Audacity vendu ! Décryptualité du 17 mai 2021

Luc : Décryptualité. Semaine 19. Salut Manu.

Manu : Salut Luc. Comment vas-tu cette semaine ?

Luc : Je suis encore un peu malade. On n’a pas fait de podcast la semaine dernière à cause de ça.

Manu : Tu as le Covid ?

Luc : Même pas ! Je suis en train d’en sortir donc ce n’est pas mal, mais ça fait long.
Qu’est-ce qui s’est passé la semaine dernière ?

Manu : Comme d’habitude, des articles et des articles. Comme il y a beaucoup de redites, je propose qu’on fasse juste le sommaire habituel ; quatre articles cette semaine.

Luc : ZDNet France, « ’Des logiciels libres pas libres’ : un catalogue de la DINUM taxé d’open source washing », un article de Thierry Noisette.

Manu : Tout ça c’est dans le cadre d’un référentiel de logiciels. Il y a des administrations qui disent « il y a des logiciels qu’on vous recommande d’utiliser, qu’on va vous aider à utiliser ». Malheureusement, dans le catalogue qui a été mis en avant par la DINUM, il y a des logiciels qui n’ont pas l’air d’être tout à fait libres dans tous les cas. Donc il y a un côté washing, c’est-à-dire on lave plus blanc que blanc, on fait croire que… et ce n’est pas tout à fait du logiciel libre. Il faut voir à quel point c’est énervant, en tout cas ça a un petit peu énervé l’April [1].

Luc : Souvent on dit open washing dans les expressions toutes faites
L’Echo, « Quel plan de relance pour l’enseignement à l’ère post-covid ? », un article, une tribune je suppose, de Soufiane Amzur.

Manu : Une tribune, tout à fait, qui reprend effectivement l’éducation, l’informatique. On a fait pas mal de dématérialisation ces derniers mois et qu’est-ce que le logiciel libre peut faire là-dedans. C’est plutôt intéressant, allez jeter un œil.

Luc : Arrêt sur images « La France, un Gafam comme les autres pour Darmanin », un article de Thibault Prévost.

Manu : C’est un petit peu énervant parce qu’on aime bien détester les GAFAM ! C’est un peu embêtant de voir qu’un ministre du gouvernement se réfère à ce genre d’élément. Ça me fait penser à ces époques où on disait que si la Chine arrive à mettre un système de censure au point, eh bien nous aussi on peut le faire. Là c’est un petit peu la revendication : si les GAFAM arrivent à utiliser des logiciels, des algorithmes, pour détecter et suivre des personnes, nous aussi on peut le faire. Se référer aux GAFAM et à leurs capacités dans ce sens-là, c’est un petit peu énervant.

Luc : C’est un truc qui revient à intervalles réguliers. On rappelle que Facebook a récemment fermé la page de la ville de Bitche parce que, en anglais, ça ressemble un peu à une insulte. C’est dire à quel point leurs algorithmes sont super calés et que les IA [Intelligence artificielle] vont résoudre tous nos problèmes !

Manu : Ce sera mieux, parce qu’avec Darmanin et le gouvernement, ne t’inquiète pas, le seul risque c’est que tu ailles en prison quelques jours ! Ça va, ce n’est pas important !

Luc : Ça forme la jeunesse !
Le Journal de Montréal, « Snowden sonne l’alarme sur la collecte de données », un article de Nora T. Lamontagne.

Manu : Oui, il y a beaucoup, beaucoup de collectes de données, Snowden en avait parlé il y a déjà quelques années. Il continue et il explique qu’il y a beaucoup de données personnelles qui partent un peu partout sur Internet. C’est embêtant parce que ce sont des choses qu’on ne contrôle plus, qui ne sont pas gérées que par les États – même si ce n’est pas toujours pratique et ça dépend des États, au cas par cas –, mais par des entreprises qui n’ont pas toujours notre bien à cœur. Ça peut être embêtant.

Luc : Effectivement. Finalement on a peu de droits sur les entreprises. Les États peuvent avoir de mauvaises intentions aussi, mais on a, au moins, des institutions politiques qui sont censées nous permettre de peser sur les décisions.

Manu : Tu n’as pas l’air de mal sonner en fait, je trouve le son plutôt bon malgré le fait que tu sois malade. Tu te débrouilles bien. Tu fais quoi ?

Luc : Écoute, je n’ai quasiment plus mal à la gorge, ça doit être pour ça. Tu dis ça parce que le sujet de la semaine nous touche d’assez près. C’est la revente d’Audacity [2].

Manu : Audacity, avec un « y » à la fin, comme une ville de l’audace ?

Luc : C’est ça. Je ne sais pas.

Manu : Ou une ville de l’audio, on pourrait plutôt imaginer.

Luc : Ça vient plutôt de l’audio, effectivement. C’est le logiciel que j’utilise pour faire le montage après notre enregistrement. C’est là que je dois confesser un truc essentiel : on triche quand même comme des salauds !

Manu : Oui. Tu enlèves les blancs, tu enlèves les raclements de gorge, chaque fois qu’on éructe.

Luc : Les répétitions, les euh à rallonge, des fois quand on dit des conneries ; il y en quand même qui passent.

Manu : Jamais ! Les jurons, les insultes.

Luc : Par exemple, chaque fois que je ne suis pas d’accord avec toi j’enlève ce que tu dis.

Manu : Oui, mais je te fais une totale confiance. Effectivement, avec ce logiciel qui est un logiciel très sérieux, très solide, tu peux reprendre la ligne du son et découper au cas par cas, rallonger, rajouter, modifier, changer l’amplitude. Les capacités sont extrêmes.

Luc : C’est un logiciel de manipulation de son qui est plutôt du côté des logiciels relativement simples. Dans le Libre il y en a un autre qui s’appelle Ardour [3], qui est un peu plus costaud, un peu plus orienté musique, on peut brancher des synthés, des machins. Audacity a ce côté, ce positionnement un peu plus simple.

Manu : Là, je t’accuse de dire ça parce que tu le connais. J’ai déjà mis les mains dedans, honnêtement , simple n’est pas du tout l’adjectif que je lui associerais, clairement pas !

Luc : Je dirais qu’au regard d’Ardour, non, ce n’est pas très compliqué.

Manu : Ce n’est pas parce qu’il y a pire qu’il faut encourager. Non, Audacity n’est pas un logiciel que je qualifierais de simple, loin de là. Il n’est pas pour le commun des mortels, c’est même un logiciel qui me ferait penser à des gens qui sont en studio, qui font ça de manière quasiment professionnelle. C’est un logiciel qui a une apparence qui n’est pas hyper-jolie et hyper-sympa, ce n’est pas facile d’accroche, et tu as des fonctions à découvrir qui sont assez difficiles.

Luc : Non. Moi je trouve ça relativement intuitif. Il y a quelques trucs un petit peu cachés. Après, ce que je fais est simple : nettoyer un fichier son pour la radio ce n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué. C’est un logiciel qui ne permet pas vraiment de travailler en temps réel ce qui est une chose importante pour les musiciens. S’ils veulent passer tous leurs instruments par un ordinateur, enregistrer en direct et après, éventuellement, rejouer la musique par l’ordinateur pour rejouer par-dessus avec un nouvel instrument, on a besoin de temps réel qui fait que la lecture et l’enregistrement soient suffisamment rapides pour que ce soit instantané. Audacity, par exemple, ne sait pas faire ça.
Bref, on en parle parce que ce logiciel qu’on utilise toutes les semaines est revendu. C’est un logiciel libre, forcément.

Manu : Comment fais-tu pour revendre un logiciel libre ? Ça me paraît impossible !

Luc : J’allais te poser la question.

Manu : Mince ! J’ai été le premier. Allez, essaye une réponse.

Luc : Évidemment le code est libre, donc n’importe qui peut le prendre, le modifier, le redistribuer et se l’approprier. En fait, c’est la marque qui est revendue. Très souvent, dans les projets libres, la marque est déposée, donc il y a un droit de propriété intellectuelle sur la marque. Il y a quelques contre-exemples, quelques logiciels que tout le monde connaît sous ce nom-là, sous la marque, mais en fait ça n’appartient à personne et tout le monde a le droit d’utiliser cette marque-là. Mais très souvent, et c’est le cas d’Audacity, quelqu’un a déposé cette marque-là, du coup il revend la marque. Là c’est un éditeur qui s’appelle Muse Group, rien à voir avec le groupe de musique, qui édite quelques logiciels dont un est déjà en open source.

Manu : D’accord. Donc ils ont récupéré l’image du logiciel, c’est-à-dire le logo, le nom, et ça me fait penser un petit peu à ce que faisait Firefox à une époque. Firefox [4], c’est du logiciel libre, il utilisait son logo et sa marque pour dire « attention, si vous modifiez, si vous distribuez notre logiciel sous une forme qui ne nous plaît pas, en rajoutant, par exemple, des patchs non validés, vous n’aurez pas le droit d’utiliser le nom avec votre distribution ».

Luc : Firefox avait fait ça pour un vendeur de PC qui voulait vendre la pré-installation de Firefox en disant « on vous le facture à tant ». La Fondation Mozilla avait dit « si vous faites payer Firefox, vous n’avez pas le droit d’utiliser la marque Firefox ».
Du coup, l’éditeur qui a racheté ce logiciel, il a racheté cette marque, il va éditer un logiciel, il va le faire évoluer, je suppose, et il va, à priori, éditer le logiciel et, de ce qu’il a annoncé, conserver la licence, donc continuer à faire du Libre à partir de ce qu’il a acheté.

Manu : C’est hébergé sur GitHub [5], une plateforme très connue sur laquelle il y a plein de logiciels libres qui se retrouvent. J’ai vu toute une vidéo avec certains participants du projet qui n’ont pas l’air d’être dérangés par l’idée de travailler, justement, sous un autre contrôle, parce qu’il y a quand même des dirigeants qui vont essayer d’orienter le projet. Si j’ai bien compris, des designers vont essayer de travailler sur l’IHM [Interface humain-machine] pour voir pourquoi il y a six ou sept loops à certains endroits, pourquoi il y a des boutons qui ont l’air d’être un peu en duplicata et faciliter l’usage du logiciel, ce que, de mon point de vue d’amateur, de grand amateur, je ne saurais qu’apprécier.

Luc : C’est une des critiques qui est faite au logiciel : son interface est un peu vieillotte et pas nécessairement très intuitive ; j’ai l’habitude donc ça ne me dérange pas. Effectivement, ça peut être bien si cet éditeur apporte de nouveaux moyens au logiciel ; la question c’est comment il va rentabiliser ses investissements. Audacity est un logiciel connu, donc on peut supposer que cette marque a de la valeur parce que les gens qui tripotent les sons connaissent le logiciel. C’était sans doute des développeurs bénévoles ou quasi bénévoles avec quelques dons de temps en temps. On comprend complètement qu’ils soient contents de se dire qu’ils vont avoir un modèle qui va leur permettre, peut-être, de se payer et de gagner des sous. À un moment, on se lasse de travailler gratuitement, c‘est très naturel. La question c’est comment l’éditeur va gagner et engranger plus de sous que les gens qui géraient le projet avant ne le faisaient ? Qu’est-ce qu’il va faire de nouveau qui va lui faire faire du bénéfice ?

Manu : On ne peut qu’imaginer, on peut imaginer des pistes qui seront des pistes qui nous plaisent ou, au contraire, je vois bien, il y a aussi des choses qui peuvent être un petit peu embêtantes. Une piste qui peut être énervante, c’est ce qui s’appelle l’open core, le cœur libre avec un pourtour propriétaire ; ça peut arriver. Muse Group faisait aussi des versions dites professionnelles d’un logiciel libre qu’il édite. Donc on pourrait imaginer ce genre de développement qui nous embêterait.

Luc : Oui, effectivement, c’est une des hypothèses. Évidemment l’éditeur n’a rien dit mais, vu qu’il le fait sur un autre logiciel, c’est l’hypothèse la plus probable. La question c’est combien de temps il fera ça, parce que ce qui est intéressant pour l’éditeur quand il fait ça c’est de se dire que la version gratuite permet à tout un chacun de tester, de prendre des habitudes et si des utilisateurs se mettent à faire des trucs vraiment pros, sérieux, etc., ça peut valoir le coup pour eux d’accéder aux fonctions supplémentaires et d’investir de l’argent dedans. L’avantage c’est qu’ils sont déjà formés, ils ont déjà leurs habitudes avec ce logiciel, du coup c’est intéressant pour l’éditeur d’occuper le terrain.

Manu : Il y a d’autres pistes. On peut espérer qu’ils vont aller plus de ce côté-là. Ils font des formations et ils travaillent sur la transmission des savoirs. On pourrait imaginer qu’ils vont aider de nouveaux utilisateurs à s’adapter au logiciel, ça ne peut jamais faire de mal de voir comment fonctionne Audacity. Ils pourraient aussi travailler à l’adapter à des usages, peut-être qu’il y a des studios, je sais pas, Disney, qui voudraient travailler des sons et qui se diraient « tiens, il y a telle fonctionnalité que je n’ai pas dans Audacity ou que je voudrais améliorer », donc ils pourraient demander à quelqu’un qui, supposément, connaît bien le logiciel de le faire évoluer. On a pu voir ça avec un autre outil que tu aimes bien, Blender. Blender [6] a été plutôt accepté par les grands studios parce que c’est un outil libre qu’ils peuvent faire évoluer et dans lequel, quand ils mettent quelque chose, ils savent qu’ils ne risquent pas trop de se faire avoir derrière, parce que le code est réutilisable s’il le faut. Si jamais quelqu’un est mécontent du système, il peut toujours partir avec une copie du logiciel ; c’est un logiciel libre, on a le droit de le faire, on peut faire un fork. On pourrait imaginer que les gens d’Audacity vont aller démarcher, comme ça, des entreprises pour des développements à façon.

Luc : Il faut voir. Je pense que dans l’édition de fichiers son il y a pléthore de choix en termes d’éditeurs, notamment en propriétaires. Le choix de cet éditeur c’est effectivement de racheter la notoriété en question, ce qui démontre que c’est un point important. Ça m’a fait penser à un ami qui, récemment, était encore sous Open Office parce qu’il n’avait jamais entendu parler de LibreOffice. On rappelle que LibreOffice [7] est un fork d’Open Office. La communauté autour d’Open Office n’était pas contente du repreneur du produit qui était en train de tout péter, de casser la démarche libre.

Manu : Qui s’appelle Oracle, je le rappelle.

Luc : Ils ont fait ce fork qui marche plutôt bien, qui continue à vivre. Mais aujourd’hui encore, des années après, il y a des gens qui n’ont toujours pas entendu parler de LibreOffice. Donc cette question du nom est quand même essentielle !

Manu : Et ce nom, c’est quelque chose qui se fait aussi dans le temps. Rappelons qu’Audacity est un logiciel qui est ancien. Il a démarré en 1999, pour le contexte c’était à l’université de Carnegie. Ça me fait penser à VLC [8] qui a été fait dans un contexte d’éducation, donc plutôt pas mal. Il y a un historique et quand il y a un historique ça veut dire qu’il y a des gens qui, peut-être, le connaissent ou en ont entendu parler il y a dix ans et qui ne le retesteront que plus tard, qui seront peut-être contents de voir que oui, le logiciel est toujours là. Cette réputation peut effectivement avoir une valeur importante.

Luc : Ça fait un peu écho à ce qu’on avait dit il y a quinze jours où on se posait la question du poids de l’économie et notamment des GAFAM qui peuvent forker un logiciel libre, qui ont les moyens de redémarrer un projet si on les embête de trop. Là, effectivement, on n’est pas sur cette gamme-là, l’éditeur est loin d’être un éditeur énorme, en position massive sur le marché ou qui brasse des milliards. Il y a quand même cette idée aussi, d’une part, qu’on a des développeurs qui, souvent, dans les projets libres de ce type-là, ne sont pas payés, ou alors il y a un peu d’argent qui rentre, mais on a des gens qui bossent en bénévole sur le long terme. Ça évoque à nouveau un peu cette question de l’économie et de dire qu’à un moment les gens en ont peut-être marre, ils ont peut-être envie d’être payés pour ce qu’ils font, même si ce n’est pas faire fortune. Également, quand on arrive avec un gros chèque ça peut être motivant. Ça me fait penser au créateur de BitTorrent qui est le protocole de téléchargement sur Internet.

Manu : Pour faire du peer-to-peer.

Luc : Pour faire du peer-to-peer. Bram Cohen [9] avait revendu le projet, je crois qu’il continue à faire du business dessus. Il y a un moment, il y a quelques années, je me souviens de ça, quand on lui a dit : « Pourquoi tu as vendu ? », il a dit : « C’était trop alléchant ! ». Effectivement, qui peut assurer que si on lui dit « tiens prends un million », il ne va pas mettre ses convictions de côté en disant « ça rend quand même la vie beaucoup plus facile ! »

Manu : Moi je suis d’accord mais pour un milliard. Je ne sais pas pourquoi je suis d’accord, mais je suis d’accord pour un milliard, OK, et ensuite je me débrouillerai avec ma conscience s’il faut.

Luc : Très bien. Je réunis la somme dans le courant de la semaine et on voit ce qu’on peut faire pour la semaine prochaine.

Manu : D’accord. Je te redonnerai un pourcentage, ne t’inquiète pas !
Je dirais que sur ce sujet-là il faut faire attention parce que trop de pouvoir corrompt, donc effectivement il vaut mieux le diffuser, s’assurer qu’il y a une bonne gouvernance. Pour Audacity on va croiser les doigts et espérer que ce soit bien gouverné. Dans le pire des cas, c’est du logiciel libre, on pourra le forker, si c’est nécessaire.

Luc : Très bien. On se retrouve la semaine prochaine.

Manu : À la semaine prochaine. Prends soin de toi.

Luc : Salut.