Émission Libre à vous ! diffusée mardi 25 octobre 2022 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Le médialab de Sciences Po et son engagement pour le logiciel libre, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme, nous ouvrirons l’émission avec le Chapril et une chanson venue d’Espagne et, en fin d’émission, une nouvelle « Pituite de Luk », « Boomer un jour, boomer toujours ».

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles, et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toutes questions.

Nous sommes mardi 25 octobre 2022, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui, Thierry, pour sa toute première réalisation, épaulé par ma collègue Isabella. Salut, Thierry.

Thierry Holleville : Bonjour à tous.

Étienne Gonnu : Bon courage et surtout amuse-toi bien !
Je vous souhaite une excellente écoute.

[Jingle]

« Le Chapril et la chanson venue d’Espagne », nouvel épisode de la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy

Étienne Gonnu : Nous allons commencer par la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Lorette et Laurent Costy, une chronique préenregistrée. L’épisode du jour, « Le Chapril et la chanson venue d’Espagne ». On écoute et on se retrouve juste après, en direct sur Cause Commune.

[Virgule sonore]

Laurent Costy : Hello Lorette ! Ma lettre te trouvera dans la jolie ville de Badajos, le Cambridge espagnol comme aiment à l’appeler deux personnes sur cette planète, en l’occurrence toi et moi. J’espère que, s’il est espagnol, ce Cambridge n’est pas Analytica et, quoi qu’il en soit, avoir une bonne hygiène de ses données est important où que l’on soit, mais, tu le sais déjà !

Les premiers messages que tu m’as laissés me laissaient entendre que tu te plaisais plutôt bien et que ton emploi du temps confinait à l’idéal puisque tu es en week-end le mercredi soir. Ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Si j’ai bien compris, ça te permet de faire combos puces, fêtes foraines et fêtes agricoles où vous auriez gagné, avec tes colocataires mexicains et mexicaines, une peluche oignon et une peluche haricot que vous avez respectivement baptisées Snowball et Fabio ; ça m’a fait pleurer cette belle histoire ! Mais surtout, tu as le temps d’écrire une chanson pour la chronique et là, ton papa pleure à nouveau de joie, comme si un 38 tonnes de peluches oignons venaient de se renverser sur lui.

Là, je me dois de faire une parenthèse : gueurgueum, greubeleu ! Depuis le début de l’écriture de ce texte, j’utilise le modèle LibreOffice Writer que j’avais préparé pour nos chroniques précédentes, modèle prévu pour automatiser l’alternance d’une mise en forme adaptée de chacun de nos dialogues : toi en gras et moi en pas gras. Au passage, ça change de la vraie vie, même si c’est parce que je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit. Bref ! Avec ce modèle, quand j’appuie sur la touche « entrée » après avoir écrit une réplique pour toi, je passe à la mise en forme prévue pour toi. Ce qui va nous permettre, lorsqu’on l’enregistre, de repérer plus facilement nos répliques respectives. C’est franchement cool les modèles sous LibreOffice Writer ! Certes, il faut les définir mais, quand c’est fait, cela évite des gestes répétitifs et des comportements perçus comme bizarres par l’utilisateur et l’utilisatrice de la part du logiciel.

Ici, pour une lettre, point besoin de ce modèle prévu pour un dialogue. Je m’en affranchis donc en copiant-collant le contenu dans une page proposée par défaut par LibreOffice Writer. Si je dois apporter des modifications durables au modèle, tu connais aussi bien que moi le raccourci, « F11 », ou, plus simplement, « Affichage » puis « Style ».

Mais ce n’est pas le sujet ! Tu voulais que je t’explique comment m’envoyer le brouillon sonore de ta chanson car tu as bien fait de ne pas la joindre au mail. J’aurais tendance à penser que notre échange sur le Rhum dans la chronique de l’émission 141 de Libre à vous ! a porté ses fruits et que leur distillation, une fois macérés, t’as permis de percevoir l’importance de limiter autant que possible le poids des messages et de leurs pièces jointes.
Ça va donc être l’occasion de parler un peu du Chapril qui, comme il se définit lui-même, est « la contribution de l’April au Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires » autrement dit le Collectif CHATONS initié par Framasoft, dont nous avons déjà parlé à maintes reprises ; c’est normal, c’est mignon, éthique et remarquable.

Donc, tu tapes dans la barre d’adresse — et je sais que tu fais bien la différence avec la barre de recherche — l’adresse https://chapril.org. Au passage, tu noteras la simplicité du logo Chapril ; on va remercier Antoine Bardelli pour ses contributions graphiques à l’April, toujours justes et éloquentes. Et puis, tant qu’à être dans les remerciements, on claque la bise à toutes les personnes, bénévoles ou salariées, qui maintiennent les services. On a toujours tendance à penser que quand c’est là ça marche, mais on oublie le temps qu’il faut passer à faire les mises à jour, à veiller au grain de dysfonctionnements des serveurs et toussa !

Trêve de remerciements pourtant absolument nécessaires. On cherche un service Chapril qui permet de partager des fichiers lourds, alors on scrolle et qu’est-ce qu’on trouve ?

  • Messagerie instantanée XMPP. Intéressant mais ce n’est pas ça.
  • Pouet.chapril.org – Mastodon, la fameuse alternative à Twitter mais décentralisée et respectueuse des utilisateurs et utilisatrices. Ce n’est pas ça non plus.
  • Génération Qr Code, c’est ta génération ça ! Ah non, j’ai mal lu, c’est génération deQr Code.
  • Mobilizon pour promouvoir des événements.
  • Bénévalibre pour faciliter la valorisation du bénévolat dans les associations
  • et Forge. Non, non et non, ce n’est pas ça !

On déroule avec « Voir tous les services ». Oouh là là !, il y en a encore tout plein :

  • sondage de dates,
  • pad, page de partage de contenus textuels éphémères,
  • stockage de fichiers,
  • conférences audio avec Mumble,
  • visio avec Jitsi.

Ah ! Nous y voilà, le drop.chapril.org ! La prochaine fois, tu pourras taper directement cette URL, drop.chapril.org, ou la mettre dans tes signets sous Firefox. Pouf, pouf, tu te laisses guider : tu sélectionnes le fichier à envoyer, tu valides, ça mouline et ça te donne un lien que tu copies-colles dans un mail que tu envoies à mon intention…

Oh, je viens de le recevoir ! Je vais l’écouter de ce pas et vais en faire profiter les p·auditeurs et les p·auditeuses.

Je te dis au mois prochain et, d’ici là, j’essaie de t’envoyer un colis avec des autocollants Libre à vous ! et April à distribuer à toutes les personnes de ta fac ; c’est une bonne idée non ? Chut, je me tais, le diamant attaque le sillon, comme on dit chez VLC !

Lorette Costy interprète sa composition : Chanson venue d’Espagne

On a parlé des adresses IP
& des secrets des DNS
Et leurs résolveurs pas très bien branlés
(Avec un peu de chance les 2006 pourront bientôt mater du porno au lycée)

On a parlé du commun Internet
Et de sa propriété sans queue ni tête
Copying Is Not Thef
Des NFT (beurk, caca) et du world wouaid web

[Refrain]
Chaque jour on en apprend un petit peu plus
Sur le monde qui nous entoure
Les clés très bien cachées
Sans lesquelles on nous joue des tours

On n’est pas des exemples
Personne sera jamais parfait
Parce que tout, autour de nous,
Nous indique le « bon » chemin (ça se voit pas mais y a des guillemets)

On a parlé des cookies (la cuisson à 220°)
Ya les bons ya les mauvais
Mais dans tous les cas...

Le consentement doit être libre, spécifique, éclairé, univoque, et l’utilisateur doit être en mesure de le retirer à tout moment, avec la même simplicité qu’il l’a accordé

On a parlé des navigateurs
Des moteurs de recherche
Et de F-Droid
Au moins grâce à Geometric Weather, Google saura jamais
Qu’ici en Espagne à Badajoz
Ya une moyenne générale de 20° de plus qu’en France héhé !

[Refrain]

Au final on a aussi pas mal parlé d’alcool
De gouttes de rhum, de données et d’océan
Les comparaisons sont peut-être pas folles
Mais du moment qu’on se comprend…

On a vraiment parlé de plein de trucs
Avec encore tellement de sujets à explorer
De questions à se poser,
Des débats à partager
J’aurais dû faire signer un contrat déterminé.
(Mais au calme je regrette pas tant que ça)
Internet est si vaste
Une aventure comme ça faut en profiter.
Même en étant bien protégés, j’espère que vous aussi, vous kiffez.

[Refrain]

On tâtonne, on découvre,
Maîtriser tout’nos données
C’est pas la simplicité,
Mais à cœur vaillant la voie est...

...libre,
Du coup, je le rajoute en aparté parce qu’il n’y a plus de place dans la mélodie.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous voilà de retour en direct sur Cause Commune, 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur causecommune.fm.

Quel talent, Lorette, qu’on salue bien fort, qui est donc actuellement à Badajoz, le Cambridge espagnol ! Merci à elle et à son père Laurent de continuer à partager avec nous ces superbes chroniques à haute valeur éducative dans cette 6e saison de Libre à vous !.

On me fait signe que vous nous entendiez pendant cet enregistrement alors que tous les micros étaient éteints. Donc un bug, un bug inattendu, on a essuyé beaucoup de plâtres à Cause Commune ; celui-ci est nouveau, ce n’est pas grave.

Puisque cette chronique s’est terminée en musique, je vous propose de passer directement à notre sujet suivant.

[Jingle]

Le médialab de Sciences Po et son engagement pour le logiciel libre

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur le médialab de Sciences Po et son engagement pour le logiciel libre, marqué notamment par sa récente adhésion à l’April. D’ailleurs merci à elles et eux pour cette confiance.

Nous allons pour cela échanger pendant un peu moins d’une heure avec nos deux invités, Béatrice Mazoyer et Benjamin Ooghe-Tabanou, deux ingénieurs de recherche du médialab de Sciences Po qu’on a le plaisir d’avoir avec nous en studio.

Je vous rappelle que vous pouvez participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».

Bonjour Béatrice. Bonjour Benjamin. Comme il est bon de savoir qui parle et d’où il ou elle parle, je vous propose de ne pas déroger à la question traditionnelle : pourriez-vous vous présenter, s’il vous plaît ? Béatrice.

Béatrice Mazoyer : Bonjour. Je suis Béatrice. Je travaille depuis deux ans maintenant en tant qu’ingénieure de recherche au médialab de Sciences Po. Mon travail consiste principalement à accompagner des chercheuses et des chercheurs en sciences sociales dans leurs activités, notamment par le développement d’outils logiciels.

Auparavant j’ai fait une thèse en informatique et je pense que c’est à ce moment-là que s’est développé mon intérêt pour le logiciel libre d’une façon très concrète. En fait, quand on fait de la recherche en informatique, on passe beaucoup de temps à lire des articles d’autres chercheurs où ils décrivent leur code et, de façon assez paradoxale, très souvent ils décrivent leur code mais ils le publient assez peu souvent. C’est vrai que c’est en partant de ce constat que je me suis attachée à publier de plus en plus mon code et à le rendre aussi accessible que possible.

Étienne Gonnu : Super. Benjamin.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Bonjour. Je suis Benjamin. J’ai une formation d’ingénieur généraliste, que j’ai d’abord développée dans l’astrophysique avant de basculer à Sciences Po, ce qui est donc un peu atypique.

Historiquement, depuis tout petit j’ai toujours fait un peu d’informatique, même si je me refusais à en faire un métier. Je n’ai pas du tout réussi ! Du coup, j’ai été, de près ou de loin, à côté du logiciel libre pendant longtemps. Je pense que c’est vraiment au moment de divers engagements militants, notamment quand j’ai rencontré Jérémie Zimmermann sur divers combats autour de l’accès à la culture, pour des grandes lois avant Hadopi et d’autres avant, que je me suis approché du logiciel libre, que j’ai progressivement basculé, abandonné mon Windows et cherché de plus en plus, dans mes activités professionnelles, à pousser pour plus de logiciel libre.

En préparant l’émission, je réfléchissais à si je faisais du logiciel libre dans mes laboratoires d’astrophysique et je ne suis pas sûr. Je crois qu’on faisait des choses avec tous les outils du logiciel libre mais qu’on ne publiait absolument rien.

Comme le disait Béatrice, j’ai effectivement le sentiment qu’il y a beaucoup de code qui est fait dans la recherche en général, du code qui n’est peut-être pas forcément très propre et pas forcément très relu. Je pense que le passage au Libre est vraiment quelque chose de très important, progressivement. L’État a l’air de se poser la question, en tout cas concernant le monde de la recherche, et c’est plutôt rassurant, en tout cas c’est un sujet aujourd’hui.

Étienne Gonnu : Je pense qu’on va y revenir. En plus on a fait une émission sur ce qu’on appelle la science ouverte. Si ça intéresse des personnes, il suffit d’aller sur libreavous.org/130. Je pense que dans le cours de notre échange cette dimension de science ouverte va revenir. C’est vrai que cette idée de reproductibilité , de revue par les pairs, etc., est au cœur du logiciel libre mais semble, à priori aussi, au cœur d’une bonne recherche, on va dire.

Vous êtes tous les deux ingénieurs de recherche justement au médialab de Sciences Po. Pouvez-vous nous présenter cette structure ? Qu’est-ce que le médialab de Sciences Po ? Vaste question ! Au travers de nos échanges on va comprendre ce dont il s’agit, mais une première introduction : c’est quoi ? Benjamin puisque tu parlais.

Benjamin Ooghe-Tabanou : En quelques mots, c’est le dixième laboratoire de recherche de Sciences Po. Quand on dit Sciences Po ce n’est pas que Sciences Po Paris, il y a plusieurs Sciences Po en France, bref ! C’est le dixième labo, le tout dernier, le plus jeune, qui a été créé en 2009 à l’initiative de Bruno Latour qui nous a quittés il y a une quinzaine de jours et à qui on rend hommage, évidemment.

Quand Bruno a créé le laboratoire, ce n’était pas forcément initialement comme un laboratoire. Bruno était très peu au fait du numérique, globalement, pour autant il était convaincu de la nécessité d’exploiter le numérique. Lui-même n’était pas forcément très à l’aise avec, pour autant il pensait que c’était essentiel qu’on s’en empare et que ce soit également un objet étudié. Alors que les sciences humaines étaient encore, il y a une dizaine d’années, très dépourvues dès qu’il s’agissait de manipuler le numérique ou d’utiliser des méthodes numériques, il a cherché à renforcer ça, notamment en équipant Sciences Po de cette unité qui était vraiment une unité de services à la base, qui serait le médialab, qui serait cet endroit où des ingénieurs compétents seraient en capacité de produire soit des outils soit de développer des projets qui puissent accompagner des travaux de recherche de toute nature, mais avant tout pour les projets de recherche menés à Sciences Po.

C’est pour ça que l’un des tout premiers projets du médialab était le projet AIME,An Inquiry into Modes of Existence, qui était le dernier grand livre de Bruno Latour, et qui venait, en parallèle du livre, avec une version numérique dans laquelle on pouvait lire le livre dans un ordre reposant totalement sur la sérendipité et sur le mode de l’hyperlien : on allait pouvoir parcourir le livre dans le désordre, de thème en thème, pouvoir rebondir et également contribuer, ajouter des ressources qui viendraient enrichir cette enquête.

C’est historiquement comment le médialab est né. Progressivement ça a agrégé plusieurs personnes, des profils techniques mais aussi des profils de recherche et des profils design. Le médialab estime très important de placer au cœur de nos travaux de recherche une approche design, on y reviendra probablement. Ces différentes personnes qui se sont agrégées progressivement ont toutes manifesté également le souhait de porter les projets de recherche, beaucoup d’entre elles avaient déjà un profil académique, et c’est assez naturellement, je crois que c’est en 2014, que le laboratoire s’est officiellement déclaré comme laboratoire de recherche, a été reconnu par l’Hcéres qui est le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Du coup c’est devenu un véritable laboratoire au même titre que les plus connus, CEVIPOF [Centre de recherches politiques de Sciences Po], CERI [Centre de recherches internationales], CEE [Centre d’études européennes et de politique comparée], dont on entend régulièrement des académiques parler à la radio.

Étienne Gonnu : Tu dis les plus célèbres quand on s’intéresse à ça. C’est vrai qu’un laboratoire, dans l’esprit commun, on imagine plutôt des laboratoires de chimistes. Qu’est-ce qu’un laboratoire en sciences politiques ? Béatrice.

Béatrice Mazoyer : Je réponds pour ce que je connais à Sciences Po. J’imagine que ça prend des formes assez diverses. Ce sont surtout de gens qui ont envie de travailler ensemble. Je suppose qu’il y a un prérequis qui est probablement d’avoir fait une thèse et d’être un chercheur « académique », entre guillemets. Avant tout un laboratoire c’est une équipe, ce sont des gens décidés à travailler ensemble sur des projets communs.

Étienne Gonnu : Ça me parait très clair.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Et qui font de la recherche, qui ont vocation à essayer de creuser des questions. Il y a effectivement des chimistes et des physiciens qui peuvent poser des questions, que ce soit sur les étoiles ou sur la composition de je ne sais quoi. En sciences humaines il y a également un certain nombre de disciplines et un certain nombre de projets. Au médialab, je pense majoritairement que nos projets sont essentiellement de la sociologie, mais on a aussi pas mal d’histoire des sciences, un petit peu de philosophie.

Une autre particularité du médialab, contrairement aux neuf autres laboratoires de Sciences Po qui sont vraiment un laboratoire de science politique, un laboratoire de sociologie, un laboratoire d’histoire, le médialab est un laboratoire un peu interdisciplinaire dans lequel des chercheurs, qui font des choses potentiellement assez différentes, se rassemblent pour essayer de travailler soit sur des sujets communs soit avec des méthodes communes. J’aime bien résumer le médialab comme étant un endroit dans lequel soit on étudie le numérique soit on utilise des méthodes numériques pour étudier un peu tout et n’importe quoi et, le plus souvent en fait, les deux en même temps. C’est-à-dire qu’on va aller étudier le numérique ou l’impact du numérique sur la société tout en employant des méthodes numériques.

Étienne Gonnu : D’accord. On est d’accord que Sciences Po est à priori publique. Tu disais qu’on se moque de Sciences Po, mais je pense que c’est intéressant de voir comment tout cela se structure, comment fonctionne Sciences Po et comment, structurellement, ce laboratoire dépend de l’organisation de Sciences Po. Vous êtes des chercheurs. Êtes-vous directement employés par le médialab ou êtes-vous employés par Sciences Po et vous travaillez pour le médialab ? Je pense que ce serait intéressant de savoir parce qu’il y a aussi, je pense, des questions d’indépendance et d’organisation qui peuvent être intéressantes.

Béatrice Mazoyer : Je pense que je vais te laisser répondre, Benjamin, parce que tu as une meilleure connaissance organisationnelle que moi.

Étienne Gonnu : La question n’est peut-être pas facile.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Sciences Po a un statut assez particulier ; j’espère que la comm’ de Sceinces Po ne nous écoute pas parce que je vais peut-être me faire taper sur les doigts si je ne dis pas les choses correctement !

Sciences Po n’est pas complètement publique. Sciences Po est une école publique et une fondation de droit privé ; elle a un double statut qui fait que ça complexifie un petit peu un certain nombre de choses ; on fait, par exemple, des marchés publics. Pour autant, Béatrice comme moi sommes des salariés de droit privé, nous ne sommes pas des fonctionnaires et il n’y a pas de concours pour être salarié de Sciences Po, nous sommes vraiment des salariés classiques. C’est effectivement un peu différent d’un certain nombre d’autres universités et laboratoires qui sont intégralement publics. Pour autant on est dans un cadre qui est quand même assez proche du public. Les académiques et les professeurs sont recrutés sur un modèle qui est très proche des concours des académiques de la fonction publique. Je ne sais pas si ça répond intégralement à la question.

Étienne Gonnu : Je pense que ça donne une meilleure vision. Du coup, structurellement, y a-t-il une autonomie structurelle de médialab ? Sciences Po est votre employeur et vous travaillez, à temps plein j’imagine, au sein du médialab ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est ça. Nous ne sommes pas des chercheurs à proprement parler. Béatrice pourrait candidater à un poste de chercheur puisqu’elle a une thèse. On est effectivement plus sur des postes d’ingénieur. Après, on fait de la recherche. Disons que le terme de chercheur est souvent associé à ce qu’on a tendance à qualifier plus poliment d’académiques ; en fait c’est avant tout un statut.

Au sein du médialab il y a effectivement des académiques qui sont au nombre de sept ou huit en ce moment, sept. On est une équipe d’une petite dizaine d’ingénieurs ou techniques. Il y a entre cinq et sept personnes dans l’équipe design et, à tout ça, s’ajoutent évidemment une quinzaine de doctorants et un certain nombre de post-doctorants. Les doctorants sont des gens qui font une thèse, qui sont en cours de thèse. Les post-doctorants sont des gens qui ont déjà soutenu leur thèse, qui cherchent à obtenir un poste de professeur et qui généralement, en attendant, bossent sur des projets de recherche d’autres chercheurs, qui sont généralement recrutés en CDD pendant quelques années.

Étienne Gonnu : Béatrice, tu définissais le labo comme un endroit où les gens viennent travailler ensemble. Si on fait cette somme, vous êtes une trentaine de personnes à travailler ensemble sur une diversité de sujets.

Béatrice Mazoyer : Tout à fait, oui.

Étienne Gonnu : Benjamin, tu as commencé à décrire quelle était finalement l’ambition du médialab de Sciences Po, pourquoi il s’est formé. On pourrait peut-être commencer à s’intéresser aux missions que vous vous donnez, l’orientation de vos recherches. Sur le site on peut lire que le médialab de Sciences Po a vocation à interroger la place prise par le numérique dans nos sociétés, ce qui paraît effectivement être un vaste programme et de plus en plus impérieux en termes de question.

J’aurais une première question générale : quel est, pour vous, ce numérique auquel il est faire référence ? C’est un terme qui semble très largement repris dans le langage courant et pourtant je trouve qu’il n’est pas toujours évident, loin s’en faut, de bien comprendre ses limites. Entre les différentes personnes qui vont en parler, dans les différents contextes, on ne va pas forcément entendre la même chose. Est-ce que, pour vous, on parle strictement des technologies numériques ? Est-ce qu’on parle de ce qui a trait aux données ? Est-ce qu’on parle d’un phénomène social global ? Vous qui travaillez sur cette question, quelle lecture avez-vous de ce mot ? C’est quoi le numérique ? Béatrice.

Béatrice Mazoyer : C’est vrai que sur le site du médialab on ne le définit probablement pas très bien parce qu’on se laisse la liberté de voir dans le numérique beaucoup de choses et aussi pour laisser beaucoup de gens le définir à leur guise.

Je pense que pour une très grosse partie des travaux du laboratoire, en fait étudier le numérique ça veut avant tout dire étudier les pratiques sociales sur Internet et ça va passer largement par une étude des traces que les individus ou les organisations laissent sur Internet. Mais, comme le disait tout à l’heure Benjamin, ça veut dire aussi utiliser des outils numériques, des méthodes numériques pour étudier la société. Je peux donner quelques exemples, je pense aux travaux d’un doctorant qui s’appelle Jean-Baptiste Garrocq. Il s’intéresse aux capteurs de la qualité de l’air et voit comment ces capteurs provoquent des mobilisations sociales auprès de différents groupes de citoyens qui cherchent, en fait, à acquérir des connaissances grâce à ces capteurs. Dans les méthodes numériques il y a aussi, par exemple, des algorithmes de traitement automatique du langage. Là je pense à d’autres travaux, par exemple à ceux de Rubing Shen, qui est un autre doctorant du laboratoire, qui utilise ce genre de technique de traitement du langage pour analyser l’évolution du journalisme politique par exemple.

En fait c’est extrêmement vaste. On essaye, en tant qu’ingénieurs au laboratoire, d’être aussi diversifiés que possible dans nos compétences de façon à pouvoir aider les gens au maximum sur leurs différents types d’approche.

Étienne Gonnu : Entendu. Ce qui est intéressant c’est l’idée de se laisser une marge de manœuvre, on en voit tout l’intérêt dans un cadre de recherche. Par contre, quand c’est dans des discours politiques où, justement, on pose un terme qui est très large, on voit comment cette idée de se laisser des marges de manœuvre va avoir aussi un sens différent. Tu voulais réagir sur cette question ? OK.

J’aimerais qu’on se penche aussi sur l’éthique qui va animer, qui va guider un peu les travaux du médialab. Quand on parcourt le site, on voit qu’il y a une importance donnée au libre accès à la connaissance, à la production de savoirs communs, à la science ouverte et, en particulier, aussi au logiciel libre. En introduction j’évoquais que le médialab avait adhéré à l’April. On peut peut-être déjà commencer par ça : quel a été le processus de cette décision ? Pourquoi, finalement, adhérer à l’April ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Moi je suis assez proche de l’April depuis assez longtemps et je suis adhérent depuis probablement dix ans à titre personnel, pour autant je ne m’étais jamais posé la question. Je me suis senti un peu dépourvu lors d’une intervention d’un collègue qui présentait justement la production logicielle du médialab auprès des ateliers BlueHats du gouvernement, qui sont des ateliers dans lesquels diverses organisations présentent un peu ce qu’elles font.

Étienne Gonnu : Je vais préciser. Plus que gouvernement, il y a un pôle logiciel libre animé par Bastien Guerry, un vrai libriste, qui essaie de faire bouger les choses en interne, pour remettre les honneurs là où ils doivent être.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Tout à fait. Lors de cet atelier, un collègue, Guillaume Plique, présente ces outils et quelqu’un demande : « Du coup est-ce que vous adhérez à l’April ? ». Je me suis dit « oui, en fait ce n’est pas bête ! Pourquoi est-ce que ce n’est pas le cas ? ». Du coup j’ai lancé un peu les démarches, j’ai commencé à regarder quels types d’organisations étaient membres au titre de personnes morales. J’en ai parlé un peu en interne, à la fois au responsable de communication du labo et à la direction du labo et tout le monde était plutôt partant. Du coup si on peut contribuer, au moins à notre échelle, à l’activité de l’asso c’est une très bonne chose !

Au-delà de ça, c’est vrai que le laboratoire a été peuplé, lors de ses premières années, en majorité par des ingénieurs. On disait tout à l’heure qu’on est effectivement une trentaine aujourd’hui, dont à peu près un quart ingénieurs, un quart de design, un quart académiques et un quart doctorants, même si c’est un résumé probablement faux. Mais il fut un temps où, je pense, on était plus de 50 % d’ingés dans le labo, ce qui est vraiment atypique. D’ailleurs je me souviens qu’à cette époque, quand je débarquais dans un autre laboratoire de sciences humaines, que je parlais à l’ingénieur qui travaillait pour 25 chercheurs, on me regardait genre « oh là, là, je le rêve ! ». Du coup, forcément, il y a eu un peu cette logique qui s’est développée entre ces personnes à la création du labo qui était « ça nous semble logique de faire des logiciels libres et ça nous semble logique aussi que ce soit la ligne du labo de chercher à aller dans cette direction, que ce soit pour les publications – c’était un peu le début du mouvement de l’open access, en tout cas en France –, sur le logiciel c’était déjà plus ou moins le cas, mais également sur les données, puisqu’il y a un mouvement d’ouverture des données de la recherche qui est aussi en train de croître.

Du coup, au moment de la transformation du labo en vrai laboratoire, on a dû écrire des statuts, un peu comme une asso, un laboratoire a des statuts, et on a inscrit dans nos statuts – ce n’est pas une obligation parce que ça nous paraissait compliqué – le fait qu’il y a un très fort encouragement du laboratoire à ce que l’ensemble des productions du laboratoire s’inscrivent dans des licences libres, que ce soit pour des données, des publications ou des logiciels.

Étienne Gonnu : Du coup, ce n’est pas 100 % ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Logiciels si, mais il y a énormément de données qu’on ne peut pas republier pour des raisons légales, tout simplement. On collecte énormément de données, par exemple sur des réseaux sociaux, et on n’a pas le droit de rediffuser les données qu’on collecterait par exemple sur Twitter. On a juste le droit de redistribuer la liste des identifiants des tweets que l’on a collectés, c’est ce qui est permis légalement déjà par Twitter lui-même et, par ailleurs, en termes de protection de la vie privée, ce sont des données qu’on n’a pas le droit de rediffuser.

De la même manière sur les publications. Je ne vais pas refaire aujourd’hui toute la vie du monde de la publication scientifique, je ne sais pas si tout le monde sait comment marche la recherche, le fonctionnement de la recherche. Quand on veut soumettre un travail, on va le proposer pour publication à une revue. C’est généralement un article qui fait entre 5 et 50 pages, qui va être relu par un comité de lecture de la revue, c‘est-à-dire que d’autres chercheurs de la discipline vont relire le document et faire des suggestions, des remarques, dire que ça ne leur va pas du tout. Il y a vraiment un travail de reviewing, et ensuite ces articles sont acceptés. Malheureusement la plupart des revues sont payantes et interdisent le libre accès. C’est seulement quelque chose de très récent qu’on puisse publier en open access un certain nombre de papiers. On encourage et on essaye autant que possible de le faire mais, malheureusement, ce n’est pas toujours possible.

Étienne Gonnu : Il y a aussi des enjeux économiques très importants derrière. On avait un peu parlé, justement dans cette émission, de l’enjeu politique de la science ouverte, des intérêts économiques forts qui freinent cette démarche. Béatrice, tu souhaites réagir ?

Béatrice Mazoyer : Simplement dire que parfois la logique de publication n’est pas 100 % aux mains-mêmes des auteurs des articles en question. Ils vont publier là où ils pensent que leur article a le plus de chances d’être accepté et dans des revues, si possible, aussi prestigieuses que possible. On est aussi dans une logique de recrutement, de carrière, etc. On ne va pas non plus refaire l’historique de la précarité dans la recherche, elle est réelle. Donc les chercheurs qui publient, publient aussi dans les revues et sont un peu pieds et poings liés face aux conditions qui sont faites aux publications.

Étienne Gonnu : Bien sûr. Je trouve important de faire cette distinction. Il ne s’agit jamais de juger moralement les personnes qui ont des comportements individuels. Que ce soit pour le logiciel libre ou pour beaucoup d’autres démarches plus ou moins militantes, on fait au mieux dans un contexte donné. Le problème est systémique, il n’est jamais dans un comportement individuel. On imagine bien, pour des chercheurs et des chercheuses qui souhaiteraient continuer à faire de la recherche, qu’il y a des rapports de force qui les dépassent. On fait tous au mieux. Pardon pour cette parenthèse.

Peut-être commencer aussi à comprendre comment vous fonctionnez. Tu disais qu’au médialab vous êtes une quinzaine d’ingénieurs, ce qui semble 15 fois plus…

Benjamin Ooghe-Tabanou : Pas une quinzaine, une petite dizaine.

Étienne Gonnu : Ce qui serait du coup dix fois plus, on va dire, par rapport à ton constat dans d’autres laboratoires. J’imagine que ça change aussi profondément la dynamique de recherche et de fonctionnement. Vous parlez de pluridisciplinarité, vous dites qu’il y a une équipe de designers, d’ingénieurs, d’académiques plus traditionnels, du coup comment cela s’agence-t-il ? J’imagine qu’il y a un projet, peut-être que ça part d’un académique, peut-être que ça part plutôt d’une ou d’un ingénieur. Comment s’initie un projet et comment fonctionne cette interdisciplinarité ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Déjà l’interdisciplinarité, étrangement — je pense que c’est lié aussi au profil du laboratoire — est souvent individuelle. Beaucoup de gens qui travaillent au médialab sont pluridisciplinaires. Typiquement Béatrice a une thèse en informatique et, pour autant, elle est côté ingénieur, elle n’est pas côté académique. Elle a totalement des compétences de professeur, d’ailleurs elle donne des cours.

Béatrice Mazoyer : Oui, je donne aussi des cours à Science Po.

Benjamin Ooghe-Tabanou : À côté on a un collègue, Robin de Mourat, qui a à la fois une thèse en design, qui conçoit des projets de recherche et de design, qui code et développe des interfaces et crée des outils. Il y a vraiment ce truc, même parmi les académiques. On a, par exemple, Jean-Philippe Cointet, qui est un chercheur qui a une formation à la base d’ingénieur, je crois, qui a une thèse en sociologie, qui fait de l’analyse de langage et qui crée des algorithmes très compliqués pour exploiter de l’analyse du langage dans des études de sociologie par exemple.

On a vraiment des profils assez divers et pluricompétents. Je pense que ça joue beaucoup sur l’interdisciplinarité des projets en eux-mêmes.

Quand un projet se crée, c’est avant tout, je dirais, un désir, une idée, une envie de creuser une question et, ensuite, ce sont plus les méthodes qui vont être employées qui vont nous amener, au sein de l’équipe technique, ce que j’appelle l’équipe technique ce sont effectivement les ingés, à accompagner un projet. Quand on accompagne un projet, ça peut aller vers du développement ponctuel qui va être spécifique à un projet, mais on essaye, autant que possible, d’éviter de faire ça. Ce qui fait que l’équipe technique, d’une certaine manière, a un agenda propre au sein du laboratoire, qui consiste à chercher à faire des outils qui servent au plus grand nombre et pas seulement à un projet de recherche en particulier. J’aime bien dire, de manière provocatrice, que nous sommes opportunistes, dans le sens où s’il y a un besoin et qu’on pense qu’on peut répondre à ce besoin pour d’autres, on va chercher à s’investir dessus.

Typiquement en ce moment, quelque chose qu’on fait assez souvent à la fois quand on travaille avec des outils de machine learning ou, tout simplement, quand on collecte un certain nombre de données, on a besoin de faire du tri et de la catégorisation. On a, par exemple, un ensemble de tweets et on a besoin, parmi cet ensemble de tweets, de dire « on veut garder ceux-là, on ne veut pas garder ceux-là » et, par ailleurs, « ceux-là sont en français », je donne un exemple. Pour ça, on a un besoin et c’est un besoin qui revient de manière assez régulière ; là j’ai parlé de tweets mais ça pourrait s’appliquer à plein d’autres choses. On a le sentiment, dans l’équipe technique, que ce besoin de trier, catégoriser, est quelque chose auquel on peut répondre par un outil numérique. Du coup, on a une opportunité de développer un outil qui va servir spécifiquement à ce projet en particulier, mais qu’on va pouvoir essayer de déployer dans plein d’autres cas. On a déjà un outil comme ça qui s’appelle Catwalk. En ce moment nous sommes en train de développer une nouvelle version qui permettrait de faire beaucoup plus de choses avec.

C’est un exemple de projet qui est guidé directement en interne, par l’équipe technique, sans qu’il y ait véritablement une demande du laboratoire et de chercheurs en particulier de faire ça, mais on sait que ça va servir à beaucoup d’entre eux. C’est un exemple de la façon dont on s’amène à développer des outils. C’est un outil vraiment final, mais au-delà de ça, au sein du labo, de la même manière on va essayer de développer des librairies, ce qu’on appelle des librairies logicielles, je ne sais pas si vos auditeurs sont familiers de ce concept.

Étienne Gonnu : Partons du principe que tout le monde ne le sait pas forcément, on peut le définir.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Ce qu’on appelle une librairie en informatique, c’est en fait une brique. Comme on avait des briques Lego, les briques carrées et les briques rondes qui permettaient de construire des bâtiments particuliers, c’est pareil en informatique : on a des briques qui vont être nécessaires pour faire, par exemple, de l’analyse de texte, ou pour faire de la collecte de données. On va construire ces briques et on va les remettre en logiciel libre pour qu’elles puissent servir à la fois nos projets mais, potentiellement aussi, d’autres projets. Je me souviendrai toujours de cette histoire : un collègue a développé une librairie comme ça et a reçu un jour, par la poste, des tablettes de chocolat envoyées par le PDG de WhatsApp qui disait « on utilise ta librairie dans notre code, c’est trop bien et je voulais te remercier ». C’est un exemple de logiciel libre réutilisé parce qu’on essaye de faire des choses qui puissent servir à d’autres.

Étienne Gonnu : Ça me paraît très bien. Béatrice.

Béatrice Mazoyer : Je voulais ajouter qu’en plus de notre activité de développement logiciel, je pense qu’on a aussi un rôle à jouer dans la recherche au laboratoire, dans une forme de conseil donné aux chercheurs sur la façon d’utiliser nos outils, même pas que nos outils d’ailleurs, des méthodes numériques et informatiques, de manière générale, dans leurs travaux de recherche. C’est vrai que quand on a une formation, notamment en informatique, on est mieux à même de comprendre comment fonctionnent les algorithmes ou les outils qui sont utilisés, et de mettre en garde contre une utilisation, une interprétation qui, parfois, ne serait pas tout à fait correcte. Je peux donner l’exemple qu’on donne assez souvent sur l’analyse de réseau.
En analyse de réseau, on dispose maintenant d’un certain nombre d’algorithmes qui permettent assez facilement de visualiser les données de réseau de façon claire pour essayer de regrouper, dans l‘espace, les nœuds d’un réseau qui vont être liés entre eux et écarter les nœuds d’un réseau qui sont moins liés. On a aussi des outils qui permettent de calculer des communautés qui seraient, en fait, les éléments d’un réseau qui seraient les plus connectés entre eux. Le problème, c’est qu’une fois qu’on a une très jolie visualisation avec des communautés, des couleurs, etc., c’est un petit peu facile, ensuite, de passer directement à une interprétation un peu trompeuse qui irait dire « tous ces gens-là, qu’on a représentés dans le réseau, font partie de cette communauté-là ». Une partie de notre travail consiste à dire que notre outil permet de visualiser des choses, il ne permet pas forcément de donner des catégories. Toujours ajouter notre critique et inciter à prendre un pas de recul par rapport à ce que proposent les outils pour ne pas les utiliser de façon trop directe, j’aurais tendance à dire.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Pour paraphraser ce que tu viens de dire, c’est vrai que j’ai souvent l’impression que les gens de l’équipe technique sont ceux qui vont être les plus prudents vis-à-vis de l’utilisation du numérique. On peut avoir des gens qui sont totalement acculturés sur les méthodes numériques, qui vont arriver et nous dire « je veux faire ça, où est le bouton magique sur lequel je vais appuyer et ça va produire le résultat ? ». On est toujours là, et c’est aussi un héritage de Bruno Latour, pour, au contraire, revenir au réel. Ce n’est pas parce qu’on a collecté toutes ces données qu’il faut, du coup, en tirer une analyse statistique. Un exemple tout bête : des études régulières collectent plein de données sur Twitter et, à partir de ça, établissent une évaluation du bonheur moyen des gens. Au médialab, on a tendance à être beaucoup plus prudents vis-à-vis de ce genre d’approche, et plus à toujours chercher à remettre en question des résultats qu’on pourrait obtenir de manière automatisée, essayer de revenir vraiment aux données, de faire un travail un peu qualitatif, aller regarder ce qu’est vraiment le terrain et ce que sont vraiment les acteurs qu’on étudie.

Étienne Gonnu : C’est intéressant. J’aime bien cette image du bouton magique. Je trouve que l’informatique, les technologies, ont un côté magique dont il faut se méfier. La magie c’est la science qu’on n’explique pas encore, quelque part, et se retrouver avec un pouvoir politique, un pouvoir collectif sur ces outils, c’est justement comprendre qu’en fait rien n’est neutre, il y a une raison d’être derrière les choses et il y a un savoir à avoir. Bref !

On va faire une pause musicale. Après cette pause, on pourra peut-être prendre des exemples un peu plus concrets d’outils sur lesquels vous travaillez dans le cadre de projets un peu plus concrets. Vous avez évoqué beaucoup de choses : les nœuds informatiques, le machine learning, pourquoi, finalement, aller chercher toutes ces données sur Twitter. Vous avez commencé à esquisser un petit peu des usages. Je pense que ce sera plus clair pour des personnes extérieures de comprendre à partir de projets plus précis. On pourra explorer ça après la pause musicale.

Je vous propose d’écouter Agger par Stone From The Sky. On se retrouve dans environ quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Agger par Stone From The Sky.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Agger par Stone From The Sky, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC BY SA.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April et nous discutons avec Béatrice Mazoyer et Benjamin Ooghe-Tabanou, deux ingénieurs de recherche au médialab de Sciences Po, un laboratoire de recherche interdisciplinaire avec une forte éthique libriste.

N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecomune.fm, bouton « chat ».

Avant la pause on évoquait ce rôle d’accompagnement que peuvent effectivement avoir les ingénieurs au sein du médialab. Pendant la pause, Béatrice, tu évoquais une initiative que vous avez développée au sein du labo.

Béatrice Mazoyer : Sur ce sujet de l’accompagnement méthodologique, on a mis en place, à Sciences, Po un atelier mensuel qui s’appelle le METAT, un atelier de soutien méthodologique ouvert à tous. C’est sur inscription, il y a un site, si on cherche « METAT Sciences Po ».

Étienne Gonnu : De toute façon, je vous redemanderai toutes ces références. On a une page web dédiée à l’émission où on met toutes les références qui peuvent être utiles et qui sont citées, on mettra celle-ci.

Béatrice Mazoyer : D’accord. Cet atelier permet à des chercheurs mais aussi à des gens qui ne sont pas chercheurs, c’est vraiment ouvert à n’importe qui, de venir avec ses problèmes méthodologiques et on passe une après-midi à essayer de trouver des solutions. Pour les ingénieurs du médialab, c’est vraiment aussi un moment de formation. Face à de nouvelles problématiques d’utilisateur, on se rend compte des connaissances qu’ont les autres ingénieurs du laboratoire et de la façon dont eux règlent ces problématiques-là. C’est aussi comment se servir des outils qu’on développe au laboratoire pour les publics. D’une manière générale c’est aussi, je trouve, un moment convivial, on se retrouve tout d’un coup tous dans la même pièce pendant une après-midi et c’est un très bon moment.

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est aussi l’occasion de nous confronter à des recherches qui ne nous seraient pas venues autrement, vraiment de toute nature, de recherche ou autre, parce qu’on peut avoir des publics très différents à cette occasion.

Étienne Gonnu : C’est quand le prochain ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est le deuxième mardi après-midi de chaque mois, le prochain doit être le 8 novembre.

Étienne Gonnu : En plus, il n’y aura pas d’émission inédite le 8 novembre. Si quelqu’un décide d’y aller, que suivre un direct de Libre à vous ! ne soit pas un frein !

Tu me disais, Benjamin, qu’il y a un autre évènement auquel vous participez aussi, le FOSDEM,

Benjamin Ooghe-Tabanou : Pour les gens qui connaissent un peu le logiciel libre, le FOSDEM est la conférence européenne annuelle à Bruxelles, à l’Université libre de Bruxelles. C’est un week-end de deux jours pendant lequel des développeurs de logiciels libres les plus divers et variés, du monde entier, se rassemblent et présentent les dernières avancées, les derniers développements dans tous les domaines. Cette conférence est également très conviviale, un peu auto-organisée, un évènement très sympa.

C’est un peu aussi le moment team building de l’équipe technique du médialab depuis, je pense, cinq ou six ans, qui nous a amenés d’ailleurs très vite à coorganiser une devroom. Il y a différents tracks dans lesquels sont présentés des sujets : il y a la salle Python, qui est un langage informatique, il y a la salle Java, un autre langage informatique. Il y a, comme ça, des salles dédiées à des sujets ; il y a une salle visualisation de réseau. On a participé à la création d’une salle open tools for open research and journalism. C’est là que sont justement présentés des outils qui sont déployés un peu dans la même veine de ce que nous faisons, parce que nous ne sommes pas les seuls, encore heureux. Il y a des laboratoires du même acabit que le médialab où on trouve des choses assez semblables, dans différents pays. C’est aussi l’occasion de croiser ces personnes et d’échanger.

Étienne Gonnu : On va revenir un peu en arrière, ça m’évoque une question que je trouve intéressante, sinon je ne la poserais pas ! Vous n’êtes pas une exception, puisqu’au niveau international il y a d’autres labos qui vont partager un peu la même structuration que celle du médialab. Vous fonctionnez de façon internationale ? Vous avez des formes de collectif, des échanges réguliers avec ces autres structures ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Il existe The Public Data Lab qui est, en fait, une coalition de projets assez semblables, qui, je dois avouer, s’est créée avant le covid et j’ai l’impression qu’avec le covid ça a un peu périclité, en tout cas ce n’est plus très actif. Ce sont des gens, des partenaires avec lesquels on continue à échanger régulièrement.

Béatrice Mazoyer : Je ne connais pas encore bien toute la galaxie des laboratoires européens et internationaux qui font des choses similaires aux nôtres.

Benjamin Ooghe-Tabanou : On peut citer DMI en Hollande, le Tantlab à Copenhague, on peut citer Density Design à Milan.

Étienne Gonnu : Vous n’avez pas des échanges de travaux réguliers, c’est plus dans le cadre d’évènements.

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est plus ponctuel. Ça va être lors d’évènements. À une époque il y avait plusieurs projets de recherche internationaux qui se sont tous conclus récemment.

Étienne Gonnu : Ça me donne une transition parfaite pour la suite de notre échange. Comme on disait avant la pause, pour avoir une vision un peu plus précise et claire de ce que vous développez comme outils, pourquoi vous les développez, à quelles fins, etc., on peut prendre des exemples concrets. Vous m’avez proposé de présenter un ces outils qui est « Minette ». Quand on parcourt le site on lit qu’ « il s’inscrit dans une activité : quelle circulation de l’information dans l’espace public numérique ? » – on peut peut-être développer là-dessus – et je vois que le projet a été mené conjointement avec l’équipe du Berkman Klein Center à Harvard et du MIT à Cambridge.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Ce n’est pas l’outil Minet. C’est un projet de recherche qui a été fait conjointement avec le Berkman Klein Center, c’est le projet polarisation. Je vais peut-être laisser la parole à Béatrice sur Minet, on dit « Maïnette ».

Béatrice Mazoyer : On dit « Maïnette ».

Benjamin Ooghe-Tabanou : Quand on l’a créé il y avait un peu une blague aussi sur Bernard Minet, je dois avouer.

Béatrice Mazoyer : Je vois souvent des gens venir me voir en disant « j’aimerais que tu montes un truc sur "Minet" », donc j’ai pris l’habitude de dire « Minet » ; tout me va !

Minet, en fait c’est un petit peu notre outil couteau suisse au médialab pour télécharger des données du Web d’une manière générale. C’est un outil en ligne de commande. Je ne sais pas si nos auditeurs connaissent bien la ligne de commande.

Étienne Gonnu : C’est une manière d’interagir avec un ordinateur.

Béatrice Mazoyer : Voilà, c’est une manière d’interagir avec un ordinateur. Pour des développeurs d’outils, disons que c’est un moyen relativement simple de mettre un certain nombre de commandes accessibles sans forcément avoir à développer une interface utilisateur très complexe avec des boutons, des images, etc. Là, l’idée c’est plutôt de dire en quelques mots ce qu’on veut. On va taper « minet ». Ensuite imaginons qu’on veuille télécharger une liste d’URL qu’on aura déjà au préalable constituée, par exemple des images, on va utiliser « minet fetch » et ensuite on va donner l’adresse du fichier où on a stocké la liste des images. Minet lance le téléchargement avec un certain nombre de paramètres pour éviter d’aller trop souvent taper sur le même site internet, donc il va faire des pauses entre les moments.

Il y a aussi « minet twitter » ou « minet youtube » qui permettent d’aller télécharger des commentaires sur YouTube, télécharger des tweets. Je n’ai même plus en tête toutes les commandes qui sont associées à minet, qui sont tout ce qu’on a pu rassembler d’outils dont les membres du laboratoire avaient besoin assez régulièrement d’utiliser pour leurs collectes de données.

Étienne Gonnu : C’est donc parti d’un besoin exprimé par la recherche académique, on a besoin de collecter ces typologies de données-là, et vous avez développé un outil pour répondre à ce besoin-là ?

Béatrice Mazoyer : Oui. Là je vais parler plus spécifiquement sur les réseaux sociaux parce qu’on a quand même beaucoup de chercheurs qui s’intéressent aux réseaux sociaux, comment les gens s’expriment en ligne sur ces réseaux. Des techniques permettent d’accéder aux données sur les réseaux, notamment des API, des Application programming interfaces, qui sont une forme de façade proposée par une organisation à laquelle on va pouvoir toquer pour dire « bonjour, j’aimerais avoir accès à tel type de données ». Souvent ces API ne donnent pas accès à tant de choses que ça et ce n’est pas si simple non plus de bien comprendre la documentation de ces API pour savoir quel type d’appel il faut faire, à quelle fréquence, pour obtenir tel type de données.

En fait, il y a quand même un savoir qui est de plus en plus développé parmi les chercheurs pour s’adresser à ces API. Maintenant beaucoup savent programmer un peu et faire la requête qui va être nécessaire pour télécharger des données. En fait, ça leur prend beaucoup de temps et, parfois, ils vont se retrouver bloqués bêtement parce qu’ils ont réussi à obtenir leur premier paquet de données, mais ils ne savent pas comment faire pour le suivant, pour passer à la deuxième page ; des choses très simples mais qui peuvent être un petit peu généralisées et faire en sorte qu’ils n’aient plus à se poser ce type de question. Ils tapent juste la commande, ils ont leur fichier de résultats et tout ça se passe beaucoup mieux.

Benjamin Ooghe-Tabanou : En fait Minet agrège toute notre expérience. On a souvent fait des choses par rapport à des demandes et on s’est pris des murs comme toujours quand on développe, c’est-à-dire qu’on essaie de faire un truc, ça ne marche pas, puis on finit par trouver la solution. C’est une expérience qui est précieuse et, s’il faut recoder à chaque fois, c’est une perte de temps. Du coup, dans ces cas-là, on essaye de l’intégrer sous la forme de quelque chose de générique qui pourra resservir. Donc Minet accueille toutes ces choses : dès qu’il s’agit de collecter des données, on met dans Minet. En ce moment, on est en train d’ajouter Instagram et TikTok.

Étienne Gonnu : Si je comprends bien la démarche, ce n’est pas forcément sur un objet précis : on vient vous chercher et vous développez un outil à cette occasion, c’est d’ailleurs ce que tu évoquais un peu plus tôt dans l’émission. Vous êtes un groupe d’ingénieurs, vous constatez des demandes similaires et vous dites « on constate un besoin récurrent, là il est peut-être pertinent, pour y répondre, de développer un nouvel outil puisqu’il n’existe pas encore par ailleurs. » 

Benjamin Ooghe-Tabanou : C’est exactement ça, si ce n’est que parfois, des outils semblables existent par ailleurs, mais on n’a pas forcément toujours le temps d’aller tous les chercher, tous les tester. Des fois, réinventer la roue ça marche quand même, même si, en fait, ce n’est pas réinventer la roue, c’est plus qu’on va vouloir le faire avec des angles qui sont toujours un peu plus spécifiques. On a aussi cette approche recherche, je vais me faire taper sur les doigts par la CNIL, qui consiste à prendre un maximum d’informations d’un coup parce que, souvent, on va trouver de l’information importante dans quelque chose qu’on n’aura pas imaginé d’avance ; c’est important de pouvoir collecter un maximum et ensuite traiter, voire analyser.

Étienne Gonnu : Un autre outil que vous pourriez peut-être nous présenter pour qu’on ait une vision un peu plus large de ce que vous pouvez produire ?

Benjamin Ooghe-Tabanou : Je peux vous parler de Hyphe, qu’on prononce « aif », même si ce n‘est pas du tout une prononciation correcte en anglais. C’est un outil qui vise à créer des cartographies du Web, c’est-à-dire à faire une carte de sites web et de comment ces sites sont reliés les uns avec les autres. Béatrice parlait tout à l’heure de visualisation de réseau, donc c’est ça, ça donne un réseau de liens entre ces différents sites, qui vont être plus ou moins proches sur la carte suivant s’ils sont très liés ensemble ou pas.

Typiquement on a fait une carte de tous les médias français à un moment, ce n’est pas très intéressant parce que ça fait une grosse boule de nœuds où tout est lié parce qu’ils se citent tous les uns les autres. On a pu faire, par exemple, une carte du Web pro-avortement et du Web anti-avortement et ça donne des communautés assez claires avec des sous-communautés de ceux qui sont plutôt pour la mise en avant de solutions, d’autres qui sont plutôt sur le combat contre les anti-avortements, etc.

C’est un outil clés en main qui, encore une fois, n’a pas vocation à être magique. C’est ce qu’on appelle un crawler, un robot qu’on envoie sur le Web, qui va fouiller les pages web et qui va cliquer. En fait c’est comme si on envoyait un robot cliquer tout seul de manière maladive, cliquer sur tous les liens qu’il va trouver dans une page. Des crawlers existaient déjà dans les sciences humaines. C’était souvent un peu magique : on lui donnait un point de départ et il cliquait partout. Du coup il arrivait avec une grosse carte dans laquelle beaucoup de choses n’étaient pas forcément très intéressantes. Quand on clique partout sur le Web on arrive inévitablement sur Google, sur YouTube, sur Wikipédia, qui sont des sites un peu attracteurs, parce qu’il y a des liens partout vers eux.

Dans Hyphe, l’idée c’est justement de faire ça mais de manière guidée par le chercheur, c’est-à-dire que c’est le chercheur qui, à tout instant, va dire « ce site-là m’intéresse, je vais le fouiller, mais tu ne vas pas cliquer sur les liens dès que tu sors du site ». Par contre, il va retourner la liste de tous les sites qui sont les plus cités par ceux qu’on a déjà fouillés. Du coup, comme ça, on va voir, au début, apparaître effectivement YouTube, Google, Wikipédia, pour ceux-là on dit « je n’en veux pas », « je n’en veux pas », « je n’en veux pas ». Par contre, ceux qui apparaissent après sont potentiellement intéressants, on va les sélectionner et, progressivement comme ça, de manière itérative, on va créer une carte. Il y a toujours un problème qui est de savoir quand est-ce qu’on s’arrête, grosse question des chercheurs. On pourrait continuer de manière infinie tellement le Web...

Étienne Gonnu : C’est le métier de chercheur et l’expérience.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Ce sont des choix. L’idée c’est vraiment qu’il y a un choix humain, que ce n’est pas entièrement automatisé. C’est un outil automatisé qui permet de faire plein de choses, mais qui doit être guidé par l’utilisateur.

Étienne Gonnu : Si je comprends bien, pour résumer, les outils que vous développez permettent, face à l’immensité des données qui existent, à la complexité des réseaux, etc., à des chercheurs en sciences sociales qui font, par exemple, des recherches sur des mouvements politiques autour de l’avortement, d’avoir accès à des données plus pertinentes, plus restreintes, plus lisibles en fait, pour répondre à leurs besoins de recherche.

Benjamin Ooghe-Tabanou : En l’occurrence oui, c’est un peu ça.

Étienne Gonnu : D’accord. Je vois que le temps avance. Vous vouliez parler aussi de thèmes sur lesquels vous travaillez. Vous aviez évoqué ce qu’on appelle les fake news. On pourrait faire plusieurs émissions sur cette idée de fausses informations, etc., parce qu’il y a beaucoup d’enjeux qui s’attachent autour, en tout cas il y a une vraie thématique dessus, sur l’analyse d’images. Si vous voulez choisir une de ces thématiques pour nous donner une autre approche du travail du médialab, ça peut être intéressant. Béatrice.

Béatrice Mazoyer : Je peux éventuellement parler de l’analyse d’images.

Étienne Gonnu : C’est très intéressant !

Béatrice Mazoyer : J’ai fait ma thèse, certes une thèse en informatique, mais qui était assez multidisciplinaire aussi puisque j’ai étudié la circulation de l’information entre les réseaux sociaux et les médias traditionnels. Au cours de ma thèse, j’ai fait beaucoup de traitement automatique du texte et c’est vrai qu’à la fin de ma thèse j’avais un petit peu une frustration : l’information circule par le texte, mais soyons honnêtes, j’ai quand même manqué beaucoup de choses parce que l’image a aussi un rôle important dans la circulation de information, mais c’est beaucoup plus difficile à qualifier.

Autant on sait à peu près dire « OK, voici deux textes qui parlent de la même chose », autant on est encore assez balbutiant pour dire « voici deux images qui parlent de la même chose ». On sait dire maintenant, avec les outils de machine learning, « OK, voici deux images du même objet », deux images de chat, ça va, on sait à peu près dire que c’est la même chose. Par contre, on a plus de difficultés pour dire « voici deux images qui représentent la même chose », mais d’un point de vue plus conceptuel, notamment si on pense, par exemple, aux mèmes. En fait c’est infini, parce qu’avec la même image on peut représenter plein de concepts et plein d’idées.

Étienne Gonnu : On va préciser que les mèmes c’est une image. Je pense que ça peut être intéressant à définir ; je pense que dans nos milieux on a l’habitude d’entendre ce terme et c’est une évidence, ça ne l’est pas forcément pour toutes les personnes qui nous écoutent.

Béatrice Mazoyer : Je n’ai pas réfléchi à l’avance à la façon de définir un mème.

Étienne Gonnu : Je suis en train d’y penser, mais ce n’est pas simple à définir.

Béatrice Mazoyer : Pour moi ce serait une image, justement, qui va être repartagée et repartagée au point de devenir, entre guillemets, « une culture commune » pour une certaine communauté. On va la réutiliser souvent en faisant des petites modifications, on va probablement modifier soit le texte, soit mettre en parallèle deux images mais qui ne seront pas exactement les mêmes, pour justement l’utiliser au gré des circonstances, pour lui faire dire des choses différentes.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Un exemple connu assez récent c’est le couple dont le garçon se retourne pour regarder une autre fille, dont la fille le regarde outrée et où les gens ont collé, par exemple, un iPod et du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Je pensais au chien dans une pièce en flammes qui dit « tout va bien ». Bravo Béatrice parce que je trouve que tu as défini de manière très claire un concept qui n’est pas forcément si simple à définir.

Béatrice Mazoyer : Avec Nicolas Hervé, un chercheur de l’INA, l’Institut national de l’audiovisuel – c’est là que j’ai fait ma thèse en partie et puis dans plusieurs institutions –, on cherche à développer un outil qui permette de regrouper ensemble les images qui partagent le même morceau d’image. Ça paraît relativement simple comme ça, après tout s’il y a la même chose sur une image, ça devrait être facile de faire le lien. En réalité, une fois qu’on se pose les bonnes questions, c’est-à-dire à partir de quel moment on considère qu’un morceau d’image est suffisamment complet pour qu’on fasse le lien entre deux images, on se rend compte que c’est une thématique un petit peu complexe. L’idée, là encore, c’est d’essayer de guider l’utilisateur vers des groupes d’images qui aient du sens. Évidemment, on ne veut pas que toutes les images où il y a du texte se retrouvent groupées ensemble parce qu’elles contiennent la lettre « A », par exemple. En fait, ce sont aussi des essais/erreurs pour essayer de mettre au point les bonnes heuristiques, les bonnes règles qui vont permettre ensuite à nos utilisateurs de trouver toutes les images qui ont effectivement bien partagé le même mème. Je travaille donc là-dessus en ce moment.

Étienne Gonnu : D’accord. En tout cas ça a l’air passionnant.

On arrive malheureusement à la fin de notre échange. Pour conclure, j’aimerais demander à chacun et chacune, en deux minutes, voire une minute si vous y arrivez, de nous dire quels sont pour vous les points essentiels à retenir de notre échange. Béatrice, puisque tu avais la parole.

Béatrice Mazoyer : De manière générale, avec le développement de nouveaux outils, je pense qu’on permet le développement de nouvelles méthodes de recherche en sciences sociales, c’est ce qu’on cherche à faire au médialab. C’est aussi, en tout cas j’espère, toute une nouvelle génération de chercheurs, de doctorants, de post-doctorants qui sont formés à une nouvelle forme de culture numérique.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Je dirais avant tout que c’est un labo atypique, qui fait des sciences sociales, du coup, avec des nouvelles méthodes. D’ailleurs on parle beaucoup des méthodes numériques, on n’a pas eu le temps de développer sur le design, il y a aussi une forte approche sur le design d’évènements, le design d’atelier, le design de la recherche un peu participative et qui suppose, en fait, une réflexion un peu différente. Du coup je dirais que c’est un labo atypique pour les sciences sociales, qui produit des logiciels open source, libres, et qui vise à étudier la société et le rôle du numérique dans la société, que ce soit avec ou sans des méthodes numériques.

Étienne Gonnu : Super. Béatrice Mazoyer et Benjamin Ooghe-Tabanou, deux ingénieurs de recherche du médialab de Sciences Po, merci beaucoup d’avoir pris ce temps pour venir discuter avec nous, c’était un plaisir de vous recevoir.

Béatrice Mazoyer : Merci d’avoir fait l’invitation.

Étienne Gonnu : Peut-être qu’on pourra faire d’autres sujets sur le design, il y a encore beaucoup à dire. Un grand merci. Je vous souhaite une bonne fin de journée.

Benjamin Ooghe-Tabanou : Merci.

Étienne Gonnu : Merci.

Étienne Gonnu : Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons écouter Rattlesnake par Fog Lake. On se retrouve dans environ quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause commune, la voix des possibles

Pause musicale : Rattlesnake par Fog Lake.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Rattlesnake par Fog Lake, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC BY.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. On passe au sujet suivant.

[Virgule musicale]

La pituite de Luk : « Boomer un jour, boomer toujours »

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec une nouvelle pituite de Luk « Boomer un jour, boomer toujours ». Une chronique qui, aujourd’hui — je préfère vous prévenir — évoque des sujets difficiles : la maltraitance et l’infanticide. Une chronique percutante, donc, pour nous rappeler les enjeux politiques autour de l’accès des mineurs aux réseaux informatiques, de l’enjeu de leur accompagnement et de leur protection.
On écoute Luk et on se retrouve juste après, toujours en direct sur la radio Cause Commune.

[Virgule sonore]

Luk : Le mois dernier, j’expliquais que je suis un boomer, un membre légitime de la team vieux con. Je vais m’appliquer à me perfectionner cette fois encore.

Ainsi, j’étais récemment en week-end en tant que pièce rapportée. Il y avait là, essentiellement des personnes qui organisent leur quotidien avec WhatsApp. Autant dire que les libertés informatiques n’étaient pas le sujet de discussion numéro 1, ni numéro 2, ni numéro 256, 512 ou 1024…

Était également présente une fillette de huit ans qui venait juste de récupérer un ordiphone avec un accès à Internet non supervisé. Elle a écumé TikTok pendant deux jours. J’ai gardé pour moi ma consternation et ma colère. Je rappelle que je suis un boomer. Je me suis ramolli. Raisonnable et vaguement diplomate. Lâche quoi !
J’avais envie de lui conseiller de féliciter Xi Jin Ping pour sa réélection. D’abord, c’est bon pour sa note sociale, il faut voir le long terme, il y a une bonne chance que ça lui soit utile quand elle sera adulte. D’autre part, les Pedobears qui rodent se seraient sans doute dit que c’était un compte d’astroturfer et seraient partis chercher une autre victime.

Récemment, les faits divers ont rapporté le cas d’un enfant de douze ans dont le téléphone a révélé des visites sur des sites de rencontre gay et la photo dénudée d’un homme plus âgé que lui. L’article ne dit pas si l’enfant avait pris la peine de rendre hommage à Xi ou de contester les appels au boycott de la Coupe du monde du Qatar pour brouiller les pistes. Je parie que non !

On pourrait penser que tout le monde se soucie de la sécurité des enfants et qu’on a juste besoin de plus de sensibilisation au numérique, mais pas si sûr !

Considérant le désinvestissements dans l’éducation et la politique environnementale suicidaire de nos élites en général, le développement et le bien-être de la jeunesse n’est manifestement pas une priorité. Mais c’est peut-être un bon calcul quand on y pense. Vu la guerre qui se profile à l’horizon, faut-il vraiment miser sur la jeune génération ? Faudrait pas gâcher.

Les enfants, ça ne compte pas tant que ça. C’est du consommable. On sait que quiconque se fait assassiner, molester, escroquer, le sera le plus souvent par quelqu’un qu’il connaît. C’est pour ça que, soucieux de ma propre sécurité, je minimise les contacts avec ma famille et mes amis. Les enfants, eux, n’ont pas ce choix. Leurs parents sont leurs premiers bourreaux. En France, les enfants comptent tellement peu que nous n’avons pas vraiment de statistiques pour suivre les violences dont ils font l’objet.
Anne Turz, pédiatre et épidémiologiste, annonce le chiffre vérifié de 255 bébés de moins d’un an tués annuellement par leurs parents. 22 % des adultes estiment avoir été maltraités pendant leur enfance. Je n’ai, moi-même, pas d’enfants, donc je me sens infiniment supérieur à vous autres, les parents. Vous êtes tous des tortionnaires et des assassins qui s’ignorent !

Quel rapport avec le numérique ? J’en vois bien un là, tout de suite. OVH a annoncé avoir testé des méthodes de refroidissement de serveurs en les noyant dans un liquide. On pourrait croire que c’est un calcul pour avoir de l’eau déjà présente dans leurs datacenters, au cas où ça cramerait encore. Mais moi je pense que c’est inspiré par les noyades de petits enfants dans la Vologne, la Méditerranée ou la piscine de Papy et Mamie.

En fait, il y a un autre rapport plus à propos. Quand la mère de ce fameux enfant de 12 ans qui se trouvait dans le viseur d’un possible prédateur sexuel a découvert l’affaire, elle a entrepris de lui faire ingurgiter de la Javel pour se débarrasser de son fils. « Je ne veux pas de pédés chez moi », a-t-elle déclaré. Son conjoint était là, mais il n’a fait que regarder : le partage des tâches au sein du couple, ce n’est toujours pas gagné ! Mais le jeune homme tenait suffisamment à la vie pour désobéir et a recraché le produit. Sa mère a ensuite entrepris de l’emmener au pont le plus proche pour le jeter dans le fleuve. Fort heureusement, il est parvenu à s’échapper et il a trouvé refuge au commissariat.

Voilà, il n’y a pas que les vils pédophiles qui rôdent. Le secret du foyer est un environnement à haut risque. Conserver ses secrets est une nécessité pour nombre de jeunes qui n’ont pas gagné les meilleurs parents à la grande loterie de la vie. Qu’on soit adulte ou enfant, maîtriser son informatique est potentiellement une question de survie. Les seconds n’ont pas la capacité à comprendre les situations et à évaluer les risques. C’est pour ça que le libre accès aux réseaux sociaux et à Internet devrait attendre qu’ils mûrissent.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous voilà de retour en direct dans Libre à vous !, l’émission de l’April qui vous raconte les libertés informatiques sur la radio Cause Commune. Nous venons d’écouter la dernière chronique de Luk « Boomer un jour, boomer toujours ».

Nous approchons de la fin de l’émission et nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Lundi 7 novembre, à partir de 14 heures, la CNIL organise un événement « Élaborer l’éthique du numérique éducatif : un défi collectif ». Trois tables rondes se succéderont, notamment sur la question des données d’éducation et des pratiques numériques en matière d’éducation. L’événement aura lieu à la CNIL et sera aussi diffusé en ligne. Il est demandé de s’inscrire.

Les 8 et 9 novembre, l’April sera présente au salon Open Source Expérience, au Palais des Congrès à Paris, un salon professionnel du logiciel libre. Nous y tiendrons un stand et, ma collègue Isabella et moi-même, ferons une conférence de présentation des actions de l’April le mercredi 9 à 11 heures 30. L’entrée est réservée aux professionnels, nous dit le site, et gratuite.

À ce sujet, nous avons réalisé l’année dernière une émission spéciale depuis ce salon, un podcast que vous pouvez retrouver sur libreavous.org/121. Pour différentes raisons, notamment de charge logistique, nous ne réitérerons pas l’exercice cette année, mais si vous voulez écouter un peu l’ambiance de ce salon, vous pouvez la découvrir dans ce podcast.

Je vous invite à consulter le site agendadulibre.org pour trouver des événements en lien avec les logiciels libres ou la culture libre près de chez vous.

L’April participe à cette belle aventure que représente Cause Commune, une radio associative, et la radio a besoin de soutien financier, notamment pour payer les frais matériels, le loyer du studio, la diffusion sur la bande FM, etc. Nous vous encourageons à aider la radio en faisant un don. Toutes les infos sont sur le site causecommune.fm. Vous pouvez aussi aider en consacrant du temps.

Et, puisqu’on parle de contribution, l’émission Libre à vous ! est un projet collectif. Je salue à nouveau Thierry, bénévole, qui est en train de se former à la régie, qui s’en est très bien sorti, je trouve, ou encore Julien, qui vient de rejoindre l’équipe de traitement des podcasts. Il y a de nombreuses manières de contribuer à cette émission, par exemple en proposant des sujets. Donc, si l’aventure vous tente, n’hésitez pas à nous contacter.

Notre émission se termine, comme vous pouvez l’entendre au générique de fin.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Lorette et Laurent Costy, Béatrice Mazoyer, Benjamin Ooghe-Tabanou, l’incroyable Luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Thierry Holleville aidé d’Isabella Vanni.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1 ainsi que Julien Osman, tous et toutes bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpera le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous trouverez sur notre site web libreavous.org toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact@libre à vous.org.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et également à faire connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 15 novembre 2022 à 15 heures 30. En effet, nous ne diffuserons pas d’émission inédite la semaine prochaine, puisque ce sera un jour férié. Et nous serons tous et toutes présentes au salon Open Source Expérience le mardi 8 novembre, donc incapables d’organiser et d’animer une émission.

On se retrouve le 15 novembre. Notre sujet principal portera sur les technologies numériques et la transition écologique. Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct dans trois semaines environ et d’ici là, portez-vous bien !

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.