Luc : Décryptualité. Semaine 12. Salut Manu.
Manu : Salut Mag.
Mag : Salut Luc.
Luc : Cette semaine une toute petite revue de presse.
Manu : Minuscule, que j’hésite même à publier, je suis encore dans l’expectative.
Mag : Ce n’est pas la taille qui compte, Manu, c’est la qualité.
Manu : Oui, il faut voir au niveau de la qualité, ce sont des sujets dantesques.
Luc : Il y a un sujet à trolls. Mag on t’écoute.
Mag : Numerama, « Pourquoi le retour de Richard Stallman agace le monde du logiciel libre », par Julien Lausson.
Manu : Oui. Richard Stallman est revenu au board, à la direction de la Free Software Foundation et, effectivement, ça fait discuter plein de gens qui sont pour, qui sont contre, notamment pas mal d’associations et d’entreprises qui contribuent à la Free Software Foundation et qui soit le soutiennent soit ne veulent plus de lui et retirent leur soutien à la fondation ou font des appels à la démission globale de tous les dirigeants.
Luc : Une des choses qui pose problème dans ce retour c’est que Stallman revient sans explications, sans prendre de position sur ce qui l’avait amené à démissionner. C’est une pilule qui a du mal à passer chez certaines personnes.
Mag : ZDNet France, « La Fondation Wikimedia veut vendre aux géants de la tech un accès amélioré aux données de Wikipédia », par Thierry Noisette.
Manu : On a déjà abordé le sujet la semaine dernière. Effectivement les GAFAM, parce c’est d’eux qu’il s’agit essentiellement, utilisent beaucoup Wikipédia, ils en intègrent des morceaux ou ils l’utilisent comme référence, comme données de base. Effectivement Wikimedia, Wikipédia, les associations qui sont derrière, essayent de former des sortes d’associations économiques qui vont leur permettre de récupérer un petit peu de valeur et de contribuer à leur fonctionnement. Tout ça ne tourne pas sur du vide, ça tourne sur des gros serveurs qui sont distribués dans le monde entier. Il y a des équipes assez impressionnantes derrière, donc ça ne peut être pas mal que tout le monde y travaille.
Le sujet de la semaine, parce qu’il y a eu une grosse news qui est tombée et qui est assez triste.
Mag : On a appris la mort de Yann Le Pollotec, ça ne vous dira peut-être pas grand-chose, mais, pour nous libristes, c’est quelqu’un qui était très important. C’est un des membres du Parti communiste qui avait permis au logiciel libre de revenir à La Fête de l’Humanité, donc de participer à cet événement totalement incontournable.
Luc : Je fais partie des gens qui sont allés à La Fête de l’Huma. Je ne les ai pas toutes faites, il y a quelques années j’ai un peu eu ras le bol des stands, mais j’y suis allé quand même quelques fois. C’est le genre d’événement où on croise évidemment beaucoup de gens et des gens qui ne sont pas nécessairement des libristes. Il y a des événements qui sont régulièrement organisés par des associations libristes auxquelles l’April peut aller, d’autres associations également et, dans ces événements, on a souvent tendance à croiser des gens qui sont déjà dans le mouvement. Là, c’était l’occasion de rencontrer du public qui est là pour le concert, etc., qui a souvent un petit peu de temps à perdre. C’était quand même une occasion incroyable de parler du Libre, etc. C’est grâce à lui que c’est revenu puisqu’à un moment ça s’était arrêté manque de sous. Lui et quelques autres se sont mobilisés pour remettre ça en place.
Mag : Il faut savoir qu’il s’est battu pour qu’il y ait un espace logiciel libre. On était placés dans la grande halle et chaque année on avait un peu plus d’espace que les années précédentes parce que lui croyait au logiciel libre et, surtout, il préparait toujours ça longtemps à l’avance. Il y avait des réunions où toutes les associations qui allaient tenir des stands se rencontraient. Il y avait vraiment beaucoup de monde, ça faisait des discussions incroyables. Il était toujours là souriant, bienveillant, accueillant, bref !, une personne adorable.
Luc : Si on parle de lui ce soir c’est qu’il est décédé malheureusement du Covid à 59 ans. C’est quand même très jeune et ça démontre que cette épidémie ce n’est pas juste du flan ; ça fait bizarre. Je ne le connaissais pas aussi bien que toi. Je l’ai croisé une ou deux fois en réunion. Il faisait partie de ces gens qui ne sont pas très connus en dehors des communautés, mais qui se bougent les fesses pour déplacer leur petit bout de montagne et pour changer un petit peu les choses.
Là c’était quand même quelque chose de relativement important. Ça ne change effectivement pas la face du monde, on pourra toujours dire ça, mais c’est avec des gens comme lui que le Libre avance et que localement, chacun dans son coin, on arrive à faire des choses qui fonctionnent.
Manu : Je ne l’ai pas rencontré, mais de ce que je vois, je dirais qu’il vous a permis de rencontrer du monde et pas que des gens qui sont au Parti communiste, mais vraiment un public très large. C’était des milliers et des milliers de personnes qui passaient devant les stands, qui passaient au milieu du village du Libre. Tout le monde ne s’y intéressait pas, mais, au minimum, ça leur permettait de faire voir quelque chose qui se proposait de changer un petit peu la manière dont on traitait l’informatique, les ordinateurs, les informations, les données. Il y avait quelque chose d’ouvert, ce n’était pas mal. Je sais que ça s’est retrouvé dans d’autres endroits, mais c’était une grosse occasion. Je ne sais pas combien de personnes passaient dans ce lieu, une vingtaine de milliers de personnes peut-être, 50 000 personnes ? Je ne sais même pas !
Mag : C’est clair que tenir le stand à La Fête de l’Huma c’était épuisant. C’était du jeudi au dimanche et c’était vraiment prenant, avec énormément de gens qui avaient des questions totalement inhabituelles par rapport aux autres stands d’informatique. C’était extraordinaire comme expérience. C’est quelque chose que je faisais tous les ans depuis que Yann nous donnait un stand, un espace comme ça. C’était très enrichissant quelle que soit l’association pour laquelle on participait.
On se rencontrait entre plusieurs associations sur le stand du logiciel libre. J’ai discuté avec des makers, j’ai discuté avec des gens qui défendaient plutôt le bien commun. Bref !, c’était passionnant.
Luc : C’était aussi quelqu’un qui, au niveau du Parti communiste, poussait cette question du numérique, de l’informatique libre et toutes ces choses-là. C’est quelqu’un dont l’action va nous manquer. On regrette forcément son décès et on se disait que c’était aussi l’occasion de parler de toutes ces activités plus ou moins locales, menées par des bénévoles, qui n’ont l’air rien, mais qui changent malgré tout les choses.
On peut se dire que tenir un stand, finalement, ça ne sert à rien. Beaucoup de gens qui passent sont là parce qu’ils ont du temps à perdre entre deux concerts. Des fois on sent qu’ils sont un petit peu fatigués par ce qu’on leur raconte, pas très intéressés, donc on peut se dire à quoi bon ! On radote pendant deux/trois jours, on s’explose la voix parce que c’est bruyant et on peut se demander si on ne perd pas son temps, finalement.
Mag : Et en fait non, parce qu‘après La Fête de l’Huma, quelques jours, des fois quelques semaines, il y a des gens qui reviennent nous voir avec « je vous ai rencontrée à La Fête de l’Huma, c’était intéressant, dites m’en plus. » On ne pissait pas dans des violons !
Luc : C’est ça et un des intérêts de La Fête de l’Huma c’est qu’il y a plein de gens qui viennent juste pour la musique et la bouffe, etc., mais il y a aussi pas mal de gens qui ont des convictions, qui cherchent des alternatives et les contacts étaient très bons. Je dirais que même aux gens qui s’en foutent complètement, on a cet avantage de leur avoir parlé de logiciel libre au moins une fois. Donc même si ça ne changera rien à leur comportement ils savent que ça existe, parce qu’ils en ont entendu parler. Peut-être que ça changera leur comportement un jour ou, en tout cas, la fois d’après quand ils entendront parler de leurs libertés informatiques, il y a un petit truc qui passera dans leur cerveau. Ça s’accumule petit à petit, donc ce n’est jamais complètement perdu.
Mag : Ce qui était amusant, ce sont les gens qui venaient d’une année à l’autre en disant « alors, c’est quoi les nouveaux services que les chatons [1] ont mis en place ? » C’était original comme question parce qu’ils venaient trouver de nouvelles alternatives, ils venaient voir quels étaient nos combats et ce ne sont pas des choses qu’on a régulièrement sur les stands. Ou alors les gros câlins : les gens qui disent « toi tu es à Framasoft [2], je te fais un gros câlin, merci ». Ça c’est assez inhabituel !
Luc : Ça marche quand ils ne sentent pas mauvais, quand même !
Manu : En regard avec la boue, avec les pogos dans la foule, le fait qu’il y avait des gens qui peuvent être là plusieurs jours d’affilée sans à peine dormir.
Luc : C’est aussi l’occasion de parler avec des gens très variés. Il y a des moments où on rigole beaucoup, des moments où on rigole moins. Je me suis retrouvé à parler avec des gens qui viennent en découdre, qui sont clairement de l’autre côté et qui ont des comptes à régler. Il y a des gens qui s’en foutent. Une anecdote qui m’avait beaucoup fait rigoler sur un stand : Lionel Allorge, notre ancien président, avait mis des menottes pour illustrer les DRM [3], les menottes numériques, il avait donc mis des vraies menottes. Un couple était là. Je commence à servir mon baratin libriste, ils regardent les menottes et je me rends bien compte qu’en fait ils n’ont rien à foutre de ce je leur dis. Comme ils regardent les menottes, j’ai dit « oui, là c’est pour parler des libertés numériques, mais je sais qu’on peut s’en servir pour autre chose ! » Et là je les vois qui rigolent. Évidemment, ils étaient en train de fantasmer sur le fait de s’attacher au lit avec les menottes.
Manu : Il avait aussi fabriqué un clavier avec des picots sur chaque touche pour montrer qu’on pouvait être dans une informatique où il est difficile de s’exprimer. Effectivement, les gens, à foison, s’amusaient avec ce clavier. C’était un vrai jeu.
Luc : Et en général, ils le regardaient, ils disaient « pourquoi, qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qui se passe ? » C’était un super outil pour que les gens se posent des questions et amener le débat.
Dans le genre il y a également Oliver qui avait fait un truc excellent. Il avait inventé une recette lui-même et fait des sortes de petites pâtisseries. On faisait manger ça aux gens qui passaient au stand pour leur expliquer que, de la même façon qu’ils essayaient de deviner les ingrédients de la recette de ce qu’ils mangeaient, ils essayaient de comprendre ce qu’il y avait dedans et que c’était finalement très compliqué de savoir ce qu’il y avait dans le truc qu’on leur faisait manger, eh bien dans un logiciel compilé, c’est la même chose, on ne sait pas ce qu’il a dedans. D’où l’intérêt d’avoir des licences libres et d’avoir accès au code source pour savoir ce qu’on nous fait « consommer », entre guillemets, côté logiciel. L’analogie marchait très bien ; c’était un super moyen d’accrocher les gens, de leur faire bouffer un truc et de leur dire « qu’est-ce qu’il y a comme ingrédients dedans ? »
Mag : D’ailleurs, ces petites friandises d’Oliver étaient très bonnes.
Manu : On peut rappeler que les recettes de cuisine sont un des domaines où il n’y a pas vraiment de droits d’auteur. On ne peut pas dire « c’est ma recette et personne d’autre n’a le droit de l’utiliser ». C’est comme les parfums et quelques autres choses comme ça, par exemple la science, on ne peut pas dire "c’est à moi et personne d’autre ne peut en faire quoi que ce soit". Les recettes de cuisine c’est plutôt pas mal, c’est même une bonne analogie.
Luc : Côté bénévolat, on a les stands qui sont une chose, mais on a d’autres activités ; tous les libristes ne vont pas sur les stands. Il faut aimer parler au public. Il y a plein de gens qui ne sont pas très à l’aise avec ça, qui ne sont pas dans cette idée d’alpaguer les gens, de leur parler, etc. Mais on a plein de choses qui se font. On a les install-parties.
Mag : Il y a aussi les conférences. Je sais que Véronique Bonnet, notre présidente de l’April, donne énormément de conférences, tout comme les bénévoles de Framasoft qui vont dans des écoles, dans des bibliothèques, dans des CEMEA [Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active]. Les conférences ce n’est pas mal. Tu disais que des gens n’aiment pas forcément parler au public. On peut aussi écrire des articles. Pour revenir à Yann Le Pollotec, il avait présenté quasiment tous les stands aux journalistes de L’Huma qui avaient interviewé plusieurs bénévoles. Un bénévole, sans être interviewé par un journaliste, peut aussi écrire lui-même un article qui sera publié sur un site, sur un média, papier ou autre.
Luc : Il peut écrire dans les forums, parce qu’il y a plein de gens qui vont chercher des informations sur Internet. Cette disponibilité des bénévoles sur les forums pour aider les gens, notamment avec la technique ou pour faire des choix, a énormément de valeur également. Notamment le forum d’Ubuntu [4] dans lequel il y a énormément d’informations. Quand on cherche des infos pour se dépanner sur notre GNU/Linux et sur d’éventuels problèmes qu’on peut avoir, on tombe très souvent sur les forums d’Ubuntu, mais ce ne sont pas les seuls, bien sûr.
Manu : Tout ça c’était à une autre époque, rappelons-le, il n’y a plus beaucoup de rencontres physiques. Il y avait pas mal de villages du Libre, d’installations où les gens pouvaient physiquement se revoir et Mag est une des spécialistes, elle a fait plein d’endroits.
Mag : Je me souviens de Cyril Ghesquière qui nous avait contactés pour faire un petit village du Libre dans un événement totalement grand public qui s’appelait Geekopolis. C’était un informaticien qui touchait un petit peu au logiciel libre et il voulait apporter le logiciel libre dans son grand salon.
Je voudrais aussi saluer Naya et toute sa famille, toute l’équipe qui est derrière les Geek Faëries [5]. Ils utilisent des logiciels libres pour tout ce qu’ils font ou quasiment tout ce qu’ils font et ils voulaient partager avec leurs fans, leurs amis, toute la philosophie du logiciel libre lors justement des fameuses Geek Faëries qui avaient lieu dans un parc à côté d’un château. C’était vraiment extraordinaire comme expérience.
Luc : Il y a avait également Les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre [6] où des associations locales de libristes se sont lancées dans des projets énormes, parce que la préparation prenait beaucoup de temps, nécessitait beaucoup de boulot, trouver des sous, etc., énormément de stress et de responsabilité pour les gens qui ont fait ça bénévolement. Elles sont aujourd’hui plutôt tombées en désuétude ; ça fait quelques années, même avant le Covid, qu’on n’en a pas eu. Mais on a eu des années et des années d’événements où les libristes ont pu se rencontrer, avec des gens qui se sont donnés corps et âme pour que ça marche. Là aussi je suis très admiratif de ce boulot-là.
Manu : Sur ce, je vous propose de nous retrouver la semaine prochaine.
Luc : Voilà. Une dernière fois bravo à tous les bénévoles. On aura une petite pensée pour Yann. Peut-être à la prochaine édition de La Fête de l’Huma où j’espère qu’on aura toujours des stands.
Mag : À plus.
Manu : Salut tout le monde.