue différents c’est l’occasion d’en discuter.
Au début, j’aurais dit qu’on peut avoir une société anonyme horizontale et une coopérative verticale. Je n’ai pas vu de démonstration de l’inverse. Je ne sais si ce qu’on a vu confirme ou non cet à priori-là, ça fait partie des choses qu’il faut continuer à questionner.

Valentine Ogier-Galland : J’aurais tendance à dire que c’est plus compliqué que ce que je pensais au départ. Je penchais relativement du côté où ça faisait une différence et, en fait, ça ne fait pas forcément la différence à laquelle je m’attendais.

Frédéric Couchet : On va préciser que votre projet est en cours. C’est une première émission, nous aurons le plaisir de vous avoir de nouveau lors de la prochaine saison, parce que ce n’est pas encore terminé. Vous allez nous parler des premières tendances, mais ce n’est pas encore finalisé, il y a encore un travail d’entretiens. Quand on a préparé l’émission, au-delà de vos convergences, ce qui est intéressant ce sont aussi vos approches différences, vos potentielles divergences.
Ce sont des entreprises du Libre. Comment les avez-vous choisies ? Et, pour l’instant, avec quels types d’entreprises avez-vous fait un entretien ? Est-ce que c’est au niveau géographique ? Au niveau taille d’entreprise ? Au niveau statut ?

Valentine Ogier-Galland : On les connaissait.

Frédéric Couchet : Vous les connaissiez. Il y a eu combien d’entretiens, à peu près combien d’entreprises ?

Nicolas Chauvat : Je crois qu’on est à six. Il y a au moins autant, si ce n’est le double, d’entreprises qu’on connaît, à qui on a déjà parlé du projet, qui ne seraient pas contre nous répondre. Je ne sais pas si l’émission fera naître des vocations. Si c’est le cas, ce serait intéressant.

Frédéric Couchet : On l’espère !

Valentine Ogier-Galland : Vous êtes les bienvenues.

Nicolas Chauvat : On pourrait probablement en trouver plusieurs dizaines. Après, il faut que nous ayons le temps, parce qu’on fait ça comme un projet à côté, c’est un de nos projets libres à côté. Je voudrais ajouter que quand nous nous sommes lancés là-dedans, on a demandé à l’April si elle trouvait le projet intéressant, donc, en quelque sorte, on a reçu le soutien de l’April qui nous a dit : « On trouve que tel que c’est décrit c’est intéressant et, si vous produisez des résultats qui nous semblent mériter d’être diffusés, on vous aidera à le faire. » Il me semble donc que c’est ce que tu fais aujourd’hui avec Libre à vous !.

Frédéric Couchet : Tout à fait.

Nicolas Chauvat : On a eu le même soutien de Framasoft. Framasoft a mis deux conditions, je me souviens de la première : vous n’avez pas le droit de vous épuiser.

Valentine Ogier-Galland : Cette condition été vraiment quelque chose d’important. Tous les gens impliqués dans le projet doivent pouvoir le faire à leur rythme : pas de deadline trop courte parce qu’il ne faut pas s’épuiser. La deuxième condition, pour avoir leur soutien, étant que nos résultats doivent être en licence libre.

Frédéric Couchet : C’est vrai que je ne vous ai pas imposé ça parce que, pour moi, c’était logique.

Valentine Ogier-Galland : C’est assez logique, mais c’est bien de le dire.

Frédéric Couchet : C’est bien de le dire et la première condition c’est effectivement aussi très important.

Valentine Ogier-Galland : Ça changé la façon dont j’ai fait certains choix en disant « là ça va faire trop ». Ça veut dire que le projet ira peut-être moins vite que ce que l’on souhaiterait. Nous sommes tous les deux assez perfectionnistes et assez impatients de voir le résultat final, mais je pense que c’est OK.

Frédéric Couchet : Il y a le choix des entreprises. On a compris que ce sont celles que vous connaissiez, mais que vous êtes évidemment intéressés par des candidatures « spontanées », entre guillemets, d’entreprises qui se reconnaîtraient là-dedans. Comment ça se passe une fois qu’une entreprise est choisie : est-ce que c’est une personne qui est interrogée, est-ce que ce sont plusieurs ? Est-ce que c’est l’entreprise qui vous dit : « Ce serait mieux que tu discutes avec telle personne » ?, parce que, dans les entreprises, la vision n’est pas forcément la même en fonction de qui vous allez interroger.

Valentine Ogier-Galland : L’idéal serait de pouvoir parler avec deux personnes au moins. Si on avait plus de temps on parlerait effectivement avec plus de gens. On a interviewé pas mal de petites structures et deux personnes ça fait déjà une belle balance. Des fois on n’en a qu’une, ça donne un son de cloche intéressant. On fait avec les voix qu’on a, sachant qu’on a des entreprises, des coopératives, des sociétés et une association, puisqu’on a interviewé Pouhiou de Framasoft.

Frédéric Couchet : C’était la troisième condition !

Valentine Ogier-Galland : Non. C’était : vous, vous avez des salariés, vous avez un fonctionnement, une organisation, comment ça marche chez vous ? Au final, il n’y a pas de raison, pour moi, d’exclure un format d’organisation par rapport à d’autres. Pour que nos questions aient du sens, pour que nos thématiques aient du sens, il faut qu’il y ait un budget, il faut qu’il y ait de la comptabilité.

Frédéric Couchet : Même si une association a aussi un budget, les contraintes économiques sont effectivement un petit peu différentes, ne sont pas forcément les mêmes. En tout cas, si des associations voulaient être interviewées, vous pourriez éventuellement le faire.

Nicolas Chauvat : On aura peut-être la candidature de l’April.

Frédéric Couchet : Nous ne candidatons pas, mais, si vous voulez notre intervention, ça sera évidemment avec plaisir.
En termes de taille d’entreprise, ce sont des entreprises qui ont entre 5 et 20/25 personnes ? Pour le moment c’est ça ?

Nicolas Chauvat : Oui. Pour le moment, la plus grosse ils sont entre 25 et 30 et la plus petite ils sont 4/5. Pour donner une idée, je crois qu’à Framasoft il y a une dizaine de salariés dans le cadre. Là encore ce n’est pas un choix de notre part. Nous nous sommes lancés en janvier, le temps de cadrer un peu les choses, il a fallu peut-être un mois, commencer à obtenir des réponses peut-être qu’il a fallu un mois de plus. Si on a interrogé six entreprises une ou deux fois, ça fait une dizaine d’entretiens, si on en met un par semaine, en comptant les vacances, on est au mois de juin !

Valentine Ogier-Galland : Il y a aussi le fait dont on n’avait pas forcément conscience : à quel point ce serait intéressant et à quel point on aurait envie d’en savoir plus, qu’on aurait plein de questions et c’est certain que 45 minutes à une heure, ça ne suffit pas.

Frédéric Couchet : Ça passe très vite, vous allez vous en rendre compte à la fin de l’émission, parce que c’est aussi le format !
Cette enquête est en cours, il y a forcément des premières tendances qui se dessinent, en tout cas des choses sur lesquelles vous aimeriez bien insister, en tout cas qui vous ont marquées, pas forcément par rapport aux thématiques. Qui veut commencer sur les tendances ?

Valentine Ogier-Galland : On en fait une chacun.

Frédéric Couchet : Qui commence ? Je précise que Valentine a désigné Nicolas. Vas-y Nicolas.

Nicolas Chauvat : Une des choses que je retiens c’est que toutes les personnes qui nous ont parlé avaient envie de nous parler.

Valentine Ogier-Galland : Et ce n’était pas évident au début, on n’était pas sûrs.

Nicolas Chauvat : Ça les intéressait. Et quand on leur dit : « Racontez-nous, on ira raconter aux autres », ça les intéresse aussi. C’est-à-dire qu’elles ont envie qu’on aille raconter aux autres ce qu’elles ont essayé de faire, les solutions qu’elles ont trouvées, le fait qu’elles ont réussi à trouver des solutions dans certains cas, etc. Je vois là une motivation pour faire fonctionner un modèle horizontal d’organisation et pour diffuser, auprès d’un public aussi large que possible, que des modèles de ce genre existent et fonctionnent. Je partage cette envie-là parce que j’ai le sentiment d’entendre, partout et tout le temps, qu’une seule forme d’organisation est possible alors que je sais que ce n’est pas vrai pour le vivre au quotidien. Je pense qu’il y a une partie de ce qu’on peut espérer de ce projet qui est : si, regardez, ça existe, c’est juste factuel, on peut faire autrement.

Valentine Ogier-Galland : Je vais rebondir sur ce que tu dis par rapport « à une autre forme est possible ». Une des choses qui est vraiment ressortie, c’est que je m’attendais à trouver une ou quelques formes différentes d’organisation et on a trouvé un foisonnement de solutions. C’est vraiment beaucoup plus d’outils différents que ce qu’on pensait et pas UNE autre forme de fonctionnement, mais un système qui fonctionne avec différents choix et le fait que ça marche c’est la cohérence de ces choix entre eux. Beaucoup plus que « on a choisi de faire de la décision par consensus », ça ne marche que parce que, à côté, il y a d’autres décisions, il y a d’autres choix qui sont en cohérence. Je trouve cela très intéressant. Ce n’est pas « il y a un autre modèle possible », c’est « regardez, il y a un univers de solutions possibles ! »

Nicolas Chauvat : Je rejoins Valentine là-dessus. On n’a discuté qu’avec six entreprises. Au départ on voyait la liste des thèmes que tu as cités comme une grille de lecture et on se disait que dans chacun des thèmes il y aurait une ou des options et, pour quelqu’un qui voudrait se lancer, il suffirait de cocher la case en disant « pour ça je vais faire comme ça, pour la suivante je vais faire autrement, etc., et ça va marcher ». Aujourd’hui, et ça fait partie des points sur lesquels Valentine et moi sommes d’accord, je crois qu’il ne faut pas faire comme ça. Pour que ça fonctionne, il y a un équilibre : si tu bouges le curseur un peu plus à gauche sur ce point-là, eh bien il faut, d’une certaine manière, équilibrer en le bougeant un peu plus à droite sur l’autre ; si tu as pris ces deux premières options pour les deux premiers axes, il n’y a que certaines options qui sont valides sur le troisième, etc. Il y a un univers de manières possibles. Ceci étant, je trouve qu’il y a quand même des choses communes.

Frédéric Couchet : Par exemple ?

Nicolas Chauvat : Il me semble que dans toutes les organisations il y a une espèce de pulsation, un peu comme si tu faisais de la musique, il y a un rythme et, même si chacun improvise, le rythme est quand même commun. Tout le monde n’appelle pas ça de la même façon, tout le monde ne le fait pas exactement. Horizontal plutôt que vertical, ça veut dire que la décision ne vient pas d’en haut sur tous les sujets, ça veut dire qu’on répartit la capacité à décider et, si chacun décide un certain nombre de choses, il faut quand même qu’il le synchronise avec les autres, sinon ça part dans le décor.

Valentine Ogier-Galland : Il y a des rassemblements un peu du quotidien : l’organisation ou une partie de l’organisation va se retrouver pour parler du quotidien. Après, il y a des pulsations plus lentes qui sont des pulsations stratégiques, qu’on a retrouvées, qu’on ne s’attendait pas forcément à retrouver à chaque fois, sous un terme différent. Souvent en extérieur, ailleurs que dans les bureaux ou ailleurs que dans le télétravail, on se rencontre, on se retrouve en personne dans un endroit un peu sympa et on va pouvoir parler du long terme, on va pouvoir se poser des questions, on va pouvoir aborder les grosses décisions de l’organisation. On a retrouvé cela partout et c’est l’un des points intéressants.
Par exemple, toutes les entreprises, toutes les organisations qu’on a vues ont un élément de transparence. On s’y attendait un peu parce que, dans le logiciel libre, c’est quand même une des bases, mais il y a un spectre : ça va de toutes les informations financières sont sur le site web, transparence interne et publique, à ce n’est pas public, mais on se fait passer la synthèse de la requête de personne à personne, donc, si jamais tu as envie d’avoir une information financière, il y a une synthèse qui circule pour que tu puisses savoir. Il y a une grosse différence, mais, au final, ce sont presque les entreprises classiques qui sont bizarres dans ce côté-là. Elles sont toutes, elles, à cacher l’information alors que j’ai l’impression que les organisations qu’on a vues partent, de base, avec « il y aura de la transparence » ; elle n’aura pas forcément la même forme, mais il y en aura.

Frédéric Couchet : D’accord.
Je vous avais prévenus que le temps passe vite. Dans vos entretiens les gens ont dû vous dire « c’est déjà fini ! ». Là ce n’est pas fini, c’est la pause musicale. On change totalement de style par rapport à la première pause musicale et je remercie encore Valentine de ce choix. Nous allons écouter Ça part par Tintamare. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée sur Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Ça part Tintamare.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Ça part par le groupe Tintamare, morceau disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre discussion sur les modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre avec nos invités, Valentine Ogier-Galland et Nicolas Chauvat.
Pendant la pause musicale, nous avons un petit peu discuté pour savoir de quoi on allait parler précisément. Quand je lis la description de votre objectif, au départ il y a « le modèle d’entreprise le plus visible aujourd’hui est très hiérarchisé, généralement avec une concentration des pouvoirs et des informations et des dérives autoritaires fréquentes ». Là on est, à priori, dans un cadre horizontal, c’est ce que j’ai compris, mais quand même il y a des entreprises, on l’a dit, où il y a un fondateur ou une fondatrice et on connaît le syndrome du fondateur ou de la fondatrice. Comment se passe le pouvoir décisionnel et la responsabilité qui en incombe dans ce genre d’organisation ? Valentine.

Valentine Ogier-Galland : Encore une fois, ça ne va pas vous surprendre, il y a plein d’options. Ça va du consensus maximal à une indépendance : chacun décide de son côté et après on résout les conflits ; le fondateur, la fondatrice anticipe les problématiques et impulse des prises de décision ; ou alors, carrément, il y a une figure dirigeante qui prend les décisions.
Ce n’est pas parce qu’on a un mode horizontal que tout le monde est responsable de tout ou que personne n’est responsable de rien.
On a vu, par exemple, des organisations où les gens ont des mandats explicites pour prendre des décisions, c’est-à-dire qu’on explicite que c’est leur responsabilité de faire cette chose dans leur organisation, avec une certaine forme de prise de décision : c’est, par exemple, leur responsabilité de le faire, mais peut-être leur responsabilité va avec transmettre leurs conclusions pour que les autres votent ; ou alors ils ont la responsabilité jusqu’à la décision et les autres font confiance pour la décision ; il y a aussi la possibilité d’avoir la responsabilité de faire du suivi, c’est-à-dire faire les statistiques afin qu’à la prochaine réunion, à la prochaine pulsation dont parlait Nicolas, le groupe puisse prendre la décision.
Le fait d’expliciter ces mandats et d’expliciter quels types de décisions vont être prises et comment par rapport à cette responsabilité-là, ça permet une belle visibilité et ça permet d’éviter ce côté « puisque c’est horizontal tout est dilué » parce que ce n’est pas vrai. Comme tu disais, le syndrome du fondateur, ce n’est jamais tout dilué et le ou la fondatrice se retrouve à avoir la part du lion des tâches moyennement rigolotes, les tâches de gestion, les tâches que les autres n’ont pas envie de faire, les choses qu’il faut faire, qui ne sont pas forcément dans une fiche de poste quand on est salarié, au final.

Frédéric Couchet : Nicolas Chauvat, ton avis sur la question ? La question n’est pas forcément totalement orientée, mais tu es un peu dans ce cadre-là au niveau de Logilab, en tout cas c’est mon sentiment.

Nicolas Chauvat : Ça a été une question et un problème à résoudre plusieurs fois dans la vie de Logicab. Une règle qu’on essaie de maintenir à Logilab : on ne demande pas du pouvoir de décision, on demande des responsabilités, dis-moi quelles responsabilités tu veux porter et on te donnera les moyens de réussir ce que tu t’engages à faire. Sinon c’est trop facile de dire « je décide » et c’est quelqu’un d’autre qui s’en charge, si jamais j’ai pris les mauvaises décisions ! Dans les organisations horizontales, tu recadres les choses. Ce que je dis a l’air tout bête, je pense que Valentine pourra le confirmer, dans plein de sociétés avec lesquelles on travaille, ce truc-là est parfois voyant comme le nez au milieu de la figure : il y a des gens qui décident et, à côté, les autres assument et, souvent, ceux qui assument n’en peuvent plus qu’on leur impose des décisions qui, de leur point de vue, ne sont pas correctes ou pas réalisables.
Tu as recadré les choses en disant modèle vertical/modèle horizontal. Les choses qu’il y a à faire sont les mêmes dans les deux organisations. Tu prends la liste des sujets qu’on a sur la page, tout cela doit être fait.

Valentine Ogier-Galland : Si tu as une entreprise juste de dix personnes, de toute façon, tu vas avoir besoin d’un CSE, Comité social et économique, tu vas avoir besoin de relations humaines — je pique le mot à Pouhiou — plutôt que de ressources humaines.

Frédéric Couchet : Donc la question potentielle du salaire si les salaires ne sont pas égaux, des augmentations.

Valentine Ogier-Galland : Recrutements, licenciements.

Nicolas Chauvat : Toutes ces questions se posent.
On peut parler d’organisation. Comme le disait Valentine tout à l’heure, on se place dans un cas particulier, ce n’est pas du bénévolat, il y a des salaires, il y a des gens qui travaillent, etc. Il y a une organisation, des gens sont rémunérés pour ce qu’ils font, pour certains il y a des salaires, dans d’autres cas ils ont trouvé d’autres manières, ce ne sont pas des salaires, mais ils sont tous rémunérés quand même. La question c’est comment on s’organise. La réponse classique c’est verticalement : il y en a qui décident, d’autres qui obéissent. Ce qui nous intéresse ce sont toutes les organisations qui sont horizontales, donc ce sont toutes les autres réponses possibles. Il n’y a pas une bonne réponse, il y en a plein, mais les choses à faire sont les mêmes : il faut quand même communiquer vis-à-vis de l’extérieur, il faut quand même répartir le travail, il faut quand même décider ce qu’on fait, il faut quand même essayer d’avoir des perspectives, sortir la tête du guidon pour voir où est-ce qu’il faudrait être dans six mois, dans un an ; parfois il y a des conflits qu’il faut régler, parfois il faut faire de la technique, il faut qu’il y ait des gens qui maintiennent et qui développent leurs compétences.

Valentine Ogier-Galland : Vérifier, par exemple, que les gens prennent leurs congés, c’est tout bête !

Nicolas Chauvat : Quelle que soit l’organisation, il faut le faire. Après, pour chacune de ces questions-là, on trouve intéressant de voir ce que les gens ont trouvé comme manière d’organiser ça, de répartir ce travail, de répartir ces responsabilités et de suivre les actions qui sont nécessaires pour que ces différentes tâches soient réalisées et que ces différents aspects de la vie de l’organisation soient traités correctement pour que l’organisation vive, perdure, etc.

Frédéric Couchet : Est-ce qu’il y a des points plus difficiles à gérer dans ce genre d’organisation, plus sensibles ? Est-ce que c’est par exemple la rémunération, tu parlais des congés, les horaires, le recrutement, les licenciements ? Est-ce qu’il y a des points plus ou moins compliqués ?

Valentine Ogier-Galland : Pas un point compliqué commun à tout le monde. Je prends un exemple. Des organisations nous ont dit : « Pour nous, le côté compta est un problème parce qu’on a des gens qui n’ont pas les compétences pour lire un compte de résultat, il faut donc monter en compétences là-dessus pour que tout le monde puisse prendre les décisions » et d’autres nous ont dit : « Ça n’a jamais été un problème, tout va bien, tout est automatisé ». Donc, les problèmes ne sont pas forcément aux mêmes endroits. Encore une fois, ça dépend de la manière de gérer les crises, c’est-à-dire que c’est très différent de dire : s’il y a une crise, on en parle tous et ce sont les fondateurs qui tranchent ou, s’il y a une crise, c’est un comité dédié, spécial, qui n’est pas lié au fondateur, ou lié au gérant officiel, qui réagit sur une crise. Si cela a été défini à l’avance, potentiellement ça va bien se passer, les crises n’en sont plus ou, en tout cas, ne sont plus catastrophiques. Je ne sais pas s’il y a une chose qui ressort et qui est difficile pour toutes ces boîtes. J’ai peut-être envie de parler de la taille.

Frédéric Couchet : Donc la taille de l’entreprise, le nombre de personnes actives.

Valentine Ogier-Galland : En fait, les petites structures qu’on a vues nous ont toutes dit « on n’a pas envie de grossir parce que ça va être plus compliqué. »

Frédéric Couchet : Précisons, quand tu dis petites ?

Valentine Ogier-Galland : De cinq à dix. On n’a pas envie de grossir, plutôt que grossir on préférait essaimer, on préférerait que des gens créent le même genre de structure que nous ailleurs et on leur file toutes nos billes s’ils veulent. On préfère rester une petite unité, parce que ça fonctionne bien, parce la communication passe, etc., si on grossit ça sera compliqué.
D’autres organisations disent : « On ne peut pas être petit. Pour que des clients nous fassent confiance pour des gros contrats, si on veut être crédible, il faut qu’on ait une certaine taille et elle est au-dessus de cette taille de confort, de communication, de petite équipe ». Je crois que les paliers de croissance peuvent être quelque chose de compliqué et de problématique parce que ce qui marche à cinq ne marchera pas forcément à 12, et ce qui marche de 5 à 12 ne marchera certainement pas à 30.

Frédéric Couchet : Dans la liste des entreprises auxquelles vous pensez, est-ce que vous avez déjà une idée d’entreprise qui irait jusqu’à 100/150 personnes, voire plus, et qui serait dans ce modèle-là d’organisation ?

Nicolas Chauvat : Tout de suite je n’en ai pas, mais ce serait intéressant d’en trouver.

Frédéric Couchet : Moi non plus, c’est pour cela que je pose la question.

Valentine Ogier-Galland : Il y en a qui sont un peu célèbres, mais je n’en connais pas dans le logiciel libre.

Frédéric Couchet : Je parlais bien dans le logiciel libre, pas à l’extérieur, et je parlais bien d’entreprises qui ont ce modèle-là, qui respectent leurs équipes. Parce qu’il y a aussi des entreprises du logiciel libre qui sont beaucoup plus importantes, mais qui ne respectent pas leurs équipes !

Nicolas Chauvat : Si on lève le critère logiciel libre, dans l’état de l’art qu’on a fait, il y a des ouvrages qui citent des entreprises de plusieurs milliers de personnes qui sont organisées de manière horizontale.
Je voulais rebondir sur ce que disait Valentine. Il me semble qu’un point commun à toutes les entreprises qu’on a vues – encore une fois, faire des statistiques sur un échantillon de six !, il faut être modeste : les organisations sont différentes, mais, à chaque fois, c’est formalisé ; à peu près tout le monde l’a écrit d’une manière ou d’une autre. Il y a une sorte de constitution, de contrat social ou une charte. Ça s’appelle différemment, ça prend une forme différente, mais, en gros, c’est toujours écrit. Il y a toujours une espèce de texte auquel se référer et, en cas de conflit, c’est une des premières choses qui ressort.
De mon point de vue, on n’a pas assez travaillé sur cette question des conflits parce que, pour moi, c’est vraiment l’épreuve du feu pour l’organisation. Il faut dire qu’à Logilab on a eu plusieurs conflits et ça a été compliqué, comme pour tout le monde, je pense. Arriver à survivre à ces conflits détermine la stabilité et donne aussi confiance dans la capacité de l’organisation à être pérenne. La première réaction, à chaque fois qu’on a abordé plus ou moins la question du conflit, c’est « parce que c’était un cas qu’on n’avait pas décrit » ou alors « on a commencé par reprendre ce qu’on avait écrit ». Il y a donc cette idée qu’on énonce les règles, on donne de la liberté aux gens parce que, dans l’horizontalité, il y a une part de ça. Avant, dans un truc très vertical, vous deviez demander la permission en gros pour tout, dans un truc horizontal on leur dit « vous gérez un certain nombre de choses, vous n’allez pas demander, c’est vous qui décidez ». Qu’est-ce que qu’on pourrait leur reprocher ? On pourrait leur reprocher de ne pas avoir pris la bonne décision ? Mais, est-ce que les règles qu’on avait énoncées rendaient claires quelles étaient les options autorisées et quelles étaient les options interdites ? Qu’on ne puisse pas reprocher aux gens d’avoir fait un choix interdit alors qu’ils ne savaient pas que c’était interdit. Pour cela, il faut avoir énoncé les règles avant. Il me semble qu’on a retrouvé cela un peu partout.

Valentine Ogier-Galland : Le cadre. En fait, le cadre qui sécurise le fait qu’on est horizontal.

Frédéric Couchet : Vous avez retrouvé cela dans les six entreprises. Ça m’étonne un peu, en fait ça me surprend.

Nicolas Chauvat : Y compris dans les entreprises de quatre personnes. À quatre personnes, ils avaient pris le temps d’écrire les règles.

Valentine Ogier-Galland : Ce n’était pas forcément quelque chose avec un format identique. Dans l’une des entreprises c’est, en fait, un tableau au mur, le tableau des gouttes d’eau, ce sont les choses à faire qui sont « hors mandat », entre guillemets, hors responsabilités explicites ; tu vois qu’elles ne sont pas faites, tu as du temps, vas-y fais-les. C’est aussi une forme de cadre. Le cadre n’a pas forcément le même format, ce n’est pas forcément un wiki avec les règles, mais c’est posé et ça sécurise la façon dont tu agis dans l’entreprise.
Un autre cadre m’a intéressée, et j’espère qu’on pourra leur reparler pour poser plus de questions dessus, ils nous ont dit : « En fait, quand tu arrives, tu peux tout faire et tu n’as pas besoin de demander la permission. Tu penses que quelque chose est bon pour la structure, eh bien tu le fais ! ». On s’est regardés et on a dit : « Si quelqu’un n’est pas d’accord ? — Il passe derrière et il défait ! »

Frédéric Couchet : D’accord.

Nicolas Chauvat : On ne dit pas qu’il faut faire comme ça et on ne dit pas que tout le monde nous a proposé de faire comme ça. On dit qu’on en a vu qui sont organisés comme ça, en tout cas qui annoncent qu’ils sont organisés comme ça. On n’est pas chez eux pour vérifier.

Valentine Ogier-Galland : On a bien envie de savoir comment ça se passe en vrai sur un point précis et comment on gère derrière.

Frédéric Couchet : C’est une structure qui existe depuis longtemps ?

Valentine Ogier-Galland : Oui.

Frédéric Couchet : Qui a donc un passif, une durée d’existence.

Nicolas Chauvat : Je crois que la structure la plus jeune a sept ou huit ans.

Valentine Ogier-Galland : Ça faisait partie de nos critères que la structure ait quand même un certain historique.

Nicolas Chauvat : Tu as remarqué qu’on ne dit pas de noms, d’une certaine manière on est engagés.

Frédéric Couchet : On évite d’être trop précis pour que les gens puissent éventuellement deviner, même moi je n’ai pas encore deviné, même si je peux faire des hypothèses.
Une hypothèse que je fais pour ces structures c’est qu’il y a peu de mouvement : les gens restent dans l’entreprise, donc il y a peu de recrutements. La question : est-ce que c’est le cas et, finalement, quand il y a un recrutement l’enjeu doit être important puisqu’on ne recrute pas simplement une personne technique, on recrute un profil humain particulier, qui va pouvoir être compatible et trouver sa place ?

Valentine Ogier-Galland : C’est une super question parce que c’est une chose sur laquelle on s’interroge : est-ce que ces systèmes horizontaux ne peuvent marcher qu’avec des gens spécifiques ? Au final, est-ce qu’il y aurait une petite élite de gens qui peuvent travailler en horizontal et tous les autres vont travailler en vertical parce qu’ils sont obligés ?

Nicolas Chauvat : Parce que, les pauvres, ils ne peuvent pas faire autrement !

Frédéric Couchet : Référence à la chronique du début d’émission !

Valentine Ogier-Galland : C’est très intéressant de se demander ce qu’il faut, quels sont les critères pour être une bonne contributrice d’un projet horizontal ? Est-ce qu’il y a des choses qui sont des dealbreakers ? Est-ce qu’il y a des choses rédhibitoires. Au final, ce que j’ai commencé à entendre c’est que le filtre va se faire sur les valeurs, sur le fait, souvent, d’accepter un salaire qui va peut-être être un peu inférieur au marché pour travailler avec du Libre, avec de l’ESS, l’Économie sociale et solidaire, ça peut être un filtre et il peut y avoir des gens qui vont dire « ça ne marchera pas, je ne veux pas ces responsabilités ». Je crois qu’on n’a pas forcément la même idée, avec Nicolas : est-ce qu’il faut des gens spécifiques ou est-ce qu’il faut un cadre ou un accueil spécifique ? Un cadre suffisamment bien conçu pour que même quelqu’un qui n’y connaît rien puisse rejoindre une organisation horizontale.

Frédéric Couchet : J’ai une question de Marie-Odile sur le chat que je trouve intéressante, en tout cas un commentaire : travailler en vertical c’est parfois aussi reposant ; le chef ou la cheffe a dit, j’exécute et je ne me pose pas de question. Si je dois faire des choix, prendre des responsabilités, m’engager, je m’expose et c’est plus fatigant. C’est intéressant.

Valentine Ogier-Galland : C’est à Nicolas de répondre.

Frédéric Couchet : Nicolas.

Nicolas Chauvat : Absolument. Je suis d’accord avec ce commentaire !

Frédéric Couchet : C’est une réalité !

Nicolas Chauvat : C’est une réalité. C’est une partie de la difficulté. À titre personnel, je serais très déçu qu’une des conclusions de ce travail soit que ces organisations horizontales ne peuvent pas passer à l’échelle, c’est-à-dire que ça ne tient pas au-delà de 25 personnes. Si une conclusion était « pour faire de l’horizontal il faut être payé moins qu’ailleurs », je serais déçu aussi. J’ai un biais, j’aimerais bien que ce modèle soit généralisable. Après il faut voir si, en pratique, on trouve des cas comme ça.
Dans mon cas particulier, on s’est posé toutes ces questions-là et, comme je disais au début, je veux justement aller voir comment les autres ont fait quand ils se sont retrouvés confrontés à cela. On a choisi de dire « il faut essayer, on veut viser quelque chose qui est ouvert à tout le monde ». Tout le monde, il ne faut pas de passager clandestin, tout le monde vient pour travailler. S’il y a des gens qui sont contents de participer en prenant des responsabilités, c’est bien. Si d’autres ne veulent pas prendre certaines responsabilités, il faut quand même qu’on trouve un mode d’organisation qui fasse que tout ce monde puisse travailler ensemble, un équilibre. On essaie de faire ça.

Frédéric Couchet : Le temps passe super vite, on arrive bientôt à la fin. Pour ne pas oublier, je voudrais revenir rapidement sur la question du rythme des réunions régulières dont tu voulais parler tout à l’heure, Nicolas.

Nicolas Chauvat : Si je mélange toutes les entreprises avec lesquelles on a discuté, il y en qui nous ont parlé d’une réunion quotidienne, tous les midis. Ils ne sont pas très nombreux, je crois qu’ils sont huit, ce qui permet aussi de réunir tout le monde, tous les midis ils se réunissent ; ça ressemble un peu à la réunion debout de Scrum, une méthode agile, donc eux font une réunion tous les midis pour faire le point.
On a des gens qui font une réunion toutes les semaines pour faire le point aussi.

Valentine Ogier-Galland : Tous les lundis matin pour faire le planning de la semaine.

Nicolas Chauvat : Oui, il y en qui font ça tous les lundis. À Logilab on fait ça le vendredi après-midi.
On a des gens qui font des réunions tous les mois, je crois que quasiment tout le monde fait au moins une réunion par mois.
Plus la fréquence baisse et plus c’est fait pour voir loin. Le quotidien c’est pour tout ce qu’on est en train de faire, les projets, ce qu’on doit livrer cette semaine, etc. ; tous les mois c’est une espèce de rythme – est-ce que ça va, est-ce qu’on facture assez, quels sont les prochains projets, comment se répartit-on les choses, est-ce qu’il y a des frustrations, des problèmes qu’il faut régler tout de suite avant que ça dégénère, etc. Après, tu as des réunions qui seront tous les trimestres, tous les six mois ou tous les ans.

Valentine Ogier-Galland : On a un grand projet, on a une grande interrogation, il y a une montée de version de notre plateforme, est-ce qu’on la prend, est-ce qu’on ne le prend pas ? Ça peut être des questions techniques ou des questions vraiment stratégiques, organisationnelles.

Frédéric Couchet : Organisationnelles, par exemple passage aux 4/5e.

Nicolas Chauvat : On a vu ça partout. Il y en a qui font tous les rythmes, il y en a qui font une partie des rythmes, il y en a qui traitent certains trucs tous les mois, d’autres toutes les semaines.

Valentine Ogier-Galland : Et il n’y a pas une étiquette. Tu as mentionné Scrum, une étiquette d’agilité. Pour l’instant, les entreprises qu’on a vues n’ont pas d’étiquette, elles ne font pas du Scrum, elles ne font pas de l’holacratie. Elles font leur organisation, celle qui fonctionne pour elles. On a trouvé cela intéressant.
Est-ce que j’ai le temps de revenir. On a dit que c’est reposant, que ça peut être reposant d’être en vertical pour certaines personnes de l’organisation. Je voudrais aussi dire qu’on a vu des choix dans certaines des organisations : ça peut être reposant aussi pour les clients de ne pas se poser de questions. On a des organisations qui disent « on voudrait intégrer nos clients à notre logique, on veut être transparent avec eux, on veut leur permettre de participer aux décisions qui les impactent, etc. ». Eh bien, ça n’intéresse pas certains clients, ils veulent juste un truc et le payer. Ça en intéresse vraiment d’autres, ils deviennent partie prenante de l’organisation et ça change complètement la géométrie de l’organisation, des prises de décision, etc.
On choisit peut-être, ou peut-être pas, les gens avec qui on va travailler pour travailler en horizontal, mais est-ce qu’on choisit aussi les clients ? Potentiellement, des clients de l’économie sociale et solidaire, des clients associatifs, des clients des collectivités locales vont peut-être être plus à même de comprendre l’intérêt de la participation, du logiciel libre. On ne va pas avoir les mêmes dialogues avec ces entités-là qu’avec des entreprises classiques.

Nicolas Chauvat : Si tu nous réinvites, on pourra en parler.

Frédéric Couchet : Quand je vous réinvite, à la prochaine saison, d’ici la fin de l’année.

Nicolas Chauvat : Je pense qu’une des particularités du modèle du logiciel libre c’est que les relations ne sont pas les mêmes. Comme on vient de l’expliquer, on voit que ça peut décaler un certain nombre de choses à l’intérieur des organisations mais aussi entre les organisations. Le modèle du logiciel libre c’est quand même une manière de mutualiser les choses. Ça veut dire que des gens qui, dans d’autres modèles, seraient purement et simplement des compétiteurs — là c’est la ligne coopétition : tu peux trouver des sujets sur lesquels tu vas collaborer même si, sur d’autres sujets, il y a un côté « que le meilleur gagne », mais ça décale aussi les choses avec les clients qui auraient pu être uniquement dans une position de consommateur – je vous achète un truc, je paye, etc. Je pense à des discussions avec des clients qui disent : « Ça, en fait, c’est vous qui décidez. — Oui, c’est nous qui décidons, mais parce que nous sommes les seuls présents à cette réunion-là. — Je ne suis pas à cette réunion-là. — Mais vous pouvez y venir ! — Ah bon ! — Oui, c’est ouvert, vous pouvez venir ! ». Les positions, les postulats de départ ne sont pas les mêmes. Peut-être que ça prend du temps parce que le modèle dominant n’est pas celui-là. Mais, avec suffisamment de temps, un certain nombre de pratiques vont évoluer et il y aura plus de place pour de la coopération.

Valentine Ogier-Galland : Ça peut être déstabilisant. Par exemple le principe de la mutualisation que certaines de ces organisations appliquent : vous avez le même besoin qu’un autre de nos clients, on vous met ensemble et vous allez payer chacun la moitié du développement parce qu’on ne va le faire qu’une seule fois. Quelque chose qui est une aberration pour une société de service, qui fonctionne et qui est en accord avec leurs valeurs.

Frédéric Couchet : Petite question rapide avant la conclusion,comme vous allez revenir vous pourrez détailler. Dans ce modèle-là, est-ce que les chances sont égales pour les personnes qui sont en présentiel, on va dire au bureau au quotidien, et les personnes qui sont à distance ? Je suppose. Il y a des entreprises qui ont des personnes qui sont à distance.

Valentine Ogier-Galland : On en a qui sont 100 % en télétravail.

Frédéric Couchet : Et ça fonctionne quand même.

Nicolas Chauvat : On a plusieurs entreprises qui n’ont pas de locaux.

Valentine Ogier-Galland : Et qui n’en auront jamais !, je cite. C’est une histoire d’outils et c’est justement une histoire de pulsation. C’est la pulsation qui fait qu’il y a une organisation, même si tout le monde est en télétravail. Des outils comme Framateam, des outils de collaboration permettent de se parler à distance de façon régulière.

Nicolas Chauvat : Le fait de ne pas avoir de locaux ça renforce le fait de travailler à l’écrit et ça renforce le fait de formaliser des choses.

Frédéric Couchet : Ça laisse des traces aussi.

Nicolas Chauvat : Le désavantage de ne pas être au même endroit fait qu’il y a des petites frictions qui peuvent se résoudre en disant « viens on va boire un café » et tu ne peux plus les traiter de la manière. Un avantage peut être qu’on a tout écrit.

Valentine Ogier-Galland : Il y a aussi des organisations qui étaient complètement colocalisées, et puis des gens ont bougé, ont fait des choix de vie, des projets de vie différents et d’autres sont restés, donc elles ont ajusté leur façon de fonctionner, leur fonctionnement quotidien pour intégrer cette possibilité de travail.

Nicolas Chauvat : C’est aussi un truc important sur lequel il faudra qu’on revienne une prochaine fois : l’adaptabilité de ces organisations. À chaque fois, elles nous ont décrit leur fonctionnement actuel, mais, quand tu discutes, elles te disent : « Il y a eux ans on faisait autrement, il y a quatre ans on faisait autrement. »

Valentine Ogier-Galland : Avec ; on a changé forcément parce que… C’est un autre point commun qu’on n’avait pas forcément identifié, mais, pour toutes, quelque part, c’est normal finalement de s’adapter, ce qui, avec mon petit cœur d’agiliste et d’amélioration continue, me plaît bien !

Nicolas Chauvat : On ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière.

Frédéric Couchet : On en parlera clairement d’ici la fin de l’année.
Question finale. Traditionnellement on demande en moins de deux minutes, à chacune et chacun, un petit résumé des points essentiels. Puisque vous êtes en phase exploratoire, je vais vous laisser dire ce que vous avez envie en moins de deux minutes chacune et chacun. Qui commence ? Vous aviez prévu quelque chose. Allez-y.

Valentine Ogier-Galland : Ce qu’on aimerait, pour la suite, c’est d’avoir d’autres profils de sociétés, plus générales, plus grandes, peut-être plus de sociétés aussi.
Creuser sur les problèmes et conflits qui sont des questions à aborder, à mon avis, sur un temps long ; 45 minutes ce n’est pas jouable pour parler de conflits.
J’aimerais bien qu’on pose aussi plus de questions sur le côté diversité/inclusivité ; pour ça il faut des structures plus grosses, parce que, sur des groupes de huit c’est compliqué.
Donc ouvrir un peu et poser plus de questions, poser d’autres questions qu’on n’a pas forcément posées.
Je voudrais citer une des personnes nous a dit, dans l’un de nos entretiens : « Dans la société en général on met en avant la démocratie et, dans le monde, du travail c’est encore la féodalité ». Cela nous a bien plu. On voulait terminer là-dessus et dire qu’il y a plein d’autres options pour travailler, autres que la féodalité. On espère, avec ce projet, montrer ça, montrer pour tous les nouveaux projets qui vont se créer ou pour des gens qui veulent migrer, montrer qu’on peut choisir une autre option.

Frédéric Couchet : Parfait.

Nicolas Chauvat : C’est une très bonne conclusion. Je vais juste faire un appel à volontaires. Avec Valentine nous faisons cela avec notre petite culture d’ingénieur. Si, dans le public, quelqu’un qui nous écoute fait des sciences humaines, sait comment mener correctement des entretiens, des enquêtes, etc., retraiter les données derrière, et qui est intéressé par ce que qu’on fait, on pourra en parler.

Frédéric Couchet : Merci. De toute façon, on vous réinvitera quand le projet sera en phase de synthèse, de conclusion ou autre, avant la fin de l’année 2023, je pense, même si je sais que vous n’aimez pas de deadline, j’ai bien compris, donc quand vous serez prêts, comme le projet Debian, quand c’est prêt.
Merci Nicolas Chauvat et Valentine Ogier-Galland. On se retrouve très bientôt, en 2023 ou peut-être 2024, pour la suite de cette émission sur les modèles d’organisation ouverts dans les entreprises et, plus globalement, les structures du logiciel libre.
Je vous souhaite une belle fin de journée.

Nicolas Chauvat : Merci beaucoup.

Valentine Ogier-Galland : Merci beaucoup.

Frédéric Couchet : Nous allons faire pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons écouter J’veux un lapin par Ciboulette Cie. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : J’veux un lapin par Ciboulette Cie.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : J’espère que vous allez vous réveiller avec la prochaine chronique. Nous venons d’écouter J’veux un lapin par Ciboulette Cie, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique « Le libre et la sobriété énergétique » de Vincent Calame, bénévole à l’April, sur le thème « Le Monde en parle »

Frédéric Couchet : Vincent Calame, informaticien libriste et bénévole à l’April, nous propose des chroniques sur le thème du Libre et de la sobriété énergétique. Le chapitre d’aujourd’hui est intitulé « Le Monde en parle ».
Bonjour Vincent.

Vincent Calame : Bonjour Fred.
Quand on est militant du logiciel libre, on sait que notre cause n’est pas la plus connue et la plus partagée par l’ensemble de la société. C’est le but d’une émission comme la nôtre de diffuser nos idées en espérant que cela percole peu à peu. Parfois, on regarde avec envie d’autres causes militantes qui, elles, trouvent beaucoup plus d’échos et font même l’actualité.
Point de jalousie dans mes propos, c’est juste le constat que nous ne faisons pas souvent la une des journaux. Alors, quand le supplément « Sciences et santé » d’un grand quotidien national, Le Monde en l’occurrence, fait son dossier principal sur un sujet pile poil dans le thème de la chronique, on ne boude pas son plaisir : on a envie de brandir l’article partout en criant « regardez, je vous avais bien dit que c’était un problème important ».

Frédéric Couchet : Parce qu’il parle de logiciel libre et sobriété énergétique ?

Vincent Calame : J’exagère un peu et je prends mes rêves pour des réalités. Le sujet exact est : « Le numérique au défi de la sobriété énergétique ». On y est presque, n’est-ce pas ? De fait, de « logiciel libre », il en est très peu question : on y trouve une seule mention du terme open source qui est cité comme moyen de lutter contre l’obsolescence trop rapide des machines. C’est un sujet que j’ai déjà traité dans cette chronique, je ne reviendrai pas dessus, c’est d’ailleurs l’argument numéro 1 pour promouvoir le logiciel libre dans le cadre de l’effort de sobriété énergétique.

Ce qui est intéressant dans l’article, c’est qu’il fait un état des lieux des recherches sur le sujet. Cela tombe bien en ce qui me concerne, parce que c’est un milieu que je connais mal. En fait, l’article est la restitution d’un colloque de deux jours qui a eu lieu à Lyon les 27 et 28 mars 2023 intitulé « Green days ». Ce colloque réunissait sans aucun doute un bon panel des chercheuses et chercheurs travaillant sur le sujet en France. Je vous ai mis en référence, sur le site de l’émission, le lien vers son programme. Les documents sont des diaporamas fournis par les personnes intervenantes. Sans l’intervention elle-même ce n’est pas toujours très clair, mais on y trouve toujours des liens vers des ressources plus complètes. Comme tout document de ce type, cela fourmille d’acronymes qu’il faut décrypter.

Frédéric Couchet : Il y a particulièrement deux acronymes qui reviennent souvent : GDR et GDS.

Vincent Calame : Oui, c’est du jargon du CNRS.
GDR signifie Groupement de Recherche. Cela regroupe des laboratoires sur un sujet particulier. Par exemple, vous avez le GDR appelé SOC2 qui anime une communauté de personnes travaillant, je cite, dans le « domaine des systèmes matériels-logiciels intégrés micro-nano électroniques (System-On-Chip), des systèmes embarqués et des objets connectés ». Fin de citation. Une des conférences du colloque, faite par une personne de ce groupe, de l’INSA Rennes, est directement dans notre sujet puisqu’elle était intitulée « Électronique : défis de la soutenabilité et opportunités du mouvement open hardware », open hardware signifiant du matériel libre, c’est-à-dire dont les plans sont libres, donc sont plus facilement réparables.
L’autre acronyme, GDS, c’est un Groupement de Service. Pour ce que j’ai compris – je n’ai pas réussi à trouver une définition précise –, il s’agit d’un groupement plus transversal et plus multidisciplinaire qui porte sur les moyens utilisés par les laboratoires. Dans notre cas, le groupement de service très actif s’appelle EcoInfo dont la mission est, je cite toujours : « Agir pour réduire les impacts (négatifs) – entre parenthèses – environnementaux et sociétaux des TIC – Technologies de l’Information et de la communication ». Comme toujours, le lien est sur le site de l’émission.

Frédéric Couchet : Tu peux citer un exemple de leur action ?

Vincent Calame : Oui. Je vais reprendre l’exemple cité dans l’article du Monde, car il nous parle à toutes et tous, que nous soyons, ou non, férus de technique : celui du poids en CO2 d’un courriel. C’est un exemple souvent repris dans les journaux ou la littérature pour illustrer les impacts du numérique.
Dans un petit article court et très lisible intitulé « Tordons le cou aux discussions sur l’impact des e-mails », EcoInfo fait le point sur la question. En fait, la dernière estimation d’un chercheur en pointe sur le sujet, Mike Berners-Lee, fait varier le poids en CO2 de 0,03 g à 26 g ! On voit que la fourchette est large ! En effet, tout dépend en fait du terminal utilisé, c’est-à-dire l’ordinateur, la tablette, pour lire et rédiger le courriel, beaucoup plus que de l’infrastructure elle-même. D’ailleurs, dans le passage le plus technique du billet, EcoInfo rappelle que ces chiffres, de 0,03 g à 26 g, qui sont obtenus à partir des analyses de cycles de vie, doivent être manipulés avec beaucoup de précautions quand il s’agit d’évaluer l’impact de la diminution de nos usages. Je ne vais pas rentrer dans le détail, c’est plus clair sur le billet que ce que je pourrais en dire à la radio.
Je finirai donc en citant la conclusion de l’article : « Si parler des e-mails permet de déclencher une discussion sur l’impact du numérique, c’est bien, sinon, c’est plutôt anecdotique en termes d’impact réel. »

Comme nous sommes à la fin de la saison, c’est l’occasion d’en rappeler le principal enseignement : le premier impact du numérique, c’est le matériel. L’action la plus efficace c’est de prolonger tant que possible la vie de nos appareils et le logiciel libre est un précieux atout pour éviter son obsolescence.

Frédéric Couchet : Merci Vincent. En plus, c’est une chronique qui fait référence à la chronique de début d’émission sur le reconditionnement, en tout cas qui est en cohérence.
Je te remercie pour cette belle saison sur la sobriété énergétique. Je pense qu’on va se retrouver début septembre pour la prochaine saison. Tu rempiles ?

Vincent Calame : Je rempile. On va voir pour le sujet, on en discutera. Je pense avoir épuisé le thème de la sobriété énergétique.

Frédéric Couchet : D’accord. Tu vas nous trouver nous trouver un nouveau thème à la rentrée. C’est ta deuxième saison de chroniqueur, Vincent ? C’est ça ? Troisième ?

Vincent Calame : Plus longtemps.

Frédéric Couchet : Plus longtemps encore. Excuse-moi ! Je vérifierai. J’aurais dû vérifier avant.

Vincent Calame : J’ai fait des chroniques pratiquement dès qu’on est passé en mode...

Frédéric Couchet : Depuis 2019 alors. Le temps passe trop vite quand on s’aime !
Belle fin de journée Vincent.

Vincent Calame : Merci.

Frédéric Couchet : On approche de la fin de l’émission, on va terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : Je vous précise tout de suite que toutes les références sont sur le site de l’émission, dans libreavous.org/178.
Tor est un réseau informatique superposé, mondial et décentralisé. Cela peut, entre autres, servir à anonymiser partiellement la source d’une session de navigation web. Tor est également un navigateur web. Vous pouvez participer au réseau Tor en soutenant l’association Nos oignons qui, à travers une vidéo, présente le navigateur Tor et lance une campagne de soutien. Samedi 4 juillet, dans le cadre de la dernière émission de Libre à vous !, nous recevrons deux membres de l’association Nos oignons.
Matomo est un logiciel libre de mesure de statistiques web. Un livre Matomo – L’outil de web analytics libre et éthique vient d’être publié. Vous retrouverez les références sur le site de l’émission.
Côté OpenStreetMap, la base de données géographiques libre du monde, il y a une création de La fédération des professionnels d’OpenStreetMap.
Dans les évènements, Pas Sage en Seine est une rencontre consacrée au logiciel libre, au hacking, à sa culture, qui se déroule tous les ans, depuis 2008, au mois de juin en Île-de-France. La prochaine édition aura lieu du 15 au 17 juin à Choisy-le-Roi. L’April y sera présente samedi 17 juin.
Scenari, une chaîne éditoriale libre pour approcher autrement la production de contenus et la collaboration, organise les Rencontres Scenari les 15 et 16 juin 2023 à Paris.
PostgreS est un système de gestion de base de données libre. L’association francophone autour de PostgreS organise les PG Day en France, à Strasbourg, les 19 et 20 juin 2023.
Et enfin, l’association Exodus Privacy fournit des outils pour analyser les applications Android et lister les éventuels pisteurs qui permettent de nous suivre à la trace. L’association vient de mettre en ligne un kit pédagogique smartphones et vie privée pour animer un atelier. Vous pouvez également retrouver une récente interview du président de l’association Exodus Privacy.
Retrouvez toutes ces annones et les liens utiles sur libreavous.org/178.
Vous pouvez aussi aller sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org pour retrouver des évènements en lien avec le logiciel libre et/ou la culture libre près de chez vous.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Isabelle Carrère, Valentine Ogier-Galland, Nicolas Chauvat, Vincent Calame.
Aux manettes de la régie aujourd’hui ma collègue Isabella. J’en profite aussi pour saluer Élise et Mélaine qui sont en formation régie aujourd’hui.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Julien Osman, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également aux personnes qui découpent le podcast des émissions en podcasts individuels par sujet, notamment Quentin Gibeaux, bénévole à l’April.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 20 juin 2023 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les jeux vidéo.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 20 juin et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.