Ces pépites du monde libre...

Delphine : Vous êtes sur le plateau de Smart Tech, de retour sur la chaîne B Smart. On parle d’innovation, de société numérique ici. On terminera d’ailleurs l’émission avec, vous verrez, une batterie assez étonnante : la plus longue et la plus souple du monde. Mais d’abord nous avons rendez-vous avec le monde du Libre et Jean-Paul Smets, le PDG de Rapid.Space [1]. Bonjour Jean-Paul.

Jean-Paul Smets : Bonjour Delphine.

Delphine : Je disais en introduction que l’activité dans ce monde du Libre est très très riche ce mois-ci, avec des nouveautés logicielles, matérielles et aussi dans les médicaments, dont vous nous aviez déjà parlé, qui sont issus de la recherche open source pour traiter notamment le Covid-19. On va démarrer avec l’actu logicielle.

Jean-Paul Smets : Ce mois-ci, c’est la sortie de KiCad 6. KiCad [2] c’est le logiciel qui sert à concevoir les cartes mères, les stations de base 5G, les objets connectés… C’est un logiciel libre qui est l’équivalent, pour ceux qui connaissent, du logiciel propriétaire Altiom ou encore Eagle, et c’est un logiciel qui a une énorme communauté dans le monde.

Delphine : Qui est à l’origine de KiCad ?

Jean-Paul Smets : C’est Jean-Pierre Charas, qui travaillait à l’Institut Universitaire Technologique de Grenoble, qui a créé KiCad en 1994, il y a 30 ans. Aujourd’hui le projet est géré par Wayne Stambaugh et a reçu le soutien du Centre européen de Recherche nucléaire, le même centre qui a inventé le Web en 1989.

Delphine : Vous avez cité les applications, mais j’ai oublié de vous demander qui utilise concrètement KiCad.

Jean-Paul Smets : Des gens qui font des ordinateurs, des drones, des téléphones. Par exemple Purism aux États-Unis ou la société finlandaise FCQ qui est dans le domaine de la sécurité et fabrique des clés USB programmables. Et le gros fabricant européen de matériel électronique qui utilise KiCad est une société bulgare qui s’appelle Olimex [3].

Delphine : OK, alors justement parlons matériel. Il y a eu une annonce cette semaine : un nouvel ordinateur pour l’edge computing.

Jean-Paul Smets : Oui. Olimex fabriquait déjà un ordinateur à base de processeurs européens STM 32 MP de style micro, ça ressemblait un peu à un Raspberry Pi, mais un peu plus solide pour les applications industrielles. Et là, ils sortent une nouvelle machine, encore avec un processeur européen de la société NXP, qui appartenait avant à Philips ; il s’appelle le i.MX 8M Plus, toujours des noms magnifiques !

Delphine : Oui, on ne s’en rappellera pas, Jean-Paul !

Jean-Paul Smets : Il est capable de faire 2300 milliards d’opérations par seconde avec un système d’accélération neuronale, pour l’intelligence artificielle, pour faire, par exemple, de la reconnaissance optique de défauts dans les usines ou de la reconnaissance faciale dans les caméras intelligentes. On a donc là un premier outil solide de edge-computing en Europe, peut-être bientôt de space-computing puisqu’Olimex équipe de nombreux satellites russes.

Delphine : Et c’est donc du matériel libre ?

Jean-Paul Smets : Tout est libre, le code de l’ordinateur, qui a été fait avec KiCad, peut être téléchargé sur GitHub. Et ce qui est vraiment étonnant c’est qu’Olimex, avec du processeur européen, de la fabrication en Europe, tout européen et tout Libre, fait 35 % de résultat d’exploitation. Comme quoi on peut gagner beaucoup d’argent avec le Libre !

Delphine : Vous nous le dites à chaque fois, on va finir par le prendre en considération, je l’espère, au-delà de Smart Tech. On termine avec l’autre nouvelle du mois, c’est une nouvelle qui nous vient de l’AP-HP [Assistancepublique - Hôpitaux de Paris].

Jean-Paul Smets : Oui. Nicolas Hoertel [Professeur associé de psychatrie] avait découvert un traitement prometteur de la Covid-19 en travaillant avec les équipes de l’entrepôt de données de santé des hôpitaux de Paris. Il avait vu qu’un certain nombre d’antidépresseurs comme la fluvoxamine ou la fluoxétine, qui est le nom scientifique du Prozac, pouvaient potentiellement soigner la Covid-19 et il a de nouveaux succès. D’une part, de plus en plus de gens utilisent sa molécule, et ensuite il a trouvé un test qui permet de découvrir qui va faire ou pas une forme grave du Covid. Donc aujourd’hui, par exemple, John Hopkins aux États-Unis, l’Université de Washington, l’État de l’Ontario au Canada, la Société médicale du Canada recommandent officiellement l’usage de la fluvoxamine pour le traitement de la Covid-19 et on a aujourd’hui 850 nouveaux patients qui l’utilisent aux États-Unis tous les jours selon les statistiques.

Delphine : Tu nous avais expliqué ça, effectivement, et tu nous avais aussi dit pourquoi on ne pouvait pas le prescrire en France, aujourd’hui.

Jean-Paul Smets : En fait en France, quand on veut prescrire une vieille molécule pour une nouvelle maladie sans qu’il y ait un risque juridique pour le médecin qui la prescrit, il faut faire une nouvelle autorisation de mise sur le marché pour une nouvelle indication. Le problème c’est qu’une vieille molécule, libre, ce n’est pas cher, ce n’est pas très rentable, et les bénéfices que peut faire le laboratoire, qui est indispensable pour l’autorisation de mise sur le marché, sont trop faibles pour payer les assurances pour l’éventuel risque d’effets indésirables. On a donc un système bloqué.

Delphine : Bloqué parce qu’on a des procédures encore trop lourdes !

Jean-Paul Smets : Nicolas Hoertel, dont ce n’est pas le travail, m’a envoyé un document de 129 pages qu’il a rédigé lui-même, une demande d’usage dans un cadre de prescription compassionnelle de la fluvoxamine en France. On a donc aujourd’hui de grandes chances de pouvoir l’utiliser, peut-être dans un ou deux mois. C’est très intéressant parce que c’est une molécule qui a fait l’objet de plusieurs essais cliniques randomisés, donc toutes les données sont publiques, et, en plus, qui n’a pas le problème de l’interaction médicamenteuse que contient le Ritonavir qu’on trouve dans le médicament Paxlovid de Pfizer. Donc ça progresse.

Delphine : Ça progresse et ça veut dire aussi qu e finalement on peut y arriver à force de volonté.

Jean-Paul Smets : Oui. En travaillant la nuit, le week-end, à écrire des procédures bureaucratiques, Nicolas Hoertel arrive à faire avancer les choses. J’ai donc lu le document et, ce qui est assez génial, c’est que ça explique également le fonctionnement probable de la Covid, comment ça marche. On a une enzyme qui a été découverte par des biologistes allemands et Nicolas Hoertel, la sphingomyélinase-acide, qui, combinée à une graisse qui s’appelle la céramide, explique comment le virus pénètre dans les cellules. Apparemment, le virus de la Covid-19 active la sphingomyélinase-acide ; elle produit un gel, le gel permet aux récepteurs à CO2 du virus de se concentrer, de pénétrer la cellule en créant une réaction inflammatoire importante. Là Nicolas Hoertel s’est dit : « Est-ce que c’est ça le mécanisme ? » Il a donc repris toutes les données, il a regardé tous les patients qui prenaient des antidépresseurs. Certains de ces antidépresseurs inhibent la sphingomyélinase-acide, d’autres non. Il s’est rendu compte que les antidépresseurs qui inhibent la sphingomyélinase-acide sont ceux, en fait, qui permettent d’éviter une forme grave.

Delphine : Ça veut dire donc qu’on commence à savoir comment fonctionne la maladie Covid-19 ?

Jean-Paul Smets : Presque, pas encore à 100 %, il y a encore quelques essais à faire, mais on en est quasiment sûrs. Il a ensuite pris les bases de sang, qui s’appellent les biobanques, qui contiennent du sang congelé de patients, et il s’est mis à mesurer, dans chaque échantillon de sang, quelle était la quantité de sphingomyélinase-acide et de céramide. Il s’est rendu compte que plus il y a de sphingomyélinase-acide et de céramide, plus, en fait, on a une forme grave. On sait aussi que les personnes âgées et les personnes obèses ont naturellement beaucoup de sphingomyélinase-acide et de céramide. Donc apparemment, un test sur une goutte de sang, et on peut prédire à n’importe qui s’il risque ou non de faire une forme grave du Covid.

Delphine : Génial ! J’irais bien me faire tester.

Jean-Paul Smets : Mais ces tests ne sont pas disponibles dans les labos.

Delphine : Parce que ?

Jean-Paul Smets : Parce que ce n’est pas un test courant, donc Nicolas Hoertel a monté une start-up qui s’appelle FIASMACare et qui va probablement bientôt commercialiser en France et partout dans le monde un test permettant à chacun de savoir combien il a de sphingomyélinase-acide et de céramide dans le sang, donc de savoir s’il risque une forme grave du Covid.

Delphine : Le test n’était pas disponible alors il monte une start-up et il crée son test pour le commercialiser

Jean-Paul Smets : C’est ça.

Delphine : Il est impressionnant, ce docteur Hoertel.

Jean-Paul Smets : Il fait de l’informatique, il fait de la médecine, il monte une start-up, il fait tout ! On a plein de gens comme ça en France, je pense qu’on en trouvera d’autres, et c’est quand même ce qui est très agréable d’habiter ici.

Delphine : Merci beaucoup, Jean-Paul Smets, PDG de Rapid.Space, de nous faire découvrir ce monde du Libre et toutes les personnes qui, finalement, l’animent avec un grand talent. À suivre dans Smart Tech, c’est notre séquence « Et demain », on va s’intéresser à une batterie unique en son genre.

Références

[3Olimex

Média d’origine

Titre :

Ces pépites du monde libre...

Personne⋅s :
- Delphine Sabattier - Jean-Paul Smets
Source :

Vidéo

Lieu :

Émission Smart tech - B Smart

Date :
Durée :

8 min 45

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Fluvoxamine - Domaine public [il s’agit d’une formule chimique]

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.